Charles Gave:Nous sommes des nains sur les épaules de géants

De Librairal
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Charles Gave:Nous sommes des nains sur les épaules de géants


Anonyme


AVANT-PROPOS
Nous sommes des nains sur les épaules de géants[1]
Un libéral nommé Jésus
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Auteur : Charles Gave
Genre
essai, actualité
Année de parution
2005
Interwiki
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Index des livres
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On peut s'étonner qu'un économiste se penche sur les Evangiles. Que l'on se rassure. Je n'ai, dans cet essai, aucune intention d'envahir le terrain des spécialistes de la chose religieuse. J'ai comme but de relire les Evangiles, de les analyser en utilisant les outils de mon métier, celui d'un économiste, et je n'entends pas m'écarter du champ de mes compétences. C'est notre droit à tous. Peu l'utilisent et c'est bien dommage. Car la puissance de persuasion, d'émotion, de colère des Evangiles est toujours intacte.

A observer le monde dans lequel nous vivons, je ressens un malaise diffus, un sentiment largement partagé et que, comme tout un chacun, j'essaie d'expliquer.

Je crois qu'à l’origine de notre civilisation, il y a une synthèse entre la logique grecque et la morale chrétienne, c'est-à-dire entre une méthode et une éthique. Cette synthèse a engendré, en vingt siècles, dans une petite péninsule de l’Asie, la première et la seule civilisation à la fois globale et respectueuse des droits de l'homme. Dans un livre précédent Des lions menés par des ânes[2] , j'ai voulu montrer, de façon aussi plaisante que possible, comment l’application de la logique grecque aux problèmes inhérents à la création et à la transmission des richesses matérielles, d’abord en Grande-Bretagne, puis ailleurs, avait permis l’extraordinaire hausse du niveau de vie. Nous devrions tous continuer à bénéficier de cette croissance, si le couple pouvoir politique- système juridique, avait dans chaque pays – et en particulier, en France – continué à fonctionner sur le modèle d'un rapport de force équilibré. Bref, dans le respect de la logique grecque.

J'ai cherché aussi à démontrer comment l’abandon actuel de cette logique par les classes technocratiques, qui dirigent l’Euroland en faisant fi de toute démocratie, amènerait inéluctablement à un désastre tant économique que politique[3].

Dans ce second essai, je souhaite compléter cette première analyse du monde tel qu'il est – et non pas tel qu'il devrait être – en m'arrêtant au second rameau de la civilisation européenne, celui qui trouve ses racines dans la morale chrétienne en général et dans les Evangiles, en particulier.

Nous le savons tous : "L'homme ne vit pas que de pain"… Quand dans nos dissertations au lycée, le professeur nous faisait plancher sur " science sans conscience n’est que ruine de l’âme ", tout n'était-il pas dit ?

En d'autres termes, les Grecs sans le Christ ne mènent à rien, ou plus exactement, la logique grecque sans l'égalité de tous devant Dieu ne mène qu'à la connaissance sans objet, à la science sans le progrès technique.

La liberté sans l’égalité devant Dieu mène à l’esclavage des plus faibles, et donc à la stagnation économique.
L’égalité de tous devant Dieu sans la liberté individuelle grecque conduit facilement au dédain de la vie matérielle, au rabachage des textes sacrés, et donc, à nouveau, à la stagnation économique.

Or cette éthique, ces codes de lecture du monde, cette morale héritée de nos ancêtres, sont, à l'instar de la logique grecque, eux aussi, soumis à une attaque en règle, sont, eux aussi, en voie de destruction.

J'entends déjà une première objection : mais enfin, la religion, la morale, de nos jours, cela n’intéresse plus personne !

Peut être.

Que l’on me permette à ce sujet, de raconter une petite anecdote qui m'a beaucoup marqué dans les années soixante, alors que je faisais mes études à Toulouse, il y eut des grands travaux dans le centre ville. En creusant, les entrepreneurs découvrirent de très anciens tuyaux dont plus personne ne savaient à quoi ils pouvaient bien servir. On décida par conséquent de les détruire. Résultat : dans les heures qui suivirent, toutes les caves du centre ville furent inondées !

