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n'ont obtenu jusqu'ici que de médiocres résultats. | n'ont obtenu jusqu'ici que de médiocres résultats. | ||
On est parvenu, dans certaines professions, à réunir en congrès | On est parvenu, dans certaines professions, à réunir en congrès | ||
périodique les | périodique les délégués syndicaux des différents pays, et même à | ||
instituer un bureau international, un secrétariat permanent qui sert | instituer un bureau international, un secrétariat permanent qui sert | ||
de lien entre les organisations nationales, au moins pour la correspondance, | de lien entre les organisations nationales, au moins pour la correspondance, | ||
les informations et la préparation des congrès. | les informations et la préparation des congrès. C'est ainsi | ||
que la fédération internationale des mineurs, créée à Londres en 1892, tient des congrès annuels ou siègent les représentants d'un million et demi d'ouvriers mineurs d'Angleterre, d'Allemagne, d'Autriche, de France et de Belgique. Mais ces fédérations n'ont jamais été assez | |||
fortes pour exercer une influence générale sur la production et les | |||
salaires; elles n'ont jamais pu recueillir des ressources suffisantes | |||
pour soutenir des grèves, ni même pour distribuer régulièrement des | |||
secours de route. Faute de subventions importantes à fournir, les | |||
comités permanents n'ont jamais exercé un contrôle efficace sur les | |||
déclarations de grève, et les congrès eux-mêmes ne sont pas parvenus | |||
à s'entendre pour les réglementer. Bref, dans aucune fédération internationale, l'organe exécutif n'a eu assez d'autorité pour imposer ses décisions, coordonner les efforts et obtenir de chaque organisation nationale l'accomplissement de ses obligations fédérales essentielles, comme l'acquittement de la cotisation proportionnelle. Tout au plus peut-on citer le secrétariat international de la typographie, établi à Berne depuis 1893, qui distribue des secours de route conformément à un règlement international et soutient certaines grèves | |||
par des levées extraordinaires; encore s'en faut-il que le service fonctionne | |||
avec la régularité désirable. | |||
Plus difficile encore parait être la fédération internationale de | |||
toutes les forces ouvrières. Sans doute, depuis la dissolution de | |||
l'Association internationale des travailleurs, de nombreux congrès | |||
internationaux ouvriers et socialistes se sont réunis dans différentes | |||
capitales; mais ces assemblées passionnées et souvent tumultueuses, | |||
dans lesquelles l'élément politique s'est toujours trouvé mêlé à l'élément | |||
professionnel, paraissent peu propres à créer une organisation | |||
internationale permanente d'un caractère vraiment syndical. Des | |||
efforts faits depuis 1901 pour réunir des délégués nationaux en conférences | |||
internationales périodiques ne semblent pas avoir donné de | |||
résultats. | |||
Si les efforts de la classe ouvrière pour former des fédérations | |||
internationales n'ont pas mieux réussi jusqu'à présent, il ne faut pas | |||
attribuer cet insuccès aux rivalités nationales, ni aux lois restrictives | |||
de diSérents États européens. La véritable cause est interne; elle | |||
réside dans la faiblesse actuelle de la plupart des organisations nationales. | |||
Il en est des syndicats ouvriers comme des sociétés coopératives | |||
le mouvement, pour être fort, doit partir d'en bas, et l'édifice | |||
ne peut se couronner par de vastes fédérations que s'il s'appuie sur | |||
des groupes locaux solidement constitués. Les fédérations internationales | |||
restent en l'air, tant qu'elles ne se relient pas à des fédérations | |||
nationales puissantes, pourvues des organes permanents indispensables, | |||
disposant de ressources abondantes, capables de faire | |||
elles-mêmes les principaux sacrifices et d'imposer le respect de leurs | |||
règlements dans les grèves de leurs propres membres. | |||
Tandis que les salariés s'organisaient pour obtenir des salaires plus | |||
élevés et des journées plus courtes, les patrons recouraient eux-mêmes | |||
à l'association pour la défense de leurs intérêts comme employeurs. | |||
Toutefois, le mouvement a été moins rapide et moins net de leur | |||
côté. Il a toujours été plus facile aux entrepreneurs, qui sont en | |||
petit nombre, de former entre eux des coalitions tacites contre les | |||
