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Sur la question du droit de propriété, la lutte est ardente et tumultueuse. Les | Sur la question du droit de propriété, la lutte est ardente et tumultueuse. Les | ||
Communistes soutiennent 1 que « la terre appartient à celui qui la cultive, et ses | Communistes soutiennent <ref>1 Auguste BECKER : Volksphilosophie, p, 23 sq.</ref> que « la terre appartient à celui qui la cultive, et ses | ||
produits à ceux qui les font naître ». Je pense qu'elle appartient à celui qui sait la | produits à ceux qui les font naître ». Je pense qu'elle appartient à celui qui sait la | ||
prendre ou qui ne se la laisse pas enlever. S'il s'en empare et la fait sienne, il aura non | prendre ou qui ne se la laisse pas enlever. S'il s'en empare et la fait sienne, il aura non | ||
seulement la terre, mais encore le droit à sa possession. C'est là le droit égoïste, qui | seulement la terre, mais encore le droit à sa possession. C'est là le droit égoïste, qui | ||
peut se formuler ainsi : « Je le veux, donc c'est juste. » | peut se formuler ainsi : « Je le veux, donc c'est juste. » | ||
Autrement compris, le droit est une chose dont on fait ce qu'on veut. Le tigre qui | Autrement compris, le droit est une chose dont on fait ce qu'on veut. Le tigre qui | ||
m'attaque est dans son droit, et moi qui l'abats, je suis également dans mon droit. Ce | m'attaque est dans son droit, et moi qui l'abats, je suis également dans mon droit. Ce | ||
n'est pas mon droit que je défends contre lui, c'est moi. | n'est pas mon droit que je défends contre lui, c'est moi. | ||
Le droit humain étant toujours un droit accordé, il n'est jamais autre chose qu'un | Le droit humain étant toujours un droit accordé, il n'est jamais autre chose qu'un | ||
don, une « concession » que les hommes se font l'un à l'autre. Si l'on reconnaît par | don, une « concession » que les hommes se font l'un à l'autre. Si l'on reconnaît par | ||
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« Du droit qui est né avec nous, | « Du droit qui est né avec nous, | ||
de celui-là, hélas ! il n'est pas question. » | de celui-là, hélas ! il n'est pas question. » | ||
Mais quelle espèce de droit pourrait bien être né avec moi ? Est-ce le droit | Mais quelle espèce de droit pourrait bien être né avec moi ? Est-ce le droit | ||
d'aînesse, le droit d'hériter d'un trône, de recevoir une éducation princière — ou bien | d'aînesse, le droit d'hériter d'un trône, de recevoir une éducation princière — ou bien | ||
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dit un homme. Je vous accorde que tous naissent hommes, et qu'en cela tous sont | dit un homme. Je vous accorde que tous naissent hommes, et qu'en cela tous sont | ||
égaux. | égaux. | ||
Mais pourquoi le sont-ils? Pour cette seule raison qu'ils ne se montrent, se | Mais pourquoi le sont-ils? Pour cette seule raison qu'ils ne se montrent, se | ||
manifestent encore que comme de simples — enfants des hommes, de petits hommes | manifestent encore que comme de simples — enfants des hommes, de petits hommes | ||
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d'eux-mêmes quelque chose, qui se sont faits quelque chose et ont cessé d'être | d'eux-mêmes quelque chose, qui se sont faits quelque chose et ont cessé d'être | ||
uniquement « enfants des hommes » pour devenir fils de — leur propre activité | uniquement « enfants des hommes » pour devenir fils de — leur propre activité | ||
créatrice. Ces derniers possèdent plus que les simples droits trouvés dans leur berceau | créatrice. Ces derniers possèdent plus que les simples droits trouvés dans leur berceau: ils ont acquis des droits. Quel sujet de discussions, et quel champ de bataille ! C'est le vieux combat des droits innés de l'homme et des droits acquis qui se rallume. | ||
: ils ont acquis des droits. Quel sujet de discussions, et quel champ de bataille ! C'est | |||
le vieux combat des droits innés de l'homme et des droits acquis qui se rallume. | |||
Alléguez vos droits innés, et quelqu'un ne manquera pas de vous objecter les droits | Alléguez vos droits innés, et quelqu'un ne manquera pas de vous objecter les droits | ||
acquis ; vous vous appuyez tous deux sur le « terrain du droit », car chacun a un | acquis ; vous vous appuyez tous deux sur le « terrain du droit », car chacun a un | ||
