Différences entre les versions de « Franz Oppenheimer:L'Etat, son origines, son évolution et son avenir - Partie I : L'origine de l'Etat »

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Il s'agit de la première étape dans la formation des Etats. L'état peut rester à ce stade pendant des siècles, pendant mille ans. En voici un exemple caractéristique :
Il s'agit de la première étape dans la formation des Etats. L'état peut rester à ce stade pendant des siècles, pendant mille ans. En voici un exemple caractéristique :


« Chaque ancienne tribu turkmène était bordée d'une large bande que l'on pourrait appeler sa « zone de pillage ». Le Nord et l'Est du Khorasan{{ref|47}}, bien que théoriquement sous domination perse, était depuis des décennies bien plus sous le joug des Turkmènes, des Yomoutes, des Goeuklans, et d'autres tribus des plaines limitrophes, que des Perses. Les Tekinzes, d'une manière similaire, ont pillé toutes les tribus, de Khivay à Boukharaz, jusqu'à ce qu'elles furent rassemblées à d'autres tribus turkmènes, par la force ou par la corruption, afin d'agir comme un tampon. D'innombrables autres exemples peuvent être trouvés dans l'histoire de cette « région des oasis », qui traverse l'Asie d'Est en Ouest, en passant par ses steppes centrales, où depuis l'antiquité, les Chinois ont exercé une influence prépondérante par leur possession de tous les centres stratégiques importants, tels que l'Oasis de Chami.  Les nomades, qui perçaient au Nord comme au Sud, ont toujours essayé de s'installer sur ces îles aux terres fertiles, qui leur sont probablement apparues comme des Îles bénies. Et chaque horde, les bras chargés de butin ou s'enfuyant après une défaite, était protégée par les plaines. Bien que les menaces les plus immédiates ont été évitées par l'affaiblissement continu des Mongols, et la domination réelle du Tibet, la dernière insurrection des Dounganesaa a montré avec quelle facilité les vagues d'une tribu mobile se sont brisées sur ces îles de la civilisation. Ce n'est qu'après la destruction des nomades, chose impossible aussi longtemps que les grandes plaines d'Asie centrale étaient ouvertes, que leur existence a pu être définitivement garantie. »
« Chaque ancienne tribu turkmène était bordée d'une large bande que l'on pourrait appeler sa « zone de pillage ». Le Nord et l'Est du Khorasan{{ref|47}}, bien que théoriquement sous domination perse, était depuis des décennies bien plus sous le joug des Turkmènes, des Yomoutes, des Goeuklans, et d'autres tribus des plaines limitrophes, que des Perses. Les Tekinzes, d'une manière similaire, ont pillé toutes les tribus, de Khiva{{ref|48}} à Boukhara{{ref|49}}, jusqu'à ce qu'elles furent rassemblées à d'autres tribus turkmènes, par la force ou par la corruption, afin d'agir comme un tampon. D'innombrables autres exemples peuvent être trouvés dans l'histoire de cette « région des oasis », qui traverse l'Asie d'Est en Ouest, en passant par ses steppes centrales, où depuis l'antiquité, les Chinois ont exercé une influence prépondérante par leur possession de tous les centres stratégiques importants, tels que l'Oasis de Chami.  Les nomades, qui perçaient au Nord comme au Sud, ont toujours essayé de s'installer sur ces îles aux terres fertiles, qui leur sont probablement apparues comme des Îles bénies. Et chaque horde, les bras chargés de butin ou s'enfuyant après une défaite, était protégée par les plaines. Bien que les menaces les plus immédiates ont été évitées par l'affaiblissement continu des Mongols, et la domination réelle du Tibet, la dernière insurrection des Dounganes{{ref|50}} a montré avec quelle facilité les vagues d'une tribu mobile se sont brisées sur ces îles de la civilisation. Ce n'est qu'après la destruction des nomades, chose impossible aussi longtemps que les grandes plaines d'Asie centrale étaient ouvertes, que leur existence a pu être définitivement garantie. »


Toute l'histoire de l'ancien monde est rempli de cas bien connu d'expéditions de masse, ce qui doit être attribué à la première étape du développement de l'Etat, dans la mesure où l'intention des nomades n'était pas la conquête, mais le pillage. L'Europe de l'Ouest a subi ces expéditions diligentées par les Celtes, les Germains, les Huns, les Avars, les Arabes, les Magyars, les Tatars, les Mongols et les Turcs sur terre ; par les Vikings et les Sarrasins sur les cours d'eau.   