prétentions de leurs ouvriers, sans instituer à cet effet des associations | |||
permanentes et publiques. En outre, il a toujours existé de | |||
nombreuses associations patronales d'un caractère plus général; à | |||
toute époque, les entrepreneurs d'une même profession industrielle | |||
ou commerciale, ou de professions diverses, se sont groupés pour | |||
exercer une influence sur la législation, obtenir certains tarifs de | |||
douane ou de transport, provoquer la création de voies de communication, | |||
organiser l'exportation, protéger la propriété industrielle, | |||
pratiquer l'assurance et prévenir les accidents, etc. Ces sociétés | |||
devaient naturellement, à l'occasion, se transformer en groupes de | |||
résistance. Des patrons habitués à se rencontrer dans une association | |||
déjà existante, fût-ce pour un autre objet, arrivent facilement à | |||
LES UNIONS PROFESSIONNELLES SS9 | |||
csDr''neee,Fnnswt.ei~»ln.idstrees ceinrcuclaesntdc,e ceotnfdlni'ut nmecnoamçamnutn ouacdcéocrld-a1 réonaveecxclleuut rsdeesmpaltoelyiéesrs. | |||
les promoteurs des coalitions ouvrières. Une maison est-elle mise | |||
à l'index? Les autres lui prêtent leur concours pour l'aider à exécuter | |||
ses contrats de livraison; bien plus, elles épousent sa cause, et | |||
ferment leurs portes toutes ensemble pour déjouer la manoeuvre de | |||
la grève par échelons. | |||
Mais à côté de ces associations industrielles et commerciales d'un | |||
caractère général, les patrons ont fondé aussi des ligues et syndicats | |||
plus spécialement adaptés à la lutte ou à l'entretien de rapports | |||
réguliers avec leurs ouvriers. L'organisation patronale est la contrepartie | |||
nécessaire de l'organisation ouvrière; c'est donc dans les pays | |||
où les unions ouvrières sont les plus fortes, comme l'Angleterre, | |||
que se rencontrent aussi les ligues patronales les mieux constituées. | |||
Aux États-Unis, certaines associations patronales dictent leurs conditions | |||
aux ouvriers et détiennent le service du placement*. En | |||
Allemagne, les 6~?'K<'Am(M~er6c!H< allouent des indemnités aux | |||
maisons atteintes par une grève, et décrètent au besoin le lock-out. | |||
En France, des syndicats mixtes, comprenant à la fois des patrons | |||
et ouvriers d'une industrie régionale, ont été créés, sous l'influence | |||
des idées religieuses, dans le but de prévenir les antagonismes | |||
et de réaliser l'union des classes par une association commune | |||
Mais ces syndicats semblent être plutôt des oeuvres de patronage | |||
et d'assistance mutuelle que des cadres professionnels permettant | |||
aux ouvriers de débattre leurs intérêts avec les patrons sur un pied | |||
d'équilibre, et de conclure des accords collectifs sur les questions de | |||
salaires et de travail. Le mouvement est d'ailleurs limité et en décroissance. | |||
Quant aux syndicats ouvriers dits indépendants, ou syndicats | |||
jaunes, qui s'élèvent dans certaines régions industrielles contre les | |||
unions ouvrières combatives, il est parfois difficile d'en apprécier | |||
exactement le caractère. Certains d'entre eux paraissent n'être que | |||
des créations artificielles, des contre-syndicats suscités et subventionnés | |||
par les patrons pour faire échec aux véritables syndicats | |||
ouvriers telle est, dit-on, en Angleterre, la 7~-ee /,a6oM)~~Mocts~oM, | |||
dont la véritable fonction consisterait à rassembler des éléments | |||
flottants sur le marché du travail pour les diriger vers les maisons | |||
auxt. NWfiaU~-oUag~hMby,M, Luesséeasssoocciaial,tiMonésmpoaitrreosn, aselepst. pi9o0uSr .les relations avec le travail | |||
2. Boissard, L<-syndicat mixte, Rousseau, 1897,in-S°. | |||
360 LES SYSTÈMES SOCIALISTES ET L'EVOLUTION ECONOMIQUE | |||
victimes d'une grève'. Si l'organisation est factice et sans racines | |||
dans la classe ouvrière, elle ne peut être de longue durée. Sans doute, | |||
des associations indépendantes qui se forment en dehors de la fédération | |||
ouvrière la plus militante et ne veulent pas s'y inféoder | |||
peuvent avoir néanmoins un caractère réellement ouvrier; en Allemagne, | |||
en Belgique et ailleurs, les syndicats ouvriers se divisent en | |||
plusieurs courants et n'obéissent pas tous à un même mot d'ordre. | |||
Ils représentent tous cependant les vrais intérêts ouvriers, et savent, | |||
