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Voilà ce qui fait toute l'importance de la question de savoir si la débâcle du libéralisme a été due à l'erreur des libéraux, ou, comme le croient les collectivistes, à une inévitable nécessité historique. En soulevant cette question, je n'ai certes pas l'intention d'entreprendre de réhabiliter le mot « libéralisme », qui n'est plus aujourd'hui qu'un ornement fané évoquant les sentiments les plus douteux. Ce qui me préoccupe, c'est la substance du terme. Et d'après moi, cette substance est que les hommes ne peuvent pas abolir les conséquences de la révolution industrielle, qu'ils sont liés au nouveau mode de production, à la division du travail entre communautés et individus interdépendants. Voilà la vraie nécessité historique inéluctable. Les hommes ne peuvent pas davantage renverser la révolution industrielle par un acte de volonté ou par la contrainte politique qu'ils n'ont pu revenir de la manufacture à l'artisanat, et de l'agriculture sédentaire à l'économie pastorale. D'ailleurs ils ne le souhaitent pas, et n'y consentiraient pas. | Voilà ce qui fait toute l'importance de la question de savoir si la débâcle du libéralisme a été due à l'erreur des libéraux, ou, comme le croient les collectivistes, à une inévitable nécessité historique. En soulevant cette question, je n'ai certes pas l'intention d'entreprendre de réhabiliter le mot « libéralisme », qui n'est plus aujourd'hui qu'un ornement fané évoquant les sentiments les plus douteux. Ce qui me préoccupe, c'est la substance du terme. Et d'après moi, cette substance est que les hommes ne peuvent pas abolir les conséquences de la révolution industrielle, qu'ils sont liés au nouveau mode de production, à la division du travail entre communautés et individus interdépendants. Voilà la vraie nécessité historique inéluctable. Les hommes ne peuvent pas davantage renverser la révolution industrielle par un acte de volonté ou par la contrainte politique qu'ils n'ont pu revenir de la manufacture à l'artisanat, et de l'agriculture sédentaire à l'économie pastorale. D'ailleurs ils ne le souhaitent pas, et n'y consentiraient pas. | ||
C'est pourquoi j'insiste sur ce fait que le collectivisme, qui remplace le marché libre par l'autorité centralisée et la contrainte, est réactionnaire au sens exact du terme. Le collectivisme, non seulement rend impossible la division progressive du travail, mais encore il nécessite, partout où l'on essaie de l'instituer, une régression vers un mode de production plus primitif. Nous en voyons la preuve dans les Etats totalitaires, et surtout en Russie, où l'on a fait deux tentatives pour instituer le socialisme, où l'on a deux fois reculé, en 1921 et en 1931 d'une économie planifiée et dirigée vers une économie régie par le marché<ref>La première retraite, ordonnée par Lénine en 1921, a été la N.E.P. Elle fut considérée comme une abolition du communisme. La seconde fut effectuée par Staline en 1931. Il rétablit la différenciation des salaires, l'exploitation des entreprises en vue du profit, la responsabilité personnelle de la direction des entreprises, appelée « propriété socialiste », et le commerce dans des magasins ouverts à tous. Le communisme est aujourd'hui hors la loi en Russie, et ses adhérents sont connus sous le nom de Trotskistes. </ref> | |||
La première de ces retraites est d'habitude attribuée par les communistes sincères au génie pratique de Lénine, et la seconde aux ambitions perfides de Staline. Mais nous pouvons être certains que toutes deux ont été dictées par une inéluctable nécessité : la Russie, toute primitive qu'elle soit, traverse les premiers stades de la révolution industrielle. Elle substitue la division du travail spécialisé à l'économie fermée rurale et régionale, et il est impossible, même à un dictateur omnipotent gouvernant un peuple docile et terrorisé, de faire fonctionner le nouveau mode de production sans rétablir des marchés au moins relativement libres. | |||
Marx, qui aimait beaucoup exposer les lois inéluctables de l'histoire, a eu l'infortune de ne pas discerner laquelle de ces lois était la plus inéluctable, et c'est pourquoi ses disciples, en Russie et ailleurs, après vingt ans de suprématie communiste, s'entretuent au nom de la vraie foi. La loi vraiment inéluctable de la société moderne est la loi de la révolution industrielle, à savoir que les nations doivent pratiquer la division du travail sur des marchés larges ou bien sombrer dans la misère et dans la servitude. Ceux qui ne mettent pas en pratique cette économie nouvelle, les nations dites arriérées, deviendront la proie de celles qui la pratiquent : il faut qu'elles entrent dans l'économie nouvelle si elles veulent survivre, et ce n'est qu'en pratiquant la nouvelle économie qu'elles peuvent espérer échapper à la conquête ou à l'absorption économique et culturelle. Les nations avancées où l'économie nouvelle est instituée doivent la conserver. Elles n'ont pas d'autre moyen de conserver à leurs énormes populations le niveau de vie auquel elles sont habituées. Ainsi, lorsque des nations avancées adoptent le collectivisme et son corollaire inévitable l'autarcie, elles sont condamnées à voir décliner leur niveau de vie et forcées de recourir à une brutalité inexprimable pour réprimer le mécontentement qui en résulte. | |||
En réalité, on n'a pas la liberté du choix entre l'ordre libéral et l'ordre collectiviste. Je veux dire que l'homme ordinaire qui désire maintenir et améliorer son niveau de vie n'a pas le choix. On n'a pas le choix parce que les hommes sont liés à la division du travail. Il leur est impossible de vivre autrement, de même qu'il était impossible à leurs ancêtres de vivre dans les villages groupés autour des marchés régionaux sans être capables dans une très large mesure de se suffire à eux-mêmes. Le choix ''apparent'' entre un ordre collectiviste et libéral n'existe que dans l'esprit, il n'existe que ''jusqu'au moment où'' le collectivisme est entièrement mis en pratique, il n'existe que dans le domaine des espoirs et des projets où les hommes discutent de ce qu'ils croient qu'ils voudraient faire. Lorsqu'ils se rendent compte de ce qu'ils peuvent faire, il n'y a plus de choix. Car il est impossible de pratiquer la division du travail et d'en récolter les fruits si ce n'est dans un ordre social qui préserve et s'efforce de perfectionner la liberté du marché. Telle est la loi inéluctable de la révolution industrielle. Les hommes peuvent y obéir, mais ils en sont châtiés par la ruine de leurs espoirs. | |||
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