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{{titre|L’Unique et sa propriété|[[Max Stirner]]<br><small>(1845)</small>|C — MA JOUISSANCE DE MOI}} | {{titre|L’Unique et sa propriété|[[Max Stirner]]<br><small>(1845)</small>|C — MA JOUISSANCE DE MOI}} | ||
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enseigne d'ailleurs que l'homme doit s'occuper de ce monde-ci et vivre sa vie réelle | enseigne d'ailleurs que l'homme doit s'occuper de ce monde-ci et vivre sa vie réelle | ||
sans vain souci de l'au-delà. | sans vain souci de l'au-delà. | ||
Reprenons la question à un autre point de vue. Celui dont l'unique souci est de | Reprenons la question à un autre point de vue. Celui dont l'unique souci est de | ||
vivre ne peut guère songer à jouir de la vie. Tant que sa vie est encore en question, | vivre ne peut guère songer à jouir de la vie. Tant que sa vie est encore en question, | ||
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comme on brûle la chandelle qu'on emploie. On use de la vie et de soi-même en la | comme on brûle la chandelle qu'on emploie. On use de la vie et de soi-même en la | ||
consumant et en se consumant. Jouir de la vie, c'est la dévorer et la détruire. | consumant et en se consumant. Jouir de la vie, c'est la dévorer et la détruire. | ||
Eh bien ! — que faisons-nous ? Nous cherchons la jouissance de la vie. Et que | Eh bien ! — que faisons-nous ? Nous cherchons la jouissance de la vie. Et que | ||
faisait le monde religieux ? Il cherchait la vie. « En quoi consiste la vraie vie, la vie | faisait le monde religieux ? Il cherchait la vie. « En quoi consiste la vraie vie, la vie | ||
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meurent que pour ressusciter, ils ne vivent que pour mourir et pour trouver la vraie | meurent que pour ressusciter, ils ne vivent que pour mourir et pour trouver la vraie | ||
vie. | vie. | ||
Ce n'est que quand je suis sûr de moi et quand je ne me cherche plus que je suis | Ce n'est que quand je suis sûr de moi et quand je ne me cherche plus que je suis | ||
vraiment ma propriété. Alors je me possède, et c'est pourquoi je m'emploie et je jouis | vraiment ma propriété. Alors je me possède, et c'est pourquoi je m'emploie et je jouis | ||
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soit le Chrétien ou quelque autre moi spirituel, c'est-à-dire quelque fantôme tel que | soit le Chrétien ou quelque autre moi spirituel, c'est-à-dire quelque fantôme tel que | ||
l'Homme, l'essence de l'Homme, etc., il m'est à jamais interdit de jouir de moi. | l'Homme, l'essence de l'Homme, etc., il m'est à jamais interdit de jouir de moi. | ||
Il y a un abîme entre ces deux conceptions : d'après l'ancienne je suis mon but, | Il y a un abîme entre ces deux conceptions : d'après l'ancienne je suis mon but, | ||
d'après la nouvelle je suis mon point de départ ; d'après l'une je me cherche, d'après | d'après la nouvelle je suis mon point de départ ; d'après l'une je me cherche, d'après | ||
l'autre je me possède et je fais de moi ce que je ferais de toute autre de mes proMax | l'autre je me possède et je fais de moi ce que je ferais de toute autre de mes proMax | ||
priétés, — je jouis de moi selon mon bon plaisir. Je ne tremble plus pour ma vie, je la | priétés, — je jouis de moi selon mon bon plaisir. Je ne tremble plus pour ma vie, je la | ||
« prodigue ». | « prodigue ». | ||
La question, désormais, n'est plus de savoir comment conquérir la vie, mais | La question, désormais, n'est plus de savoir comment conquérir la vie, mais | ||
comment la dépenser et en jouir ; il ne s'agit plus de faire fleurir en moi le vrai moi, | comment la dépenser et en jouir ; il ne s'agit plus de faire fleurir en moi le vrai moi, | ||
mais de faire ma vendange et de consommer ma vie. | mais de faire ma vendange et de consommer ma vie. | ||
Qu'est-ce que l'Idéal, sinon le moi toujours cherché et jamais atteint ? Vous vous | Qu'est-ce que l'Idéal, sinon le moi toujours cherché et jamais atteint ? Vous vous | ||