dans les circonstances graves où ces intérêts sont engagés, marcher | |||
à l'unisson; ils suivent une marche parallèle sur les questions professionnelles | |||
aucun d'eux ne consentirait à fournir des remplaçants | |||
pour faire échouer une grève entreprise par une organisation rivale. | |||
Ainsi, dans la grande grève des mineurs de Westphalie en 190S, | |||
tous les syndicats ouvriers, aussi bien chrétiens et libéraux que | |||
socialistes, ont marché d'accord. L'épreuve est décisive, et permet de | |||
distinguer les véritables syndicats ouvriers indépendants des organes | |||
qui sont alimentés pour trahir la cause ouvrière. | |||
Bien que l'appareil des unions et fédérations ouvrières se présente | |||
sous un aspect déjà imposant, il est encore de création trop récente | |||
dans la plupart des pays pour ne pas avoir ses faiblesses. | |||
Certaines catégories importantes de salariés échappent à peu près | |||
complètement à l'action syndicale. Les simples manoeuvres, les | |||
déchargeurs et les matelots, malgré la modicité de leurs ressources, | |||
commencent à entrer dans le mouvement; mais les femmes, les | |||
ouvriers à domicile et les ouvriers agricoles y sont restés généralement | |||
étrangers. | |||
Pour les femmes, il est rare qu'elles forment des syndicats distincts, | |||
ou même qu'elles entrent dans les syndicats ouvriers; en | |||
dehors des syndicats de l'industrie textile, où elles figurent d'ailleurs | |||
en nombre relativement restreint, même en Angleterre, leur participation | |||
est assez faible. | |||
Chez les travailleurs à domicile, les unions sont également difficiles | |||
à constituer, à cause de leur faiblesse et de leur dispersion. On | |||
cite bien quelques grèves parmi les tailleurs des grandes villes, et | |||
même chez certains ouvriers disséminés à la campagne tels que les | |||
rubaniers de la région de Saint-Étienne mais les associations | |||
fortes et durables, comme celle des ouvriers gantiers de Bruxelles, | |||
sont infiniment rares dans l'industrie à domicile. | |||
Pour des raisons analogues, les ouvriers agricoles sont encore | |||
1. P. Mantoux et M. Alfassa, La crise du trade-unionisme, p. i94 et s., | |||
Rousseau, 1903,m-8". | |||
LES UNIONS PROFESSIONNELLES 36! | |||
inorganisés. Les domestiques il L'année, logés et nourris à la ferme, | |||
vivant rapproches de leur employeur, dans une situation à la fois | |||
stable et dépendante, n'ont ni le moyen, ni généralement la pensée | |||
de s'associer pour défendre leurs intérêts collectifs; et les journaliers | |||
eux-mêmes n'ont guère l'occasion de se réunir par grandes masses | |||
et de se concerter. En France, les jardiniers, les bûcherons et les | |||
ouvriers de la viticulture sont les seuls qui aient tenté de se grouper | |||
encore l'initiative est-elle partie des Bourses du travail urbaines, | |||
tant pour l'organisation des ouvriers vignerons du Languedoc que | |||
pour celle des bûcherons du Cher depuis 1899. Des grèves morcelées, | |||
dues à l'insuffisance des salaires, ont éclaté chez les bûcherons en 1891, | |||
chez les vignerons en 1903-1904; dans les deux cas, grèves et syndicats | |||
n'ont été possibles qu'à cause de l'existence indépendante de | |||
ces ouvriers et de la nature particulière de leur travail, qui les | |||
réunit par groupes sur les lieux d'opération et d'embauchage'. En | |||
Angleterre, où la grande culture capitaliste semble offrir des conditions | |||
favorables à l'association des salariés, les unions d'ouvriers | |||
agricoles, après un développement éphémère provoqué par l'ardente | |||
propagande de Joseph Arch, sont tombées dans le néant (1 800 membres | |||
en 1900). Il faut un régime de la propriété foncière bien oppressif, | |||
et des souffrances bien vives chez les travailleurs de la terre pour | |||
qu'une grève éclate parmi eux. Encore la grève ne suppose-t-elle pas | |||
nécessairement l'existence du syndicat. Des deux grandes agitations | |||
agraires qui ont soulevé les journaliers agricoles dans ces dernières | |||
années, celle d'Italie en 1901-1902 et celle de la Galicie orientale | |||
en 1902, la première seule s'appuyait sur une organisation syndicale | |||
permanente~. | |||
Dans la grande industrie elle-même, les ouvriers syndiqués ne | |||
sont encore qu'une minorité. Cette minorité, il est vrai, peut avoir | |||
une importance prépondérante si elle forme un groupe cohérent, | |||