« droit » qui s'oppose à celui des autres : l'un a un droit inné ou naturel, l'autre un | « droit » qui s'oppose à celui des autres : l'un a un droit inné ou naturel, l'autre un | ||
droit acquis et « bien acquis ». | droit acquis et « bien acquis ». | ||
Tant que vous vous tiendrez sur le terrain du droit, vous ne sortirez pas de la — | Tant que vous vous tiendrez sur le terrain du droit, vous ne sortirez pas de la — | ||
chicane et vous ergoterez indéfiniment. Autrui ne peut ni vous donner raison, ni faire | chicane et vous ergoterez indéfiniment. Autrui ne peut ni vous donner raison, ni faire | ||
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rien, vous vous ferez de la bile en silence ou vous serez sacrifiés comme des fous | rien, vous vous ferez de la bile en silence ou vous serez sacrifiés comme des fous | ||
encombrants. | encombrants. | ||
Bref, Chinois, mes amis, n'invoquez pas le droit ; ne pariez pas du « droit qui est | Bref, Chinois, mes amis, n'invoquez pas le droit ; ne pariez pas du « droit qui est | ||
né avec vous »; c'est aussi inutile que de parier de vos « droits acquis ». | né avec vous »; c'est aussi inutile que de parier de vos « droits acquis ». | ||
Vous reculez avec effroi devant les autres parce que vous croyez voir se dresser | Vous reculez avec effroi devant les autres parce que vous croyez voir se dresser | ||
auprès d'eux le spectre du droit, combattant à leur côté comme une déesse secourable | auprès d'eux le spectre du droit, combattant à leur côté comme une déesse secourable | ||
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simplement : Est-ce que je veux ce que veut mon adversaire ? Non ! Eh bien ! quand | simplement : Est-ce que je veux ce que veut mon adversaire ? Non ! Eh bien ! quand | ||
mille diables ou mille dieux combattraient avec lui, je l'attaque ! | mille diables ou mille dieux combattraient avec lui, je l'attaque ! | ||
Un « État fondé sur le Droit », État tel que la Gazette de Voss entre autres en | Un « État fondé sur le Droit », État tel que la Gazette de Voss entre autres en | ||
pourrait être l'organe, exige qu'un employé ne puisse être révoqué que par un juge et | pourrait être l'organe, exige qu'un employé ne puisse être révoqué que par un juge et | ||
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coupable » d'un des « crimes » prévus par la loi, et, le cas échant, après preuve faite, | coupable » d'un des « crimes » prévus par la loi, et, le cas échant, après preuve faite, | ||
de prononcer contre lui la révocation « de par la loi ». | de prononcer contre lui la révocation « de par la loi ». | ||
Le juge est perdu s'il cesse d'être « mécanique » et s'écarte de « la lettre du code ». | Le juge est perdu s'il cesse d'être « mécanique » et s'écarte de « la lettre du code ». | ||
Car s'il ne fait pas abstraction de toute opinion qu'il peut avoir en tant qu'homme | Car s'il ne fait pas abstraction de toute opinion qu'il peut avoir en tant qu'homme | ||
privé, s'il se laisse influencer par cette opinion, il cesse de faire acte de magistrat ; | privé, s'il se laisse influencer par cette opinion, il cesse de faire acte de magistrat ; | ||
comme juge, il ne peut être que l'organe impersonnel de la loi. Mais parlez-moi de ces | comme juge, il ne peut être que l'organe impersonnel de la loi. Mais parlez-moi de ces | ||
vieux parlements français qui ne prétendaient pas qu'un texte eût force de loi avant | vieux parlements français qui ne prétendaient pas qu'un texte eût force de loi avant | ||
d'avoir subi leur examen et reçu leur approbation ! Ceux-là au moins jugeaient | d'avoir subi leur examen et reçu leur approbation ! Ceux-là au moins jugeaient | ||
suivant leur droit à eux et ne se prêtaient pas à n'être que des machines dans les mains | suivant leur droit à eux et ne se prêtaient pas à n'être que des machines dans les mains | ||
du législateur, encore qu'ils fussent en somme, comme juges, leurs propres machines. | du législateur, encore qu'ils fussent en somme, comme juges, leurs propres machines. | ||
On dit, lorsqu'un criminel est puni, qu'il n'a que ce qu'il mérite : le châtiment est | On dit, lorsqu'un criminel est puni, qu'il n'a que ce qu'il mérite : le châtiment est | ||
