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Mais tout cela ne vous suffit pas. Les riches devraient, n'est-ce pas, partager avec | Mais tout cela ne vous suffit pas. Les riches devraient, n'est-ce pas, partager avec | ||
les pauvres ? En un mot, ils devraient supprimer la misère. Sans compter qu'il y a à | les pauvres ? En un mot, ils devraient supprimer la misère. Sans compter qu'il y a à | ||
peine un de vous qui consentirait à partager, et que celui-là serait un fou, | peine un de vous qui consentirait à partager, et que celui-là serait un fou, demandez-vous: Pourquoi les riches devraient-ils se dépouiller et se dévouer, alors que c'est aux | ||
: Pourquoi les riches devraient-ils se dépouiller et se dévouer, alors que c'est aux | |||
pauvres que cette conduite profiterait, bien plus qu'à eux-mêmes ? Toi qui touches un | pauvres que cette conduite profiterait, bien plus qu'à eux-mêmes ? Toi qui touches un | ||
écu par jour, tu es un riche à côté de milliers d'hommes qui vivent avec dix sous : estil | écu par jour, tu es un riche à côté de milliers d'hommes qui vivent avec dix sous : estil | ||
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indispensable fourniture à des boulangers qui se font concurrence. Et ainsi de la | indispensable fourniture à des boulangers qui se font concurrence. Et ainsi de la | ||
viande aux bouchers, du vin aux marchands de vin, etc. | viande aux bouchers, du vin aux marchands de vin, etc. | ||
Abolir le régime de la concurrence ne veut pas dire favoriser le régime de la corporation. | Abolir le régime de la concurrence ne veut pas dire favoriser le régime de la corporation. | ||
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mienne, la vôtre : ce n'est l'affaire ni des compagnons, ni des boulangers patentés, | mienne, la vôtre : ce n'est l'affaire ni des compagnons, ni des boulangers patentés, | ||
mais bien celle des associés. | mais bien celle des associés. | ||
Si je ne m'inquiète pas de mes affaires, il faut bien que je me contente de ce qu'il | Si je ne m'inquiète pas de mes affaires, il faut bien que je me contente de ce qu'il | ||
plaît à d'autres de me donner. Or, avoir du pain est mon affaire, j'en veux, je ne puis | plaît à d'autres de me donner. Or, avoir du pain est mon affaire, j'en veux, je ne puis | ||
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fabrication : c'est son affaire, sa propriété, et non la propriété des membres de telle | fabrication : c'est son affaire, sa propriété, et non la propriété des membres de telle | ||
corporation ou de tel patron patenté. | corporation ou de tel patron patenté. | ||
Jetons encore un regard en arrière. Le monde appartient aux enfants de ce monde, | Jetons encore un regard en arrière. Le monde appartient aux enfants de ce monde, | ||
aux enfants des hommes. Il n'est plus le monde de Dieu, mais le monde des hommes. | aux enfants des hommes. Il n'est plus le monde de Dieu, mais le monde des hommes. | ||
Ligne 2 243 : | Ligne 2 239 : | ||
« criminelle », tandis que, au contraire, l'appropriation humaine est « juste » et se fait | « criminelle », tandis que, au contraire, l'appropriation humaine est « juste » et se fait | ||
par une « voie légale ». | par une « voie légale ». | ||
C'est ainsi qu'on parle depuis la Révolution. | C'est ainsi qu'on parle depuis la Révolution. | ||
Mais nulle chose n'est en elle-même ma propriété, vu qu'une chose a une existence | Mais nulle chose n'est en elle-même ma propriété, vu qu'une chose a une existence | ||
indépendante de moi ; seule ma puissance est à moi. Cet arbre n'est pas à moi ; | indépendante de moi ; seule ma puissance est à moi. Cet arbre n'est pas à moi ; | ||
Ligne 2 252 : | Ligne 2 250 : | ||
que la puissance n'est pas une entité, mais qu'elle n'a d'existence que comme puissance | que la puissance n'est pas une entité, mais qu'elle n'a d'existence que comme puissance | ||
du Moi, et qu'elle n'existe qu'en Moi, le puissant. | du Moi, et qu'elle n'existe qu'en Moi, le puissant. | ||
On élève la puissance, comme d'autres de mes propriétés (l'humanité, la majesté, | On élève la puissance, comme d'autres de mes propriétés (l'humanité, la majesté, | ||