cherchez ? C'est donc que vous ne vous possédez pas encore ! Vous vous demandez | cherchez ? C'est donc que vous ne vous possédez pas encore ! Vous vous demandez | ||
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passionne attente ; pendant des siècles, on a soupiré vers l'avenir et vécu d'espérance. | passionne attente ; pendant des siècles, on a soupiré vers l'avenir et vécu d'espérance. | ||
C'est tout. autre chose de vivre de — jouissance. | C'est tout. autre chose de vivre de — jouissance. | ||
Est-ce à ceux-là seuls que l'on dit pieux que s'adressent mes paroles ? Nullement, | Est-ce à ceux-là seuls que l'on dit pieux que s'adressent mes paroles ? Nullement, | ||
elles s'appliquent à tous ceux qui appartiennent à cette époque finissante, et même à | elles s'appliquent à tous ceux qui appartiennent à cette époque finissante, et même à | ||
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chimères, de longs espoirs et rien de plus. Faites-moi le plaisir d'appeler ça du | chimères, de longs espoirs et rien de plus. Faites-moi le plaisir d'appeler ça du | ||
romantisme ! | romantisme ! | ||
Pour triompher de l'aspiration à la vie, la jouissance de la vie doit la vaincre sous | Pour triompher de l'aspiration à la vie, la jouissance de la vie doit la vaincre sous | ||
sa double forme, écraser aussi bien la détresse spirituelle que la détresse temporelle, | sa double forme, écraser aussi bien la détresse spirituelle que la détresse temporelle, | ||
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sa vie à la conserver ne peut en jouir, et celui qui la cherche ne l'a pas et ne peut pas | sa vie à la conserver ne peut en jouir, et celui qui la cherche ne l'a pas et ne peut pas | ||
non plus en jouir : tous deux sont pauvres, mais — « bienheureux les pauvres ! ». | non plus en jouir : tous deux sont pauvres, mais — « bienheureux les pauvres ! ». | ||
Les affamés de vraie vie n'ont plus aucun pouvoir sur leur vie présente qu'ils | Les affamés de vraie vie n'ont plus aucun pouvoir sur leur vie présente qu'ils | ||
doivent consacrer à la conquête de la vraie vie et sacrifier à l'accomplissement de | doivent consacrer à la conquête de la vraie vie et sacrifier à l'accomplissement de | ||
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une « véritable vie », purifiée de tout égoïsme. Et voilà pourquoi on hésite à | une « véritable vie », purifiée de tout égoïsme. Et voilà pourquoi on hésite à | ||
l'employer à sa guise : elle a son emploi, son but et on ne peut l'en détourner. | l'employer à sa guise : elle a son emploi, son but et on ne peut l'en détourner. | ||
Bref, on a une vocation, un devoir ; on a, par sa vie, à réaliser, à accomplir quelque | Bref, on a une vocation, un devoir ; on a, par sa vie, à réaliser, à accomplir quelque | ||
chose ; ce « quelque chose » en vue duquel la vie n'est qu'un moyen et un | chose ; ce « quelque chose » en vue duquel la vie n'est qu'un moyen et un | ||
instrument a plus d'importance qu'elle, et on la lui doit. On a un dieu qui réclame des | instrument a plus d'importance qu'elle, et on la lui doit. On a un dieu qui réclame des | ||
victimes vivantes. Les sacrifices humains n'ont perdu à la longue que leurs formes | victimes vivantes. Les sacrifices humains n'ont perdu à la longue que leurs formes | ||
barbares, ils n'ont pas disparu ; à chaque instant, des criminels sont offerts en | barbares, ils n'ont pas disparu ; à chaque instant, des criminels sont offerts en | ||
holocauste à la Justice, et nous, « pauvres pécheurs », nous nous immolons nousmêmes | holocauste à la Justice, et nous, « pauvres pécheurs », nous nous immolons nousmêmes | ||
sur l'autel de l’ « essence humaine », de l’ « Homme », de l' « Humanité », des | sur l'autel de l’ « essence humaine », de l’ « Homme », de l' « Humanité », des | ||
idoles ou des dieux, quel que soit le nom qu'on leur donne. | idoles ou des dieux, quel que soit le nom qu'on leur donne. | ||
Ayant un créancier auquel nous devons notre vie, nous n'avons aucun droit de la | Ayant un créancier auquel nous devons notre vie, nous n'avons aucun droit de la | ||
