Différences entre les versions de « Max Stirner: § 2. Les Possédés »

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{{titre|L’Unique et sa propriété|[[Max Stirner]]<br><small>(1845)</small>|§ 2. Les Possédés}}
{{titre|L’Unique et sa propriété|[[Max Stirner]]<br><small>(1845)</small>|§ 2. Les Possédés}}
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As-tu déjà vu un Esprit ? — Moi? non, mais ma grand-mère en a vu. — C'est
As-tu déjà vu un Esprit ? — Moi? non, mais ma grand-mère en a vu. — C'est
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cesse dans les jambes ; et, par respect pour le témoignage de nos grands-mères, nous
cesse dans les jambes ; et, par respect pour le témoignage de nos grands-mères, nous
croyons à l'existence des esprits.
croyons à l'existence des esprits.
Mais n'avions-nous pas aussi des grands-pères, et ne haussaient-ils pas les épaules
Mais n'avions-nous pas aussi des grands-pères, et ne haussaient-ils pas les épaules
chaque fois que nos grands-mères entamaient leurs histoires de revenants? Hélas! oui,
chaque fois que nos grands-mères entamaient leurs histoires de revenants? Hélas! oui,
c'étaient des incrédules et ils ont fait grand tort à notre bonne religion, tous ces
c'étaient des incrédules et ils ont fait grand tort à notre bonne religion, tous ces
philosophes. ! Nous le verrons bien par la suite !
philosophes. ! Nous le verrons bien par la suite !
Qu'y a-t-il au fond de cette foi profonde dans les revenants, sinon la foi dans
Qu'y a-t-il au fond de cette foi profonde dans les revenants, sinon la foi dans
l'existence d'êtres spirituels en général ? Et la seconde ne serait-elle pas déplorablement
l'existence d'êtres spirituels en général ? Et la seconde ne serait-elle pas déplorablement
ébranlée, s'il était établi que tout homme qui pense doit hausser les épaules
ébranlée, s'il était établi que tout homme qui pense doit hausser les épaules
devant la première?
devant la première?
Les Romantiques, sentant combien l'abandon de la croyance aux esprits ou revenants
Les Romantiques, sentant combien l'abandon de la croyance aux esprits ou revenants
compromettrait la croyance en Dieu même, s'efforcèrent de conjurer cette
compromettrait la croyance en Dieu même, s'efforcèrent de conjurer cette
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des légendes, mais ils finirent par exploiter le « monde supérieur » avec leurs
des légendes, mais ils finirent par exploiter le « monde supérieur » avec leurs
somnambules, leurs voyantes, etc.
somnambules, leurs voyantes, etc.
Les bons croyants et les Pères de l'Église ne soupçonnaient guère que, la croyance
Les bons croyants et les Pères de l'Église ne soupçonnaient guère que, la croyance
aux revenants s'effondrant, c’était le sol même qui se dérobait sous la Religion,
aux revenants s'effondrant, c’était le sol même qui se dérobait sous la Religion,
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qu'il ne se cache derrière les choses aucun être à part, aucun revenant, ou (pour employer
qu'il ne se cache derrière les choses aucun être à part, aucun revenant, ou (pour employer
un mot dont on a naïvement fait un synonyme de ce dernier) — aucun Esprit.
un mot dont on a naïvement fait un synonyme de ce dernier) — aucun Esprit.
« Mais il existe des Esprits! » Contemple le monde qui t'entoure, et dis-moi si
« Mais il existe des Esprits! » Contemple le monde qui t'entoure, et dis-moi si
derrière toute chose ne t'apparaît pas un Esprit. La fleur, l'humble fleur te dit l'Esprit
derrière toute chose ne t'apparaît pas un Esprit. La fleur, l'humble fleur te dit l'Esprit
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d'Esprits. Que les montagnes s'affaissent, que le monde des étoiles tombe en poussière,
d'Esprits. Que les montagnes s'affaissent, que le monde des étoiles tombe en poussière,
que les fleurs se flétrissent et que meurent les hommes, que survit-il à la ruine
que les fleurs se flétrissent et que meurent les hommes, que survit-il à la ruine
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 41
de ces corps visibles? L'Esprit, invisible, éternel ! Oui, tout dans ce monde est hanté!
de ces corps visibles? L'Esprit, invisible, éternel ! Oui, tout dans ce monde est hanté!
Que dis-je? Ce monde lui-même est hanté ; masque décevant, il est la forme errante
Que dis-je? Ce monde lui-même est hanté ; masque décevant, il est la forme errante
d'un Esprit, il est un fantôme.
d'un Esprit, il est un fantôme.
Qu'est-ce qu'un fantôme, sinon un corps apparent, mais un Esprit réel ? Tel est le
Qu'est-ce qu'un fantôme, sinon un corps apparent, mais un Esprit réel ? Tel est le
monde, « vain », « nul », illusoire apparence sans autre réalité que l'Esprit, dont il est
monde, « vain », « nul », illusoire apparence sans autre réalité que l'Esprit, dont il est
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que le reflet de l'Esprit qui l'habite, une apparition spectrale ; le monde entier n'est
que le reflet de l'Esprit qui l'habite, une apparition spectrale ; le monde entier n'est
qu'une fantasmagorie derrière la quelle s’agite l’Esprit. Tu « vois des Esprits ».
qu'une fantasmagorie derrière la quelle s’agite l’Esprit. Tu « vois des Esprits ».
Vas-tu peut-être le comparer aux Anciens, qui voyaient : partout des dieux ? Les
Vas-tu peut-être le comparer aux Anciens, qui voyaient : partout des dieux ? Les
dieux, mon cher Moderne, ne sont pas des Esprits ; les dieux ne réduisent pas le
dieux, mon cher Moderne, ne sont pas des Esprits ; les dieux ne réduisent pas le
monde à n'être qu'une apparence et ne le spiritualisent pas.
monde à n'être qu'une apparence et ne le spiritualisent pas.
À tes yeux, le monde entier est spiritualisé ; il est devenu un énigmatique fantôme;
À tes yeux, le monde entier est spiritualisé ; il est devenu un énigmatique fantôme;
aussi ne songes-tu même plus à t'étonner de ne trouver en toi qu'un fantôme. Ton
aussi ne songes-tu même plus à t'étonner de ne trouver en toi qu'un fantôme. Ton
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sommes-nous point tous des spectres, de pauvres êtres tourmentés qui attendent la
sommes-nous point tous des spectres, de pauvres êtres tourmentés qui attendent la
« délivrance »? Ne sommes-nous pas des « Esprits »?
« délivrance »? Ne sommes-nous pas des « Esprits »?
Depuis que l'Esprit a paru dans le monde, depuis que « le Verbe s'est fait chair »,
Depuis que l'Esprit a paru dans le monde, depuis que « le Verbe s'est fait chair »,
ce monde spiritualisé et livré aux enchantements n'est plus qu'une maison hantée.
ce monde spiritualisé et livré aux enchantements n'est plus qu'une maison hantée.
Tu as un esprit, car tu as des pensées. Mais que sont ces pensées ? — Des êtres
Tu as un esprit, car tu as des pensées. Mais que sont ces pensées ? — Des êtres
spirituels. — Elles ne sont donc point des choses ? — Non, mais l'Esprit des choses,
spirituels. — Elles ne sont donc point des choses ? — Non, mais l'Esprit des choses,
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supprimer la Vérité. Je crois à la Vérité et c'est pourquoi je la recherche ; rien ne la
supprimer la Vérité. Je crois à la Vérité et c'est pourquoi je la recherche ; rien ne la
dépasse, elle est éternelle.
dépasse, elle est éternelle.
La vérité est sacrée et éternelle ! Mais toi, qui t'emplis de cette sainteté et en fais
La vérité est sacrée et éternelle ! Mais toi, qui t'emplis de cette sainteté et en fais
ton guide, tu seras toi-même sanctifié. Le Sacré ne se manifeste jamais à tes sens, ce
ton guide, tu seras toi-même sanctifié. Le Sacré ne se manifeste jamais à tes sens, ce
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foi, ou plus exactement à ton Esprit, car il est lui-même quelque chose de spirituel, un
foi, ou plus exactement à ton Esprit, car il est lui-même quelque chose de spirituel, un
Esprit ; il est Esprit pour l'Esprit.
Esprit ; il est Esprit pour l'Esprit.
La notion de sainteté ne se laisse pas extirper aussi facilement que beaucoup
La notion de sainteté ne se laisse pas extirper aussi facilement que beaucoup
semblent le croire, qui se refusent à employer encore ce mot « impropre ». À quelque
semblent le croire, qui se refusent à employer encore ce mot « impropre ». À quelque
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chose de « saint », de « sacré ». Que ce sacro-saint soit d'ailleurs si humain que l'on
chose de « saint », de « sacré ». Que ce sacro-saint soit d'ailleurs si humain que l'on
voudra, qu'il soit l'Humain même, cela ne lui enlève rien de son caractère et fait tout
voudra, qu'il soit l'Humain même, cela ne lui enlève rien de son caractère et fait tout
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 42
au plus de ce sacré supra-terrestre un sacré terrestre, de ce sacré divin un sacré
au plus de ce sacré supra-terrestre un sacré terrestre, de ce sacré divin un sacré
humain.
humain.
Rien n'est sacré que pour l'Égoïste qui ne se rend pas compte de son égoïsme,
Rien n'est sacré que pour l'Égoïste qui ne se rend pas compte de son égoïsme,
pour l'Égoïste involontaire. J'appelle ainsi celui qui, incapable de dépasser jamais les
pour l'Égoïste involontaire. J'appelle ainsi celui qui, incapable de dépasser jamais les
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ses peines pour s'affranchir de son moi ne sont qu'un effort mal compris pour affranchir
ses peines pour s'affranchir de son moi ne sont qu'un effort mal compris pour affranchir
son moi.
son moi.
Es-tu lié à ton heure passée? Dois-tu faire aujourd'hui ce que tu fis hier 1 ? Ne
 
