Cinquième partie : le destructionisme
Chapitre II — Les méthodes du destructionisme
1. Les moyens du destructionisme
On peut diviser en deux groupes les moyens dont se sert la politique socialiste : d'une part ceux qui tendent directement à instaurer le socialisme dans la société, et d'autre part ceux qui ne conduisent à ce but qu'indirectement, par la voie de la destruction de l'économie fondée sur la propriété privée des moyens de production. Les partis réformistes et l'aile évolutionniste des partis socialistes préfèrent les premiers. Les seconds constituent au contraire les armes du socialisme révolutionnaire qui désire avant tout, en détruisant l'ancienne civilisation, déblayer le terrain pour édifier une civilisation nouvelle. Dans la première catégorie figureraient par exemple les nationalisation et municipalisations d'entreprises, dans la seconde le sabotage et la révolution.
L'importance d'une telle distinction est cependant considérablement réduite du fait que les deux catégories de moyens produisent des effets qui ne diffèrent pas sensiblement. Même les moyens qui doivent servir directement à l'édification de la société nouvelle ne sauraient, comme nous l'avons montré, que détruire et non créer. C'est ainsi que l'aboutissement dernier de la politique socialiste qui domine le monde depuis quelques dizaines d'années est la destruction. Dans la politique communiste, la volonté de démolir apparaît si clairement qu'il est impossible de s'y tromper. Mais le destructionisme est seulement plus visible dans la politique des bolcheviques ; au fond il est également contenu dans toutes les mesures inspirées par le socialisme. L'intervention de l'État dans l'économie, la prétendue politique économique, n'est parvenue en fait qu'à détruire l'économie. Les interdictions et les prescriptions édictées en son nom n'ont été que des entraves ; elles sont développé l'esprit anti-économique. Déjà dans le socialisme pratiqué pendant la guerre, cette politique économique a acquis une telle extension que toute économie privée a été stigmatisée comme un crime de lèse-majesté. Ce n'est que grâce au fait que les lois et mesures destructionistes n'ont pas été jusqu'ici appliquées jusqu'au bout que la production demeure encore à demi-rationnelle. Si on les avait rendues plus effectives, la famine et une effroyable mortalité seraient aujourd'hui le lot des peuples. Notre vie tout entière est à ce point imprégnée du destructionisme qu'il serait difficile d'indiquer un domaine où il n'ait pas pénétré. Le destructionisme est exalté par l'art "social," enseigné dans les écoles, prêché par l'Église. La législation des États civilisés n'a pas depuis des dizaines d'années édicté une seule loi de quelque importance qui ne soit par quelque côté inspirée de son esprit, et beaucoup de lois en sont pleines. Tracer un tableau complet du destructionisme reviendrait à écrire l'histoire des décades pendant lesquelles la double catastrophe de la guerre mondiale et de la révolution mondiale bolchevique s'est préparée et accomplie. Ce ne saurait être l'objet des développements qui vont suivre. Nous devrons nous borner à apporter notre contribution à l'intelligence du développement du destructionisme.
2. La protection légale du travail
Parmi les moyens auxquels recourt la politique destructioniste, la protection légale du travail apparaît dans ses effets directs comme le plus inoffensif. Mais pour la connaissance de l'idéologie destructioniste cette branche de la politique sociale est particulièrement importante.
Les protagonistes de la protection du travail se plaisent en général à la situer sur le même plan que les prescriptions qui furent prises au XVIIIe siècle et dans la première moitié du XIXe pour défendre les paysans, réduits à l'état de robots, contre la domination des seigneurs féodaux. De même qu'à cette époque l'étendue des obligations imposées aux paysans fut réduite sans cesse par l'intervention de l'État afin de libérer progressivement l'esclave, de même le but de la protection du travail serait uniquement d'élever le prolétaire moderne de l'esclavage du salaire à une existence digne de la personne humaine. Cette comparaison est sans aucune valeur. La limitation de la corvée augmentait, loin de la diminuer, la quantité de travail sur les terres. Le travail forcé qui est un travail de mauvaise qualité accompli à contrecoeur fut ramené à des proportions moindres pour laisser aux paysans la liberté de mieux cultiver leurs propres champs ou de louer leur travail contre un salaire. La plupart des mesures prises en faveur des paysans avaient pour but d'une part d'augmenter l'intensité du travail agricole et d'autre part de libérer des forces de travail pour la production artisanale et industrielle. La politique agraire, en réalisant l'abolition totale du travail forcé des paysans, n'a pas supprimé le travail, elle l'a tout au contraire rendu possible. Quand la politique sociale moderne "règle" la durée du travail, quand elle ramène la journée de travail à dix, neuf ou huit heures, quand elle en arrive à instituer pour certaines catégories de fonctionnaires la journée de six heures, et même moins, nous nous trouvons en présence d'une situation toute différente car la quantité de travail fournie, et par là même le rendement de l'économie, se trouve alors diminué.
Cette conséquence des mesures prises pour limiter la durée du travail est si claire qu'aucune illusion n'est possible. C'est pourquoi les tentatives faites pour étendre la protection légale du travail se sont heurtées à une résistance sans cesse croissante, lorsqu'elles ont voulu transformer de fond en comble les conditions du travail. Les écrivains étatistes présentent généralement les choses comme si la diminution du travail des femmes et des enfants et la réglementation du travail de nuit avaient été dues uniquement à l'intervention de la loi et à l'action des syndicats [1]. De telles vues se ressentent de l'influence des conceptions répandues dans les milieux étrangers à l'industrie capitaliste moderne. Selon ces conceptions, la grande industrie éprouve une répulsion particulière à utiliser les forces de travail les meilleures. Elle préfère aux ouvriers de métier, ayant fait un apprentissage complet, les manoeuvres non qualifiés, les faibles femmes et les enfants. Car d'une part elle ne vise qu'à produire en série des objets de qualité médiocre et pour une telle production elle n'a que faire d'ouvriers ayant conscience de leur dignité professionnelle ; et d'autre part la simplicité des gestes que comportent les procédés mécaniques de production est telle qu'on peut recourir à des éléments physiquement faibles et sans aucune formation. Étant donné que les fabriques ne réalisent de bénéfices qu'à la condition de mal payer les ouvriers, il est naturel qu'elles utilisent les manoeuvres non qualifiés, les femmes, les enfants et qu'elles cherchent à allonger le plus possible la durée de la journée de travail. On croit pouvoir justifier cette conception en se référant à l'évolution historique de la grande industrie. Mais la grande industrie a dû tenir compte à ses débuts du fait qu'elle n'avait à sa disposition que les éléments qui n'appartenaient pas aux corporations et aux métiers. Elle était forcée de prendre les ouvriers non éduqués, les femmes et les enfants qui constituaient la seule main-d'oeuvre libre et d'organiser le processus du travail en fonction des possibilités réduites de cette main-d'oeuvre. Les salaires payés alors dans les fabriques étaient inférieurs au gain des compagnon des métiers parce que le travail fourni y était médiocre. Pour la même raison la durée du travail quotidien y était plus longue que dans les métiers. Ce n'est que lorsque, avec du temps, cette situation se modifia que les conditions du travail dans la grande industrie purent se transformer. A ses débuts la fabrique n'avait pas pu faire autrement que d'embaucher des femmes et des enfants car il lui était impossible de recruter des hommes qualifiés. Lorsque la concurrence qu'elle fit aux ateliers et aux manufactures lui permit de faire appel aux ouvriers qualifiés qui y étaient jadis occupés et de triompher des anciennes méthodes de travail, elle transforma ses procédés de production de telle sorte que le travail des ouvriers qualifiés y prit la première place et que l'emploi des femmes et des enfants y joua un rôle sans cesse moins important. Le taux des salaires s'éleva parce que le rendement de ces ouvriers était supérieur à celui des ouvrières et des enfants. Ce relèvement des salaires libéra la famille ouvrière de la nécessité de demander à la femme et aux enfants d'apporter un supplément de gain au foyer. La durée du travail diminua parce que le travail plus intensif de l'ouvrier qualifié permit de tirer des installations un rendement infiniment meilleur à celui que permettait d'obtenir le travail malhabile et nonchalant d'éléments médiocres [2].
La diminution de la journée de travail et la limitation du travail des femmes et des enfants, telles qu'elles avaient été réalisées à la veille de la guerre mondiale, ne constituent pas du tout des conquêtes arrachées par la protection légale du travail à l'égoïsme des entrepreneurs. Elles sont le résultat de l'évolution de la grande industrie, qui, ayant cessé d'être contrainte de recruter sa main-d'oeuvre en quelque sorte en marge de l'économie, avait dû modifier les conditions du travail de manière à tenir compte des besoins d'une main-d'oeuvre de meilleure qualité. Sans doute s'est-elle toujours efforcée de devancer, dans la protection du travail, l'évolution naturelle de l'industrie. Mais elle n'y est jamais parvenue, non pas tant en raison de la résistance des entrepreneurs que de celle, rarement déclarée, mais cependant très réelle, des ouvriers eux-mêmes. Car ce sont les ouvriers qui, non pas simplement par incidence, mais par une répercussion directe, devaient supporter les frais de toute mesure de protection du travail. Les limitations, voire les interdictions, apportées au travail des enfants et des femmes pesaient sur le ménage ouvrier de la même façon que la diminution de la journée de travail des adultes. La réduction que ces mesures entraînaient dans l'offre du travail eurent sans doute pour conséquence de relever le niveau de la productivité limite du travail et par suite le pourcentage de salaire afférent à chaque unité produite. Mais il est douteux que ce relèvement soit suffisant pour compenser la charge que l'ouvrier subit du fait de la hausse des prix des marchandises. Il est impossible de rien affirmer à ce sujet sans entrer dans la discussion des données concrètes de tous les cas particuliers. On peut, semble-t-il, admettre que la régression de la production ne peut apporter à l'ouvrier, pas plus qu'aux autres citoyens, une hausse absolue de son revenu réel. Mais il n'est pas nécessaire d'approfondir davantage ce problème. Car on n'aurait pu parler d'une diminution notable de l'offre de travail comme conséquence de la protection légale du travail que si cette protection n'avait pas été limitée à un seul pays. Tant qu'il n'en a pas été ainsi, tant que tous les États ont été libres d'agir à leur guise, plus particulièrement ceux dont l'industrie naissante cherchait toutes les occasions de refouler les produits des vieux États industriels en se laissant distancer par eux dans le domaine de la protection du travail, la situation de l'ouvrier sur le marché ne pouvait pas être améliorée par cette protection. Il était nécessaire qu'elle devînt internationale du travail comme de la protection nationale : elle n'a pas été au delà de ce que l'évolution des conditions économiques aurait réalisé sans elle.