dépenser pour nous. | dépenser pour nous. | ||
Les tendances conservatrices du Christianisme ne permettent pas au Chrétien de | Les tendances conservatrices du Christianisme ne permettent pas au Chrétien de | ||
songer à la mort autrement qu'avec l'intention de lui arracher son aiguillon et de se | songer à la mort autrement qu'avec l'intention de lui arracher son aiguillon et de se | ||
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conserver et travailler à « se préparer une place pour plus tard ». La perpétuité, le | conserver et travailler à « se préparer une place pour plus tard ». La perpétuité, le | ||
« triomphe sur la mort », voilà ce qui lui est à coeur : « La dernière ennemie qui sera | « triomphe sur la mort », voilà ce qui lui est à coeur : « La dernière ennemie qui sera | ||
vaincue, c'est la mort | vaincue, c'est la mort <ref>Ier épître aux Corinthiens.</ref>», « Jésus-Christ a brisé la puissance de la mort, et a mis en | ||
lumière par l'Évangile la vie et l’incorruptibilité | lumière par l'Évangile la vie et l’incorruptibilité <ref>IIe épître à Timothée, I, 10.</ref>». — « Incorruptibilité », stabilité ! | ||
L'homme moral veut le Bien, le Juste, etc.: s'il use des moyens qui conduisent à ce | L'homme moral veut le Bien, le Juste, etc.: s'il use des moyens qui conduisent à ce | ||
but, et y conduisent réellement, ces moyens ne sont pas pour cela les siens, mais sont | but, et y conduisent réellement, ces moyens ne sont pas pour cela les siens, mais sont | ||
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d'un but ou d'une idée, il se fait l'instrument du Bien comme l'homme pieux se fait | d'un but ou d'une idée, il se fait l'instrument du Bien comme l'homme pieux se fait | ||
gloire d'être l'ouvrier, l'outil de Dieu. | gloire d'être l'ouvrier, l'outil de Dieu. | ||
Les commandements de la Morale ordonnent comme étant bien d'attendre l'heure | Les commandements de la Morale ordonnent comme étant bien d'attendre l'heure | ||
de la mort ; se donner à soi-même la mort est immoral et mauvais : le suicide n'a | de la mort ; se donner à soi-même la mort est immoral et mauvais : le suicide n'a | ||
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moral repose généralement sur une antinomie de ce genre ; il faut penser et sentir | moral repose généralement sur une antinomie de ce genre ; il faut penser et sentir | ||
moralement pour être capable de s'y intéresser. | moralement pour être capable de s'y intéresser. | ||
Tout ce que l'on peut dire au nom de la morale et de la piété à propos du suicide | Tout ce que l'on peut dire au nom de la morale et de la piété à propos du suicide | ||
n'est pas moins vrai si l'on en appelle à l'humanité, attendu que l'on doit également sa | n'est pas moins vrai si l'on en appelle à l'humanité, attendu que l'on doit également sa | ||
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reconnais d'obligations envers personne que la conservation de ma vie est — mon | reconnais d'obligations envers personne que la conservation de ma vie est — mon | ||
affaire. « Un saut du haut de ce pont me fait libre ! » | affaire. « Un saut du haut de ce pont me fait libre ! » | ||
Nous devons à l'Être quel qu'il soit que nous avons à faire vivre en nous non | Nous devons à l'Être quel qu'il soit que nous avons à faire vivre en nous non | ||
seulement de conserver la vie dont nous sommes les dépositaires, mais en outre de ne | seulement de conserver la vie dont nous sommes les dépositaires, mais en outre de ne | ||
pas employer cette vie à notre guise, de la régler sur lui et de la lui conformer. Tout | pas employer cette vie à notre guise, de la régler sur lui et de la lui conformer. Tout | ||
en moi, penser, sentir, vouloir, tous mes actes, tous mes efforts sont à lui. | en moi, penser, sentir, vouloir, tous mes actes, tous mes efforts sont à lui. | ||
L'idée que nous avons de cet Être détermine ce qui lui est conforme. Mais cette | L'idée que nous avons de cet Être détermine ce qui lui est conforme. Mais cette | ||
