Différences entre les versions de « Les systèmes socialistes et l'évolution économique - Première partie : Les théories. Les systèmes de société socialiste - Livre I : Le collectivisme pur et son régime de la valeur »

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tous les travaux et produits ont une valeur taxée en unités de
tous les travaux et produits ont une valeur taxée en unités de
travail suivant la quantité de travail dépensée, de telle sorte que les
travail suivant la quantité de travail dépensée, de telle sorte que les
travailleurs peuvent acquérir les produits en proportion de leurs
travailleurs peuvent acquérir les produits en proportion de leurs
travaux sans prélèvements capitalistes.
travaux sans prélèvements capitalistes.
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valeur qui règle automatiquement la production en conformité avec
valeur qui règle automatiquement la production en conformité avec
les besoins sociaux sans l'intervention de l'autorité publique.
les besoins sociaux sans l'intervention de l'autorité publique.
== CHAPITRE 4. L'équilibre économique. ==
On conçoit, à la rigueur, qu'une société consente à vivoter sans
accroître sa richesse, si elle juge nécessaire de sacrifier le progrès de
la production à son rêve de justice. On ne conçoit pas, au contraire,
qu'une société puisse vivre sans équilibre dans les relations économiques.
Le collectivisme peut-il assurer cet équilibre? Est-il capable
d'adapter la production aux besoins de la consommation, les
demandes des consommateurs à la quantité des produits existants,
les offres de travail aux besoins de la production? La question doit
être examinée sous ces trois faces.
La valeur calculée d'après le travail moyen dépensé dans la production
est une mesure qui ne tient aucun compte de la qualité ou
de la rareté, et qui reste fixée sans considération du besoin social et
de ses variations. Un mécanisme aussi rigide ne peut évidemment
pas, par lui-même, donner à la société collectiviste l'équilibre dont
elle a besoin. Mais s'il faut que la société confie à une volonté naturellement
faillible le soin d'établir cet équilibre, s'il lui faut, dans ce
but, recourir à des moyens arbitraires et à des mesures de contrainte,
ce n'est plus seulement le progrès des richesses, c'est la
liberté des citoyens et la sécurité de leur existence matérielle qui
risquent d'être sacrifiés. La question est donc grave; elle est également
difficile, et demande une étude attentive.
''* § I. Production et besoins de la consommation.''
Une société économique ressemble à un particulier qui possède
un revenu limité, et le dépense en affectant une certaine somme à chaque catégorie de besoins, d'après l'importance relative qu'il lui
attribue. La société possède aussi des forces productives limitées :
forces naturelles du sol, moyens de production créés par l'industrie
humaine, forces de travail; elle les applique et les répartit de manière
à satisfaire les besoins de la consommation dans l'ordre de leur intensité.
Bien que le sujet soit classique, il n'est peut-être pas inutile,
pour bien saisir la difficulté du problème qui s'offre à la société collectiviste,
de voir comment il est résolu dans la société individualiste.
La production, au lieu d'être dirigée par une volonté unique, est
l'oeuvre de milliers d'individus agissant librement sous leur responsabilité
personnelle. Évidemment, l'équilibre n'est obtenu, dans ce
milieu ingouverné, que s'il existe une force naturelle pour diriger les
producteurs individuels dans le sens de l'intérêt collectif, d'une façon
pour ainsi dire mécanique, sous la seule impulsion de l'intérêt personnel
et sans le secours d'une intelligence embrassant les ensembles.
Or, cette force existe; c'est celle des prix variant suivant le degré
d'utilité que les consommateurs capables de donner une contrepartie
dans l'échange attribuent aux diverses marchandises. Si la
production se répartit en proportion des besoins avec une exactitude
suffisante, c'est grâce à la loi de nivellement, qui agit sur les
prix et les profits comme sur les liquides dans des vases communicants;
loi soumise à bien des frottements, sans doute, mais se traduisant
quand même par des tendances certaines, impérieuses, et
d'autant mieux suivies que la civilisation est plus avancée et la concurrence
plus libre.
