La monnaie n'étant qu'un instrument qui sert à faciliter nos échanges, la quantité de monnaie dont un pays a besoin est déterminée par la somme des échanges que les richesses de ce pays et l'activité de son industrie entraînent nécessairement. Dans le cours ordinaire des choses, on ne troque pas des marchandises les unes contre les autres sans motif, et simplement pour faire un troc ; mais pour faire servir les marchandises qu'on échange à la production ou à la consommation du pays. Quand la production est plus active, quand la consommation est plus étendue, on a plus d'échanges à conclure, on a besoin d'une plus forte somme de monnaie. En d'autres mots, ce n'est pas la somme des monnaies qui détermine le nombre et l'importance des échanges ; c'est le nombre et l'importance des échanges qui déterminent la somme de monnaie dont on a besoin.
De cette nature des choses il résulte que, rien n'étant changé d'ailleurs aux circonstances du pays, la valeur de la monnaie décline d'autant plus qu'on en verse davantage dans la circulation. En effet, admettant que le numéraire qui circule actuellement en France s'élève à deux milliards de francs, si, par une cause quelconque, on portait tout à coup ce nombre de francs à quatre milliards, la quantité de produits, de marchandises qui se présenteraient en vente, étant ce qu'elle était, il devient évident qu'on n'offrirait pas plus de marchandises à vendre, tandis qu'on offrirait, pour chaque objet à vendre, un nombre de francs double de ce qu'on en offre à présent ; les quatre milliards ne vaudraient pas plus que les deux milliards, valeur actuelle ; chaque franc ne vaudrait que cinquante centimes. On sent que cette supposition est extrême et inadmissible ; mais ce qui ne l'est pas, c'est une augmentation ou une diminution moins considérable et plus graduelle de la somme des unités monétaires, et un effet proportionnel relativement à la valeur de chaque unité.
Par une suite du même principe, si la population du pays devenait plus nombreuse, sa production et sa consommation plus considérables, et si par conséquent le pays se trouvait avoir plus de transactions à conclure, plus d'échanges à terminer, sans que le nombre des unités monétaires fût accru, étant plus demandées et n'étant pas offertes en plus grande quantité, la valeur de chaque unité monétaire croîtrait d'autant plus que cette disparité deviendrait plus sensible. De ces deux effets contraires peuvent naître des combinaisons diverses à l'infini.
Appliquons ces vérités fondamentales aux monnaies qui peuvent être faites de différentes matières, et d'abord aux monnaies d'argent. Les observations qu'elles nous fourniront pourront nous éclairer sur les autres monnaies, en y faisant les corrections nécessaires.
Une pièce de 5 francs d'une part, et un petit lingot du même métal et du même poids d'autre part, sont deux marchandises un peu différentes entre elles ; elles diffèrent comme un produit fabriqué diffère de la matière première dont il est fait. Si cette fabrication était libre pour tout le monde, et si l'autorité publique se bornait à fixer le titre, le poids et l'empreinte que chaque pièce doit recevoir, il s'élèverait des manufactures de monnaie jusqu'à ce que les besoins qu'on a de cet instrument fussent satisfaits. La matière première, l'argent, a, dans chaque pays, une valeur quelconque, déterminée par les mêmes causes qui agissent sur les autres marchandises ; la concurrence des fabricants réduirait les frais de fabrication au taux le plus bas ; et à ce taux, les besoins de la circulation détermineraient le nombre de pièces qu'on pourrait fabriquer avec profit. Si les manufacturiers en produisaient davantage, ils aviliraient leur marchandise et perdraient ; s'ils en fabriquaient trop peu, la valeur des monnaies s'élèverait au-dessus des frais de production, et provoquerait une fabrication plus considérable. Mais le monnayage n'est pas abandonné à une libre concurrence, on sait que dans tous les pays l'autorité publique s'est réservée l'exercice exclusif de ce genre de manufacture ; soit qu'à la faveur du monopole, elle ait voulu se procurer un bénéfice extraordinaire, comme celui qu'elle tire en certains lieux du monopole du tabac ; soit plutôt qu'elle ait voulu offrir à ses sujets une garantie plus digne de leur confiance que celle que leur donnerait une manufacture appartenant à des particuliers. En effet, la garantie des gouvernements, toute frauduleuse qu'elle a été trop souvent, convient encore mieux aux peuples qu'une garantie privée, tant à cause de l'uniformité qu'une fabrication homogène permet de donner aux pièces, que parce que la fraude serait peut-être plus difficile encore à reconnaître, exercée par des particuliers.