Les éléments destructionistes apparaissent dans la théorie de la protection du travail plus nettement que dans son application même, laquelle a souvent rencontré un frein dans la danger immédiat que les mesures qu'elle comportait faisaient courir au développement de l'industrie. C'est à cette théorie qu'il faut attribuer en premier lieu la diffusion rapide de la doctrine de l'exploitation des travailleurs. Dans sa peinture des conditions du travail dans l'industrie, elle a pratiqué sciemment ce que d'un terme peu élégant on appelle le bourrage de crâne. Elle a transposé dans la législation les idées populaires qui opposent l'entrepreneur au coeur dur et le capitaliste égoïste au peuple malheureux, noble, exploité. Elle a habitué les législateurs à considérer toute mesure contrariant les plans des entrepreneurs comme un succès remporté par la collectivité sur les intérêts égoïstes et contraires à l'intérêt général, d'un minorité de parasites. Elle a donné au travailleur la conviction qu'il s'épuise pour le seul profit de capitalistes qui ne lui en savent aucun gré,que sa classe et sa mission historique lui font un devoir d'accomplir sa tâche avec le moins d'ardeur possible.
La théorie des salaires des protagonistes de la protection légale du travail était singulièrement déficiente. Ils traitaient avec une raillerie acerbe les arguments que Senior avait produits jadis contre la réglementation légale de la durée du travail, sans avoir rien de valable à opposer aux conclusions auxquelles il était parvenu dans l'hypothèse de conditions statiques. L'incapacité des théoriciens socialistes à comprendre les problèmes économiques apparaît surtout dans les écrits de Brentano. L'idée que le salaire est fonction du travail fourni lui est si étrangère qu'il en arrive à poser comme une "loi" qu'un salaire élevé entraîne une augmentation et un salaire bas une diminution du travail fourni, alors que de toute évidence dans la réalité c'est l'inverse qui se produit : on paie plus cher un travail supérieur, moins cher un travail inférieur [3]. Et quand il ajoute que la réduction de la durée du travail est la cause et non la conséquence d'une efficacité plus grande du travail son erreur n'est pas moins évidente.
Marx et Engels, les pères du socialisme allemand, ont bien compris le rôle fondamental que la lutte pour la destruction du travail peut jouer dans la diffusion des idées destructionistes. Dans l'Adresse inaugurale de l'Association international du Travail, il est dit de la loi anglaise des dix heures, qu'elle fut "non pas seulement un grand succès pratique, mais la victoire d'un principe. Pour la première fois la politique économique de la bourgeoisie était battue au grand jour par la politique économique de la classe ouvrière." [4] Plus de vingt ans auparavant Engels avait déjà avoué sans fard le caractère destructioniste du bill des dix heures. Il ne peut s'empêcher de reconnaître que les arguments que lui opposent les entrepreneurs ne sont pas entièrement dénués de valeur ; il estime que le bill mettra l'industrie anglaise dans l'incapacité de soutenir la concurrence et qu'il pèsera sur les salaires. Mais il ne redoute pas ces conséquences. "naturellement, ajoute-t-il, si la loi des dix heures devait être une mesure définitive, l'Angleterre serait ruinée ; mais comme elle entraînera nécessairement à sa suite d'autres mesures qui orienteront l'Angleterre dans une voie entièrement différente de celle qu'elle a suivie jusqu'ici, elle constitue un progrès." [5] Que l'industrie anglaise succombe devant la concurrence étrangère, et la révolution sera inévitable [6]. Dans un écrit postérieur il s'exprime ainsi à propos de la loi des dix heures : "Elle n'est plus simplement une tentative isolée pour paralyser le développement industriel ; elle est un maillon d'une longue chaîne de mesures qui transforment l'esprit actuel de la société et qui suppriment peu à peu les oppositions de classes qui ont existé jusqu'ici ; elle ne constitue pas une mesure réactionnaire, mais une mesure révolutionnaire [7].
On ne saurait attacher trop d'importance à la lutte pour la protection du travail. Marx et Engels ne se sont pas plus mépris sur les effets destructionistes des différentes lois de protection du travail que ne l'ont fait leurs adversaires libéraux. Mais le destructionisme chemine aussi par d'autres voies.
3. L'Assurance obligatoire
L'assurance sociale constitue la clef de voûte du programme de l'étatisme allemand. Mais même hors d'Allemagne on a pris l'habitude de considérer l'assurance du travail comme le couronnement de l'art politique et de la sagesse économique, et si les uns se lassaient pas d'en exalter les bienfaits, les autres lui reprochaient seulement de ne pas aller assez loin, de ne pas embrasser toutes les couches sociales et de ne pas accorder aux bénéficiaires tout ce qui, à leur sens, eût du leur être accordé. L'assurance sociale devait avoir comme but suprême d'assurer à tout citoyen les soins nécessaires en cas de maladie et des ressources suffisantes en cas d'incapacité de travail résultant d'accident, de maladie ou de vieillesse ou lorsque l'ouvrier ne trouve pas de travail à des conditions à sa convenance.
Aucune communauté organisée n'a laissé périr de faim les pauvres incapables de travailler. Il a toujours existé des institutions destinées à secourir les individus qui ne peuvent assurer leur existence par leurs propres moyens. Avec l'amélioration du bien-être général qui a accompagné le développement du capitalisme, l'assistance s'est clairement améliorée. Tandis qu'auparavant elle n'était qu'une charité à laquelle le pauvre n'avait aucun droit, elle est devenue un devoir de la collectivité. Des dispositions furent prises pour assurer l'assistance aux pauvres. Mais on se garda à l'origine de concéder au malheureux un droit légal absolu à cette assistance. On ne pensa pas davantage à lui ôter son caractère humiliant. Non pas d'ailleurs par dureté de coeur. Les discussions auxquelles a donné lieu la législation d'assistance anglaise ont montré qu'on avait conscience des dangers sociaux inhérents à toute extension de l'assistance.
L'assistance sociale allemande et les institutions analogues qui existent dans d'autres États reposent sur des bases entièrement différentes. Les prestations sont un droit que l'intéressé peut revendiquer par les voies légales. Celui qui les réclame ne subit aucune atteinte dans la considération sociale dont il jouit. Il est pensionné de l'État au même titre que le roi ou ses ministres, ou les retraités, ou tous ceux qui ont conclu un contrat d'assurance. Il n'est pas douteux non plus qu'il est justifié à considérer les prestations qu'il reçoit comme la contrepartie de sa contribution personnelle. Car les cotisations d'assurance retombent toujours en définitive à la charge des salaires, qu'elles soient acquittées par les entrepreneurs ou par les ouvriers. Les sommes que l'entrepreneur doit verser constituent en effet elles aussi une charge qui abaisse la productivité-limite du travail et qui par là s'impute sur le salaire. Même lorsque le coût de l'assurance du travail est couvert par l'État, il est clair que directement ou indirectement l'ouvrier lui aussi doit en supporter sa part.
Les idéologues qui défendent ‘assurance sociale et les hommes d'État et politiciens qui l'ont réalisée considéraient la maladie et la santé comme deux états du corps humain radicalement différents, en tous cas aisés à distinguer sans erreur possible l'un de l'autre. La "santé" est pour eux un état dont les caractères sont nettement établis et peuvent faire l'objet du diagnostic de n'importe quel médecin. La "maladie" est un phénomène physique, indépendant de la volonté humaine et sur lequel celle-ci n'a aucune influence. Il existe des simulateurs qui peuvent, pour des raisons quelconques, feindre d'être malades ; mais le médecin dispose des connaissances et des moyens nécessaires pour les dépister. L'homme sain a seul une capacité de travail entière ; le malade une capacité plus ou moins réduite selon la gravité et la nature de la maladie et il appartient au médecin, en se basant sur les altérations physiologiques précises qu'il lui est possible de constater objectivement, d'évaluer sous la forme d'un pourcentage l'ampleur de la diminution subie par rapport à la capacité normale.
Tout dans cette théorie est faux. Il n'existe pas de délimitation précise entre la santé et la maladie. La maladie n'est pas un phénomène indépendant de la volonté consciente et des forces spirituelles qui agissent dans l'inconscient. La capacité de travail d'un individu n'est pas uniquement fonction de son état physique ; elle dépend pour une large part de son intelligence et de sa volonté. Dès lors toutes les affirmations selon lesquelles il serait possible au médecin de faire la distinction entre les malades et les simulateurs, entre ceux qui peuvent travailler et ceux qui ne le peuvent pas, apparaissent sans valeur. Si l'on a cru qu'on pouvait édifier l'assurance contre les accidents et la maladie sur la détermination sans risque d'erreur des maladies et blessures et de leurs conséquences, on a commis une erreur grave. L'élément destructioniste de l'assurance contre les accidents et la maladie réside avant tout dans le fait qu'elle multiplie les accidents et les maladies, qu'elle entrave la guérison, qu'elle provoque dans de nombreux cas les troubles fonctionnels qui en résultent, qu'elle les aggrave et les fait durer dans presque tous.
L'assurance sociale a fait d'une maladie spéciale, la névrose traumatique, dont il avait déjà été question dans certains cas isolés à l'occasion de procès civils en dommages et intérêts, une maladie populaire. Nul ne conteste plus aujourd'hui qu'elle soit une conséquence des lois sociales. La statistique a fourni des preuves surabondantes que les blessures des personnes ayant droit aux prestations de l'assurance sociale, mettent beaucoup plus longtemps à guérir et que les troubles fonctionnels qu'elles entraînent sont à la fois plus graves et plus durables. L'assurance contre la maladie entretient la maladie. Les observations des médecins comme les données de la statistique confirment que les maladies et les blessures chez les employés et fonctionnaires comme chez les assurés sociaux guérissent beaucoup moins vite que chez les personnes appartenant à des professions libérales ou qui ne profitent pas des avantages de l'assurance. Le désir et la nécessité de recouvrer rapidement la santé pour pouvoir reprendre son travail favorisent la guérison d'une façon extraordinaire et même objectivement constatable [8].
