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on s'aperçut trop nettement que le breuvage qu'elle offrait aux hommes ne pouvait | on s'aperçut trop nettement que le breuvage qu'elle offrait aux hommes ne pouvait | ||
être de leur goût, pour ne pas sentir le désir de boire à un autre verre. | être de leur goût, pour ne pas sentir le désir de boire à un autre verre. | ||
Étant des « Hommes », nos pères voulurent être considérés comme des hommes. | Étant des « Hommes », nos pères voulurent être considérés comme des hommes. | ||
Quiconque voit en nous autre chose, nous le regardons comme étranger à l'humanité, | Quiconque voit en nous autre chose, nous le regardons comme étranger à l'humanité, | ||
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en nous des hommes et nous garantit contre le danger d'être traités autrement que | en nous des hommes et nous garantit contre le danger d'être traités autrement que | ||
des hommes, nous l'honorons comme notre soutien et notre protecteur. | des hommes, nous l'honorons comme notre soutien et notre protecteur. | ||
Unissons-nous donc, et soutenons-nous mutuellement ; notre association nous | Unissons-nous donc, et soutenons-nous mutuellement ; notre association nous | ||
assure la protection dont nous avons besoin, et nous, les associés, formons une communauté | assure la protection dont nous avons besoin, et nous, les associés, formons une communauté | ||
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d' « hommes » est le signe de ralliement. Le produit de notre association est l'État ; | d' « hommes » est le signe de ralliement. Le produit de notre association est l'État ; | ||
nous, ses membres, nous formons la Nation. | nous, ses membres, nous formons la Nation. | ||
En tant que réunis dans la Nation ou l'État, nous ne sommes que des hommes. | En tant que réunis dans la Nation ou l'État, nous ne sommes que des hommes. | ||
Qu'en outre, en tant qu'individus, nous fassions nos propres affaires et poursuivions | Qu'en outre, en tant qu'individus, nous fassions nos propres affaires et poursuivions | ||
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« affaires privées », et nous distinguons soigneusement l'État de la « société civile », | « affaires privées », et nous distinguons soigneusement l'État de la « société civile », | ||
domaine de l' « égoïsme ». | domaine de l' « égoïsme ». | ||
Le véritable Homme, c'est la Nation ; l'individu, lui, est toujours un égoïste. | Le véritable Homme, c'est la Nation ; l'individu, lui, est toujours un égoïste. | ||
Dépouillez donc cette individualité qui vous isole, cet individualisme qui ne souffle | Dépouillez donc cette individualité qui vous isole, cet individualisme qui ne souffle | ||
qu'inégalité égoïste et discorde, et consacrez-vous entièrement au véritable | qu'inégalité égoïste et discorde, et consacrez-vous entièrement au véritable | ||
Homme, à la Nation, à l'État. Alors seulement vous acquerrez votre pleine valeur | Homme, à la Nation, à l'État. Alors seulement vous acquerrez votre pleine valeur | ||
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le véritable Homme, vous fera place à la table commune et vous confèrera les « droits | le véritable Homme, vous fera place à la table commune et vous confèrera les « droits | ||
de l'Homme », les droits que l'Homme seul donne et que seul l'Homme reçoit. | de l'Homme », les droits que l'Homme seul donne et que seul l'Homme reçoit. | ||
Tel est le principe civique. | Tel est le principe civique. | ||
Le civisme, c'est l'idée que l'État est tout, qu'il est l'Homme par excellence et que | Le civisme, c'est l'idée que l'État est tout, qu'il est l'Homme par excellence et que | ||
la valeur de l'individu comme homme dérive de sa qualité de citoyen. À ce point de | la valeur de l'individu comme homme dérive de sa qualité de citoyen. À ce point de | ||
