Différences entre les versions de « Les systèmes socialistes et l'évolution économique - Deuxième partie : Les faits. L’évolution économique - Livre III : Le développement des formes d’organisation économique à l’époque contemporaine »

Aller à la navigation Aller à la recherche
Ligne 3 626 : Ligne 3 626 :
atteste leur vitalité, et permet d'entrevoir l'importance qu'elles sont
atteste leur vitalité, et permet d'entrevoir l'importance qu'elles sont
appelées à prendre dans l'avenir.
appelées à prendre dans l'avenir.
=== Section 1. Société coopératives simples et leurs fédérations. ===
''Sociétés de production industrielle.''
Les sociétés de production entre ouvriers industriels sont peut-être celles qui ont éveillé, à leurs
débuts et en 1848, les plus grandes espérances, mais qui ont aussi
causé les plus vives déceptions. Certes, il n'est pas de meilleure école
de solidarité que ces associations, dans lesquelles des travailleurs
manuels unissent leurs ressources et leurs efforts pour entreprendre
la production à leur compte en s'affranchissant du patronat; à ce
point de vue, elles sont même bien supérieures aux sociétés de consommation.
Mais on sait aussi les multiples difficultés qui entravent
le développement de ces entreprises coopératives : défaut de capital,
de discipline et de clientèle. On sait aussi combien est fréquente la
déviation de celles qui réussissent, et comment les ouvriers de la
première heure, quand ils ont surmonté heureusement les difficultés
du début, se transforment aisément en petits patrons capitalistes,
employant des auxiliaires salariés et gardant pour eux-mêmes tout
le profit de l'entreprise. Les sociétés qui conservent le mieux leur
caractère égalitaire sont les coopératives de production à base syndicale,
dont le capital a été fourni et les statuts rédigés par le syndicat
ouvrier de la profession; mais ces ateliers coopératifs communs à
tous les syndiqués d'un métier sont encore rares.
Aussi les sociétés de production tiennent-elles une place insignifiante
dans l'industrie contemporaine; inconnues dans beaucoup de
pays, elles sont, partout ailleurs, rares et peu importantes. En Allemagne
et aux États-Unis, celles qui figurent dans les statistiques ont
un caractère coopératif plus ou moins altéré, et ne peuvent être, pour
la plupart, considérées comme de véritables associations ouvrières.
En Angleterre, les sociétés de production tirent une force particulière
de l'appui que leur prêtent les sociétés de consommation, en
capital et en clientèle; mais les sociétaires qui travaillent pour l'association
ne fournissent qu'une petite partie du capital social, et ne
sont pas aussi nombreux que les auxiliaires salariés. C'est en France
que les coopératives de production ont pris le plus grand developpement
depuis une quinzaine d'années, et qu'elles ont le mieuxconservé é
leur caractère démocratique. Encore ne s'agit-il que de 300 sociétés,
d'importance généralement médiocre; plusieurs d'entre elles ne se
soutiennent que grâce à des appuis extérieurs et artificiels. Très
rares sont celles qui, comme la Verrerie ouvrière d'Albi et la Société
des mineurs de Monthieux, ont abordé la grande industrie. Les plus
nombreuses et les plus prospères se rencontrent dans l'industrie du
bâtiment, où elles peuvent avoir la clientèle des administrations
publiques. L'esprit coopératif est entretenu par des organes communs
comme la Chambre consultative, la Construction coopérative
et la Banque coopérative des associations ouvrières de production.
Quel que soit l'intérêt qui s'attache à ces efforts, on ne saurait
donc, en aucune manière, considérer la coopération de production,
telle qu'elle se présente ici, comme une forme destinée à libérer la
classe ouvrière du salariat et à transformer la société capitaliste; tout
au plus peut-elle prospérer dans les métiers ou le travail joue un rôle
prépondérant. L'avenir de la coopération, même au point de vue de
la production, n'est pas là.
