862
modifications
Ligne 766 : | Ligne 766 : | ||
religion doit être une éthique, l'éthique est la seule religion. » Feuerbach se contente | religion doit être une éthique, l'éthique est la seule religion. » Feuerbach se contente | ||
de renverser l'ordre du prédicat et du sujet, de faire un usteron proteron logique. | de renverser l'ordre du prédicat et du sujet, de faire un usteron proteron logique. | ||
Comme il le dit lui-même : « L'amour n'est pas sacré (et n'a jamais passé pour | Comme il le dit lui-même : « L'amour n'est pas sacré (et n'a jamais passé pour | ||
sacré aux yeux des hommes) parce qu'il est un prédicat de Dieu, mais il est un | sacré aux yeux des hommes) parce qu'il est un prédicat de Dieu, mais il est un | ||
Ligne 773 : | Ligne 774 : | ||
le divin ? Et si, comme il le dit, l'essentiel pour eux n'a jamais été Dieu, mais ses seuls | le divin ? Et si, comme il le dit, l'essentiel pour eux n'a jamais été Dieu, mais ses seuls | ||
prédicats, à quoi bon leur enlever le mot si on leur laisse la chose ? | prédicats, à quoi bon leur enlever le mot si on leur laisse la chose ? | ||
Il proclame d'autre part que son but est « de détruire une illusion | |||
Il proclame d'autre part que son but est « de détruire une illusion <ref>Wesen des Christentums, zw, Aufl., p.408.</ref>», une illusionpernicieuse « qui a si bien faussé l'homme, que l'amour même, son sentiment le plus | |||
intime et le plus vrai, est devenu, par le fait de la religiosité, vain et illusoire, vu que | intime et le plus vrai, est devenu, par le fait de la religiosité, vain et illusoire, vu que | ||
l'amour religieux n'aime l'homme que par amour de Dieu, c'est-à-dire aime en | l'amour religieux n'aime l'homme que par amour de Dieu, c'est-à-dire aime en | ||
Ligne 781 : | Ligne 782 : | ||
homme, ou par amour de la Moralité, de l'Homme en général, et, en définitive — | homme, ou par amour de la Moralité, de l'Homme en général, et, en définitive — | ||
puisque Homo homini Deus —, par amour de Dieu ? | puisque Homo homini Deus —, par amour de Dieu ? | ||
La marotte se manifeste encore sous une foule d'autres formes ; il est nécessaire | La marotte se manifeste encore sous une foule d'autres formes ; il est nécessaire | ||
d'en énumérer ici quelques-unes. | d'en énumérer ici quelques-unes. | ||
Parmi elles, le renoncement, l'abnégation sont communs aux saints et aux nonsaints, | Parmi elles, le renoncement, l'abnégation sont communs aux saints et aux nonsaints, | ||
aux purs et aux impurs. | aux purs et aux impurs. | ||
L'impur renonce à tout bon sentiment, « renie » toute pudeur, tout respect humain; | L'impur renonce à tout bon sentiment, « renie » toute pudeur, tout respect humain; | ||
il obéit en esclave docile à ses appétits. Le pur renonce au commerce du monde, | il obéit en esclave docile à ses appétits. Le pur renonce au commerce du monde, | ||
Ligne 796 : | Ligne 799 : | ||
tyrannique idéal. De part et d'autre, même abnégation de soi-même : si le non-saint | tyrannique idéal. De part et d'autre, même abnégation de soi-même : si le non-saint | ||
abdique devant Mammon, le saint abdique devant Dieu et les lois divines. | abdique devant Mammon, le saint abdique devant Dieu et les lois divines. | ||
Nous vivons en un temps où l'impudence du Sacré se fait sentir et se révèle | Nous vivons en un temps où l'impudence du Sacré se fait sentir et se révèle | ||
chaque jour davantage, parce qu'elle est chaque jour plus obligée de se découvrir et de | chaque jour davantage, parce qu'elle est chaque jour plus obligée de se découvrir et de | ||