On sait que le coût de production (y compris l'intérêt des capitaux
de l'entrepreneur et le salaire de son travail) est le centre de gravité
des prix. Les oscillations du prix autour de ce point d'équilibre
indiquent que le produit individualisé est tantôt plus, tantôt moins
désiré que d'autres marchandises; elles déterminent en même temps
les entrepreneurs à restreindre ou à étendre leur production en conséquence,
pour éviter une perte ou réaliser un profit. Si le prix coïncide
avec le coût de production, c'est que le besoin se trouve satisfait
sans être dépassé; c'est aussi qu'aucun autre besoin plus urgent
n'est resté en souffrance, sinon les consommateurs consacreraient
leurs ressources à d'autres emplois, et ne maintiendraient pas le
prix au niveau du coût.
Le phénomène est facile a saisir, quand la production, quelle que
soit l'extension qui lui est donnée, se fait à un prix de revient à peu
près uniforme pour les différents exemplaires de la même marchandise.
Tel est le cas de la production industrielle, si on la considère en elle-même; la fabrication peut s'étendre par accroissement des
installations, machines et forces de travail, sans que le coût de
l'unité de produit s'élève, bien au contraire. Aussi les produits
industriels qui demandent beaucoup plus de capital et de main d'oeuvre
pour leur fabrication que pour la culture ou l'extraction de
leur matière peuvent-ils être considérés, pratiquement, comme susceptibles
d'être reproduits au même prix de revient, aussi loin que peut
s'étendre la demande des consommateurs disposés à en donner le
prix coûtant.
Mais, dans les productions naturelles, les frais de production sont
loin d'avoir cette uniformité. L'homme, à mesure qu'il demande
davantage à la nature, rencontre en elle, avant de se heurter à un
refus absolu, une résistance élastique qui lui rend la production de
plus en plus onéreuse, à moins qu'il ne découvre de nouveaux
moyens de dominer les forces naturelles. C'est la loi bien connue
du rendement non proportionnel du sol. Les progrès scientifiques
peuvent en reculer les limites d'application, sans jamais parvenir à
l'écarter complètement. On a pu établir, à l'inverse de cette loi, que
les premiers capitaux qui transforment une culture extensive en culture
intensive donnent souvent un rendement plus que proportionnel
mais on n'a jamais pu contester que, dans toute exploitation
où l'on accroît les dépenses pour augmenter la production, il
existe un point culminant à partir duquel les dépenses nouvelles
accroissent le produit dans une proportion toujours décroissante; de
ce sommet commence la pente plus ou moins rapide du rendement
non proportionnel, qui descend jusqu'au point où tout surcroît de
production devient absolument impossible.
De cette loi naturelle, à la fois physique et économique, il résulte
que, si les besoins s'élèvent dans une société, il faut soumettre les
terres déjà cultivées à une culture plus intensive et relativement plus
coûteuse, ou bien étendre la culture à des terres moins riches ou plus
éloignées dans tous les cas, les frais faits pour la production ou le
transport des quantités supplémentaires sont à peu près équivalents.
Il est vrai que, sur une terre où l'on accroît l'intensité de la culture,
le coût moyen de l'unité de produit s'élève faiblement; mais si l'on
calculait à part, dans l'ensemble de la récolte, le prix coûtant du
produit additionnel, tel qu'il résulte du surcroît de dépenses qu'il a
fallu faire pour l'obtenir, on trouverait un taux surélevé, sensiblement
égal à celui des produits qui proviennent des terres les moins fertiles ou les plus lointaines.
A défaut de progrès techniques abaissant les frais de culture ou de transport, une hausse des prix est donc nécessaire pour permettre
ces productions supplémentaires plus coûteuses. Si la hausse se prolonge,
le bénéfice de monopole, ou rente des exploitations favorisées,
se consolide au profit du propriétaire actuel, et se convertit en fermage,
ou en intérêt du prix de vente de la terre, à la charge de
l'exploitant. Ainsi s'égalisent à peu près les charges de la production
dans les différentes exploitations. Néanmoins, si nous considérons
seulement les frais d'emploi du capital productif et de la maind'oeuvre,
c'est-à-dire les frais qui ne dérivent pas de la rente et ne
sont pas subordonnés à son existence, nous pouvons dire que les
frais de la production agricole sont inégaux suivant les exploitations,
et même, dans une exploitation, suivant les quantités produites.
Bien que le prix de revient en agriculture ne présente pas une base
uniforme comme dans l'industrie manufacturière, il reste néanmoins
un indicateur et un guide aussi sûr pour les producteurs. Dans
l'échelle des prix de revient, les producteurs savent très bien le degré
qu'ils doivent atteindre sans le dépasser; ils sont parfaitement éclairés
par leur propre intérêt sur les quantités qu'ils doivent produire pour
donner au besoin social une satisfaction partielle mesurée sur son
intensité relative.
