Différences entre les versions de « Walter Lippmann:La Cité libre - Chapitre 11 - l'agenda du libéralisme »

Ligne 14 : Ligne 14 :
C'est à la débâcle de la science libérale que remonte le schisme moral qui divise si tragiquement les hommes éclairés dans le monde moderne. Les libéraux sont en effet les héritiers de la science qui interprète correctement le principe progressiste de la révolution industrielle. Mais ils n'ont pas pu faire avancer leur science ; ils n'ont pas su en extraire une philosophie sociale satisfaisante du point de vue humain. Les collectivistes, d'autre part, ont le goût du progrès, la sympathie pour les pauvres, le sens éclatant de l'injustice, l'élan des grandes actions, qui ont manqué au libéralisme moderne. Mais leur science est fondée sur une profonde incompréhension de l'économie fondamentale de la société moderne, et c'est pourquoi leurs actes sont profondément destructeurs et réactionnaires. Aussi les cœurs sont-ils déchirés, les esprits divisés, et l'homme ne peut-il choisir. On lui demande de choisir entre, d'une part les libéraux qui sont arrêtés net, mais qui sont arrêtés sur la bonne route de l'abondance, de la liberté et de la justice, et d'autre part les collectivistes qui bougent furieusement, mais sur la route qui descend à l'abîme de la tyrannie, de la misère, et de la guerre générale.  
C'est à la débâcle de la science libérale que remonte le schisme moral qui divise si tragiquement les hommes éclairés dans le monde moderne. Les libéraux sont en effet les héritiers de la science qui interprète correctement le principe progressiste de la révolution industrielle. Mais ils n'ont pas pu faire avancer leur science ; ils n'ont pas su en extraire une philosophie sociale satisfaisante du point de vue humain. Les collectivistes, d'autre part, ont le goût du progrès, la sympathie pour les pauvres, le sens éclatant de l'injustice, l'élan des grandes actions, qui ont manqué au libéralisme moderne. Mais leur science est fondée sur une profonde incompréhension de l'économie fondamentale de la société moderne, et c'est pourquoi leurs actes sont profondément destructeurs et réactionnaires. Aussi les cœurs sont-ils déchirés, les esprits divisés, et l'homme ne peut-il choisir. On lui demande de choisir entre, d'une part les libéraux qui sont arrêtés net, mais qui sont arrêtés sur la bonne route de l'abondance, de la liberté et de la justice, et d'autre part les collectivistes qui bougent furieusement, mais sur la route qui descend à l'abîme de la tyrannie, de la misère, et de la guerre générale.  


Mais ce choix impossible ne s'impose que dans les esprits des hommes, dans leurs doctrines et dans leurs préjugés, et nullement dans la nature des choses. L'impasse est toute subjective. Elle est la conséquence de l'erreur humaine, et non du destin.
Mais ce choix impossible ne s'impose que dans les esprits des hommes, dans leurs doctrines et dans leurs préjugés, et nullement dans la nature des choses. L'impasse est toute subjective. Elle est la conséquence de l'erreur humaine, et non du destin. Il n'y a aucune raison de croire que l'ordre social ne peut plus s'adapter à l'économie créée par la révolution industrielle, et que par conséquent les hommes doivent détruire l'économie nouvelle. Cela signifierait en effet que la révolution industrielle elle-même est dans un cul-de-sac. Cela signifierait que le nouveau mode de production qui est à la base de tous les régimes sociaux, de toutes les institutions et de toutes les politiques ne peut plus être toléré par l'humanité. Cela signifierait que les hommes doivent détruire et renverser la révolution industrielle elle-même, comme le font les autarcistes en Allemagne, et qu'ils doivent péniblement revenir sur leurs pas vers les collectivités isolées où la division du travail est relativement peu poussée.
 
Voilà ce qui fait toute l'importance de la question de savoir si la débâcle du libéralisme a été due à l'erreur des libéraux, ou, comme le croient les collectivistes, à une inévitable nécessité historique. En soulevant cette question, je n'ai certes pas l'intention d'entreprendre de réhabiliter le mot « libéralisme », qui n'est plus aujourd'hui qu'un ornement fané évoquant les sentiments les plus douteux. Ce qui me préoccupe, c'est la substance du terme. Et d'après moi, cette substance est que les hommes ne peuvent pas abolir les conséquences de la révolution industrielle, qu'ils sont liés au nouveau mode de production, à la division du travail entre communautés et individus interdépendants. Voilà la vraie nécessité historique inéluctable. Les hommes ne peuvent pas davantage renverser la révolution industrielle par un acte de volonté ou par la contrainte politique qu'ils n'ont pu revenir de la manufacture à l'artisanat, et de l'agriculture sédentaire à l'économie pastorale. D'ailleurs ils ne le souhaitent pas, et n'y consentiraient pas.


== Notes et références ==  
== Notes et références ==  
1 854

modifications