Voici ainsi résumées les grandes lignes de la pensée économique en matière de méthodologie, et exposées quelques pistes de réflexion sur les questions fondamentales. Ce petit ouvrage ne prétendait pas à l’exhaustivité, et ne rougira donc pas en reconnaissant ne pas l’avoir fournie. Son but était informatif, et l’auteur laisse à de plus capables que lui les soins de poursuivre la discussion sur chacun des points évoqués.
Ce livre avait une attitude critique, que l’état actuel de la science économique méritait largement. Lorsque le méthodologiste contemporain enfile les habits larges et confortables du critique, il ne peut que constater l’échec des méthodes recommandées depuis la fin du siècle. De manière assez claire, la mathématisation de l’économie n’a pas tenu ses promesses, et pour parler comme ces apprentis scientifiques, le processus de falsification de leur méthodologie économique a abouti à sa réfutation. D’ailleurs, la condamnation du bilan laissé par des décennies de règne du positivisme ne reste nullement cantonnée aux disciples de l’école classique anglaise ou des Autrichiens, mais s’étend à toutes les écoles. Ainsi l’avis de Bryan Caplan, qui est aussi éloigné des uns que des autres : « En économie, l’approche mathématique a eut une hégémonie en croissance constante depuis cinquante ans. Les preuves empiriques montrent que sa contribution est clairement négative. » [1]
Aucune méthodologie économique ne défend la pratique actuelle des économistes, et ce livre ne l’a pas défendu non plus. Le recourt à la falsification, l’utilisation de modèles mathématiques, la construction d’équilibres ou semi-équilibres, l’individualisme méthodologique : toutes ces tendances sont contradictoires entre elles et fournissent un état déplorable à la science économique. Ainsi, il n’est pas possible de défendre l’état actuel de la science économique d’un point de vue méthodologique, non seulement parce que ses tendances fondamentales sont contraires aux enseignements de la méthodologie économique, mais aussi parce que, d’une certaine façon, elle ne repose pas sur une méthodologie véritable.
Ce n’est pas à dire qu’aucune méthodologie économique n’ait pris l’ascendant, et nous avons étudié la nouvelle orthodoxie, dans sa version à la fois falsificationniste et instrumentaliste. Nous avons également vu la critique Autrichienne de celle-ci, non parce qu’elle était la seule disponible, mais parce qu’elle disposait d’outils théoriques puissants pour l’émergence d’une alternative, en l’occurrence, la méthode praxéologique. Et il est souhaitable de proposer une alternative. L’orthodoxie méthodologique en économie ne doit pas se contenter d’être la servante passive de l’orthodoxie théorique. S’il convient de critiquer les études économiques contemporaines d’un point de vue méthodologique, alors il est bon de le faire, quelle que soit l’idéologie promue par ces études, et quelles que soient les conclusions pratiques auxquelles elles aboutissent.
Nous devons admettre que la méthodologie a une importance bien supérieure à celle que nous lui attribuons, tant pour la défense de l’économie en tant que science autonome, que dans l’obtention de ses principes. Et sans doute est-elle encore plus nécessaire aujourd’hui. Nous avons tous besoin d’une vue claire sur la science économique, et de la diffusion la plus large des vérités qu’elle nous révèle. De toute urgence, donc, il convient de ne pas freiner ce développement bienheureux par des conceptions méthodologiques funestes.
A sa naissance, la méthodologie économique reçut les contributions de penseurs consciencieux et rigoureux. Deux siècles plus tard, leurs écrits ont conservé une bonne dose de leur pertinence et c’est dans leurs pas qu’il nous faut continuer à marcher.
Enfin, s’il convient bien de ne pas adopter de manière irréfléchie les principes méthodologiques des autres sciences, il est pour autant nécessaire pour l’économiste de s’y initier. L’une des grandes idées défendues par les méthodologistes classiques fut de considérer l’économie comme une branche d’une science plus générale, et c’est conscient de ce fait que l’économiste doit s’intéresser aux autres branches. A l’heure de la spécialisation et de l’hermétisation des disciplines, sans doute est-ce le bon principe sur lequel achever cette présentation. Cette idée, John Stuart Mill l’a résumée en son temps dans une phrase reprise plus tard par Alfred Marshall : « une personne ne sera surement pas un bon économiste si elle n’est rien d’autre que cela. » [2]
NOTES
[1] Gene Callahan, Economic for Real People. An Introduction to the Austrian School, Ludwig von Mises Institute, 2004, P.322
[2] John Stuart Mill, cité par Alfred Marshall, Principles of Economics: An Introductory Volume (1890), MacMillan, 1959, p.637