A côté des sociétés de production, il convient de signaler des
associations de travailleurs qui pratiquent également la coopération,
mais sans capital, et qui prennent des travaux à l'entreprise en fournissant
uniquement la main-d'oeuvre. Cette combinaison du contrat
de travail et de l'association coopérative, que MM. de Molinari et
Yves Guyot considèrent comme la forme de l'avenir, est ancienne
dans certains pays; c'est l'artèle en Russie, l'association de braccianti
en Italie. Elle trouve quelques applications en France et
ailleurs, principalement dans la métallurgie et la verrerie, dans la
typographie ou elle porte le nom de commandite, dans la viticulture
du Languedoc, etc. Peut-être est-elle appelée à s'étendre dans la
grande industrie avec le développement des syndicats, comme une
forme perfectionnée et complète du contrat collectif de travail
''Sociétés de consommation.''
Tandis que la coopération de production
reste stationnaire, les sociétés de consommation ne cessent de
s'accroître et de se fortifier : elles forment de puissantes fédérations,
et accomplissent, par le groupement de leurs ressources, des oeuvres
qui auraient paru chimériques il y a vingt-cinq ans. Si les Pionniers
de Rochdale datent de 1844, le mouvement ne s'est réellement dessiné
qu'a partir de 1860, et n'a pris de l'ampleur que depuis 1880.
Aujourd'hui, on compte dans les pays civilisés plus de 10 000 sociétés
de ce genre les sociétés réunies de l'Angleterre, de l'Allemagne, de
la France, de l'Italie et de l'Autriche comptent 4 millions de membres
et font un chiffre d'affaires de 2 milliards. Ces résultats sont
d'autant plus remarquables, que les débuts de la plupart des sociétés
sont modestes et de date récente. En dépit de certains échecs, des
divisions politiques et religieuses, de l'opposition des intérêts
menacés, en dépit des lois hostiles et des mesures fiscales prises contre
elles dans certains États, les sociétés de consommation grandissent
et manifestent une force d'expansion dont le terme paraît encore
éloigné.
Dans cette voie, l'Angleterre dépasse de beaucoup les autres pays,
avec ses 2 millions de coopérateurs répartis dans un nombre relativement
restreint de sociétés, qui emploient un capital de 880 millions
de francs et réalisent un chiffre de ventes annuel de 1450 millions.
Pour utiliser leur capital, elles subventionnent des sociétés de production
indépendantes, ou bien elles entreprennent elles-mêmes la
production; beaucoup d'entre elles construisent des maisons pour leurs
membres (38000 maisons, représentant un capital de 200 millions
de francs). Depuis 1880, la progression est énorme; non pas que
les sociétés se soient beaucoup multipliées : leur nombre est stationnaire
depuis dix ans, mais elles ont presque quadruplé leur
effectif et leur chiffre d'affaires. Une seule société, celle do Leeds,
compte 50000 membres et fait un chiffre d'affaires de 38 millions de
francs. C'est qu'en Angleterre les sociétés de consommation évitent
de se faire concurrence; celles qui sont situées dans un même centre
s'amalgament, elles étendent leurs opérations en créant des succursales
dans les petites localités; la tendance à la concentration est
donc très sensible dans la coopération anglaise.
Le mouvement coopératif, sans être aussi prononcé sur le continent,
suit une progression régulière. En France, le nombre des
sociétés de consommation a doublé depuis dix ans, et le chiffre de
leurs membres s'est élevé à 570000. Sur les 1900 sociétés existant
en 1904, il n'en est pas plus d'un dixième qui soient antérieures à
1880. Nombreuses sont les boulangeries coopératives, même dans les
campagnes, où les cultivateurs fournissent la farine pour retirer en
échange une certaine quantité de pain. On compte 24 sociétés dont
le chiffre d'affaires atteint ou dépasse le million, et l'on estime à
180 millions le chiffre total des ventes pour l'ensemble des sociétés
françaises; certaines sociétés parisiennes, fortes de plusieurs milliers
de membres, réalisent 3 millions de ventes par an, et l'Association
des employés civils de l'État, avec ses 18000 membres, évalue son
mouvement d'affaires à 6 millions. La coopération de consommation,
sans être encore généralisée dans notre pays, est donc loin d'y rester
une quantité négligeable.
