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{{titre|L’Unique et sa propriété|[[Max Stirner]]<br><small>(1845)</small>|§ 2. Les Possédés}} | {{titre|L’Unique et sa propriété|[[Max Stirner]]<br><small>(1845)</small>|§ 2. Les Possédés}} | ||
<div class="text"> | |||
As-tu déjà vu un Esprit ? — Moi? non, mais ma grand-mère en a vu. — C'est | As-tu déjà vu un Esprit ? — Moi? non, mais ma grand-mère en a vu. — C'est | ||
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cesse dans les jambes ; et, par respect pour le témoignage de nos grands-mères, nous | cesse dans les jambes ; et, par respect pour le témoignage de nos grands-mères, nous | ||
croyons à l'existence des esprits. | croyons à l'existence des esprits. | ||
Mais n'avions-nous pas aussi des grands-pères, et ne haussaient-ils pas les épaules | Mais n'avions-nous pas aussi des grands-pères, et ne haussaient-ils pas les épaules | ||
chaque fois que nos grands-mères entamaient leurs histoires de revenants? Hélas! oui, | chaque fois que nos grands-mères entamaient leurs histoires de revenants? Hélas! oui, | ||
c'étaient des incrédules et ils ont fait grand tort à notre bonne religion, tous ces | c'étaient des incrédules et ils ont fait grand tort à notre bonne religion, tous ces | ||
philosophes. ! Nous le verrons bien par la suite ! | philosophes. ! Nous le verrons bien par la suite ! | ||
Qu'y a-t-il au fond de cette foi profonde dans les revenants, sinon la foi dans | Qu'y a-t-il au fond de cette foi profonde dans les revenants, sinon la foi dans | ||
l'existence d'êtres spirituels en général ? Et la seconde ne serait-elle pas déplorablement | l'existence d'êtres spirituels en général ? Et la seconde ne serait-elle pas déplorablement | ||
ébranlée, s'il était établi que tout homme qui pense doit hausser les épaules | ébranlée, s'il était établi que tout homme qui pense doit hausser les épaules | ||
devant la première? | devant la première? | ||
Les Romantiques, sentant combien l'abandon de la croyance aux esprits ou revenants | Les Romantiques, sentant combien l'abandon de la croyance aux esprits ou revenants | ||
compromettrait la croyance en Dieu même, s'efforcèrent de conjurer cette | compromettrait la croyance en Dieu même, s'efforcèrent de conjurer cette | ||
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des légendes, mais ils finirent par exploiter le « monde supérieur » avec leurs | des légendes, mais ils finirent par exploiter le « monde supérieur » avec leurs | ||
somnambules, leurs voyantes, etc. | somnambules, leurs voyantes, etc. | ||
Les bons croyants et les Pères de l'Église ne soupçonnaient guère que, la croyance | Les bons croyants et les Pères de l'Église ne soupçonnaient guère que, la croyance | ||
aux revenants s'effondrant, c’était le sol même qui se dérobait sous la Religion, | aux revenants s'effondrant, c’était le sol même qui se dérobait sous la Religion, | ||
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qu'il ne se cache derrière les choses aucun être à part, aucun revenant, ou (pour employer | qu'il ne se cache derrière les choses aucun être à part, aucun revenant, ou (pour employer | ||
un mot dont on a naïvement fait un synonyme de ce dernier) — aucun Esprit. | un mot dont on a naïvement fait un synonyme de ce dernier) — aucun Esprit. | ||
« Mais il existe des Esprits! » Contemple le monde qui t'entoure, et dis-moi si | « Mais il existe des Esprits! » Contemple le monde qui t'entoure, et dis-moi si | ||
derrière toute chose ne t'apparaît pas un Esprit. La fleur, l'humble fleur te dit l'Esprit | derrière toute chose ne t'apparaît pas un Esprit. La fleur, l'humble fleur te dit l'Esprit | ||
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d'Esprits. Que les montagnes s'affaissent, que le monde des étoiles tombe en poussière, | d'Esprits. Que les montagnes s'affaissent, que le monde des étoiles tombe en poussière, | ||
que les fleurs se flétrissent et que meurent les hommes, que survit-il à la ruine | que les fleurs se flétrissent et que meurent les hommes, que survit-il à la ruine | ||
de ces corps visibles? L'Esprit, invisible, éternel ! Oui, tout dans ce monde est hanté! | de ces corps visibles? L'Esprit, invisible, éternel ! Oui, tout dans ce monde est hanté! | ||
Que dis-je? Ce monde lui-même est hanté ; masque décevant, il est la forme errante | Que dis-je? Ce monde lui-même est hanté ; masque décevant, il est la forme errante | ||
d'un Esprit, il est un fantôme. | d'un Esprit, il est un fantôme. | ||
Qu'est-ce qu'un fantôme, sinon un corps apparent, mais un Esprit réel ? Tel est le | Qu'est-ce qu'un fantôme, sinon un corps apparent, mais un Esprit réel ? Tel est le | ||
monde, « vain », « nul », illusoire apparence sans autre réalité que l'Esprit, dont il est | monde, « vain », « nul », illusoire apparence sans autre réalité que l'Esprit, dont il est | ||
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que le reflet de l'Esprit qui l'habite, une apparition spectrale ; le monde entier n'est | que le reflet de l'Esprit qui l'habite, une apparition spectrale ; le monde entier n'est | ||
qu'une fantasmagorie derrière la quelle s’agite l’Esprit. Tu « vois des Esprits ». | qu'une fantasmagorie derrière la quelle s’agite l’Esprit. Tu « vois des Esprits ». | ||
Vas-tu peut-être le comparer aux Anciens, qui voyaient : partout des dieux ? Les | Vas-tu peut-être le comparer aux Anciens, qui voyaient : partout des dieux ? Les | ||
dieux, mon cher Moderne, ne sont pas des Esprits ; les dieux ne réduisent pas le | dieux, mon cher Moderne, ne sont pas des Esprits ; les dieux ne réduisent pas le | ||
monde à n'être qu'une apparence et ne le spiritualisent pas. | monde à n'être qu'une apparence et ne le spiritualisent pas. | ||
À tes yeux, le monde entier est spiritualisé ; il est devenu un énigmatique fantôme; | À tes yeux, le monde entier est spiritualisé ; il est devenu un énigmatique fantôme; | ||
aussi ne songes-tu même plus à t'étonner de ne trouver en toi qu'un fantôme. Ton | aussi ne songes-tu même plus à t'étonner de ne trouver en toi qu'un fantôme. Ton | ||
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sommes-nous point tous des spectres, de pauvres êtres tourmentés qui attendent la | sommes-nous point tous des spectres, de pauvres êtres tourmentés qui attendent la | ||
« délivrance »? Ne sommes-nous pas des « Esprits »? | « délivrance »? Ne sommes-nous pas des « Esprits »? | ||
Depuis que l'Esprit a paru dans le monde, depuis que « le Verbe s'est fait chair », | Depuis que l'Esprit a paru dans le monde, depuis que « le Verbe s'est fait chair », | ||
ce monde spiritualisé et livré aux enchantements n'est plus qu'une maison hantée. | ce monde spiritualisé et livré aux enchantements n'est plus qu'une maison hantée. | ||
Tu as un esprit, car tu as des pensées. Mais que sont ces pensées ? — Des êtres | Tu as un esprit, car tu as des pensées. Mais que sont ces pensées ? — Des êtres | ||
spirituels. — Elles ne sont donc point des choses ? — Non, mais l'Esprit des choses, | spirituels. — Elles ne sont donc point des choses ? — Non, mais l'Esprit des choses, | ||
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supprimer la Vérité. Je crois à la Vérité et c'est pourquoi je la recherche ; rien ne la | supprimer la Vérité. Je crois à la Vérité et c'est pourquoi je la recherche ; rien ne la | ||
dépasse, elle est éternelle. | dépasse, elle est éternelle. | ||
La vérité est sacrée et éternelle ! Mais toi, qui t'emplis de cette sainteté et en fais | La vérité est sacrée et éternelle ! Mais toi, qui t'emplis de cette sainteté et en fais | ||
ton guide, tu seras toi-même sanctifié. Le Sacré ne se manifeste jamais à tes sens, ce | ton guide, tu seras toi-même sanctifié. Le Sacré ne se manifeste jamais à tes sens, ce | ||
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foi, ou plus exactement à ton Esprit, car il est lui-même quelque chose de spirituel, un | foi, ou plus exactement à ton Esprit, car il est lui-même quelque chose de spirituel, un | ||
Esprit ; il est Esprit pour l'Esprit. | Esprit ; il est Esprit pour l'Esprit. | ||
La notion de sainteté ne se laisse pas extirper aussi facilement que beaucoup | La notion de sainteté ne se laisse pas extirper aussi facilement que beaucoup | ||
semblent le croire, qui se refusent à employer encore ce mot « impropre ». À quelque | semblent le croire, qui se refusent à employer encore ce mot « impropre ». À quelque | ||
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chose de « saint », de « sacré ». Que ce sacro-saint soit d'ailleurs si humain que l'on | chose de « saint », de « sacré ». Que ce sacro-saint soit d'ailleurs si humain que l'on | ||
voudra, qu'il soit l'Humain même, cela ne lui enlève rien de son caractère et fait tout | voudra, qu'il soit l'Humain même, cela ne lui enlève rien de son caractère et fait tout | ||
au plus de ce sacré supra-terrestre un sacré terrestre, de ce sacré divin un sacré | au plus de ce sacré supra-terrestre un sacré terrestre, de ce sacré divin un sacré | ||
humain. | humain. | ||
Rien n'est sacré que pour l'Égoïste qui ne se rend pas compte de son égoïsme, | Rien n'est sacré que pour l'Égoïste qui ne se rend pas compte de son égoïsme, | ||
pour l'Égoïste involontaire. J'appelle ainsi celui qui, incapable de dépasser jamais les | pour l'Égoïste involontaire. J'appelle ainsi celui qui, incapable de dépasser jamais les | ||
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ses peines pour s'affranchir de son moi ne sont qu'un effort mal compris pour affranchir | ses peines pour s'affranchir de son moi ne sont qu'un effort mal compris pour affranchir | ||
son moi. | son moi. | ||
Es-tu lié à ton heure passée? Dois-tu faire aujourd'hui ce que tu fis hier 1 ? Ne | |||
Es-tu lié à ton heure passée? Dois-tu faire aujourd'hui ce que tu fis hier <ref>1 Wie sie klingeln, die Pfaffen, wie angelegen Sie's machen, | |||
Dass man komme, nur ja plappre, wie gestern, so heut. | |||
Scheltet mir nicht die Pfaffen ! Sie kennen des Menschen | |||
[Bedürfniss ; | |||
Denn wie ist er beglückt, plappert er morgen wie heut. | |||
GOETHE (Épigrammes vénitiennes, II).</ref> ? Ne | |||
peux-tu te transformer à chaque instant ? S'il en était ainsi, tu te sentirais enchaîné et | peux-tu te transformer à chaque instant ? S'il en était ainsi, tu te sentirais enchaîné et | ||
paralysé. Mais, à chaque minute de ton existence, une nouvelle minute de l'avenir te | paralysé. Mais, à chaque minute de ton existence, une nouvelle minute de l'avenir te | ||
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involontaire, et c'est pourquoi l' « être supérieur » reste pour toi un étranger. Tout être | involontaire, et c'est pourquoi l' « être supérieur » reste pour toi un étranger. Tout être | ||
supérieur, Vérité, Humanité, etc., est un être au-dessus de nous. | supérieur, Vérité, Humanité, etc., est un être au-dessus de nous. | ||
Il nous est étranger ; c'est là un signe auquel nous reconnaissons ce qui est | Il nous est étranger ; c'est là un signe auquel nous reconnaissons ce qui est | ||