idée, de combien de façons l'a-t-on conçue ? Et cet Être, sous combien de formes se | idée, de combien de façons l'a-t-on conçue ? Et cet Être, sous combien de formes se | ||
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présenter ! Mais tous sont du moins unanimes à croire que c'est à l'Être suprême à | présenter ! Mais tous sont du moins unanimes à croire que c'est à l'Être suprême à | ||
diriger leur vie. | diriger leur vie. | ||
Je ne m'arrêterai pas plus longtemps aux dévots qui ont en Dieu un guide et en sa | Je ne m'arrêterai pas plus longtemps aux dévots qui ont en Dieu un guide et en sa | ||
parole un fil conducteur ; je ne les ai cités que pour mémoire, ils appartiennent, à une | parole un fil conducteur ; je ne les ai cités que pour mémoire, ils appartiennent, à une | ||
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conducteur de la parole divine ; ils se guident sur l'Homme, et ce n'est pas à une vie | conducteur de la parole divine ; ils se guident sur l'Homme, et ce n'est pas à une vie | ||
« divine » mais à une vie « humaine » qu'ils aspirent. | « divine » mais à une vie « humaine » qu'ils aspirent. | ||
L'Être suprême du libéral est l' « Homme »; l'Homme est son mentor et l'humanité | L'Être suprême du libéral est l' « Homme »; l'Homme est son mentor et l'humanité | ||
est son catéchisme. Dieu est Esprit, mais l'Homme est « l'Esprit parfait », le résultat | est son catéchisme. Dieu est Esprit, mais l'Homme est « l'Esprit parfait », le résultat | ||
final de la longue chasse à l'Esprit à laquelle on se livra en « sondant les profondeurs | final de la longue chasse à l'Esprit à laquelle on se livra en « sondant les profondeurs | ||
de la divinité », c'est-à-dire les profondeurs de l'Esprit. | de la divinité », c'est-à-dire les profondeurs de l'Esprit. | ||
Chacun de tes traits doit être humain ; toi-même tu dois l'être de la nuque aux | Chacun de tes traits doit être humain ; toi-même tu dois l'être de la nuque aux | ||
talons, intérieurement comme extérieurement, car l'humanité est ta vocation. | talons, intérieurement comme extérieurement, car l'humanité est ta vocation. | ||
Vocation — destination — devoir ! | Vocation — destination — devoir ! | ||
Ce qu'on peut être, on l'est. La défaveur des circonstances pourra empêcher celui | Ce qu'on peut être, on l'est. La défaveur des circonstances pourra empêcher celui | ||
qui naquit poète d'être le premier de son temps, et ne pas lui permettre de produire des | qui naquit poète d'être le premier de son temps, et ne pas lui permettre de produire des | ||
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impossible de méconnaître dans la première espèce animale venue ? On trouve partout | impossible de méconnaître dans la première espèce animale venue ? On trouve partout | ||
des êtres plus ou moins bien doués. | des êtres plus ou moins bien doués. | ||
Peu, cependant, sont assez obtus pour qu'on ne puisse leur insuffler quelques | Peu, cependant, sont assez obtus pour qu'on ne puisse leur insuffler quelques | ||
idées. Aussi considère-t-on ordinairement tous les hommes comme capables d'avoir | idées. Aussi considère-t-on ordinairement tous les hommes comme capables d'avoir | ||
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masse » ne pourrait se passer de religion ; les Communistes étendent cette affirmation | masse » ne pourrait se passer de religion ; les Communistes étendent cette affirmation | ||
et disent que non seulement la « grande masse », mais tous sont appelés à tout. | et disent que non seulement la « grande masse », mais tous sont appelés à tout. | ||
Il ne suffit pas d'avoir dressé la masse à la religion, il faut à présent la pétrir de | Il ne suffit pas d'avoir dressé la masse à la religion, il faut à présent la pétrir de | ||
« tout ce qui est humain ». Et le dressage devient toujours plus universel et plus | « tout ce qui est humain ». Et le dressage devient toujours plus universel et plus | ||
étendu. | étendu. | ||
Pauvres êtres, qui pourriez être si heureux s'il vous était permis de gambader à | Pauvres êtres, qui pourriez être si heureux s'il vous était permis de gambader à | ||