Les cultivateurs et exploitants de mines connaissent, par le prix du produit, non seulement la limite des frais qu'ils peuvent consacrer à des exploitations nouvelles, mais aussi la limite des dépenses
qu'ils peuvent faire en exploitant d'une façon plus intensive des sols
déjà exploités antérieurement. Ils savent, en effet, qu'ils peuvent forcer
la production au delà même du point où les frais à l'unité de produit
s'élèvent, tant que leur production supplémentaire, quoique plus
coûteuse, est encore rentable dans l'état actuel des prix. Si, à la
suite de cet accroissement de dépenses, leur bénéfice global s'élève
d'une année à l'autre, toutes choses égales par ailleurs, c'est que les
quantités supplémentaires, sans leur procurer un profit aussi élevé
que les autres, leur ont elles-mêmes donné un excédent; c'est que le
prix de revient de ces quantités, tel qu'il ressort des dépenses additionnelles
faites pour les obtenir, reste encore inférieur au prix de
vente; c'est donc aussi que ce supplément de production était désiré
par les consommateurs de préférence à tout autre. Mais les producteurs
savent aussi qu'ils doivent arrêter les frais, dès qu'il résulte
de l'accroissement des dépenses une diminution du bénéfice de leur
culture. Il est alors prouvé que le coût des quantités supplémentaires
est supérieur à leur prix de vente; la perte sur ces quantités, dissimulées dans l'ensemble, mais révélée par la réduction du profit total de l'exploitation, signifie que le cultivateur n'a pas su observer l'équilibre
des besoins sociaux. Si la société n'a pas voulu y mettre le prix,
c'est qu'elle aurait préféré consacrer à d'autres usages la somme de frais
que l'entrepreneur maladroit a dépensé pour accroître sa production.
Pour conclure, le jeu des prix et des profits ajuste la production
à la demande, en poussant la production jusqu'à la limite des quantités
les plus coûteuses désirées par les consommateurs de préférence
à tout accroissement de la production dans une autre branche. Sur
ce point au moins, et en dehors du cas de monopole absolu, il y a
harmonie entre la rentabilité individuelle du capital, et la productivité
naturelle telle qu'elle doit être réglée pour rester en harmonie
avec les besoins sociaux, c'est-à-dire avec les besoins de ceux qui
peuvent payer. On peut critiquer l'organisation sociale au point de
vue de la répartition des richesses; on ne doit pas lui reprocher de
mal adapter la production aux besoins des consommateurs capables
de fournir une contre-partie dans l'échange. L'adaptation se fait
naturellement et inconsciemment, par la seule tendance des capitaux
à se porter vers les productions les plus lucratives et les plus désirées,
et à se détourner des autres. La société individualiste, il est vrai, souffre trop souvent des fausses directions données à la production,
des crises de surproduction ou d'insuffisance; au moins les
producteurs ont-ils un guide qui les ramène au point d'équilibre
quand ils s'en sont écartés.
En régime collectiviste, la production se règle tout autrement. Dès
lors que les valeurs sont taxées d'après la durée du travail moyen
au lieu de varier suivant les besoins collectifs, la production ne peut
plus être librement dirigée par des individus ou des associations
autonomes. Les producteurs individuels ou les groupes professionnels,
s'ils sont encouragés à développer la production par un travail
d'une intensité et d'une habileté supérieures à la moyenne, ne sont
nullement intéressés à produire un genre d'articles plutôt qu'un
autre; peu leur importe que les produits soient ou non recherché
du public, qu'ils s'écoulent rapidement ou restent en magasins
comme inutiles; leur rémunération n'en dépend pas. Eussent-ils
d'ailleurs la volonté de se conformer aux goûts des consommateurs,
ils ne pourraient y réussir en suivant leur inspiration personnelle,
puisqu'ils ne trouveraient à cet égard aucun renseignement ni
aucune direction. Aussi tout système qui cherche à combiner la
taxation des valeurs en unités de travail avec la production libre des
individus ou des associations coopératives est-il fatalement condamné
au détraquement et à l'anarchie.