« sacré ». II y a dans tout ce qui est sacré quelque chose d'inconnu, de différent, qui | « sacré ». II y a dans tout ce qui est sacré quelque chose d'inconnu, de différent, qui | ||
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si, au contraire, la figure de l'empereur de Chine m'est sacrée, elle reste étrangère à | si, au contraire, la figure de l'empereur de Chine m'est sacrée, elle reste étrangère à | ||
mes yeux et je les baisse devant lui. | mes yeux et je les baisse devant lui. | ||
Pourquoi une vérité mathématique indiscutable, qu'on pourrait dans le sens usuel | Pourquoi une vérité mathématique indiscutable, qu'on pourrait dans le sens usuel | ||
du mot appeler éternelle, ne m'est-elle pas — sacrée ? Parce qu'elle n'est pas révélée ; | du mot appeler éternelle, ne m'est-elle pas — sacrée ? Parce qu'elle n'est pas révélée ; | ||
elle n'est point la révélation d'un être supérieur. Entendre uniquement par révélées les | elle n'est point la révélation d'un être supérieur. Entendre uniquement par révélées les | ||
« vérités religieuses » serait absolument erroné, ce serait méconnaître complètement | « vérités religieuses » serait absolument erroné, ce serait méconnaître complètement | ||
la valeur du concept « être | la valeur du concept « être supérieur». Les athées tournent en dérision cet être supérieur | ||
auquel on a voué un culte sous le nom d' « être suprême * », et réduisent | auquel on a voué un culte sous le nom d' « être suprême <ref>* En français dans le texte. (Note du Traducteur.)</ref> », et réduisent enpoussière l'une après l'autre toutes les « preuves de son existence », sans remarquer | ||
qu'eux-mêmes obéissent ainsi à leur besoin d'un être supérieur, et qu'ils ne détruisent | qu'eux-mêmes obéissent ainsi à leur besoin d'un être supérieur, et qu'ils ne détruisent | ||
l'ancien que pour faire place à un nouveau. À côté d'un individu humain, l'« Homme » | l'ancien que pour faire place à un nouveau. À côté d'un individu humain, l'« Homme » | ||
n'est-il pas un être supérieur ? Et les Vérités, les Droits, les Idées qui découlent de son | n'est-il pas un être supérieur ? Et les Vérités, les Droits, les Idées qui découlent de son | ||
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même), mais une essence, un être « supérieur », et, pour les athées eux-mêmes, | même), mais une essence, un être « supérieur », et, pour les athées eux-mêmes, | ||
l'essence ou l'Être « suprêmes ». | l'essence ou l'Être « suprêmes ». | ||
De même que les révélations divines ne furent pas écrites de la main de Dieu, | De même que les révélations divines ne furent pas écrites de la main de Dieu, | ||
mais publiées par les « instruments du Seigneur », de même l'Homme ne publie pas | mais publiées par les « instruments du Seigneur », de même l'Homme ne publie pas | ||
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les hommes ». L'Esprit réintègre ainsi sa forme de fantôme et redevient compact et | les hommes ». L'Esprit réintègre ainsi sa forme de fantôme et redevient compact et | ||
populaire à souhait. | populaire à souhait. | ||
Saint donc est l'être suprême, saint est tout ce en quoi il se révèle ou se révélera, et | Saint donc est l'être suprême, saint est tout ce en quoi il se révèle ou se révélera, et | ||
sanctifiés sont ceux qui reconnaissent cet être suprême dans leur propre être, c'est-àdire | sanctifiés sont ceux qui reconnaissent cet être suprême dans leur propre être, c'est-àdire | ||
dans les manifestations de cet être. Ce qui est saint sanctifie en retour son adorateur | dans les manifestations de cet être. Ce qui est saint sanctifie en retour son adorateur; le culte qu'il lui rend le sanctifie et sanctifie ce qu'il fait : un saint commerce, desaintes pensées et de saintes actions, etc. | ||
; le culte qu'il lui rend le sanctifie et sanctifie ce qu'il fait : un saint commerce, | |||
L'objet qui doit être honoré comme l'être suprême ne peut, on le conçoit, être | L'objet qui doit être honoré comme l'être suprême ne peut, on le conçoit, être | ||
discuté avec fruit que pour autant que les contradicteurs les plus acharnés sont | discuté avec fruit que pour autant que les contradicteurs les plus acharnés sont | ||
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serait qu'à ses yeux l'hypothèse d'un être suprême est nulle et que toute contestation à | serait qu'à ses yeux l'hypothèse d'un être suprême est nulle et que toute contestation à | ||
ce propos est un jeu puéril. Que votre être suprême soit le Dieu unique en trois personnes, | ce propos est un jeu puéril. Que votre être suprême soit le Dieu unique en trois personnes, | ||
le Dieu de Luther, l' « Être suprême * » du Déiste, ou qu'il ne soit nullement | le Dieu de Luther, l' « Être suprême <ref>* En français dans le texte. (Note du Traducteur.)</ref> » du Déiste, ou qu'il ne soit nullement | ||
Dieu mais l’ « Homme », c'est tout un pour qui nie l'être suprême lui-même : Vous | Dieu mais l’ « Homme », c'est tout un pour qui nie l'être suprême lui-même : Vous | ||
tous qui servez un Être suprême quel qu'il soit, vous n'êtes que des — gens pieux, | tous qui servez un Être suprême quel qu'il soit, vous n'êtes que des — gens pieux, | ||
l'athée le plus frénétique comme le plus fervent chrétien. | l'athée le plus frénétique comme le plus fervent chrétien. | ||
Dans la sainteté vient au premier rang l'Être suprême, et avec lui notre « sainte | Dans la sainteté vient au premier rang l'Être suprême, et avec lui notre « sainte | ||
croyance ». | croyance ». | ||
LE FANTÔME | == LE FANTÔME == | ||
Avec les revenants nous entrons dans le royaume des esprits, dans le royaume des | Avec les revenants nous entrons dans le royaume des esprits, dans le royaume des | ||
Êtres, des Essences. | Êtres, des Essences. | ||
L'être énigmatique et « incompréhensible » qui hante et trouble l'univers est le | L'être énigmatique et « incompréhensible » qui hante et trouble l'univers est le | ||
fantôme mystérieux que nous nommons être suprême. Pénétrer ce fantôme, le saisir, | fantôme mystérieux que nous nommons être suprême. Pénétrer ce fantôme, le saisir, | ||
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et corporelle. Derrière le monde existant, ils cherchèrent la « chose en soi », l'être, | et corporelle. Derrière le monde existant, ils cherchèrent la « chose en soi », l'être, | ||
l'essence ; derrière la chose, ils cherchèrent la non-chose. | l'essence ; derrière la chose, ils cherchèrent la non-chose. | ||
Qu'on examine à fond le moindre phénomène, qu'on en recherche l'essence, et l'on | Qu'on examine à fond le moindre phénomène, qu'on en recherche l'essence, et l'on | ||
y découvrira souvent tout autre chose que ce qui paraissait à première vue : une | y découvrira souvent tout autre chose que ce qui paraissait à première vue : une | ||
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Et par là même qu'on fait ressortir l'essence, on réduit l'aspect jusqu'alors mal compris | Et par là même qu'on fait ressortir l'essence, on réduit l'aspect jusqu'alors mal compris | ||
à une mensongère apparence. | à une mensongère apparence. | ||
L'essence de ce monde superbe est, pour celui qui en scrute les profondeurs, la — | L'essence de ce monde superbe est, pour celui qui en scrute les profondeurs, la — | ||
vanité. Celui qui est religieux ne s'occupe point de l'apparence trompeuse, des vains | vanité. Celui qui est religieux ne s'occupe point de l'apparence trompeuse, des vains | ||
phénomènes, mais recherche l'essence, et quand il tient cette essence il tient — la | phénomènes, mais recherche l'essence, et quand il tient cette essence il tient — la | ||
Vérité. | Vérité. | ||
Les essences qui se manifestent sous certaines apparences sont les mauvaises | Les essences qui se manifestent sous certaines apparences sont les mauvaises | ||
essences, celles qui se manifestent sous d'autres sont les bonnes. L'essence du sentiment | essences, celles qui se manifestent sous d'autres sont les bonnes. L'essence du sentiment | ||
humain, par exemple, est l'amour, l'essence de la volonté humaine est le bien, | humain, par exemple, est l'amour, l'essence de la volonté humaine est le bien, | ||
celle de la pensée est le vrai, etc. | celle de la pensée est le vrai, etc. | ||
Ce qui passe d'abord pour existant, comme le monde et ce qui s'y rapporte, apparaît | Ce qui passe d'abord pour existant, comme le monde et ce qui s'y rapporte, apparaît | ||
maintenant comme une pure illusion, et ce qui existe vraiment, c'est l'essence, | maintenant comme une pure illusion, et ce qui existe vraiment, c'est l'essence, | ||
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reconnaître que les essences, tel est le propre de la religion ; son royaume est un | reconnaître que les essences, tel est le propre de la religion ; son royaume est un | ||
royaume des essences, des fantômes, des revenants. | royaume des essences, des fantômes, des revenants. | ||
L'effort pour rendre saisissable le fantôme, ou pour réaliser le « non-sens | |||
abouti à produire un fantôme corporel, un fantôme ou un esprit pourvu d'un corps | L'effort pour rendre saisissable le fantôme, ou pour réaliser le « non-sens <ref> « Non-sens » en français dans le texte. (Note du Traducteur.) »</ref> a abouti à produire un fantôme corporel, un fantôme ou un esprit pourvu d'un corps | ||
réel, un fantôme fait chair. Comment les plus puissants génies du christianisme se | réel, un fantôme fait chair. Comment les plus puissants génies du christianisme se | ||
sont mis l'esprit à la torture pour saisir cette apparence fantomatique, chacun le sait; | sont mis l'esprit à la torture pour saisir cette apparence fantomatique, chacun le sait; | ||
mais, en dépit de leurs efforts, la contradiction des deux natures est reste irréductible : | mais, en dépit de leurs efforts, la contradiction des deux natures est reste irréductible : | ||
d'une part la divine, d'autre part l'humaine ; d'une part le fantôme, de l'autre le corps | d'une part la divine, d'autre part l'humaine ; d'une part le fantôme, de l'autre le corps | ||
sensible. Le plus extraordinaire des fantômes est resté une « non-chose ». Celui qui se | sensible. Le plus extraordinaire des fantômes est resté une « non-chose ». Celui qui se | ||
martyrisait l'âme n'était point encore un Esprit, et nul chaman qui se torture jusqu'au | martyrisait l'âme n'était point encore un Esprit, et nul chaman qui se torture jusqu'au | ||
délire furieux et à la frénésie pour exorciser un esprit n'a éprouvé les angoisses que ce | délire furieux et à la frénésie pour exorciser un esprit n'a éprouvé les angoisses que ce | ||
spectre insaisissable procura aux Chrétiens. | spectre insaisissable procura aux Chrétiens. | ||
C'est le Christ qui mit en lumière cette vérité que le véritable Esprit, le fantôme | C'est le Christ qui mit en lumière cette vérité que le véritable Esprit, le fantôme | ||
par excellence, est — l'Homme. L'esprit fait chair, c'est l'Homme ; il est lui-même | par excellence, est — l'Homme. L'esprit fait chair, c'est l'Homme ; il est lui-même | ||