etc.), au rang d' « être pour soi » (fürsichseiend), de sorte qu'elle ne cesse pas d'exister | etc.), au rang d' « être pour soi » (fürsichseiend), de sorte qu'elle ne cesse pas d'exister | ||
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fantôme, la puissance est le — Droit. Cette puissance immortalisée ne s'éteint pas | fantôme, la puissance est le — Droit. Cette puissance immortalisée ne s'éteint pas | ||
même à ma mort, elle est transmissible (« héréditaire »). | même à ma mort, elle est transmissible (« héréditaire »). | ||
Il suit de là qu'en réalité les choses appartiennent non pas à Moi, mais au Droit. | Il suit de là qu'en réalité les choses appartiennent non pas à Moi, mais au Droit. | ||
Tout cela n'est qu'une vaine apparence pour un autre motif encore : la puissance | Tout cela n'est qu'une vaine apparence pour un autre motif encore : la puissance | ||
de l'individu ne devient permanente et ne devient un droit que pour autant que | de l'individu ne devient permanente et ne devient un droit que pour autant que | ||
Ligne 2 266 : | Ligne 2 267 : | ||
« pleins pouvoirs », on s'est dessaisi du pouvoir, on a renoncé à celui de prendre un | « pleins pouvoirs », on s'est dessaisi du pouvoir, on a renoncé à celui de prendre un | ||
meilleur parti. | meilleur parti. | ||
Le propriétaire peut renoncer à sa puissance et à son droit sur une chose en en | Le propriétaire peut renoncer à sa puissance et à son droit sur une chose en en | ||
faisant don, en la dissipant, etc. Et nous, nous ne pourrions pas également abandonner | faisant don, en la dissipant, etc. Et nous, nous ne pourrions pas également abandonner | ||
la puissance que nous lui avons prêtée ? | la puissance que nous lui avons prêtée ? | ||
L'homme selon le droit, l' « honnête homme », ne demande pas à faire sien ce qui | L'homme selon le droit, l' « honnête homme », ne demande pas à faire sien ce qui | ||
n'est pas à lui « de droit » ou ce à quoi il n'a pas droit ; il ne revendique que sa « propriété | n'est pas à lui « de droit » ou ce à quoi il n'a pas droit ; il ne revendique que sa « propriété | ||
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mortellement ennemies : le Dieu et l'Homme. Les uns se réclament du droit divin, les | mortellement ennemies : le Dieu et l'Homme. Les uns se réclament du droit divin, les | ||
autres du droit humain ou des droits de l'homme. | autres du droit humain ou des droits de l'homme. | ||
Ce qui est clair, c'est que dans les deux cas l'individu ne crée pas lui-même son | Ce qui est clair, c'est que dans les deux cas l'individu ne crée pas lui-même son | ||
droit. | droit. | ||
Trouvez-moi donc aujourd'hui une seule action qui n'offense pas un droit ! À | Trouvez-moi donc aujourd'hui une seule action qui n'offense pas un droit ! À | ||
chaque instant les droits de l'homme sont foulés aux pieds par les uns, tandis que les | chaque instant les droits de l'homme sont foulés aux pieds par les uns, tandis que les | ||
Ligne 2 292 : | Ligne 2 296 : | ||
discours sont des crimes, et toute entrave à votre liberté de discourir n'est pas moins | discours sont des crimes, et toute entrave à votre liberté de discourir n'est pas moins | ||
un crime. Vous êtes tous des criminels. | un crime. Vous êtes tous des criminels. | ||
Cependant, vous ne l'êtes que parce que vous vous tenez tous sur le terrain du | Cependant, vous ne l'êtes que parce que vous vous tenez tous sur le terrain du | ||
droit, c'est-à-dire parce que vous ne savez pas que vous êtes criminels et ne savez pas | droit, c'est-à-dire parce que vous ne savez pas que vous êtes criminels et ne savez pas | ||
vous en féliciter. | vous en féliciter. | ||
La propriété inviolable ou sacrée a pris naissance sur ce même terrain ; elle est la | La propriété inviolable ou sacrée a pris naissance sur ce même terrain ; elle est la | ||
fille spirituelle du Droit. Le chien qui voit un os en la puissance d'un autre n'y renonce | fille spirituelle du Droit. Le chien qui voit un os en la puissance d'un autre n'y renonce | ||
Ligne 2 303 : | Ligne 2 309 : | ||
qu'il se montre mais qu'on ne peut pas tuer. Ce qui est humain, c'est de voir dans tout | qu'il se montre mais qu'on ne peut pas tuer. Ce qui est humain, c'est de voir dans tout | ||
