Jean-Baptiste Say:Traité d'économie politique - Livre I - Chapitre XX

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Jean-Baptiste Say:Traité d'économie politique - Livre I - Chapitre XX


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Livre Premier
Chapitre XX - Des voyages et de l'expatriation par rapport à la richesse nationale.


Lorsqu'un voyageur étranger arrive en France, et qu'il y dépense dix mille francs, il ne faut pas croire que la France gagne dix mille francs. Elle donne à l'étranger des produits pour la somme qu'elle reçoit de lui. Elle fait avec lui un échange qui peut être avantageux pour elle ; c'est un commerce où elle est payée comptant, où elle rentre plus promptement peut-être dans ses avances que de toute autre manière ; mais ce n'est rien autre chose qu'un commerce, même lorsqu'on lui donne de l'or.

On n'a pas jusqu'à présent considéré la chose sous ce point de vue. Partant toujours de ce principe, que la seule valeur réelle est celle qui se montre sous la forme d'un métal, on voyait à l'arrivée d'un voyageur une valeur de dix mille francs apportée en or ou en argent, et l'on appelait cela un gain de dix mille francs ; comme si le tailleur qui habillait l'étranger, le bijoutier qui le décorai, le traiteur qui le nourrissait, ne lui fournissaient aucune valeur en échange de son argent, et faisaient un profit égal au montant de leurs mémoires.

L'avantage qu'un étranger procure est celui qu'on retire de toute espèce d'échange, c'est-à-dire de produire les valeurs qu'on reçoit en retour, par des procédés plus avantageux que si on les produisait directement. Il n'est point à dédaigner ; mais il est bon de le réduire à sa juste valeur, pour se préserver des folles profusions au prix desquelles on s'est imaginé qu'on devait l'acheter.

Un des auteurs les plus vantés pour les matières commerciales, dit que « Les spectacles ne sauraient être trop grands, trop magnifiques et trop multipliés ; que c'est un commerce où la France reçoit toujours sans donner ». Ce qui est à peu près le contraire de la vérité ; car la France donne, c'est-à-dire, perd la totalité des frais de spectacle, qui n'ont d'autre avantage que le plaisir qu'ils procurent, et qui ne fournissent, en remplacement des valeurs qu'ils consomment, aucune autre valeur. Ce peuvent être des choses fort agréables comme amusements, mais ce sont assurément des combinaisons fort ridicules comme calcul. Que penserait-on d'un marchand qui ouvrirait un bal dans sa boutique, paierait des bateleurs, et distribuerait des rafraîchissements, pour faire aller son commerce ?

D'ailleurs, est-il bien sûr qu'une fête, un spectacle, quelque magnifiques qu'on les suppose, amènent beaucoup d'étrangers du dehors ? Les étrangers ne sont-ils pas plutôt attirés, ou par le commerce, ou par de riches trésors d'antiquités, ou par de nombreux chefs-d'œuvre des arts qui ne se trouvent nulle part ailleurs, ou par un climat, des eaux singulièrement favorables à la santé, ou bien encore par le désir de visiter des lieux illustrés par de grands événements, et d'apprendre une langue fort répandue ? Je serais assez tenté de croire que la jouissance de quelques plaisirs futiles n'a jamais attiré de bien loin beaucoup de monde.

Un spectacle, une fête, font faire quelques lieues, mais rarement font entreprendre un voyage. Il n'est pas vraisemblable que l'envie de voir l'opéra de Paris soit le motif pour lequel tant d'allemands, de russes, d'anglais, d'italiens, viennent visiter en temps de paix cette grande capitale, qui, heureusement, a de bien plus justes droits à la curiosité générale. Les espagnols regardent leurs combats de taureaux comme excessivement curieux ; cependant je ne pense pas que beaucoup de français aient fait le voyage de Madrid pour en avoir le divertissement. Ces sortes de jeux sont fréquentés par les étrangers qui sont attirés dans le pays pour d'autres causes, mais ce n'est pas celle-là qui détermine leur déplacement.