Quoiqu'il en soit, cette circonstance introduit une proportion jusqu'à un certain point arbitraire entre le prix du lingot et le prix des pièces. Quelquefois le gouvernement juge à propos de les fabriquer gratuitement, comme en Angleterre et en Russie, où l'on donne, à ceux qui portent des lingots à la monnaie, un poids égal en pièces monnayées, sans rien retenir pour la façon. Aussi, dans ces pays, les pièces monnayées ne vaudraient pas plus que le lingot, sans une circonstance qui fait que le monnayage, qui ne rapporte rien au gouvernement, n'est pas tout-à-fait gratuit pour le particulier. Celui-ci perd les intérêts de sa matière première depuis l'instant où il confie son argent aux ateliers monétaires, jusqu'à celui où on le lui rend. Sans la perte qui en résulte, il est évident que l'on se servirait de l'hôtel des monnaies, non seulement pour avoir des monnaies, mais pour avoir, sans frais, un métal réduit à un titre uniforme, et portant une étiquette digne de confiance ; ce qui en faciliterait l'emploi, même dans le cas où l'on ne voudrait pas s'en servir comme monnaie. Malgré même cette perte d'intérêts qu'on subit à l'hôtel des monnaies d'Angleterre, il a très souvent convenu aux spéculateurs de porter à l'étranger des monnaies anglaises où elles ne remplissaient pas l'office de monnaie, mais de lingots réduits à un titre uniforme et connu. Avant la révolution française, on voyait constamment des guinées dans le commerce des métaux précieux qui se faisait en France. Le gouvernement anglais, par conséquent, faisait supporter à ses contribuables les frais de fabrication, et ne les faisait pas jouir de la totalité de la monnaie qui résultait de ces frais, dont une partie tournait au profit des marchands étrangers. Le même effet s'est renouvelé depuis que les anglais ont fait une nouvelle monnaie d'or appelée souverains. Les anglais sont dupes en ceci de leur respect chinois pour leurs anciens usages.
Le même inconvénient se manifeste jusqu'à un certain point en France : non que le monnayage y soit entièrement gratuit ; mais le profit en est abandonné, dans chaque hôtel des monnaies, à un entrepreneur à façon, que l'on nomme improprement directeur ; et le gouvernement demeure chargé des frais d'administration et de surveillance, de l'entretien des bâtiments et des grosses machines, ainsi que de l'intérêt du capital que ces choses représentent.
Dans les cas que je viens de citer, la valeur de la monnaie ne s'élève pas aussi haut que si elle était fabriquée par des particuliers ; car nul d'entre eux ne voudrait subir les pertes que les gouvernements consentent à supporter. En France, la différence de valeur entre l'argent en lingot et l'argent monnayé n'est guère, en temps ordinaire, que d'un pour cent en faveur de l'argent monnayé ; différence trop légère pour couvrir les frais de fabrication.
Dans d'autres temps et dans d'autres pays, les gouvernements ont cru pouvoir retenir sur les métaux qu'on portait à leurs ateliers, outre leurs frais de fabrication, un droit régalien qu'ils ont nommé droit de seigneuriage. Mais, dans le cas dont il est ici question, le gouvernement n'est autre chose qu'un manufacturier. Son bénéfice ne peut naître que de la différence de valeur qui se manifeste entre la matière première et le produit fabriqué ; valeur qui dépend, non de ses lois et d'une fixation de valeur qui ne dépend pas de lui, mais des circonstances de la société et de la volonté libre des contractants et du prix courant des marchandises. On voit que les droits de fabrication, les droits de seigneuriage, dont on a tant discouru, sont absolument illusoires, et que les gouvernements ne peuvent avec des ordonnances déterminer le bénéfice qu'ils feront sur les monnaies.
Sans doute le gouvernement peut décider qu'il ne frappera aucune monnaie, à moins que le particulier qui lui apporte du métal à transformer en monnaie ne lui abandonne cinq onces d'argent sur cent qui passeront sous son balancier ; mais on doit bien penser que si, au cours du marché, les cent onces fabriquées ne valent pas à leur possesseur autant que cent cinq onces en lingots, il gardera ses lingots, et les ateliers monétaires resteront oisifs. Et si le gouvernement, pour occuper ses balanciers, achète lui-même des matières, et qu'après avoir frappé cent onces, ces cent onces monnayées ne puissent acheter que cent deux onces en lingots, il ne gagnera que deux pour cent sur sa fabrication, quelle que soit la loi.