riche et discipliné. Mais, sur le continent, beaucoup de syndicats ne | |||
sont guère qu'un assemblage d'éléments instables autour d'un noyau | |||
1. Ro.Nin, Les bitcherons du C/ e~ de la A'Mt~'e,leurs M/~tM~s, [mp. du | |||
Mouvement socialiste, 1903,in-S". Augé-Laribé, Les OMMr!e)'e la c:<cMMM'e | |||
~a~K~octMne e<leurs syndicale, Muséesocial, Mémoires,nov. 1903et déc. 1904, | |||
et Annales, fév. 1904,p. 39 et s. | |||
2. H-Bcker,Les grèves des OMM':eta'~gricoles en Galicie, Mouvementsocialiste, | |||
1M5usseépetS. o1c9ia0l2,.MémGohiiroe,s,Lfeésvd. et9rn0i3è.re–s <Dae~H'<oMcqMu!gangyr,a'Mire~sMdeaesn<s pl'rlelaMlisededupayNsnarnds,, | |||
p. 5Get ch. vt, Rousseau, 1904,in-12. –Au Congrèsde Bologneen i90t se trouvaient | |||
représentées 704 ligues comprenant iMOM membres; en I90t, ces ligues | |||
paraissaient sommeiller, sauf dans quelques provinces. Il s'est formé aussi des | |||
ligues catholiques de paysans. | |||
262 LES SYSTÈMES SOCIALISTES ET L'ÉVOLUTION ÉCONOMIQUE | |||
d'hommes fidèles et dévoués, une union précaire et dénuée de ressources | |||
plutôt qu'une corporation solidement assise; il y manque | |||
l'esprit de discipline et de solidarité, la pratique des hautes cotisations | |||
régulièrement acquittées, les méthodes d'administration qui | |||
ont porté si haut la puissance des unions anglaises. | |||
Ces lacunes et ces faiblesses ne peuvent être contestées; mais elles | |||
sont inévitables dans un mouvement qui est encore à ses débuts | |||
partout ailleurs qu'en Angleterre; et s'il y a lieu de s'étonner, c'est | |||
plutôt de la force qu'il a prise si rapidement que des infirmités | |||
qui l'accompagnent. Au point de vue du nombre, la croissance des | |||
syndicats ouvriers a pris une allure accélérée depuis une vingtaine | |||
d'années. Entre 1890 et 1904, le nombre des ouvriers syndiqués a | |||
passé, en chiffres ronds, de 1 million et demi à 2 millions en Angleterre, | |||
de 140000 à 800000 en France, de 350 000 à 1SOOOOOen | |||
Allemagne, de 800000 à 2000 000 aux États-Unis; et si nous possédions | |||
des chiffres pour l'Australasie et le Danemark, la progression | |||
nous y apparaîtrait sans doute aussi forte. Dans certaines professions, | |||
industrie houillère, typographie et quelques autres, les associations | |||
ouvrières s'étendent à la majorité, ou même, en Angleterre | |||
et aux États-Unis, à l'ensemble des ouvriers de la profession. | |||
Au point de vue des méthodes administratives et financières, il | |||
semble aussi que l'exemple des unions anglaises commence à porter | |||
ses fruits. Certains syndicats, en Allemagne, en Belgique et en | |||
France, ont senti la nécessité de fortifier l'autorité du comité central, | |||
et d'assurer la continuité de la direction en rétribuant convenablement | |||
leurs agents et en prolongeant leurs pouvoirs. Ils se rendent | |||
compte, en même temps, que c'est par des cotisations élevées, donnant | |||
droit à des allocations de chômage et de maladie, qu'un syndicat | |||
parvient le mieux à retenir ses membres et à grossir leur nombre. | |||
Les unions américaines sont largement entrées dans cette voie | |||
depuis 1880; ainsi les unions des typographes, des cigariers, des | |||
machinistes et chauffeurs, dépensent ensemble 5 millions de francs | |||
par an pour les secours. Les syndicats socialistes allemands ont | |||
presque tous haussé leur cotisation depuis une dizaine d'années, et | |||
ils affectent aujourd'hui plus du tiers de leurs ressources a l'assistance | |||
mutuelle. Les syndicats autrichiens distribuent, de leur côté, | |||
des secours de chômage importants. En France, les caisses de | |||
secours syndicales, encore médiocrement alimentées, il est vrai, sontt | |||
assez nombreuses dans certaines professions telles que la typographie, | |||
l'industrie des métaux et celle du vêtement. Les mineurs | |||
belges n'ont pu reconstituer leurs syndicats en décadence qu'en | |||
LES UNIONSPROFESSIONNELLES M3 | |||
majorant la cotisation; la tendance en Belgique est de donner aux | |||
unions ouvrières, comme en Angleterre, la double fonction de résistance | |||
et de mutualité; là où jadis on ne parvenait plus même à | |||
recouvrer des cotisations de cinq ou dix centimes par mois, on | |||
perçoit aujourd'hui sans difficulté des contributions mensuelles de | |||
1 franc, 2 francs et même plus. La hausse des salaires, qui parait | |||