objet particulier non pas quelque chose de particulier, mais quelque chose de général. | objet particulier non pas quelque chose de particulier, mais quelque chose de général. | ||
Je ne dois plus à la nature, comme telle, aucun respect ; je sais que j'ai à son égard | Je ne dois plus à la nature, comme telle, aucun respect ; je sais que j'ai à son égard | ||
tous les droits. Mais je suis tenu de respecter dans l'arbre du jardin que voilà sa | tous les droits. Mais je suis tenu de respecter dans l'arbre du jardin que voilà sa | ||
Ligne 2 317 : | Ligne 2 324 : | ||
exorcisons donc l'esprit d'étrangèreté qui nous avait fait d'abord reculer d'effroi | exorcisons donc l'esprit d'étrangèreté qui nous avait fait d'abord reculer d'effroi | ||
devant elle. | devant elle. | ||
Mais il est indispensable pour cela que je ne prétende à rien en qualité d'Homme, | Mais il est indispensable pour cela que je ne prétende à rien en qualité d'Homme, | ||
mais seulement en qualité de Moi, de ce Moi que je suis ; je ne prétendrai par conséquent | mais seulement en qualité de Moi, de ce Moi que je suis ; je ne prétendrai par conséquent | ||
Ligne 2 322 : | Ligne 2 330 : | ||
de ce qui me revient en tant qu'homme, mais à — ce que je veux, et parce que je le | de ce qui me revient en tant qu'homme, mais à — ce que je veux, et parce que je le | ||
veux. | veux. | ||
Donc, une chose ne sera la juste et légitime propriété d'un autre que quand il sera | Donc, une chose ne sera la juste et légitime propriété d'un autre que quand il sera | ||
juste pour toi qu'elle soit la propriété de cet autre. Dès qu'il ne te convient plus qu'il | juste pour toi qu'elle soit la propriété de cet autre. Dès qu'il ne te convient plus qu'il | ||
en soit ainsi, la légitimité disparaît à tes yeux, et il ne te reste plus qu'à rire du droit | en soit ainsi, la légitimité disparaît à tes yeux, et il ne te reste plus qu'à rire du droit | ||
absolu du propriétaire. | absolu du propriétaire. | ||
Outre la propriété au sens restreint dont nous nous sommes entretenus jusqu'à | Outre la propriété au sens restreint dont nous nous sommes entretenus jusqu'à | ||
présent, il en est une autre qui s'impose à notre vénération et contre laquelle il nous | présent, il en est une autre qui s'impose à notre vénération et contre laquelle il nous | ||
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l'idole, la faculté de vénération de celui qui la tient pour sacrée est elle-même sacrée | l'idole, la faculté de vénération de celui qui la tient pour sacrée est elle-même sacrée | ||
et on doit s'incliner devant elle. | et on doit s'incliner devant elle. | ||
Dans des temps plus barbares que les nôtres, on avait coutume d'exiger de chacun | Dans des temps plus barbares que les nôtres, on avait coutume d'exiger de chacun | ||
une certaine foi et une dévotion à un certain objet sacré ; on n'y allait pas de main | une certaine foi et une dévotion à un certain objet sacré ; on n'y allait pas de main | ||
Ligne 2 343 : | Ligne 2 353 : | ||
qu'on désigne sous le nom plus vague d' « être suprême »; la tolérance humaine se | qu'on désigne sous le nom plus vague d' « être suprême »; la tolérance humaine se | ||
déclare satisfaite du moment que chacun révère un « objet sacré » quel qu'il soit. | déclare satisfaite du moment que chacun révère un « objet sacré » quel qu'il soit. | ||
Ramené à son expression la plus humaine, cet objet sacré est l' « Homme luimême | Ramené à son expression la plus humaine, cet objet sacré est l' « Homme luimême | ||
» et l' « humain ». Car c'est une illusion de croire que l'humain est tout à fait | » et l' « humain ». Car c'est une illusion de croire que l'humain est tout à fait | ||
Ligne 2 352 : | Ligne 2 363 : | ||
empêché d'entendre le cri de douleur de l'égoïsme ; c'est ainsi qu'on a pris pour notre | empêché d'entendre le cri de douleur de l'égoïsme ; c'est ainsi qu'on a pris pour notre | ||
vrai moi un fantôme devenu si bon homme. | vrai moi un fantôme devenu si bon homme. | ||
Mais « le Sacré s'appelle Humain », dit Goethe, et l'humain n'est que le sacré à sa | Mais « le Sacré s'appelle Humain », dit Goethe, et l'humain n'est que le sacré à sa | ||
plus haute puissance. | plus haute puissance. | ||