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la pensée la plus douce (et cette pensée est elle-même un Esprit) est peut-être un | la pensée la plus douce (et cette pensée est elle-même un Esprit) est peut-être un | ||
diable, etc. | diable, etc. | ||
Le fantôme a pris un corps, le Dieu s'est fait homme, mais l'homme est maintenant | Le fantôme a pris un corps, le Dieu s'est fait homme, mais l'homme est maintenant | ||
lui-même le terrifiant fantôme derrière lequel il s'efforce de pénétrer, qu'il cherche | lui-même le terrifiant fantôme derrière lequel il s'efforce de pénétrer, qu'il cherche | ||
Ligne 231 : | Ligne 253 : | ||
revenant, un fantôme obscur et décevant, auquel une place déterminée est assignée | revenant, un fantôme obscur et décevant, auquel une place déterminée est assignée | ||
dans le corps. (Discussions sur le siège de l'âme : est-elle dans la tête? etc.) | dans le corps. (Discussions sur le siège de l'âme : est-elle dans la tête? etc.) | ||
Tu n'es pas pour moi un être supérieur, et je n'en suis point un pour toi. Il se peut | Tu n'es pas pour moi un être supérieur, et je n'en suis point un pour toi. Il se peut | ||
toutefois que chacun de nous recèle un être supérieur, qui exige de nous un respect | toutefois que chacun de nous recèle un être supérieur, qui exige de nous un respect | ||
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passagère, toi en qui un esprit se manifeste sans être lié à ton corps et à ce mode | passagère, toi en qui un esprit se manifeste sans être lié à ton corps et à ce mode | ||
d'apparition, comme un fantôme. | d'apparition, comme un fantôme. | ||
Aussi ne te considéré-je point comme un être supérieur ; ce que je respecte en toi, | Aussi ne te considéré-je point comme un être supérieur ; ce que je respecte en toi, | ||
ce n'est que l'être supérieur que tu héberges, c'est-à-dire l' « Homme ». Les Anciens | ce n'est que l'être supérieur que tu héberges, c'est-à-dire l' « Homme ». Les Anciens | ||
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supérieur, elle n'est ni plus haute ni plus générale que toi, elle est unique comme toimême, | supérieur, elle n'est ni plus haute ni plus générale que toi, elle est unique comme toimême, | ||
c'est toi-même. | c'est toi-même. | ||
Mais l'homme n'est pas seul un fantôme ; tout est hanté. L'être supérieur, l'Esprit | Mais l'homme n'est pas seul un fantôme ; tout est hanté. L'être supérieur, l'Esprit | ||
qui s'agite en toutes choses, n'est lié à rien et ne fait que « paraître » dans les choses. | qui s'agite en toutes choses, n'est lié à rien et ne fait que « paraître » dans les choses. | ||
Fantômes dans tous les coins! | Fantômes dans tous les coins! | ||
Ce serait ici le lieu de faire défiler ces fantômes ; mais nous aurons l'occasion | Ce serait ici le lieu de faire défiler ces fantômes ; mais nous aurons l'occasion | ||
dans la suite de les évoquer de nouveau pour les voir s'envoler devant l'égoïsme. Nous | dans la suite de les évoquer de nouveau pour les voir s'envoler devant l'égoïsme. Nous | ||
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Saint-Esprit, ainsi la Vérité, le Roi, la Loi, le Bien, la Majesté, l'Honneur, le Bien | Saint-Esprit, ainsi la Vérité, le Roi, la Loi, le Bien, la Majesté, l'Honneur, le Bien | ||
public, l'Ordre, la Patrie, etc. | public, l'Ordre, la Patrie, etc. | ||
LA MAROTTE | |||
== LA MAROTTE == | |||
Homme, ta cervelle est hantée, tu bats la campagne! Dans tes rêves démesurés, tu | Homme, ta cervelle est hantée, tu bats la campagne! Dans tes rêves démesurés, tu | ||
te forges tout un monde divin, un royaume des Esprits qui t'attend, un Idéal qui | te forges tout un monde divin, un royaume des Esprits qui t'attend, un Idéal qui | ||
t'invite. Tu as une idée fixe! | t'invite. Tu as une idée fixe! | ||
Ne crois pas que je plaisante ou que je parle par métaphore, quand je déclare | Ne crois pas que je plaisante ou que je parle par métaphore, quand je déclare | ||
radicalement fous, fous à lier, tous ceux que l'infini, le surhumain tourmente, c'est-àdire, | radicalement fous, fous à lier, tous ceux que l'infini, le surhumain tourmente, c'est-àdire, | ||
Ligne 293 : | Ligne 323 : | ||
d'aujourd'hui et d'écouter parler les Philistins pour acquérir bien vite la désolante | d'aujourd'hui et d'écouter parler les Philistins pour acquérir bien vite la désolante | ||
conviction qu'on est enfermé avec des fous dans une maison de santé. « Tu ne | conviction qu'on est enfermé avec des fous dans une maison de santé. « Tu ne | ||
traiteras pas ton frère de fou, sinon..., etc.! Mais la menace me laisse froid, et je répète | traiteras pas ton frère de fou, sinon..., etc.! Mais la menace me laisse froid, et je répète: mes frères sont des fous fieffés. | ||
: mes frères sont des fous fieffés. | |||
Qu'un pauvre fou dans son cabanon se nourrisse de l'illusion qu'il est Dieu le Père, | Qu'un pauvre fou dans son cabanon se nourrisse de l'illusion qu'il est Dieu le Père, | ||
l'empereur du Japon, le Saint-Esprit, ou qu'un brave bourgeois s'imagine qu'il est | l'empereur du Japon, le Saint-Esprit, ou qu'un brave bourgeois s'imagine qu'il est | ||
Ligne 304 : | Ligne 334 : | ||
bouquins dans les limites de la superstition papiste, sans que le moindre doute | bouquins dans les limites de la superstition papiste, sans que le moindre doute | ||
effleurât leur croyance ; c'est ainsi que les écrivains entassent in-folio sur in-folio | effleurât leur croyance ; c'est ainsi que les écrivains entassent in-folio sur in-folio | ||
traitant de l'État, sans jamais mettre en question l'idée fixe d'État elle-même; c'est | traitant de l'État, sans jamais mettre en question l'idée fixe d'État elle-même; c'est | ||
ainsi que nos gazettes regorgent de politique parce qu'elles sont infectées de cette | ainsi que nos gazettes regorgent de politique parce qu'elles sont infectées de cette | ||
Ligne 313 : | Ligne 342 : | ||
met en doute joue avec les vases de l'autel! Redisons-le encore : une idée fixe, voilà | met en doute joue avec les vases de l'autel! Redisons-le encore : une idée fixe, voilà | ||
ce qu'est le vrai sacro-saint! | ce qu'est le vrai sacro-saint! | ||
Ne nous heurtons-nous qu'à des possédés du Diable, ou rencontrons-nous aussi | Ne nous heurtons-nous qu'à des possédés du Diable, ou rencontrons-nous aussi | ||
souvent des possédés d'espèce contraire, possédés par le Bien, la Vertu, la Morale, la | souvent des possédés d'espèce contraire, possédés par le Bien, la Vertu, la Morale, la | ||
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la « tentation », de l'autre la « grâce »; mais quelle que soit celle qui opère, les | la « tentation », de l'autre la « grâce »; mais quelle que soit celle qui opère, les | ||
possédés n'en sont pas moins acharnés dans leur opinion. | possédés n'en sont pas moins acharnés dans leur opinion. | ||
« Possession » vous déplaît ? Dites obsession, ou, puisque c'est l'Esprit qui vous | « Possession » vous déplaît ? Dites obsession, ou, puisque c'est l'Esprit qui vous | ||
possède et qui vous suggère tout, dites inspiration, enthousiasme. J'ajoute que l'enthousiasme, | possède et qui vous suggère tout, dites inspiration, enthousiasme. J'ajoute que l'enthousiasme, | ||
dans sa plénitude, car il ne peut être question de faux, de demi-enthousiasme, | dans sa plénitude, car il ne peut être question de faux, de demi-enthousiasme, | ||
s'appelle — fanatisme. | s'appelle — fanatisme. | ||
Le fanatisme est spécialement propre aux gens cultivés, car la culture d'un homme | Le fanatisme est spécialement propre aux gens cultivés, car la culture d'un homme | ||
est en raison de l'intérêt qu'il attache aux choses de l'esprit, et cet intérêt spirituel s'il | est en raison de l'intérêt qu'il attache aux choses de l'esprit, et cet intérêt spirituel s'il | ||
est fort et vivace, n'est et ne peut être que fanatisme ; c'est, un intérêt fanatique pour | est fort et vivace, n'est et ne peut être que fanatisme ; c'est, un intérêt fanatique pour | ||
ce qui est sacré (fanum). | ce qui est sacré (fanum). | ||
Observez nos libéraux, lisez certains de nos journaux saxons, et écoutez ce que dit | Observez nos libéraux, lisez certains de nos journaux saxons, et écoutez ce que dit | ||
Schlosser 1 : « La société d'Holbach ourdit un complot formel contre la doctrine | Schlosser <ref>1 Achtzehntes Jahrhundert, II, 519.</ref> : « La société d'Holbach ourdit un complot formel contre la doctrine | ||
traditionnelle et l'ordre établi, et ses membres mettaient dans leur incrédulité autant de | traditionnelle et l'ordre établi, et ses membres mettaient dans leur incrédulité autant de | ||
fanatisme que moines et curés, jésuites, piétistes et méthodistes ont coutume d'en | fanatisme que moines et curés, jésuites, piétistes et méthodistes ont coutume d'en | ||
mettre au service de leur piété machinale et de leur foi littérale. » | mettre au service de leur piété machinale et de leur foi littérale. » | ||
Examinez la façon dont se comporte aujourd'hui un homme « moral », qui pense | Examinez la façon dont se comporte aujourd'hui un homme « moral », qui pense | ||
en avoir bien fini avec Dieu, et qui rejette le Christianisme comme une guenille usée. | en avoir bien fini avec Dieu, et qui rejette le Christianisme comme une guenille usée. | ||
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Krummacher ou à un Philippe II. Ceux-ci défendaient l'autorité religieuse de l'Église, | Krummacher ou à un Philippe II. Ceux-ci défendaient l'autorité religieuse de l'Église, | ||
lui défend l'autorité morale de l'État, les lois morales sur lesquelles l'État : repose; l'un | lui défend l'autorité morale de l'État, les lois morales sur lesquelles l'État : repose; l'un | ||
comme l'autre condamnent au nom d'articles de foi : quiconque agit autrement que ne | comme l'autre condamnent au nom d'articles de foi : quiconque agit autrement que ne | ||
le permet leur foi à eux, on lui infligera la flétrissure due à son « crime », et on | le permet leur foi à eux, on lui infligera la flétrissure due à son « crime », et on | ||
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général : « Sainteté divine! » crient les zélateurs de la Foi, « Vertu sacrée! » crient les | général : « Sainteté divine! » crient les zélateurs de la Foi, « Vertu sacrée! » crient les | ||
apôtres de la Morale. | apôtres de la Morale. | ||
Ceux qui s'agitent pour les intérêts sacrés se ressemblent. souvent fort peu. | Ceux qui s'agitent pour les intérêts sacrés se ressemblent. souvent fort peu. | ||
Combien les orthodoxes stricts ou vieux croyants diffèrent des combattants pour « la | Combien les orthodoxes stricts ou vieux croyants diffèrent des combattants pour « la | ||
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il est vrai, à la rage de persécution de jadis, mais celle-ci s'est tournée tout entière | il est vrai, à la rage de persécution de jadis, mais celle-ci s'est tournée tout entière | ||
contre l'hérétique qui touche à la morale pure. | contre l'hérétique qui touche à la morale pure. | ||