La société collectiviste, au contraire, n'est pas anarchique, parce
qu'elle possède un régulateur de la production et de la distribution;
la direction est donnée par une autorité centrale consciente, omnisciente
et toute puissante, dominant d'assez haut l'économie nationale
pour en apercevoir l'ensemble. Cette autorité supérieure, soigneusement
tenue au courant des moindres besoins de la consommation
sur tous les points du territoire, prescrit aux différents
groupes professionnels le genre et la qualité des produits à fournir,
les transports à effectuer, les approvisionnements à constituer dans
les entrepôts régionaux.
Dans ses grandes lignes, l'organisation se conçoit assez facilement.
Mais, à l'analyse, il semble plus douteux que l'équilibre soit possible,
même théoriquement. Et si l'on parvient à écarter ces doutes à l'aide
du raisonnement, il faut encore se demander si l'intelligence directrice
pourrait être à la hauteur de sa tâche.
Sur la première question, je pense que l'équilibre peut être obtenu
théoriquement, à condition que l'autorité centrale soit infaillible, et
assistée d'un service d'informations irréprochable.
L'Administration collectiviste, par hypothèse, est exactement renseignée
sur les consommations passées, sur les stocks actuellement
existants, sur le ralentissement ou l'activité de la demande; elle fait
consigner par écrit les demandes qui ne peuvent recevoir satisfaction
immédiate, et se trouve éclairée sur les quantités manquantes
comme sur les excédents. Connaissant ainsi, par les renseignements
directs qu'elle centralise, l'état actuel des besoins dans leur ensemble,
il semble qu'elle soit plus capable d'y adapter la production que des
milliers de producteurs libres, qui ignorent la situation totale et
n'aperçoivent les variations de la valeur d'usage que par le réflecteur
indirect des prix. Quant aux besoins de l'avenir, le gouvernement
économique cherche à les prévoir d'après les tendances de la
demande et l'état des approvisionnements et des récoltes; il les connaît
aussi bien que le plus avisé des spéculateurs, et ne risque pas
d'être égaré dans ses prévisions par des cours faussés sous l'influence
de joueurs ignorants et maladroits.
Dans l'État collectiviste, le ménage national, comme celui de
Robinson ou de la famille patriarcale, présente le type de l'économie
en nature, sur une échelle d'ailleurs très agrandie. A l'intérieur de
l'unité économique, la production est réglée par une volonté unique et appliquée directement aux besoins des producteurs; à la suite d'une répartition toute particulière; il n'y a d'échanges commerciaux
qu'avec l'extérieur, sous forme de trocs ou d'achats et ventes en
monnaie-marchandise.
Le moteur central ajuste donc la production à la demande de ceux
qui offrent le prix coûtant, par des augmentations ou des restrictions
exactement mesurées sur les déficits ou les excédents constatés.
Rien de plus simple à concevoir, quand il s'agit de produits
industriels, comme la toile, dont le coût de fabrication est à peu près
le même dans tous les établissements de l'État; tant que la toile
s'écoule au prix coûtant, l'Administration peut et doit étendre sa
production, sans crainte de se tromper sur les besoins des consommateurs
dès lors qu'elle n'a de perte sur aucune portion de sa fabrication,
elle peut être assurée qu'aucune autre marchandise n'est plus
désirée qu'un mètre quelconque de la toile fabriquée.
Pour les productions naturelles, l'adaptation se conçoit plus difficilement,
à cause de l'inégalité des prix de revient, qui ne s'égalisent
que par compensation sur l'ensemble des exploitations nationales
de même nature. Si l'Administration suit le même principe que précédemment,
elle conduira la production de manière à contenter
toutes les demandes au prix coûtant, sans laisser un excédent de
produits. Mais ici, le prix coûtant est un prix moyen, qui dissimule
une perte sur une partie de la production. Aussi peut-on se demander
si les forces productrices de la nation vont être suffisantes pour
satisfaire toutes les demandes qui se présenteront à ce taux.
Il semble, en effet, que les demandes de la consommation doivent
fatalement se multiplier, si le prix des denrées et autres produits
naturels s'abaisse au niveau du coût moyen calculé sur l'ensemble
de la production nationale. Actuellement, le prix du blé, du vin ou
de la houille contient un élément de rareté; il s'élève bien au-dessus
du prix de revient moyen, jusqu'au niveau des frais faits pour la
production des quantités les plus coûteuses désirées par préférence
à toute autre marchandise, et parfois au delà. C'est à ce taux élevé
que s'établit aujourd'hui l'équilibre entre la production et la demande.