vue, le mérite suprême est d'être bon citoyen ; il n'est rien de supérieur, à moins que le | vue, le mérite suprême est d'être bon citoyen ; il n'est rien de supérieur, à moins que le | ||
vieil idéal — bon chrétien. | vieil idéal — bon chrétien. | ||
La bourgeoisie se développa au cours de la lutte contre les castes privilégiées, par | La bourgeoisie se développa au cours de la lutte contre les castes privilégiées, par | ||
lesquelles elle était, sous le nom de « tiers état », cavalièrement traitée et confondue | lesquelles elle était, sous le nom de « tiers état », cavalièrement traitée et confondue | ||
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devint un culte nouveau. L'ère de la politique s'ouvrait. Servir l'État ou la Nation fut | devint un culte nouveau. L'ère de la politique s'ouvrait. Servir l'État ou la Nation fut | ||
l'idéal suprême, l'intérêt public l'intérêt suprême, et | l'idéal suprême, l'intérêt public l'intérêt suprême, et | ||
jouer un rôle dans l'État (ce qui n'impliquait nullement que l'on fût fonctionnaire) | jouer un rôle dans l'État (ce qui n'impliquait nullement que l'on fût fonctionnaire) | ||
le suprême honneur. | le suprême honneur. | ||
Par là, les intérêts privés, personnels, furent perdus de vue, et leur sacrifice sur | Par là, les intérêts privés, personnels, furent perdus de vue, et leur sacrifice sur | ||
l'autel de l'état devint un schibboleth. Il faut pour toute chose s'en remettre à l'État et | l'autel de l'état devint un schibboleth. Il faut pour toute chose s'en remettre à l'État et | ||
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l'individu ; ce n'est pas moi qui vis, c'est lui qui vit en moi. D'où nécessité de bannir | l'individu ; ce n'est pas moi qui vis, c'est lui qui vit en moi. D'où nécessité de bannir | ||
l'égoïsme d'autrefois et de devenir le désintéressement et l'impersonnalité mêmes. | l'égoïsme d'autrefois et de devenir le désintéressement et l'impersonnalité mêmes. | ||
Devant l'État-Dieu, tout égoïsme disparaissait, tous se trouvaient égaux, tous | Devant l'État-Dieu, tout égoïsme disparaissait, tous se trouvaient égaux, tous | ||
étaient, sans que rien ne permît de les distinguer les uns des autres, des Hommes et | étaient, sans que rien ne permît de les distinguer les uns des autres, des Hommes et | ||
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s'aperçurent que les véritables propriétaires étaient eux, et que c'était leur argent | s'aperçurent que les véritables propriétaires étaient eux, et que c'était leur argent | ||
qu'on exigeait d'eux. | qu'on exigeait d'eux. | ||
Ceux qui n'avaient été jusque-là que des sujets se réveillèrent propriétaires ; c'est | Ceux qui n'avaient été jusque-là que des sujets se réveillèrent propriétaires ; c'est | ||
ce que Bailly exprime en peu de mots : « Vous ne pouvez sans mon consentement | ce que Bailly exprime en peu de mots : « Vous ne pouvez sans mon consentement | ||
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ma position morale et sociale ! Tout cela est ma propriété, au même titre que le | ma position morale et sociale ! Tout cela est ma propriété, au même titre que le | ||
champ que je cultive : c'est mon droit, c'est mon intérêt de faire moi-même les lois... » | champ que je cultive : c'est mon droit, c'est mon intérêt de faire moi-même les lois... » | ||
Les paroles de Bailly semblent vouloir dire que chacun | Les paroles de Bailly semblent vouloir dire que chacun | ||
est un propriétaire ; mais en réalité, au lieu du gouvernement, au lieu des princes, | est un propriétaire ; mais en réalité, au lieu du gouvernement, au lieu des princes, | ||
le possesseur et maître fut — la Nation. À partir de ce moment, l'idéal est « la liberté | le possesseur et maître fut — la Nation. À partir de ce moment, l'idéal est « la liberté | ||
du peuple, un peuple libre », etc. | du peuple, un peuple libre », etc. | ||