votre guise ! Il faut que vous dansiez au son de la serinette des pédagogues et des | votre guise ! Il faut que vous dansiez au son de la serinette des pédagogues et des | ||
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l'Esprit a d'avance prescrits. Par rapport à la volonté, cela peut s'énoncer ainsi : Je | l'Esprit a d'avance prescrits. Par rapport à la volonté, cela peut s'énoncer ainsi : Je | ||
veux ce que je dois. | veux ce que je dois. | ||
Un homme n'est « appelé » à rien ; il n'a pas plus de « devoir » et de « vocation » | Un homme n'est « appelé » à rien ; il n'a pas plus de « devoir » et de « vocation » | ||
que n'en ont une plante ou un animal. La fleur qui s'épanouit, n'obéit pas à une | que n'en ont une plante ou un animal. La fleur qui s'épanouit, n'obéit pas à une | ||
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Et d'ailleurs, à quoi bon ce conseil ? Chacun le suit et agit, sans commencer par voir | Et d'ailleurs, à quoi bon ce conseil ? Chacun le suit et agit, sans commencer par voir | ||
dans l'action un devoir : chacun déploie à chaque instant tout ce qu'il a de puissance. | dans l'action un devoir : chacun déploie à chaque instant tout ce qu'il a de puissance. | ||
On dit bien d'un vaincu qu'il aurait dû déployer plus de force ; mais on oublie que | On dit bien d'un vaincu qu'il aurait dû déployer plus de force ; mais on oublie que | ||
si, au moment de succomber, il avait eu le pouvoir de déployer ses forces (corporelles, | si, au moment de succomber, il avait eu le pouvoir de déployer ses forces (corporelles, | ||
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manquaient. On peut faire jaillir des étincelles d'une pierre, mais sans le choc pas | manquaient. On peut faire jaillir des étincelles d'une pierre, mais sans le choc pas | ||
d'étincelle ; de même l'homme a besoin d'une « impulsion ». | d'étincelle ; de même l'homme a besoin d'une « impulsion ». | ||
Attendu donc que les forces se montrent toujours d'elles-mêmes actives, l'ordre de | Attendu donc que les forces se montrent toujours d'elles-mêmes actives, l'ordre de | ||
les mettre en oeuvre serait superflu et vide de sens. Employer ses forces n'est pas la | les mettre en oeuvre serait superflu et vide de sens. Employer ses forces n'est pas la | ||
vocation et le devoir de l'homme, mais son fait, perpétuellement réel et actuel. Force | vocation et le devoir de l'homme, mais son fait, perpétuellement réel et actuel. Force | ||
n'est qu'un mot plus simple pour dire « manifestation de force ». | n'est qu'un mot plus simple pour dire « manifestation de force ». | ||
Cette rose est, depuis qu'elle existe, une véritable rose, et ce rossignol est et a | Cette rose est, depuis qu'elle existe, une véritable rose, et ce rossignol est et a | ||
toujours été un véritable rossignol ; de même Moi : ce n'est pas seulement quand je | toujours été un véritable rossignol ; de même Moi : ce n'est pas seulement quand je | ||
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les manifestations d'une force « vraiment humaine », et mon dernier soupir sera le | les manifestations d'une force « vraiment humaine », et mon dernier soupir sera le | ||
dernier effort de l' « Homme ». | dernier effort de l' « Homme ». | ||
Le véritable homme n'est pas dans l'avenir, il n'est pas un but, un idéal vers lequel | Le véritable homme n'est pas dans l'avenir, il n'est pas un but, un idéal vers lequel | ||
on aspire ; mais il est ici, dans le présent, il existe réellement : quel que je sois, quoi | on aspire ; mais il est ici, dans le présent, il existe réellement : quel que je sois, quoi | ||
que je sois, joyeux ou souffrant, enfant ou vieillard, dans la confiance ou dans le doute, | que je sois, joyeux ou souffrant, enfant ou vieillard, dans la confiance ou dans le doute, | ||
dans le sommeil ou la veille, c'est Moi. Je suis le véritable homme. | dans le sommeil ou la veille, c'est Moi. Je suis le véritable homme. | ||
