Différences entre les versions de « Les systèmes socialistes et l'évolution économique - Première partie : Les théories. Les systèmes de société socialiste - Livre I : Le collectivisme pur et son régime de la valeur »

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(Nouvelle page : == Chapitre 1. Les plans de société collectiviste == Le pur collectivisme se caractérise par les deux traits suivants : tous les moyens de production, de circulation et d'échang...)
 
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de M. Georges Renard, ne figureront pas dans cette étude du pur
de M. Georges Renard, ne figureront pas dans cette étude du pur
collectivisme, et seront examinés au livre suivant.
collectivisme, et seront examinés au livre suivant.
== Chapitre 2. Esquisse du système collectiviste et définition de son unité de valeur.==
La société collectiviste suppose une organisation méthodique de
la production nationale, qui s'exerce sur les agents naturels et les
capitaux productifs socialisés. L'autorité publique, éclairée par des
statistiques sur les besoins de la consommation, dirige et réglemente
toute la production, le transport, l'emmagasinage et le débit des
produits. Elle rétribue les travailleurs en unités de valeur sociale,
d'après le temps de travail de qualité moyenne qu'ils ont consacré à
la production; elle tarife de même les produits d'après le temps de
travail moyen qu'ils ont coûté. Les travailleurs peuvent donc se
procurer les produits aux magasins publics en échange des bons de
travail ou certificats d'unités de valeur qu'ils ont acquis par leur
travail.
La rétribution du travail étant égale à la valeur du produit –
sauf une certaine déduction pour les besoins collectifs, les
divers prélèvements opérés aujourd'hui au profit du capital privé
sous les noms d'intérêts, dividendes, loyers ou fermages disparaissent
d'une façon absolue. Plus de profits ni de salaires; la distinction
entre capitalistes et salariés s'évanouit. Plus d'échanges individuels
ni de commerce privé; en dehors des objets débités par les entrepôts
publics, il ne peut y avoir aucune vente de marchandises entre particuliers.
Plus de monnaie au sens actuel du mot, métallique ou
fiduciaire. La banque, la Bourse, la spéculation, le crédit, la dette
publique, l'assurance par capitalisation, disparaissent avec l'intérêt
du capital et les échanges. La concurrence anarchique entre producteurs est abolie; avec elles cessent les crises, les chômages, les phénomènes de surproduction, l'excès de population et le paupérisme;
la société est une vaste unité économique, consciemment organisée
et dirigée, au sein de laquelle tous les citoyens trouvent l'emploi de
leurs forces. L'exploitation de l'homme par l'homme prend fin, et le
travailleur obtient, en équivalents, le produit intégral de son travail,
diminué seulement de la part nécessaire à la collectivité pour subvenir
aux charges publiques et accroître le capital social.
Le but du collectivisme est donc l'échange direct des travaux contre les produits, suivant un système de valeur en unités de
travail qui aboutit, par la suppression totale de la plus-value capitaliste,
à une répartition des richesses conforme au principe ''A chacun
suivant son travail''. Le régime suppose par conséquent que nul ne
peut prêter à intérêt le fruit de ses épargnes, bons de travail ou
richesses de consommation, ni faire acte de commerce en vendant
ces richesses à un tiers. De tels actes sont rigoureusement interdits,
et l'autorité publique doit savoir discerner ceux qui se dissimulent
sous la forme d'une libéralité permise.
Je me propose d'étudier ici l'unité de valeur collectiviste qui sert
de base à la taxation des travaux et des produits, pour suivre
les applications et les conséquences de ce mode de la valeur
dans l'ordre économique. Il semble que la critique, ainsi limitée, soit
incomplète. Toutefois, il n'est guère d'objet qui ne se rattache en
quelque manière au régime de la valeur; tout l'ensemble de l'organisation
peut être contrôlé en partant de ce principe. L'unité de valeur
est le point central et la clef de voûte de tout le système; sur elle se
sont portés les efforts des théoriciens du socialisme; sur elle aussi
doit se concentrer l'attention de la critique.
