Différences entre les versions de « Les systèmes socialistes et l'évolution économique - Première partie : Les théories. Les systèmes de société socialiste - Livre I : Le collectivisme pur et son régime de la valeur »

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Il paraît difficile de sortir de ces contradictions. Néanmoins,
Il paraît difficile de sortir de ces contradictions. Néanmoins,
l'épreuve a été tentée.
l'épreuve a été tentée.
* ''§ II. Collectivisme décentralisateur de M. Jaurès.''
M. Jaurès, qui sait que l'intérêt n'est sensible aux individus que
lorsqu'il a la forme individuelle, a parfaitement compris la nécessité
de la décentralisation et de l'autonomie dans la structure collectiviste.
Dès le début de son ''Esquisse provisoire de l'organisation industrielle'', il distingue entre le régime de la production administrative et celui de la production corporative, dans lequel la nation, toujours
propriétaire nominale du capital collectif, délègue la propriété effective
et l'usage de l'outillage industriel à des groupements professionnels,
sous des conditions déterminées. Il manifeste expressément ses sympathies
pour cette organisation corporative, après avoir reconnu
qu'il serait impossible à un gouvernement économique central de
parer à toutes les difficultés dans le monde immense et complexe du
travail. Il pense même que si, par des événements imprévus, le
socialisme était d'abord réalisé sous sa forme centraliste, il ne tarderait
pas à se convertir, par la force des choses, en décentralisation.
M. Jaurès conçoit l'organisation d'une branche d'industrie nationale
comme une vaste fédération de syndicats similaires répandus
sur le territoire. Il semble bien que, dans sa pensée, chaque syndicat
acquiert à titre onéreux la quasi-propriété de son outillage; car c'est
le syndicat lui-même, et non pas la collectivité tout entière, qui
pourvoit au renouvellement et au perfectionnement de cet outillage,
et sans doute aussi à l'achat des matières, en y consacrant la
part d'amortissement comprise dans le prix de ses produits. Une
corporation désire t-elle adopter des machines nouvelles? Elle peut
s'adresser à la nation pour lui demander une avance en bons de travail,
ou faire appel à une contribution de ses membres; elle procédera
ensuite à un remboursement régulier (sans intérêts, bien
entendu), au fur et à mesure qu'elle livrera ses produits. II y a plus:
un industriel, un inventeur pourra très bien réunir des bons de
travail épargnés par des particuliers, et réaliser ainsi son expérience
dans une entreprise individuelle, qui durera jusqu'au jour où, parvenue
à maturité, elle sera absorbée par la puissance économique de la nation.
Nous apercevons immédiatement le parti que l'on peut tirer d'une organisation
semblable pour favoriser le progrès industriel. Tout
établissement de production est obligé, bien entendu, de livrer tous
ses produits aux magasins publics, et de se soumettre à la taxation
faite par l'autorité publique. Mais l'unité de valeur fixée par la loi
commune peut être désormais l'heure de travail de productivité
moyenne dans chaque genre d'industrie, de telle sorte que le travailleur
soit rétribué suivant le produit qu'il livre au magasin public, sans égard à la durée de son travail.
Si nous supposons que, dans l'état actuel de l'industrie, un mètre
de toile coûte ordinairement quatre heures de travail social, savoir
deux heures et demi pour la production du m de lin, une demi-heure
pour l'usure des machines. et une heure pour le tissage, l'Administration paiera quatre bons pour tout mètre de toile, conforme au
type coté à ce taux, qu'un établissement de tissage quelconque lui
apportera; elle le débitera au même chiffre, et le prix de vente sera
égal au prix de revient, non seulement sur l'ensemble des produits,
mais sur chaque article individuellement. Si un groupe industriel
obtient, au moyen d'un métier perfectionné qu'il a acquis à ses frais,
deux mètres de toile en une heure de travail, s'il parvient, en ménageant
la matière première, à ne dépenser que quatre bons et demi
au lieu de cinq pour le fil, s'il peut enfin, grâce à une production
plus abondante, amortir la nouvelle machine par une simple retenue
d'un quart de bon par mètre de toile, il recevra huit bons pour ses
deux mètres livrés au magasin, et pourra en attribuer deux au travailleur
pour une heure de travail, gardant comme bénéfice collectif
l'un des six bons payés pour la matière et l'amortissement. A l'inverse,
dans tout établissement où l'on se servira de métiers surannés,
où l'on gaspillera la matière première, les travailleurs ne recevront
qu'une rétribution inférieure à la moyenne, et devront s'imposer une
retenue plus forte pour l'amortissement.