Mais si je suis l'Homme, si j'ai réellement trouvé en Moi celui dont l'humanité | Mais si je suis l'Homme, si j'ai réellement trouvé en Moi celui dont l'humanité | ||
religieuse faisait un but lointain, tout ce qui est « vraiment humain » est par là même | religieuse faisait un but lointain, tout ce qui est « vraiment humain » est par là même | ||
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supplée à la conscience qui leur fait défaut. J'ai montré plus haut qu'il en va de même | supplée à la conscience qui leur fait défaut. J'ai montré plus haut qu'il en va de même | ||
de la liberté de la presse. | de la liberté de la presse. | ||
Tout est à moi, aussi ressaisirai-je ce qui veut se soustraire à moi ; mais, avant | Tout est à moi, aussi ressaisirai-je ce qui veut se soustraire à moi ; mais, avant | ||
tout, je me ressaisis, si une servitude quelconque m'a fait échapper à moi-même. Mais | tout, je me ressaisis, si une servitude quelconque m'a fait échapper à moi-même. Mais | ||
cela non plus n'est pas ma vocation, c'est ma conduite naturelle. | cela non plus n'est pas ma vocation, c'est ma conduite naturelle. | ||
En somme, il y a donc une grande différence entre me prendre pour point de | En somme, il y a donc une grande différence entre me prendre pour point de | ||
départ ou pour point, d'arrivée. Si je suis mon but, je ne me possède pas, je suis encore | départ ou pour point, d'arrivée. Si je suis mon but, je ne me possède pas, je suis encore | ||
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jouer de moi. Si je ne suis pas moi, c'est un autre (Dieu, le véritable Homme, le vrai | jouer de moi. Si je ne suis pas moi, c'est un autre (Dieu, le véritable Homme, le vrai | ||
dévot, l'homme raisonnable, l'homme libre, etc.) qui est moi, qui est mon moi. | dévot, l'homme raisonnable, l'homme libre, etc.) qui est moi, qui est mon moi. | ||
Encore bien loin de moi, je fais de moi deux parts, dont l'une, celle qui n'est pas | Encore bien loin de moi, je fais de moi deux parts, dont l'une, celle qui n'est pas | ||
atteinte et que j'ai à accomplir, est la vraie. L'autre, la non-vraie, c'est-à-dire la nonspirituelle, | atteinte et que j'ai à accomplir, est la vraie. L'autre, la non-vraie, c'est-à-dire la nonspirituelle, | ||
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l'esprit, comme si on allait du même coup se saisir, et dans cette chasse éperdue au | l'esprit, comme si on allait du même coup se saisir, et dans cette chasse éperdue au | ||
moi on perd de vue le moi que l'on est. | moi on perd de vue le moi que l'on est. | ||
Dans cette poursuite furieuse d'un moi qu'on n'atteint jamais, on fait fi de la règle | Dans cette poursuite furieuse d'un moi qu'on n'atteint jamais, on fait fi de la règle | ||
des sages qui conseillent de prendre les hommes comme ils sont ; on préfère les | des sages qui conseillent de prendre les hommes comme ils sont ; on préfère les | ||
prendre comme ils devraient être, et, en conséquence, on galope sans trêve sur la piste | prendre comme ils devraient être, et, en conséquence, on galope sans trêve sur la piste | ||
de son « moi » tel qu'il devrait être » et on « s'efforce de rendre tous les hommes | de son « moi » tel qu'il devrait être » et on « s'efforce de rendre tous les hommes | ||
éperdument justes estimables, moraux ou raisonnables | éperdument justes estimables, moraux ou raisonnables<ref> Der Kommunismus in der Schweiz, p.24. ».</ref> | ||
Oui, « si les hommes étaient comme ils devraient et comme ils pourraient être, si | Oui, « si les hommes étaient comme ils devraient et comme ils pourraient être, si | ||
tous les hommes étaient raisonnables, s'ils s'aimaient les uns les autres comme des | tous les hommes étaient raisonnables, s'ils s'aimaient les uns les autres comme des | ||
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On ne peut pas faire ce qu'on ne fait pas, comme on ne fait pas ce qu'on ne | On ne peut pas faire ce qu'on ne fait pas, comme on ne fait pas ce qu'on ne | ||
peut pas faire. | peut pas faire. | ||