Le seul moyen qu'aient les gouvernements d'accroître leurs profits sur le monnayage, est de se prévaloir du privilège qu'ils ont de fabriquer seuls, pour diminuer l'approvisionnement du marché, en suspendant la fabrication jusqu'à ce que les monnaies, devenues plus rares, aient acquis plus de valeur relativement aux autres marchandises. De cette manière le besoin d'argent monnayé le faisant plus vivement rechercher, sa valeur croît, on en offre moins pour un kilogramme d'argent, de même que pour toute autre marchandise, et il est alors possible qu'on obtienne pour 190 francs en écus, pour 180 francs, et même pour moins, un kilogramme d'argent dont on pourra faire 200 francs d'écus. Le profit ne consistera toujours que dans la différence qui se manifestera entre le prix du lingot et celui de la monnaie.
Il ne paraît cependant pas que les gouvernements se prévalent de ce privilège qu'ils ont d'approvisionner imparfaitement d'espèces, la circulation du pays.
Cela ne peut avoir lieu sans occasionner une certaine pénurie de monnaie, qui provoque dans le public l'emploi de signes représentatifs dont nous nous occuperons bientôt. Les employés des monnaies sont toujours de leur côté pressés de fabriquer, soit pour paraître utiles, soit pour profiter d'un tant pour cent, accordé à plusieurs d'entre eux sur les métaux qui passent dans les creusets ou sous les balanciers. Peut-être encore les gouvernements sont-ils trop mauvais négociants pour évaluer complètement leurs frais de production, et notamment la valeur capitale des hôtels des monnaies ; et, après avoir regardé comme perdues les sommes qu'ils y ont consacrées, et peut-être les nombreux traitements de leurs employés, courent-ils après le bénéfice qui résulte de la fabrication courante, tout insuffisant qu'il est pour rembourser les traitements et l'intérêt des capitaux versés dans l'entreprise. En fait, il ne paraît pas que la valeur de l'argent monnayé surpasse, dans aucun pays, la valeur de l'argent en lingot, de manière à excéder les frais de fabrication.
Si les gouvernements étaient complètement indemnisés des frais de fabrication, si le monnayage ne coûtait absolument rien aux contribuables, il n'y aurait jamais lieu de gémir sur l'exportation des espèces.
Elle serait même aussi favorable à la richesse nationale que l'exportation de tout autre produit manufacturé. C'est une branche de l'orfèvrerie ; et il n'est pas douteux qu'une monnaie qui serait assez bien frappée pour ne pouvoir être aisément contrefaite, une monnaie essayée et pesée avec précision, pourrait devenir d'un usage courant en plusieurs lieux du monde, et que l'État qui la fabriquerait en tirerait un profit qu'on ne devrait nullement mépriser.
Les ducats de Hollande sont recherchés dans tout le nord pour une valeur supérieure à leur valeur intrinsèque, et les piastres d'Espagne ont été fabriquées d'une manière si constante et si fidèle, qu'elles ont cours de monnaie, non seulement dans toute l'Amérique, mais encore dans la république des États-Unis, dans une partie considérable de l'Europe, de l'Afrique et de l'Asie.
Les piastres offrent même un exemple curieux de la valeur que l'empreinte donne au métal. Lorsque les américains des États-Unis ont voulu fabriquer leurs dollars, qui ne sont autres que des piastres, ils se contentèrent de faire passer les piastres sous leur balancier ; c'est-à-dire que, sans rien changer à leur poids et à leur titre, ils effacèrent l'empreinte espagnole pour y imprimer la leur. Dès ce moment, les chinois et les autres peuples d'Asie ne voulurent plus les recevoir sur le même pied : cent dollars n'achetaient plus la même quantité de marchandise qu'on obtenait pour cent piastres. Le gouvernement américain, qui, très éclairé d'ailleurs, était encore imbu du préjugé de la balance du commerce, se prévalut de cette circonstance pour faire cesser l'exportation des espèces en Asie. Il ordonna qu'on n'exporterait plus que les dollars de la façon des États-Unis ; de manière qu'après avoir fait des frais pour diminuer la valeur d'une partie des piastres d'Espagne, il voulut qu'on les employât à l'usage auquel le gouvernement avait empêché qu'elles ne fussent propres : celui de s'en servir dans les relations commerciales qu'on avait avec les peuples qui n'y mettaient pas le prix.
Il fallait laisser porter au-dehors la valeur, sous quelque forme que ce fût, qui devait amener les plus gros retours ; et là-dessus on pouvait s'en rapporter à l'intérêt privé.
Et que dire du gouvernement espagnol, dont la fidélité dans l'empreinte de ses piastres leur donnait au dehors une valeur fort supérieure à leur valeur intrinsèque, qui, en vertu de l'espèce de monopole dont jouissaient ses états d'Amérique, relativement à cette marchandise, pouvait charger de gros droits son extraction, et qui néanmoins prohibait une exportation si profitable pour ses peuples et pour lui ?