La Piété a eu depuis un siècle tant d'assauts à subir, elle a si souvent entendu | La Piété a eu depuis un siècle tant d'assauts à subir, elle a si souvent entendu | ||
reprocher à son essence surhumaine d'être tout bonnement « inhumaine », qu'on ne | reprocher à son essence surhumaine d'être tout bonnement « inhumaine », qu'on ne | ||
peut plus guère être tenté de s'attaquer à elle. Et cependant, si des adversaires se sont | peut plus guère être tenté de s'attaquer à elle. Et cependant, si des adversaires se sont | ||
présentés pour la combattre, ce fut presque toujours au nom de la Morale elle-même, | présentés pour la combattre, ce fut presque toujours au nom de la Morale elle-même, | ||
pour détrôner l'Être suprême au profit d'un — autre être suprême. Ainsi Proudhon | pour détrôner l'Être suprême au profit d'un — autre être suprême. Ainsi Proudhon <ref>PROUDHON : De la création de l'ordre, p. 36.</ref> n'hésite pas à dire : « Les hommes sont destinés à vivre sans religion, mais la morale | ||
n'hésite pas à dire : « Les hommes sont destinés à vivre sans religion, mais la morale | |||
est éternelle et absolue; qui oserait aujourd’hui attaquer la morale ? » Les moralistes | est éternelle et absolue; qui oserait aujourd’hui attaquer la morale ? » Les moralistes | ||
ont tous passé dans le lit de la Religion, et après qu'ils se sont plongés jusqu'au cou | ont tous passé dans le lit de la Religion, et après qu'ils se sont plongés jusqu'au cou | ||
dans l'adultère, c'est à qui dira aujourd'hui en s'essuyant la bouche : « La Religion ? Je | dans l'adultère, c'est à qui dira aujourd'hui en s'essuyant la bouche : « La Religion ? Je | ||
ne connais pas cette femme-là ! » | ne connais pas cette femme-là ! » | ||
Si nous montrons que la Religion est loin d'être mortellement atteinte tant qu'on se | Si nous montrons que la Religion est loin d'être mortellement atteinte tant qu'on se | ||
borne à incriminer son essence surnaturelle, et qu'elle en appelle en dernière instance | borne à incriminer son essence surnaturelle, et qu'elle en appelle en dernière instance | ||
à l' « Esprit » (car Dieu est l'Esprit), nous aurons suffisamment fait voir son accord | à l' « Esprit » (car Dieu est l'Esprit), nous aurons suffisamment fait voir son accord | ||
final avec la moralité pour qu'il nous soit permis de les laisser à leur interminable | final avec la moralité pour qu'il nous soit permis de les laisser à leur interminable | ||
querelle. | querelle. | ||
Que vous parliez de la Religion ou de la Morale, il s'agit toujours d'un être suprême; | Que vous parliez de la Religion ou de la Morale, il s'agit toujours d'un être suprême; | ||
que cet être suprême soit surhumain ou humain, peu m'importe, il en est en tout | que cet être suprême soit surhumain ou humain, peu m'importe, il en est en tout | ||
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l' « Homme », il n'aura fait que quitter la peau de la vieille religion pour revêtir une | l' « Homme », il n'aura fait que quitter la peau de la vieille religion pour revêtir une | ||
nouvelle peau religieuse. | nouvelle peau religieuse. | ||
Voyez Feuerbach : il nous enseigne que « du moment qu'on s'en tient à la | Voyez Feuerbach : il nous enseigne que « du moment qu'on s'en tient à la | ||
philosophie spéculative, c'est-à-dire qu'on fait systématiquement du prédicat le sujet, | philosophie spéculative, c'est-à-dire qu'on fait systématiquement du prédicat le sujet, | ||
et, réciproquement, du sujet l'objet et le principe, on possède la vérité nue et sans | et, réciproquement, du sujet l'objet et le principe, on possède la vérité nue et sans | ||
voiles | voiles <ref>FEUERBACH : Anekdota, II, 64.</ref>. Sans doute, nous abandonnons ainsi le point de vue étroit de la Religion, | ||
nous abandonnons le Dieu qui à ce point de vue est sujet ; mais nous ne faisons que le | nous abandonnons le Dieu qui à ce point de vue est sujet ; mais nous ne faisons que le | ||
troquer pour l'autre face du point de vue religieux, le Moral. Nous ne disons plus, par | troquer pour l'autre face du point de vue religieux, le Moral. Nous ne disons plus, par | ||
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nous exprimer plus exactement, l'amour est ce qu'il y a dans l'homme de véritablement | nous exprimer plus exactement, l'amour est ce qu'il y a dans l'homme de véritablement | ||
humain, et ce qu'il y a en lui d'inhumain, c'est l'égoïsme sans amour. | humain, et ce qu'il y a en lui d'inhumain, c'est l'égoïsme sans amour. | ||
Mais, précisément, tout ce que le Christianisme, et avec lui la philosophie spéculative, | Mais, précisément, tout ce que le Christianisme, et avec lui la philosophie spéculative, | ||
c'est-à-dire la théologie, nous présente comme le bien, l'absolu, n'est proprement | c'est-à-dire la théologie, nous présente comme le bien, l'absolu, n'est proprement | ||
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que vous ne faites que le refouler dans le coeur humain et le doter d'une indéracinable | que vous ne faites que le refouler dans le coeur humain et le doter d'une indéracinable | ||
« immanence ». Il faudra dire désormais : le divin est le véritablement humain. | « immanence ». Il faudra dire désormais : le divin est le véritablement humain. | ||
Ceux-là mêmes qui se refusent à voir dans le Christianisme le fondement de | Ceux-là mêmes qui se refusent à voir dans le Christianisme le fondement de | ||
l'État, et qui s'insurgent contre toute formule telle que État chrétien, Christianisme | l'État, et qui s'insurgent contre toute formule telle que État chrétien, Christianisme | ||
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et de l'État ». Comme si le règne de la Moralité n'était pas la domination absolue du | et de l'État ». Comme si le règne de la Moralité n'était pas la domination absolue du | ||
sacré, une « Hiérarchie » ! | sacré, une « Hiérarchie » ! | ||
À ce propos, on peut se rappeler la tentative d'explication qu'on a voulu opposer à | À ce propos, on peut se rappeler la tentative d'explication qu'on a voulu opposer à | ||
l'ancienne doctrine des théologiens. À les en croire, la foi seule serait capable de saisir | l'ancienne doctrine des théologiens. À les en croire, la foi seule serait capable de saisir | ||
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connaître Dieu (singulière prétention de la raison, pour le dire en passant, que de | connaître Dieu (singulière prétention de la raison, pour le dire en passant, que de | ||
vouloir rivaliser de fantaisie avec la fantaisie elle-même). | vouloir rivaliser de fantaisie avec la fantaisie elle-même). | ||
C’est dans ce sens que Reimarus écrivit ses Vornehmsten Wahrheiten der | C’est dans ce sens que Reimarus écrivit ses Vornehmsten Wahrheiten der | ||
natülichen Religion (principales vérités de la Religion naturelle). Il en vint à | natülichen Religion (principales vérités de la Religion naturelle). Il en vint à considérer l'homme entier comme tendant à la religion par toutes ses facultés ; coeur, | ||
sentiment, intelligence, raison, sentir, savoir, vouloir, tout chez l'homme lui parut | sentiment, intelligence, raison, sentir, savoir, vouloir, tout chez l'homme lui parut | ||
religieux. Hegel a bien montré que la philosophie elle-même est religieuse ! Et que ne | religieux. Hegel a bien montré que la philosophie elle-même est religieuse ! Et que ne | ||
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« Religion de la Liberté », la « Religion politique », bref, tout enthousiasme. Et, au | « Religion de la Liberté », la « Religion politique », bref, tout enthousiasme. Et, au | ||
fond, on n'a pas tort ! | fond, on n'a pas tort ! | ||
Aujourd'hui encore nous employons ce mot d'origine latine « Religion », qui, par | Aujourd'hui encore nous employons ce mot d'origine latine « Religion », qui, par | ||
son étymologie, exprime l'idée de lien. Et liés nous sommes en effet, et liés nous | son étymologie, exprime l'idée de lien. Et liés nous sommes en effet, et liés nous | ||
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». Celui dont l'Esprit est libre est par là même religieux, comme celui qui donne | ». Celui dont l'Esprit est libre est par là même religieux, comme celui qui donne | ||
libre cours à ses appétits est sensuel ; l'Esprit lie l'un, la Chair lie l'autre. | libre cours à ses appétits est sensuel ; l'Esprit lie l'un, la Chair lie l'autre. | ||
Liaison, dépendance, — Religio, telle est la Religion par rapport à moi : je suis | Liaison, dépendance, — Religio, telle est la Religion par rapport à moi : je suis | ||
lié ; Liberté, voilà la Religion par rapport à l'Esprit : il est libre, il jouit de la liberté | lié ; Liberté, voilà la Religion par rapport à l'Esprit : il est libre, il jouit de la liberté | ||
spirituelle. | spirituelle. | ||
Le mal que peut nous faire le déchaînement de nos passions, combien le connaissent | Le mal que peut nous faire le déchaînement de nos passions, combien le connaissent | ||
pour en avoir souffert! Mais que le libre Esprit, la radieuse spiritualité, l'enthousiasme | pour en avoir souffert! Mais que le libre Esprit, la radieuse spiritualité, l'enthousiasme | ||
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ferait la plus noire méchanceté, c'est ce que l'on ne veut pas voir ; et l'on ne peut | ferait la plus noire méchanceté, c'est ce que l'on ne veut pas voir ; et l'on ne peut | ||
d'ailleurs s'en aviser, si l'on n'est et ne fait profession d'être un égoïste. | d'ailleurs s'en aviser, si l'on n'est et ne fait profession d'être un égoïste. | ||
Reimarus, et avec lui tous ceux qui ont montré que notre raison aussi bien que | Reimarus, et avec lui tous ceux qui ont montré que notre raison aussi bien que | ||
notre coeur, etc., conduisent à Dieu, ont montré du même coup que nous sommes | notre coeur, etc., conduisent à Dieu, ont montré du même coup que nous sommes | ||
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permettez en tant qu'intelligence, etc., de participer aux vérités spirituelles et célestes, | permettez en tant qu'intelligence, etc., de participer aux vérités spirituelles et célestes, | ||
en ce cas c'est l'Esprit tout entier qui s'élève à la pure spiritualité et qui est libre. | en ce cas c'est l'Esprit tout entier qui s'élève à la pure spiritualité et qui est libre. | ||
Partant de ces prémisses, la Moralité était autorisée à se mettre en opposition | Partant de ces prémisses, la Moralité était autorisée à se mettre en opposition | ||
absolue avec la Piété. C'est cette opposition qui se fit jour révolutionnairement sous | absolue avec la Piété. C'est cette opposition qui se fit jour révolutionnairement sous | ||
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historique, et qui éclipsa les puissances religieuses proprement dites (voir plus | historique, et qui éclipsa les puissances religieuses proprement dites (voir plus | ||
loin le « Libéralisme »). | loin le « Libéralisme »). | ||
La moralité ne dérivant plus simplement de la piété, mais ayant ses racines propres, | La moralité ne dérivant plus simplement de la piété, mais ayant ses racines propres, | ||
