Différences entre les versions de « Les systèmes socialistes et l'évolution économique - Deuxième partie : Les faits. L’évolution économique - Livre IV : Les inductions tirées des faits »

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socialiste, s'il veut jouer un rôle sur la scène dumonde, doit dépouiller
socialiste, s'il veut jouer un rôle sur la scène dumonde, doit dépouiller
sa vieille forme révolutionnaire et devenir un parti réformiste.
sa vieille forme révolutionnaire et devenir un parti réformiste.
===Section 3. Socialisme sociétaire et coopératisme.===
Le socialisme corporatif repose sur l'hypothèse que les associations
libres de producteurs sont destinées à s'emparer de toutes les
fonctions économiques de la société, en évinçant les entreprises
capitalistes, même les plus puissantes, par le jeu de la concurrence
ou par l'action des pouvoirs publics.
L'hypothèse d'une évolution naturelle des sociétés modernes vers
l'ordre sociétaire est évidemment condamnée par l'expérience. Le
développement des associations est sans doute très remarquable à
notre époque; mais, parmi les associations si diverses qui se sont
répandues dans le monde civilisé, les seules qui puissent avoir une
signification favorable au socialisme sociétaire sont les associations
de producteurs. Or, celles qui existent actuellement n'ont aucune
valeur démonstrative à cet égard.
Invoquera-t-on le magnifique épanouissement de la coopération
rurale? Mais les coopératives agricoles n'ont jamais pour objet la
culture en commun du sol; ce sont toujours des associations de
cultivateurs indépendants, qui limitent l'action collective à la préparation
industrielle des produits agricoles, à l'achat ou à la vente,
au crédit, à l'assurance. Il ne s'agit donc pas là d'une extension des
entreprises collectives de production agricole aux dépens des entreprises
individuelles; la coopération rurale n'a rien de commun avec
le socialisme sociétaire.
Les sociétés coopératives industrielles de production, au contraire,
en contiennent le germe. Non sans doute qu'elles en représentent
le type pur; l'individualisme y règne encore par les droits particuliers
que les sociétaires conservent sur leurs apports, et par l'esprit
d'exclusivisme qui écarte les auxiliaires de la participation aux
bénéfices. Néanmoins, les sociétés de production sont assez rapprochées
de la conception socialiste pour donner à une société où elles
domineraient la structure qui convient au socialisme sociétaire.
Mais, justement, l'histoire de la coopération de production, dans le
demi-siècle qui s'est écoulé depuis son origine, montre combien cette
forme coopérative s'adapte difficilement au milieu social. Les sociétés
de production végètent un peu partout; l'appui de l'État, les subventions
budgétaires, ne parviennent pas à les galvaniser; confinées,
sauf de très rares exceptions, dans la petite industrie, elles
progressent à peine, et se montrent tout à fait impuissantes à éliminer
les entreprises capitalistes. Il est de toute évidence qu'on ne
peut compter sur elles pour conquérir le monde capitaliste et transformer
la société par la seule force de leur supériorité dans la concurrence.
Le socialisme corporatif, n'ayant aucune chance de se réaliser par
la voie de l'évolution, ne pourrait donc triompher que par une révolution.
Il faudrait qu'à la suite d'une vaste expropriation, l'État
remît l'outillage complet de la production et de la circulation à des
associations coopératives, la Mine aux mineurs, la Terre aux paysans
associés, l'Usine aux ouvriers, la Voie ferrée aux employés, etc.; il
faudrait aussi, pour prévenir le retour à l'ancien état de choses, que
la loi interdît toute propriété individuelle sur les moyens de production
ou sur les principaux d'entre eux. La violence à l'origine, la
contrainte prolongée par la suite, sont les conditions de succès d'une
forme socialiste qui prétend puiser dans l'esprit de liberté sa force
vitale et sa légitimité.
Aussi n'est-il pas besoin d'insister sur l'invraisemblance d'un
pareil bouleversement, impraticable au profit d'associations libres
comme il le serait au profit de l'Etat ou des communes. En supposant
même les faits accomplis, le socialisme sociétaire ne serait
pas durable, s'il avait une origine aussi contraire à son essence.
Un régime corporatif issu d'une révolution serait une création artificielle,
sans force interne de développement, sans résistance contre
les ferments de dissolution qui se développeraient en lui. Tandis
que les associations prospères tendraient à se fermer pour garder le
profit de leurs exploitations, les groupes fidèles au principe du libre
accès végéteraient ou succomberaient, par défaut de discipline et
d'activité chez leurs membres, par indifférence ou incapacité chez
leurs chefs. En dehors des corporations, il faudrait lutter sans cesse
contre les retours offensifs du capitalisme, contre le commerce, la
banque et la spéculation, dont la puissance absorbante ne pourrait
être domptée que par une série de coups de force et une inlassable persévérance
révolutionnaire. Dans cette atmosphère de contrainte,
le régime corporatif se flétrirait aussi vite que l'individualisme.
