Différences entre les versions de « Walter Lippmann:La Cité libre - Chapitre 10 - la débâcle du libéralisme »

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Les libéraux se mirent à écrire des traités de métaphysique dans lesquels la doctrine du laissez faire était érigée en principe de la politique. Ils s'efforcèrent de déterminer par des raisonnements abstraits et aprioriques les domaines de l'activité humaine qui devaient ou non être réglementés par la loi<ref>Voir par exemple John Stuart Mill, ''Principles of Political Economy'', vol. II, livre V, ch. XI, « Causes et limites du principe du laisser faire ou de non-interférence », p. 560. Mill écrit « laisser faire » et non laissez faire.</ref>. John Stuart Mill, par exemple, après avoir pesé le pour et le contre, arrive à la conclusion que le « laissez faire, en somme, devrait être la pratique générale ; toute dérogation à ce principe, si elle n'est rendue nécessaire en vue d'un très grand avantage est un mal certain ». Mais comme il ne disposait d'aucun criterium pour mesurer la grandeur d'un grand avantage, force lui était de donner son opinion personnelle sur les exceptions au laissez faire qu'il trouvait justifiées. Il en trouva beaucoup plus que Herbert Spencer. Mais cela ne signifie nullement que Spencer ou Mill avaient des idées claires : c'était simplement parce que Mill était un homme sensible et au courant des affaires, alors que Spencer était un doctrinaire et un isolé.
Les libéraux se mirent à écrire des traités de métaphysique dans lesquels la doctrine du laissez faire était érigée en principe de la politique. Ils s'efforcèrent de déterminer par des raisonnements abstraits et aprioriques les domaines de l'activité humaine qui devaient ou non être réglementés par la loi<ref>Voir par exemple John Stuart Mill, ''Principles of Political Economy'', vol. II, livre V, ch. XI, « Causes et limites du principe du laisser faire ou de non-interférence », p. 560. Mill écrit « laisser faire » et non laissez faire.</ref>. John Stuart Mill, par exemple, après avoir pesé le pour et le contre, arrive à la conclusion que le « laissez faire, en somme, devrait être la pratique générale ; toute dérogation à ce principe, si elle n'est rendue nécessaire en vue d'un très grand avantage est un mal certain ». Mais comme il ne disposait d'aucun criterium pour mesurer la grandeur d'un grand avantage, force lui était de donner son opinion personnelle sur les exceptions au laissez faire qu'il trouvait justifiées. Il en trouva beaucoup plus que Herbert Spencer. Mais cela ne signifie nullement que Spencer ou Mill avaient des idées claires : c'était simplement parce que Mill était un homme sensible et au courant des affaires, alors que Spencer était un doctrinaire et un isolé.
On voulait donc considérer le laissez faire comme un principe politique, puis déterminer ce que la loi devait et ne devait pas régir. Cette conception est basée sur une erreur si évidente qu'elle semble ridicule. L'erreur consiste à penser qu'il existe un aspect quelconque de la propriété ou du travail qui ne soit pas régi par la loi. Il n'y a pas deux domaines d'activité sociale, celui de la loi et celui de l'anarchie. Pourtant, c'est là ce que Mill et Spencer supposaient lorsqu'ils cherchaient à définir le domaine de la loi. Certes, un homme jeté par une tempête sur une île déserte est libre, et la loi n'existe pas pour lui. Mais il n'en va pas du tout de même dans une collectivité. Toute liberté, tout droit, toute propriété sont fondés sur une loi. On ne peut par conséquent pas se demander à quel endroit il faut une loi, et à quel endroit il n'en faut pas : la seule question qui se pose, c'est celle de connaître la loi qui sera en vigueur partout. Le laissez faire n'avait été qu'une objection historique à des lois périmées. Les derniers libéraux en firent un dogme politique et s'imaginèrent que ces lois anciennes ne seraient ou ne devaient être remplacées par aucune loi nouvelle.
Mais il y eut des lois nouvelles. Car le vide juridique ne peut se prolonger longtemps dans une société. Il peut naturellement y avoir une période de désordre pendant laquelle la loi régissant les droits et les obligations est instable ou inapplicable, et pendant laquelle régnera la violence, la fraude et la chicane. Mais, lorsque l'anarchie s'apaise, un système quelconque de lois se cristallise nécessairement. Au XIXe siècle ce fut un système de lois capitalistes. Dans les pays de langue anglaise, ce fut le droit coutumier modifié par les décisions judiciaires et la législation. Au moment où les derniers libéraux étudiaient gravement ce que devait être le domaine d'application de la loi, ce domaine se trouvait en permanence étendu à l'univers entier dans tout le système économique.
C'est en vertu de cette loi qu'existaient la propriété, les sociétés anonymes, les contrats, les droits, les obligations, les garanties, la monnaie nécessaire aux échanges de marchandises et de services, les poids et mesures légaux. Cependant que les théoriciens discutaient du laissez faire, les hommes achetaient et vendaient des titres juridiques de propriété, constituaient des sociétés, concluaient et appliquaient des contrats, intentaient des procès en dommages-intérêts. L'Etat avait part à toutes ces transactions dont le déroulement assurait le travail de la société. Toutes ces transactions dépendaient d'une loi quelconque, de la disposition de l'Etat à faire valoir certains droits et à protéger certaines garanties. C'était par conséquent n'avoir aucun sens des réalités que de demander où étaient les limites du domaine de l'Etat.


== Notes et références ==  
== Notes et références ==  
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