être la conséquence naturelle des progrès de la production dans la | |||
grande industrie mécanique, permet aux associations ouvrières | |||
d'exiger de leurs membres des impositions d'une importance croissante | |||
et par un effet en retour, l'accroissement de leurs ressources | |||
permet aux syndicats d'accélérer le mouvement de hausse des | |||
salaires. | |||
Ainsi donc, dans tous les pays industriels, les syndicats ouvriers | |||
parcourent les mêmes étapes que l'unionisme anglais. Le monde du | |||
travail tend partout à s'organiser et à prendre une conscience collective | |||
le courant est universel, irrésistible, il surmonte tous les obstacles, | |||
non seulement la faible digue des restrictions légales ou des | |||
tracasseries judiciaires, mais même l'entrave autrement sérieuse des | |||
antagonismes politiques, religieux et nationaux. A un phénomène | |||
aussi général doit correspondre une cause également générale | |||
d'ordre économique; cette cause ne peut être que la transformation | |||
industrielle subie par les pays civilisés dans le cours du xix" siècle. | |||
Serait-ce donc, comme on l'a maintes fois répété, la machine qui | |||
aurait créé cet état de choses? Il est incontestable que la machine y | |||
a beaucoup contribué, en précipitant la concentration des masses | |||
ouvrières autour des moteurs mécaniques. Par ailleurs, le machinisme | |||
a exercé une influence profonde sur l'esprit des associations | |||
ouvrières. En révolutionnant les anciennes formes de la production, | |||
et en ouvrant l'accès des métiers aux faibles et aux ouvriers non | |||
exercés, le machinisme, partout où il a dominé le travail, a ruiné | |||
les antiques prétentions des corporations ouvrières au monopole de | |||
leur métier. Les traces de l'ancien esprit particulariste, les exigences | |||
relatives à la limitation des apprentis, l'hostilité contre les machines, | |||
les conflits avec d'autres associations ouvrières au sujet du droit au | |||
métier, n'apparaissent plus que dans les professions où la machine | |||
n'a pas encore accompli son oeuvre révolutionnaire. | |||
Mais, en y regardant de plus près, les meilleurs observateurs ont | |||
reconnu que la concentration des forces ouvrières était moins une | |||
conséquence du machinisme en particulier que du régime capitaliste | |||
dans son ensemble. | |||
Le capitalisme, en détruisant le régime du petit atelier et en | |||
264 LES SYSTÈMES SOCIALISTES ET L'ÉVOLUTION ÉCONOMIQUE | |||
agglomérant les travailleurs dans les manufactures dès avant l'introduction | |||
du machinisme, a disjoint les éléments réunis dans la | |||
corporation d'autrefois, et opposé aux chefs d'industrie une armée | |||
sans cesse grossissante de travailleurs salariés, destinés à rester | |||
tels, et conscients de leurs intérêts de classe. Est-ce nécessairement | |||
la guerre de classes qui doit sortir de cette division? C'est une question | |||
à réserver; mais il résulte au moins de cet état de fait une oppo | |||
sition d'intérêts qui détermine des groupements séparés. | |||
En même temps que les entreprises se concentraient, les obstacles à | |||
la concurrence intérieure et extérieure disparaissaient ou s'abaissaient | |||
par l'abolition des règles restrictives du système corporatif, par la | |||
suppression des douanes intérieures et- la réduction des droits prohibitifs, | |||
et surtout par le progrès des transports. Sous la pression d'une | |||
concurrence sans frein, et vis-à-vis d'une clientèle toujours en quête | |||
des prix les plus bas, les chefs d'industrie ont dû peser sur les | |||
salaires, dans des conditions d'autant plus fâcheuses pour les travailleurs | |||
que des perfectionnements mécaniques incessants soumettaient | |||
les ouvriers de métier à la concurrence des travailleurs faibles et sans | |||
apprentissage. | |||
Ainsi les deux facteurs nouveaux de la société économique, concentration | |||
et concurrence, agissaient dans le même sens pour provoquer | |||
la formation des associations ouvrières, puisqu'ils avaient ce | |||
double effet de faciliter l'entente des salariés en les réunissant par | |||
masses, et de rendre cette entente plus nécessaire que jamais pour la | |||
défense de leur étalon de vie menacé par la concurrence. | |||
Par le fait de cette évolution économique, l'individualisme atomique | |||