Toute l'histoire de l'ancien monde est rempli de cas bien connu d'expéditions de masse, ce qui doit être attribué à la première étape du développement de l'Etat, dans la mesure où l'intention des nomades n'était pas la conquête, mais le pillage. L'Europe de l'Ouest a subi ces expéditions diligentées par les Celtes, les Germains, les Huns, les Avars, les Arabes, les Magyars, les Tatars, les Mongols et les Turcs sur terre ; par les Vikings et les Sarrasins sur les cours d'eau.   
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Ces hordes ont inondé des continents entiers, bien au-delà des limites de leur terrain de pillage habituel. Elles ont disparu, ont réapparu, ont été absorbées, et n'ont laissé derrière elles que des terres abandonnées. Dans de nombreux cas, cependant, elles aboutirent, dans une partie du territoire envahi, directement à la dernière et sixième étape de la formation de l'État, où elles établirent une domination permanente sur la population paysanne. Ratzel décrit de manière éclairante ces migrations de masse dans ce passage :
Ces hordes ont inondé des continents entiers, bien au-delà des limites de leur terrain de pillage habituel. Elles ont disparu, ont réapparu, ont été absorbées, et n'ont laissé derrière elles que des terres abandonnées. Dans de nombreux cas, cependant, elles aboutirent, dans une partie du territoire envahi, directement à la dernière et sixième étape de la formation de l'État, où elles établirent une domination permanente sur la population paysanne. Ratzel décrit de manière éclairante ces migrations de masse dans ce passage :


Les expéditions des grandes hordes de nomades contrastent avec ce mouvement, constitué au goutte à goutte et étape par étape, car elles débordent d'une énorme puissance, en particulier en Asie centrale et dans tous les pays voisins. Les nomades de ce secteur, comme de l'Arabie et de l'Afrique du Nord, conjuguèrent la mobilité de leur mode de vie à l'allégeance à une société holiste qui considérait toute leur masse comme un seul corps. Il semble être caractéristique des nomades que de développer facilement un pouvoir despotique et de grande envergure, au bénéfice de la cohésion de la tribu patriarcale. Des gouvernements de masse ont ainsi vu le jour, et nous pouvons les comparer avec d'autres mouvements constitués chez les hommes de la même manière que les fleuves peuvent être comparés au flux constant mais diffus d'un affluent. L'histoire de la Chine, de l'Inde et la Perse, non moins que celle de l'Europe, témoigne de leur importance historique. Comme ils se déplaçaient sur leurs marges avec leurs femmes et leurs enfants, leurs esclaves et leurs charrettes, leurs troupeaux et tout leur matériel, ils ont inondé toute les régions frontalières. Bien que ce lest peut les avoir privés de vitesse, il a augmenté leur élan. Les habitants, effrayés, fuyèrent devant eux, et comme une vague, ils ont roulé sur un pays conquis, absorbant leur richesse. Comme ils emportaient tout avec eux, leurs nouvelles demeures ont été équipées de toutes leurs possessions, et donc leurs établissements définitifs ont été d'une importance ethnographique. C'est en procédant de cette manière que les Magyars ont absorbé la Hongrie, que les Mandchous envahirent la Chine, et les Turcs, les pays de la Perse à l'Adriatique.