le principe de la morale ne découle plus des commandements divins, mais des | le principe de la morale ne découle plus des commandements divins, mais des | ||
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et l' « essence de l'homme » implique ces lois de toute nécessité. Piété et | et l' « essence de l'homme » implique ces lois de toute nécessité. Piété et | ||
moralité diffèrent en ce que la première reconnaît Dieu et la seconde l'Homme pour | moralité diffèrent en ce que la première reconnaît Dieu et la seconde l'Homme pour | ||
législateurs. En se mettant à un certain point de vue de la moralité, on raisonne à peu | législateurs. En se mettant à un certain point de vue de la moralité, on raisonne à peu | ||
près comme suit : Ou bien l'homme obéit à sa sensualité et par là il est immoral, ou | près comme suit : Ou bien l'homme obéit à sa sensualité et par là il est immoral, ou | ||
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les ennemis de leur pays dans les ravins et les canardaient à loisir, embusqués derrière | les ennemis de leur pays dans les ravins et les canardaient à loisir, embusqués derrière | ||
les buissons, n'était-ce pas un assassinat ? | les buissons, n'était-ce pas un assassinat ? | ||
Si vous vous en tenez au principe de la morale qui prescrit de poursuivre partout | Si vous vous en tenez au principe de la morale qui prescrit de poursuivre partout | ||
et toujours le Bien, vous en êtes réduits à vous demander si, en aucun cas, le meurtre | et toujours le Bien, vous en êtes réduits à vous demander si, en aucun cas, le meurtre | ||
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parce que désintéressée et sans autre objectif que le Bien ; ce fut un châtiment infligé | parce que désintéressée et sans autre objectif que le Bien ; ce fut un châtiment infligé | ||
par un individu, une exécution., pour laquelle il risquait sa vie. | par un individu, une exécution., pour laquelle il risquait sa vie. | ||
Que voir dans l'entreprise de Sand, sinon sa volonté de supprimer de vive force | Que voir dans l'entreprise de Sand, sinon sa volonté de supprimer de vive force | ||
certains écrits ? N'avez-vous jamais vu appliquer ce même procédé comme très | certains écrits ? N'avez-vous jamais vu appliquer ce même procédé comme très | ||
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doit se résigner à n'être plus qu'une vaine façade de « légalité », une fausse dévotion à | doit se résigner à n'être plus qu'une vaine façade de « légalité », une fausse dévotion à | ||
l'accomplissement de la loi, bien plus tyrannique et plus révoltante que l'ancienne ; | l'accomplissement de la loi, bien plus tyrannique et plus révoltante que l'ancienne ; | ||
celle-ci n'exigeait que la pratique extérieure, tandis que vous exigez en plus l'intention | celle-ci n'exigeait que la pratique extérieure, tandis que vous exigez en plus l'intention: on doit porter en soi la règle et le dogme, et le plus légalement intentionné est le | ||
: on doit porter en soi la règle et le dogme, et le plus légalement intentionné est le | |||
plus moral. La dernière clarté de la vie catholique s'éteint dans cette légalité protestante. | plus moral. La dernière clarté de la vie catholique s'éteint dans cette légalité protestante. | ||
Ainsi finalement se complète et s'absolutise la domination de la Loi. « Ce n'est | Ainsi finalement se complète et s'absolutise la domination de la Loi. « Ce n'est | ||
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de sa gloire ». « Chaque Prussien porte son gendarme dans sa poitrine », disait, en | de sa gloire ». « Chaque Prussien porte son gendarme dans sa poitrine », disait, en | ||
parlant de ses compatriotes, un officier supérieur. | parlant de ses compatriotes, un officier supérieur. | ||
D'où vient l'incurable impuissance de certaines oppositions ? Uniquement de ce | D'où vient l'incurable impuissance de certaines oppositions ? Uniquement de ce | ||
qu'elles ne veulent point s'écarter du chemin de la Moralité ou de la Légalité, ce qui | qu'elles ne veulent point s'écarter du chemin de la Moralité ou de la Légalité, ce qui | ||
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l'hypocrite mauvaise grâce achève d'écoeurer ceux que dégoûtent la pourriture et la | l'hypocrite mauvaise grâce achève d'écoeurer ceux que dégoûtent la pourriture et la | ||
cafarderie de ce qui s'intitule « opposition légale ». | cafarderie de ce qui s'intitule « opposition légale ». | ||
Un accord moral conclu au nom de l'amour et de la fidélité ne laisse place à | Un accord moral conclu au nom de l'amour et de la fidélité ne laisse place à | ||
aucune volonté discordante et opposée ; la belle harmonie est rompue si l'un veut une | aucune volonté discordante et opposée ; la belle harmonie est rompue si l'un veut une | ||
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Que cette volonté soit raisonnable ou déraisonnable, il est en tout cas moral de | Que cette volonté soit raisonnable ou déraisonnable, il est en tout cas moral de | ||
s'y soumettre et immoral de s'y soustraire. | s'y soumettre et immoral de s'y soustraire. | ||
La volonté qui régit la censure paraît déraisonnable à beaucoup de gens. Cependant, | La volonté qui régit la censure paraît déraisonnable à beaucoup de gens. Cependant, | ||
dans un pays où sévit la censure, celui qui lui soustrait ses écrits fait mal et celui | dans un pays où sévit la censure, celui qui lui soustrait ses écrits fait mal et celui | ||
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lui donnera-t-elle pas quelque titre à l'estime des « honnêtes gens »? Qui sait ? — | lui donnera-t-elle pas quelque titre à l'estime des « honnêtes gens »? Qui sait ? — | ||
Peut-être s'imaginait-il servir une « moralité supérieure »? | Peut-être s'imaginait-il servir une « moralité supérieure »? | ||
La toile de l'hypocrisie moderne est tendue aux confins des deux domaines entre | La toile de l'hypocrisie moderne est tendue aux confins des deux domaines entre | ||
lesquels, alternativement ballotte, notre époque tend les fils déliés du mensonge et de | lesquels, alternativement ballotte, notre époque tend les fils déliés du mensonge et de | ||
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Maintenant, séparez-vous ; chacun pense de l'autre : je te connais, masque ! Il a | Maintenant, séparez-vous ; chacun pense de l'autre : je te connais, masque ! Il a | ||
flairé en vous le Diable, aussi bien que vous avez flairé en lui le vieux Bon Dieu. | flairé en vous le Diable, aussi bien que vous avez flairé en lui le vieux Bon Dieu. | ||
Un Néron n'est « mauvais » qu'aux yeux des bons ; à mes yeux, il est simplement | Un Néron n'est « mauvais » qu'aux yeux des bons ; à mes yeux, il est simplement | ||
un possédé, comme les bons eux-mêmes. Les bons voient en lui un franc scélérat et le | un possédé, comme les bons eux-mêmes. Les bons voient en lui un franc scélérat et le | ||
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gens » de son temps se bornaient, dans leur moralité, à lui opposer leurs voeux, et non | gens » de son temps se bornaient, dans leur moralité, à lui opposer leurs voeux, et non | ||
leur volonté. Ils chuchotaient que leur empereur ne se soumettait pas comme eux aux | leur volonté. Ils chuchotaient que leur empereur ne se soumettait pas comme eux aux | ||
lois de la Morale, mais ils restaient des « sujets moraux », en attendant que l'un d'eux | lois de la Morale, mais ils restaient des « sujets moraux », en attendant que l'un d'eux | ||
osât passer franchement par-dessus « ses devoirs de sujet obéissant ». Et tous ces | osât passer franchement par-dessus « ses devoirs de sujet obéissant ». Et tous ces | ||
« bons Romains », tous ces « sujets soumis », abreuvés d'outrages par leur manque de | « bons Romains », tous ces « sujets soumis », abreuvés d'outrages par leur manque de | ||
volonté, d'acclamer aussitôt l'action criminelle et immorale du révolté. | volonté, d'acclamer aussitôt l'action criminelle et immorale du révolté. | ||
Où était, chez les « bons », le courage de faire la Révolution, cette Révolution | Où était, chez les « bons », le courage de faire la Révolution, cette Révolution | ||
qu'ils vantent et exploitent aujourd'hui, après qu'un autre l'a faite ? Ce courage ils ne | qu'ils vantent et exploitent aujourd'hui, après qu'un autre l'a faite ? Ce courage ils ne | ||
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d' « immoral », auquel on ne peut se résoudre à moins de cesser d'être « bon » pour | d' « immoral », auquel on ne peut se résoudre à moins de cesser d'être « bon » pour | ||
devenir « mauvais » ou ni bon ni mauvais. | devenir « mauvais » ou ni bon ni mauvais. | ||
Néron n'était pas pire que le temps où il vivait ; on ne pouvait alors être que l'un | Néron n'était pas pire que le temps où il vivait ; on ne pouvait alors être que l'un | ||
des deux : bon ou mauvais. Son temps a jugé qu'il était mauvais, et aussi mauvais | des deux : bon ou mauvais. Son temps a jugé qu'il était mauvais, et aussi mauvais | ||
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de ses plis tutélaires. Le rude poing de la morale est sans miséricorde pour la noble | de ses plis tutélaires. Le rude poing de la morale est sans miséricorde pour la noble | ||
essence de l'égoïsme. | essence de l'égoïsme. | ||
« On ne peut cependant pas mettre sur la même ligne un gredin et un honnête | « On ne peut cependant pas mettre sur la même ligne un gredin et un honnête | ||
homme ! » Eh! qui donc le fait plus souvent que vous, Censeurs ? Bien mieux, l'honnête | homme ! » Eh! qui donc le fait plus souvent que vous, Censeurs ? Bien mieux, l'honnête | ||
Ligne 607 : | Ligne 653 : | ||
« les pécheurs et les publicains », et de même, aux yeux de l'individualiste, le | « les pécheurs et les publicains », et de même, aux yeux de l'individualiste, le | ||
pharisien moral vaut le pécheur immoral. | pharisien moral vaut le pécheur immoral. | ||
Néron était un possédé très malcommode, un fou dangereux. C'eût été une sottise | Néron était un possédé très malcommode, un fou dangereux. C'eût été une sottise | ||
de perdre son temps à le rappeler au « respect des choses sacrées », pour lamenter | de perdre son temps à le rappeler au « respect des choses sacrées », pour lamenter | ||
Ligne 619 : | Ligne 666 : | ||
et toutes les preuves qu'on peut en fournir qui en font approcher d'un pas : se | et toutes les preuves qu'on peut en fournir qui en font approcher d'un pas : se | ||
lamenter, pétitionner ne convient qu'aux mendiants. | lamenter, pétitionner ne convient qu'aux mendiants. | ||
L'homme « moral » est nécessairement borné, en ce qu'il ne conçoit d'autre ennemi | L'homme « moral » est nécessairement borné, en ce qu'il ne conçoit d'autre ennemi | ||
que l' « immoral »; ce qui n'est pas bien est « mal » et, par conséquent, réprouvé, | que l' « immoral »; ce qui n'est pas bien est « mal » et, par conséquent, réprouvé, | ||