La cause du progrès paraît sauvée. Chaque corporation industrielle
est Incitée à combiner, inventer des procédés nouveaux de
fabrication, à se procurer, même au prix des plus lourds prélèvements,
les meilleures matières et les engins les plus perfectionnés.
Elle veille soigneusement à la conservation du matériel, à une consommation
économique du charbon, du gaz, de la matière première,
et recherche l'utilisation des déchets et bas produits; elle tend à la
réduction des frais généraux par une extension de l'entreprise; elle
tient enfin à mettre à sa tête les hommes les plus capables et les plus
expérimentés. Certes, l'intérêt qu'un travailleur associé peut avoir à
la bonne gestion de l'entreprise est loin d'avoir la mémo énergie que
chez un inventeur ou un entrepreneur supportant seul le risque des
profits et des pertes; le sentiment de la responsabilité s'émousse en
s'éparpillant, et les sociétés coopératives de production souffrent
plus ou moins de la faiblesse de la direction. Pourtant, dans le cercle
restreint d'un petit groupe d'associés, l'intérêt de chacun est assez
palpable pour que tous contribuent volontiers à la diminution des
frais et à l'accroissement des produits, avec plus de vigilance que de
simples salariés; et quant à la direction d'une association de cette
nature, si elle peut pécher par défaut d'autorité, elle peut aussi
ne pas être inférieure techniquement à celle d'une entreprise capitaliste,
étant donné surtout que les difficultés commerciales sont
écartées par hypothèse. Un bénéfice extra, individuel et collectif,
se rattache immédiatement à tout progrès réalisé, et se maintient
jusqu'au jour où le progrès, en se généralisant, donne lieu
à une élévation de la moyenne sociale constatée par l'autorité
publique.
C'est bien ainsi, semble-t-il, que l'entend M. Jaurès, lorsqu'il nous
montre les membres d'une corporation industrielle intéresses à perfectionner
leur outillage au prix d'une contribution personnelle.
Par là, en effet, « ils développent leur puissance de production, et
abaissent leur prix de revient au delà du prix déterminé par la
nation d'après l'outillage normal; ils bénéficient donc de la différence,
et il y a là une prime à l'esprit de progrès. « Cette prime,
dit-il un peu plus haut, sera égale à l'écart entre la quantité normale
de travail sur laquelle sera réglé le prix, et la quantité moindre
de travail qu'une production perfectionnée exigera en fait ". « La
quantité de travail fournie par les travailleurs sera mesurée aux produits
livrés par eux. » Nous sommes bien d'accord l'unité de mesure
de la valeur sera l'heure de travail de productivité moyenne, celle-ci
s'appréciant d'après le produit d'un travail d'intensité moyenne sur
des moyens de production ordinaires
Mais comment la propriété corporative peut-elle se concilier avec
le collectivisme? Ne va-t-elle pas engendrer l'inégalité des profits,
jalousement conservés par des groupes fermés de coopérateurs?
Est-il même possible de remplacer les prix de concurrence par la
taxation en unités de travail, s'il n'y a pas de régulateur central
imposant une direction a la production corporative? M. Jaurès
échappe à ces contradictions, parce qu'il n'admet ni la production
libre, ni la corporation fermée.
Il ne faut pas que l'organisation du travail perde son caractère
national et unitaire, ni que des corporations absolument indépendantes
s'approprient, au service de quelques privilégiés, le capital de
production délégué par la nation. La discipline nationale sera maintenue
par un Conseil central élu, investi de l'autorité supérieure.
Il est regrettable que ces déclarations si nettes soient en désaccord manifeste
avec d'autres passages, où il est dit que les travailleurs seront
rémunères selon la quantité de travail effectiffournie par eux, et qu'il n'y aura
entre eux, dans aucune branche d'industrie, aucune inégalité préalable résultant
soit de l'outillage avec lequel ils travaillent, soit de la matière première sur
laquelle ils travaillent. Cette contradiction entre les deux règles d'évaluation est
déconcertante.Disons, pour la résoudre bien que le texte ne s'y prête guère,
que la première s'applique au régime de production corporative, et la seconde
au régime administratif.