Es-tu lié à ton heure passée? Dois-tu faire aujourd'hui ce que tu fis hier <ref>1 Wie sie klingeln, die Pfaffen, wie angelegen Sie's machen,
Dass man komme, nur ja plappre, wie gestern, so heut.
Scheltet mir nicht die Pfaffen ! Sie kennen des Menschen
[Bedürfniss ;
Denn wie ist er beglückt, plappert er morgen wie heut.
GOETHE (Épigrammes vénitiennes, II).</ref> ? Ne
peux-tu te transformer à chaque instant ? S'il en était ainsi, tu te sentirais enchaîné et
peux-tu te transformer à chaque instant ? S'il en était ainsi, tu te sentirais enchaîné et
paralysé. Mais, à chaque minute de ton existence, une nouvelle minute de l'avenir te
paralysé. Mais, à chaque minute de ton existence, une nouvelle minute de l'avenir te
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involontaire, et c'est pourquoi l' « être supérieur » reste pour toi un étranger. Tout être
involontaire, et c'est pourquoi l' « être supérieur » reste pour toi un étranger. Tout être
supérieur, Vérité, Humanité, etc., est un être au-dessus de nous.
supérieur, Vérité, Humanité, etc., est un être au-dessus de nous.
Il nous est étranger ; c'est là un signe auquel nous reconnaissons ce qui est
Il nous est étranger ; c'est là un signe auquel nous reconnaissons ce qui est
« sacré ». II y a dans tout ce qui est sacré quelque chose d'inconnu, de différent, qui
« sacré ». II y a dans tout ce qui est sacré quelque chose d'inconnu, de différent, qui
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si, au contraire, la figure de l'empereur de Chine m'est sacrée, elle reste étrangère à
si, au contraire, la figure de l'empereur de Chine m'est sacrée, elle reste étrangère à
mes yeux et je les baisse devant lui.
mes yeux et je les baisse devant lui.
Pourquoi une vérité mathématique indiscutable, qu'on pourrait dans le sens usuel
Pourquoi une vérité mathématique indiscutable, qu'on pourrait dans le sens usuel
du mot appeler éternelle, ne m'est-elle pas — sacrée ? Parce qu'elle n'est pas révélée ;
du mot appeler éternelle, ne m'est-elle pas — sacrée ? Parce qu'elle n'est pas révélée ;
elle n'est point la révélation d'un être supérieur. Entendre uniquement par révélées les
elle n'est point la révélation d'un être supérieur. Entendre uniquement par révélées les
« vérités religieuses » serait absolument erroné, ce serait méconnaître complètement
« vérités religieuses » serait absolument erroné, ce serait méconnaître complètement
la valeur du concept « être supérieur ». Les athées tournent en dérision cet être supérieur
la valeur du concept « être supérieur». Les athées tournent en dérision cet être supérieur
auquel on a voué un culte sous le nom d' « être suprême * », et réduisent en
auquel on a voué un culte sous le nom d' « être suprême <ref>* En français dans le texte. (Note du Traducteur.)</ref> », et réduisent enpoussière l'une après l'autre toutes les « preuves de son existence », sans remarquer
poussière l'une après l'autre toutes les « preuves de son existence », sans remarquer
qu'eux-mêmes obéissent ainsi à leur besoin d'un être supérieur, et qu'ils ne détruisent
qu'eux-mêmes obéissent ainsi à leur besoin d'un être supérieur, et qu'ils ne détruisent
1 Wie sie klingeln, die Pfaffen, wie angelegen Sie's machen,
Dass man komme, nur ja plappre, wie gestern, so heut.
Scheltet mir nicht die Pfaffen ! Sie kennen des Menschen
[Bedürfniss ;
Denn wie ist er beglückt, plappert er morgen wie heut.
GOETHE (Épigrammes vénitiennes, II).
* En français dans le texte. (Note du Traducteur.)
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 43
l'ancien que pour faire place à un nouveau. À côté d'un individu humain, l'« Homme »
l'ancien que pour faire place à un nouveau. À côté d'un individu humain, l'« Homme »
n'est-il pas un être supérieur ? Et les Vérités, les Droits, les Idées qui découlent de son
n'est-il pas un être supérieur ? Et les Vérités, les Droits, les Idées qui découlent de son
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même), mais une essence, un être « supérieur », et, pour les athées eux-mêmes,
même), mais une essence, un être « supérieur », et, pour les athées eux-mêmes,
l'essence ou l'Être « suprêmes ».
l'essence ou l'Être « suprêmes ».
De même que les révélations divines ne furent pas écrites de la main de Dieu,
De même que les révélations divines ne furent pas écrites de la main de Dieu,
mais publiées par les « instruments du Seigneur », de même l'Homme ne publie pas
mais publiées par les « instruments du Seigneur », de même l'Homme ne publie pas
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les hommes ». L'Esprit réintègre ainsi sa forme de fantôme et redevient compact et
les hommes ». L'Esprit réintègre ainsi sa forme de fantôme et redevient compact et
populaire à souhait.
populaire à souhait.
Saint donc est l'être suprême, saint est tout ce en quoi il se révèle ou se révélera, et
Saint donc est l'être suprême, saint est tout ce en quoi il se révèle ou se révélera, et
sanctifiés sont ceux qui reconnaissent cet être suprême dans leur propre être, c'est-àdire
sanctifiés sont ceux qui reconnaissent cet être suprême dans leur propre être, c'est-àdire
dans les manifestations de cet être. Ce qui est saint sanctifie en retour son adorateur
dans les manifestations de cet être. Ce qui est saint sanctifie en retour son adorateur; le culte qu'il lui rend le sanctifie et sanctifie ce qu'il fait : un saint commerce, desaintes pensées et de saintes actions, etc.
; le culte qu'il lui rend le sanctifie et sanctifie ce qu'il fait : un saint commerce, de
 
saintes pensées et de saintes actions, etc.
L'objet qui doit être honoré comme l'être suprême ne peut, on le conçoit, être
L'objet qui doit être honoré comme l'être suprême ne peut, on le conçoit, être
discuté avec fruit que pour autant que les contradicteurs les plus acharnés sont
discuté avec fruit que pour autant que les contradicteurs les plus acharnés sont
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serait qu'à ses yeux l'hypothèse d'un être suprême est nulle et que toute contestation à
serait qu'à ses yeux l'hypothèse d'un être suprême est nulle et que toute contestation à
ce propos est un jeu puéril. Que votre être suprême soit le Dieu unique en trois personnes,
ce propos est un jeu puéril. Que votre être suprême soit le Dieu unique en trois personnes,
le Dieu de Luther, l' « Être suprême * » du Déiste, ou qu'il ne soit nullement
le Dieu de Luther, l' « Être suprême <ref>* En français dans le texte. (Note du Traducteur.)</ref> » du Déiste, ou qu'il ne soit nullement
Dieu mais l’ « Homme », c'est tout un pour qui nie l'être suprême lui-même : Vous
Dieu mais l’ « Homme », c'est tout un pour qui nie l'être suprême lui-même : Vous
tous qui servez un Être suprême quel qu'il soit, vous n'êtes que des — gens pieux,
tous qui servez un Être suprême quel qu'il soit, vous n'êtes que des — gens pieux,
l'athée le plus frénétique comme le plus fervent chrétien.
l'athée le plus frénétique comme le plus fervent chrétien.
Dans la sainteté vient au premier rang l'Être suprême, et avec lui notre « sainte
Dans la sainteté vient au premier rang l'Être suprême, et avec lui notre « sainte
croyance ».
croyance ».
* En français dans le texte. (Note du Traducteur.)
 
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 44
 
LE FANTÔME
== LE FANTÔME ==
 
 
Avec les revenants nous entrons dans le royaume des esprits, dans le royaume des
Avec les revenants nous entrons dans le royaume des esprits, dans le royaume des
Êtres, des Essences.
Êtres, des Essences.
L'être énigmatique et « incompréhensible » qui hante et trouble l'univers est le
L'être énigmatique et « incompréhensible » qui hante et trouble l'univers est le
fantôme mystérieux que nous nommons être suprême. Pénétrer ce fantôme, le saisir,
fantôme mystérieux que nous nommons être suprême. Pénétrer ce fantôme, le saisir,
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et corporelle. Derrière le monde existant, ils cherchèrent la « chose en soi », l'être,
et corporelle. Derrière le monde existant, ils cherchèrent la « chose en soi », l'être,
l'essence ; derrière la chose, ils cherchèrent la non-chose.
l'essence ; derrière la chose, ils cherchèrent la non-chose.
Qu'on examine à fond le moindre phénomène, qu'on en recherche l'essence, et l'on
Qu'on examine à fond le moindre phénomène, qu'on en recherche l'essence, et l'on
y découvrira souvent tout autre chose que ce qui paraissait à première vue : une
y découvrira souvent tout autre chose que ce qui paraissait à première vue : une
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Et par là même qu'on fait ressortir l'essence, on réduit l'aspect jusqu'alors mal compris
Et par là même qu'on fait ressortir l'essence, on réduit l'aspect jusqu'alors mal compris
à une mensongère apparence.
à une mensongère apparence.
L'essence de ce monde superbe est, pour celui qui en scrute les profondeurs, la —
L'essence de ce monde superbe est, pour celui qui en scrute les profondeurs, la —
vanité. Celui qui est religieux ne s'occupe point de l'apparence trompeuse, des vains
vanité. Celui qui est religieux ne s'occupe point de l'apparence trompeuse, des vains
phénomènes, mais recherche l'essence, et quand il tient cette essence il tient — la
phénomènes, mais recherche l'essence, et quand il tient cette essence il tient — la
Vérité.
Vérité.
Les essences qui se manifestent sous certaines apparences sont les mauvaises
Les essences qui se manifestent sous certaines apparences sont les mauvaises
essences, celles qui se manifestent sous d'autres sont les bonnes. L'essence du sentiment
essences, celles qui se manifestent sous d'autres sont les bonnes. L'essence du sentiment
humain, par exemple, est l'amour, l'essence de la volonté humaine est le bien,
humain, par exemple, est l'amour, l'essence de la volonté humaine est le bien,
celle de la pensée est le vrai, etc.
celle de la pensée est le vrai, etc.
Ce qui passe d'abord pour existant, comme le monde et ce qui s'y rapporte, apparaît
Ce qui passe d'abord pour existant, comme le monde et ce qui s'y rapporte, apparaît
maintenant comme une pure illusion, et ce qui existe vraiment, c'est l'essence,
maintenant comme une pure illusion, et ce qui existe vraiment, c'est l'essence,
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reconnaître que les essences, tel est le propre de la religion ; son royaume est un
reconnaître que les essences, tel est le propre de la religion ; son royaume est un
royaume des essences, des fantômes, des revenants.
royaume des essences, des fantômes, des revenants.
L'effort pour rendre saisissable le fantôme, ou pour réaliser le « non-sens * » a
 