Mais du jour où le prix s'abaissera jusqu'au coût moyen, cet équilibre
ne sera-t-il pas rompu par l'affluence des demandes? Il paraît bien
impossible que l'Administration leur donne satisfaction complète
dans tous les genres de production, avec les moyens limités dont
elle dispose; il semble que, si elle pousse la production dans une
branche jusqu'au point d'équilibre entre la demande et le produit au
coût moyen, elle devra négliger par ailleurs des besoins plus essentiels.
Prenons, pour rendre la difficulté plus sensible, une production
visiblement limitée comme celle du vin de Champagne. La récolte
est de 3 millions d'hectolitres, ayant coûté 200 millions de bons, soit
en moyenne 1 bon par litre. On peut penser qu'à ce taux modéré,
la demande va s'élever beaucoup plus haut que les quantités offertes,
jusqu'à 4 millions d'hectolitres peut-être. Pressée par les consommateurs,
et n'ayant pas de réserves en cave, l'Administration se décide,
pour l'année suivante, à étendre et à intensifier la culture en doublant
les dépenses; mais, bien que la saison reste favorable, elle
n'obtient qu'un supplément de 500.000 hectolitres. Le coût surélevé
de ces hectolitres supplémentaires, pour lesquels on a dépensé un
surplus de 200 millions de bons, ressort à 4 bons par litre; mais il
se répartit sur l'ensemble de la récolte, qui est de 2 500 000 hectolitres,
et ne porte le coût moyen qu'à 1,6 bon par litre. Cette hausse,
amortie par le calcul de la moyenne, n'est probablement pas suffisante,
comme le serait une hausse à 4 bons, pour écarter les demandes
en excès. L'Administration va-t-elle forcer encore la production
l'année suivante, jusqu'à ce que la production additionnelle soit
tellement coûteuse, qu'elle détermine une hausse du prix moyen
assez forte pour éloigner un nombre suffisant de consommateurs?
Alors, en effet, elle parviendra à équilibrer la demande et la production
du champagne; mais elle devra faire sur le vignoble des frais
extravagants, et détourner des autres emplois une masse considérable
de moyens de production et de travailleurs; elle creusera le
déficit ailleurs, et laissera des demandes en souffrance dans les autres
branches de la production agricole et industrielle. Il faut donc
s'arrêter, dans la culture du vignoble champenois, bien avant d'avoir
atteint ce point d'équilibre; mais à quel point?
Même difficulté, semble-t-il, quoique à un moindre degré, dans
toutes les autres productions naturelles, même les plus communes,
comme celles du blé et de la houille. Quand l'Administration, sous
l'impulsion de la demande, attaque des veines de charbon où l'extraction
coûte 2 bons les 100 kilos, alors que le coût moyen, base du prix
de vente, est de 1 bon sur l'ensemble des mines nationales, comment peut-elle se rendre compte si cette production supplémentaire ne lui
coûte pas une somme de moyens et de travail qui serait mieux
employée ailleurs? Informée qu'il y a des demandes inscrites pour
un surplus de 1 million de tonnes de houille, 10 millions d'hectolitres
de blé et 500.000 hectolitres de champagne, et ne pouvant y appliquer
tous les moyens qu'il y faudrait, elle cherche au moins à satisfaire
partiellement les demandes, en observant la mesure de l'intensité relative de ces trois besoins. Mais elle n'a pas de commune
mesure pour les comparer, parce que des désirs portant sur des
objets d'espèce différente sont incommensurables en eux-mêmes et
directement, s'ils ne s'expriment pas par des prix qui en donnent
indirectement la mesure quantitative. Il est impossible de savoir si
le besoin de charbon est plus urgent que les autres, en totalité
ou en partie, si les consommateurs, à partir d'un supplément de
100 000 tonnes, ne préféreraient pas un accroissement de blé ou de
champagne, et dans quelle proportion.
Telle est donc la difficulté; l'autorité publique connait exactement,
par hypothèse, la grandeur absolue des différents besoins; mais elle
n'en connaît pas l'importance relative, et n'a aucun moyen d'estimer
la mesure dans laquelle les uns et les autres doivent recevoir satisfaction
partielle, le point auquel il convient d'arrêter la production
a frais croissants, dans les industries naturelles où il est impossible
de satisfaire intégralement tous les consommateurs qui offrent le prix
coûtant moyen. A défaut d'une valeur variant librement suivant l'offre
et la demande, à défaut de prix donnant aux différents désirs collectifs
une expression quantitative comparable, la production administrative,
même entourée des meilleures statistiques, parait se faire à
''l'aveugle''.