L'égoïste s'exprime tout autrement. C'est justement parce que tu tiens quelque | L'égoïste s'exprime tout autrement. C'est justement parce que tu tiens quelque | ||
chose pour sacré que je te trouve ridicule, et en admettant même que je veuille tout | chose pour sacré que je te trouve ridicule, et en admettant même que je veuille tout | ||
respecter en toi, c'est précisément ton sanctuaire intérieur que je ne respecterais pas. | respecter en toi, c'est précisément ton sanctuaire intérieur que je ne respecterais pas. | ||
À ces manières de voir si opposées correspondent naturellement des conduites | À ces manières de voir si opposées correspondent naturellement des conduites | ||
différentes envers les biens spirituels : l'égoïste les attaque ; le religieux (c'est-à-dire | différentes envers les biens spirituels : l'égoïste les attaque ; le religieux (c'est-à-dire | ||
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qui craint Dieu, par exemple, a plus à défendre que celui qui craint l'Homme, que le | qui craint Dieu, par exemple, a plus à défendre que celui qui craint l'Homme, que le | ||
Libéral. | Libéral. | ||
Quand on nous offense dans nos biens spirituels, ce n'est plus comme lorsqu'on | Quand on nous offense dans nos biens spirituels, ce n'est plus comme lorsqu'on | ||
nous lésait dans nos biens matériels : ici, l'offense est spirituelle, le péché commis | nous lésait dans nos biens matériels : ici, l'offense est spirituelle, le péché commis | ||
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c'est-à-dire envers ce que nous tenons pour sacré ; et la raillerie, l'insulte, le mépris, le | c'est-à-dire envers ce que nous tenons pour sacré ; et la raillerie, l'insulte, le mépris, le | ||
scepticisme, etc., ne sont que des nuances différentes de la criminelle impiété. | scepticisme, etc., ne sont que des nuances différentes de la criminelle impiété. | ||
Sans nous occuper des multiples façons dont le sacrilège peut se commettre, nous | Sans nous occuper des multiples façons dont le sacrilège peut se commettre, nous | ||
ne rappellerons ici que celle qui met en danger la sainteté par le fait d'une presse trop | ne rappellerons ici que celle qui met en danger la sainteté par le fait d'une presse trop | ||
libre. | libre. | ||
Tant qu'on exigera encore du respect pour le moindre être spirituel, la parole et la | Tant qu'on exigera encore du respect pour le moindre être spirituel, la parole et la | ||
presse devront être enchaînées au nom de cet être; car l'égoïste pourrait par ses | presse devront être enchaînées au nom de cet être; car l'égoïste pourrait par ses | ||
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« pénalités convenables », à moins qu'on ne préfère recourir au moyen plus judicieux | « pénalités convenables », à moins qu'on ne préfère recourir au moyen plus judicieux | ||
que fournit la puissance préventive de la police, c'est-à-dire à la censure. | que fournit la puissance préventive de la police, c'est-à-dire à la censure. | ||
Combien de gens nous entendons tous les jours appeler à grands cris la liberté de | Combien de gens nous entendons tous les jours appeler à grands cris la liberté de | ||
la presse ! Or, de quoi la presse doit-elle être libre ? Sans doute d'une dépendance, | la presse ! Or, de quoi la presse doit-elle être libre ? Sans doute d'une dépendance, | ||
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ou je permets qu'on trace autour de mes publications une limite au-delà de laquelle | ou je permets qu'on trace autour de mes publications une limite au-delà de laquelle | ||
commencent le délit et la répression. C'est moi-même qui restreint ma liberté. | commencent le délit et la répression. C'est moi-même qui restreint ma liberté. | ||
Pour que la presse fût libre, il serait indispensable qu'aucune contrainte ne pût lui | Pour que la presse fût libre, il serait indispensable qu'aucune contrainte ne pût lui | ||
être imposée au nom d'une loi. Et pour en arriver là, il faudrait que moi-même je me | être imposée au nom d'une loi. Et pour en arriver là, il faudrait que moi-même je me | ||
fusse affranchi de l'obéissance à la loi. | fusse affranchi de l'obéissance à la loi. | ||
En vérité, la liberté absolue de la presse est une chimère, comme toute liberté | En vérité, la liberté absolue de la presse est une chimère, comme toute liberté | ||