abouti à produire un fantôme corporel, un fantôme ou un esprit pourvu d'un corps
L'effort pour rendre saisissable le fantôme, ou pour réaliser le « non-sens <ref> « Non-sens » en français dans le texte. (Note du Traducteur.) »</ref> a abouti à produire un fantôme corporel, un fantôme ou un esprit pourvu d'un corps
réel, un fantôme fait chair. Comment les plus puissants génies du christianisme se
réel, un fantôme fait chair. Comment les plus puissants génies du christianisme se
sont mis l'esprit à la torture pour saisir cette apparence fantomatique, chacun le sait;
sont mis l'esprit à la torture pour saisir cette apparence fantomatique, chacun le sait;
mais, en dépit de leurs efforts, la contradiction des deux natures est reste irréductible :
mais, en dépit de leurs efforts, la contradiction des deux natures est reste irréductible :
d'une part la divine, d'autre part l'humaine ; d'une part le fantôme, de l'autre le corps
d'une part la divine, d'autre part l'humaine ; d'une part le fantôme, de l'autre le corps
* « Non-sens » en français dans le texte. (Note du Traducteur.)
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 45
sensible. Le plus extraordinaire des fantômes est resté une « non-chose ». Celui qui se
sensible. Le plus extraordinaire des fantômes est resté une « non-chose ». Celui qui se
martyrisait l'âme n'était point encore un Esprit, et nul chaman qui se torture jusqu'au
martyrisait l'âme n'était point encore un Esprit, et nul chaman qui se torture jusqu'au
délire furieux et à la frénésie pour exorciser un esprit n'a éprouvé les angoisses que ce
délire furieux et à la frénésie pour exorciser un esprit n'a éprouvé les angoisses que ce
spectre insaisissable procura aux Chrétiens.
spectre insaisissable procura aux Chrétiens.
C'est le Christ qui mit en lumière cette vérité que le véritable Esprit, le fantôme
C'est le Christ qui mit en lumière cette vérité que le véritable Esprit, le fantôme
par excellence, est — l'Homme. L'esprit fait chair, c'est l'Homme ; il est lui-même
par excellence, est — l'Homme. L'esprit fait chair, c'est l'Homme ; il est lui-même
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la pensée la plus douce (et cette pensée est elle-même un Esprit) est peut-être un
la pensée la plus douce (et cette pensée est elle-même un Esprit) est peut-être un
diable, etc.
diable, etc.
Le fantôme a pris un corps, le Dieu s'est fait homme, mais l'homme est maintenant
Le fantôme a pris un corps, le Dieu s'est fait homme, mais l'homme est maintenant
lui-même le terrifiant fantôme derrière lequel il s'efforce de pénétrer, qu'il cherche
lui-même le terrifiant fantôme derrière lequel il s'efforce de pénétrer, qu'il cherche
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revenant, un fantôme obscur et décevant, auquel une place déterminée est assignée
revenant, un fantôme obscur et décevant, auquel une place déterminée est assignée
dans le corps. (Discussions sur le siège de l'âme : est-elle dans la tête? etc.)
dans le corps. (Discussions sur le siège de l'âme : est-elle dans la tête? etc.)
Tu n'es pas pour moi un être supérieur, et je n'en suis point un pour toi. Il se peut
Tu n'es pas pour moi un être supérieur, et je n'en suis point un pour toi. Il se peut
toutefois que chacun de nous recèle un être supérieur, qui exige de nous un respect
toutefois que chacun de nous recèle un être supérieur, qui exige de nous un respect
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passagère, toi en qui un esprit se manifeste sans être lié à ton corps et à ce mode
passagère, toi en qui un esprit se manifeste sans être lié à ton corps et à ce mode
d'apparition, comme un fantôme.
d'apparition, comme un fantôme.
Aussi ne te considéré-je point comme un être supérieur ; ce que je respecte en toi,
Aussi ne te considéré-je point comme un être supérieur ; ce que je respecte en toi,
ce n'est que l'être supérieur que tu héberges, c'est-à-dire l' « Homme ». Les Anciens
ce n'est que l'être supérieur que tu héberges, c'est-à-dire l' « Homme ». Les Anciens
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supérieur, elle n'est ni plus haute ni plus générale que toi, elle est unique comme toimême,
supérieur, elle n'est ni plus haute ni plus générale que toi, elle est unique comme toimême,
c'est toi-même.
c'est toi-même.
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 46
 
Mais l'homme n'est pas seul un fantôme ; tout est hanté. L'être supérieur, l'Esprit
Mais l'homme n'est pas seul un fantôme ; tout est hanté. L'être supérieur, l'Esprit
qui s'agite en toutes choses, n'est lié à rien et ne fait que « paraître » dans les choses.
qui s'agite en toutes choses, n'est lié à rien et ne fait que « paraître » dans les choses.
Fantômes dans tous les coins!
Fantômes dans tous les coins!
Ce serait ici le lieu de faire défiler ces fantômes ; mais nous aurons l'occasion
Ce serait ici le lieu de faire défiler ces fantômes ; mais nous aurons l'occasion
dans la suite de les évoquer de nouveau pour les voir s'envoler devant l'égoïsme. Nous
dans la suite de les évoquer de nouveau pour les voir s'envoler devant l'égoïsme. Nous
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Saint-Esprit, ainsi la Vérité, le Roi, la Loi, le Bien, la Majesté, l'Honneur, le Bien
Saint-Esprit, ainsi la Vérité, le Roi, la Loi, le Bien, la Majesté, l'Honneur, le Bien
public, l'Ordre, la Patrie, etc.
public, l'Ordre, la Patrie, etc.
LA MAROTTE
 
 
== LA MAROTTE ==
 
 
Homme, ta cervelle est hantée, tu bats la campagne! Dans tes rêves démesurés, tu
Homme, ta cervelle est hantée, tu bats la campagne! Dans tes rêves démesurés, tu
te forges tout un monde divin, un royaume des Esprits qui t'attend, un Idéal qui
te forges tout un monde divin, un royaume des Esprits qui t'attend, un Idéal qui
t'invite. Tu as une idée fixe!
t'invite. Tu as une idée fixe!
Ne crois pas que je plaisante ou que je parle par métaphore, quand je déclare
Ne crois pas que je plaisante ou que je parle par métaphore, quand je déclare
radicalement fous, fous à lier, tous ceux que l'infini, le surhumain tourmente, c'est-àdire,
radicalement fous, fous à lier, tous ceux que l'infini, le surhumain tourmente, c'est-àdire,
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d'aujourd'hui et d'écouter parler les Philistins pour acquérir bien vite la désolante
d'aujourd'hui et d'écouter parler les Philistins pour acquérir bien vite la désolante
conviction qu'on est enfermé avec des fous dans une maison de santé. « Tu ne
conviction qu'on est enfermé avec des fous dans une maison de santé. « Tu ne
traiteras pas ton frère de fou, sinon..., etc.! Mais la menace me laisse froid, et je répète
traiteras pas ton frère de fou, sinon..., etc.! Mais la menace me laisse froid, et je répète: mes frères sont des fous fieffés.
: mes frères sont des fous fieffés.
 