Dès le 8 juillet 1789, les explications de l'évêque d'Autun et de Barère dissipèrent | Dès le 8 juillet 1789, les explications de l'évêque d'Autun et de Barère dissipèrent | ||
cette illusion que chacun, chaque volonté individuelle a son importance dans la | cette illusion que chacun, chaque volonté individuelle a son importance dans la | ||
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droit et de toute puissance ! Soit dit en passant, on entrevoit ici le contenu du « droit » | droit et de toute puissance ! Soit dit en passant, on entrevoit ici le contenu du « droit » | ||
: c'est la force, « La raison du plus fort... » | : c'est la force, « La raison du plus fort... » | ||
La bourgeoisie est l'héritière des classes privilégiées. En fait, les droits des barons, | La bourgeoisie est l'héritière des classes privilégiées. En fait, les droits des barons, | ||
qui leur furent enlevés comme « usurpés », ne firent que retourner à la bourgeoisie, | qui leur furent enlevés comme « usurpés », ne firent que retourner à la bourgeoisie, | ||
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étaient privilégiées, dotées de privilèges et de droits seigneuriaux), et lorsqu'elle prit | étaient privilégiées, dotées de privilèges et de droits seigneuriaux), et lorsqu'elle prit | ||
fin se leva l'aube du Droit, des droits de l'État, des droits de la Nation. | fin se leva l'aube du Droit, des droits de l'État, des droits de la Nation. | ||
Le despotisme n'avait été dans la main des rois qu'une règle complaisante et lâche, | Le despotisme n'avait été dans la main des rois qu'une règle complaisante et lâche, | ||
au prix de ce qu'en fit la « Nation souveraine ». Cette monarchie nouvelle se révéla | au prix de ce qu'en fit la « Nation souveraine ». Cette monarchie nouvelle se révéla | ||
cent fois plus sévère, plus rigoureuse et plus conséquente que l'ancienne ; devant elle, | cent fois plus sévère, plus rigoureuse et plus conséquente que l'ancienne ; devant elle, | ||
plus de droits, | plus de droits, | ||
plus de privilèges ; combien, en comparaison, paraît tempérée la royauté absolue | plus de privilèges ; combien, en comparaison, paraît tempérée la royauté absolue | ||
de l'Ancien Régime ! La Révolution, en réalité, substitua à la monarchie tempérée la | de l'Ancien Régime ! La Révolution, en réalité, substitua à la monarchie tempérée la | ||
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appelé jusqu'alors royauté absolue, mais qui avait consenti à être si peu absolue | appelé jusqu'alors royauté absolue, mais qui avait consenti à être si peu absolue | ||
qu'elle se laissait rogner et limiter par mille autorités subalternes. | qu'elle se laissait rogner et limiter par mille autorités subalternes. | ||
La bourgeoisie a accompli le rêve de tant de siècles ; elle a découvert un maître | La bourgeoisie a accompli le rêve de tant de siècles ; elle a découvert un maître | ||
absolu auprès duquel d'autres maîtres ne peuvent plus se dresser comme autant de | absolu auprès duquel d'autres maîtres ne peuvent plus se dresser comme autant de | ||
restrictions. Elle a produit le maître qui seul accorde des « titres légitimes » et sans le | restrictions. Elle a produit le maître qui seul accorde des « titres légitimes » et sans le | ||
consentement duquel rien n'est légitime. « Nous savons que les idoles ne sont rien | consentement duquel rien n'est légitime. « Nous savons que les idoles ne sont rien | ||
dans le monde, et qu'il n'y a d'autre dieu que le seul Dieu | dans le monde, et qu'il n'y a d'autre dieu que le seul Dieu <ref>1ère épître aux Corinthiens, VIII, 4.</ref>» | ||
On ne peut plus attaquer le Droit, comme on attaquait un droit, en soutenant qu'il | On ne peut plus attaquer le Droit, comme on attaquait un droit, en soutenant qu'il | ||
est « injuste ». Tout ce qu'on peut désormais dire c'est qu'il est un non-sens, une | est « injuste ». Tout ce qu'on peut désormais dire c'est qu'il est un non-sens, une | ||