s'exposer. Peut-on rien imaginer qui surpasse en insolence et en stupidité les | s'exposer. Peut-on rien imaginer qui surpasse en insolence et en stupidité les arguments que l'on oppose par exemple aux « progrès du temps »? La naïveté de leur | ||
effronterie passe depuis longtemps toute mesure et toute attente ; mais comment en | effronterie passe depuis longtemps toute mesure et toute attente ; mais comment en | ||
serait-il autrement ? Saints et non-saints, tous ceux qui pratiquent l'abnégation doivent | serait-il autrement ? Saints et non-saints, tous ceux qui pratiquent l'abnégation doivent | ||
Ligne 808 : | Ligne 809 : | ||
déshonorante sublimité. Le Mammon terrestre et le Dieu du ciel exigent exactement | déshonorante sublimité. Le Mammon terrestre et le Dieu du ciel exigent exactement | ||
la même somme de — renoncement. | la même somme de — renoncement. | ||
Le dégradé et le sublime aspirent tous deux à un « bien », l'un à un bien matériel, | Le dégradé et le sublime aspirent tous deux à un « bien », l'un à un bien matériel, | ||
l'autre à un bien idéal, et finalement l'un complète l'autre, l' « homme de la Matière » | l'autre à un bien idéal, et finalement l'un complète l'autre, l' « homme de la Matière » | ||
sacrifiant à sa vanité, but idéal, ce que l’ « homme de l'Esprit » sacrifie à une jouissance | sacrifiant à sa vanité, but idéal, ce que l’ « homme de l'Esprit » sacrifie à une jouissance | ||
matérielle, le confort. | matérielle, le confort. | ||
Ceux-là s'imaginent dire énormément qui placent dans le coeur de l'homme le | Ceux-là s'imaginent dire énormément qui placent dans le coeur de l'homme le | ||
« désintéressement ». Qu'entendent-ils par là ? Quelque chose de très voisin de l’« abnégation | « désintéressement ». Qu'entendent-ils par là ? Quelque chose de très voisin de l’« abnégation | ||
Ligne 818 : | Ligne 821 : | ||
cette abnégation désintéressée ? De nouveau à ton profit, à ton bénéfice, à charge | cette abnégation désintéressée ? De nouveau à ton profit, à ton bénéfice, à charge | ||
simplement de poursuivre par désintéressement ton « véritable intérêt ». | simplement de poursuivre par désintéressement ton « véritable intérêt ». | ||
On doit tirer profit de soi, mais ne pas chercher son, profit. | On doit tirer profit de soi, mais ne pas chercher son, profit. | ||
Le bienfaiteur de l'humanité, comme Franke, le créateur des orphelinats, ou | Le bienfaiteur de l'humanité, comme Franke, le créateur des orphelinats, ou | ||
O'Connell, l'infatigable défenseur de la cause irlandaise, passe pour désintéressé, de | O'Connell, l'infatigable défenseur de la cause irlandaise, passe pour désintéressé, de | ||
Ligne 832 : | Ligne 837 : | ||
but : dans un cas comme dans l'autre il avait un intérêt, seulement il se trouvait que | but : dans un cas comme dans l'autre il avait un intérêt, seulement il se trouvait que | ||
son intérêt national était utile à d'autres, ce qui en faisait un intérêt commun. | son intérêt national était utile à d'autres, ce qui en faisait un intérêt commun. | ||
N'existe-t-il donc pas de désintéressement et ne peut-on jamais en rencontrer ? Au | N'existe-t-il donc pas de désintéressement et ne peut-on jamais en rencontrer ? Au | ||
contraire, rien n'est plus commun ! On pourrait appeler le désintéressement un article | contraire, rien n'est plus commun ! On pourrait appeler le désintéressement un article | ||
Ligne 843 : | Ligne 849 : | ||