Qu'un pauvre fou dans son cabanon se nourrisse de l'illusion qu'il est Dieu le Père,
Qu'un pauvre fou dans son cabanon se nourrisse de l'illusion qu'il est Dieu le Père,
l'empereur du Japon, le Saint-Esprit, ou qu'un brave bourgeois s'imagine qu'il est
l'empereur du Japon, le Saint-Esprit, ou qu'un brave bourgeois s'imagine qu'il est
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bouquins dans les limites de la superstition papiste, sans que le moindre doute
bouquins dans les limites de la superstition papiste, sans que le moindre doute
effleurât leur croyance ; c'est ainsi que les écrivains entassent in-folio sur in-folio
effleurât leur croyance ; c'est ainsi que les écrivains entassent in-folio sur in-folio
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 47
traitant de l'État, sans jamais mettre en question l'idée fixe d'État elle-même; c'est
traitant de l'État, sans jamais mettre en question l'idée fixe d'État elle-même; c'est
ainsi que nos gazettes regorgent de politique parce qu'elles sont infectées de cette
ainsi que nos gazettes regorgent de politique parce qu'elles sont infectées de cette
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met en doute joue avec les vases de l'autel! Redisons-le encore : une idée fixe, voilà
met en doute joue avec les vases de l'autel! Redisons-le encore : une idée fixe, voilà
ce qu'est le vrai sacro-saint!
ce qu'est le vrai sacro-saint!
Ne nous heurtons-nous qu'à des possédés du Diable, ou rencontrons-nous aussi
Ne nous heurtons-nous qu'à des possédés du Diable, ou rencontrons-nous aussi
souvent des possédés d'espèce contraire, possédés par le Bien, la Vertu, la Morale, la
souvent des possédés d'espèce contraire, possédés par le Bien, la Vertu, la Morale, la
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la « tentation », de l'autre la « grâce »; mais quelle que soit celle qui opère, les
la « tentation », de l'autre la « grâce »; mais quelle que soit celle qui opère, les
possédés n'en sont pas moins acharnés dans leur opinion.
possédés n'en sont pas moins acharnés dans leur opinion.
« Possession » vous déplaît ? Dites obsession, ou, puisque c'est l'Esprit qui vous
« Possession » vous déplaît ? Dites obsession, ou, puisque c'est l'Esprit qui vous
possède et qui vous suggère tout, dites inspiration, enthousiasme. J'ajoute que l'enthousiasme,
possède et qui vous suggère tout, dites inspiration, enthousiasme. J'ajoute que l'enthousiasme,
dans sa plénitude, car il ne peut être question de faux, de demi-enthousiasme,
dans sa plénitude, car il ne peut être question de faux, de demi-enthousiasme,
s'appelle — fanatisme.
s'appelle — fanatisme.
Le fanatisme est spécialement propre aux gens cultivés, car la culture d'un homme
Le fanatisme est spécialement propre aux gens cultivés, car la culture d'un homme
est en raison de l'intérêt qu'il attache aux choses de l'esprit, et cet intérêt spirituel s'il
est en raison de l'intérêt qu'il attache aux choses de l'esprit, et cet intérêt spirituel s'il
est fort et vivace, n'est et ne peut être que fanatisme ; c'est, un intérêt fanatique pour
est fort et vivace, n'est et ne peut être que fanatisme ; c'est, un intérêt fanatique pour
ce qui est sacré (fanum).
ce qui est sacré (fanum).
Observez nos libéraux, lisez certains de nos journaux saxons, et écoutez ce que dit
Observez nos libéraux, lisez certains de nos journaux saxons, et écoutez ce que dit
Schlosser 1 : « La société d'Holbach ourdit un complot formel contre la doctrine
Schlosser <ref>1 Achtzehntes Jahrhundert, II, 519.</ref> : « La société d'Holbach ourdit un complot formel contre la doctrine
traditionnelle et l'ordre établi, et ses membres mettaient dans leur incrédulité autant de
traditionnelle et l'ordre établi, et ses membres mettaient dans leur incrédulité autant de
fanatisme que moines et curés, jésuites, piétistes et méthodistes ont coutume d'en
fanatisme que moines et curés, jésuites, piétistes et méthodistes ont coutume d'en
mettre au service de leur piété machinale et de leur foi littérale. »
mettre au service de leur piété machinale et de leur foi littérale. »
Examinez la façon dont se comporte aujourd'hui un homme « moral », qui pense
Examinez la façon dont se comporte aujourd'hui un homme « moral », qui pense
en avoir bien fini avec Dieu, et qui rejette le Christianisme comme une guenille usée.
en avoir bien fini avec Dieu, et qui rejette le Christianisme comme une guenille usée.
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Krummacher ou à un Philippe II. Ceux-ci défendaient l'autorité religieuse de l'Église,
Krummacher ou à un Philippe II. Ceux-ci défendaient l'autorité religieuse de l'Église,
lui défend l'autorité morale de l'État, les lois morales sur lesquelles l'État : repose; l'un
lui défend l'autorité morale de l'État, les lois morales sur lesquelles l'État : repose; l'un
1 Achtzehntes Jahrhundert, II, 519.
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 48
comme l'autre condamnent au nom d'articles de foi : quiconque agit autrement que ne
comme l'autre condamnent au nom d'articles de foi : quiconque agit autrement que ne
le permet leur foi à eux, on lui infligera la flétrissure due à son « crime », et on
le permet leur foi à eux, on lui infligera la flétrissure due à son « crime », et on
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général : « Sainteté divine! » crient les zélateurs de la Foi, « Vertu sacrée! » crient les
général : « Sainteté divine! » crient les zélateurs de la Foi, « Vertu sacrée! » crient les
apôtres de la Morale.
apôtres de la Morale.
Ceux qui s'agitent pour les intérêts sacrés se ressemblent. souvent fort peu.
Ceux qui s'agitent pour les intérêts sacrés se ressemblent. souvent fort peu.
Combien les orthodoxes stricts ou vieux croyants diffèrent des combattants pour « la
Combien les orthodoxes stricts ou vieux croyants diffèrent des combattants pour « la
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il est vrai, à la rage de persécution de jadis, mais celle-ci s'est tournée tout entière
il est vrai, à la rage de persécution de jadis, mais celle-ci s'est tournée tout entière
contre l'hérétique qui touche à la morale pure.
contre l'hérétique qui touche à la morale pure.
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La Piété a eu depuis un siècle tant d'assauts à subir, elle a si souvent entendu
La Piété a eu depuis un siècle tant d'assauts à subir, elle a si souvent entendu
reprocher à son essence surhumaine d'être tout bonnement « inhumaine », qu'on ne
reprocher à son essence surhumaine d'être tout bonnement « inhumaine », qu'on ne
peut plus guère être tenté de s'attaquer à elle. Et cependant, si des adversaires se sont
peut plus guère être tenté de s'attaquer à elle. Et cependant, si des adversaires se sont
présentés pour la combattre, ce fut presque toujours au nom de la Morale elle-même,
présentés pour la combattre, ce fut presque toujours au nom de la Morale elle-même,
pour détrôner l'Être suprême au profit d'un — autre être suprême. Ainsi Proudhon 1
pour détrôner l'Être suprême au profit d'un — autre être suprême. Ainsi Proudhon <ref>PROUDHON : De la création de l'ordre, p. 36.</ref> n'hésite pas à dire : « Les hommes sont destinés à vivre sans religion, mais la morale
n'hésite pas à dire : « Les hommes sont destinés à vivre sans religion, mais la morale
est éternelle et absolue; qui oserait aujourd’hui attaquer la morale ? » Les moralistes
est éternelle et absolue; qui oserait aujourd’hui attaquer la morale ? » Les moralistes
ont tous passé dans le lit de la Religion, et après qu'ils se sont plongés jusqu'au cou
ont tous passé dans le lit de la Religion, et après qu'ils se sont plongés jusqu'au cou
dans l'adultère, c'est à qui dira aujourd'hui en s'essuyant la bouche : « La Religion ? Je
dans l'adultère, c'est à qui dira aujourd'hui en s'essuyant la bouche : « La Religion ? Je
ne connais pas cette femme-là ! »
ne connais pas cette femme-là ! »
Si nous montrons que la Religion est loin d'être mortellement atteinte tant qu'on se
Si nous montrons que la Religion est loin d'être mortellement atteinte tant qu'on se
borne à incriminer son essence surnaturelle, et qu'elle en appelle en dernière instance
borne à incriminer son essence surnaturelle, et qu'elle en appelle en dernière instance
à l' « Esprit » (car Dieu est l'Esprit), nous aurons suffisamment fait voir son accord
à l' « Esprit » (car Dieu est l'Esprit), nous aurons suffisamment fait voir son accord
1 PROUDHON : De la création de l'ordre, p. 36.
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 49
final avec la moralité pour qu'il nous soit permis de les laisser à leur interminable
final avec la moralité pour qu'il nous soit permis de les laisser à leur interminable
querelle.
querelle.
Que vous parliez de la Religion ou de la Morale, il s'agit toujours d'un être suprême;
Que vous parliez de la Religion ou de la Morale, il s'agit toujours d'un être suprême;
que cet être suprême soit surhumain ou humain, peu m'importe, il en est en tout
que cet être suprême soit surhumain ou humain, peu m'importe, il en est en tout
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l' « Homme », il n'aura fait que quitter la peau de la vieille religion pour revêtir une
l' « Homme », il n'aura fait que quitter la peau de la vieille religion pour revêtir une
nouvelle peau religieuse.
nouvelle peau religieuse.
Voyez Feuerbach : il nous enseigne que « du moment qu'on s'en tient à la
Voyez Feuerbach : il nous enseigne que « du moment qu'on s'en tient à la
philosophie spéculative, c'est-à-dire qu'on fait systématiquement du prédicat le sujet,
philosophie spéculative, c'est-à-dire qu'on fait systématiquement du prédicat le sujet,
et, réciproquement, du sujet l'objet et le principe, on possède la vérité nue et sans
et, réciproquement, du sujet l'objet et le principe, on possède la vérité nue et sans
voiles 1. Sans doute, nous abandonnons ainsi le point de vue étroit de la Religion,
voiles <ref>FEUERBACH : Anekdota, II, 64.</ref>. Sans doute, nous abandonnons ainsi le point de vue étroit de la Religion,
nous abandonnons le Dieu qui à ce point de vue est sujet ; mais nous ne faisons que le
nous abandonnons le Dieu qui à ce point de vue est sujet ; mais nous ne faisons que le
troquer pour l'autre face du point de vue religieux, le Moral. Nous ne disons plus, par
troquer pour l'autre face du point de vue religieux, le Moral. Nous ne disons plus, par
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nous exprimer plus exactement, l'amour est ce qu'il y a dans l'homme de véritablement
nous exprimer plus exactement, l'amour est ce qu'il y a dans l'homme de véritablement
humain, et ce qu'il y a en lui d'inhumain, c'est l'égoïsme sans amour.
humain, et ce qu'il y a en lui d'inhumain, c'est l'égoïsme sans amour.
Mais, précisément, tout ce que le Christianisme, et avec lui la philosophie spéculative,
Mais, précisément, tout ce que le Christianisme, et avec lui la philosophie spéculative,
c'est-à-dire la théologie, nous présente comme le bien, l'absolu, n'est proprement
c'est-à-dire la théologie, nous présente comme le bien, l'absolu, n'est proprement
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que vous ne faites que le refouler dans le coeur humain et le doter d'une indéracinable
que vous ne faites que le refouler dans le coeur humain et le doter d'une indéracinable
« immanence ». Il faudra dire désormais : le divin est le véritablement humain.
« immanence ». Il faudra dire désormais : le divin est le véritablement humain.
Ceux-là mêmes qui se refusent à voir dans le Christianisme le fondement de
Ceux-là mêmes qui se refusent à voir dans le Christianisme le fondement de
l'État, et qui s'insurgent contre toute formule telle que État chrétien, Christianisme
l'État, et qui s'insurgent contre toute formule telle que État chrétien, Christianisme
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et de l'État ». Comme si le règne de la Moralité n'était pas la domination absolue du
et de l'État ». Comme si le règne de la Moralité n'était pas la domination absolue du
sacré, une « Hiérarchie » !
sacré, une « Hiérarchie » !
À ce propos, on peut se rappeler la tentative d'explication qu'on a voulu opposer à
À ce propos, on peut se rappeler la tentative d'explication qu'on a voulu opposer à
l'ancienne doctrine des théologiens. À les en croire, la foi seule serait capable de saisir
l'ancienne doctrine des théologiens. À les en croire, la foi seule serait capable de saisir
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connaître Dieu (singulière prétention de la raison, pour le dire en passant, que de
connaître Dieu (singulière prétention de la raison, pour le dire en passant, que de
vouloir rivaliser de fantaisie avec la fantaisie elle-même).
vouloir rivaliser de fantaisie avec la fantaisie elle-même).
C’est dans ce sens que Reimarus écrivit ses Vornehmsten Wahrheiten der
C’est dans ce sens que Reimarus écrivit ses Vornehmsten Wahrheiten der
natülichen Religion (principales vérités de la Religion naturelle). Il en vint à consi-
natülichen Religion (principales vérités de la Religion naturelle). Il en vint à considérer l'homme entier comme tendant à la religion par toutes ses facultés ; coeur,
1 FEUERBACH : Anekdota, II, 64.
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 50
dérer l'homme entier comme tendant à la religion par toutes ses facultés ; coeur,
sentiment, intelligence, raison, sentir, savoir, vouloir, tout chez l'homme lui parut
sentiment, intelligence, raison, sentir, savoir, vouloir, tout chez l'homme lui parut
religieux. Hegel a bien montré que la philosophie elle-même est religieuse ! Et que ne
religieux. Hegel a bien montré que la philosophie elle-même est religieuse ! Et que ne
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« Religion de la Liberté », la « Religion politique », bref, tout enthousiasme. Et, au
« Religion de la Liberté », la « Religion politique », bref, tout enthousiasme. Et, au
fond, on n'a pas tort !
fond, on n'a pas tort !
Aujourd'hui encore nous employons ce mot d'origine latine « Religion », qui, par
Aujourd'hui encore nous employons ce mot d'origine latine « Religion », qui, par
son étymologie, exprime l'idée de lien. Et liés nous sommes en effet, et liés nous
son étymologie, exprime l'idée de lien. Et liés nous sommes en effet, et liés nous
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». Celui dont l'Esprit est libre est par là même religieux, comme celui qui donne
». Celui dont l'Esprit est libre est par là même religieux, comme celui qui donne
libre cours à ses appétits est sensuel ; l'Esprit lie l'un, la Chair lie l'autre.
libre cours à ses appétits est sensuel ; l'Esprit lie l'un, la Chair lie l'autre.
Liaison, dépendance, — Religio, telle est la Religion par rapport à moi : je suis
Liaison, dépendance, — Religio, telle est la Religion par rapport à moi : je suis
lié ; Liberté, voilà la Religion par rapport à l'Esprit : il est libre, il jouit de la liberté
lié ; Liberté, voilà la Religion par rapport à l'Esprit : il est libre, il jouit de la liberté
spirituelle.
spirituelle.
Le mal que peut nous faire le déchaînement de nos passions, combien le connaissent
Le mal que peut nous faire le déchaînement de nos passions, combien le connaissent
pour en avoir souffert! Mais que le libre Esprit, la radieuse spiritualité, l'enthousiasme
pour en avoir souffert! Mais que le libre Esprit, la radieuse spiritualité, l'enthousiasme
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ferait la plus noire méchanceté, c'est ce que l'on ne veut pas voir ; et l'on ne peut
ferait la plus noire méchanceté, c'est ce que l'on ne veut pas voir ; et l'on ne peut
d'ailleurs s'en aviser, si l'on n'est et ne fait profession d'être un égoïste.
d'ailleurs s'en aviser, si l'on n'est et ne fait profession d'être un égoïste.
Reimarus, et avec lui tous ceux qui ont montré que notre raison aussi bien que
Reimarus, et avec lui tous ceux qui ont montré que notre raison aussi bien que
notre coeur, etc., conduisent à Dieu, ont montré du même coup que nous sommes
notre coeur, etc., conduisent à Dieu, ont montré du même coup que nous sommes
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permettez en tant qu'intelligence, etc., de participer aux vérités spirituelles et célestes,
permettez en tant qu'intelligence, etc., de participer aux vérités spirituelles et célestes,
en ce cas c'est l'Esprit tout entier qui s'élève à la pure spiritualité et qui est libre.
en ce cas c'est l'Esprit tout entier qui s'élève à la pure spiritualité et qui est libre.
Partant de ces prémisses, la Moralité était autorisée à se mettre en opposition
Partant de ces prémisses, la Moralité était autorisée à se mettre en opposition
absolue avec la Piété. C'est cette opposition qui se fit jour révolutionnairement sous
absolue avec la Piété. C'est cette opposition qui se fit jour révolutionnairement sous
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historique, et qui éclipsa les puissances religieuses proprement dites (voir plus
historique, et qui éclipsa les puissances religieuses proprement dites (voir plus
loin le « Libéralisme »).
loin le « Libéralisme »).
La moralité ne dérivant plus simplement de la piété, mais ayant ses racines propres,
La moralité ne dérivant plus simplement de la piété, mais ayant ses racines propres,
le principe de la morale ne découle plus des commandements divins, mais des
le principe de la morale ne découle plus des commandements divins, mais des
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et l' « essence de l'homme » implique ces lois de toute nécessité. Piété et
et l' « essence de l'homme » implique ces lois de toute nécessité. Piété et
moralité diffèrent en ce que la première reconnaît Dieu et la seconde l'Homme pour
moralité diffèrent en ce que la première reconnaît Dieu et la seconde l'Homme pour
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 51
législateurs. En se mettant à un certain point de vue de la moralité, on raisonne à peu
législateurs. En se mettant à un certain point de vue de la moralité, on raisonne à peu
près comme suit : Ou bien l'homme obéit à sa sensualité et par là il est immoral, ou
près comme suit : Ou bien l'homme obéit à sa sensualité et par là il est immoral, ou
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les ennemis de leur pays dans les ravins et les canardaient à loisir, embusqués derrière
les ennemis de leur pays dans les ravins et les canardaient à loisir, embusqués derrière
les buissons, n'était-ce pas un assassinat ?
les buissons, n'était-ce pas un assassinat ?
Si vous vous en tenez au principe de la morale qui prescrit de poursuivre partout
Si vous vous en tenez au principe de la morale qui prescrit de poursuivre partout
et toujours le Bien, vous en êtes réduits à vous demander si, en aucun cas, le meurtre
et toujours le Bien, vous en êtes réduits à vous demander si, en aucun cas, le meurtre
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parce que désintéressée et sans autre objectif que le Bien ; ce fut un châtiment infligé
parce que désintéressée et sans autre objectif que le Bien ; ce fut un châtiment infligé
par un individu, une exécution., pour laquelle il risquait sa vie.
par un individu, une exécution., pour laquelle il risquait sa vie.
Que voir dans l'entreprise de Sand, sinon sa volonté de supprimer de vive force
Que voir dans l'entreprise de Sand, sinon sa volonté de supprimer de vive force
certains écrits ? N'avez-vous jamais vu appliquer ce même procédé comme très
certains écrits ? N'avez-vous jamais vu appliquer ce même procédé comme très
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doit se résigner à n'être plus qu'une vaine façade de « légalité », une fausse dévotion à
doit se résigner à n'être plus qu'une vaine façade de « légalité », une fausse dévotion à
l'accomplissement de la loi, bien plus tyrannique et plus révoltante que l'ancienne ;
l'accomplissement de la loi, bien plus tyrannique et plus révoltante que l'ancienne ;
celle-ci n'exigeait que la pratique extérieure, tandis que vous exigez en plus l'intention
celle-ci n'exigeait que la pratique extérieure, tandis que vous exigez en plus l'intention: on doit porter en soi la règle et le dogme, et le plus légalement intentionné est le
: on doit porter en soi la règle et le dogme, et le plus légalement intentionné est le
plus moral. La dernière clarté de la vie catholique s'éteint dans cette légalité protestante.
plus moral. La dernière clarté de la vie catholique s'éteint dans cette légalité protestante.
Ainsi finalement se complète et s'absolutise la domination de la Loi. « Ce n'est
Ainsi finalement se complète et s'absolutise la domination de la Loi. « Ce n'est
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de sa gloire ». « Chaque Prussien porte son gendarme dans sa poitrine », disait, en
de sa gloire ». « Chaque Prussien porte son gendarme dans sa poitrine », disait, en
parlant de ses compatriotes, un officier supérieur.
parlant de ses compatriotes, un officier supérieur.
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D'où vient l'incurable impuissance de certaines oppositions ? Uniquement de ce
D'où vient l'incurable impuissance de certaines oppositions ? Uniquement de ce
qu'elles ne veulent point s'écarter du chemin de la Moralité ou de la Légalité, ce qui
qu'elles ne veulent point s'écarter du chemin de la Moralité ou de la Légalité, ce qui
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l'hypocrite mauvaise grâce achève d'écoeurer ceux que dégoûtent la pourriture et la
l'hypocrite mauvaise grâce achève d'écoeurer ceux que dégoûtent la pourriture et la
cafarderie de ce qui s'intitule « opposition légale ».
cafarderie de ce qui s'intitule « opposition légale ».
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 52
 