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on nie du même coup la possibilité de le violer, et on fait table rase de tout concept de | on nie du même coup la possibilité de le violer, et on fait table rase de tout concept de | ||
Justice (et par conséquent d'Injustice). | Justice (et par conséquent d'Injustice). | ||
Nous jouissons tous de l'« égalité des droits politiques ». Que signifie cela ? | Nous jouissons tous de l'« égalité des droits politiques ». Que signifie cela ? | ||
Simplement ceci, que l'État ne tolère nulle acception de personne, que je ne suis à ses | Simplement ceci, que l'État ne tolère nulle acception de personne, que je ne suis à ses | ||
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Peu lui importe que je sois gentilhomme et fils de noble, peu lui importe que je sois | Peu lui importe que je sois gentilhomme et fils de noble, peu lui importe que je sois | ||
l'héritier d'un homme en place dont la charge (comme au Moyen Âge les comtés, etc., | l'héritier d'un homme en place dont la charge (comme au Moyen Âge les comtés, etc., | ||
et, plus | et, plus tard, sous la royauté absolue, certaines fonctions sociales) me revient à titre | ||
tard, sous la royauté absolue, certaines fonctions sociales) me revient à titre | |||
héréditaire. Aujourd'hui, l'État a une multitude de droits à conférer, tels, par exemple, | héréditaire. Aujourd'hui, l'État a une multitude de droits à conférer, tels, par exemple, | ||
le droit de commander un bataillon, une compagnie, le droit d'enseigner dans une | le droit de commander un bataillon, une compagnie, le droit d'enseigner dans une | ||
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les confréries (corps) : corporations, noblesse, clergé, bourgeoisie, villes, communes, | les confréries (corps) : corporations, noblesse, clergé, bourgeoisie, villes, communes, | ||
etc. Partout, l'individu devait avant tout se considérer comme membre de la petite | etc. Partout, l'individu devait avant tout se considérer comme membre de la petite | ||
société à laquelle il appartenait, et se plier sans réserve à son esprit, l'esprit du corps | société à laquelle il appartenait, et se plier sans réserve à son esprit, l'esprit du corps <ref> En français dans le texte. (Note du Traducteur.)</ref>, comme devant une autorité sans limites. Ainsi le noble devait regarder sa famille, l'honneur de sa | ||
une autorité sans limites. Ainsi le noble devait regarder sa famille, l'honneur de sa | |||
race comme plus que lui-même. Ce n'est que par l'intermédiaire de sa corporation, de | race comme plus que lui-même. Ce n'est que par l'intermédiaire de sa corporation, de | ||
son « état », que l'individu se rattachait à la corporation supérieure, à l'État, comme | son « état », que l'individu se rattachait à la corporation supérieure, à l'État, comme | ||
dans le catholicisme l'individu ne communique avec Dieu que par l'organe du prêtre. | dans le catholicisme l'individu ne communique avec Dieu que par l'organe du prêtre. | ||
C'est à cet état de choses que le tiers état mit fin, lorsqu'il prit sur lui de nier son | C'est à cet état de choses que le tiers état mit fin, lorsqu'il prit sur lui de nier son | ||
existence en tant qu'état séparé ; il résolut de ne plus être un état auprès d'autres états, | existence en tant qu'état séparé ; il résolut de ne plus être un état auprès d'autres états, | ||
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individus, qu'un seul et unique maître, l'État, décernant à tous ceux qui le servaient le | individus, qu'un seul et unique maître, l'État, décernant à tous ceux qui le servaient le | ||
même titre de « citoyens ». | même titre de « citoyens ». | ||
La Bourgeoisie est la noblesse du mérite : « Au mérite sa couronne » est sa | La Bourgeoisie est la noblesse du mérite : « Au mérite sa couronne » est sa | ||
devise. | devise. |
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