odieux, etc. Aussi est-il radicalement incapable de comprendre l'égoïste. L'amour en | odieux, etc. Aussi est-il radicalement incapable de comprendre l'égoïste. L'amour en | ||
dehors du mariage n'est-il pas immoral ? L'homme moral peut tourner et retourner la | dehors du mariage n'est-il pas immoral ? L'homme moral peut tourner et retourner la | ||
question, il n'échappera pas à la nécessité de condamner le fornicateur. L'amour libre | question, il n'échappera pas à la nécessité de condamner le fornicateur. L'amour libre | ||
Ligne 634 : | Ligne 681 : | ||
ineffaçable. La chasteté, qui faisait jadis partie des voeux monastiques, est entrée dans | ineffaçable. La chasteté, qui faisait jadis partie des voeux monastiques, est entrée dans | ||
le domaine de la morale commune. | le domaine de la morale commune. | ||
Pour l'égoïste, au contraire, la chasteté n'est pas un bien dont il ne puisse se | Pour l'égoïste, au contraire, la chasteté n'est pas un bien dont il ne puisse se | ||
passer ; elle est pour lui sans importance. Aussi, quel va être le jugement de l'homme | passer ; elle est pour lui sans importance. Aussi, quel va être le jugement de l'homme | ||
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fausse ». Souvent les gens sont déjà beaucoup plus loin qu'ils ne voudraient en | fausse ». Souvent les gens sont déjà beaucoup plus loin qu'ils ne voudraient en | ||
convenir. | convenir. | ||
C'eût été de la part de Socrate, une immoralité d'accueillir les offres séduisantes | C'eût été de la part de Socrate, une immoralité d'accueillir les offres séduisantes | ||
de Criton et de s'échapper de sa prison ; rester était le seul parti qu'il pût moralement | de Criton et de s'échapper de sa prison ; rester était le seul parti qu'il pût moralement | ||
prendre. Et c'était le seul, simplement parce que Socrate était — un homme moral. | prendre. Et c'était le seul, simplement parce que Socrate était — un homme moral. | ||
Les hommes de la Révolution, « immoraux et impies », avaient, eux, juré fidélité | Les hommes de la Révolution, « immoraux et impies », avaient, eux, juré fidélité | ||
à Louis XVI, ce qui ne les empêcha pas de décréter sa déchéance et de l'envoyer à | à Louis XVI, ce qui ne les empêcha pas de décréter sa déchéance et de l'envoyer à | ||
l'échafaud ; action immorale, qui fera horreur aux honnêtes gens de toute éternité. | l'échafaud ; action immorale, qui fera horreur aux honnêtes gens de toute éternité. | ||
Ces critiques ne s'appliquent toutefois qu'à la « morale bourgeoise », que tout | Ces critiques ne s'appliquent toutefois qu'à la « morale bourgeoise », que tout | ||
esprit un peu libre fait profession de dédaigner. Cette morale, comme la bourgeoisie | esprit un peu libre fait profession de dédaigner. Cette morale, comme la bourgeoisie | ||
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pour ne pas se borner à s'en approprier les lois. N'exigez pas d'elle de la critique, et ne | pour ne pas se borner à s'en approprier les lois. N'exigez pas d'elle de la critique, et ne | ||
lui demandez pas de tirer de son propre fond une doctrine originale. | lui demandez pas de tirer de son propre fond une doctrine originale. | ||
C'est sous un tout autre aspect que se présente la morale, lorsque, consciente de sa | C'est sous un tout autre aspect que se présente la morale, lorsque, consciente de sa | ||
dignité, elle prend pour unique règle son principe, l'essence humaine ou l’ « Homme | dignité, elle prend pour unique règle son principe, l'essence humaine ou l’ « Homme | ||
». Ceux qui parviennent à transporter résolument le problème sur ce terrain rompent | ». Ceux qui parviennent à transporter résolument le problème sur ce terrain rompent | ||
pour toujours avec la Religion : il n'y a plus de place pour son Dieu auprès de | pour toujours avec la Religion : il n'y a plus de place pour son Dieu auprès de | ||
leur Homme ; de plus, comme ils coulent à fond le vaisseau de l'État (voir plus loin), | leur Homme ; de plus, comme ils coulent à fond le vaisseau de l'État (voir plus loin), | ||
ils anéantissent du même coup toute « moralité » procédant du seul État et s'interdisent, | ils anéantissent du même coup toute « moralité » procédant du seul État et s'interdisent, | ||
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» ou « politique », et doit paraître aux hommes d'État et aux bourgeois une | » ou « politique », et doit paraître aux hommes d'État et aux bourgeois une | ||
« licence effrénée ». | « licence effrénée ». | ||
Cependant, cette conception nouvelle de la moralité n'a rien de neuf et d'inédit ; | Cependant, cette conception nouvelle de la moralité n'a rien de neuf et d'inédit ; | ||
elle ne fait que s'adapter au progrès réalisé dans la « pureté du principe ». Ce dernier, | elle ne fait que s'adapter au progrès réalisé dans la « pureté du principe ». Ce dernier, | ||
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comble, devient « État libre » ou même « Société libre », sans cesser d'être l'une la | comble, devient « État libre » ou même « Société libre », sans cesser d'être l'une la | ||
morale et l'autre l'État. | morale et l'autre l'État. | ||
La morale étant désormais purement humaine et complètement séparée de la | La morale étant désormais purement humaine et complètement séparée de la | ||
Religion dont, historiquement, elle est sortie, rien ne s'oppose à ce qu'elle devienne | Religion dont, historiquement, elle est sortie, rien ne s'oppose à ce qu'elle devienne | ||
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suprême, s'élève à la hauteur absolue, et nous sommes dans nos rapports avec Lui ce | suprême, s'élève à la hauteur absolue, et nous sommes dans nos rapports avec Lui ce | ||
que nous sommes aux pieds d'un être suprême, — religieux. | que nous sommes aux pieds d'un être suprême, — religieux. | ||
Moralité et Piété redeviennent ainsi aussi parfaitement synonymes qu'au début du | Moralité et Piété redeviennent ainsi aussi parfaitement synonymes qu'au début du | ||
Christianisme. Si le sacré n'est plus « saint » mais « humain », c'est simplement que | Christianisme. Si le sacré n'est plus « saint » mais « humain », c'est simplement que | ||
l'être suprême a changé et que l'Homme a pris la place du Dieu. La victoire de la | l'être suprême a changé et que l'Homme a pris la place du Dieu. La victoire de la | ||
Moralité aboutit simplement à un changement de dynastie. | Moralité aboutit simplement à un changement de dynastie. | ||
La Foi détruite, Feuerbach croit trouver un asile dans l'Amour. « La première et la | La Foi détruite, Feuerbach croit trouver un asile dans l'Amour. « La première et la | ||
suprême loi doit être l'amour de l'homme pour l'homme. Homo homini Deus est, telle | suprême loi doit être l'amour de l'homme pour l'homme. Homo homini Deus est, telle | ||
est la maxime pratique la plus haute ; par elle, la face du monde est changée | est la maxime pratique la plus haute ; par elle, la face du monde est changée <ref>Wesen des Christentams, zw. Aufl., p. 402.</ref>. Mais il | ||
n'y a à proprement parler que le dieu, Deus, de changé ; l'amour reste : vous adoriez le | n'y a à proprement parler que le dieu, Deus, de changé ; l'amour reste : vous adoriez le | ||
dieu surhumain, vous adorerez le dieu humain, l'Homo qui est Deus. L'Homme m'est | dieu surhumain, vous adorerez le dieu humain, l'Homo qui est Deus. L'Homme m'est | ||
— sacré, et tout ce qui est « vraiment humain » m'est — sacré ! Le mariage est par | — sacré, et tout ce qui est « vraiment humain » m'est — sacré ! Le mariage est par | ||
lui-même sacré ; de même toutes les relations de la vie morale : l'amitié, la propriété, | lui-même sacré ; de même toutes les relations de la vie morale : l'amitié, la propriété, | ||
le mariage, le bien de chacun sont et doivent être sacrés, en eux et par eux-mêmes | le mariage, le bien de chacun sont et doivent être sacrés, en eux et par eux-mêmes <ref>Ibid., p. 403.</ref>.» | ||
Est-ce un prêtre qui parle ? Quel est son dieu ? L'Homme ! Qu'est-ce que le divin ? | Est-ce un prêtre qui parle ? Quel est son dieu ? L'Homme ! Qu'est-ce que le divin ? | ||
C'est l'humain ! Le prédicat n'a fait en définitive que prendre la place du sujet; la | C'est l'humain ! Le prédicat n'a fait en définitive que prendre la place du sujet; la | ||
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le procédé : « Dieu s'est fait Homme » vous donnera « l'Homme s'est fait Dieu », etc., | le procédé : « Dieu s'est fait Homme » vous donnera « l'Homme s'est fait Dieu », etc., | ||
et voilà une nouvelle — Religion. | et voilà une nouvelle — Religion. | ||
« Tous les phénomènes de la vie morale constituant les moeurs ne sont moraux, ne | « Tous les phénomènes de la vie morale constituant les moeurs ne sont moraux, ne | ||
prennent une signification morale, que s'ils ont en eux-mêmes (sans que la bénédiction | prennent une signification morale, que s'ils ont en eux-mêmes (sans que la bénédiction | ||
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religion doit être une éthique, l'éthique est la seule religion. » Feuerbach se contente | religion doit être une éthique, l'éthique est la seule religion. » Feuerbach se contente | ||
de renverser l'ordre du prédicat et du sujet, de faire un usteron proteron logique. | de renverser l'ordre du prédicat et du sujet, de faire un usteron proteron logique. | ||
Comme il le dit lui-même : « L'amour n'est pas sacré (et n'a jamais passé pour | Comme il le dit lui-même : « L'amour n'est pas sacré (et n'a jamais passé pour | ||
sacré aux yeux des hommes) parce qu'il est un prédicat de Dieu, mais il est un | sacré aux yeux des hommes) parce qu'il est un prédicat de Dieu, mais il est un | ||
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le divin ? Et si, comme il le dit, l'essentiel pour eux n'a jamais été Dieu, mais ses seuls | le divin ? Et si, comme il le dit, l'essentiel pour eux n'a jamais été Dieu, mais ses seuls | ||
prédicats, à quoi bon leur enlever le mot si on leur laisse la chose ? | prédicats, à quoi bon leur enlever le mot si on leur laisse la chose ? | ||
Il proclame d'autre part que son but est « de détruire une illusion | |||
Il proclame d'autre part que son but est « de détruire une illusion <ref>Wesen des Christentums, zw, Aufl., p.408.</ref>», une illusionpernicieuse « qui a si bien faussé l'homme, que l'amour même, son sentiment le plus | |||
intime et le plus vrai, est devenu, par le fait de la religiosité, vain et illusoire, vu que | intime et le plus vrai, est devenu, par le fait de la religiosité, vain et illusoire, vu que | ||
l'amour religieux n'aime l'homme que par amour de Dieu, c'est-à-dire aime en | l'amour religieux n'aime l'homme que par amour de Dieu, c'est-à-dire aime en | ||
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homme, ou par amour de la Moralité, de l'Homme en général, et, en définitive — | homme, ou par amour de la Moralité, de l'Homme en général, et, en définitive — | ||
puisque Homo homini Deus —, par amour de Dieu ? | puisque Homo homini Deus —, par amour de Dieu ? | ||
