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devenu prosaïque, car le divin en a disparu : il est ma propriété, et j'en use comme il | devenu prosaïque, car le divin en a disparu : il est ma propriété, et j'en use comme il | ||
me plaît (savoir, comme il plaît à l'esprit). | me plaît (savoir, comme il plaît à l'esprit). | ||
Par le fait que le Moi s'était élevé à ce titre de possesseur du monde, l'Égoïsme | Par le fait que le Moi s'était élevé à ce titre de possesseur du monde, l'Égoïsme | ||
avait remporté sa première victoire, et une victoire décisive : il avait vaincu le monde | avait remporté sa première victoire, et une victoire décisive : il avait vaincu le monde | ||
et l'avait « supprimé », et il confisqua à son profit l'oeuvre d'une longue suite de | et l'avait « supprimé », et il confisqua à son profit l'oeuvre d'une longue suite de | ||
siècles. | siècles. | ||
La première propriété, le premier « trône » est conquis. | La première propriété, le premier « trône » est conquis. | ||
Mais le maître du monde n'est pas encore maître de ses pensées, de ses sentiments | Mais le maître du monde n'est pas encore maître de ses pensées, de ses sentiments | ||
et de sa volonté : il n'est pas le maître et le possesseur de l'Esprit, car l'Esprit est | et de sa volonté : il n'est pas le maître et le possesseur de l'Esprit, car l'Esprit est | ||
encore sacré, il est le Saint-Esprit. Le Chrétien, qui a « nié le monde », ne peut pas | encore sacré, il est le Saint-Esprit. Le Chrétien, qui a « nié le monde », ne peut pas | ||
« nier Dieu ». | « nier Dieu ». | ||
L'Antiquité avait lutté contre le monde ; le combat du Moyen Âge fut un combat | L'Antiquité avait lutté contre le monde ; le combat du Moyen Âge fut un combat | ||
contre soi-même, contre l'Esprit. L'ennemi des Anciens avait été extérieur, celui des | contre soi-même, contre l'Esprit. L'ennemi des Anciens avait été extérieur, celui des | ||
Chrétiens fut intérieur, et le champ de bataille où ils en vinrent aux mains fut | Chrétiens fut intérieur, et le champ de bataille où ils en vinrent aux mains fut | ||
l'intimité de leur pensée, de leur conscience. | l'intimité de leur pensée, de leur conscience. | ||
Toute la sagesse des Anciens est Cosmologie, science du monde; toute la sagesse | Toute la sagesse des Anciens est Cosmologie, science du monde; toute la sagesse | ||
des Modernes est Théologie, science de Dieu. | des Modernes est Théologie, science de Dieu. | ||
Les Païens (y compris les Juifs) avaient eu raison du monde ; il s'agit dans la suite | Les Païens (y compris les Juifs) avaient eu raison du monde ; il s'agit dans la suite | ||
d'avoir aussi raison de soi-même, l'Esprit, et de nier l'Esprit, c'est-à-dire de nier Dieu. | d'avoir aussi raison de soi-même, l'Esprit, et de nier l'Esprit, c'est-à-dire de nier Dieu. | ||
Pendant près de deux mille ans, nous avons travaillé à nous asservir le Saint- | Pendant près de deux mille ans, nous avons travaillé à nous asservir le Saint- | ||
Esprit, et nous avons petit à petit déchiré et foulé aux pieds maint lambeau de la sainteté | Esprit, et nous avons petit à petit déchiré et foulé aux pieds maint lambeau de la sainteté; mais le formidable adversaire se relève toujours sous d'autres formes ou d'autres | ||
; mais le formidable adversaire se relève toujours sous d'autres formes ou d'autres | |||
noms. L'Esprit n'a point encore cessé d'être divin, saint, sacré. Il y a longtemps en | noms. L'Esprit n'a point encore cessé d'être divin, saint, sacré. Il y a longtemps en | ||
vérité qu'il ne plane plus au-dessus de nos têtes comme une colombe, il y a longtemps | vérité qu'il ne plane plus au-dessus de nos têtes comme une colombe, il y a longtemps | ||
qu'il ne descend | qu'il ne descend plus sur ses seuls élus : il se laisse saisir aussi par des laïques, etc.; mais en tant | ||
plus sur ses seuls élus : il se laisse saisir aussi par des laïques, etc.; mais en tant | |||
qu'Esprit de l'humanité, c'est-à-dire Esprit de l'Homme, il demeure pour toi comme | qu'Esprit de l'humanité, c'est-à-dire Esprit de l'Homme, il demeure pour toi comme | ||
pour moi un Esprit étranger, bien loin d'être une propriété dont nous puissions | pour moi un Esprit étranger, bien loin d'être une propriété dont nous puissions | ||
disposer selon notre bon plaisir. | disposer selon notre bon plaisir. | ||