Ce n'est là toutefois qu'une apparence. Non pas qu'on puisse
trancher le problème par la simple affirmation d'un accroissement
prodigieux de la production agricole et minière. Si la difficulté se
trouve dans le fait que la demande serait surexcitée par l'abaissement
des prix des produits naturels au niveau de leur coût moyen, ce n'est
pas la multiplication des produits qui en fournirait la solution. Par
là, les consommateurs obtiendraient naturellement des quantités absolues plus fortes; mais à moins de supposer des progrès tels que les produits de la terre devinssent surabondant comme l'air et l'eau, l'État ne parviendrait pas encore à satisfaire les demandes au prix
moyen, parce que les besoins de l'homme sont indéfiniment extensibles,
et que l'abaissement du prix de revient donnerait à la demande
une impulsion nouvelle. L'équilibre serait toujours un but inaccessible,
fuyant sans cesse devant le progrès par lequel on espérerait l'atteindre.
La solution est d'un autre ordre. Tout le raisonnement qui aboutit
à constater, dans la société collectiviste, un défaut d'équilibre et une
direction aveugle des forces productives appliquées à la nature,
repose sur cette idée que la production, aujourd'hui en équilibre avec
la demande au coût le plus élevé, deviendrait insuffisante vis-à-vis
de la demande au coût moyen. En y regardant de plus près, on
aperçoit cependant que cette idée est erronée. Il est théoriquement
possible, en régime collectiviste, que les demandes au coût moyen se
limitent d'elles-mêmes, dans chaque branche, au point où les quantités
les plus coûteuses sont plus désirées que les autres produits. Si
cette conception théorique est exacte, l'équilibre peut être obtenu; la
production ne reste pas nécessairement au-dessous de la demande;
l'Administration n'a plus besoin de mesurer l'intensité relative des
désirs non satisfaits; elle ne tâtonne plus dans l'obscurité, à la
recherche du point auquel il convient d'arrêter la production agricole
dans chacune de ses branches.
En effet, s'il est vrai que les besoins sont indéfiniment extensibles,
il ne faut pas perdre de vue que les moyens d'achat des consommateurs
sont, au contraire, très nettement limités. Leur pouvoir d'achat
ne s'étend pas au delà des bons délivrés par l'État en raison du travail
dépensé dans la production. Dans cette limite, il est certain que
la demande ne peut augmenter sur un point sans diminuer sur un
autre, et qu'au total, sur l'ensemble des produits de tout genre, elle
ne dépasse jamais l'offre. Les consommateurs, encouragés par la
modicité d'un premier tarif, demanderont peut-être plus de champagne
mais ils devront alors restreindre leur consommation sur
d'autres articles, et diminuer leur demande de blé, de toile ou de
houille dans la mesure où ils augmenteront celle du Champagne.
Aussi suffira-t-il sans doute d'une hausse légère du coût moyen du
champagne pour arrêter l'accroissement de la demande; et l'Administration
pourra pousser la production jusqu'à ce point d'équilibre,
sans craindre de laisser d'autres demandes en souffrance. Non pas
que les désirs ne dépassent les quantités demandées mais les moyens
d'achat sont limités à la valeur totale des produits telle qu'elle a été
taxée par l'autorité directrice, de sorte que les consommateurs répartissent
d'eux-mêmes cette somme des moyens entre les différents
articles en proportion de leurs désirs, sans dépasser par leurs
demandes la mesure de ce qui été produit.
On voit ainsi que la production des denrées n'est pas nécessairement
inférieure à la demande au coût moyen, dans un régime ou les travaux
et les produits, également taxés en unités de travail, constituent deux sommes de valeurs égales entre elles. L'équilibre de la production et
des besoins exprimés par la demande n'est pas impossible, parce
que l'ensemble des demandes ne peut pas dépasser l'ensemble des
valeurs produites; il suffit, pour obtenir l'équilibre, de connaître
les demandes des différents produits au prix moyen. Si l'on s'en
écarte par des erreurs de prévision sur les besoins à venir, on s'y
trouve ramené au jour le jour par des renseignements directs sur
les excédents et les déficits, aussi bien pour la houille ou le champagne
que pour la toile. A cet égard, les erreurs sont possibles,
comme en régime individualiste; mais elles ne sont pas théoriquement
impliquées par la constitution du système.