Chacun des grands groupes industriels aura son conseil spécial élu,
qui servira d'intermédiaire entre les sections locales et le Conseil
national; il pourra décider notamment qu'il y a lieu de supprimer
tel centre de production, ou de renouveler l'ensemble de l'outillage;
pouvoir considérable, qui restreint singulièrement le droit de propriété
corporative. Ces autorités centrales dirigeront toute la production,
et assigneront à chaque groupe la part qu'il devra fournir.
EnGn, et ceci est essentiel, la propriété de l'outillage, tout en
étant déléguée, restera commune, en ce sens que le groupe industriel
devra admettre aux mêmes droits et aux mêmes bénéfices tous
les citoyens qui se présenteront pour s'en servir, sans pouvoir,
comme la plupart des coopératives actuelles, réduire les nouveaux
venus à l'état de salariés. De cette manière, les inégalités ne pourront
se perpétuer, et elles perdront leur caractère exclusif.
Cette esquisse laisse bien quelques points dans l'ombre; nous ne
savons pas, par exemple, si une corporation aura le droit de vendre
ses machines et ses bâtiments, ou de les affecter à l'usage personnel
de ses membres. Mais elle est suffisante pour nous permettre de
juger qu'il ne s'agit pas ici d'un régime anarchique de groupes professionnels
indépendants, n'ayant entre eux d'autres liens que ceux
qui peuvent résulter de contrats librement débattus. Non, l'organisation
reste nationale, et, dans une large mesure, centralisée. C'est
un régime de coopératives ouvertes; c'est l'usine aux ouvriers, peutêtre
aussi nous le verrons dans un instant – la mine aux mineurs,
la terre aux paysans, sous réserve d'une soumission complète des
producteurs à la loi de taxation, à la règle du libre accès de la corporation
et de l'égalité entre ses membres, et à l'autorité d'un régulateur
central. C'est donc bien du collectivisme d'État, et non du socialisme
corporatif.
On a vu les efforts de M. Jaurès pour conserver au capital de production
un caractère collectif. Son régime de corporations semiautonomes,
même ainsi réglementé, n'est-il pas cependant contraire
à l'essence du collectivisme? M. Jaurès le pressent « J'entends d'ici
les communistes purs dire que ce sont là des combinaisons extrêmement
bourgeoises et qui sentent fort le capitalisme. Ils allégueront
tout de suite que ce petit système de primes au progrès industriel
est à la fois mesquin et inutile. Et peut-être, sans doute même,
ont-ils raison. »
II est permis de penser, en effet, que ce n'est plus un régime collectiviste
au sens propre du mot, celui dans lequel des groupes plus ou
moins restreints, des individus isolés même, se rendent acheteurs de leurs
moyens de production, deviennent propriétaires d'usines, de
machines, de matières premières, et peuvent tirer, de l'inégalité des
instruments mis en oeuvre, des produits inégaux pour des sommes
égales de travail. Le principe fondamental du socialisme moderne,
s'il n'est plus, comme jadis, "A chacun part égale", ou suivant ses
besoins, reste du moins A chacun suivant son travail personnel. Ici,
au contraire, le travailleur est rétribué, non pas d'après la durée de
son travail personnel d'intensité moyenne, quel qu'en soit le produit,
mais d'après son produit, quelle qu'ait été la durée de son travail
en sorte que l'importance de sa part dépend plus encore des
conditions d'organisation de l'établissement où il se trouve employé,
que des qualités propres de son travail.
Qu'importe, dira-t-on, que ce système de coopératives ouvertes et
soumises à la loi commune de taxation s'écarte des purs principes du
collectivisme en introduisant l'inégalité dans la rémunération du
travail, si cette inégalité, d'ailleurs temporaire, est la condition du
progrès? Les doctrinaires peuvent le condamner, mais d'autres le
préféreront encore au régime capitaliste, parce qu'il supprime au
moins le péage du capital privé sur la production en assurant au
travailleur une rétribution en valeur égale au produit de son travail,
et parce qu'il fait disparaître le chômage et la misère par une organisation
rationnelle de la production.
Cette transaction pourrait donc séduire les socialistes qui ne sont
pas inféodés au principe rigoureux de la répartition collectiviste,
surtout s'ils n'ont qu'un goût médiocre pour le panfonctionnarisme
et la bureaucratie universelle. Malheureusement, le système
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