Se sentir bien portant et l'être au sens médical du mot sont deux choses différentes et la capacité de travail d'un individu est dans une large mesure indépendante de la capacité physiologique de ses divers organes telle qu'on peut la déterminer et la mesurer médicalement. L'individu qui ne veut pas être bien portant n'est pas simplement un simulateur, c'est déjà un malade ; quand on supprime chez un homme la volonté de se bien porter et de travailler, on le rend malade et incapable de travailler ; quand on affaiblit cette volonté, on porte atteinte à sa santé et à sa capacité de travail. C'est ce que fait l'assurance sociale et c'est pourquoi elle crée des malades et des invalides ; elle provoque un état d'esprit récriminateur, qui est déjà en lui-même une névrose, et d'autres névroses encore ; bref, c'est une institution qui contribue à provoquer des maladies et bien souvent aussi des accidents et à aggraver sensiblement les conséquences physiques et psychiques des accidents et des maladies. Et tant qu'institution sociale, elle rend une nation physiquement et moralement malade et elle contribue tout au moins à multiplier les maladies, à les faire durer et à les aggraver.
Les facteurs psychiques qui, chez l'homme comme chez tout être vivant, entretiennent la volonté de vivre et d'agir ne sont pas indépendants de la situation sociale de l'individu. Cette situation peut les fortifier comme elle peut aussi les affaiblir. Elle est de nature, chez les membres d'une tribu de Bédouins vivant de la chasse, à les stimuler. Il en va de même, encore qu'elle soit toute différente, chez le citoyen d'une société capitaliste fondée sur la propriété privée des moyens de production. Au contraire une organisation sociale qui permet à l'individu de vivre sans travailler ou en ne fournissant qu'un travail réduit sans que son revenu s'en trouve sensiblement entamé à la seule condition que sa capacité d travail se trouve diminuée par la maladie ou par un accident, une telle société paralyse ces facteurs psychiques. Les choses ne sont pas aussi simples qu'elles paraissent à la pathologie naïve du médecin militaire ou du médecin des prisons.
L'assurance sociale a fait de la névrose des assurés la plus dangereuse maladie du peuple. En développant l'assurance, on propagera également la maladie. A ce mal, aucune réforme ne saurait remédier. Il est impossible d'affaiblir ou de supprimer la volonté d'être bien portant chez l'individu, sans provoquer la maladie.
4. Les Syndicats
Le problème fondamental pour qui veut juger les conséquences économiques et sociales du syndicalisme est de savoir si, dans une économie capitaliste, le travail peut parvenir à assurer par l'association et par des conventions collectives, des salaires élevés à tous les travailleurs de façon durable. A cette question, l'économie politique — aussi bien l'économie classique (y compris son aile marxiste) que l'économie moderne (y compris également son aile socialiste) — répond catégoriquement par la négative. L'opinion publique croit que les faits ont démontré que le syndicalisme est capable d'améliorer la condition des travailleurs parce que le niveau de vie des masses s'est élevé d'une façon continue au cours du dernier siècle. Mais les économistes expliquent tout autrement ce fait. Selon eux cette amélioration doit être attribuée aux progrès du capitalisme, à l'accumulation progressive du capital, et à l'accroissement de la productivité marginale du travail qui en est la conséquence. Et sur ce point il est hors de doute que les vues des économistes, confirmées qu'elles sont par le cours actuel des événements, méritent plus de crédit que la foi naïve de gens dont les raisonnements reposent sur le sophisme : post hoc, ergo propter hoc. Il est vrai que cette question essentielle a été entièrement méconnue par des milliers de dirigeants ouvriers de valeur qui ont consacré leur vie à l'organisation des syndicats, et par d'éminents philanthropes qui ont considéré le syndicalisme comme la pierre angulaire de la société future. La tragédie de l'âge capitaliste vient de ce que cette conception était fausse : en se développant le syndicalisme devint l'arme principale de la politique destructioniste. L'idéologie socialiste a si bien réussi à obscurcir la nature des syndicats qu'il est difficile aujourd'hui de se représenter leur caractère et leur action sous leur aspect véritable. On est toujours enclin à considérer que le problème des associations ouvrières s'identifie avec le problème de la liberté d'association et du droit de grève. Mais la question ne se pose plus ; depuis des dizaines d'années, aucune législation ne refuse plus aux travailleurs la liberté de se grouper en associations et le droit de cesser le travail, même en violation des contrats car le fait que cette violation puisse entraîner pour l'ouvrier une obligation juridique à répartition n'a pratiquement aucune importance. Même les partisans les plus acharnés du destructionisme ont à peine osé réclamer pour le travailler le droit de violer à sa guise les obligations contractuelles. Quand dans ces dernières années certaines nations et parmi elles la Grande-Bretagne, berceau du syndicalisme moderne, ont essayé de limiter la puissance des syndicats, ce ne fut pas dans le but de supprimer ce qu'elles considéraient comme l'action non politique du syndicalisme. L'acte de 1927 tenta de déclarer illégales les grèves générales et les grèves de sympathie. Mais il ne mettait en question ni la liberté d'association ni le droit de faire grève pour obtenir de meilleurs salaires.
La grève générale a toujours été considérée aussi bien par ses partisans que par ses adversaires comme un acte révolutionnaire, voire comme la révolution elle-même. L'essence de la grève générale est la paralysie plus ou moins grande qu'elle provoque dans la vie économique de la collectivité en vie d'atteindre certaines fins. La puissance que peut avoir une grève générale est apparue lorsque le putsch de Kapp en Allemagne, soutenu cependant à la fois par l'armée régulière et par des forces illégales considérables qui avaient contraint le gouvernement à s'enfuir de la capitale, fut mis en échec en quelques jours par la grève générale. Dans cette circonstance l'arme que constitue la grève générale servit à la défense de la démocratie. Mais que l'on approuve ou non cette attitude politique de la classe ouvrière organisée, cela est sans importance. Le fait essentiel est que, dans un pays où le syndicalisme est assez fort pour déclencher une grève générale, le pouvoir suprême est entre les mains des syndicats et non du parlement ou du gouvernement qui en dépend. C'est parce qu'ils avaient compris le sens véritable du syndicalisme et de son action que les syndicalistes formulèrent la théorie selon laquelle la violence constitue le moyen auquel les partis politiques doivent recourir pour s'emparer du pouvoir. Il ne faut jamais perdre de vue que la philosophie de la violence qui s'est substituée à la doctrine conciliatrice du libéralisme et de la démocratie a été à son origine une philosophie des syndicats ouvriers comme le mot syndicalisme même l'indique. La glorification de la violence qui caractérise la politique du soviétisme russe, du fascisme italien et du nazisme allemand et qui aujourd'hui menace tous les gouvernements démocratiques est sortie des leçons du syndicalisme révolutionnaire. Ce qui constitue l'essence du problème syndicaliste, c'est la prétention des syndicats d'imposer la grève. Les associations ouvrières revendiquent le droit s'empêcher de travailler tous ceux qui refusent de se joindre à eux ou qu'il ne leur plaît pas d'accueillir. Ils revendiquent le droit d'interrompre le travail à leur guise et d'empêcher d'autres ouvriers de prendre la place des grévistes. Ils revendiquent le droit d'empêcher et de punir par la force toute infraction à leurs décisions et de prendre toutes dispositions pour organiser cette action violente et en assurer le succès.
A mesure que ses dirigeants prennent de l'âge, tout groupement devient plus pondéré et plus réfléchi. Les groupements de combat perdent alors leur esprit agressif et leur aptitude à abattre l'adversaire par une action rapide. Les armées des puissances militaristes, en particulier de l'Autriche et de la Prusse, ont à plusieurs reprises fait l'expérience de la difficulté qu'on éprouve à vaincre avec de vieux généraux. Les associations ouvrières ne font pas exceptions à cette règle. C'est ainsi que les syndicats anciens et bien organisés ont souvent perdu pour un temps une partie de leur ardeur destructioniste et de leur capacité d'action. De facteur de destruction, ils devenaient momentanément un facteur de conservation lorsqu'ils s'opposaient à la rage destructrice de jeunes exaltés. C'est là le reproche que les extrémistes faisaient aux syndicats et l'argument dont au contraire se servaient parfois ces derniers lorsqu'il s'agissait de gagner le concours des couches non socialistes de la population pour imposer le syndicalisme obligatoire. Mais ces trêves dans la lutte destructioniste syndicale ont toujours été de courte durée. Ce sont toujours en définitive les partisans de la lutte intégrale contre l'organisation capitaliste de la société qui l'ont emporté. Ou bien ils ont réussi à supplanter les vieux chefs syndicalistes, ou bien ils ont créé de nouvelles organisations à la place des anciennes. Il n'en pouvait être autrement. Car l'idée qui a présidé à la formation des syndicats ouvriers fait qu'ils ne peuvent être autre chose que des instruments de lutte. Nous avons montré que le lien syndical qui unit les travailleurs est uniquement l'idée de la lutte pour la destruction de l'ordre social fondé sur la propriété fondé sur la propriété privée des moyens de production. Ce n'est pas seulement l'action des syndicats qui est destructioniste ; l'idée même qui est à leur base l'est déjà.
Le fondement du syndicalisme est l'adhésion obligatoire au syndicat. Les ouvriers se refusent à travailler avec des gens qui n'adhèrent pas à une organisation reconnue par eux et ils imposent par la menace de la grève et au besoin par la grève elle-même l'exclusion des travailleurs non organisés. Il arrive aussi que ceux qui se refusent à adhérer à l'organisation sont contraints de le faire par des vexations. Il est inutile d'insister sur la violence effroyable qui est faite à la liberté personnelle de l'individu par de tels procédés. Tous les sophismes des avocats du destructionisme syndical n'ont pas réussi à rassurer sur ce point l'opinion publique. Lorsque de temps à autre se produisent des cas particulièrement criards de violences faites à des travailleurs non organisés, même les journaux qui par ailleurs sont plus ou moins aux côtés des partis de destruction ne cachent pas leur mécontentement.