La substance de la valeur, c'est le travail, et la mesure de la
valeur, c'est la durée du travail. Tel est le principe qui, issu de
l'économie anglaise, recueilli par tous les socialistes modernes, et
formulé par Karl Marx pour l'interprétation des phénomènes actuels
doit aboutir, dans une société où le capital est collectif, à la rémunération
du travailleur suivant le travail qu'il a fourni. « La valeur
peut être constituée d'après la somme du travail immédiat et médiat
que coûte le produit », dit Rodbertus, de telle sorte que le travail soit
la mesure de ce qui revient à chaque producteur dans le revenu social'. « Le temps nécessaire pour produire un objet, dit M. Bebel,
est la seule mesure à laquelle celui-ci doive être évalue en tant que
'valeur usuelle sociale. »
En supposant donc, avec Schoeme, que 2 milliards 400 millions
d'heures de travail soient nécessaires pour produire la somme totale
des richesses dont une société a besoin pendant une année, un même
nombre d'unités nominales de valeur devraient être délivrées aux
travailleurs en bons de travail, afin que ces mêmes travailleurs pussent
acheter aux magasins publics le produit total du travail collectif
valant également 2 400 000 000 d'heures de travail.
Sans pousser à fond l'analyse, il est aisé de voir que la notion de
valeur se trouve ainsi transformée dans son essence. Jusqu'ici, en
dépit des théories de Karl Marx, les sociétés humaines n'ont connu,
sous le nom de valeur, que des rapports d'échange entre deux marchandises;
une marchandise n'a pas une valeur en soi, comme elle a
une longueur et un poids, elle a une valeur par rapport à la monnaie,
par rapport au blé, au charbon, à la laine, etc. Dans l'ordre collectiviste,
au contraire, la valeur, étant la quantité de travail incorporée
dans un objet, devient une substance propre, une qualité intrinsèque
du produit, qui lui appartient en dehors de toute relation d'échange
avec les autres produits du travail. La valeur ainsi conçue se mesure
en unités formées par l'heure de travail humain, comme la chaleur
se mesure en thermies produites par l'unité de travail mécanique.
Les bons de travail qui représentent ces unités sont des moyens
de liquidation permettant au travailleur de prendre, dans le revenu
social, une part égale à la valeur qu'il a créée par son travail. Le travail
s'échange désormais contre les produits au moyen de certificats
de valeur, qui peuvent être des billets de papier ou même des jetons
d'or, mais qui ne sont en aucune façon une monnaie-marchandise
comme la monnaie actuelle. Notre monnaie d'or tire de sa matière
une valeur d'échange vis-à-vis des marchandises, valeur propre,
variable sur le marché libre comme celle de toute autre marchandise
et les autres monnaies, espèces d'argent, billon, billets de
banque, et même papier-monnaie inconvertible en espèces, empruntent à la monnaie d'or, par la force de l'équivalence légale (ou de la
convertibilité s'il s'agit de billets), tout ou partie, suivant les circonstances,
de la valeur de cette monnaie d'or; leur valeur est donc
de même nature que la sienne, une valeur d'échange de marchandise
vis-à-vis d'autres marchandises, soumise aux fluctuations de l'offre
et de la demande. Les bons de travail, au contraire, quelle que soit
leur matière, sont de simples signes, des symboles d'une quantité
fixe de valeur formée par le travail et déterminée par l'autorité
publique. C'est une monnaie parfaite, dit Rodbertus, donnant la
mesure absolue de la valeur, et offrant une sécurité absolue, puisqu'elle
n'est émise que si la valeur qu'elle exprime existe réellement.
Elle ne porte pas en elle-même son gage, comme la monnaie
métallique actuelle; elle n'est pas non plus dépourvue de gage,
comme la plupart des billets de banque et des papiers de crédit; "c'est
un genre de monnaie qui, sans valeur en elle même, est cependant
toujours hypothéquée sur une valeur réelle existante. » Les signes
ou certificats ne sont même pas nécessaires; il suffit que les unités
de valeur soient inscrites sur les livres de la comptabilité publique
au débit et au crédit de chacun, à l'occasion de ses travaux et de
ses achats.
Il est évident que le système exige, pour son fonctionnement
régulier, une rigoureuse égalité toujours observée entre deux sommes
d'unités de valeur; la balance doit être toujours égale entre la taxe
des travaux et celle des produits, et les bons délivrés aux travailleurs
doivent être annulés dès qu'ils sont reçus en paiement d'un produit
ou d'un service fourni par l'Administration.