De tous les systèmes de socialisme sociétaire, le coopératisme est
le seul qui puisse écarter les conséquences individualistes de la propriété
corporative, en maintenant l'accès des associations librement
ouvert; c'est aussi le seul qui puisse prétendre à un caractère pratique
et se réclamer de l'expérience. Son régime de sociétés de consommation
fédérées, possédant et gérant à leur profit des entreprises
de production, est pratiqué avec succès en Angleterre; les ''Wholesales'' anglaise et écossaise dont nous connaissons le nerveilleux développement, sont un objet d'envie pour la coopération européenne et un
modèle qu'elle se propose d'imiter.
Ce sont là des faits, et non plus de simples créations de l'esprit; le
coopératisme est réellement représenté par de vastes et puissantes
fédérations, qui s'accroissent d'une façon continue dans leur pays
natal. Cette fleur de la coopération, naturellement éclose d'une
plante vivace, couronnera sans doute un jour les organismes coopératifs
du continent à évolution plus lente, mais régulière et sûre.
Ceci dit, est-il permis de croire, avec quelques apôtres de la coopération,
que le principe fédéraliste des coopératives anglaises est
destiné à transformer progressivement et pacifiquement la société
capitaliste? Marchons-nous à une sorte de fédéralisme économique,
dans lequel les services de production et de circulation convenant à
des besoins locaux seraient gérés par de libres associations de consommateurs,
tandis que les services destinés à satisfaire des besoins
plus étendus seraient entre les mains des fédérations coopératives? La
question est posée, un peu prématurément peut-être; il faut tâcher
d'y répondre, en utilisant les quelques données d'une expérience
encore bien courte.
Il serait audacieux de se prononcer aujourd'hui sur l'avenir loin.-
tain de la coopération; dans les vingt dernières années, les sociétés
de consommation anglaises ont plus que triplé leur effectif, et
presque quadruplé leur chiffre d'affaires; et certes, elles ne sont
pas arrivées au terme de leur développement. Mais il serait naïf
aussi de se dissimuler et les penseurs du coopératisme ne se les
-dissimulent certainement pas les colossales difficultés que la
coopération rencontrera dans ses tentatives pour faire la conquête
pacifique de la production capitaliste.
Les chiffres concernant la coopération dans le monde sont imposants
par leur masse, et déjà propres à inspirer confiance; mais il ne
faut pas non plus, sous l'impression d'un chiffre global, s'exagérer la
place que la coopération occupe actuellement dans chaque pays. La
réalité, c'est que les progrès des sociétés de consommation, bien que
continus, sont assez lents partout ailleurs qu'en Angleterre; c'est que
ces sociétés sont presque inconnues dans un grand pays progressif
comme les États-Unis; c'est enfin que le rôle des coopératives en
face du capitalisme est encore exceptionnel. Sur le continent, la
coopération de consommation est plutôt dans l'avenir que dans le
présent.
Il ne faut pas oublier qu'en Angleterre même, le capital des sociétés
LES SYSTEMES DEVANT LES FAITS 3M
-1- .f.Fi. T.. de consommation ne représente encore qu'une minime fraction, la
300'' partie peut-être, du capital national. Jusqu'ici, l'action des
coopératives anglaises est restée nulle, ou à peu près, en agriculture, =
dans l'industrie minière, dans celle des transports, et dans beaucoup
d'autres branches de la grande industrie. L'oeuvre déjà accomplie
dans le domaine de la production, si importante soit-elle, est presque
insignifiante devant celle qui reste à accomplir. Acquérir et exploiter
la plus grande partie du territoire agricole, créer des établissements
industriels capables de lutter victorieusement contre les plus puissantes
entreprises capitalistes, remplacer l'exploitation capitaliste
des grands moyens de transport, chemins de fer et navigation maritime,
par l'exploitation coopérative, telle est la tâche immense qui
s'offre aux efforts des coopérateurs, s'ils veulent réaliser leur rêve de
transformation sociale.
Actuellement, les sociétés de consommation anglaises ont un ,“
capital de 800 millions de francs, qui s'accroît régulièrement tous les
ans et leur permet d'étendre leurs entreprises. Mais ce capital n'est
pasunfondsderéservecolleotiflibredetoutecharge; il est fourni tout
entier par des membres actionnaires et dépositaires, qui en perçoivent
l'intérêt. Une partie des revenus capitalistes, Fintérêt, la rente
du sol comprise dans l'intérêt du capital consacré à l'acquisition des
terrains, continuent donc à peser sur les sociétés coopératives, qui
ne peuvent distribuer aux consommateurs que l'excédent des profits
qu'elles réalisent dans la production et dans les achats.