L'arme des syndicats est la grève. Il faut avoir bien présent à l'esprit que toute grève est un acte de coercition, une contrainte exercée par la violence contre tous ceux qui tentent de s'opposer aux desseins des grévistes. Toute grève est terrorisme. Car le but de la cessation du travail serait absolument impossible à atteindre s'il était loisible à l'entrepreneur d'embaucher d'autres ouvriers à la place des grévistes ou si une partie seulement des travailleurs faisait grève. Tout le droit syndical se ramène à la possibilité pour les ouvriers d'employer la violence contre les briseurs de grève. Il n'est pas nécessaire d'exposer de quelle manière les syndicats ont su s'arroger ce droit dans les différents États. Il suffit de constater qu'ils l'ont obtenu partout au cours des dernières décades moins par l'assentiment explicite de la loi que par la tolérance tacite des autorités et des tribunaux. Depuis des années il n'est plus guère possible en Europe de faire échouer une grève en embauchant des briseurs de grève. Pendant longtemps on avait du moins réussi à écarter la grève dans les chemins de fer, les entreprise d'éclairage, les services d'eau et les entreprises les plus importantes de ravitaillement des villes. Mais là aussi le destructionisme a fini par remporter une victoire complète ; les syndicats peuvent, s'il leur plaît, contraindre les villes et les États à se plier à leur volonté en les privant de vivres, d'eau et de chauffage ou en les plongeant dans l'obscurité. Ils peuvent empêcher l'impression des écrits qui ne leur plaisent pas ; ils peuvent s'opposer au transport postal d'imprimés et de lettres qui n'ont pas leur agrément. Lorsqu'ils le veulent, les ouvriers peuvent pratiquer en toute quiétude le sabotage, endommager les instruments de travail et les marchandises et effectuer leur travail d'une façon si lente et si défectueuse qu'il perd toute valeur.
la fonction destructioniste du syndicalisme n'a jamais été contestée sérieusement. On n'a jamais réussi à édifier une théorie des salaires démontrant que les associations syndicales permettent d'obtenir un relèvement durable du revenu réel des travailleurs. Il est bien certain que Marx lui-même était fort éloigné d'attribuer aux syndicats une action sur les salaires. Dans un discours qu'il a prononcé en 1865, au Congrès Général de l'Internationale, il s'est efforcé d'amener ses camarades d'opinion à se joindre au mouvement syndicaliste [9]. Quelles raisons l'ont poussé à agir ainsi, ses premières paroles l'indiquent immédiatement. L'idée qu'un relèvement des salaires ne peut être obtenu par la grève — idée soutenue en France par les disciples de Proudhon et par ceux de Lassalle en Allemagne — lui apparaît comme "extrêmement impopulaire dans la classe ouvrière." Mais le grand tacticien qui, une année auparavant avait su, dans "l'Adresse Inaugurale" réunir dans un programme homogène les vues les plus diverses sur la nature, les fins et les devoirs du mouvement ouvrier et qui veut cette fois lier le mouvement syndical à l'Internationale, emploie toutes ses forces à mettre en relief tous les arguments en faveur du syndicalisme. Pourtant même dans ce discours il se garde bien d'affirmer que les syndicats peuvent permettre d'améliorer directement la situation économique des travailleurs. Selon lui la tâche primordiale des syndicats est la lutte contre la société capitaliste. Le rôle qu'il assigne aux syndicats ne permet aucun doute sur la nature des effets qu'il attend de leur intervention. "A la devise des conservateurs : un juste salaire pour un juste travail, il faut substituer sur les bannières syndicalistes la formule révolutionnaire : suppression du salariat... Les syndicats manquent en général leur but en se bornant à mener contre le système économique actuel une guerre de guérilla au lieu de travailler simultanément à sa transformation et d'employer leur force organisée comme un levier pour l'émancipation finale de la classe ouvrière, c'est-à-dire l'abolition du salariat." [10] Il eût été difficile à Marx de dire avec plus de netteté qu'il ne considérait les syndicats que comme des instruments devant servir à la destruction de la société capitaliste. Il restait aux économistes réalistes et aux révisionnistes marxistes à affirmer que les syndicats sont capables de relever d'une façon durable les salaires au-dessus du niveau auquel ils seraient restés sans leur intervention. Il est inutile de discuter cette assertion car aucune tentative n'a jamais été faite pour en faire une véritable théorie. Elle est demeurée une simple affirmation qu'on n'a pas cherché à étayer au moyen d'une théorie économique ou d'une preuve quelconque.
La politique syndicale de la grève, de la violence et du sabotage n'a pas apporté la moindre contribution à l'amélioration du sort des travailleurs [11]. Elle a simplement concouru à ébranler dans ses fondements l'édifice que l'économie capitaliste avait construit et dans lequel le sort de tous, y compris celui du travailleur le plus pauvre, allait en s'améliorant de jour en jour. Mais elle n'a pas non plus travaillé dans l'intérêt du socialisme, mais dans celui du syndicalisme.
Lorsque les travailleurs des entreprises dites "non vitales" réussissent à obtenir dans la lutte pour le salaire des avantages qui élèvent leur rémunération à un niveau supérieur à celui résultant de la situation du marché, les effets de ce déséquilibre déclenchent sur le marché des mouvements qui finissent par rétablir l'équilibre rompu.
Mais quand ce sont des travailleurs des entreprises vitales qui imposent par la grève ou la menace de grève un relèvement de leurs salaires ainsi que tous les droits que le reste des travailleurs revendiquent dans la lutte pour le salaire, les choses se présentent différemment. Il serait erroné de dire que ces travailleurs s'assurent ainsi un monopole, car il s'agit ici de tout autre chose que d'un monopole économique. Quand les employés de toutes les entreprises de transport cessent le travail et interdisent à quiconque de s'opposer en quoi que ce soit à leurs desseins, ils s'érigent en tyrans absolus dans le domaine où s'exerce leur action. On peut estimer qu'ils n'usent en fait qu'avec mesure de leur pouvoir, mais cela ne change en rien le fait qu'ils détiennent ce pouvoir. Le pays se trouve alors divisé en deux camps : ceux qui appartiennent aux syndicats des branches vitales de la production et dont la puissance est sans limite et le reste de la population, qui ne comprend plus que des esclaves privés de tout droit. On arrive ainsi à "la domination par la force exercée par les travailleurs absolument indispensables sur les autres classes." [12]
Et puisqu'il est une fois encore question de puissance, qu'il nous soit permis de rechercher à nouveau sur quoi cette puissance comme toute puissance repose. La puissance des travailleurs organisés en syndicats, devant laquelle le monde tremble aujourd'hui, n'a pas des fondements différents de ceux qu'ut de tout temps la tyrannie ; elle aussi n'est que le produit d'idéologies humaines. Pendant des dizaines d'années on a enfoncé dans le cerveau des hommes cette idée que le groupement des travailleurs en syndicats est une chose nécessaire, conforme à l'intérêt de l'individu comme à celui de la collectivité, que seul l'égoïsme criminel des exploitants peut s'aviser de combattre les coalitions, que dans les grèves le droit est toujours du côté des grévistes, qu'il n'existe pas d'action plus déshonorante que celle des briseurs de grève, et que les efforts pour protéger ceux qui veulent travailler sont contraires à l'intérêt de la société. La génération qui a grandi au cours des dernières décades a appris depuis son enfance que le devoir social le plus important était l'adhésion à une organisation syndicale ; elle a été habituée à considérer la grève comme une sorte d'action sainte, une sorte de fête sociale consacrée. Toute la puissance des organisations ouvrières a son origine dans cette idéologie. Elle s'effondrera le jour où la doctrine de l'action bienfaisante du syndicalisme dans la société fera place à d'autres conceptions de ses effets. Aussi comprend-on pourquoi les syndicats les plus puissants sont contraints de n'employer leur force qu'avec circonspection : en abusant de leur puissance ils inciteraient à réfléchir à la nature et aux effets du syndicalisme, à réviser et à condamner les thèses traditionnelles. Mais il en a toujours été et il en sera toujours ainsi de tous les détenteurs du pouvoir et il n'y a rien là qui soit particulier aux syndicats.
Il est bien clair en effet que si l'on s'avisait une bonne fois de soumettre à une critique approfondie le droit des travailleurs des entreprises vitales à faire grève, c'en serait bientôt fait de toute la doctrine syndicaliste et de la prétention d'imposer la grève et ce seraient les associations créées pour faire échec aux grèves, comme par exemple le "Service Public," qui recueilleraient l'approbation que le public réserve aujourd'hui encore aux grévistes. Il se peut que dans les luttes qui pourraient en résulter la société périsse. Mais une chose est certaine, une société qui voudrait réaliser le syndicalisme en se conformant aux conceptions qui ont cours aujourd'hui serait condamnée à se désagréger dans le plus bref délai.
5. L'assurance contre le chômage
L'assistance aux chômeurs s'est révélée comme l'un des moyens les plus efficaces du destructionisme.
L'idée qui a conduit à la création de l'assurance contre le chômage est la même dont procède l'assurance contre la maladie et les accidents. On considère le chômage comme un malheur qui s'abat sur l'individu, comme une avalanche dans la vallée. On ne s'aperçoit pas qu'il serait plus exact de parler de manque de salaire plutôt que de manque de travail, parce que ce qui fait défaut à l'intéressé, ce n'est pas le travail, mais le salaire. Et l'on n'a pas compris que le problème ne réside pas dans le fait que le chômeur ne peut absolument pas trouver de travail mais dans le fait qu'il n'est pas disposé à travailler pour le salaire qu'il pourrait obtenir sur le marché en échange du travail qu'il serait apte et prêt à fournir.