Théoriquement, cette égalité peut être obtenue, puisque c'est une
seule et même autorité qui évalue travaux et produits et qui débite
les objets de consommation. Et il est de toute nécessité que cette
égalité théorique soit obtenue effectivement. Quelles que puissent
être les difficultés d'une immense comptabilité, quelles que soient
les complications résultant des fraudes, des pertes et détériorations, des bons non présentés et tenus en réserve, des échanges avec
l'étranger, des amortissements prolongés, des travaux qui ne se
matérialisent pas dans un produit, et de mille autres causes qui
apparaîtront dans la suite, il est indispensable que l'équilibre des
bons soit maintenu. S'il venait à se rompre, toute la machine se
détraquerait; les hommes périraient de faim, de froid et de misère,
avec les poches vides devant des magasins regorgeant de marchandises,
ou plus souvent avec les poches pleines de chiffons de papier
sans valeur devant des greniers vides.
La valeur se fixe donc suivant la durée du travail, qui sert de
commune mesure pour la tarification des travaux et des produits en
unités semblables. D'où il semble que l'on puisse tirer cette double
règle : tout produit vaut exactement un nombre de bons égal à celui
des heures de travail qu'il a coûtées; tout producteur reçoit un
nombre de bons égal à celui des heures de travail qu'il a fournies.
Une table en bois blanc a coûté, par exemple, vingt heures de travail
une heure pour le travail du bûcheron, trois quarts d'heure
pour le transport du bois, dix-huit heures pour le travail du menuisier,
et un quart d'heure, dans la mesure de l'usure, pour la confection
et l'entretien des instruments employés aux différentes phases de
la production car la société doit couvrir intégralement les frais
d'amortissement du matériel fixe et les frais de transport, par des attributions de valeur suivies de prélèvements sur les différents objets
fabriqués ou transportés. Cette table sera donc cotée vingt bons d'une
heure, et ces bons seront répartis entre les différents travailleurs,
bûcheron, voiturier, menuisier, etc., suivant la part qu'ils auront prise à l'oeuvre commune.
Représentons-nous, sur cette donnée particulière, la répartition du
produit social dans son ensemble. La société garde naturellement
pour elle les moyens de production, instruments et matières, qu'elle
a jugé utile de créer dans l'année pour remplacer ceux qui ont été
usés on consommés; elle garde aussi, sans doute, la propriété des.
maisons d'habitation. Seuls, les objets mobiliers de consommation et de jouissance sont destinés à l'appropriation particulière. Une partie
de cet approvisionnement de consommation échappe aux producteurs
d'objets de ce genre c'est la partie représentée par les bons
que prélève la société pour couvrir le prix des matières, l'amortissement
de l'outillage et les frais de transport. Elle sert à la consommation
des producteurs de moyens de production et des transporteurs,
qui l'acquièrent dans la mesure de leur travail au moyen des
bons que la société a prélevés à ces divers titres pour les leur allouer. La double de taxation des travaux et des produits suivant la durée du travail fourni paraît devoir s'appliquer avec une rigoureuse
précision. Il s'en faut cependant qu'on puisse l'observer dans sa simplicité
élémentaire.
Une première dérogation s'impose, de l'aveu de tous les socialistes
:sans exception, en raison des besoins de la collectivité. La société
doit, non seulement reconstituer les moyens de production usés ou
-consommés, mais accroître le capital collectif; il lui faut, en outre,
pourvoir aux charges publiques de sécurité, de salubrité, d'éducation,
d'administration économique, et à l'entretien de tous les
citoyens qui ne peuvent travailler; pour y faire face, elle a besoin de
ressources prises sur le revenu social. Il ne s'agit pas là, paraît-il,
-d'un impôt; mais il s'agit bien de prélèvements qui, à la différence de l'amortissement et des frais de transport, ne correspondent à
aucune addition de valeur, et qui viennent par conséquent restreindre
la part des travailleurs. Si ce prélèvement social doit s'élever au
tiers de là production tout entière, la rétribution de chaque travailleur
subira une réduction d'un tiers, et notre menuisier, par
-exemple, pour 18 heures de travail, ne recevra que 12 bons, les
6 autres revenant à la collectivité. Il ne reçoit pas intégralement
l'équivalent de son travail, et ne profite du prélèvement qu'à titre de
membre du corps social.
Les socialistes sont encore unanimes pour interpréter d'une façon
conditionnelle la règle que le travail est rétribué selon sa durée.