son droit ; mais l'impunité est tout autant son droit. Si son entreprise réussit, il est | son droit ; mais l'impunité est tout autant son droit. Si son entreprise réussit, il est | ||
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que nous lui infligeons n'est que notre droit à nous et non le sien. Notre droit réagit | que nous lui infligeons n'est que notre droit à nous et non le sien. Notre droit réagit | ||
contre le sien, et si le droit est contre lui, c'est que — nous avons le dessus. | contre le sien, et si le droit est contre lui, c'est que — nous avons le dessus. | ||
Ce qui dans une société est conforme au droit, ce qui est juste, est formulé par la | Ce qui dans une société est conforme au droit, ce qui est juste, est formulé par la | ||
Loi. | Loi. | ||
Quelle que soit la loi, le devoir de tout citoyen loyal est de la respecter. Ainsi | Quelle que soit la loi, le devoir de tout citoyen loyal est de la respecter. Ainsi | ||
l'esprit de légalité de la vieille Angleterre est célèbre. Que l'on rapproche de ce | l'esprit de légalité de la vieille Angleterre est célèbre. Que l'on rapproche de ce | ||
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qu'ils soient. » La Loi quelle qu'elle soit, Dieu quel qu'il soit, nous en sommes encore | qu'ils soient. » La Loi quelle qu'elle soit, Dieu quel qu'il soit, nous en sommes encore | ||
là aujourd'hui. | là aujourd'hui. | ||
On s'efforce de distinguer la Loi de l'ordre arbitraire, ukase, ordonnance ou décret, | On s'efforce de distinguer la Loi de l'ordre arbitraire, ukase, ordonnance ou décret, | ||
en disant que la première émane d'une autorité légitime. Mais toute loi qui régit des | en disant que la première émane d'une autorité légitime. Mais toute loi qui régit des | ||
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traite en ennemi, mais jamais je ne tolérerai qu'il use de moi comme de sa créature et | traite en ennemi, mais jamais je ne tolérerai qu'il use de moi comme de sa créature et | ||
qu'il me fasse une règle de sa raison ou de sa déraison. | qu'il me fasse une règle de sa raison ou de sa déraison. | ||
Les États ne peuvent subsister qu'à condition qu'il y ait une volonté souveraine, | Les États ne peuvent subsister qu'à condition qu'il y ait une volonté souveraine, | ||
considérée comme traduisant la volonté individuelle. La volonté du maître est — la | considérée comme traduisant la volonté individuelle. La volonté du maître est — la | ||
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les laisse imposer ? L'État ne peut renoncer à la prétention de régner sur la volonté de | les laisse imposer ? L'État ne peut renoncer à la prétention de régner sur la volonté de | ||
l'individu, de compter et de spéculer dessus. Il lui est absolument indispensable que | l'individu, de compter et de spéculer dessus. Il lui est absolument indispensable que | ||
nul n'ait de volonté propre ; celui qui en aurait une, l'État serait obligé de l'exclure | nul n'ait de volonté propre ; celui qui en aurait une, l'État serait obligé de l'exclure | ||
(emprisonner, bannir, etc.), et si tous en avaient une, ils supprimeraient l'État. On ne | (emprisonner, bannir, etc.), et si tous en avaient une, ils supprimeraient l'État. On ne | ||
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vouloir être le maître de tous ses membres, et cette volonté porte le nom de volonté de | vouloir être le maître de tous ses membres, et cette volonté porte le nom de volonté de | ||
l'État. | l'État. | ||
Celui qui doit, pour exister, compter sur le manque de volonté des autres est tout | Celui qui doit, pour exister, compter sur le manque de volonté des autres est tout | ||
bonnement un produit de ces autres, comme le maître est un produit du serviteur. Si la | bonnement un produit de ces autres, comme le maître est un produit du serviteur. Si la | ||
soumission venait à cesser, c'en serait fait de la domination. | soumission venait à cesser, c'en serait fait de la domination. | ||
Ma volonté d'individu est destructrice de l'État ; aussi la flétrit-il du nom d'indiscipline. | Ma volonté d'individu est destructrice de l'État ; aussi la flétrit-il du nom d'indiscipline. | ||
La volonté individuelle et l'État sont des puissances ennemies, entre lesquelles | La volonté individuelle et l'État sont des puissances ennemies, entre lesquelles | ||