absolue. La presse peut être libre de bien des choses, mais elle ne le sera jamais que | absolue. La presse peut être libre de bien des choses, mais elle ne le sera jamais que | ||
de ce dont je serai moi-même libre. Affranchissons-nous de tout ce qui est sacré, | de ce dont je serai moi-même libre. Affranchissons-nous de tout ce qui est sacré, | ||
soyons sans foi et sans loi, et nos discours le seront aussi. | soyons sans foi et sans loi, et nos discours le seront aussi. | ||
Nous ne pouvons pas plus affranchir nos écrits de toute contrainte que nous ne | Nous ne pouvons pas plus affranchir nos écrits de toute contrainte que nous ne | ||
pouvons être nous-mêmes affranchis de tout. Mais nous pouvons les faire aussi libres | pouvons être nous-mêmes affranchis de tout. Mais nous pouvons les faire aussi libres | ||
que nous le sommes. Il faut pour cela qu'ils soient notre propriété, au lieu d'être, | que nous le sommes. Il faut pour cela qu'ils soient notre propriété, au lieu d'être, | ||
comme ils l'ont été jusqu'ici, au service d'un fantôme. | comme ils l'ont été jusqu'ici, au service d'un fantôme. | ||
On ne se rend pas bien compte de ce qu'on demande en réclamant la liberté de la | On ne se rend pas bien compte de ce qu'on demande en réclamant la liberté de la | ||
presse. Ce que prétendument on désire, c'est que l'État rende la presse libre ; mais ce | presse. Ce que prétendument on désire, c'est que l'État rende la presse libre ; mais ce | ||
qu'on veut en réalité et sans s'en douter, c'est que la presse soit affranchie de l'État ou | qu'on veut en réalité et sans s'en douter, c'est que la presse soit affranchie de l'État ou | ||
n'ait plus à compter avec lui. Le voeu conscient est une pétition que l'on adresse à | n'ait plus à compter avec lui. Le voeu conscient est une pétition que l'on adresse à | ||
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sacrée » et appelleraient sur celui qui se le permettrait les sévérités d'une loi sur la | sacrée » et appelleraient sur celui qui se le permettrait les sévérités d'une loi sur la | ||
presse. | presse. | ||
En un mot, il est impossible que la presse soit libre de ce dont je ne suis pas libre | En un mot, il est impossible que la presse soit libre de ce dont je ne suis pas libre | ||
moi-même. | moi-même. | ||
Ce que j'en dis va peut-être me faire passer pour un adversaire de la liberté de la | Ce que j'en dis va peut-être me faire passer pour un adversaire de la liberté de la | ||
presse ? Loin de là ! J'affirme seulement qu'on ne l'obtiendra jamais tant qu'on ne | presse ? Loin de là ! J'affirme seulement qu'on ne l'obtiendra jamais tant qu'on ne | ||
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par la liberté de la presse) l'usage que vous faites de la presse, vous vivrez dans de | par la liberté de la presse) l'usage que vous faites de la presse, vous vivrez dans de | ||
vaines espérances et de vaines récriminations. | vaines espérances et de vaines récriminations. | ||
« Absurdité ! Vous qui nourrissez des pensées comme on en voit dans votre livre, | « Absurdité ! Vous qui nourrissez des pensées comme on en voit dans votre livre, | ||
vous ne parviendrez à leur donner de publicité que grâce à un heureux hasard ou à | vous ne parviendrez à leur donner de publicité que grâce à un heureux hasard ou à | ||
force d'artifices. Et c'est vous qui voulez vous opposer à ce qu'on harcèle, qu'on | force d'artifices. Et c'est vous qui voulez vous opposer à ce qu'on harcèle, qu'on | ||
importune l'État jusqu'à ce qu'il accorde enfin la liberté d'imprimer ? » | importune l'État jusqu'à ce qu'il accorde enfin la liberté d'imprimer ? » | ||
Il se pourrait qu'un auteur à qui on tiendrait ce langage répondît — car jusqu'où ne | Il se pourrait qu'un auteur à qui on tiendrait ce langage répondît — car jusqu'où ne | ||
va pas l'insolence de ces gens ? — de la manière suivante : | va pas l'insolence de ces gens ? — de la manière suivante : | ||
—Réfléchissez bien à ce que vous dites ! Que fais-je donc en vue de me procurer | —Réfléchissez bien à ce que vous dites ! Que fais-je donc en vue de me procurer | ||