Un accord moral conclu au nom de l'amour et de la fidélité ne laisse place à
Un accord moral conclu au nom de l'amour et de la fidélité ne laisse place à
aucune volonté discordante et opposée ; la belle harmonie est rompue si l'un veut une
aucune volonté discordante et opposée ; la belle harmonie est rompue si l'un veut une
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Que cette volonté soit raisonnable ou déraisonnable, il est en tout cas moral de
Que cette volonté soit raisonnable ou déraisonnable, il est en tout cas moral de
s'y soumettre et immoral de s'y soustraire.
s'y soumettre et immoral de s'y soustraire.
La volonté qui régit la censure paraît déraisonnable à beaucoup de gens. Cependant,
La volonté qui régit la censure paraît déraisonnable à beaucoup de gens. Cependant,
dans un pays où sévit la censure, celui qui lui soustrait ses écrits fait mal et celui
dans un pays où sévit la censure, celui qui lui soustrait ses écrits fait mal et celui
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lui donnera-t-elle pas quelque titre à l'estime des « honnêtes gens »? Qui sait ? —
lui donnera-t-elle pas quelque titre à l'estime des « honnêtes gens »? Qui sait ? —
Peut-être s'imaginait-il servir une « moralité supérieure »?
Peut-être s'imaginait-il servir une « moralité supérieure »?
La toile de l'hypocrisie moderne est tendue aux confins des deux domaines entre
La toile de l'hypocrisie moderne est tendue aux confins des deux domaines entre
lesquels, alternativement ballotte, notre époque tend les fils déliés du mensonge et de
lesquels, alternativement ballotte, notre époque tend les fils déliés du mensonge et de
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Maintenant, séparez-vous ; chacun pense de l'autre : je te connais, masque ! Il a
Maintenant, séparez-vous ; chacun pense de l'autre : je te connais, masque ! Il a
flairé en vous le Diable, aussi bien que vous avez flairé en lui le vieux Bon Dieu.
flairé en vous le Diable, aussi bien que vous avez flairé en lui le vieux Bon Dieu.
Un Néron n'est « mauvais » qu'aux yeux des bons ; à mes yeux, il est simplement
Un Néron n'est « mauvais » qu'aux yeux des bons ; à mes yeux, il est simplement
un possédé, comme les bons eux-mêmes. Les bons voient en lui un franc scélérat et le
un possédé, comme les bons eux-mêmes. Les bons voient en lui un franc scélérat et le
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gens » de son temps se bornaient, dans leur moralité, à lui opposer leurs voeux, et non
gens » de son temps se bornaient, dans leur moralité, à lui opposer leurs voeux, et non
leur volonté. Ils chuchotaient que leur empereur ne se soumettait pas comme eux aux
leur volonté. Ils chuchotaient que leur empereur ne se soumettait pas comme eux aux
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 53
lois de la Morale, mais ils restaient des « sujets moraux », en attendant que l'un d'eux
lois de la Morale, mais ils restaient des « sujets moraux », en attendant que l'un d'eux
osât passer franchement par-dessus « ses devoirs de sujet obéissant ». Et tous ces
osât passer franchement par-dessus « ses devoirs de sujet obéissant ». Et tous ces
« bons Romains », tous ces « sujets soumis », abreuvés d'outrages par leur manque de
« bons Romains », tous ces « sujets soumis », abreuvés d'outrages par leur manque de
volonté, d'acclamer aussitôt l'action criminelle et immorale du révolté.
volonté, d'acclamer aussitôt l'action criminelle et immorale du révolté.
Où était, chez les « bons », le courage de faire la Révolution, cette Révolution
Où était, chez les « bons », le courage de faire la Révolution, cette Révolution
qu'ils vantent et exploitent aujourd'hui, après qu'un autre l'a faite ? Ce courage ils ne
qu'ils vantent et exploitent aujourd'hui, après qu'un autre l'a faite ? Ce courage ils ne
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d' « immoral », auquel on ne peut se résoudre à moins de cesser d'être « bon » pour
d' « immoral », auquel on ne peut se résoudre à moins de cesser d'être « bon » pour
devenir « mauvais » ou ni bon ni mauvais.
devenir « mauvais » ou ni bon ni mauvais.
Néron n'était pas pire que le temps où il vivait ; on ne pouvait alors être que l'un
Néron n'était pas pire que le temps où il vivait ; on ne pouvait alors être que l'un
des deux : bon ou mauvais. Son temps a jugé qu'il était mauvais, et aussi mauvais
des deux : bon ou mauvais. Son temps a jugé qu'il était mauvais, et aussi mauvais
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de ses plis tutélaires. Le rude poing de la morale est sans miséricorde pour la noble
de ses plis tutélaires. Le rude poing de la morale est sans miséricorde pour la noble
essence de l'égoïsme.
essence de l'égoïsme.
« On ne peut cependant pas mettre sur la même ligne un gredin et un honnête
« On ne peut cependant pas mettre sur la même ligne un gredin et un honnête
homme ! » Eh! qui donc le fait plus souvent que vous, Censeurs ? Bien mieux, l'honnête
homme ! » Eh! qui donc le fait plus souvent que vous, Censeurs ? Bien mieux, l'honnête
Ligne 607 : Ligne 653 :
« les pécheurs et les publicains », et de même, aux yeux de l'individualiste, le
« les pécheurs et les publicains », et de même, aux yeux de l'individualiste, le
pharisien moral vaut le pécheur immoral.
pharisien moral vaut le pécheur immoral.
Néron était un possédé très malcommode, un fou dangereux. C'eût été une sottise
Néron était un possédé très malcommode, un fou dangereux. C'eût été une sottise
de perdre son temps à le rappeler au « respect des choses sacrées », pour lamenter
de perdre son temps à le rappeler au « respect des choses sacrées », pour lamenter
Ligne 619 : Ligne 666 :
et toutes les preuves qu'on peut en fournir qui en font approcher d'un pas : se
et toutes les preuves qu'on peut en fournir qui en font approcher d'un pas : se
lamenter, pétitionner ne convient qu'aux mendiants.
lamenter, pétitionner ne convient qu'aux mendiants.
L'homme « moral » est nécessairement borné, en ce qu'il ne conçoit d'autre ennemi
L'homme « moral » est nécessairement borné, en ce qu'il ne conçoit d'autre ennemi
que l' « immoral »; ce qui n'est pas bien est « mal » et, par conséquent, réprouvé,
que l' « immoral »; ce qui n'est pas bien est « mal » et, par conséquent, réprouvé,
odieux, etc. Aussi est-il radicalement incapable de comprendre l'égoïste. L'amour en
odieux, etc. Aussi est-il radicalement incapable de comprendre l'égoïste. L'amour en
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 54
dehors du mariage n'est-il pas immoral ? L'homme moral peut tourner et retourner la
dehors du mariage n'est-il pas immoral ? L'homme moral peut tourner et retourner la
question, il n'échappera pas à la nécessité de condamner le fornicateur. L'amour libre
question, il n'échappera pas à la nécessité de condamner le fornicateur. L'amour libre
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ineffaçable. La chasteté, qui faisait jadis partie des voeux monastiques, est entrée dans
ineffaçable. La chasteté, qui faisait jadis partie des voeux monastiques, est entrée dans
le domaine de la morale commune.
le domaine de la morale commune.
Pour l'égoïste, au contraire, la chasteté n'est pas un bien dont il ne puisse se
Pour l'égoïste, au contraire, la chasteté n'est pas un bien dont il ne puisse se
passer ; elle est pour lui sans importance. Aussi, quel va être le jugement de l'homme
passer ; elle est pour lui sans importance. Aussi, quel va être le jugement de l'homme
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fausse ». Souvent les gens sont déjà beaucoup plus loin qu'ils ne voudraient en
fausse ». Souvent les gens sont déjà beaucoup plus loin qu'ils ne voudraient en
convenir.
convenir.
C'eût été de la part de Socrate, une immoralité d'accueillir les offres séduisantes
C'eût été de la part de Socrate, une immoralité d'accueillir les offres séduisantes
de Criton et de s'échapper de sa prison ; rester était le seul parti qu'il pût moralement
de Criton et de s'échapper de sa prison ; rester était le seul parti qu'il pût moralement
prendre. Et c'était le seul, simplement parce que Socrate était — un homme moral.
prendre. Et c'était le seul, simplement parce que Socrate était — un homme moral.
Les hommes de la Révolution, « immoraux et impies », avaient, eux, juré fidélité
Les hommes de la Révolution, « immoraux et impies », avaient, eux, juré fidélité
à Louis XVI, ce qui ne les empêcha pas de décréter sa déchéance et de l'envoyer à
à Louis XVI, ce qui ne les empêcha pas de décréter sa déchéance et de l'envoyer à
l'échafaud ; action immorale, qui fera horreur aux honnêtes gens de toute éternité.
l'échafaud ; action immorale, qui fera horreur aux honnêtes gens de toute éternité.
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Ces critiques ne s'appliquent toutefois qu'à la « morale bourgeoise », que tout
Ces critiques ne s'appliquent toutefois qu'à la « morale bourgeoise », que tout
esprit un peu libre fait profession de dédaigner. Cette morale, comme la bourgeoisie
esprit un peu libre fait profession de dédaigner. Cette morale, comme la bourgeoisie
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pour ne pas se borner à s'en approprier les lois. N'exigez pas d'elle de la critique, et ne
pour ne pas se borner à s'en approprier les lois. N'exigez pas d'elle de la critique, et ne
lui demandez pas de tirer de son propre fond une doctrine originale.
lui demandez pas de tirer de son propre fond une doctrine originale.
C'est sous un tout autre aspect que se présente la morale, lorsque, consciente de sa
C'est sous un tout autre aspect que se présente la morale, lorsque, consciente de sa
dignité, elle prend pour unique règle son principe, l'essence humaine ou l’ « Homme
dignité, elle prend pour unique règle son principe, l'essence humaine ou l’ « Homme
». Ceux qui parviennent à transporter résolument le problème sur ce terrain rompent
». Ceux qui parviennent à transporter résolument le problème sur ce terrain rompent
pour toujours avec la Religion : il n'y a plus de place pour son Dieu auprès de
pour toujours avec la Religion : il n'y a plus de place pour son Dieu auprès de
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 55
leur Homme ; de plus, comme ils coulent à fond le vaisseau de l'État (voir plus loin),
leur Homme ; de plus, comme ils coulent à fond le vaisseau de l'État (voir plus loin),
ils anéantissent du même coup toute « moralité » procédant du seul État et s'interdisent,
ils anéantissent du même coup toute « moralité » procédant du seul État et s'interdisent,
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» ou « politique », et doit paraître aux hommes d'État et aux bourgeois une
» ou « politique », et doit paraître aux hommes d'État et aux bourgeois une
« licence effrénée ».
« licence effrénée ».
Cependant, cette conception nouvelle de la moralité n'a rien de neuf et d'inédit ;
Cependant, cette conception nouvelle de la moralité n'a rien de neuf et d'inédit ;
elle ne fait que s'adapter au progrès réalisé dans la « pureté du principe ». Ce dernier,
elle ne fait que s'adapter au progrès réalisé dans la « pureté du principe ». Ce dernier,
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comble, devient « État libre » ou même « Société libre », sans cesser d'être l'une la
comble, devient « État libre » ou même « Société libre », sans cesser d'être l'une la
morale et l'autre l'État.
morale et l'autre l'État.
La morale étant désormais purement humaine et complètement séparée de la
La morale étant désormais purement humaine et complètement séparée de la
Religion dont, historiquement, elle est sortie, rien ne s'oppose à ce qu'elle devienne
Religion dont, historiquement, elle est sortie, rien ne s'oppose à ce qu'elle devienne
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suprême, s'élève à la hauteur absolue, et nous sommes dans nos rapports avec Lui ce
suprême, s'élève à la hauteur absolue, et nous sommes dans nos rapports avec Lui ce
que nous sommes aux pieds d'un être suprême, — religieux.
que nous sommes aux pieds d'un être suprême, — religieux.
Moralité et Piété redeviennent ainsi aussi parfaitement synonymes qu'au début du
Moralité et Piété redeviennent ainsi aussi parfaitement synonymes qu'au début du
Christianisme. Si le sacré n'est plus « saint » mais « humain », c'est simplement que
Christianisme. Si le sacré n'est plus « saint » mais « humain », c'est simplement que
l'être suprême a changé et que l'Homme a pris la place du Dieu. La victoire de la
l'être suprême a changé et que l'Homme a pris la place du Dieu. La victoire de la
Moralité aboutit simplement à un changement de dynastie.
Moralité aboutit simplement à un changement de dynastie.
La Foi détruite, Feuerbach croit trouver un asile dans l'Amour. « La première et la
La Foi détruite, Feuerbach croit trouver un asile dans l'Amour. « La première et la
suprême loi doit être l'amour de l'homme pour l'homme. Homo homini Deus est, telle
suprême loi doit être l'amour de l'homme pour l'homme. Homo homini Deus est, telle
est la maxime pratique la plus haute ; par elle, la face du monde est changée 1. Mais il
est la maxime pratique la plus haute ; par elle, la face du monde est changée <ref>Wesen des Christentams, zw. Aufl., p. 402.</ref>. Mais il
n'y a à proprement parler que le dieu, Deus, de changé ; l'amour reste : vous adoriez le
n'y a à proprement parler que le dieu, Deus, de changé ; l'amour reste : vous adoriez le
dieu surhumain, vous adorerez le dieu humain, l'Homo qui est Deus. L'Homme m'est
dieu surhumain, vous adorerez le dieu humain, l'Homo qui est Deus. L'Homme m'est
— sacré, et tout ce qui est « vraiment humain » m'est — sacré ! Le mariage est par
— sacré, et tout ce qui est « vraiment humain » m'est — sacré ! Le mariage est par
lui-même sacré ; de même toutes les relations de la vie morale : l'amitié, la propriété,
lui-même sacré ; de même toutes les relations de la vie morale : l'amitié, la propriété,
le mariage, le bien de chacun sont et doivent être sacrés, en eux et par eux-mêmes 2. »
le mariage, le bien de chacun sont et doivent être sacrés, en eux et par eux-mêmes <ref>Ibid., p. 403.</ref>
Est-ce un prêtre qui parle ? Quel est son dieu ? L'Homme ! Qu'est-ce que le divin ?
Est-ce un prêtre qui parle ? Quel est son dieu ? L'Homme ! Qu'est-ce que le divin ?
C'est l'humain ! Le prédicat n'a fait en définitive que prendre la place du sujet; la
C'est l'humain ! Le prédicat n'a fait en définitive que prendre la place du sujet; la
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le procédé : « Dieu s'est fait Homme » vous donnera « l'Homme s'est fait Dieu », etc.,
le procédé : « Dieu s'est fait Homme » vous donnera « l'Homme s'est fait Dieu », etc.,
et voilà une nouvelle — Religion.
et voilà une nouvelle — Religion.
1 Wesen des Christentams, zw. Aufl., p. 402.
 