; on le devient lorsqu'on pousse le cri du coeur des possédés : « Je suis comme ça, | ; on le devient lorsqu'on pousse le cri du coeur des possédés : « Je suis comme ça, | ||
je ne saurais être autrement, et qu'on applique à un but sacré un zèle sacré. | je ne saurais être autrement, et qu'on applique à un but sacré un zèle sacré. | ||
Je ne suis pas désintéressé tant que mon but reste à moi et que je le laisse perpétuellement | Je ne suis pas désintéressé tant que mon but reste à moi et que je le laisse perpétuellement | ||
en question au lieu de me faire l'instrument aveugle de son | en question au lieu de me faire l'instrument aveugle de son accomplissement. Je peux ne pas déployer pour cela moins de zèle que le fanatique, mais tout | ||
mon zèle me laisse, en face de mon but, froid, calculateur, incroyant et hostile ; je | mon zèle me laisse, en face de mon but, froid, calculateur, incroyant et hostile ; je | ||
reste son juge, parce que je suis son propriétaire. | reste son juge, parce que je suis son propriétaire. | ||
Le désintéressement pullule là où règne la « possession », aussi bien sur les possessions | Le désintéressement pullule là où règne la « possession », aussi bien sur les possessions | ||
du Diable que sur celles du bon Esprit : là, vice, folie, etc.; ici, résignation, | du Diable que sur celles du bon Esprit : là, vice, folie, etc.; ici, résignation, | ||
soumission, etc. | soumission, etc. | ||
Où tourner ses regards sans rencontrer quelque victime du renoncement ? | Où tourner ses regards sans rencontrer quelque victime du renoncement ? | ||
En face de chez moi habite une jeune fille qui depuis tantôt dix ans offre à son | En face de chez moi habite une jeune fille qui depuis tantôt dix ans offre à son | ||
Ligne 857 : | Ligne 864 : | ||
mortelle courbe aujourd'hui son front, et sa jeunesse saigne et meurt lentement sous | mortelle courbe aujourd'hui son front, et sa jeunesse saigne et meurt lentement sous | ||
ses joues pâles. | ses joues pâles. | ||
Pauvre enfant, que de fois les passions ont dû frapper à ton coeur, et réclamer pour | Pauvre enfant, que de fois les passions ont dû frapper à ton coeur, et réclamer pour | ||
ton printemps une part de soleil et de joie ! Quand tu posais ta tête sur l'oreiller, | ton printemps une part de soleil et de joie ! Quand tu posais ta tête sur l'oreiller, | ||
Ligne 862 : | Ligne 870 : | ||
dans tes artères! Toi seule le sais, et toi seule pourrais dire les ardentes rêveries qui | dans tes artères! Toi seule le sais, et toi seule pourrais dire les ardentes rêveries qui | ||
faisaient s'allumer dans tes yeux la flamme du désir. | faisaient s'allumer dans tes yeux la flamme du désir. | ||
Mais, soudain, à ton chevet se dressait un fantôme : l'Âme, le salut éternel ! | Mais, soudain, à ton chevet se dressait un fantôme : l'Âme, le salut éternel ! | ||
Effrayée, tu joignais les mains, tu levais vers le ciel ton regard éploré, tu — priais. | Effrayée, tu joignais les mains, tu levais vers le ciel ton regard éploré, tu — priais. | ||
Le tumulte de la nature s'apaisait et le calme immense de la mer s'appesantissait sur | Le tumulte de la nature s'apaisait et le calme immense de la mer s'appesantissait sur | ||
Ligne 870 : | Ligne 880 : | ||
et — l'âme était en repos. Tu t'endormais, et le lendemain c'étaient de nouveaux combats | et — l'âme était en repos. Tu t'endormais, et le lendemain c'étaient de nouveaux combats | ||
et — une nouvelle prière. | et — une nouvelle prière. | ||
Aujourd'hui, l'habitude du renoncement a glacé l'ardeur de tes désirs et les rosés | Aujourd'hui, l'habitude du renoncement a glacé l'ardeur de tes désirs et les rosés | ||