Les fêtes si vantées de Louis XIV avaient un effet encore plus fâcheux. Ce n'était pas l'argent des étrangers qu'elles faisaient dépenser, c'était celui des français qui arrivaient des provinces pour dissiper en quelques jours ce qui aurait pu faire subsister leur famille pendant une année. De sorte que les français y perdaient ce qui y était dépensé par les mains du roi, et dont la valeur avait été levée par la voie des contributions, et ce qui y était dépensé par les mains des particuliers. On y perdait le principal des choses consommées, pour faire gagner à quelques marchands leurs profits sur ce principal ; profits qu'ils auraient faits tout de même, en donnant un cours plus utile à leurs capitaux et à leur industrie.

Une acquisition vraiment profitable pour une nation, c'est celle d'un étranger qui vient s'y fixer en apportant avec lui sa fortune. Il lui procure à la fois deux sources de richesses : de l'industrie et des capitaux. Cela vaut des champs ajoutés à son territoire ; sans parler d'un accroissement de population précieux quand il apporte en même temps de l'affection et des vertus. « À l'avènement de Frédéric-Guillaume à la régence, dit le roi de Prusse dans son histoire de Brandebourg , on ne faisait dans ce pays ni chapeaux, ni bas, ni serges, ni aucune étoffe de laine. L'industrie des Français nous enrichit de toutes ces manufactures. Ils établirent des fabriques de draps, d'étamines, de petites étoffes, de bonnet, de bas tissus au métier ; des chapeaux de castor, de poil de lapin et de lièvre ; des teintures de toute espèce. Quelques-uns de ces réfugiés se firent marchands, et débitèrent en détail l'industrie des autres. Berlin eut des orfèvres , des bijoutiers, des horlogers, des sculpteurs; et les Français qui s'établirent dans le pays, y cultivèrent le tabac, et firent venir des fruits excellents dans des contrées sablonneuses, qui, par leurs soins, devinrent des potagers admirables. ».

Mais si l'expatriation accompagnée d'industrie, de capitaux et d'affection, est un pur gain pour la patrie adoptive, nulle perte n'est plus fâcheuse pour la patrie abandonnée. La reine Christine de Suède avait bien raison de dire, à l'occasion de la révocation de l'édit de Nantes, que Louis XIV s'était coupé le bras gauche avec son bras droit.

Et qu'on ne croie pas que des lois coercitives puissent prévenir ce malheur. On ne retient point un concitoyen par force, à moins de le mettre en prison ; ni sa fortune, à moins de la confisquer.

Sans parler de la fraude qu'il est souvent impossible d'empêcher, ne peut-il pas convertir ses propriétés en marchandises dont la sortie est tolérée, encouragée, et les adresser ou les faire adresser au dehors ? Cette exportation n'est-elle pas une perte réelle de valeur ? Quel moyen un gouvernement a-t-il pour deviner qu'elle n'entraînera point de retour ?

La meilleure manière d retenir les hommes et de les attirer, c'est d'être juste et bon envers eux, et d'assurer à tous la jouissance des droits qu'ils regardent comme les plus précieux : la libre disposition de leurs personnes et de leurs biens, la faculté d'exercer leur industrie, d'aller, de venir, de rester, de parler, de lire et d'écrire avec une entière sûreté.

Après avoir examiné nos moyens de production, après avoir indiqué les circonstances où ils agissent avec plus ou moins de fruit, ce serait une tâche immense, et qui sortirait de mon sujet, que de passer en revue toutes les différentes sortes de produits dont se composent les richesses de l'homme ; ce peut être l'objet de beaucoup de traités particuliers. Mais dans le nombre de ces produits, il y en a un dont la nature et l'usage ne sont pas bien connus, et pourtant jettent beaucoup de jour sur l'objet qui nous occupe ; c'est ce qui me détermine, avant de finir la première partie de cet ouvrage, à parler des monnaies, qui d'ailleurs jouent un grand rôle dans le phénomène de la production, comme étant le principal agent de nos échanges.


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