2 Ibid., p. 403.
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 56
« Tous les phénomènes de la vie morale constituant les moeurs ne sont moraux, ne
« Tous les phénomènes de la vie morale constituant les moeurs ne sont moraux, ne
prennent une signification morale, que s'ils ont en eux-mêmes (sans que la bénédiction
prennent une signification morale, que s'ils ont en eux-mêmes (sans que la bénédiction
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religion doit être une éthique, l'éthique est la seule religion. » Feuerbach se contente
religion doit être une éthique, l'éthique est la seule religion. » Feuerbach se contente
de renverser l'ordre du prédicat et du sujet, de faire un usteron proteron logique.
de renverser l'ordre du prédicat et du sujet, de faire un usteron proteron logique.
Comme il le dit lui-même : « L'amour n'est pas sacré (et n'a jamais passé pour
Comme il le dit lui-même : « L'amour n'est pas sacré (et n'a jamais passé pour
sacré aux yeux des hommes) parce qu'il est un prédicat de Dieu, mais il est un
sacré aux yeux des hommes) parce qu'il est un prédicat de Dieu, mais il est un
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le divin ? Et si, comme il le dit, l'essentiel pour eux n'a jamais été Dieu, mais ses seuls
le divin ? Et si, comme il le dit, l'essentiel pour eux n'a jamais été Dieu, mais ses seuls
prédicats, à quoi bon leur enlever le mot si on leur laisse la chose ?
prédicats, à quoi bon leur enlever le mot si on leur laisse la chose ?
Il proclame d'autre part que son but est « de détruire une illusion 1 », une illusion
 