La quantité de travail fournie par le producteur individuel ne
s'apprécie pas seulement d'après sa durée; l'heure de travail d'un
ouvrier négligent ou incapable ne représente pas une même quantité
de travail que celle d'un ouvrier habile et laborieux. Il faut donc
établir une moyenne sociale et tenir compte, dans la taxation, de
l'intensité et de l'habileté du travail, qui s'apprécient d'après le
résultat. On prendra comme base le produit que donne, en une heure,
un travail d'intensité et d'habileté moyennes dans un milieu social
donné, et l'unité de mesure sera l'heure de travail social de productivité
moyenne dans chaque genre de travail. Si l'on a pu constater
qu'un travailleur moyen fabrique en une heure un sabot convenablement
creusé et arrondi, l'agent préposé à la taxation délivrera deux
bons à l'ouvrier qui lui apportera une paire de sabots bien faits, et
deux tiers de bon seulement au compagnon qui lui présentera un seul
sabot mal dégrossi. Peu importe que les deux sabotiers aient travaillé
exactement une heure l'un comme l'autre; leur rétribution se calcule suivant la quantité de travail moyen contenue dans le produit. Pour des travaux de même nature, on saura donc graduer les
allocations suivant la qualité du travail. Mais pour des travaux de
nature différente, il n'en est plus de même. La question soulève des
difficultés particulières, qui seront traitées ultérieurement; aussi
devons-nous considérer provisoirement toutes les heures de travail
comme équivalentes, quel que soit le genre de travail.
Pour des travaux de même catégorie, le calcul de l'unité moyenne
présente encore une difficulté. La productivité du travail, dans un
même espace de temps, dépend bien plus encore de la qualité des
agents matériels et des instruments employés que de la qualité du
travail lui-même. Un travail d'égale durée et d'égale intensité donnera
peut-être 8 hectolitres de blé par hectare en Sologne, et 40 hectolitres
sur une terre de Flandre convenablement fumée; un fileur obtiendra
une quantité de fils très différente suivant qu'il travaillera sur un
rouet primitif ou sur un métier mécanique.
II est évident que si la nation, seule propriétaire des terres, des
mines et de tout le capital industriel, est aussi le seul entrepreneur
d'agriculture, d'industrie, de transport, il ne saurait y avoir aucune
différence dans la rétribution du travail à raison de l'inégalité des
moyens de production. C'est l'Administration elle-même qui distribue
aux groupes professionnels et aux individus les terres, les mines, les
bâtiments, qui leur fournit les machines, les outils et les matières
premières. Conçoit-on qu'un travailleur agricole reçoive cinq fois
moins de bons qu'un autre, pour un travail aussi long et aussi
pénible, parce qu'il n'aura pu produire que 8 hectolitres sur une
terre ingrate, tandis que l'autre, comblé des faveurs administratives,
installé sur un sol propre à la culture intensive, abondamment
pourvu de bestiaux, de machines, d'engrais chimiques, de semences
sélectionnées, aura pu fournir 40 hectolitres? Est-il juste que le gain
d'un fileur de coton dépende de la perfection du métier qui lui a été
assigné? Non, il n'est pas admissible, dans un système de production
administrative, que la rémunération des travailleurs subisse des
inégalités pour des causes extrinsèques, indépendantes du mérite de
l'individu et subordonnées au bon plaisir des autorités publiques.
Aussi M. Jaurès nous dit-il que les producteurs seront rémunérés
selon la quantité de travail effectif individuellement fournie par eux.
Quelles que soient la quantité et la qualité du charbon extrait d'une
mine dans une journée de travail, le mineur recevra partout, que ce
soit à Anzin, à Decazeville ou à Bessèges, une rémunération calculée
sur le nombre d'heures de travail normalement employées à l'extraction
« Il n'y aura donc entre les travailleurs aucune inégalité préalable résultant soit de l'outillage avec lequel ils travaillent, soit de
la matière première sur laquelle ils travaillent. Et il en sera de la
filature, du tissage, de la métallurgie, de la verrerie, comme de l'industrie
extractive. »
De là, une difficulté. Le travailleur doit être rétribué suivant la
quantité de travail moyen que renferme son produit. Mais comment
tenir compte de l'habileté et de l'intensité du travail, si l'on ne peut
calculer la rémunération d'après le produit? Les socialistes ne prévoient
pas la difficulté; il faut donc chercher la solution à leur
place. Pour résoudre la question, il est nécessaire de distinguer,
dans la productivité du travail, l'effet propre des facteurs matériels
de la production. L'Administration devra donc, semble-t-il, déterminer
préalablement le produit d'une heure de travail moyen sur
chaque champ, sur chaque veine, dans chaque atelier industriel, eu
égard a la nature du sol ou du sous-sol, à l'outillage et aux matières
employées. Si cette estimation est exactement faite, il devient possible
de discerner le rôle des facultés personnelles du travailleur
dans la production; et de calculer sa rétribution d'après le temps de
travail moyen qui est nécessaire pour établir le produit dans les
conditions techniques données; la rente différentielIe n'entre pas
dans la rémunération du travailleur.