Toulouse avait été bâtie sur des marais au temps des Romains. Ceux-ci avaient construits des canalisations pour drainer ces eaux stagnantes. Deux mille ans plus tard, les canalisations fonctionnaient toujours, mais tout le monde avait oublié jusqu'à leur existence…

Eh bien, la religion chrétienne est, un peu, pour notre civilisation, l’équivalent des systèmes de drainage bâtis par les Romains à Toulouse : plus personne apparemment ne veut reconnaître son importance, mais si on l'ignore, si on la casse, – comme on a cassé les tuyaux toulousains – l'Europe va être submergée, noyée.

Si d'aucuns veulent mettre en avant une morale nouvelle, qu’ils le fassent. S'ils cassent, de façon volontaire ou involontaire, le système de drainage de notre civilisation, qu’ils ne s’étonnent pas d'inonder nos sous-sols, c'est-à-dire nos fondations.

Ne pas prendre en compte le rôle des religions dans les évolutions historiques[4], c’est commettre la même erreur que nos entrepreneurs à Toulouse. Une erreur qui oblige de réparer dans l'urgence ce que l'on a détruit dans une ignorance criminelle.

En fait, j'imagine notre civilisation comme un linteau de porte qui repose sur deux piliers en bois, anciens et précieux : d’un côté la logique grecque, de l’autre la morale judéo-chrétienne. Et le linteau, c’est notre civilisation.

Sous ce linteau, depuis deux mille ans, tous les progrès sont passés. Or, des termites rongent chacun de ces deux piliers.

Dans Des lions menés par des ânes, j'avais choisi la facilité : dénoncer ces malfaisants insectes dans le domaine que je maîtrise le mieux, celui de la logique.

Devant les réactions [5] à ce pamphlet, j'ai compris que le second pilier était également en danger.

Mais analyser et dénoncer cette évolution est beaucoup plus difficile. En effet, ceux qui rongent tranquillement le second pilier, utilisent une astuce qui gèle tout débat : ils interdisent à quiconque, à l'exception d'eux-mêmes, de parler de morale. Or, toute société repose sur une tension entre le conformisme – c'est-à-dire l’adhésion à la morale dominante – et la transgression.

Antigone désobéit, et elle paie de sa vie sa transgression. Chacun sait également que le progrès moral d’une société passe souvent par une transgression individuelle dont le coupable souffre, au point souvent d’y laisser sa peau. Le combat de Lincoln contre l'esclavage en est un bel exemple. C'est ainsi qu'avance l'histoire et la nouvelle donne morale initiée par Lincoln finira par se transformer en nouvelle norme.

Sans cette référence à une morale universelle nous débouchons sur la situation paradoxale que nous connaissons : tout le monde veut être un transgresseur, mais bien entendu, personne ne veut en supporter le coût. Chacun se voit en poète maudit, mais en même temps exige d’être payé par le ministère de la Culture[6]. Villon, Verlaine, où êtes vous ?

Briser la norme sans en payer le prix est devenu la norme.

Tant et si bien que nous vivons dans une société où celui qui défend cette morale fondatrice, devient le transgresseur… En termes militaires, cela s'appelle un combat à front renversé, et ce sont de loin les combats les plus durs.

J'aurai donc besoin de toute l’indulgence des lecteurs, car j'entends bénéficier du même traitement que tout un chacun : briser la norme et ne pas en souffrir…

Quelques points de méthodologie et l'articulation du plan doivent être précisés.

Dans la Bible chrétienne, nous n’utiliserons que le Nouveau Testament qui comprend trois corps de doctrines, les Evangiles, les Actes des Apôtres (Lettres de Saint Paul, de Saint Pierre, ...), enfin l’Apocalypse de Saint Jean. Nous ne ferons référence qu'aux Evangiles. Ceux-ci racontent la vie sur terre du Christ et se composent de deux parties très distinctes :

  1. . La narration, par des témoins oculaires des événements ayant constitué la vie de Jésus.
  2. . Les paroles et les mots prononcés par le Christ et fidèlement rapportés par ses disciples.

Ce sont les seules paroles du Christ, qui représentent à peine un cinquième du texte évangélique, qui nous serviront de référence dans ce livre.

Pourquoi ?

A l’intérieur des évangiles qui racontent la vie sur Terre du Christ, on peut distinguer deux parties très distinctes.