pernicieuse « qui a si bien faussé l'homme, que l'amour même, son sentiment le plus
Il proclame d'autre part que son but est « de détruire une illusion <ref>Wesen des Christentums, zw, Aufl., p.408.</ref>», une illusionpernicieuse « qui a si bien faussé l'homme, que l'amour même, son sentiment le plus
intime et le plus vrai, est devenu, par le fait de la religiosité, vain et illusoire, vu que
intime et le plus vrai, est devenu, par le fait de la religiosité, vain et illusoire, vu que
l'amour religieux n'aime l'homme que par amour de Dieu, c'est-à-dire aime en
l'amour religieux n'aime l'homme que par amour de Dieu, c'est-à-dire aime en
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homme, ou par amour de la Moralité, de l'Homme en général, et, en définitive —
homme, ou par amour de la Moralité, de l'Homme en général, et, en définitive —
puisque Homo homini Deus —, par amour de Dieu ?
puisque Homo homini Deus —, par amour de Dieu ?
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La marotte se manifeste encore sous une foule d'autres formes ; il est nécessaire
La marotte se manifeste encore sous une foule d'autres formes ; il est nécessaire
d'en énumérer ici quelques-unes.
d'en énumérer ici quelques-unes.
Parmi elles, le renoncement, l'abnégation sont communs aux saints et aux nonsaints,
Parmi elles, le renoncement, l'abnégation sont communs aux saints et aux nonsaints,
aux purs et aux impurs.
aux purs et aux impurs.
L'impur renonce à tout bon sentiment, « renie » toute pudeur, tout respect humain;
L'impur renonce à tout bon sentiment, « renie » toute pudeur, tout respect humain;
il obéit en esclave docile à ses appétits. Le pur renonce au commerce du monde,
il obéit en esclave docile à ses appétits. Le pur renonce au commerce du monde,
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tyrannique idéal. De part et d'autre, même abnégation de soi-même : si le non-saint
tyrannique idéal. De part et d'autre, même abnégation de soi-même : si le non-saint
abdique devant Mammon, le saint abdique devant Dieu et les lois divines.
abdique devant Mammon, le saint abdique devant Dieu et les lois divines.
Nous vivons en un temps où l'impudence du Sacré se fait sentir et se révèle
Nous vivons en un temps où l'impudence du Sacré se fait sentir et se révèle
chaque jour davantage, parce qu'elle est chaque jour plus obligée de se découvrir et de
chaque jour davantage, parce qu'elle est chaque jour plus obligée de se découvrir et de
s'exposer. Peut-on rien imaginer qui surpasse en insolence et en stupidité les argu-
s'exposer. Peut-on rien imaginer qui surpasse en insolence et en stupidité les arguments que l'on oppose par exemple aux « progrès du temps »? La naïveté de leur
1 Wesen des Christentums, zw, Aufl., p.408.
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 57
ments que l'on oppose par exemple aux « progrès du temps »? La naïveté de leur
effronterie passe depuis longtemps toute mesure et toute attente ; mais comment en
effronterie passe depuis longtemps toute mesure et toute attente ; mais comment en
serait-il autrement ? Saints et non-saints, tous ceux qui pratiquent l'abnégation doivent
serait-il autrement ? Saints et non-saints, tous ceux qui pratiquent l'abnégation doivent
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déshonorante sublimité. Le Mammon terrestre et le Dieu du ciel exigent exactement
déshonorante sublimité. Le Mammon terrestre et le Dieu du ciel exigent exactement
la même somme de — renoncement.
la même somme de — renoncement.
Le dégradé et le sublime aspirent tous deux à un « bien », l'un à un bien matériel,
Le dégradé et le sublime aspirent tous deux à un « bien », l'un à un bien matériel,
l'autre à un bien idéal, et finalement l'un complète l'autre, l' « homme de la Matière »
l'autre à un bien idéal, et finalement l'un complète l'autre, l' « homme de la Matière »
sacrifiant à sa vanité, but idéal, ce que l’ « homme de l'Esprit » sacrifie à une jouissance
sacrifiant à sa vanité, but idéal, ce que l’ « homme de l'Esprit » sacrifie à une jouissance
matérielle, le confort.
matérielle, le confort.
Ceux-là s'imaginent dire énormément qui placent dans le coeur de l'homme le
Ceux-là s'imaginent dire énormément qui placent dans le coeur de l'homme le
« désintéressement ». Qu'entendent-ils par là ? Quelque chose de très voisin de l’« abnégation
« désintéressement ». Qu'entendent-ils par là ? Quelque chose de très voisin de l’« abnégation
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cette abnégation désintéressée ? De nouveau à ton profit, à ton bénéfice, à charge
cette abnégation désintéressée ? De nouveau à ton profit, à ton bénéfice, à charge
simplement de poursuivre par désintéressement ton « véritable intérêt ».
simplement de poursuivre par désintéressement ton « véritable intérêt ».
On doit tirer profit de soi, mais ne pas chercher son, profit.
On doit tirer profit de soi, mais ne pas chercher son, profit.
Le bienfaiteur de l'humanité, comme Franke, le créateur des orphelinats, ou
Le bienfaiteur de l'humanité, comme Franke, le créateur des orphelinats, ou
O'Connell, l'infatigable défenseur de la cause irlandaise, passe pour désintéressé, de
O'Connell, l'infatigable défenseur de la cause irlandaise, passe pour désintéressé, de
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but : dans un cas comme dans l'autre il avait un intérêt, seulement il se trouvait que
but : dans un cas comme dans l'autre il avait un intérêt, seulement il se trouvait que
son intérêt national était utile à d'autres, ce qui en faisait un intérêt commun.
son intérêt national était utile à d'autres, ce qui en faisait un intérêt commun.
N'existe-t-il donc pas de désintéressement et ne peut-on jamais en rencontrer ? Au
N'existe-t-il donc pas de désintéressement et ne peut-on jamais en rencontrer ? Au
contraire, rien n'est plus commun ! On pourrait appeler le désintéressement un article
contraire, rien n'est plus commun ! On pourrait appeler le désintéressement un article
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guise, en propriétaire, lorsque ce but devient un but fixe ou une — idée fixe, et
guise, en propriétaire, lorsque ce but devient un but fixe ou une — idée fixe, et
commence à nous inspirer, à nous enthousiasmer, à nous fanatiser, bref, quand il
commence à nous inspirer, à nous enthousiasmer, à nous fanatiser, bref, quand il
devient — notre maître. On n'est pas désintéressé tant qu'on tient le but en son pouvoir
devient — notre maître. On n'est pas désintéressé tant qu'on tient le but en son pouvoir; on le devient lorsqu'on pousse le cri du coeur des possédés : « Je suis comme ça,
; on le devient lorsqu'on pousse le cri du coeur des possédés : « Je suis comme ça,
je ne saurais être autrement, et qu'on applique à un but sacré un zèle sacré.
je ne saurais être autrement, et qu'on applique à un but sacré un zèle sacré.
Je ne suis pas désintéressé tant que mon but reste à moi et que je le laisse perpétuellement
Je ne suis pas désintéressé tant que mon but reste à moi et que je le laisse perpétuellement
en question au lieu de me faire l'instrument aveugle de son accomplisseMax
en question au lieu de me faire l'instrument aveugle de son accomplissement. Je peux ne pas déployer pour cela moins de zèle que le fanatique, mais tout
Stirner (1845), L’unique et sa propriété 58
ment. Je peux ne pas déployer pour cela moins de zèle que le fanatique, mais tout
mon zèle me laisse, en face de mon but, froid, calculateur, incroyant et hostile ; je
mon zèle me laisse, en face de mon but, froid, calculateur, incroyant et hostile ; je
reste son juge, parce que je suis son propriétaire.
reste son juge, parce que je suis son propriétaire.
Le désintéressement pullule là où règne la « possession », aussi bien sur les possessions
Le désintéressement pullule là où règne la « possession », aussi bien sur les possessions
du Diable que sur celles du bon Esprit : là, vice, folie, etc.; ici, résignation,
du Diable que sur celles du bon Esprit : là, vice, folie, etc.; ici, résignation,
soumission, etc.
soumission, etc.
Où tourner ses regards sans rencontrer quelque victime du renoncement ?
Où tourner ses regards sans rencontrer quelque victime du renoncement ?
En face de chez moi habite une jeune fille qui depuis tantôt dix ans offre à son
En face de chez moi habite une jeune fille qui depuis tantôt dix ans offre à son
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mortelle courbe aujourd'hui son front, et sa jeunesse saigne et meurt lentement sous
mortelle courbe aujourd'hui son front, et sa jeunesse saigne et meurt lentement sous
ses joues pâles.
ses joues pâles.
Pauvre enfant, que de fois les passions ont dû frapper à ton coeur, et réclamer pour
Pauvre enfant, que de fois les passions ont dû frapper à ton coeur, et réclamer pour
ton printemps une part de soleil et de joie ! Quand tu posais ta tête sur l'oreiller,
ton printemps une part de soleil et de joie ! Quand tu posais ta tête sur l'oreiller,
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dans tes artères! Toi seule le sais, et toi seule pourrais dire les ardentes rêveries qui
dans tes artères! Toi seule le sais, et toi seule pourrais dire les ardentes rêveries qui
faisaient s'allumer dans tes yeux la flamme du désir.
faisaient s'allumer dans tes yeux la flamme du désir.
Mais, soudain, à ton chevet se dressait un fantôme : l'Âme, le salut éternel !
Mais, soudain, à ton chevet se dressait un fantôme : l'Âme, le salut éternel !
Effrayée, tu joignais les mains, tu levais vers le ciel ton regard éploré, tu — priais.
Effrayée, tu joignais les mains, tu levais vers le ciel ton regard éploré, tu — priais.
Le tumulte de la nature s'apaisait et le calme immense de la mer s'appesantissait sur
Le tumulte de la nature s'apaisait et le calme immense de la mer s'appesantissait sur
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et — l'âme était en repos. Tu t'endormais, et le lendemain c'étaient de nouveaux combats
et — l'âme était en repos. Tu t'endormais, et le lendemain c'étaient de nouveaux combats
et — une nouvelle prière.
et — une nouvelle prière.
Aujourd'hui, l'habitude du renoncement a glacé l'ardeur de tes désirs et les rosés
Aujourd'hui, l'habitude du renoncement a glacé l'ardeur de tes désirs et les rosés
de ton printemps pâlissent au vent desséchant de ta félicité future. L'âme est sauve, le
de ton printemps pâlissent au vent desséchant de ta félicité future. L'âme est sauve, le
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sagesse ! Une grisette, libre et joyeuse, pour mille vieilles filles blanchies dans la
sagesse ! Une grisette, libre et joyeuse, pour mille vieilles filles blanchies dans la
vertu !
vertu !
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« Axiome, principe, point d'appui moral, autres formes sous lesquelles s'exprime
« Axiome, principe, point d'appui moral, autres formes sous lesquelles s'exprime
l'idée fixe.
l'idée fixe.
Archimède demandait, pour soulever la terre, un point d'appui en dehors d'elle.
Archimède demandait, pour soulever la terre, un point d'appui en dehors d'elle.
C'est ce point d'appui que les hommes ont sans cesse cherché et que chacun a pris où
C'est ce point d'appui que les hommes ont sans cesse cherché et que chacun a pris où
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le monde des idées, des pensées, des concepts, des essences, etc., c'est le Ciel. C'est
le monde des idées, des pensées, des concepts, des essences, etc., c'est le Ciel. C'est
sur le ciel qu'on s'appuie pour ébranler la terre, et c'est du ciel qu'on se penche pour
sur le ciel qu'on s'appuie pour ébranler la terre, et c'est du ciel qu'on se penche pour
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 59
contempler les agitations terrestres et — les mépriser. S'assurer le ciel, s'assurer
contempler les agitations terrestres et — les mépriser. S'assurer le ciel, s'assurer
solidement et pour toujours le point d'appui céleste, combien a peiné pour cela la
solidement et pour toujours le point d'appui céleste, combien a peiné pour cela la
douloureuse et inlassable humanité !
douloureuse et inlassable humanité !
Le Christianisme s'est proposé de nous délivrer du déterminisme de la nature et de
Le Christianisme s'est proposé de nous délivrer du déterminisme de la nature et de
la fatalité des appétits, Son but était donc que l'homme ne se laissât plus déterminer
la fatalité des appétits, Son but était donc que l'homme ne se laissât plus déterminer
Ligne 843 : Ligne 907 :
désirs, de passions, etc., mais qu'il ne doit pas se laisser posséder par eux, qu'ils ne
désirs, de passions, etc., mais qu'il ne doit pas se laisser posséder par eux, qu'ils ne
doivent pas être dans sa vie des facteurs fixes, incoercibles et inéluctables.
doivent pas être dans sa vie des facteurs fixes, incoercibles et inéluctables.
Mais ce que le Christianisme (la Religion) a machiné contre les appétits, ne
Mais ce que le Christianisme (la Religion) a machiné contre les appétits, ne
serions-nous pas en droit de le retourner contre l'Esprit (pensées, représentations,
serions-nous pas en droit de le retourner contre l'Esprit (pensées, représentations,
Ligne 850 : Ligne 915 :
aurait pour effet de nous affranchir de l'Esprit, de nous délier du joug des représentations
aurait pour effet de nous affranchir de l'Esprit, de nous délier du joug des représentations
et des idées.
et des idées.
Le Christianisme disait : « Nous devons bien posséder des appétits, mais ces
Le Christianisme disait : « Nous devons bien posséder des appétits, mais ces
appétits ne doivent pas nous posséder. » Nous lui répondons : « Nous devons bien
appétits ne doivent pas nous posséder. » Nous lui répondons : « Nous devons bien
Ligne 861 : Ligne 927 :
deviennent tout-puissants et aucune objection de la chair ne prévaudra plus contre
deviennent tout-puissants et aucune objection de la chair ne prévaudra plus contre
eux.
eux.
Ce n'est cependant que par la « chair » que je puis secouer la tyrannie de l'Esprit,
Ce n'est cependant que par la « chair » que je puis secouer la tyrannie de l'Esprit,
car ce n'est que quand un homme comprend aussi sa chair qu'il se comprend entièrement,
car ce n'est que quand un homme comprend aussi sa chair qu'il se comprend entièrement,
et ce n'est que quand il se comprend entièrement qu'il est intelligent ou
et ce n'est que quand il se comprend entièrement qu'il est intelligent ou
raisonnable.
raisonnable.
Le Chrétien ne comprend pas la détresse de sa nature asservie, l'« humilité » est sa
Le Chrétien ne comprend pas la détresse de sa nature asservie, l'« humilité » est sa
vie ; c'est pourquoi il ne murmure point contre l'iniquité lorsque sa personne en est
vie ; c'est pourquoi il ne murmure point contre l'iniquité lorsque sa personne en est
Ligne 876 : Ligne 944 :
et de légalité, maître inflexible et inexorable, le tient captif. C'est l ce qu'ils appellent
et de légalité, maître inflexible et inexorable, le tient captif. C'est l ce qu'ils appellent
la « royauté de l'Esprit » — c'est en même temps le point d'appui de l'Esprit.
la « royauté de l'Esprit » — c'est en même temps le point d'appui de l'Esprit.
Et qui messieurs les Libéraux veulent-ils libérer ? Quelle est la liberté qu'ils
Et qui messieurs les Libéraux veulent-ils libérer ? Quelle est la liberté qu'ils
appellent de tous leurs voeux ? Celle de l'Esprit, de l'esprit de moralité, de légalité, de
appellent de tous leurs voeux ? Celle de l'Esprit, de l'esprit de moralité, de légalité, de
piété, etc. Mais messieurs les Antilibéraux n'ont pas d'autre désir, et le seul objet de la
piété, etc. Mais messieurs les Antilibéraux n'ont pas d'autre désir, et le seul objet de la
dispute, c'est l'avantage, que chacun ambitionne, d'avoir seul la parole. L'Esprit reste
dispute, c'est l'avantage, que chacun ambitionne, d'avoir seul la parole. L'Esprit reste
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 60
le maître absolu des uns et des autres, et s'ils se querellent, c'est uniquement pour
le maître absolu des uns et des autres, et s'ils se querellent, c'est uniquement pour
savoir qui s'assiéra sur le trône héréditaire de « lieutenant du Seigneur ».
savoir qui s'assiéra sur le trône héréditaire de « lieutenant du Seigneur ».
Ligne 887 : Ligne 955 :
comme celles de la nature ; leurs cadavres en se putréfiant engraisseront le sol pour
comme celles de la nature ; leurs cadavres en se putréfiant engraisseront le sol pour
— nos moissons.
— nos moissons.
Nous reviendrons par la suite sur une foule d'autres marottes : Vocation, Véracité,
Nous reviendrons par la suite sur une foule d'autres marottes : Vocation, Véracité,
Amour, etc.
Amour, etc.
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Si j'oppose la spontanéité de l'inspiration la passivité de la suggestion, et ce qui
Si j'oppose la spontanéité de l'inspiration la passivité de la suggestion, et ce qui
nous est propre à ce qui nous est donné, on aurait tort de me répondre que, tout tenant
nous est propre à ce qui nous est donné, on aurait tort de me répondre que, tout tenant
Ligne 904 : Ligne 973 :
que nous avons toujours reçus tels quels, et jamais produits ; la preuve en est
que nous avons toujours reçus tels quels, et jamais produits ; la preuve en est
que nous y croyons et qu'ils s'imposent à nous.
que nous y croyons et qu'ils s'imposent à nous.
Qu'il y ait un Absolu, et que cet Absolu puisse être perçu, senti et pensé, c'est un
Qu'il y ait un Absolu, et que cet Absolu puisse être perçu, senti et pensé, c'est un
article de foi pour ceux qui consacrent leurs veilles à le pénétrer et le définir. Le
article de foi pour ceux qui consacrent leurs veilles à le pénétrer et le définir. Le
Ligne 914 : Ligne 984 :
les sentiments dont avait été farci son cerveau d'enfant, et il gaspilla son talent et ses
les sentiments dont avait été farci son cerveau d'enfant, et il gaspilla son talent et ses
forces à habiller ses vieilles poupées.
forces à habiller ses vieilles poupées.
On comprendra à présent de quelle valeur pratique est la différence que nous faisons
On comprendra à présent de quelle valeur pratique est la différence que nous faisons
entre les sentiments qui nous sont donnés et ceux dont les circonstances extérieures
entre les sentiments qui nous sont donnés et ceux dont les circonstances extérieures
ne font que provoquer en nous l'éclosion. Ces derniers nous sont propres, ils
ne font que provoquer en nous l'éclosion. Ces derniers nous sont propres, ils
sont égoïstes, parce qu'on ne nous les a pas soufflés et imposés en tant que sentiments
sont égoïstes, parce qu'on ne nous les a pas soufflés et imposés en tant que sentiments; les premiers, au contraire, nous ont été donnés, nous les soignons comme un
; les premiers, au contraire, nous ont été donnés, nous les soignons comme un
héritage, nous les cultivons et ils nous possèdent.
héritage, nous les cultivons et ils nous possèdent.
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 61
 