Ce mode de calcul entraînera généralement un désaccord entre la
taxe du travail et celle du produit, par dérogation à la règle que tout
objet vaut exactement un nombre de bons égal à celui des heures
de travail qu'il a coûtées. II est impossible, en effet, que des articles
de nature et qualité semblables aient plusieurs cotes différentes sur
une certaine place, alors même qu'ils auraient coûté des sommes de
travail très inégales. A l'entrepôt public, tout produit doit être tarifé
non pas d'après le temps de travail d'intensité moyenne qu'il a coûté,
mais d'après le temps de travail socialement nécessaire à sa production,
suivant les conditions moyennes de productivité des agents
naturels et instruments employés dans la branche d'industrie à
laquelle il se rattache. Il faut appliquer ici la théorie du « travail
normal de Rodbertus, et du « travail socialement nécessaire à la
production » de Karl Marx.
Si un sac de 100 kilos de charbon coûte une demi-heure de travail
moyen à Anzin, une heure et demie à Decazeville, et une heure en
moyenne sur l'ensemble de la production française de l'année, il
sera payé un demi-bon au mineur d'Anzin, un bon et demi au mineur de Decazeville, mais il sera vendu un bon par les magasins
publics. Car l'unité de valeur se fixe sur des données différentes pour
le travail et pour le produit. S'agit-il de la taxe du travail? L'unité
est le produit, dans la mine particulière où le travail est exécuté,
d'une heure de travail d'intensité moyenne, de sorte que la moyenne
sociale considérée ici est exclusivement celle de la qualité du travail;
le mineur reçoit donc un bon et demi à Anzin pour une heure de
travail, s'il a pu, par un effort exceptionnel, abattre 300 kilos de
charbon en une heure. S'agit-il de la taxe du produit? L'unité est
le produit d'une heure de travail de productivité moyenne appréciée
sur l'ensemble de l'industrie minière, de sorte que la moyenne sociale
considérée est à la fois celle de l'intensité du travail humain et celle
de la productivité des agents matériels; le consommateur paie donc
trois bons pour les 300 kilos de charbon d'Anzin. L'égalité du coût
et du prix, des bons délivrés aux mineurs et des bons représentés
par le charbon en magasin, l'égalité, rompue dans la plupart des cas
individuels, ne se retrouvera que sur l'ensemble, si la comptabilité
est bien tenue.
Quand les conditions de la production viennent à changer dans le
pays, par l'effet des circonstances atmosphériques, des progrès techniques
ou de toute autre cause, les moyennes sociales de productivité du
travail, qui servent de base à la taxation des produits, doivent
être révisées. Mais pour que l'équilibre des taxes subsiste entre travaux
et produits, il faut que l'ancien tarif continue à s'appliquer aux
articles emmagasinés avant la révision. Ces produits doivent donc
être écoulés dans la consommation avant les articles similaires qui
portent le nouveau tarif.
De même que les frais de production, les frais de transport, qui
grèvent très inégalement, suivant la provenance, les différents sacs
de blé emmagasinés dans un même grenier public, doivent être
repartis également entre eux tous..
Tous les travailleurs ne fournissent pas des produits aux entrepôts
publics; il en est, en très grand nombre, qui exécutent des travaux
manuels sans créer un produit neuf, ou qui rendent des services de
nature immatérielle. Parmi eux, certains fonctionnaires, comme les
juges et les administrateurs, ne rendent de services qu'à l'État;
ceux-là doivent être naturellement payés par l'État, au moyen des
bons prélevés pour couvrir les charges publiques. Mais il est d'autres
travailleurs de cette catégorie qui rendent des services aux particuliers.
Pour rester fidèle au principe collectiviste, on ne doit pas permettre que
leur rétribution soit fixée de gré à gré suivant l'offre et la demande; il faut que ces travailleurs relèvent de l'Administration comme tous les autres, et que leur rétribution soit établie, suivant la loi commune,
d'après la durée de leur travail d'intensité moyenne. La règle est
applicable très simplement à tous ceux qui sont employés dans un
service public, matelots, employés de chemins de fer, etc.; ceux-là sont
payés par l'Administration sur le produit des taxes acquittées
par le public. La même règle peut aussi s'appliquer à ceux qui rendent
aux particuliers des services directs : serviteurs attachés à la
personne, coiffeurs, cochers, portefaix, blanchisseurs, ouvriers faisant
les réparations locatives aux bâtiments, ou les menues réparations
aux objets d'usage individuel; tous, semble-t-il, doivent être payés
au tarif par l'Administration, qui reste chargée de percevoir le prix
de leurs services. Quant aux professeurs libres, chanteurs, médecins,
etc., on conçoit à la rigueur qu'ils subissent aussi l'application de
cette règle égalitaire; mais certains écrivains collectivistes proposent
de les traiter plutôt comme des fonctionnaires, et de les rétribuer
sur les taxes publiques.