La marotte se manifeste encore sous une foule d'autres formes ; il est nécessaire | La marotte se manifeste encore sous une foule d'autres formes ; il est nécessaire | ||
d'en énumérer ici quelques-unes. | d'en énumérer ici quelques-unes. | ||
Parmi elles, le renoncement, l'abnégation sont communs aux saints et aux nonsaints, | Parmi elles, le renoncement, l'abnégation sont communs aux saints et aux nonsaints, | ||
aux purs et aux impurs. | aux purs et aux impurs. | ||
L'impur renonce à tout bon sentiment, « renie » toute pudeur, tout respect humain; | L'impur renonce à tout bon sentiment, « renie » toute pudeur, tout respect humain; | ||
il obéit en esclave docile à ses appétits. Le pur renonce au commerce du monde, | il obéit en esclave docile à ses appétits. Le pur renonce au commerce du monde, | ||
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tyrannique idéal. De part et d'autre, même abnégation de soi-même : si le non-saint | tyrannique idéal. De part et d'autre, même abnégation de soi-même : si le non-saint | ||
abdique devant Mammon, le saint abdique devant Dieu et les lois divines. | abdique devant Mammon, le saint abdique devant Dieu et les lois divines. | ||
Nous vivons en un temps où l'impudence du Sacré se fait sentir et se révèle | Nous vivons en un temps où l'impudence du Sacré se fait sentir et se révèle | ||
chaque jour davantage, parce qu'elle est chaque jour plus obligée de se découvrir et de | chaque jour davantage, parce qu'elle est chaque jour plus obligée de se découvrir et de | ||
s'exposer. Peut-on rien imaginer qui surpasse en insolence et en stupidité les | s'exposer. Peut-on rien imaginer qui surpasse en insolence et en stupidité les arguments que l'on oppose par exemple aux « progrès du temps »? La naïveté de leur | ||
effronterie passe depuis longtemps toute mesure et toute attente ; mais comment en | effronterie passe depuis longtemps toute mesure et toute attente ; mais comment en | ||
serait-il autrement ? Saints et non-saints, tous ceux qui pratiquent l'abnégation doivent | serait-il autrement ? Saints et non-saints, tous ceux qui pratiquent l'abnégation doivent | ||
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déshonorante sublimité. Le Mammon terrestre et le Dieu du ciel exigent exactement | déshonorante sublimité. Le Mammon terrestre et le Dieu du ciel exigent exactement | ||
la même somme de — renoncement. | la même somme de — renoncement. | ||
Le dégradé et le sublime aspirent tous deux à un « bien », l'un à un bien matériel, | Le dégradé et le sublime aspirent tous deux à un « bien », l'un à un bien matériel, | ||
l'autre à un bien idéal, et finalement l'un complète l'autre, l' « homme de la Matière » | l'autre à un bien idéal, et finalement l'un complète l'autre, l' « homme de la Matière » | ||
sacrifiant à sa vanité, but idéal, ce que l’ « homme de l'Esprit » sacrifie à une jouissance | sacrifiant à sa vanité, but idéal, ce que l’ « homme de l'Esprit » sacrifie à une jouissance | ||
matérielle, le confort. | matérielle, le confort. | ||
Ceux-là s'imaginent dire énormément qui placent dans le coeur de l'homme le | Ceux-là s'imaginent dire énormément qui placent dans le coeur de l'homme le | ||
« désintéressement ». Qu'entendent-ils par là ? Quelque chose de très voisin de l’« abnégation | « désintéressement ». Qu'entendent-ils par là ? Quelque chose de très voisin de l’« abnégation | ||
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cette abnégation désintéressée ? De nouveau à ton profit, à ton bénéfice, à charge | cette abnégation désintéressée ? De nouveau à ton profit, à ton bénéfice, à charge | ||
simplement de poursuivre par désintéressement ton « véritable intérêt ». | simplement de poursuivre par désintéressement ton « véritable intérêt ». | ||
On doit tirer profit de soi, mais ne pas chercher son, profit. | On doit tirer profit de soi, mais ne pas chercher son, profit. | ||
Le bienfaiteur de l'humanité, comme Franke, le créateur des orphelinats, ou | Le bienfaiteur de l'humanité, comme Franke, le créateur des orphelinats, ou | ||
O'Connell, l'infatigable défenseur de la cause irlandaise, passe pour désintéressé, de | O'Connell, l'infatigable défenseur de la cause irlandaise, passe pour désintéressé, de | ||
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but : dans un cas comme dans l'autre il avait un intérêt, seulement il se trouvait que | but : dans un cas comme dans l'autre il avait un intérêt, seulement il se trouvait que | ||
son intérêt national était utile à d'autres, ce qui en faisait un intérêt commun. | son intérêt national était utile à d'autres, ce qui en faisait un intérêt commun. | ||
N'existe-t-il donc pas de désintéressement et ne peut-on jamais en rencontrer ? Au | N'existe-t-il donc pas de désintéressement et ne peut-on jamais en rencontrer ? Au | ||
contraire, rien n'est plus commun ! On pourrait appeler le désintéressement un article | contraire, rien n'est plus commun ! On pourrait appeler le désintéressement un article | ||
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guise, en propriétaire, lorsque ce but devient un but fixe ou une — idée fixe, et | guise, en propriétaire, lorsque ce but devient un but fixe ou une — idée fixe, et | ||
commence à nous inspirer, à nous enthousiasmer, à nous fanatiser, bref, quand il | commence à nous inspirer, à nous enthousiasmer, à nous fanatiser, bref, quand il | ||
devient — notre maître. On n'est pas désintéressé tant qu'on tient le but en son pouvoir | devient — notre maître. On n'est pas désintéressé tant qu'on tient le but en son pouvoir; on le devient lorsqu'on pousse le cri du coeur des possédés : « Je suis comme ça, | ||
; on le devient lorsqu'on pousse le cri du coeur des possédés : « Je suis comme ça, | |||
je ne saurais être autrement, et qu'on applique à un but sacré un zèle sacré. | je ne saurais être autrement, et qu'on applique à un but sacré un zèle sacré. | ||
Je ne suis pas désintéressé tant que mon but reste à moi et que je le laisse perpétuellement | Je ne suis pas désintéressé tant que mon but reste à moi et que je le laisse perpétuellement | ||
en question au lieu de me faire l'instrument aveugle de son | en question au lieu de me faire l'instrument aveugle de son accomplissement. Je peux ne pas déployer pour cela moins de zèle que le fanatique, mais tout | ||
mon zèle me laisse, en face de mon but, froid, calculateur, incroyant et hostile ; je | mon zèle me laisse, en face de mon but, froid, calculateur, incroyant et hostile ; je | ||
reste son juge, parce que je suis son propriétaire. | reste son juge, parce que je suis son propriétaire. | ||
Le désintéressement pullule là où règne la « possession », aussi bien sur les possessions | Le désintéressement pullule là où règne la « possession », aussi bien sur les possessions | ||
du Diable que sur celles du bon Esprit : là, vice, folie, etc.; ici, résignation, | du Diable que sur celles du bon Esprit : là, vice, folie, etc.; ici, résignation, | ||
soumission, etc. | soumission, etc. | ||
Où tourner ses regards sans rencontrer quelque victime du renoncement ? | Où tourner ses regards sans rencontrer quelque victime du renoncement ? | ||
En face de chez moi habite une jeune fille qui depuis tantôt dix ans offre à son | En face de chez moi habite une jeune fille qui depuis tantôt dix ans offre à son | ||
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mortelle courbe aujourd'hui son front, et sa jeunesse saigne et meurt lentement sous | mortelle courbe aujourd'hui son front, et sa jeunesse saigne et meurt lentement sous | ||
ses joues pâles. | ses joues pâles. | ||
Pauvre enfant, que de fois les passions ont dû frapper à ton coeur, et réclamer pour | Pauvre enfant, que de fois les passions ont dû frapper à ton coeur, et réclamer pour | ||
ton printemps une part de soleil et de joie ! Quand tu posais ta tête sur l'oreiller, | ton printemps une part de soleil et de joie ! Quand tu posais ta tête sur l'oreiller, | ||
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dans tes artères! Toi seule le sais, et toi seule pourrais dire les ardentes rêveries qui | dans tes artères! Toi seule le sais, et toi seule pourrais dire les ardentes rêveries qui | ||
faisaient s'allumer dans tes yeux la flamme du désir. | faisaient s'allumer dans tes yeux la flamme du désir. | ||
Mais, soudain, à ton chevet se dressait un fantôme : l'Âme, le salut éternel ! | Mais, soudain, à ton chevet se dressait un fantôme : l'Âme, le salut éternel ! | ||
Effrayée, tu joignais les mains, tu levais vers le ciel ton regard éploré, tu — priais. | Effrayée, tu joignais les mains, tu levais vers le ciel ton regard éploré, tu — priais. | ||
Le tumulte de la nature s'apaisait et le calme immense de la mer s'appesantissait sur | Le tumulte de la nature s'apaisait et le calme immense de la mer s'appesantissait sur | ||
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et — l'âme était en repos. Tu t'endormais, et le lendemain c'étaient de nouveaux combats | et — l'âme était en repos. Tu t'endormais, et le lendemain c'étaient de nouveaux combats | ||
et — une nouvelle prière. | et — une nouvelle prière. | ||
Aujourd'hui, l'habitude du renoncement a glacé l'ardeur de tes désirs et les rosés | Aujourd'hui, l'habitude du renoncement a glacé l'ardeur de tes désirs et les rosés | ||
de ton printemps pâlissent au vent desséchant de ta félicité future. L'âme est sauve, le | de ton printemps pâlissent au vent desséchant de ta félicité future. L'âme est sauve, le | ||
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sagesse ! Une grisette, libre et joyeuse, pour mille vieilles filles blanchies dans la | sagesse ! Une grisette, libre et joyeuse, pour mille vieilles filles blanchies dans la | ||
vertu ! | vertu ! | ||
« Axiome, principe, point d'appui moral, autres formes sous lesquelles s'exprime | « Axiome, principe, point d'appui moral, autres formes sous lesquelles s'exprime | ||
l'idée fixe. | l'idée fixe. | ||
Archimède demandait, pour soulever la terre, un point d'appui en dehors d'elle. | Archimède demandait, pour soulever la terre, un point d'appui en dehors d'elle. | ||
C'est ce point d'appui que les hommes ont sans cesse cherché et que chacun a pris où | C'est ce point d'appui que les hommes ont sans cesse cherché et que chacun a pris où | ||
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le monde des idées, des pensées, des concepts, des essences, etc., c'est le Ciel. C'est | le monde des idées, des pensées, des concepts, des essences, etc., c'est le Ciel. C'est | ||
sur le ciel qu'on s'appuie pour ébranler la terre, et c'est du ciel qu'on se penche pour | sur le ciel qu'on s'appuie pour ébranler la terre, et c'est du ciel qu'on se penche pour | ||
contempler les agitations terrestres et — les mépriser. S'assurer le ciel, s'assurer | contempler les agitations terrestres et — les mépriser. S'assurer le ciel, s'assurer | ||
solidement et pour toujours le point d'appui céleste, combien a peiné pour cela la | solidement et pour toujours le point d'appui céleste, combien a peiné pour cela la | ||