Le gouvernement, quoique fabricant de monnaie, et n'étant point tenu de la fabriquer gratuitement, ne peut pas néanmoins, avec justice, retenir les frais de fabrication sur les sommes qu'il paie en exécution de ses engagements. S'il s'est engagé à payer, je suppose, pour des fournitures qui lui ont été faites, une somme d'un million, il ne peut équitablement dire au fournisseur : « Je me suis engagé à vous payer un million, mais je vous paie en monnaie qui sort de dessous le balancier, et je vous retiens vingt mille francs, plus ou moins, pour frais de fabrication. ».
Le sens de tous les engagements pris par le gouvernement ou par les particuliers est celui-ci : je m'engage à payer telle somme en monnaie fabriquée, et non pas telle somme en lingots ; l'échange qui sert de base à ce marché a été fait en conséquence de ce que l'un des contractants donnait pour sa part une denrée un peu plus chère que l'argent, c'est-à-dire de l'argent frappé en écus. Le gouvernement doit donc de l'argent monnayé ; il a dû acheter en conséquence, c'est-à-dire, obtenir plus de marchandise que s'il s'était engagé à payer en argent-lingots ; dans ce cas, il bénéficie des frais de fabrication au moment où il conclut le marché, au moment où il obtient une plus grande quantité de marchandise que s'il eût fait ses paiements en lingots. C'est quand on lui porte du métal à fabriquer en monnaie, qu'il doit faire payer ou retenir en argent les frais de fabrication.
Nous avons vu de quelle manière et jusqu'à quel point les gouvernements, en vertu du privilège qu'ils se sont attribué, avec raison je crois, de fabriquer seuls les monnaies, peuvent en faire un objet de lucre ; nous avons vu en même temps qu'ils ne s'en prévalent guère, et que par tout pays la valeur d'une pièce de monnaie excède peu celle d'un petit lingot égal en poids et en finesse. C'est de quoi l'on peut se convaincre en voyant quel est le prix courant du lingot payé en pièces de monnaie. D'un autre côté, nous pouvons regarder comme un fait constant que jamais les pièces monnayées ne tombent au-dessous de la valeur de leur matière première. La raison en est simple. Si, par l'effet d'une surabondance d'espèces, un écu de 5 francs déclinait en valeur jusqu'à valoir un peu moins qu'un petit lingot du même poids et de la même finesse, les spéculateurs réduiraient, par la fonte, l'écu en lingot ; ce qui diminuerait le nombre des écus jusqu'au moment où, devenus plus rares et plus précieux, il n'y aurait plus d'avantage à les fondre.
Si la valeur d'une monnaie d'argent ne tombe jamais au-dessous de la valeur d'un lingot de même poids et de même finesse, et si, par des motifs que nous avons pu apprécier, elle ne s'élève guère au-dessus, nous conclurons que la valeur du métal règle, gouverne la valeur de la monnaie, et que les causes qui déterminent la valeur du métal, déterminent par suite la valeur des pièces de monnaie qui en sont faites.
Aussi arrive-t-il très souvent que l'on confond la variation des valeurs monétaires avec la variation des valeurs métalliques. Une altération dans le poids et dans le titre des monnaies cause toujours une altération dans leur valeur.
Or, quelles sont les causes de la valeur du métal ?
Les mêmes que celles qui déterminent la valeur de tous les autres produits : le besoin qu'on en a restreint par les frais de sa production. L'utilité du métal d'argent, qui est le premier fondement de la demande qu'on en fait, consiste dans les services qu'il peut rendre, soit comme monnaie, soit comme métal propre à former des ustensiles et des ornements.
Les avantages qu'on lui a reconnus dans l'emploi qu'on en fait comme monnaie, l'ont fait adopter en cette qualité par toutes les nations tant soit peu riches et commerçantes. Celles mêmes dont la monnaie est principalement en or ou en papier, se servent de l'argent pour les coupures de l'instrument de leurs échanges. Ce double usage du métal d'argent, détermine l'étendue de la demande qu'on en fait au prix où le portent ses frais de production. Toutes les circonstances qui tendent à diminuer la demande, tendent à diminuer sa valeur ; tel serait un déclin dans l'industrie et la population du monde. La société humaine, dans ce cas, en réclamerait une moins grande quantité, et ne pourrait plus faire les mêmes sacrifices pour s'en procurer : on cesserait d'exploiter les mines les plus coûteuses. Si d'une autre part, on découvrait d'autres mines plus riches que celles où l'on puise maintenant, si les procédés d'exploitation se perfectionnaient et devenaient moins dispendieux, la valeur du métal baisserait ; mais comme cette circonstance en étendrait l'usage, et permettrait à un plus grand nombre de familles d'employer des ustensiles d'argent, ou du moins d'en employer en plus grand nombre ; comme les monnaies devenant moins précieuses, on les multiplierait pour répondre aux besoins de la circulation, la demande du métal d'argent augmenterait à mesure que son prix deviendrait plus bas ; sa baisse serait combattue par cette demande, et s'arrêterait au point où elle viendrait rencontrer les frais de production nécessaires pour procurer cette quantité de métal.