« Les expéditions des grandes hordes de nomades contrastent avec ce mouvement, constitué au goutte à goutte et étape par étape, car elles débordent d'une énorme puissance, en particulier en Asie centrale et dans tous les pays voisins. Les nomades de ce secteur, comme de l'Arabie et de l'Afrique du Nord, conjuguèrent la mobilité de leur mode de vie à l'allégeance à une société holiste qui considérait toute leur masse comme un seul corps. Il semble être caractéristique des nomades que de développer facilement un pouvoir despotique et de grande envergure, au bénéfice de la cohésion de la tribu patriarcale. Des gouvernements de masse ont ainsi vu le jour, et nous pouvons les comparer avec d'autres mouvements constitués chez les hommes de la même manière que les fleuves peuvent être comparés au flux constant mais diffus d'un affluent. L'histoire de la Chine, de l'Inde et la Perse, non moins que celle de l'Europe, témoigne de leur importance historique. Comme ils se déplaçaient sur leurs marges avec leurs femmes et leurs enfants, leurs esclaves et leurs charrettes, leurs troupeaux et tout leur matériel, ils ont inondé toute les régions frontalières. Bien que ce lest peut les avoir privés de vitesse, il a augmenté leur élan. Les habitants, effrayés, fuyèrent devant eux, et comme une vague, ils ont roulé sur un pays conquis, absorbant leur richesse. Comme ils emportaient tout avec eux, leurs nouvelles demeures ont été équipées de toutes leurs possessions, et donc leurs établissements définitifs ont été d'une importance ethnographique. C'est en procédant de cette manière que les Magyars ont absorbé la Hongrie, que les Mandchous envahirent la Chine, et les Turcs, les pays de la Perse à l'Adriatique. »


Ce qui a été dit ici des Hamites, des Sémitesab, et des Mongols, pourrait être dit aussi, au moins en partie, des tribus aryennes de pasteurs. Cette logique s'applique également aux tribus nègres originelles, au moins à celles qui vivent entièrement de leur cheptel : les mobiles et belliqueuses tribus des Cafresac possèdent une puissance d'expansion qui n'a besoin que d'un seul but attrayant pour réaliser des effets violents et renverser la composition ethnologique de vastes zones. L'Afrique de l'Est offre un tel objet. Ici le climat n'a pas interdit l'élevage, comme dans les pays de l'intérieur, et ne paralyse pas dès le départ, la puissance de l'impact des nomades, tandis que de nombreuses et paisibles populations agricoles trouvent place pour leur propre développement. Des tribus errantes de Cafres se déversèrent tels des flux dévastateurs sur les terres fécondes du Zambèze, et jusqu'aux hauts plateaux situés entre le Tanganyika et la côte. Là, ils rencontrèrent l'avant-garde des Tutsis, d'origine hamite, venant du nord. Les anciens habitants de ces régions ont été soit exterminés, soit employés comme serfs, cultivant des terres qui autrefois leur appartenaient, ou bien ils continuèrent à combattre, ou bien enfin, ils restèrent tenus à l'écart du flux des conquêtes, dans des colonies fermées.
Ce qui a été dit ici des Hamites, des Sémites{{ref|51}}, et des Mongols, pourrait être dit aussi, au moins en partie, des tribus aryennes de pasteurs. Cette logique s'applique également aux tribus nègres originelles, au moins à celles qui vivent entièrement de leur cheptel : les mobiles et belliqueuses tribus des Cafresac possèdent une puissance d'expansion qui n'a besoin que d'un seul but attrayant pour réaliser des effets violents et renverser la composition ethnologique de vastes zones. L'Afrique de l'Est offre un tel objet. Ici le climat n'a pas interdit l'élevage, comme dans les pays de l'intérieur, et ne paralyse pas dès le départ, la puissance de l'impact des nomades, tandis que de nombreuses et paisibles populations agricoles trouvent place pour leur propre développement. Des tribus errantes de Cafres se déversèrent tels des flux dévastateurs sur les terres fécondes du Zambèze, et jusqu'aux hauts plateaux situés entre le Tanganyika et la côte. Là, ils rencontrèrent l'avant-garde des Tutsis, d'origine hamite, venant du nord. Les anciens habitants de ces régions ont été soit exterminés, soit employés comme serfs, cultivant des terres qui autrefois leur appartenaient, ou bien ils continuèrent à combattre, ou bien enfin, ils restèrent tenus à l'écart du flux des conquêtes, dans des colonies fermées.