Qui a pu ne pas remarquer ou tout au moins éprouver que toute notre éducation
Qui a pu ne pas remarquer ou tout au moins éprouver que toute notre éducation
consiste à greffer dans notre cervelle certains sentiments déterminés, au lieu d'y
consiste à greffer dans notre cervelle certains sentiments déterminés, au lieu d'y
Ligne 932 : Ligne 1 002 :
au récit des hauts faits des méchants, ce serait au fouet à le punir et à le « ramener
au récit des hauts faits des méchants, ce serait au fouet à le punir et à le « ramener
dans la bonne voie ».
dans la bonne voie ».
Lorsque nous sommes ainsi bourrés de sentiments donnés, nous parvenons à la
Lorsque nous sommes ainsi bourrés de sentiments donnés, nous parvenons à la
majorité et nous pouvons être « émancipés ». Notre équipement consiste en « sentiments
majorité et nous pouvons être « émancipés ». Notre équipement consiste en « sentiments
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écoles pour qu'ils y apprennent les vieux refrains, et, quand ils les savent par coeur,
écoles pour qu'ils y apprennent les vieux refrains, et, quand ils les savent par coeur,
l'heure de l'émancipation a sonné.
l'heure de l'émancipation a sonné.
Il ne nous est pas permis d'éprouver, à l'occasion de chaque objet et de chaque
Il ne nous est pas permis d'éprouver, à l'occasion de chaque objet et de chaque
nom qui se présentent à nous, le premier sentiment venu ; le nom de Dieu, par exemple,
nom qui se présentent à nous, le premier sentiment venu ; le nom de Dieu, par exemple,
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que nous devons en penser et ce que nous devons sentir nous est d'avance tracé et
que nous devons en penser et ce que nous devons sentir nous est d'avance tracé et
prescrit.
prescrit.
Tel est le sens de ce qu'on appelle la « charge d'âme » : mon âme et mon esprit
Tel est le sens de ce qu'on appelle la « charge d'âme » : mon âme et mon esprit
doivent être façonnés d'après ce qui convient aux autres, et non d'après ce qui pourrait
doivent être façonnés d'après ce qui convient aux autres, et non d'après ce qui pourrait
me convenir à moi-même.
me convenir à moi-même.
On sait combien il faut se donner de peine pour acquérir une façon à soi de sentir
On sait combien il faut se donner de peine pour acquérir une façon à soi de sentir
vis-à-vis de bien des noms que l'on prononce même tous les jours ; on sait aussi
vis-à-vis de bien des noms que l'on prononce même tous les jours ; on sait aussi
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étranger, ne nous appartient pas en propre ; aussi est-ce « sacré » et est-il malaisé de
étranger, ne nous appartient pas en propre ; aussi est-ce « sacré » et est-il malaisé de
se dépouiller du « saint émoi » que cela nous inspire.
se dépouiller du « saint émoi » que cela nous inspire.
On entend beaucoup vanter aujourd'hui le « sérieux », la « gravité dans les sujets
On entend beaucoup vanter aujourd'hui le « sérieux », la « gravité dans les sujets
et les affaires de haute importance », la « gravité allemande », etc. Cette façon de
et les affaires de haute importance », la « gravité allemande », etc. Cette façon de
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lorsqu'il se met à chevaucher sa chimère favorite ; devant son zèle, il ne s'agit plus de
lorsqu'il se met à chevaucher sa chimère favorite ; devant son zèle, il ne s'agit plus de
plaisanter. (Voyez les maisons de fous.)
plaisanter. (Voyez les maisons de fous.)
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== Notes et références ==
<references /> <!-- aide : http://fr.wikipedia.org/wiki/Aide:Notes et références -->


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