• La narration, par des témoins oculaires des événements ayant constitué la vie de Jésus.

• Les paroles et les mots prononcés par le Christ et fidèlement rapportés par ses disciples.

A l’intérieur de ces évangiles, les paroles du Christ, rapportées par ses disciples, ne constituent même pas un cinquième du texte.

Eh bien, la seule chose qui nous intéresse et dont nous allons nous servir dans ce livre, ce sont les paroles du Christ.

Pourquoi ?

La chose du monde la plus difficile quand on vit toute sa vie au même endroit est de continuer à voir son environnement comme au premier jour.

Quiconque vit à Paris est toujours amusé devant l’admiration éberluée que bien des étrangers ressentent quand ils visitent pour la première fois la ville lumière.

Il en est de même pour les textes que nous avons trop entendus. Nous ne savons plus entendre ou mieux encore écouter la voix du Christ, qui est devenue une sorte d’aimable ronron.

Bien plus, nous ne savons plus faire la différence entre la voix originale et les commentaires qui l’accompagnent.

Les paroles du Christ se reconnaissent entre toutes.

Il y a en elles une musique, une logique, une tendre ironie qui n’appartiennent qu’a lui.

N’utiliser que ses mots, c’est libérer la pierre précieuse de sa gangue et lui permettre de s’adapter a une nouvelle monture.

Ses paroles, en tout, couvrent peut être soixante pages.

Mais, pour parler très honnêtement, ce que les Pères de l’église ou les spécialistes ont pensé ou pensent encore du message du Christ dans le domaine économique laisse l’auteur prodigieusement indifférent.

Car ce livre n’est pas un livre religieux, mais un livre sur l’économie, a la lumière des évangiles.

Dans son premier livre, basée sur des réalités scientifiques et chiffrables, l’auteur avait été d’une honnêteté intellectuelle parfaite.

Rien n’avait été soutenu qui n’ait été prouvé avant, pendant ou après par des chiffres indiscutables.

Dans ce second livre, ou par définition même, une bonne partie de ce qu'il va avancer n’est pas mesurable, garder l’objectivité qu’il avait maintenue tout au long du premier ouvrage va être extrêmement difficile.

La logique se prête à la mesure et à l’objectivité, la morale beaucoup moins.

La méthodologie sera donc fort différente.

Lorsque nous aurons a dérouler des enchaînements logiques du type « causes et conséquences » dans notre domaine de prédilection, l’économie, nous utiliserons le genre de raisonnement que nous avons illustré dans notre précèdent ouvrage, des Lions menés par des Anes.

Lorsque nous passerons dans le mode « moral », nous justifierons à chaque fois notre prise de position par une citation du Christ lui-même

Nous utiliserons donc deux sortes de procédés dans le courant de ce livre, fort classiques pour quiconque s’est donnée la peine de structurer ses arguments avant, ou pendant une discussion[7]

• La logique Aristotélicienne : il existe des causes et des conséquences. Si ma dette croit beaucoup plus vite que mes revenus, en fin de parcours, je vais faire faillite…

• L’argument d’autorité[8] : ce que je dis est vrai parce que cela a été dit avant moi par… Marx, Newton, Einstein, Freud, de Gaulle.etc.…. nous n’invoquerons l’argument d’autorité que dans le domaine moral et en n’utilisant que les paroles du Christ, et elles seules.

La seule autorité que nous invoquerons lors de nos démonstrations dans le domaine moral sera donc celle de Jésus.

Il est inutile de souligner que les deux modes de démonstration sont antinomiques.

Ce qui est du ressort de la connaissance est différent de ce qui est du ressort de l’autorité.

Cela va donc introduire dans le livre une tension qui n’existait pas dans le premier ouvrage, tout entier bâti sur la Logique.

Cette tension, nous essaierons de la limiter en restant de bonne foi, en tachant d’être honnête intellectuellement.

Mais il ne faut pas se faire d’illusions.

Ce que le lecteur va lire, c’est ce que l’auteur comprend des évangiles à la lumière de son expérience et de ses préjugés à lui.

Il se trouve que l’auteur a une nature simple : il n’a jamais été un expert en gris, pour lui ou bien les choses sont blanches, ou bien elles sont noires.