La singularité de cette proposition disparaît, si l'on veut bien réfléchir que les | La singularité de cette proposition disparaît, si l'on veut bien réfléchir que les | ||
mots « il est possible que..., etc. » ne signifie au fond presque jamais autre chose que | mots « il est possible que..., etc. » ne signifie au fond presque jamais autre chose que | ||
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qui s'y oppose : il en résulte qu'aucun obstacle ne s'oppose à la chose dans ta pensée : | qui s'y oppose : il en résulte qu'aucun obstacle ne s'oppose à la chose dans ta pensée : | ||
elle est pensable. | elle est pensable. | ||
Mais les hommes ne sont pas tous raisonnables ; c'est donc sans doute qu'ils — ne | Mais les hommes ne sont pas tous raisonnables ; c'est donc sans doute qu'ils — ne | ||
peuvent pas l'être. | peuvent pas l'être. | ||
Lorsqu'une chose que l'on s'imaginait n'offrir aucune difficulté, être très possible, | Lorsqu'une chose que l'on s'imaginait n'offrir aucune difficulté, être très possible, | ||
etc., n'est pas ou n'arrive pas, on peut être certain qu'elle s'est heurtée à un obstacle et | etc., n'est pas ou n'arrive pas, on peut être certain qu'elle s'est heurtée à un obstacle et | ||
Ligne 311 : | Ligne 343 : | ||
avons tout juste autant d'art que nous pouvons en avoir ; notre art actuel est actuellement | avons tout juste autant d'art que nous pouvons en avoir ; notre art actuel est actuellement | ||
l'unique possible et c'est pourquoi il est notre art réel. | l'unique possible et c'est pourquoi il est notre art réel. | ||
Réduisez encore le sens du mot « possible » jusqu'à ce qu'il ne signifie finalement | Réduisez encore le sens du mot « possible » jusqu'à ce qu'il ne signifie finalement | ||
plus que « futur », et il sera encore l'équivalent de « réel ». Quand on dit, par exemple | plus que « futur », et il sera encore l'équivalent de « réel ». Quand on dit, par exemple | ||
Ligne 316 : | Ligne 349 : | ||
rapport à aujourd'hui, demain est l'avenir réel ; car il est à peine besoin d'exprimer | rapport à aujourd'hui, demain est l'avenir réel ; car il est à peine besoin d'exprimer | ||
qu'un avenir n'est réellement « à venir » que s'il n'a pas encore paru. | qu'un avenir n'est réellement « à venir » que s'il n'a pas encore paru. | ||
À quoi bon, dites-vous, cette dissection microscopique d'un mot ? Ah ! si ce | À quoi bon, dites-vous, cette dissection microscopique d'un mot ? Ah ! si ce | ||
n'était pas derrière lui que se tient embusquée l'erreur qui a eu, depuis des siècles, le | n'était pas derrière lui que se tient embusquée l'erreur qui a eu, depuis des siècles, le | ||
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hommes le coin où se donnent rendez-vous tous les fantômes qui la hantent, nous ne | hommes le coin où se donnent rendez-vous tous les fantômes qui la hantent, nous ne | ||
nous serions guère inquiété de lui ! | nous serions guère inquiété de lui ! | ||
La pensée, nous l'avons montré plus haut, règne sur le monde possédé. Revenons | La pensée, nous l'avons montré plus haut, règne sur le monde possédé. Revenons | ||
à la possibilité, qui est un de ses lieutenants. Possible, disions-nous, n'est rien d'autre | à la possibilité, qui est un de ses lieutenants. Possible, disions-nous, n'est rien d'autre | ||
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les hommes que leur vocation, il faut les regarder comme appelés à quelque chose et | les hommes que leur vocation, il faut les regarder comme appelés à quelque chose et | ||
les tenir non pour « ce qu'ils sont », mais pour « ce qu'ils doivent être ». | les tenir non pour « ce qu'ils sont », mais pour « ce qu'ils doivent être ». | ||
Autre conséquence : Ce n'est pas l'individu qui est l'Homme ; l'Homme est une | Autre conséquence : Ce n'est pas l'individu qui est l'Homme ; l'Homme est une | ||
pensée, un idéal. L'individu n'est pas à l'Homme ce que l'enfance est à l'âge mûr, mais | pensée, un idéal. L'individu n'est pas à l'Homme ce que l'enfance est à l'âge mûr, mais |
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