Nous voyons à présent à quel point la punition des crimes est une chose simple, facile, et raisonnable pour un gouvernement, en comparaison avec la punition des vices. Les crimes sont rares, et facilement discernables de tous les autres actes ; et les hommes sont généralement d'accord pour déterminer quels actes sont des crimes. Tandis que les vices sont innombrables ; et il n'y a pas deux personnes du même avis, à quelqes rares cas près, sur la définition des vices. De plus, tout le monde souhaite être protégé, pour sa personne et ses biens, contre les agressions des autres hommes. Mais personne ne souhaite être protégé, que ce soit pour sa personne ou ses biens, contre lui-même ; parce qu'il est contraire aux lois fondamentales de la nature même de l'homme que de vouloir se faire du mal. Il ne veut que promouvoir son propre bonheur, et être son propre juge pour déterminer ce qui encouragera, et ce qui encourage, son propre bonheur. Et c'est ce que veut tout le monde, et ce à quoi tout le monde a droit, en tant qu'être humain. Bien que nous fassions tous de nombreuses erreurs, et que nous devons nécessairement les faire de par l'imperfection de notre connaissance, ces erreurs ne peuvent pas être sanctionnées légalement ; parce qu'elles tendent toutes à nous apporter la connaissance dont nous avons besoin, et que nous recherchons, et que nous ne pouvons atteindre d'aucune autre manière.
Ce qui est visé par la punition des crimes, par conséquent, n'est pas seulement tout à fait différent de ce qui est visé par la punition des vices, mais y est directement opposé.
Ce qui est visé par la punition des crimes est d'assurer, pour chacun comme pour tous de la même manière, la liberté la plus complète qu'il puisse espérer - sans enfreindre les droits équivalents des autres - de chercher son propre bonheur, conseillé par son propre jugement, et usant de ses propres biens. D'un autre côté, ce qui est visé par la punition des vices, est de priver chaque homme de son droit et de sa liberté naturels de poursuivre son propre bonheur, conseillé par son propre jugement, et usant de ses propres biens.
Ainsi, les deux choses visées sont directement opposées l'une à l'autre. Elles sont autant directement opposées l'une à l'autre que le sont la lumière et l'obscurité, ou la verité et le mensonge, ou la liberté et l'esclavage. Elles sont totalement incompatibles l'une avec l'autre ; et vouloir supposer que les deux soient réunies en une seule par un même gouvernement est une absurdité. Cela équivaut à supposer qu'un gouvernement cherche à commettre des crimes, et à empêcher des crimes ; à détruire la liberté individuelle, et à assurer la liberté individuelle.