Il est rare, mais il n'est pas sans exemple de voir un citoyen faire les frais d'une consommation publique. Un hôpital fondé par lui, une route percée, un jardin public planté sur son terrain et à ses dépens, ne sont pas des munificences inconnues. Elles étaient beaucoup plus communes, mais bien moins méritoires chez les anciens. Leurs richesses étaient plus souvent le fruit des rapines exercées sur leurs concitoyens et sur leurs ennemis ; et les dépouilles mêmes des ennemis n'avaient-elles pas été gagnées au prix du sang des citoyens ? Chez les modernes, quoique de pareils excès ne soient pas sans exemples, les richesses des particuliers sont bien plus généralement le fruit de leur industrie et de leurs épargnes. En Angleterre, où il y a tant d'établissements fondés et entretenus aux dépens des particuliers, la plupart des fortunes qui les soutiennent sont nées de l'industrie. Il y a bien plus de générosité à donner des biens amassés avec peine et augmentés par des privations, qu'à répandre ceux dont on ne doit rendre grâce qu'à sa bonne fortune, ou tout au plus à quelques instants d'audace.
Une autre partie des consommations publiques chez les Romains se faisait immédiatement aux dépens des peuples vaincus. On leur imposait des tributs que les Romains consommaient.
Chez la plupart des nations modernes, le public est propriétaire, soit la nation tout entière, soit les villes, bourgs et villages en particulier, de domaines que l'autorité publique loue ou administre au nom de la communauté.
En France, les terres labourables et les usines appartenant au public, sont en général louées à des particuliers ; les forêts nationales sont administrées par les agents du gouvernement. Les produits annuels de tous ces biens fournissent à une partie importante des consommations publiques.
Mais la majeure partie de ces consommations est payée avec le produit des contributions fournies par les citoyens ou sujets. Ils contribuent tantôt comme membres de tout l'État, et leur contribution se verse dans le trésor public, où se puisent les dépenses qu regardent l'État tout entier ; tantôt comme membres d'une province ou d'une commune, et leur contribution se verse dans la caisse provinciale ou communale, où se puisent les dépenses qui ne regardent que la province ou la commune.
Si l'équité commande que les consommations soient payées par ceux qui en jouissent, les pays les mieux administrés sous ce rapport, sont ceux où chaque classe de citoyens supporte les frais des consommations publiques, proportionnellement à l'avantage qu'elle en retire.
La société tout entière jouit des bienfaits de l'administration centrale, ou, si l'on veut, du gouvernement ; elle jouit de même tout entière de la protection des forces militaires ; car une province a beau être à l'abri de toute invasion, si l'ennemi s'empare du chef-lieu, du lieu, d'où l'on domine nécessairement sur tous les autres, il pourra imposer des lois aux provinces même qu'il n'aura pas envahies, et disposera de la vie et des biens de ceux mêmes qui n'auront jamais vu ses soldats. Par une suite nécessaire, les dépenses des places fortes, des ports militaires, des agents extérieurs de l'État, sont de nature à être supportées par la société tout entière.
L'administration de la justice paraît devoir être rangée dans la classe des dépenses générales, quoiqu'elle présente une protection, un avantage plus local. Un tribunal de Bordeaux qui saisit et qui juge un malfaiteur, ne travaille-t-il pas pour la sûreté de la France tout entière ? Les frais de prisons, de prétoires, suivent ceux des tribunaux.
Smith veut que la justice civile soit payée par les plaideurs. Cette idée deviendrait plus praticable encore, si tous les jugements étaient rendus, non par des tribunaux nommés d'office, mais par des arbitres choisis par les parties, entre un certain nombre d'hommes désignés à la confiance publique. Si ces arbitres, qui feraient toujours l'office d'un jury d'équité, étaient payés proportionnellement à la somme disputée, et sans égard à la durée de l'instruction, ils seraient intéressés à simplifier, à abréger les procès, pour épargner leur temps et leurs peines, et à juger équitablement pour avoir de l'occupation.
Une province, une commune, paraissent jouir seules des avantages que leur procurent leur administration locale et les établissements d'utilité, d'agrément, d'instruction et de bienfaisance, qui sont à l'usage de cette portion de la société. Il convient donc que les dépenses de toutes ces choses soient à leur charge, et elles sont ainsi dans beaucoup de pays. Sans doute le pays tout entier, retire bien quelque avantage de l'administration d'une de ses provinces ; un étranger à une ville est à la vérité admis dans ses lieux publics, dans ses bibliothèques, dans ses écoles, dans ses promenades, dans ses hôpitaux ; mais on ne peut nier que ce ne soient pourtant les gens du canton qui jouissent principalement de tous ces avantages.
Il y a une très grande économie à laisser l'administration des recettes et des dépenses locales aux autorités locales, surtout dans les pays où les administrateurs sont à la nomination des administrés.
Quand les dépenses se font sous les yeux des personnes aux frais de qui elles ont lieu, et pour leur avantage, il se perd moins d'argent ; les dépenses sont mieux appropriées aux besoins. Si vous traversez un bourg, une ville, mal pavés et malpropres, si vous voyez un canal mal entretenu, ou un port qui se comble, vous pouvez en conclure le plus souvent que l'autorité qui administre les fonds levés pour ces dépenses, ne réside pas sur les lieux et n'est pas choisie par les habitants.
C'est un avantage des petites nations sur les grandes.
Elles jouissent mieux et à moins de frais de toutes les choses d'utilité ou d'agrément public, parce qu'elles voient de plus près si les frais qu'elles font pour un objet, y sont fidèlement appliqués.