a fait son temps; l'isolement individuel a dû cesser en même | |||
temps que la pulvérisation des entreprises; la centralisation industrielle | |||
appelait nécessairement la coalition ouvrière. Dans un état | |||
développé de la grande industrie, la position est trop inégale pour | |||
l'ouvrier isolé vis-à-vis du patron; les parties en présence, dans la | |||
discussion du salaire et des autres clauses du contrat, sont en réalité | |||
le capital et le travail non pas le patron et son ouvrier, non pas | |||
même un patron et l'ensemble de ses ouvriers, mais plutôt l'ensemble | |||
des patrons d'une même industrie régionale ou nationale et l'ensemble | |||
des ouvriers de la profession. | |||
Plus les marchés s'élargissent par le progrès des communications, | |||
plus s'étendent les rapports de concurrence et les connexités industrielles, | |||
et plus s'impose aux salariés la nécessité d'agrandir la sphère | |||
de leurs unions pour suivre le mouvement d'extension des solidarités | |||
économiques. Aussi voit-on les syndicats locaux s'amalgamer, se | |||
LES UNIONS PROFESSIONNELLES 2&S | |||
-r-eT!lier aux s~y1.tn. dicats d_1e- _m_t.éa~tiers connexes ou d.3':i7n.s.dustries dtailCfdf.éx.rentes, | |||
se former en fédérations régionales et nationales, et même ébaucher | |||
aujourd'hui des fédérations internationales. | |||
C'est au prix de luttes douloureuses et d'efforts incessants que la | |||
classe ouvrière parvient à réaliser les formes de concentration qui | |||
sont en harmonie avec le développement industriel. Le malaise dont | |||
souffrent les États modernes tient en grande partie à la survivance | |||
des rapports individuels de l'ancien régime économique, qui sont | |||
incompatibles avec l'état nouveau de la grande industrie moderne. | |||
Car l'évolution capitaliste des entreprises précède toujours celle des | |||
unions professionnelles; l'adaptation ne se fait qu'à la longue, et les | |||
métamorphoses se suivent à distance dans les deux séries. | |||
Lorsque la production capitaliste s'établit dans un pays, elle | |||
trouve en face d'elle une population ouvrière généralement. ignorante | |||
et complètement inorganisée. Le travail subit alors toutes | |||
les capitulations que le capital lui impose, jusqu'à l'extrême limite | |||
d'un minimum nécessaire à l'entretien de la vie physiologique. De | |||
loin en loin, dans ces milieux de prolétaires misérables agglomérés sur | |||
un même point par les nouvelles formes de la production, des grèves | |||
éclatent, soulèvements spasmodiques, révoltes de la faim marquées | |||
par des attentats sanglants, réprimées par la violence et suivies d'affaissements | |||
plus profonds. | |||
Tel, en Angleterre, avant l'abrogation des lois contre les coalitions | |||
en 1824-182S, et même jusqu'en 1842, l'état insurrectionnel de la | |||
classe ouvrière réduite à la misère par un capitalisme sans contrepoids. | |||
Conspirations, meurtres, bris de machines, terrorisme des | |||
sociétés secrètes, répression aussi impuissante qu'impitoyable, ce fut | |||
vraiment pour l'Angleterre une période d'anarchie sociale, résultant | |||
d'un désaccord prolongé entre l'état centralisé de l'industrie et | |||
l'état inorganique des classes ouvrières abandonnées par la législation | |||
les ouvriers étaient restés, suivant les expressions de M. et | |||
M" Webb, « les serfs batailleurs à demi émancipés de 1823 ))~. | |||
De cette décomposition primitive devait sortir, en Angleterre, l'ordre | |||
unioniste contemporain; mais, aujourd'hui encore, nous retrouvons | |||
les mêmes traits dans les insurrections anarchistes delà Catalogne, | |||
et, à certains égards, dans les séditions agraires de l'Ukraine et de | |||
la Sicile. | |||
Lorsque les associations ouvrières commencent à se former, elles | |||
i. Sidneyet Beatrice Webb, Histoire du trade-unionisme, trad. Metm, p. t57, | |||
Giard, )897, in-8". | |||
266 LES SYSTÈMES SOCIALISTES ET L'ÉVOLUTION ÉCONOMIQUE | |||
ont une tendance, dans beaucoup de pays, à comprendre tous les | |||
salariés sans distinction de métier, et à poursuivre des fins idéalistes | |||
de transformation sociale. Il en fut ainsi, en Angleterre, de l'Association | |||
nationale de '1830 et de la <??'aK<i! ~Vct~MMs~Tt'ad'M-~MMM, | |||
fondée en 1834 sous l'influence de Robert Owen; ainsi encore du | |||
CeM~AM/M/~s&MH~crée à Berlin en 1868 par Schweitzer, et même, | |||