Ce qui rejoint (déjà !) admirablement une parole du Christ :

«  Que votre oui soit un oui, que votre non soit un non, tout le reste vient du Malin »

Donc, l’auteur va sûrement faire de fort mauvaises interprétations de ce que le Christ a voulu dire, mais ce seront ses âneries à lui bien claires et bien simples et dont il espère avant tout qu’elles ne viendront pas du Malin[9].

Mais de ça, hélas, il ne peut être sur.

Ce deuxième livre tiendra donc en fait beaucoup de l’explication de texte.

La question que nous posons, et à laquelle nous allons essayer de répondre, est la suivante.

Si les évangiles sont le fondement même de notre civilisation, si vraiment ils sont de tous temps et de tous les lieux, alors, ils doivent avoir quelque chose à nous dire aujourd’hui sur ce qui est moral en économie.

Peut être ont-ils été trop lus et commentés par des religieux, des moralistes, des philosophes et …pas assez par des économistes et des financiers ?

Nos commentaires (des Evangiles) seront donc faits, non pas à la lumière de la culture théologique de l’auteur, fort insuffisante, mais à l’aide de connaissances économiques ou politiques, accumulées un peu au hasard par ce dernier au travers d’années passées à réfléchir pour agir, dans le monde financier d’aujourd’hui.

Pour aider à la compréhension du lecteur il nous faut maintenant préciser ce que nous entendons faire et le plan que nous allons suivre.

Dans le premier chapitre nous nous attachons à démontrer que les Evangiles sont un livre qui ne ressemble à aucun autre.

Nous essayons aussi d’expliquer pourquoi le message du Christ était, est et restera toujours fondamentalement individualiste et libérateur.

Dans le deuxième chapitre, nous retraçons la genèse et l’historique de l’idée socialiste.

En utilisant nos connaissances historiques et économiques, nous allons montrer à quel point l’idéologie socialiste est et ne peut être qu’asservissante, dégradante et contraire de par son essence même a la liberté individuelle.

Ces deux chapitres sont donc le cœur même de ce petit essai

A partir du troisième chapitre, le corps de doctrine ayant été établi, nous passerons aux travaux pratiques, c'est-à-dire les relations avec le pouvoir politique, l’argent, la justice sociale etc.…

Notes et références

  1. La phrase est de Newton
  2. Des Lions menés par des Anes, 2003, Robert Laffont
  3. Ce désastre est bien entamé : je ne changerai pas une ligne de ce que j’ai écrit il y a déjà plus de deux ans. La thèse était simple : la politique économique suivie amenait immanquablement à la stagnation économique. Cette stagnation allait créer d’abord une crise au sein des institutions européennes, suivie d’une grave crise politique en France et en Allemagne. Nous y sommes.
  4. Pour ceux que l’étude des civilisations intéresse, voir l’Histoire d Arnold Toynbee, le grand historien anglais où les relations entre civilisations et religions sont fort bien décrites et analysées. Voir aussi le livre de Samuel Huttington, publié en 1996, Le choc des civilisations.
  5. Le livre s’est très bien vendu. Personne n'en a parlé dans la presse écrite. Personne n’a contesté la démonstration. Les critiques ont simplement dit que la démonstration était moralement indéfendable. Je me sens donc obligé de défendre mon premier bébé sur ce terrain-là, et donc de parler de morale …ce pourquoi je suis bien entendu particulièrement mal équipé.
  6. Il est quand même étonnant que la France ait cessé d’être un pays de culture à partir de 1962, c'est-à-dire à partir de la date où nous avons eu pour la première fois de notre histoire un ministère de la Culture. La culture ne PEUT PAS être subventionnée sans périr.
  7. Ou encore plus souvent, après, dans l’escalier, ou la plupart des bons arguments qu’il aurait fallu utiliser apparaissent toujours fort clairement
  8. A noter que Saint Thomas d’Aquin disait que le seul endroit ou l’argument d’autorité peut être utilisé c’est dans le domaine religieux, en citant les écritures. Partout ailleurs, l’argument d’autorité avait très peu de valeur.
  9. Le texte utilisé pour les citations sera celui du Nouveau Testament, publie chez Folio Classique.