Les causes qui influent sur la valeur des choses, et notamment la quantité qu'on en demande au prix où les portent leurs frais de production, n'influent pas au même degré sur différentes marchandises, ni à différentes époques sur la même marchandise. Or, différents métaux sont des marchandises différentes ; leurs propriétés, leurs usages sont divers. On ne peut pas employer l'or dans tous les cas où l'on emploie l'argent ; il a une pesanteur, une ductilité qui lui sont propres ; sa rareté et les frais de son extraction le portent à un prix qui excède la dépense que beaucoup de familles peuvent consacrer à se pourvoir de cuillères, de fourchettes, et de beaucoup d'autres ustensiles d'argent. L'argent est en conséquence beaucoup plus demandé que l'or en proportion de la quantité qu'en fournissent les mines. M De Humboldt prétend que la quantité d'argent fournie, tant par les mines d'Europe que par celles d'Amérique, est à la quantité d'or recueillie, comme 45 est à 1. Cependant la valeur de l'argent n'est pas 45 fois moindre que celle de l'or, mais seulement 15 fois environ ; et ce meilleur marché, joint à ses autres qualités, suffit pour qu'on porte la demande qu'on fait de l'argent jusqu'à un prix qui permet aux entrepreneurs des mines les moins fécondes d'être dédommagés par ce prix de leurs frais de production.
Des circonstances différentes entraîneraient d'autres rapports. Par exemple, la découverte de nouvelles mines d'or plus abondantes et d'une exploitation moins dispendieuse, pourrait faire beaucoup baisser la valeur de l'or relativement à toutes les autres marchandises, et par conséquent relativement à l'argent.
Ces considérations n'ont point arrêté les gouvernements lorsqu'ils ont fabriqué leurs monnaies de plusieurs métaux différents. Ils ont déclaré constant un fait variable. Ils ont dit : une certaine quantité d'argent, toujours la même, vaudra 20 francs, et une certaine quantité d'or, toujours la même, vaudra également 20 francs. Mais la nature des choses est plus forte que les lois. Sous l'ancien régime, la pièce d'or à laquelle les lois attribuaient une valeur de 24 livres tournois, se vendait couramment 25 livres 8 sous. Aussi se gardait-on bien, en France, de faire en or les paiements auxquels on était engagé.
En Angleterre, une fixation différente a produit des effets contraires. En 1728, le cours naturel des échanges avait établi la valeur relative de l'argent fin et de l'or fin dans la proportion de 1 à 15 9/124 (ou, pour faire une fraction plus simple, à 15/14). Avec une once d'or on achetait 15 1/14 onces d'argent, et réciproquement. C'est à ce taux que fut fixé le rapport des monnaies d'or et d'argent ; c'est-à-dire qu'une once d'or monnayé s'appelait 3 livres 10 sous 17 1/2 deniers sterling, et que 15 1/14 onces d'argent monnayé s'appelait de même 3 livres 17 sous 10 1/2 deniers sterling. Mais c'était fixer une proportion variable de sa nature. L'argent éprouva successivement plus de demandes que l'or : le goût de la vaisselle et des ustensiles d'argent se répandit ; le commerce de l'Inde prit un plus grand essor, et emporta de l'argent de préférence à l'or, parce qu'en orient il vaut plus, relativement à l'or, qu'en Europe ; finalement la valeur relative de l'argent était devenue, à la fin du siècle dernier, par rapport à celle de l'or, comme 1 est à 14 3/4 seulement. Tellement que la quantité de monnaie d'argent qui, frappée en espèces, valait 3 livres 17 sous 10 1/2 deniers sterling, pouvait, si elle était fondue en lingots, se vendre 4 livres sterling contre de la monnaie d'or. Il y avait donc à gagner à la fondre en lingots, et l'on perdait en fesant des paiements en espèces d'argent. C'est pour cela que, jusqu'au moment où la banque d'Angleterre fut autorisée, en 1797, à suspendre ses paiements en espèces, tous les paiements se faisaient en or.
Ensuite on n'a plus payé qu'en papier, parce qu'une livre sterling de papier valait moins encore qu'une livre sterling d'or telle que les lois monétaires la voulaient.
Ce qui vient d'être dit de l'or et de l'argent, peut être dit de l'argent et du cuivre, et en général de la valeur relative de tous les autres métaux. Il n'est pas plus sage de dire que la quantité de cuivre contenue dans cent centimes vaut autant que l'argent contenu dans un franc, qu'il ne l'est de dire que la quantité d'argent contenue dans quatre écus de 5 francs vaut autant que l'or contenu dans une pièce de 20 francs.