Cette longue et abstraite analyse était nécessaire, semble-t-il,
pour se rendre compte du fonctionnement du mécanisme dans ses
parties profondes et essentielles. Il ne faut pas critiquer à faux le
collectivisme, ni lui reprocher des vices constitutionnels qu'il n'a pas.
Au point de vue des rapports de la production avec les besoins, il
peut théoriquement réaliser l'équilibre.
Le peut-il pratiquement? C'est une autre question; et si le collectivisme
a jusqu'ici résisté à l'épreuve de l'analyse abstraite, il se
montre beaucoup plus faible lorsqu'on le transporte dans le domaine
de l'application.
Le système tout entier repose sur des fonctionnaires chargés de
diriger, ou de gérer en sous-ordre les services de la statisque, de la
production, de la distribution et de la comptabilité. Dans un organisme
économique aussi centralisé, les fautes d'administration, lorsqu'elles
concernent des besoins essentiels, sont de nature à compromettre
non seulement le bien-être, mais l'existence même de la société.
Aussi ne peut-on concevoir le système dans son fonctionnement pratique,
si l'on n'écarte par hypothèse les défaillances des administrateurs
électifs; il faut supposer que l'élection, dans une démocratie
moralement transformée par la diffusion du savoir et du bien-être,
sera synonyme de sélection des intelligences les plus hautes, des
capacités les plus éprouvées, des caractères les moins accessibles à la
partialité et à la corruption. Tandis que la production individualiste
peut être l'oeuvre d'hommes ordinaires, l'organisation collectiviste ne
peut fonctionner avec des hommes imparfaits, parce que le rôle des
administrateurs y est autrement difficile et redoutable que celui des
producteurs de la société actuelle.
Le service des statistiques et des renseignements doit être irréprochable.
Peut-être l'inventaire des produits en magasin et l'état des
demandes de la consommation seront-ils dressés avec une exactitude suffisante. Mais l'estimation devient singulierement plus difficile, lorsqu'il s'agit de besoins qui ne peuvent être connus directement.
C'est le cas pour les moyens de production, coton, machines, charbon
propre aux usages industriels, fourgons et bateaux de charge, etc.
Les besoins de cette nature sont dérivés, souvent à plusieurs degrés,
de ceux des consommateurs; l'Administration devra donc les apprécier
elle-même, d'après des statistiques portant sur les objets de consommation
et de jouissance.
L'estimation est plus compliquée encore pour les marchandises
d'exportation. Comment apprécier l'étendue qu'il convient de donner
à la production viticole, si le vin est destiné non seulement à la
consommation intérieure, mais aussi à l'exportation? L'Administration
sait bien la quantité de coton brut qu'elle doit acheter aux Etats-
Unis mais elle ne peut savoir que très approximativement si les
États-Unis, ou tout autre pays substitué dans leur créance, désireront
du vin en échange, et pour quelle quantité. Peut-être le pays
fournisseur, ayant réalisé lui-même l'unité collectiviste, abusera-t-il
d'un monopole naturel pour rançonner ses clients à quel taux
estimera-t-on à l'avance ses prétentions? Ces difficultés existent
aujourd'hui; la fonction des échanges internationaux est remplie
par une multitude de négociants, spéculateurs et banquiers, qui
obéissent instantanément aux oscillations de la valeur. Ce serait
évidemment une grande simplification, si tout le système compliqué
du change, des arbitrages, du taux de l'escompte et du mouvement
des encaisses métalliques, qui préside aujourd'hui à la direction du
commerce international et au règlement des comptes, pouvait être
remplacé par la direction consciente des gouvernements. Mais la tâche
serait colossale pour un homme ou pour un conseil responsable.