L'assurance contre la maladie et les accidents est déjà rendue aléatoire par le fait que l'assuré peut lui-même provoquer ou aggraver le cas qui met en jeu l'assurance. Mais lorsqu'il s'agit de chômage, l'assurance ne joue jamais que par la volonté de l'assuré. Si ce dernier renonçait à se comporter en membre de syndicat et s'il acceptait d'abaisser ses prétentions, de changer de lieu et de genre de travail selon les exigences du marché, il trouverait de l'ouvrage. Car tant que nous vivrons dans le monde réel et non pas au pays de cocagne, le travail demeurera un bien rare du fait qu'il y aura toujours plus de travail à accomplir que les forces de travail disponibles ne permettront d'en faire. Le chômage est une question de salaire et non de travail. L'assurance contre le chômage est tout aussi irréalisable que le serait par exemple l'assurance contre l'invendabilité des marchandises.
L'expression "assurance contre le chômage" est une expression impropre parce qu'il ne peut pas exister de statistiques capables de fournir la base d'une telle assurance. C'est ce qu'ont reconnu la plupart des États en renonçant, sinon à la lettre de cette expression, du moins à la chose. L'institution ne dissimule plus aujourd'hui son caractère d'assistance. Elle permet aux syndicats de maintenir des salaires tels qu'une partie seulement de ceux qui cherchent du travail peut trouver un emploi. Ainsi c'est à la protection des chômeurs qu'est due l'existence du chômage en tant que phénomène permanent. Et de nos jours toute une série d'États européens consacrent à cette fin des sommes qui excèdent considérablement la capacité des finances publiques.
Le fait qu'il existe dans la majorité des pays un chômage massif permanent est considéré par l'opinion publique comme la preuve que le capitalisme est incapable de résoudre le problème économique et qu'en conséquence l'intervention de l'État, le planisme totalitaire et le socialisme sont nécessaires. Et cet argument semble irréfutable en présence du fait que la seule grande nation qui ne souffre pas du chômage est la Russie communiste. Ce raisonnement est pourtant logiquement très faible. Le chômage existant dans les pays capitalistes est dû en réalité au fait que dans ces pays la politique du gouvernement aussi bien que celle des syndicats tendent à maintenir les salaires à un niveau qui est hors de proportion avec le productivité existante du travail. Il est vrai, dans la mesure où nous pouvons le savoir, que le chômage n'a pas en Russie une grande extension. Mais le standard de vie de l'ouvrier est bien inférieur au standard de vie que procure au chômeur dans les pays capitalistes de l'Occident l'indemnité de chômage. Si les travailleurs de l'Angleterre et du Continent étaient prêts à accepter des salaires, inférieurs sans doute à leurs salaires actuels, mais encore plusieurs fois supérieurs aux salaires des ouvriers russes, ces pays verraient à leur tour disparaître le chômage. L'existence du chômage dans les pays capitalistes n'est pas une preuve de l'insuffisance du système capitaliste, pas plus que l'absence de chômage en Russie n'est une preuve de l'efficacité du système communiste. Mais le fait qu'il existe un chômage massif dans presque tous les pays capitalistes n'en demeure pas moins le danger le plus terrible qui menace l'existence du système capitaliste. La persistance d'un chômage massif sape les bases morales de l'ordre social. Les jeunes gens qui, ayant terminé leur apprentissage, sont contraints de demeurer inactifs, constituent le ferment qui aboutit à la formation des mouvements politiques les plus violents. C'est dans leurs rangs que se recrutent les soldats de la révolution future.
Telle est la tragédie de notre époque. Les partisans du syndicalisme et de la politique des indemnités de chômage estiment de bonne foi que la politique des syndicats constitue le seul moyen d'assurer aux masses le maintien de conditions de vie normales. Ils ne voient pas qu'à la longue tous les efforts tentés pour élever les salaires au-dessus du niveau qui correspond aux conditions du marché, conduisent nécessairement au chômage, et qu'à la longue les indemnités de chômage ne peuvent avoir d'autre effet que de perpétuer le chômage. Ils ne voient pas que les remèdes qu'ils préconisent — indemnités et grands travaux — conduisent à la dissipation du capital et que cette dernière entraîne nécessairement à la fin un abaissement du niveau des salaires. Dans les circonstances actuelles il est clair qu'il serait impossible de réaliser d'un seul coup la suppression de l'indemnité de chômage ou autres mesures de moindre importance (grands travaux, etc.) destinés à venir en aide aux sans-travail. En effet, un des inconvénients principaux de l'interventionnisme sous toutes ses formes est qu'il est très difficile de revenir en arrière parce que la suppression de toute mesure interventionniste soulève des problèmes qu'il est presque impossible de résoudre d'une façon pleinement satisfaisante. Le grand problème qui se pose actuellement à la politique consiste à trouver une voie qui permette de sortir du labyrinthe des mesures interventionnistes. Car tout ce qu'on a fait au cours des dernières années n'a été qu'une série de tentatives destinées à dissimuler les effets d'une politique économique qui a abaissé la productivité du travail. Ce qui est maintenant nécessaire avant tout, c'est le retour à une politique qui assure une plus haute productivité du travail. Cela implique de toute évidence l'abandon de toute la politique du protectionnisme, des droits d'importation et des contingentements. Il faut rendre au travail la possibilité de se déplacer librement d'industrie en industrie et de pays en pays.
La responsabilité des maux qu'entraîne la persistance d'un chômage massif n'incombe pas au capitalisme : elle incombe à la politique qui paralyse son fonctionnement.
6. La Socialisation
Le libéralisme avait fait disparaître les fabriques et autres entreprises d'État. Il n'y avait guère que le service postal qui fît exception au principe général selon lequel les moyens de production devaient être abandonnés à la propriété privée et toute activité économique réservée aux citoyens. Les avocats de l'étatisme se sont donné une peine extrême pour exposer les raisons qui justifient l'étatisation du service postal et service étroitement connexe du télégraphe. Ils invoquèrent en première ligne des motifs politiques. On a coutume en discutant cette question de confondre deux choses qui devraient être considérées séparément : la question de l'unification du service et celle de sa remise aux mains de l'État. Il ne fait aucun doute que le service des postes et télégraphes se prête admirablement à l'unification et que même dans un régime de pleine liberté, il se constituerait rapidement des trusts qui conduiraient à l'établissement d'un monopole de fait, au moins dans des contrées entières. Dans ce domaine plus que dans tout autre, les avantages de la concentration ne signifient nullement qu'il faille accorder à l'État un monopole légal pour toutes les branches de service des postes et télégraphes. Il n'est pas difficile de montrer que la régie d'État donne de mauvais résultats, qu'elle est peu apte à créer un système de transmission des nouvelles adapté aux besoins du commerce et qu'elle ne se résout qu'avec peine à réaliser les améliorations nécessaires. Même dans ce domaine de la vie économique, tous les progrès ont été dus à l'initiative d'entrepreneurs particuliers. La télégraphie terrestre a été réalisée tout d'abord sur une grande échelle par des entreprises particulières. Elle ne fut nationalisée en Angleterre qu'en 1869 et elle est encore aujourd'hui aux États-Unis aux mains de sociétés anonymes. La plus grande partie des câbles sous-marins sont exploités par des entreprises privées. Même l'étatisme allemand a hésité à "affranchir" la télégraphie sous-marine de la collaboration des entreprises privées. Le libéralisme s'est prononcé en principe pour la liberté complète du service des postes et télégraphes et il s'est efforcé avec succès de montrer l'insuffisance de l'exploitation étatiste [13]. Si malgré cela, cette branche de l'exploitation n'a pas été rendue à l'initiative privée, le fait est dû uniquement à ce que les Gouvernements ont besoin de disposer de la poste et de la télégraphie pour dominer l'opinion publique.
Les puissances militaristes, qui étaient toujours prêtes à opposer des obstacles à l'action des entrepreneurs, ont reconnu cependant leur supériorité en les chargeant de la fabrication des armes et des munitions. Les grands progrès de la technique des armements ont commencé au moment où les entreprises privées se sont consacrées à la fabrication du matériel de guerre. L'État n'a pu se refuser à constater que l'entrepreneur fabrique des armes meilleures que le fonctionnaire ; la preuve en avait été administrée sur les champs de bataille d'une façon si péremptoire que les partisans les plus entêtés de la régie d'État avaient dû se laisser convaincre. Les arsenaux et les chantiers maritimes d'État ont au cours du XIXe siècle totalement disparu ou ont été transformés en simples magasins. Des entreprises privées ont pris leur place. Les écrivains et les parlementaires, partisans de l'étatisation de l'industrie, n'ont obtenu que peu de succès, même dans la période florissante de l'étatisme dans les années qui ont précédé immédiatement la guerre. C'est que les états-majors appréciaient comme il convenait la supériorité des entreprises privées.
Pour des raisons financières on n'a pas supprimé à l'époque libérale les monopoles fiscaux qui avaient existé de tout temps. Ces monopoles subsistèrent parce qu'ils constituaient un moyen fructueux de prélever des impôts de consommation. On ne se faisait d'ailleurs pas d'illusion sur la valeur médiocre des exploitations d'État, par exemple de la régie des tabacs. Mais avant que le libéralisme fût parvenu à faire triompher ses principes dans ce domaine comme dans les autres, le socialisme avait déjà inauguré un mouvement de régression.
Les idées qui ont inspiré les premières nationalisations et municipalisation modernes n'étaient pas encore imprégnées du socialisme moderne. Au début de ce mouvement les vieilles idées de "l'État Gendarme" et des considérations purement politiques et militaires ont joué un grand rôle. Mais bientôt l'idéologie socialiste passa au premier plan. États et municipalités pratiquèrent alors sciemment la socialisation. A bas l'exploitation privée contraire à une saine économie, à bas l'entreprise, tel fut le mot d'ordre.