En Allemagne, les sociétés de consommation sont presque aussi
nombreuses qu'en France et paraissent avoir plus d'importance,
car leur débit annuel est estimé à 300 millions de francs. C'est l'Allemagne
qui possède la plus vaste coopérative du monde, la société
de Breslau, forte de 87 000 membres (32 millions d'affaires). Là aussi,
la progression est continue, car le nombre des sociétés a doublé dans
les dix dernières années.
Même floraison en Belgique, et plus vigoureuse encore, car, s'il
faut en croire certaines statistiques, il y aurait 300000 coopérateurs,
soit 7,4 p. 100 de la population dans les sociétés de consommation,
alors qu'en France et en Allemagne la proportion
n'est que de 1,4 p. 100, et en Angleterre même de 4,8 p. 100. Tout le
monde connaît d'ailleurs les grandes coopératives socialistes de la
Belgique, la Maison du Peuple de Bruxelles (18000 sociétaires), le
''Vooruit'' de Gand (6600 sociétaires), véritables bazars de l'alimentation,
du vêtement et autres marchandises de consommation populaire,
aussi remarquables par leur forte organisation et leur influence
politique que par l'importance de leurs affaires (4 à 5 millions à la
Maison du Peuple). Les luttes politiques et religieuses, la concurrence
entre sociétés catholiques, socialistes et libérales, loin d'avoir
entravé le développement de la coopération comme dans d'autres
pays, semblent au contraire l'avoir stimulé dans ce petit pays de
civilisation intensive.
L'Italie est une terre favorable à la coopération un millier de
sociétés de consommation comptant environ 200000 membres, et,
parmi elles, une grande société, l'Union de Milan, qui fait 5 millions
d'affaires. Au Danemark, la grande majorité de la population rurale
pratique la coopération pour sa consommation, comme pour la production
et la vente de son beurre. En Suisse, Autriche, Hongrie,
Russie, Hollande, dans tous les pays de l'Europe et jusqu'au Japon,
la coopération se manifeste sous cette forme, plus ou moins avancée
suivant les régions, mais toujours en progrès d'année en année.
Toutefois, les États-Unis ne paraissent pas être un milieu propice
aux sociétés de consommation; elles n'y comptent que 60 000 sociétaires,
et la plus importante ne dépasse pas, dans ses ventes, le
chiffre de 2 5OO000 francs.
Partout où la coopération est suffisamment développée, les sociétés
se groupent en fédérations, non seulement pour établir entre elles
des liens moraux permanents et soutenir la lutte contre les ligues
du petit commerce, mais surtout pour réaliser par leur association
des bénéfices matériels, soit en effectuant leurs achats par masses
considérables, soit même en entreprenant la production pour leur
prpore compte.
Les Anglais sont arrivés ainsi à des résultats surprenants, que
j'ai déjà eu l'occasion de signaler. Les deux ''Wholesales'' de Manchester
et de Glasgow, fondées en 1864 et 1868, embrassent la presque totalité
des sociétés de distribution de la Grande-Bretagne. Chargées des
achats en gros pour les sociétés adhérentes, elles leur font des ventes
dont l'importance a quadruplé depuis 20 ans et s'élève aujourd'hui
à 655 millions de francs. Elles ont des entrepôts en Angleterre et à
l'étranger, envoient des agents au dehors pour leurs achats de denrées,
et possèdent même une petite flotille de bateaux à vapeur pour
leurs relations avec le continent.
Mais le côté le plus intéressant de cette organisation coopérative
de la consommation, la tentative la plus curieuse et la plus féconde
peut-être pour l'avenir, c'est l'organisation de la production par les
sociétés de distribution. Celles-ci ne se contentent pas de fournir,
sur leurs immenses ressources, une grande partie du capital social
des sociétés de production indépendantes ; elles fondent elles-mêmes
des entreprises de production à leur usage, y emploient 18 000 ouvriers,
et y produisent une valeur de 137 millions de francs. Même développement
de la production dans les Wholesales; 15 000 ouvriers
et 139 millions de valeurs produites, alors que 20 ans auparavant la
tentative était à ses débuts. Denrées alimentaires, pain, lard et
jambon, conserves, biscuits et confitures, articles d'habillement tels
que chemises, lainages, flanelles, chaussures et vêtements confectionnés; marchandises diverses, tabacs, bougies, savons, papeteries, brosses, meubles, etc., tous ces produits sortent des fabriques coopératives
montées par les sociétés de détail ou par leurs Wholesales, et
trouvent chez leurs membres un écoulement assuré. La fabrique de
chaussures de Leicester, appartenant à la Wholesale anglaise, est la
plus importante du royaume et occupe 1 800 ouvriers; les fabriques
de la ''Wholesale'' écossaise, concentrées près de Glasgow, en groupent
4000. Toutefois, les ''Wholesales'' rencontrent des limites à leur
extension; elles ont à peine abordé la production agricole et l'industrie
textile, et les grandes industries minières et métallurgiques,
celle des transports, qui dépasseraient les besoins de leurs membres,
leur échappent complètement.