pour mon livre la liberté de la presse ? Est-ce que je demande une permission ? Ne | pour mon livre la liberté de la presse ? Est-ce que je demande une permission ? Ne | ||
me voit-on pas, au contraire, sans me soucier de la légalité, guetter une occasion | me voit-on pas, au contraire, sans me soucier de la légalité, guetter une occasion | ||
favorable, et la saisir sans aucun égard pour l'État et ses désirs ? | favorable, et la saisir sans aucun égard pour l'État et ses désirs ? | ||
« Oui ! je trompe — puisqu'il faut que le mot terrible soit prononcé — je trompe | « Oui ! je trompe — puisqu'il faut que le mot terrible soit prononcé — je trompe | ||
l'État. | l'État. | ||
« Et vous, sans vous en douter, vous en faites autant. Vous lui persuadez du haut | « Et vous, sans vous en douter, vous en faites autant. Vous lui persuadez du haut | ||
de vos tribunes qu'il doit faire le sacrifice de sa sainteté et de son invulnérabilité, qu'il | de vos tribunes qu'il doit faire le sacrifice de sa sainteté et de son invulnérabilité, qu'il | ||
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redouter. Eh bien ! vous l'abusez ; car c'en sera fait de son existence aussitôt qu'il aura | redouter. Eh bien ! vous l'abusez ; car c'en sera fait de son existence aussitôt qu'il aura | ||
perdu son inviolabilité. | perdu son inviolabilité. | ||
« Il est vrai qu'à vous il pourrait bien concéder la liberté d'écrire comme l'a fait | « Il est vrai qu'à vous il pourrait bien concéder la liberté d'écrire comme l'a fait | ||
l'Angleterre : Vous êtes les dévots de l'État, vous êtes incapables d'écrire contre lui, | l'Angleterre : Vous êtes les dévots de l'État, vous êtes incapables d'écrire contre lui, | ||
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déchaîner contre l'Église, l'État, les Moeurs, et pour assaillir le « sacro-saint » | déchaîner contre l'Église, l'État, les Moeurs, et pour assaillir le « sacro-saint » | ||
d'implacables arguments ? Vous seriez alors les premiers à trembler et à appeler à la | d'implacables arguments ? Vous seriez alors les premiers à trembler et à appeler à la | ||
vie des lois de septembre. Vous vous repentiriez, trop tard, de la sottise qui vous | vie des lois de septembre. Vous vous repentiriez, trop tard, de la sottise qui vous | ||
aurait poussés à enjôler et à aveugler l'État ou le Gouvernement. | aurait poussés à enjôler et à aveugler l'État ou le Gouvernement. | ||
« Mais ma conduite à moi ne prouve que deux choses. D'abord ceci, que la liberté | « Mais ma conduite à moi ne prouve que deux choses. D'abord ceci, que la liberté | ||
de la presse est toujours inséparable de « circonstances favorables » et ne peut, par | de la presse est toujours inséparable de « circonstances favorables » et ne peut, par | ||
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contre l'État son propre intérêt et en se mettant, soi et sa volonté, au-dessus de l'État et | contre l'État son propre intérêt et en se mettant, soi et sa volonté, au-dessus de l'État et | ||
de toute « puissance supérieure ». | de toute « puissance supérieure ». | ||
« Ce n'est pas dans l'État, ce n'est que contre l'État que la liberté de la presse peut | « Ce n'est pas dans l'État, ce n'est que contre l'État que la liberté de la presse peut | ||
être conquise. Et si cette liberté règne jamais, ce n'est pas à la suite d'une prière, mais | être conquise. Et si cette liberté règne jamais, ce n'est pas à la suite d'une prière, mais | ||
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morale ou de la loi. Liberté vis-à-vis de la contrainte de la censure, elle n'est pas | morale ou de la loi. Liberté vis-à-vis de la contrainte de la censure, elle n'est pas | ||
liberté vis-à-vis de la contrainte de la loi. | liberté vis-à-vis de la contrainte de la loi. | ||
« La presse, une fois saisie du désir de la liberté, veut devenir toujours plus libre | « La presse, une fois saisie du désir de la liberté, veut devenir toujours plus libre | ||
jusqu'à ce qu'enfin l'écrivain se dise : Puisque je ne suis tout à fait libre que quand je | jusqu'à ce qu'enfin l'écrivain se dise : Puisque je ne suis tout à fait libre que quand je | ||
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elle doit être à Moi ! L'individualité, la propriété de la presse, voilà ce que je veux | elle doit être à Moi ! L'individualité, la propriété de la presse, voilà ce que je veux | ||