à une époque plus récente, de l'Ordre des Chevaliers du travail | |||
aux États-Unis. Les associations ouvrières ne tardent pas d'ailleurs | |||
à s'établir sur la base plus solide du métier, dans le but de défendre | |||
leurs intérêts professionnels; mais longtemps encore le mouvement | |||
syndical reste lié au mouvement politique, sans être considéré comme | |||
ayant sa fin propre et indépendante. | |||
Longues et difficiles sont ensuite les étapes à parcourir avant d'arriver | |||
ii une coordination durable des forces individuelles. A ses | |||
débuts, dans une population ouvrière amorphe et dénuée de l'esprit | |||
.de solidarité, le syndicat se confond presque avec la coalition éphémère | |||
de la grève; c'est une ébauche d'association, groupe instable | |||
qui se gonne au moment de la lutte pour se réduire aussitôt après à | |||
un mince noyau d'adhérents fidèles, sans fonds de caisse alimenté | |||
par des cotisations sufnsantes et régulières. II est toujours possible | |||
de provoquer, par des paroles ardentes, un mouvement convulsif | |||
chez des hommes qui souffrent; un concert permanent, impliquant | |||
des sacrifices à longue portée, ne peut être que le fruit d'une éducation | |||
prolongée. | |||
Tant que les associations ouvrières sont aussi faibles, les relations | |||
entre employeurs et salariés restent nécessairement individuelles. | |||
Les patrons, dont l'éducation économique est aussi incomplète que | |||
celle de leurs ouvriers, sont imbus de l'idée que toute intervention | |||
du syndicat dans la discussion des salaires serait une usurpation sur | |||
leurs pouvoirs de direction et une atteinte intolérable à leur autorité. | |||
D'ailleurs, le syndicat n'est encore qu'une minorité de militants ou | |||
une agglomération passagère, menée par des hommes remuants et | |||
énergiques, mais souvent exaltés par les souffrances et les rancunes, | |||
ignorants des conditions industrielles, parfois même étrangers à la | |||
profession, à cause de l'ostracisme dont les chefs d'établissement | |||
frappent les ouvriers coupables d'une initiative syndicale. Les | |||
patrons refusent donc de reconnaître le syndicat et d'entrer en pourparlers | |||
avec ses délégués ils s'obstinent dans leur prétention de ne | |||
discuter qu'avec leurs ouvriers pris individuellement; ils luttent | |||
pour briser le syndicat, excluant les chefs de leurs ateliers, organisant | |||
contre eux le boycottage des listes noires, obligeant même | |||
LES UNIONSPROFESSIONNELLES 267 | |||
parfois leurs ouvriers à se démettre de l'association. Comme ils ne | |||
rencontrent pas de résistance sérieuse dans leur personnel, ils ne | |||
savent réduire les frais qu'aux dépens de la main-d'oeuvre. Nuleffort | |||
pour sortir de la routine et renouveler l'outillage; l'exploitation des | |||
forces de travail à bon marche permet de soutenir la concurrence | |||
sans s'imposer les frais d'un matériel perfectionné. | |||
A cette phase du mouvement ouvrier, la résistance à la pression | |||
patronale affecte volontiers la forme sournoise du «bousillâmes ou | |||
«sabotage » individuel; et lorsqu'elle se traduit par un soulèvement | |||
collectif, la grève, sans être nécessairement violente et insurrectionnelle, | |||
reste encore tumultueuse et chaotique. Au lieu d'être décidée | |||
après mûre réflexion par les syndicats, elle éclate d'une façon impulsive, | |||
et se propage par entraînement ou par crainte devant les | |||
injonctions de bandes anonymes. Les grévistes ne savent ni choisir | |||
le moment où les circonstances économiques sont favorables, ni présenter | |||
un programme de revendications précises. De leur côté, les | |||
patrons luttent isolément, et tentent d'obtenir la reprise du travail | |||
par des concessions individuelles. Satisfait d'un avantage souvent | |||
apparent, le personnel d'un établissement cesse la grève, sans songer | |||
à stipuler des garanties pour l'observation des conditions mal définies | |||
qui lui sont faites verbalement, tandis que les autres ouvriers de la | |||
même industrie, affaiblis par cette défection ou entrés plus tard dans | |||
la lutte, sont obligés de se soumettre sans conditions. Dans ces mouvements | |||
spontanés, nulle pensée directrice et nul plan d'ensemble | |||
des chefs improvisés, incapables d'imposer une ligne uniforme, un | |||
plan raisonné d'attaque et de défense, doivent céder aux mouvements | |||