L'infériorité de l'exploitation socialiste au point de vue économique n'exerça d'abord que peu d'influence sur le développement de l'étatisation et de la municipalisation. La voix de ceux qui s'efforçaient de mettre en garde contre leurs dangers ne fut pas écoutée ; elle était étouffée par les menées bruyantes et pressantes des étatistes, des socialistes et des nombreux éléments qui espéraient réaliser un profit particulier. On ne voulait pas voir les défauts des exploitations en régie et c'est pourquoi on ne les voyait pas. Le zèle des adversaires de la propriété privée ne rencontrait qu'un obstacle : les difficultés financières avec lesquelles un grand nombre d'entreprises publiques se trouvaient aux prises. Il n'était pas possible pour des raisons politiques de faire supporter entièrement aux consommateurs les frais plus élevés de la régie et c'est pourquoi bien souvent les résultats étaient déficitaires. On se consolait en affirmant que les avantages économiques et sociaux que présentait au point de vue général l'exploitation par l'État ou les municipalités constituaient une compensation suffisante, mais on était cependant contraint d'observer une certaine modération dans la pratique de la politique étatiste. La partialité des économistes qui traitaient ces problèmes dans leurs écrits se manifestait surtout dans leurs refus de reconnaître que les causes de l'échec financier des entreprises en régie résidaient dans la mauvaise gestion des exploitations. Ils cherchaient toujours à en rejeter la responsabilité sur des circonstances particulières, accusant l'insuffisance du personnel dirigeant et les défauts de l'organisation et l'on citait toujours comme l'exemple le plus éclatant d'une bonne administration celle des chemins de fer prussiens. Il est exact que les chemins de fer prussiens ont produit des excédents notables. Mais il y avait à cela des raisons particulières. La Prusse a acquis la plus grande partie de son réseau d'État peu après 1880, c'est-à-dire à une époque où les prix étaient particulièrement bas. Dans l'ensemble elle a développé et étendu son réseau également avant le formidable essor de l'économie allemande qui se produisit vers la fin du XIXe siècle. Aussi n'est-il pas surprenant que ces chemins de fer dont le trafic croissait d'année en année sans qu'ils aient rien à faire pour cela, dont les lignes traversaient des plaines et qui avaient partout le charbon à proximité aient pu, grâce à des conditions favorables, réaliser des bénéfices. Il en fut de même pour les services de gaz, d'eau, d'éclairement et de tramways de quelques grandes villes. La conclusion qu'on a voulu tirer de ces faits était entièrement erronée.
Dans l'ensemble le résultat des étatisations et municipalisations fut qu'on dut subventionner les services au moyen de l'argent des contribuables. C'est pourquoi l'on peut affirmer en toute assurance que jamais formule à effet ne fut lancée à un moment aussi inopportun que celle de Goldscheid qui parla de la victoire sur l'État fiscal. Les difficultés financières où les États se trouvèrent précipités par la guerre et ses suites ne sauraient être surmontées selon Goldscheid par les vieilles méthodes de la politique financière. Le rendement des impôts prélevés sur l'économie privée se tarit. Aussi doit-on arracher à l'économie privée pour la rendre à l'État la propriété des entreprises capitalistes afin de lui permettre de couvrir les dépenses de ses propres exploitations au moyen du bénéfice de ces entreprises [14]. C'est proprement renverser l'ordre des choses. Les difficultés financières proviennent précisément de ce fait que les subventions considérables exigées par les exploitations socialisées ne peuvent plus être fournies par l'impôt. Lorsqu'on aura socialisé toutes les entreprises, la mal aura sans doute changé d'aspect, mais, loin de l'avoir fait disparaître, on l'aura aggravé. L'infériorité de rendement des entreprises publiques ne sera sans doute plus visible dans un bilan de l'exploitation d'État. Mais les besoins de la population seront moins bien satisfaits. L'indigence et la misère, loin de diminuer, grandiront. Goldscheid veut pousser la socialisation jusqu'au bout pour remédier à la détresse des finances de l'État. Mais cette détresse provient précisément de ce que la socialisation a été poussée trop loin. Elle ne peut disparaître que si l'on prend à la propriété privée les exploitations socialisées. Le socialisme en est arrivé à un point où l'impossibilité technique de sa réalisation apparaît partout et où les plus aveugles doivent s'apercevoir qu'il conduit à la décadence de toute civilisation. Ce n'est pas la résistance de la bourgeoisie qui a fait échouer en Europe Centrale les tentatives qui ont été faites pour réaliser d'un seul coup une socialisation complète. C'est le fait que toute socialisation nouvelle est apparue irréalisable du seul point de vue financier. La socialisation systématique posément conçue telle que les gouvernements et les communes l'avaient pratiquée avant la guerre avait dû s'arrêter parce qu'on pouvait alors calculer aisément les résultats auxquels elle aboutissait. La tentative de ses partisans pour la recommander sous un nouveau nom qui fut faite en Allemagne et en Autriche par les commissions de socialisation ne pouvait dans ces conditions obtenir aucun succès. Pour poursuivre la socialisation, il fallait recourir à d'autres moyens. Il fallait faire taire la raison qui mettait en garde contre telle nouvelle régression sur cette voie dangereuse. Il fallait se débarrasser de la critique en faisant appel à l'enthousiasme et au fanatisme ; il fallait tuer l'adversaire pour n'avoir plus à redouter la contradiction. Les méthodes des bolcheviques et de Spartacus étaient les seules auxquelles le socialisme pouvait encore recourir. Elles sont en ce sens l'aboutissement de la politique du destructionisme.
7. La politique fiscale
Pour le libéralisme qui n'assigne à l'État qu'une seul tâche, celle d'assurer la sécurité de la personne et de la propriété des citoyens, c'est un problème de peu d'importance que de rassembler les moyens nécessaires à la gestion des affaires publiques. Les dépenses qu'exige l'administration d'une communauté régie suivant les principes libéraux sont si faibles par rapport à l'ensemble du revenu national que les moyens employés à leur couverture importent peu. Lorsque les écrivains libéraux de ce temps recherchent quel est le meilleur système d'impôts, ils le font parce qu'ils souhaitent que tous les détails de l'organisation sociale soient réglés de la manière la mieux appropriée et non pas parce qu'ils estiment que le problème des finances de l'État soit un des principaux problèmes qui se posent pour la société. Ils doivent aussi tenir compte de ce fait que l'idéal libéral n'est réalisé nulle part sur la terre et qu'il n'y a pas grand espoir de le voir réaliser bientôt intégralement. Ils distinguent partout les germes puissants d'un libéralisme en voie de développement, l'avenir lointain appartient selon eux au libéralisme, mais les puissances du passé sont encore assez fortes pour retarder les progrès du libéralisme sans cependant réussir à arrêter sa marche ou à l'anéantir. On rencontre encore partout des plans impérialistes, des armées permanentes, des traités secrets, des guerres, des barrières douanières, des réglementations multiples dans le commerce et l'industrie, bref l'interventionnisme sous toutes ses formes dans la politique intérieure et extérieure. C'est pourquoi on doit s'accommoder pour quelque temps encore de dépenses considérables pour des fins étatistes. Sans doute les questions fiscales n'auront qu'une importance secondaire dans l'État libéral pur auquel il faut tendre. Mais, pour l'État autoritaire au sein duquel les politiciens libéraux doivent encore agir dans le présent, il est nécessaire de leur accorder la plus grande attention. Les hommes d'États libéraux recommandent en premier lieu la limitation des dépenses de l'État. Mais comment ils ne réussissent pas à l'imposer pleinement, ils sont contraints de rechercher de quelle manière l'État peut se procurer les ressources dont il a besoin en faisant à l'économie le moins de mal possible.
On se trompe sur le sens véritable des projets fiscaux du libéralisme quand on oublie que les politiciens libéraux considèrent tout impôt comme un mal, inévitable d'ailleurs dans une certaine mesure et qu'ils partent de l'hypothèse que l'on doit de toute évidence s'efforcer à réduire au minimum les dépenses de l'État. Lorsqu'ils recommandent un impôt déterminé ou, pour parler plus exactement, lorsqu'ils déclarent que tel impôt est moins nuisible que d'autres ils ne songent toujours qu'à en tirer un rendement relativement faible. Un taux bas des impôts est une partie intégrante de tout programme fiscal libéral. Ainsi seulement s'explique que les libéraux se soient accommodés de l'impôt sur le revenu qu'ils avaient d'abord soumis à une critique sévère. Ainsi seulement s'explique qu'ils aient accepté de modestes exonérations à la base ou des taux réduits pour les petits revenus [15].
Le programme financier des socialistes n'est lui aussi qu'un programme provisoire, valable seulement pour la période de transition. Dans l'État socialiste où tous les moyens de production appartiennent à la société et où tous les revenus passent d'abord par les mains de l'État, il n'existe pas de problèmes financiers et fiscaux au sens où ils se posent dans la société fondée sur la propriété privée. Même les formes de communauté socialiste qui, comme le socialisme d'État, laissent subsister le nom et les apparences de la propriété privée, n'auraient pas au sens propre à lever d'impôts, même si elles conservaient le nom et la forme juridique de l'impôt. Il leur appartiendra de décider quelle part du revenu social, dans les différentes branches en apparence autonomes de l'ensemble de l'organisation économique, doit rester entre les mains du propriétaire nominal et quelle part doit revenir à l'État. Mais là non plus il ne serait pas question d'une fiscalité se proposant des interventions déterminées dans les différentes branches de l'économie, mais laissant au marché le soin d'en développer les effets sur les prix des marchandises et des salaires, sur le profit de l'entrepreneur, l'intérêt et la rente. Il n'existe de problèmes financiers et politiques fiscaux que là où règne la propriété privée des moyens de production.
Mais les socialistes, eux aussi, en raison de la durée de la période de transition sont amenés à s'occuper sans cesse davantage des problèmes financiers et fiscaux de la société capitaliste. Ils y sont contraints d'autant plus impérieusement que tous leurs efforts tendent à accroître le rôle et par là même les dépenses de l'État. Ils sont ainsi amenés à se préoccuper de l'augmentation des revenus de l'État. La politique socialiste devient le facteur déterminant de l'accroissement des dépenses de l'État ; les revendications socialistes jouent un rôle décisif dans la politique fiscale. Dans le programme socialiste lui-même, la politique financière prend de plus en plus la première place. Tandis que le programme libéral posait en principe que le taux des impôts doit être bas, les socialistes au contraire considèrent qu'un impôt est d'autant meilleur qu'il rend davantage.