Cependant la proportion fixée par la loi entre le cuivre et les métaux précieux, n'a pas eu de très grands inconvénients, en ce que la loi n'a pas autorisé à payer indifféremment en cuivre ou en métaux précieux les sommes stipulées en livres sterling ou en francs ; de manière que la seule monnaie avec laquelle on puisse acquitter légalement les sommes qui surpassent la valeur des pièces d'argent, c'est l'argent ou l'or. On peut dire que ces deux métaux sont les seules monnaies légales. Les pièces de cuivre ou de billon sont seulement considérées comme des coupures, des espèces de billets de confiance, de signes représentant une pièce d'argent trop petite pour être frappée en monnaie. Je ne connais guère que la Chine où la monnaie légale soit de cuivre, et où l'argent dont on fait usage représente du cuivre.
Le gouvernement, qui met en circulation des coupures qui ne sont autre chose que des billets de confiance, devrait toujours les échanger, à bureau ouvert, contre de l'argent, du moment qu'on lui en rapporte un nombre suffisant pour égaler une pièce d'argent. C'est le seul moyen de s'assurer qu'il n'en reste pas entre les mains du public au delà de ce qu'en réclament les menus échanges et les appoints. S'il en restait plus, les pièces de cuivre ne pouvant avoir les mêmes avantages pour leur possesseur que l'or ou l'argent qu'elles représentent, mais qu'elles ne valent pas, il chercherait à s'en défaire, soit en les vendant à perte, soit en payant de préférence avec cette monnaie les menues denrées, qui renchériraient en raison de cela, soit enfin en plaçant ces pièces dans les paiements qu'il a à faire, en plus grande proportion que ne l'exigent les appoints.
Le gouvernement, qui est intéressé à ce qu'on ne les vende pas à perte, attendu qu'il disposerait moins avantageusement de celles qu'il met en circulation, autorise ordinairement le dernier parti. Avant 1808, par exemple, on était autorisé à Paris à payer en monnaie de cuivre 1/40 des sommes qu'on devait ; ce qui produisait un effet pareil à une altération dans le titre des monnaies. Une somme de monnaie valant un peu moins, en raison de cette circonstance, les vendeurs de toute espèce de marchandises, qui, sans savoir les causes qui influent sur la valeur des monnaies, connaissent très bien ce que les monnaies valent, faisaient leur prix en conséquence.
Chaque vendeur, armé d'une balance et d'un creuset, ne s'arrête pas à vérifier le titre et le poids des monnaies ; mais les gens qui font le commerce des matières d'or et d'argent, ou d'autres métiers analogues, sont perpétuellement occupés à comparer la valeur des métaux précieux contenus dans les monnaies avec la valeur courante de ces mêmes monnaies, pour tirer parti des bénéfices que peut laisser leur différence ; et les opérations mêmes qu'ils font pour obtenir ce bénéfice, tendent toujours à établir la valeur courante des monnaies au niveau de leur valeur réelle.
La quantité de cuivre qu'on est forcé de recevoir influe de même sur le change avec l'étranger. Une lettre de change payable en francs à Paris, se vend certainement moins cher à Amsterdam, lorsqu'une partie de sa valeur doit être payée en cuivre ; de même qu'elle vaudrait moins si le franc contenait une moindre quantité d'argent fin et plus d'alliage.
Il faut pourtant remarquer que cette circonstance ne fait pas baisser la valeur de la monnaie en général autant que l'alliage, qui n'a aucune valeur par lui-même, tandis que la monnaie de cuivre qui entrait pour un quarantième dans nos paiements, avait une légère valeur intrinsèque, inférieure cependant au quarantième de la somme en argent ; autrement on n'aurait pas été forcé de faire une ordonnance pour contraindre à la recevoir.
Si le gouvernement remboursait à bureau ouvert, en argent, les pièces de cuivre qu'on viendrait lui rapporter, il pourrait, presque sans inconvénient, leur donner extrêmement peu de valeur intrinsèque ; les besoins de la circulation en absorberaient toujours une fort grande quantité, et elles conserveraient leur valeur aussi complètement que si elles valaient la fraction de monnaie qu'elles représentent ; de même qu'un billet de banque qui n'a point de valeur intrinsèque, circule néanmoins, et même plusieurs années de suite, comme s'il valait intrinsèquement ce que porte sa valeur nominale.
Cette opération vaudrait au gouvernement plus que ce qu'il peut faire passer de force dans la circulation, et la valeur des monnaies n'en serait point altérée.
Il n'y aurait à craindre que les contrefacteurs, dont la cupidité serait d'autant plus excitée, qu'il y aurait plus de différence entre la valeur intrinsèque et la valeur courante. L'avant-dernier roi de Sardaigne, ayant voulu retirer une monnaie de billon que son père avait fabriquée dans des temps malheureux, en retira trois fois plus que le gouvernement n'en avait jamais fait. Le roi de Prusse éprouva une semblable perte, par une semblable cause, lorsqu'il fit retirer, sous le nom emprunté du Juif Éphraïm, le bas billon qu'il avait forcé les saxons de recevoir, dans la détresse où l'avait réduit la guerre de sept ans.