Tout cela a pris place sous nos yeux. Certaines de ces évolutions sont toujours en cours. Pendant des milliers d'années, elles ont « constitué le socle de toute l'Afrique de l'Est, du Zambèze à la Méditerranée. » L'incursion des Hyksôsad, par laquelle, pendant plus de cinq cents ans, l'Égypte a été soumise à des tribus pastorales des déserts orientaux et septentrionnaux – « frères des peuples qui, jusqu'à nos jours, font vivre leur troupeau entre le Nil et la mer Rouge » – est la première fondation authentique d'un Etat. Ces états ont été suivis par beaucoup d'autres, aussi bien dans la région du Nil elle-même, que, plus loin vers le sud, jusqu'à l'Empire des Muata Jamvo sur la rive sud du Congo, comme l'attestent les commerçants portugais situés en Angola dès la fin des XVIème siècle, et plus bas jusqu'à l'Empire de l'Ouganda, qui n'a succombé à l'organisation militaire de l'Europe que de nos jours. « Les terres et civilisation du désert ne vivent jamais pacifiquement côte à côte, mais leurs batailles sont semblables et pleine de répétitions. »
Tout cela a pris place sous nos yeux. Certaines de ces évolutions sont toujours en cours. Pendant des milliers d'années, elles ont « constitué le socle de toute l'Afrique de l'Est, du Zambèze à la Méditerranée. » L'incursion des Hyksôsad, par laquelle, pendant plus de cinq cents ans, l'Égypte a été soumise à des tribus pastorales des déserts orientaux et septentrionnaux – « frères des peuples qui, jusqu'à nos jours, font vivre leur troupeau entre le Nil et la mer Rouge » – est la première fondation authentique d'un Etat. Ces états ont été suivis par beaucoup d'autres, aussi bien dans la région du Nil elle-même, que, plus loin vers le sud, jusqu'à l'Empire des Muata Jamvo sur la rive sud du Congo, comme l'attestent les commerçants portugais situés en Angola dès la fin des XVIème siècle, et plus bas jusqu'à l'Empire de l'Ouganda, qui n'a succombé à l'organisation militaire de l'Europe que de nos jours. « Les terres et civilisation du désert ne vivent jamais pacifiquement côte à côte, mais leurs batailles sont semblables et pleine de répétitions. »
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# {{note|45}}Les Rajputs - fils de prince, de râja (prince) et putra (fils) - forment la majorité des habitants du Rajasthan, autrefois le Râjputâna, et une partie de celle du Goujerat.
# {{note|45}}Les Rajputs - fils de prince, de râja (prince) et putra (fils) - forment la majorité des habitants du Rajasthan, autrefois le Râjputâna, et une partie de celle du Goujerat.
# {{note|46}}Id., 1, ch. II, p. 370.
# {{note|46}}Id., 1, ch. II, p. 370.
# {{note|47}}Le Khorassan (خراسان en farsi, également orthographié Khorasan, Chorasan ou Khurasan) est une région située dans le nord-est de l'Iran. Le nom vient du persan et signifie « d'où vient le soleil ». Il a été donné à la partie orientale de l'empire sassanide  
# {{note|47}}Le Khorassan (خراسان en farsi, également orthographié Khorasan, Chorasan ou Khurasan) est une région située dans le nord-est de l'Iran. Le nom vient du persan et signifie « d'où vient le soleil ». Il a été donné à la partie orientale de l'empire sassanide.
# {{note|48}}Khiva (Xiva en ouzbek) est une ville d'Ouzbékistan, située au nord-ouest de ce pays.
# {{note|49}}Boukhara (en ouzbek : Бухoрo, Buxoro ; en russe : Бухара ; en turc : Buhara ; en persan : بُخارا) est une ville d'Ouzbékistan, située au centre-sud du pays.
# {{note|50}}Les Dounganes ou Doumganes (en sinogrammes traditionnels 東干族; en pinyin Dōnggānzú ; russe : Дунгане) sont un peuple situé en territoire de l'ancienne Union soviétique, d'origine et de langue chinoise ou turque, et de religion musulmane, originaires de l'ouest de la Chine (région autonome duXinjiang).
# {{note|51}}Le mot Sémite provient du nom propre Sem(en hébreu שֵׁם,šem) désignant un des fils de Noé : les Sémites sont l'ensemble des peuples utilisant ou ayant utilisé les langues sémitiques.
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