irréfléchis de la foule. Aussi les quelques avantages qui ont pu être | |||
obtenus par surprise s'émiettent-ils au jour le jour sous l'action de | |||
la concurrence que les travailleurs se font a eux-mêmes, lorsque la | |||
période de fièvre est passée les grèves partielles se multiplient et se | |||
renouvellent à bref délai, perpétuant l'état d'instabilité dans lequel | |||
se débat l'industrie à cette phase d'associations rudimentaires. | |||
C'est l'histoire des rapports du capital et du travail dans la plupart | |||
des métiers de l'Europe continentale. Cette période chaotique a | |||
pu prendre fin dans les pays dont l'évolution industrielle est la plus | |||
avancée; elle est moins prolongée chez certains peuples que chez. | |||
d'autres, grâce à des qualités de race particulières et à diverses circonstances; | |||
mais aucun peuple ne peut la franchir sans s'y arrêter, parce | |||
que nulle population ouvrière ne peut passer brusquement de la | |||
misère et de l'abaissement a la maturité. Il faut que le syndicat sorte | |||
de la grève et se fortifie par de longues épreuves, avant de devenir | |||
368 LES SYSTÈMES SOCIALISTES ET L'ÉVOLUTION ÉCONOMIQUE | |||
l'union résistante qui représente réellement le travail vis-à-vis du | |||
capital. | |||
Lorsque les associations ouvrières sont puissantes par le nombre | |||
de leurs adhérents, la permanence de leur personnel et l'ampleur de | |||
leurs ressources, elles n'ont plus besoin de lutter pour l'existence, | |||
et savent se faire reconnaître comme une représentation sérieuse | |||
et durable des travailleurs. Sous la direction de chefs expérimentés, | |||
exactement renseignés sur l'état du marché et soucieux de leur responsabilité, | |||
hostiles à toute aventure dans laquelle les fonds sociaux | |||
seraient inutilement compromis, les associations n'engagent la lutte | |||
qu'à bon escient. Les statuts d'un syndicat national centralisé ne | |||
permettent une grève locale que si elle a été autorisée par le comité | |||
central, après épuisement des moyens ordinaires de conciliation. Les | |||
grèves sont donc plus rares et plus pacifiques; mais elles sont aussi | |||
plus étendues et plus prolongées, se propageant chez tous les ouvriers | |||
d'une môme industrie et des industries connexes, et se poursuivant | |||
pendant de longues périodes grâce aux ressources considérables des | |||
deux parties 1. | |||
Vis-à-vis des unions ouvrières, les patrons doivent à leur tour | |||
constituer des associations de même nature. Entre les deux groupes | |||
peuvent alors intervenir des accords, de véritables traités réglant | |||
pour l'avenir les conditions du travail. D'abord conclues par des | |||
négociateurs improvisés ou des arbitres de circonstance pour prévenir | |||
un conflit menaçant ou terminer une grève, ces conventions | |||
finissent par entrer dans la pratique courante de l'industrie. Des | |||
organes permanents, des comités mixtes ou séparés, composés de | |||
délégués des deux parties, sont établis pour débattre et arrêter, | |||
avant toute cessation de travail, les clauses du contrat; parfois même, | |||
un arbitre est désigné li l'avance pour le cas où les plénipotentiaires | |||
siégeant dans le comité ne parviendraient pas à s'entendre. Le contrat, | |||
valable pour tous les établissements d'une même industrie | |||
dans une région déterminée, porte non seulement sur les salaires, | |||
mais sur la durée du travail et les conditions accessoires de sa prestation. | |||
Il établit des tarifs minima de salaires au temps et aux pièces | |||
I. La grève des mécaniciens anglais en tS97-98a dure 7 mois; elle a fait chômer | |||
plus de )00000 ouvriers, et coûté II millions de francs aux caisses des unions. La | |||
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WestphaUeen t903 a fait chômerpendant Ssemaines19a000mineurs sur2C8000 | |||
LES UNIONS PROFESSIONNELLES 269 | |||
communs à toute L'industrie, ou des tarifs types destinés à servir | |||
de base aux conventions particulières des groupes locaux. 11fixe la | |||
période de validité, prévoit les délais de dénonciation, et remet à des | |||
experts-arbitres le soin de trancher les difficultés d'application et | |||
d'interprétation qui pourraient provoquer des contestations individuelles | |||
ou collectives pendant la période d'exécution. |
modifications