Les échanges avec l'extérieur viennent encore aggraver d'une autre
manière la difficulté des estimations. On sait qu'une production naturelle,
celle du blé par exemple, doit être poussée jusqu'à un certain
niveau de frais moyens pour être en équilibre avec la demande. Si le
pays ne peut produire tout le blé nécessaire à sa consommation, l'Administration
doit acheter le surplus au dehors, et fournir en échange
les vins, tissus, objets d'art et autres articles dont elle a ordonné la
production en prévision des demandes de l'étranger. Mais l'Administration
doit en même temps limiter la production du blé indigène au
niveau du coût moyen où s'effectue l'équilibre avec la demande; il
lui faut donc calculer ce coût en tenant compte du prix des vins,
tissus, objets d'art, etc., qu'elle exporte en paiement d'une partie du
blé livré à la consommation. La complication est inextricable.
On peut admettre qu'un organe central serait plus complètement
et plus sûrement renseigné sur l'ensemble des besoins directs de la
consommation intérieure que ne peut l'être aujourd'hui un producteur
isolé ou un spéculateur quelconque. En revanche, les producteurs
libres et les négociants ne sont pas des fonctionnaires; les yeux
fixés sur l'aiguille des prix, ils se tiennent sans cesse en éveil pour
suivre les mouvements de la demande avec une exactitude et une
promptitude dont dépend leur succès ou leur ruine. Attendra-t-on la
même vigilance des directeurs électifs de l'économie collectiviste? Il
y a bien des frictions, certes, dans l'économie individualiste, bien
des erreurs et des ruines privées. Du moins ces erreurs ne sont-elles
pas totales; la maladresse des uns peut être atténuée ou réparée par
la sagacité des autres. Il en serait autrement dans la société collectiviste.
Une faute de l'autorité directrice, portant sur un service centralisé,
le désorganiserait tout entier; et si l'erreur était commise
dans la production ou la distribution des subsistances, la conséquence
serait désastreuse; ce serait la disette, la famine des pays
barbares, que notre système de circulation, malgré tous ses cahots,
a définitivement bannie des pays civilisés.
La production individualiste n'est pas anarchique comme se plaisent
à le répéter les collectivistes, qui aperçoivent la surproduction
partout. Malgré ses crises et ses irrégularités, d'ailleurs assez faibles
en proportion de l'ensemble, elle est au contraire remarquablement
harmonieuse; il y a une belle et large harmonie dans un régime de
production qui, sans l'intervention d'une volonté centrale et sans le
secours de la contrainte, fournit à des millions d'hommes agglomérés
ou dispersés la subsistance quotidienne et la satisfaction de leurs
besoins les plus variés.
Les socialistes vantent constamment la supériorité d'une organisation
rationnelle du travail social dirigé par une volonté intelligente,
sur le régime anarchique de la concurrence. Ainsi M. Bellamy
établit entre ces deux modes de production le même parallèle qu'entre
une horde de barbares commandée par un millier de petits chefs, et
une armée disciplinée sous les ordres d'un seul général. Il s'étonne
aussi que l'on puisse considérer le principe antisocial de l'homme,
l'égoïsme, comme constituant la force cohésive de la société.
En réalité, tout le secret de la faiblesse du système collectiviste
est là, dans cette prétention de remplacer par une volonté consciente
l'automate qui règle les fonctions économiques de la société. Rien de
plus exact que la comparaison faite à ce sujet par M. Paul Leroy-
Beaulieu, dans ''Le collectivisme'', entre l'organisme social et un organisme humain. Les fonctions les plus essentielles du corps humain,
respiration, digestion, circulation du sang, s'opèrent instinctivement
et inconsciemment; les choses iraient-elles mieux, si tous les mouvements
qu'elles nécessitent, au lieu d'être réflexes, devaient être
réfléchis et commandés à tout instant par la volonté?
Évidemment, la tâche imposée aux fonctionnaires de l'ordre collectiviste
dépasse la mesure des facultés humaines. Il faut insister
sur l'effrayante contradiction d'un système qui, incompatible par
nature avec des fautes de direction, repose cependant sur des
hommes nécessairement faillibles. Disette ou engorgement, telle
serait la conséquence fatale d'une statistique mal faite ou mal comprise,
d'une erreur de comptabilité, d'un ordre oublié ou donné à
faux, soit dans la répartition des travaux entre les différents établissements de production, soit dans la distribution des produits entre
les magasins régionaux. Si l'on tient compte de la prodigieuse complication
des services à administrer, et en même temps de la fragilité
des hommes, dont on ne peut faire abstraction dans la gestion des
choses humaines, on entrevoit pour la société ''régénérée'' des
crises d'inanition universelle dont le monde moderne ne peut nous
offrir une image même affaiblie.
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