douloureuse et inlassable humanité ! | douloureuse et inlassable humanité ! | ||
Le Christianisme s'est proposé de nous délivrer du déterminisme de la nature et de | Le Christianisme s'est proposé de nous délivrer du déterminisme de la nature et de | ||
la fatalité des appétits, Son but était donc que l'homme ne se laissât plus déterminer | la fatalité des appétits, Son but était donc que l'homme ne se laissât plus déterminer | ||
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désirs, de passions, etc., mais qu'il ne doit pas se laisser posséder par eux, qu'ils ne | désirs, de passions, etc., mais qu'il ne doit pas se laisser posséder par eux, qu'ils ne | ||
doivent pas être dans sa vie des facteurs fixes, incoercibles et inéluctables. | doivent pas être dans sa vie des facteurs fixes, incoercibles et inéluctables. | ||
Mais ce que le Christianisme (la Religion) a machiné contre les appétits, ne | Mais ce que le Christianisme (la Religion) a machiné contre les appétits, ne | ||
serions-nous pas en droit de le retourner contre l'Esprit (pensées, représentations, | serions-nous pas en droit de le retourner contre l'Esprit (pensées, représentations, | ||
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aurait pour effet de nous affranchir de l'Esprit, de nous délier du joug des représentations | aurait pour effet de nous affranchir de l'Esprit, de nous délier du joug des représentations | ||
et des idées. | et des idées. | ||
Le Christianisme disait : « Nous devons bien posséder des appétits, mais ces | Le Christianisme disait : « Nous devons bien posséder des appétits, mais ces | ||
appétits ne doivent pas nous posséder. » Nous lui répondons : « Nous devons bien | appétits ne doivent pas nous posséder. » Nous lui répondons : « Nous devons bien | ||
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deviennent tout-puissants et aucune objection de la chair ne prévaudra plus contre | deviennent tout-puissants et aucune objection de la chair ne prévaudra plus contre | ||
eux. | eux. | ||
Ce n'est cependant que par la « chair » que je puis secouer la tyrannie de l'Esprit, | Ce n'est cependant que par la « chair » que je puis secouer la tyrannie de l'Esprit, | ||
car ce n'est que quand un homme comprend aussi sa chair qu'il se comprend entièrement, | car ce n'est que quand un homme comprend aussi sa chair qu'il se comprend entièrement, | ||
et ce n'est que quand il se comprend entièrement qu'il est intelligent ou | et ce n'est que quand il se comprend entièrement qu'il est intelligent ou | ||
raisonnable. | raisonnable. | ||
Le Chrétien ne comprend pas la détresse de sa nature asservie, l'« humilité » est sa | Le Chrétien ne comprend pas la détresse de sa nature asservie, l'« humilité » est sa | ||
vie ; c'est pourquoi il ne murmure point contre l'iniquité lorsque sa personne en est | vie ; c'est pourquoi il ne murmure point contre l'iniquité lorsque sa personne en est | ||
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et de légalité, maître inflexible et inexorable, le tient captif. C'est l ce qu'ils appellent | et de légalité, maître inflexible et inexorable, le tient captif. C'est l ce qu'ils appellent | ||
la « royauté de l'Esprit » — c'est en même temps le point d'appui de l'Esprit. | la « royauté de l'Esprit » — c'est en même temps le point d'appui de l'Esprit. | ||
Et qui messieurs les Libéraux veulent-ils libérer ? Quelle est la liberté qu'ils | Et qui messieurs les Libéraux veulent-ils libérer ? Quelle est la liberté qu'ils | ||
appellent de tous leurs voeux ? Celle de l'Esprit, de l'esprit de moralité, de légalité, de | appellent de tous leurs voeux ? Celle de l'Esprit, de l'esprit de moralité, de légalité, de | ||
piété, etc. Mais messieurs les Antilibéraux n'ont pas d'autre désir, et le seul objet de la | piété, etc. Mais messieurs les Antilibéraux n'ont pas d'autre désir, et le seul objet de la | ||
dispute, c'est l'avantage, que chacun ambitionne, d'avoir seul la parole. L'Esprit reste | dispute, c'est l'avantage, que chacun ambitionne, d'avoir seul la parole. L'Esprit reste | ||
le maître absolu des uns et des autres, et s'ils se querellent, c'est uniquement pour | le maître absolu des uns et des autres, et s'ils se querellent, c'est uniquement pour | ||
savoir qui s'assiéra sur le trône héréditaire de « lieutenant du Seigneur ». | savoir qui s'assiéra sur le trône héréditaire de « lieutenant du Seigneur ». | ||
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comme celles de la nature ; leurs cadavres en se putréfiant engraisseront le sol pour | comme celles de la nature ; leurs cadavres en se putréfiant engraisseront le sol pour | ||
— nos moissons. | — nos moissons. | ||
Nous reviendrons par la suite sur une foule d'autres marottes : Vocation, Véracité, | Nous reviendrons par la suite sur une foule d'autres marottes : Vocation, Véracité, | ||
Amour, etc. | Amour, etc. | ||
Si j'oppose la spontanéité de l'inspiration la passivité de la suggestion, et ce qui | Si j'oppose la spontanéité de l'inspiration la passivité de la suggestion, et ce qui | ||
nous est propre à ce qui nous est donné, on aurait tort de me répondre que, tout tenant | nous est propre à ce qui nous est donné, on aurait tort de me répondre que, tout tenant | ||
Ligne 904 : | Ligne 973 : | ||
que nous avons toujours reçus tels quels, et jamais produits ; la preuve en est | que nous avons toujours reçus tels quels, et jamais produits ; la preuve en est | ||
que nous y croyons et qu'ils s'imposent à nous. | que nous y croyons et qu'ils s'imposent à nous. | ||
Qu'il y ait un Absolu, et que cet Absolu puisse être perçu, senti et pensé, c'est un | Qu'il y ait un Absolu, et que cet Absolu puisse être perçu, senti et pensé, c'est un | ||
article de foi pour ceux qui consacrent leurs veilles à le pénétrer et le définir. Le | article de foi pour ceux qui consacrent leurs veilles à le pénétrer et le définir. Le | ||
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les sentiments dont avait été farci son cerveau d'enfant, et il gaspilla son talent et ses | les sentiments dont avait été farci son cerveau d'enfant, et il gaspilla son talent et ses | ||
forces à habiller ses vieilles poupées. | forces à habiller ses vieilles poupées. | ||
On comprendra à présent de quelle valeur pratique est la différence que nous faisons | On comprendra à présent de quelle valeur pratique est la différence que nous faisons | ||
entre les sentiments qui nous sont donnés et ceux dont les circonstances extérieures | entre les sentiments qui nous sont donnés et ceux dont les circonstances extérieures | ||
ne font que provoquer en nous l'éclosion. Ces derniers nous sont propres, ils | ne font que provoquer en nous l'éclosion. Ces derniers nous sont propres, ils | ||
sont égoïstes, parce qu'on ne nous les a pas soufflés et imposés en tant que sentiments | sont égoïstes, parce qu'on ne nous les a pas soufflés et imposés en tant que sentiments; les premiers, au contraire, nous ont été donnés, nous les soignons comme un | ||
; les premiers, au contraire, nous ont été donnés, nous les soignons comme un | |||
héritage, nous les cultivons et ils nous possèdent. | héritage, nous les cultivons et ils nous possèdent. | ||
Qui a pu ne pas remarquer ou tout au moins éprouver que toute notre éducation | Qui a pu ne pas remarquer ou tout au moins éprouver que toute notre éducation | ||
consiste à greffer dans notre cervelle certains sentiments déterminés, au lieu d'y | consiste à greffer dans notre cervelle certains sentiments déterminés, au lieu d'y | ||
Ligne 932 : | Ligne 1 002 : | ||
au récit des hauts faits des méchants, ce serait au fouet à le punir et à le « ramener | au récit des hauts faits des méchants, ce serait au fouet à le punir et à le « ramener | ||
dans la bonne voie ». | dans la bonne voie ». | ||
Lorsque nous sommes ainsi bourrés de sentiments donnés, nous parvenons à la | Lorsque nous sommes ainsi bourrés de sentiments donnés, nous parvenons à la | ||
majorité et nous pouvons être « émancipés ». Notre équipement consiste en « sentiments | majorité et nous pouvons être « émancipés ». Notre équipement consiste en « sentiments | ||
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écoles pour qu'ils y apprennent les vieux refrains, et, quand ils les savent par coeur, | écoles pour qu'ils y apprennent les vieux refrains, et, quand ils les savent par coeur, | ||
l'heure de l'émancipation a sonné. | l'heure de l'émancipation a sonné. | ||
Il ne nous est pas permis d'éprouver, à l'occasion de chaque objet et de chaque | Il ne nous est pas permis d'éprouver, à l'occasion de chaque objet et de chaque | ||
nom qui se présentent à nous, le premier sentiment venu ; le nom de Dieu, par exemple, | nom qui se présentent à nous, le premier sentiment venu ; le nom de Dieu, par exemple, | ||
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que nous devons en penser et ce que nous devons sentir nous est d'avance tracé et | que nous devons en penser et ce que nous devons sentir nous est d'avance tracé et | ||
prescrit. | prescrit. | ||
Tel est le sens de ce qu'on appelle la « charge d'âme » : mon âme et mon esprit | Tel est le sens de ce qu'on appelle la « charge d'âme » : mon âme et mon esprit | ||
doivent être façonnés d'après ce qui convient aux autres, et non d'après ce qui pourrait | doivent être façonnés d'après ce qui convient aux autres, et non d'après ce qui pourrait | ||
me convenir à moi-même. | me convenir à moi-même. | ||
On sait combien il faut se donner de peine pour acquérir une façon à soi de sentir | On sait combien il faut se donner de peine pour acquérir une façon à soi de sentir | ||
vis-à-vis de bien des noms que l'on prononce même tous les jours ; on sait aussi | vis-à-vis de bien des noms que l'on prononce même tous les jours ; on sait aussi | ||
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étranger, ne nous appartient pas en propre ; aussi est-ce « sacré » et est-il malaisé de | étranger, ne nous appartient pas en propre ; aussi est-ce « sacré » et est-il malaisé de | ||
se dépouiller du « saint émoi » que cela nous inspire. | se dépouiller du « saint émoi » que cela nous inspire. | ||
On entend beaucoup vanter aujourd'hui le « sérieux », la « gravité dans les sujets | On entend beaucoup vanter aujourd'hui le « sérieux », la « gravité dans les sujets | ||
et les affaires de haute importance », la « gravité allemande », etc. Cette façon de | et les affaires de haute importance », la « gravité allemande », etc. Cette façon de | ||
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lorsqu'il se met à chevaucher sa chimère favorite ; devant son zèle, il ne s'agit plus de | lorsqu'il se met à chevaucher sa chimère favorite ; devant son zèle, il ne s'agit plus de | ||
plaisanter. (Voyez les maisons de fous.) | plaisanter. (Voyez les maisons de fous.) | ||
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== Notes et références == | |||
<references /> <!-- aide : http://fr.wikipedia.org/wiki/Aide:Notes et références --> | |||
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