m'assurer. | m'assurer. | ||
« Une liberté de la presse n'est qu'un permis d'imprimer que me délivre l'État, et | « Une liberté de la presse n'est qu'un permis d'imprimer que me délivre l'État, et | ||
l'État ne permettra jamais, et il ne peut jamais librement permettre, que j'emploie la | l'État ne permettra jamais, et il ne peut jamais librement permettre, que j'emploie la | ||
presse à l'anéantir. | presse à l'anéantir. | ||
« Exprimons-nous donc plutôt de la manière suivante, pour éviter ce que le terme | « Exprimons-nous donc plutôt de la manière suivante, pour éviter ce que le terme | ||
« liberté de la presse » a pu laisser jusqu'ici de vague dans nos paroles : La liberté de | « liberté de la presse » a pu laisser jusqu'ici de vague dans nos paroles : La liberté de | ||
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aux politiciens libéraux : en Allemagne, par exemple, ils ne demandent qu'« une | aux politiciens libéraux : en Allemagne, par exemple, ils ne demandent qu'« une | ||
tolérance plus large, plus étendue, de la parole libre ». | tolérance plus large, plus étendue, de la parole libre ». | ||
« La liberté de la presse qu'on sollicite est une liberté qui doit appartenir au | « La liberté de la presse qu'on sollicite est une liberté qui doit appartenir au | ||
Peuple, et tant que le Peuple (l'État) ne la possède pas, je ne puis en faire aucun usage. | Peuple, et tant que le Peuple (l'État) ne la possède pas, je ne puis en faire aucun usage. | ||
Mais si on se place au point de vue de la propriété de la presse, les choses se présenMax | Mais si on se place au point de vue de la propriété de la presse, les choses se présenMax | ||
tent sous un jour différent. Bien que mon Peuple soit privé de la liberté de la presse, | tent sous un jour différent. Bien que mon Peuple soit privé de la liberté de la presse, | ||
je me procure par ruse ou par violence le moyen d'imprimer ; je ne demande la | je me procure par ruse ou par violence le moyen d'imprimer ; je ne demande la | ||
permission d'imprimer qu'à — Moi et à ma force. | permission d'imprimer qu'à — Moi et à ma force. | ||
« Dès que la presse est à Moi, il ne me faut pas plus d'autorisation de l'État pour | « Dès que la presse est à Moi, il ne me faut pas plus d'autorisation de l'État pour | ||
en user qu'il ne m'en faut pour me moucher. Et la presse est ma propriété à partir du | en user qu'il ne m'en faut pour me moucher. Et la presse est ma propriété à partir du | ||
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feraient aucun cas ? Ce serait un rêve, une illusion, tout comme l' « unité de | feraient aucun cas ? Ce serait un rêve, une illusion, tout comme l' « unité de | ||
l'Allemagne ». | l'Allemagne ». | ||
« La presse est à Moi dès que je m'appartiens, dès que je suis mon propriétaire : | « La presse est à Moi dès que je m'appartiens, dès que je suis mon propriétaire : | ||
Le monde est à l'égoïste, parce que l'égoïste n'appartient à aucune puissance du | Le monde est à l'égoïste, parce que l'égoïste n'appartient à aucune puissance du | ||
monde. | monde. | ||
« Cela étant, il se peut très bien que la presse, quoique mienne, soit encore très | « Cela étant, il se peut très bien que la presse, quoique mienne, soit encore très | ||
peu libre, comme c'est le cas en ce moment. Mais le monde est grand, et on se tire | peu libre, comme c'est le cas en ce moment. Mais le monde est grand, et on se tire | ||
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comme je veux affirmer ma propriété, il faut bien que j'en vienne aux mains avec mes | comme je veux affirmer ma propriété, il faut bien que j'en vienne aux mains avec mes | ||
ennemis. | ennemis. | ||
— N'accepterais-tu pas leur permission si on te l’accordait ? | — N'accepterais-tu pas leur permission si on te l’accordait ? | ||
— Oui, certes, et avec plaisir, car leur permission me prouverait que je les ai | — Oui, certes, et avec plaisir, car leur permission me prouverait que je les ai | ||
aveuglés et que je les mène à l'abîme. Ce n'est pas leur permission que je veux, mais | aveuglés et que je les mène à l'abîme. Ce n'est pas leur permission que je veux, mais | ||