Les sociétés de consommation ne pourraient changer la face du
monde par l'abolition des revenus capitalistes que si elles possédaient
de vastes propriétés territoriales et d'énormes capitaux, entièrement
libérés par amortissement de toute charge d'intérêt vis-à-vis des
bailleurs de fonds et des actionnaires eux-mêmes; alors seulement, =
elles pourraient distribuer aux consommateurs associés les revenus .“,““
du sol et des capitaux, et exercer une attraction suffisante pour J
priver de clientèle et de main-d'oeuvre les entreprises capitalistes.
Pour constituerce fonds commun de jouissance collective, il faudrait
accumuler une masse considérable de capitaux en les prélevant sur
les bénéfices; de nombreuses générations de coopérateurs devraient “
s'imposer ce sacrifice continu, renoncer à la plus grande partie des
dividendes semestriels, aux fonds de retraites, à tous les avantages
pécuniaires de la coopération, pour que les générations futures jouissent
un jour des bienfaits de l'affranchissement. Mais de tels sacrifices
décourageraient les coopérateurs: les coopératives se trouvent
ainsi enfermées à leur début dans une sorte de cercle vicieux. En _j;=.
348 LES SYSTÈMES SOCIALISTES ET L'ÉVOLUTION ÉCONOMIQUE
fait, le fonds de réserve des sociétés de consommation anglaises,.
constitué au moyen de prélèvements sur les bénéfices, s'élève à la
modeste somme de 50 millions. Les coopératives modernes conservent
donc au capital son salaire; il est vrai qu'il n'est pas indifférent
de le réduire au rôle de salarié.
M'"° Sidney Webb, dans son beau livre sur le Mouvement coopératif
en C~H~e-Z~~He, fait remarquer que le mouvement n'atteint pas.
ceux qui sont placés trop haut ou trop bas dans l'échelle sociale niceux
qui vivent dans le luxe, ni ceux qui vivent dans la misère sous.
la servitude du crédit; les quatre cinquièmes de la classe ouvrière y
sont encore étrangers. D'autre part, les sociétés coopératives ne
restent fidèles à leur principe démocratique qu'à la condition de ne
vendre qu'à leurs membres et de ne pas réaliser de profits sur des
étrangers; sinon, elles cèdent à la tentation de se transformer en
exploitations capitalistes, et de fermer leurs portes pour garder
leurs profits. Si, pour cette raison ou pour d'autres, les associations
doivent laisser en dehors de leur action les entreprises qu'elles ne
pourraient, exploiter pour l'usage exclusif de leurs membres, chemins
de fer, navigation maritime, mines, cultures spéciales, grande
industrie textile, métallurgique et autres, entreprises d'eau et de gaz,
commerce d'exportation, etc., comment peut-on attendre une rénovation
sociale d'un instrument aussi limité?
Aussi M"" Webb pense-t-elle que la démocratie industrielle ne
pourrait être complète sans certaines mesures socialistes de contrainte
telles que taxations multiples sur la richesse acquise, et expropriation
qui ne serait pas nécessairement sans indemnité – de toutes
les portions de la richesse publique qui conviennent à l'administration
publique. M. Andler fait de même appel à l'État pour vaincre la
résistance de certains monopoles, et pour hâter l'appropriation corporative
par des mesures restreignant l'étendue et la durée des dividendes
dans les sociétés de capitaux. Il est difficile au coopératisme,
quand il se propose de transformer la société, de se résigner à la
lenteur du mouvement naturel des faits. Mais si la coopération, pour
s'étendre, faisait appel à la contrainte, ne perdrait-elle pas sa vertu
propre et sa puissance interne, qui est dans la liberté? Ne soulèverait-
elle pas contre elle les mêmes résistances que le socialisme
d'État cherchant à se réaliser par la force? Les voies révolutionnaires
ne semblent pas convenir à la coopération.
La société moderne est un milieu complexe composé d'éléments
extrêmement variés et souvent antagonistes, qui cherchent tous à
LES SYSTEMES DEVANT LES FAtTS 349
-vivre et à1 se rf_ortifier grand'1s établis1s-ements capitalistes, petites
'entreprises agricoles, industrielles et commerciales, sociétés de consommation,
associations rurales, syndicats professionnels, entreprises
industrielles de l'État et des communes, etc. Si l'un de ces
éléments avait la prétention de se soumettre les autres et de les
absorber, il se heurterait à toutes les forces d'opposition des existences
menacées. Aucun système radical, ni l'individualisme absolu,
ni le collectivisme intégral, ni le coopératisme généralisé, ne paraît
en mesure d'imposer sa solution simpliste à un organisme aussi
.complexe que celui des sociétés contemporaines.
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