de ton printemps pâlissent au vent desséchant de ta félicité future. L'âme est sauve, le | de ton printemps pâlissent au vent desséchant de ta félicité future. L'âme est sauve, le | ||
Ligne 875 : | Ligne 886 : | ||
sagesse ! Une grisette, libre et joyeuse, pour mille vieilles filles blanchies dans la | sagesse ! Une grisette, libre et joyeuse, pour mille vieilles filles blanchies dans la | ||
vertu ! | vertu ! | ||
« Axiome, principe, point d'appui moral, autres formes sous lesquelles s'exprime | « Axiome, principe, point d'appui moral, autres formes sous lesquelles s'exprime | ||
l'idée fixe. | l'idée fixe. | ||
Archimède demandait, pour soulever la terre, un point d'appui en dehors d'elle. | Archimède demandait, pour soulever la terre, un point d'appui en dehors d'elle. | ||
C'est ce point d'appui que les hommes ont sans cesse cherché et que chacun a pris où | C'est ce point d'appui que les hommes ont sans cesse cherché et que chacun a pris où | ||
Ligne 884 : | Ligne 897 : | ||
le monde des idées, des pensées, des concepts, des essences, etc., c'est le Ciel. C'est | le monde des idées, des pensées, des concepts, des essences, etc., c'est le Ciel. C'est | ||
sur le ciel qu'on s'appuie pour ébranler la terre, et c'est du ciel qu'on se penche pour | sur le ciel qu'on s'appuie pour ébranler la terre, et c'est du ciel qu'on se penche pour | ||
contempler les agitations terrestres et — les mépriser. S'assurer le ciel, s'assurer | contempler les agitations terrestres et — les mépriser. S'assurer le ciel, s'assurer | ||
solidement et pour toujours le point d'appui céleste, combien a peiné pour cela la | solidement et pour toujours le point d'appui céleste, combien a peiné pour cela la | ||
douloureuse et inlassable humanité ! | douloureuse et inlassable humanité ! | ||
Le Christianisme s'est proposé de nous délivrer du déterminisme de la nature et de | Le Christianisme s'est proposé de nous délivrer du déterminisme de la nature et de | ||
la fatalité des appétits, Son but était donc que l'homme ne se laissât plus déterminer | la fatalité des appétits, Son but était donc que l'homme ne se laissât plus déterminer | ||
Ligne 893 : | Ligne 906 : | ||
désirs, de passions, etc., mais qu'il ne doit pas se laisser posséder par eux, qu'ils ne | désirs, de passions, etc., mais qu'il ne doit pas se laisser posséder par eux, qu'ils ne | ||
doivent pas être dans sa vie des facteurs fixes, incoercibles et inéluctables. | doivent pas être dans sa vie des facteurs fixes, incoercibles et inéluctables. | ||
Mais ce que le Christianisme (la Religion) a machiné contre les appétits, ne | Mais ce que le Christianisme (la Religion) a machiné contre les appétits, ne | ||
serions-nous pas en droit de le retourner contre l'Esprit (pensées, représentations, | serions-nous pas en droit de le retourner contre l'Esprit (pensées, représentations, | ||
Ligne 900 : | Ligne 914 : | ||
aurait pour effet de nous affranchir de l'Esprit, de nous délier du joug des représentations | aurait pour effet de nous affranchir de l'Esprit, de nous délier du joug des représentations | ||
et des idées. | et des idées. | ||
Le Christianisme disait : « Nous devons bien posséder des appétits, mais ces | Le Christianisme disait : « Nous devons bien posséder des appétits, mais ces | ||
appétits ne doivent pas nous posséder. » Nous lui répondons : « Nous devons bien | appétits ne doivent pas nous posséder. » Nous lui répondons : « Nous devons bien |
modifications