Le continent ne peut rien offrir d'équivalent ni même d'approchant
mais en tout pays, les sociétés de consommation se sont
fédérées, et leurs fédérations commencent à entrer dans la voie
tracée par les ''Wholesales'' anglaises. En Allemagne, en Italie, en
Autriche les grandes unions de sociétés coopératives, quoique puissantes
par le nombre de leurs membres (248 000 en 1903 dans l'Union
allemande des sociétés Schulzc-Delitzsch), n'ont pas encore entrepris
les opérations de commerce, à l'exception toutefois de l'Union centrale
allemande des sociétés de consommation socialistes (638 sociétés,
528000 membres); mais la Fédération des sociétés coopératives du
parti ouvrier en Belgique (105OOO membres), l'Union des sociétés
coopératives suisses à Bâle (115OOO sociétaires), la Fédération des
sociétés de consommation danoises de Copenhague, celle de la ''Hangya''
à Buda-Pesth (64 000 membres), l'Union des sociétés de distribution à
Moscou, toutes ces fédérations possèdent des magasins centraux et
des entrepôts régionaux; elles effectuent, depuis peu d'années, des
achats en gros pour plusieurs millions de francs le magasin de gros
de la Fédération danoise à Copenhague, en particulier, avait un
débit dépassant 25 millions de francs en 1903. En France également,
des fédérations locales, des unions entre sociétés d'employés de
chemins de fer, entre sociétés appartenant au parti ouvrier, se sont
formées dans le même but.
En Allemagne, la Société centrale d'achats en gros de Hambourg,
organe de l'Union des sociétés de consommation socialistes, a déjà
obtenu des résultats intéressants. Son chiffre de ventes, qui est de
27 millions de francs environ en 1903, parait modeste à côté de celui
des ''Wholesales'' anglaises; mais elle sait s'inspirer des principes qui
ont assuré le succès de ces grandes organisations, en retenant par
des appointements élevés les administrateurs les plus capables. Elle
traite avec le trust américain du pétrole, avec les syndicats allemands
du sucre et de l'alcool, avec la ''Wholesale'' de Manchester pour
le thé, avec l'Union coopérative suisse pour le fromage, avec les
coopératives de production allemandes pour le tabac, la charcuterie
et les farines.
Des relations s'établissent ainsi entre collectivités. Un peu partout,
malgré les résistances opposées, dans le sein même des sociétés, par
des ambitions déçues ou par des intérêts moins avouables encore,
les fonctions commerciales passent à des organes fédératifs; les achats
sont faits à de meilleures conditions, par des administrateurs mieux
renseignés, et la gestion des coopératives se régularise à mesure que
les intermédiaires deviennent moins nombreux.
Quant à la production, les sociétés coopératives du continent et
leurs fédérations l'ont à peine abordée jusqu'ici; tout au plus peut-on citer quelques cas isolés: production de vins et confections de
vêtements dans certaines coopératives italiennes; fabrication de
pâtes alimentaires par l'Union suisse; ateliers de cordonnerie et de
confection du ''Vooruit'' de Gand, brûlerie de café, fabrication de chocolat,
de sucre et de cigarettes par la Fédération danoise. Mais
déjà l'élan est donné, et le but avoué de toutes les fédérations est
d'entreprendre à leur tour la production dès que leurs ressources
seront suffisantes. Très probablement elles y parviendront, lorsqu'elles
se seront fortifiées et enrichies par quelques années de pratique
commerciale.
862

modifications

Menu de navigation