Telle est la valeur dans l'ordre collectiviste. Sur cette base, le
monde nouveau doit s'ordonner de lui-même. A côté du Gouvernement
politique et de l'Administration préposée aux services
publics déjà existants, s'organisera une Administration chargée de l'économie nationale; des organes anciens se transformeront, d'autres naîtront en foule et se développeront, conseils, directeurs, inspecteurs,
préposés, employés aux écritures, tous alimentés par le suc
nourricier des ressources publiques. Ils auront à commander et à
surveiller toutes les opérations de culture, d'extraction, de fabrication,
de transport et de débit nécessaires à la vie nationale. Ils recruteront
et dirigeront tout le personnel de la production et des transports.
Ils règleront le nombre des travailleurs dans les ateliers et
leur distribueront les tâches, renvoyant ceux qui deviennent inutiles
et les occupant ailleurs, suivant les variations des besoins et
les capacités individuelles, sans jamais laisser chômer un seul travailleur.
Ils procureront à chaque établissement les bâtiments,.
machines et approvisionnements dont il aura besoin, feront exécuter
les travaux d'art et d'amélioration agricole, veilleront à la
conservation, à l'entretien et au renouvellement de l'outillage
national. Ils dresseront exactement la statistique des consommations
annuelles; assigneront à chaque établissement de production
les quantités à fournir; détermineront les terres qui devront être
cultivées en vignes, en pâturages, en bois, en céréales; prescriront
les types et modèles à exécuter dans l'industrie. Ils administreront tout le service des transports par chemin de fer, tramways, le
service du roulage, des déménagements, des transports maritimes à
voile et à vapeur. Ils géreront tous les hôtels, cafés et restaurants
publics, seuls autorisés dans un régime qui proscrit toute entreprise
individuelle et tout bénéfice commercial. Ils tiendront les entrepôts
et magasins généraux; ils pourvoiront à leur approvisionnement, de
manière à satisfaire exactement les besoins des différentes localités;
ils veilleront soigneusement à la conservation des produits, et les
livreront au public. Ils installeront, pour les objets de consommation
journalière, des lieux de débit rapprochés des consommateurs,
boulangeries, épiceries, pâtisseries, pharmacies, papeteries, merceries,
etc.; ils préposeront des fonctionnaires à la gestion de ces
magasins de détail, et leur fourniront les articles à débiter. Ils mettront
à la disposition du public les travailleurs qui rendent des services
aux particuliers, médecins, cochers, coiffeurs, ouvriers faisant
les réparations, etc. Ils construiront, entretiendront et géreront
toutes les maisons d'habitation sur la surface du territoire, feront
les baux, fixeront les loyers en bons de travail de manière à amortir
le prix de la construction, et les percevront régulièrement. Ils calculeront
le produit d'une heure de travail d'intensité moyenne dans
chaque établissement de production, eu égard à son outillage et aux
conditions naturelles où il se trouve, de manière à déterminer, pour
chacun d'eux, l'unité sur laquelle s'y réglera la rétribution du travail;
ils recevront les produits, en apprécieront la qualité, et fixeront
en conséquence la rétribution due aux travailleurs. Ils délivreront
les bons, après avoir prélevé les taxes destinées à subvenir aux
besoins collectifs et à l'extension de la production nationale. Ils calculeront
et réviseront la moyenne de productivité des agents naturels
et instruments de production sur l'ensemble du pays pour
chaque nature différente de produits, en divisant le total du produit
par le total des heures de travail employées, afin de déterminer, dans
chaque genre, le produit moyen d'une heure de travail, qui servira
d'unité de valeur pour la taxe des articles à l'entrepôt public; ils
feront la répartition des frais généraux et des frais de transport, et
calculeront l'amortissement des capitaux fixes pour le faire entrer
dans le prix des produits, des transports et des logements; enfin,
après avoir établi le prix de revient, ils détermineront le tarif des
articles en magasin.
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