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elle n'a pas encore pris possession d'elle-même, ni pris conscience de sa valeur ; aussi | elle n'a pas encore pris possession d'elle-même, ni pris conscience de sa valeur ; aussi | ||
est-elle encore incomplète, malléable, etc. | est-elle encore incomplète, malléable, etc. | ||
Tout État est despotique, que le despote soit un, qu’il soit plusieurs, ou que (et | Tout État est despotique, que le despote soit un, qu’il soit plusieurs, ou que (et | ||
c'est ainsi qu'on peut se représenter une république), tous étant maîtres, l'un soit le | c'est ainsi qu'on peut se représenter une république), tous étant maîtres, l'un soit le | ||
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bien dire de pire — de ma participation à la vie de l'État. Parce que hier j'ai voulu, | bien dire de pire — de ma participation à la vie de l'État. Parce que hier j'ai voulu, | ||
aujourd'hui je n'aurai plus de volonté ; maître hier, je serai aujourd'hui esclave. | aujourd'hui je n'aurai plus de volonté ; maître hier, je serai aujourd'hui esclave. | ||
Quel remède à cela ? Un seul : ne reconnaître aucun devoir, c'est-à-dire ne pas me | Quel remède à cela ? Un seul : ne reconnaître aucun devoir, c'est-à-dire ne pas me | ||
lier et ne pas me regarder comme lié. Si je n'ai pas de devoir, je ne connais pas non | lier et ne pas me regarder comme lié. Si je n'ai pas de devoir, je ne connais pas non | ||
plus de loi. | plus de loi. | ||
« Mais on me liera ! » — Personne ne peut enchaîner ma volonté, et je resterai | « Mais on me liera ! » — Personne ne peut enchaîner ma volonté, et je resterai | ||
toujours libre de ne pas vouloir. | toujours libre de ne pas vouloir. | ||
« Mais tout serait bien vite sens dessus dessous, si chacun pouvait faire ce qu'il | « Mais tout serait bien vite sens dessus dessous, si chacun pouvait faire ce qu'il | ||
veut ! Et qui vous dit que chacun pourrait tout faire ? N'êtes-vous pas là, et êtes-vous | veut ! Et qui vous dit que chacun pourrait tout faire ? N'êtes-vous pas là, et êtes-vous | ||
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ne soit un pauvre sire, comme une autorité sacrée. Il ne vous doit ni respect ni hommages, | ne soit un pauvre sire, comme une autorité sacrée. Il ne vous doit ni respect ni hommages, | ||
bien qu'il doive se tenir sur ses gardes en mesurant votre puissance. | bien qu'il doive se tenir sur ses gardes en mesurant votre puissance. | ||
Nous classons habituellement les États suivant la façon dont le « pouvoir suprême | Nous classons habituellement les États suivant la façon dont le « pouvoir suprême | ||
» y est partagé ; s'il appartient à un seul, c'est une Monarchie ; s'il appartient à | » y est partagé ; s'il appartient à un seul, c'est une Monarchie ; s'il appartient à | ||
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le crime que l'individu peut détruire la puissance de l'État, quand il est d'avis que c'est | le crime que l'individu peut détruire la puissance de l'État, quand il est d'avis que c'est | ||
lui qui est au-dessus de l'État et non l'État qui est au-dessus de lui. | lui qui est au-dessus de l'État et non l'État qui est au-dessus de lui. | ||
Et maintenant, si je voulais rire, je pourrais, avec une grimace d'orthodoxie, vous | Et maintenant, si je voulais rire, je pourrais, avec une grimace d'orthodoxie, vous | ||
exhorter à ne point faire de loi qui contrarie mon développement individuel, ma | exhorter à ne point faire de loi qui contrarie mon développement individuel, ma | ||
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vous des lois et, ces lois une fois données, les respecter, ou bien se résoudre à | vous des lois et, ces lois une fois données, les respecter, ou bien se résoudre à | ||
l'insubordination, au catégorique refus d'obéir ? | l'insubordination, au catégorique refus d'obéir ? | ||
De bonnes âmes disent que les lois ne devraient prescrire que ce que le sentiment | De bonnes âmes disent que les lois ne devraient prescrire que ce que le sentiment | ||
du peuple estime bon et juste. Mais que m'importe la valeur qu'ont les choses dans le | du peuple estime bon et juste. Mais que m'importe la valeur qu'ont les choses dans le |
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