On peut appliquer aux monnaies composées avec d'autres matières que l'argent, les raisonnements dont je me suis servi en parlant de l'argent. Leur valeur est toujours en proportion de la quantité de monnaie qu'on verse dans la circulation, comparée avec la quantité que la circulation en réclame. Si les besoins de la circulation n'augmentent pas, et si l'on augmente le nombre des unités monétaires, leur valeur décline. Si leur valeur baisse au-dessous de celle de leurs frais de production, la matière première comprise, le fabricateur perd à leur fabrication.
Quand la matière première est de nulle valeur, comme lorsqu'on fait de la monnaie de papier, la valeur de la monnaie peut décliner à l'excès ; car alors on peut en fabriquer sans beaucoup de frais de production ; mais le papier-monnaie donnant lieu à des considérations particulières, quoique sa valeur dérive des mêmes principes, j'en ferai un chapitre à part. Il me suffira dans ce moment d'avertir que les monnaies faites d'une matière influent sur celles qui sont autrement composées, et qu'en multipliant la quantité des unités monétaires, qui sont en or, on fait décliner la valeur de celles qui sont en argent ou en cuivre. On en peut dire autant des signes représentatifs de la monnaie, qui, sans être monnaie eux-mêmes, font un effet pareil à la multiplication des unités monétaires, parce qu'ils satisfont aux mêmes besoins.
Dans les monnaies métalliques, le métal le plus précieux est le seul qui soit compté comme ayant une valeur intrinsèque ; l'alliage ne conserve aucune valeur, parce que si l'on voulait en faire le départ, il ne vaudrait pas les frais de l'opération.
La monnaie en circulation dans un pays, quelle que soit sa matière, ayant une valeur qui lui est propre, une valeur qui naît de ses usages, fait partie des richesses de ce pays, aussi bien que le sucre, l'indigo, le froment, et toutes les marchandises qui sont en sa possession. Elle varie de valeur comme les autres marchandises, et se consomme comme elles, quoique plus lentement que la plupart d'entre elles.
On ne saurait donc approuver la manière dont la représente Germain Garnier, lorsqu'il dit que « tant que l'argent reste sous la forme de monnaie, il n'est pas proprement une richesse, dans le sens strict de ce mot, puisqu'il ne peut directement et immédiatement satisfaire un besoin ou une jouissance. ». Une foule de valeurs ne sont pas susceptibles de satisfaire un besoin ou une jouissance sous leur forme actuelle. Un négociant possède un magasin entier rempli d'indigo qui ne peut servir en nature, ni à nourrir, ni à vêtir, et qui n'en est pas moins une richesse ; richesse qu'il transformera, dès qu'il le voudra, en une autre valeur immédiatement propre à l'usage.
L'argent en écus est donc une richesse aussi bien que l'indigo en caisses. D'ailleurs la monnaie, par ses usages, ne satisfait-elle pas un des besoins des nations civilisées ? Le même auteur avoue, à la vérité, dans un autre endroit, que « dans les coffres d'un particulier, le numéraire est une vraie richesse, une partie intégrante des biens qu'il possède, et qu'il peut consacrer à ses jouissances ; mais que, sous le rapport de l'économie publique, ce numéraire n'est autre chose qu'un instrument d'échange, totalement distinct des richesses qu'il sert à faire circuler. ».
Je crois en avoir dit assez pour prouver au contraire l'analogie complète qu'il y a entre le numéraire et toutes les autres richesses. Ce qui est richesse pour un particulier, l'est pour une nation, qui n'est que la réunion des particuliers ; l'est aux yeux de l'économie politique, qui ne doit pas raisonner sur des valeurs imaginaires, mais sur ce que chaque particulier, ou tous les particuliers réunis, regardent, non dans leurs discours, mais dans leurs actions, comme des valeurs.
C'est une preuve de plus qu'il n'y a pas deux ordres de vérités dans cette science non plus que dans les autres ; ce qui est vrai pour un individu, l'est pour un gouvernement, l'est pour une société. La vérité est une ; les applications seules diffèrent.