La contribution de l'économie politique classique à la théorie des effets de l'impôt est considérable ; on est contraint de le reconnaître en dépit de toutes les faiblesses dues aux insuffisances de la théorie de la valeur qui sert de base à ses recherches. Les études remarquables que Ricardo a consacrées à cette question ont servi de point de départ à la critique que les politiciens libéraux ont faite de l'état de choses et aux réformes qu'ils ont proposées. Les politiciens socialistes se sont simplifié la tâche. Ils n'ont apporté aucune idée nouvelle et ils se sont contentés d'emprunter aux écrits des classiques des remarques fragmentaires en particulier sur les effets des impôts de consommation lorsque ces remarques pouvaient servir les besoins de leur politique quotidienne. Ils se construisaient un système grossier qui ne touchait jamais aux problèmes véritables mais que sa simplicité rendait accessible aux masses. Les impôts doivent être payés par les riches, les entrepreneurs, les capitalistes, en un mot par les autres ; les travailleurs, c'est-à-dire les électeurs dont le vote seul importe doivent en être exempts. Tous les impôts de consommation qui frappent les masses — même l'impôt sur les boissons alcooliques — doivent être écartés parce qu'ils accablent le peuple. Les impôts directs ne seront jamais assez élevés pourvu que le revenu et la propriété des travailleurs demeurent libres de toute charge. Pas un instant, les partisans de cette politique fiscale populaire ne songent que des impôts directs et des taxes sur le commerce pourraient entraîner par incidence un abaissement du niveau de vie des couches sociales dont ils se targuent de défendre les prétendus intérêts particuliers. On se demande rarement si les entraves apportés à la formation du capital par les impôts sur la propriété ne sont pas également dommageables pour les membres non possédants de la société. La politique fiscale se transforme sans cesse davantage en une politique de confiscation. Elle n'a plus d'autre objet que d'atteindre pour les anéantir par l'impôt toutes les formes de fortune et de revenu, à l'exception des salaires, en s'attaquant d'ailleurs en règle générale avec plus de violence aux capitaux mobiliers qu'à la propriété foncière. La politique fiscale devient l'instrument préféré de l'interventionnisme. Les lois fiscales n'ont plus pour but exclusif ou principal l'augmentation des revenus de l'État. Elles visent d'autres fins que le rendement fiscal. Le point de vue financier passe ainsi à l'arrière-plan. On établit des impôts qui apparaissent comme une pénalisation infligée à une activité considérée comme nuisible ; l'impôt sur les grands magasins est destiné à leur rendre difficile la concurrence qu'ils font aux petites boutiques, les impôts sur les opérations de bourse à empêcher la spéculation. Les taxes deviennent si nombreuses et si variées que toute initiative en affaire doit être envisagée d'abord du point de vue fiscal. De nombreux projets économiques doivent être abandonnés parce que leur réalisation augmenterait la charge de l'impôt à tel point qu'ils ne laisseraient plus aucun bénéfice. C'est ainsi que la création, l'exploitation, la fusion et la dissolution des sociétés par actions ont été dans maints États frappés d'impôts si lourds que le développement des sociétés anonymes en a été considérablement entravé.
Il n'est pas aujourd'hui de moyen plus propre à assurer la popularité d'un démagogue que de réclamer sans cesse des impôts plus vigoureux sur les riches. Les impôts sur le capital et les taxes sur les gros revenus sont particulièrement bien vus des masses qui n'ont pas à les payer. Les fonctionnaires chargés de les établir et de les percevoir s'acquittent de leur tâche avec un véritable enthousiasme ; ils s'appliquent inlassablement par une interprétation arbitraire de la loi à aggraver les obligations des contribuables. La politique fiscale destructioniste trouve son couronnement dans le prélèvement sur le capital. Une partie du capital est expropriée pour être consommée. Le capital est transformé en bien d'usage et en bien de consommation. On en voit aisément les conséquences. Et pourtant toute la politique fiscale populaire de notre époque aboutit à ce résultat.
Les prélèvements sur le capital opérés par la voie de l'impôt n'ont rien de spécifiquement socialiste et ne constituent pas un moyen de réaliser le socialisme. Ils ne conduisent pas à la socialisation des moyens de production, mais à la consommation du capital. Ce n'est qu'à l'intérieur d'un système socialiste qui conserve le nom et les apparences de la propriété privée qu'ils deviennent un élément du socialisme. Dans "le socialisme de guerre," ils sont venus compléter la contrainte exercée par l'État sur l'économie et ont contribué avec elle à donner au système un caractère socialisant [16]. Dans un système socialiste où la collectivisation des moyens de production est réalisée même dans la forme, il ne saurait de toute évidence exister aucun impôt sur le revenu ou la propriété. Le fait que la collectivité socialiste prélève des taxes sur ses membres ne modifie en rien le caractère de la propriété des moyens de production.
Marx s'est montré hostile aux efforts faits pour transformer l'ordre social par des mesures fiscales. Il a déclaré avec force qu'une simple réforme fiscale ne saurait remplacer le socialisme [17]. Ses idées sur les effets de l'impôt dans le cadre de la société capitaliste diffèrent également de celles du socialisme populaire. Il remarque en passant qu'il est "véritablement absurde" de prétendre que "l'impôt sur le revenu n'atteint pas les travailleurs." "Dans la société actuelle où travailleurs et entrepreneurs s'opposent, la bourgeoisie se tire le plus souvent sans dommage d'une augmentation des impôts en abaissant les salaires ou en relevant les prix." [18] Mais le Manifeste Communiste avait déjà réclamé "un lourd impôt progressif" et le parti social-démocrate a toujours été partisan de la fiscalité la plus radicale. Dans le domaine de la politique fiscale comme ailleurs, ce parti a évolué vers le destructionisme.
8. L'inflation
L'inflation est le dernier mot du destructionisme. Les bolcheviques, avec l'habileté incomparable dont il font preuve pour revêtir leur haine d'une forme rationnelle et pour transformer leurs défaites en victoires, ont fait de l'inflation une politique financière destinée à détruire le capitalisme en détruisant la monnaie. Mais si l'inflation détruit bien le capitalisme, elle ne supprime pas la propriété privée. Elle entraîne de grands changements dans les fortunes et les revenus, elle peut mettre en pièces tout le mécanisme délicat de la production fondée sur la division du travail ; elle peut, si elle ne réussit pas à conserver l'emploi de la monnaie métallique ou tout au moins le troc, entraîner un retour à une économie sans échanges, mais elle ne peut rien créer, pas même une société socialiste.
En détruisant la base du calcul des valeurs, c'est-à-dire la possibilité de compter au moyen d'un dénominateur commun des prix qui ne soit pas trop instable au moins pendant un certain temps, l'inflation ruine la comptabilité monétaire qui est l'auxiliaire technique le plus puissant que la pensée ait apporté à l'économie. tant qu'elle ne dépasse pas certaines limites, elle est un excellent soutien psychologique pour une politique économique vivant de la dilapidation du capital. Dans la comptabilité capitaliste usuelle, et qui d'ailleurs la seul possible, elle donne l'illusion de bénéfices là où il y a en réalité des pertes. L'amortissement des immobilisations devient trop faible parce qu'il est calculé sur la valeur nominale d'acquisition, tandis que le capital en circulation subit une augmentation de valeur apparente que la comptabilité enregistre comme si elle était réelle : ainsi apparaissent des bénéfices là où une comptabilité en monnaie stable aurait accusé des pertes [19]. Un tel procédé ne suffit pas à remédier aux conséquences néfastes de la politique étatiste de la guerre et de la révolution, mais il permet de les dissimuler aux yeux de la foule. On parle de bénéfices, on s'imagine vivre dans une période d'essor économique, on vient à faire l'éloge d'une politique qui enrichit tout le monde.
Mais lorsque l'inflation dépasse un certain niveau, le tableau change. L'inflation ne se borne plus à favoriser indirectement la destruction en masquant les conséquences de la politique destructioniste ; elle devient elle-même l'un des instruments essentiels du destructionisme. elle conduit chaque individu à dévorer son patrimoine ; elle entrave la formation de l'épargne et par là le renouvellement du capital. Elle favorise une politique fiscale de confiscation. La dépréciation monétaire entraîne un relèvement de la valeur nominale des objets et par son action sur l'évaluation comptable des modifications du capital elle fait apparaître des augmentations de revenu et de capital qui justifient de nouveaux prélèvements sur la fortune des possédants. Les bénéfices élevés réalisés en apparence par les entrepreneurs aux yeux d'une comptabilité qui suppose la monnaie stable, constituent un excellent moyen pour déchaîner les passions populaires. Il devient facile d'accuser tous les entrepreneurs d'être des profiteurs, des spéculateurs, des parasites. Et quand finalement sous l'avalanche grossissante des émissions de billets, la monnaie s'effondre complètement il en résulte un chaos qui fournit l'occasion favorable pour achever l'oeuvre de destruction.
La politique destructioniste de l'interventionnisme et du socialisme ont plongé le monde dans une grande détresse. Les politiciens assistent désemparés à la crise qu'ils ont provoquée et ils ne trouvent à recommander d'autre remède qu'une nouvelle inflation ou, comme on se plaît à le dire depuis quelque temps, la redéflation. L'économie doit être remise en mouvement par des crédits bancaires supplémentaires (c'est-à-dire par la mise en circulation de nouveaux crédits) demandent les plus modérés, par l'émission de nouveaux billets, souhaitent les plus téméraires.
Mais la multiplication des signes monétaires et des crédits en circulation ne rendra pas le monde plus riche et ne reconstruira pas ce que le destructionisme a détruit. L'élargissement du crédit provoque, il est vari, au début un essor des affaires, une conjoncture favorable. Mais tôt ou tard cette conjoncture doit nécessairement conduire à un effondrement e aboutir à une nouvelle dépression. Les artifices de la politique bancaire et cambiste ne peuvent provoquer qu'une amélioration passagère et apparente et la catastrophe inévitable qui suit n'en est que plus pénible. Car les dommages que l'emploi de tels moyens cause au bien-être général sont d'autant plus grands qu'on a réussi à prolonger plus longtemps les apparences de la prospérité par la création continue de nouveaux crédits [20].