Un fait est néanmoins certain, qui a visiblement dirigé la marche de l'histoire | Un fait est néanmoins certain, qui a visiblement dirigé la marche de l'histoire | ||
depuis Jésus-Christ, c'est la tendance à rendre le Saint-Esprit plus humain, à le rapprocher | depuis Jésus-Christ, c'est la tendance à rendre le Saint-Esprit plus humain, à le rapprocher | ||
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plus facile et plus familier sous ses divers noms d'idée de l'humanité, genre | plus facile et plus familier sous ses divers noms d'idée de l'humanité, genre | ||
humain, humanisme, philanthropie, etc. | humain, humanisme, philanthropie, etc. | ||
Ne devrait-on pas penser que chacun peut aujourd'hui posséder le Saint-Esprit, | Ne devrait-on pas penser que chacun peut aujourd'hui posséder le Saint-Esprit, | ||
interpréter l'idée d'humanité et réaliser en soi le genre humain ? | interpréter l'idée d'humanité et réaliser en soi le genre humain ? | ||
Non : l'Esprit n'a perdu ni sa sainteté ni son inviolabilité ; il ne nous est pas accessible | Non : l'Esprit n'a perdu ni sa sainteté ni son inviolabilité ; il ne nous est pas accessible | ||
et n'est pas notre propriété, car l'Esprit de l'humanité n'est pas mon Esprit. Il | et n'est pas notre propriété, car l'Esprit de l'humanité n'est pas mon Esprit. Il | ||
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représentons l'Esprit sous les aspects les plus divers, mais il est toutefois un | représentons l'Esprit sous les aspects les plus divers, mais il est toutefois un | ||
fidéicommis que je ne puis ni aliéner ni supprimer. | fidéicommis que je ne puis ni aliéner ni supprimer. | ||
À la longue et après de multiples avatars, le Saint-Esprit est devenu l'« Idée absolue | À la longue et après de multiples avatars, le Saint-Esprit est devenu l'« Idée absolue | ||
», laquelle, à son tour, se divisant et se subdivisant, a donné naissance aux | », laquelle, à son tour, se divisant et se subdivisant, a donné naissance aux | ||
diverses idées de philanthropie, de bon sens, de vertu civique, etc. | diverses idées de philanthropie, de bon sens, de vertu civique, etc. | ||
Mais puis-je nommer l'idée ma propriété, tant qu'elle est l'idée de l'humanité, et | Mais puis-je nommer l'idée ma propriété, tant qu'elle est l'idée de l'humanité, et | ||
puis-je considérer l'Esprit comme vaincu, tant que je dois le servir et « me sacrifier » | puis-je considérer l'Esprit comme vaincu, tant que je dois le servir et « me sacrifier » | ||
pour lui ? | pour lui ? | ||
L'Antiquité à son déclin ne parvint à faire du monde sa propriété qu'après avoir | L'Antiquité à son déclin ne parvint à faire du monde sa propriété qu'après avoir | ||
brisé sa suprématie et sa « divinité », et s'être pénétrée de son impuissance et, de sa | brisé sa suprématie et sa « divinité », et s'être pénétrée de son impuissance et, de sa | ||
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il ne paraîtra plus ni saint, ni sacré, ni divin, et je me servirai de lui au lieu de le | il ne paraîtra plus ni saint, ni sacré, ni divin, et je me servirai de lui au lieu de le | ||
servir, comme je me sers de la nature à ma guise et sans le moindre scrupule. | servir, comme je me sers de la nature à ma guise et sans le moindre scrupule. | ||
La « nature des choses », la « notion des rapports » doivent me guider : la nature | La « nature des choses », la « notion des rapports » doivent me guider : la nature | ||
des choses m'enseigne comment je dois me comporter envers elles, la notion des | des choses m'enseigne comment je dois me comporter envers elles, la notion des | ||
rapports m'apprend à en conclure. | rapports m'apprend à en conclure. | ||
Comme si l'« idée d'une chose » existait par elle-même et n'était pas plutôt l'idée | Comme si l'« idée d'une chose » existait par elle-même et n'était pas plutôt l'idée | ||
qu'on se fait d'une chose ! Comme si le rapport que je conçois n'était pas unique, par | qu'on se fait d'une chose ! Comme si le rapport que je conçois n'était pas unique, par | ||
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actes, auxquels on applique comme critrium la « dignité humaine ». Les idées doivent | actes, auxquels on applique comme critrium la « dignité humaine ». Les idées doivent | ||