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sollicite, c'est pour m'en faire une arme contre eux, c'est pour faire disparaître ceux-là | sollicite, c'est pour m'en faire une arme contre eux, c'est pour faire disparaître ceux-là | ||
mêmes qui me l'auront accordée. | mêmes qui me l'auront accordée. | ||
« J'agis consciemment comme un ennemi, je prends mes avantages et je profite de | « J'agis consciemment comme un ennemi, je prends mes avantages et je profite de | ||
leur imprévoyance. | leur imprévoyance. | ||
« La presse n'est à moi que si j'en use sans reconnaître absolument aucun juge en | « La presse n'est à moi que si j'en use sans reconnaître absolument aucun juge en | ||
dehors de moi-même, c'est-à-dire que si je ne suis plus déterminé ni par la religion, ni | dehors de moi-même, c'est-à-dire que si je ne suis plus déterminé ni par la religion, ni | ||
par la morale, ni par le respect des lois de l'État, etc., mais par Moi seul et par mon | par la morale, ni par le respect des lois de l'État, etc., mais par Moi seul et par mon | ||
égoïsme ! » | égoïsme ! » | ||
Qu'avez-vous à répliquer à celui qui vous fait une réponse si insolente ? Mais | Qu'avez-vous à répliquer à celui qui vous fait une réponse si insolente ? Mais | ||
peut-être la question sera-t-elle mieux posée sous la forme suivante : À qui est la | peut-être la question sera-t-elle mieux posée sous la forme suivante : À qui est la | ||
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affranchie des lois, c'est-à-dire indépendante de la volonté du Peuple (de la volonté de | affranchie des lois, c'est-à-dire indépendante de la volonté du Peuple (de la volonté de | ||
l'État). | l'État). | ||
Mais une fois devenue la propriété du Peuple, la presse est encore bien loin d'être | Mais une fois devenue la propriété du Peuple, la presse est encore bien loin d'être | ||
ma propriété ; sa liberté conserve par rapport à moi le sens de permission. C'est au | ma propriété ; sa liberté conserve par rapport à moi le sens de permission. C'est au | ||
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ont le coeur et la tête durs, tout comme les plus farouches despotes et les esclaves | ont le coeur et la tête durs, tout comme les plus farouches despotes et les esclaves | ||
qu'ils emploient. | qu'ils emploient. | ||
Edgar Bauer, dans ses Revendications libérales, soutient que la liberté de la presse | Edgar Bauer, dans ses Revendications libérales, soutient que la liberté de la presse | ||
est impossible dans les États absolus ou constitutionnels, mais qu'elle a sa place tout | est impossible dans les États absolus ou constitutionnels, mais qu'elle a sa place tout | ||
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propre énergie : elle est une liberté du peuple, une liberté qui ne lui est accordée à lui, | propre énergie : elle est une liberté du peuple, une liberté qui ne lui est accordée à lui, | ||
individu, qu'en raison de sa fidélité et de sa qualité de sociétaire. | individu, qu'en raison de sa fidélité et de sa qualité de sociétaire. | ||
Au contraire, ce n'est que comme individu que chacun peut être libre d'exprimer | Au contraire, ce n'est que comme individu que chacun peut être libre d'exprimer | ||
sa pensée. Mais il n'en a pas le « droit », et cette liberté n'est pas « son droit sacré »; il | sa pensée. Mais il n'en a pas le « droit », et cette liberté n'est pas « son droit sacré »; il | ||
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contre le Peuple — mon ennemi ; je ne l'obtiens que si je la conquière réellement, si | contre le Peuple — mon ennemi ; je ne l'obtiens que si je la conquière réellement, si | ||
je la prends. Et si je la prends, c'est qu'elle est ma propriété. | je la prends. Et si je la prends, c'est qu'elle est ma propriété. | ||
Sander, que combat Edgar Bauer, considère la liberté de la presse comme « le | Sander, que combat Edgar Bauer, considère la liberté de la presse comme « le | ||
droit et la liberté du citoyen dans l'État ». Bauer ne dit rien d'autre. Pour lui aussi elle | droit et la liberté du citoyen dans l'État ». Bauer ne dit rien d'autre. Pour lui aussi elle |
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