9. Marxisme et destructionisme
Le socialisme n'a pas voulu de propos délibéré la destruction de la société, il pensait créer une forme de société supérieure, mais, une société socialiste étant impossible, chaque pas fait pour en hâter l'avènement exerce une action destructrice sur la société.
L'histoire du socialisme marxiste montre plus clairement que toute autre que toute politique socialiste doit nécessairement aboutir au destructionisme. Le marxisme avait déclaré que le capitalisme constituait le stade préliminaire inévitable du socialisme et il n'attendait l'avènement de la société nouvelle que comme la conséquence du capitalisme parvenu à sa maturité. Si l'on se place au point de vue de cette partie de la doctrine de Marx — à côté de laquelle à la vérité il a exposé des théories tout à fait différentes et absolument contradictoires — la politique de tous les partis qui se recommandent de Marx apparaît comme n'étant en aucune façon marxiste. Les marxistes auraient dû combattre tout ce qui pouvait entraver de quelque manière l'évolution du capitalisme ; ils auraient dû se dresser contre les syndicats et leurs méthodes de lutte, contre les lois de protection du travail, contre l'assurance sociale, contre les impôts sur la propriété ; ils auraient dû combattre la législation qui frappe les opérations de bourse, les prix taxés, la politique hostile aux cartels et aux trusts, l'inflation. Or, ils ont fait tout le contraire, ils se sont bornés à répéter de temps en temps les jugements de Marx sur la politique petite bourgeoise sans jamais en tirer les conséquences qu'ils comportent. La politique des marxistes qui prétendait à ses débuts se différencier radicalement des autres partis qui prônent l'idéal économique antérieur à l'ère capitaliste a fini par aboutir à un point de vue identique au leur.
La lutte des marxistes contre les partis qui se qualifient pompeusement d'anti-marxistes est en effet menée de part et d'autre avec un tel acharnement et avec une telle abondance d'expressions énergiques qu'on serait facilement tenté de croire qu'entre ces tendances il existe en toutes choses une opposition irréductible. En réalité il en va tout autrement. L'une et l'autre tendance — le marxisme comme le national-socialisme — se rencontrent dans une hostilité commune à l'égard du libéralisme et dans la répudiation de l'ordre social capitaliste. Toutes deux veulent lui substituer une société socialiste. La seule différence entre leurs programmes consiste en ceci que l'image que les marxistes se font de la société future diffère par certains points qui, nous pourrions le montrer, ne sont pas essentiels, de l'idéal du socialisme d'État qui est aussi l'idéal des nationaux socialistes. Les nationaux socialistes donnent le premier rang dans leur agitation à d'autres revendications que les marxistes : lorsque les marxistes parlent d'enlever au travail son caractère de marchandise, les nationaux socialistes parlent de briser l'esclavage de l'intérêt ; lorsque les marxistes rendent les capitalistes responsables de tous les mots, les nationaux socialistes croient s'exprimer de façon plus concrète en criant : "mort aux Juifs !" [21]
Ce qui sépare le marxisme, le national-socialisme et les autres parti anti-capitalistes, ce ne sont pas seulement, il est vrai, des hostilités de clans, des différences d'humeur ou des oppositions personnelles, des mots te des formules, ce sont aussi des questions touchant la métaphysique et la conception de la vie. Mais dans tous les problèmes décisifs concernant l'organisation de la société, ils sont tous d'accord : ils repoussent la propriété privée des moyens de production et aspirent à créer un ordre social fondé sur l'économie collective. Les chemins qu'ils suivent pour parvenir à ce but commun ne se confondent pas il est vrai dans tout leur parcours mais lorsqu'ils s'écartent ils demeurent très voisins.
On ne doit pas s'étonner qu'en dépit de cette parenté ces partis se combattent avec acharnement. Dans toute communauté socialiste le sort des minorités politiques serait insupportable. Qu'adviendrait-il des nationaux-socialistes sous la domination des bolchéviques ou des bolchéviques sous la domination des nationaux-socialistes ?
Les formules, les drapeaux et les insignes dont se servent les partisans de la politique destructioniste ne changent en rien ses effets. Que ce soient des hommes de droite ou des hommes de gauche qui soient au pouvoir, l'avenir est toujours sacrifié sans scrupules au présent, toujours on s'efforce de maintenir debout le système en dévorant le capital tant qu'il reste quelque chose à dévorer [22].
Notes
[1] Voyez la critique de cette légende dans Hutt, op. cit., pp. 91 sqq.
[2] Brentano qui, par ailleurs, exagère démesurément les effets de la protection légale du travail, est obligé lui-même de le reconnaître : "La machine imparfaite avait remplacé le père de famille par le travail de l'enfant... La machine parvenue à son développement complet charge à nouveau le père de famille du soin de nourrir les siens et renvoie les enfants à l'école... Avec elle des travailleurs adultes redeviennent nécessaires, des travailleurs qui soient capables, grâce à des conditions d'existence meilleures, de satisfaire aux exigences accrues des machines." (Cf. Brentano, Über das Verhältnis von Arbeitslohn und Arbeitszeit zur Arbeitsleistung, 2e édition, Leipzig, 1893, p. 43).
[3] Cf. Brentano, op. cit., pp. 11, 23 sqq. ; Brentano, Arbeitszeit und Arbeitslohn nach dem Kriege, iéna, 1919, p. 10 ; Stucken, Theorie der Lohnsteigerung (Schmollers Jahrbuch, 45e année, pp. 1152 sqq.).
[4] Cf. Die Inauguraladresse der Internationalen Arbeiterassoziation, édité par Kautsky, Stuttgart, 1922, p. 27.
[5] Cf. Engels, Die Lage der arbeitenden Klasse in England, 2e édition, Suttgart, 1892, p. 178.
[6] Cf. Ibid., p. 297.
[7] Cf. Engels, Die englische Zehnstundenbill (Aus dem literarischen Nachlass von Karl Marx, Friedrich Engels und Ferdinand Lassalle, op. cit., t. III, p. 393.)
[8] Cf. Liek, Der Art und seine Sendung, 4e édit., Munich, 1927, p. 54, et Liek, Die Schäden der sozialen Versicherungen, 2e édit., Munich, 1928, pp. 17 sqq. ; ainsi qu'une littérature médicale qui s'augmente chaque jour.
[9] Ce discours, traduit en allemand par Bernstein, a été publié sous le titre Lohn-Preis und Profit. Les citations sont empruntées à la 3e édition parue à Francfort en 1910.
[10] Cf. Ibid., p. 46.
[11] Cf. Adolf Weber, Der Kampf zwischen Kapital und Arbeit, 3e et 4e édit., Tübingen, 1921, pp. 384 sqq. ; Robbins, Wages, Londres, 1926, pp. 58 sqq. ; Hutt, The Theory of Collective Bargaining, Londres, 1930, pp. 1 sqq. ; et ma Kritik des Interventionismus, Iéna, 1929, pp. 12 sqq. ; 79 sqq. ; 133 sqq.
[12] Cf. Kautsky, cité par Dietzel, Ausbeutung der Arbeiterklasse durch Arbeitergruppen ("Deutsche Arbeit", 4e année, 1919, pp. 145 sqq).
[13] Cf. Millar, The Evils of State Trading as illustrated by the Post Office (A Plea for Liberty, édité par Mackay, 2e édition, Londres, 1891, pp. 305 sqq.)
[14] Cf. Goldscheid : Staatssozialismus oder Staatskapitalismus, Vienne, 1917 ; du même : Sozialisierung der Wirtschaft oder Staatsbankerott, Vienne, 1919. En sens contraire : Schumpeter, Die Krise des Steuerstaates, Graz et Leipzig, 1918.
[15] Sur l'hostilité des libéraux à l'égard des impôts progressifs, cf. Thiers, De la propriété, Paris, 1848, pp. 352 sqq.
[16] Cf. Nation, Staat und Wirtschaft, pp. 134 sqq. dans mes explications sur ce point.
[17] Cf. Mengelberg, Die Finanzpolitik der sozialdemokratischen Partei in ihren Zusammenhängen mit dem sozialistischen Staatsgedanken, Mannheim, 1919, pp. 30 sqq.
[18] Cf. Marx-Engels, Gesammelte Schriften, 1852-62, édit. par Rjasanoff, Stuttgart, 1917, t. I, p. 127.
[19] Cf. mes explications dans Nation, Staat und Wirtschaft, o.c., p. 129. Depuis il est paru un grand nombre d'études sur cette question.
[20] Cf. mes livres : Theorie des Geldes und der Umlaufsmittel, 2e éd., Munich, 1924, pp. 347 sqq. ; Geldwertstabilisierung und Konjunkturpolitik, Iéna, 1928, pp. 43 sqq.
[21] En ce qui concerne la critique des doctrines du national-socialisme, cf. ma Kritik des Interventionismus, Iéna, 1929, pp. 91 sqq. ; Karl Wagner, Brechung der Zinsknechtschaft (Jahrbücher für Nationalökonomie und Statistik, III. Serie, t. 79, pp. 790 sqq.)
[22] La meilleure description de destructionisme qui ait été donnée se trouve dans le tableau que Stourm a donné de la politique financière des Jacobins. "L'esprit financier des Jacobins consiste exclusivement en ceci : épuiser à outrance le présent en sacrifiant l'avenir. Le lendemain ne compta jamais pour eux ; les affaires furent menées chaque jour comme s'il s'agissait du dernier : tel fut le caractère distinctif de tous les actes de la révolution, tel est aussi le secret de son étonnante durée : La dépréciation quotidienne des réserves accumulées chez une nation riche et puissante fit surgir des ressources inattendues dépassant toute prévision." la suite s'applique mot pour mot à la politique d'inflation de l'Allemagne à partir de 1923 : "Les assignats, tant qu'ils valurent quelque chose, si peu que ce fût, inondèrent le pays en quantités sans cesse progressives. La perspective de la faillite n'arrêta pas un seul instant les émissions ; elles ne cessèrent que sur le refus absolu du public d'accepter même à vil prix n'importe quelle sorte de papier monnaie." Stourm, Les finances de l'ancien régime et de la Révolution, Paris, 1885, tome II, p. 388.