décider de tout, ce sont des idées qui gouvernent la vie, ce sont des Idées qui règnent. | décider de tout, ce sont des idées qui gouvernent la vie, ce sont des Idées qui règnent. | ||
Tel est le monde religieux, auquel Hegel a donné une expression systématique, | Tel est le monde religieux, auquel Hegel a donné une expression systématique, | ||
lorsque, mettant de la méthode dans l'absurdité, il assit sur les lois de la logique les | lorsque, mettant de la méthode dans l'absurdité, il assit sur les lois de la logique les | ||
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ne poursuivait d'autre but que rendre plus rigoureuse la domination de la loi judaïque? | ne poursuivait d'autre but que rendre plus rigoureuse la domination de la loi judaïque? | ||
(« Pas une lettre de la Loi ne doit être perdue. ») | (« Pas une lettre de la Loi ne doit être perdue. ») | ||
Le Libéralisme n'a fait que mettre d'autres idées à l'ordre du jour ; il a remplacé le | Le Libéralisme n'a fait que mettre d'autres idées à l'ordre du jour ; il a remplacé le | ||
divin par l'humain, | divin par l'humain, l'Église par l'État et le fidèle par le savant, ou, en général, les dogmes bruts et les | ||
l'Église par l'État et le fidèle par le savant, ou, en général, les dogmes bruts et les | |||
aphorismes surannés par des idées réelles et des lois éternelles. | aphorismes surannés par des idées réelles et des lois éternelles. | ||
Aujourd'hui, rien ne règne plus dans le monde que l'Esprit. Une innombrable | Aujourd'hui, rien ne règne plus dans le monde que l'Esprit. Une innombrable | ||
foule d'idées bourdonnent en tous sens dans les têtes; et que font ceux qui veulent | foule d'idées bourdonnent en tous sens dans les têtes; et que font ceux qui veulent | ||
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de l'Honneur, etc.; l'idée qu'il faut se faire du Droit, etc., est bien plutôt celle-ci, que | de l'Honneur, etc.; l'idée qu'il faut se faire du Droit, etc., est bien plutôt celle-ci, que | ||
nous proposons. » Ainsi la confusion des idées va croissant. | nous proposons. » Ainsi la confusion des idées va croissant. | ||
L'histoire du monde nous est cruelle, et l'Esprit a conquis une puissance souveraine. | L'histoire du monde nous est cruelle, et l'Esprit a conquis une puissance souveraine. | ||
Tu dois respecter mes misérables souliers qui pourraient protéger ton pied nu, | Tu dois respecter mes misérables souliers qui pourraient protéger ton pied nu, | ||
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intangibles et inaccessibles, les honorer, les respecter : malheur à lui s'il y porte la | intangibles et inaccessibles, les honorer, les respecter : malheur à lui s'il y porte la | ||
main, nous appelons cela « avoir les doigts crochus ». | main, nous appelons cela « avoir les doigts crochus ». | ||
Que nous reste-t-il ? Bien peu de chose, hélas ! autant vaudrait dire rien ! Tout | Que nous reste-t-il ? Bien peu de chose, hélas ! autant vaudrait dire rien ! Tout | ||
nous est enlevé, et nous ne pouvons tenter de rien obtenir de ce qui ne nous a pas été | nous est enlevé, et nous ne pouvons tenter de rien obtenir de ce qui ne nous a pas été | ||
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Bien plus, tu ne dois avoir aucune pensée, prononcer aucune syllabe, poser aucun acte | Bien plus, tu ne dois avoir aucune pensée, prononcer aucune syllabe, poser aucun acte | ||
qui ait en toi seul | qui ait en toi seul | ||
leur sanction, au lieu de la recevoir de la Moralité, de la Raison ou de l'Humanité. | leur sanction, au lieu de la recevoir de la Moralité, de la Raison ou de l'Humanité. | ||
Bienheureuse ingénuité de l'homme qui ne connaît que ses appétits, avec quelle | Bienheureuse ingénuité de l'homme qui ne connaît que ses appétits, avec quelle | ||
cruauté on a cherché à t'immoler sur l'autel de la Contrainte ! | cruauté on a cherché à t'immoler sur l'autel de la Contrainte ! | ||
Autour de l'autel se dresse une église, et cette église grandit, et ses murailles | Autour de l'autel se dresse une église, et cette église grandit, et ses murailles | ||
s'écartent chaque jour davantage. Ce que couvre l'ombre de ses voûtes est — sacré, | s'écartent chaque jour davantage. Ce que couvre l'ombre de ses voûtes est — sacré, |
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