Différences entre les versions de « Les systèmes socialistes et l'évolution économique - Première partie : Les théories. Les systèmes de société socialiste - Livre II : Des formes socialistes qui conservent la valeur régie par l’offre et la demande »

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tout entière, comme à leur propre intérêt; en revanche, elles feraient
tout entière, comme à leur propre intérêt; en revanche, elles feraient
obstacle au nivellement des revenus.
obstacle au nivellement des revenus.
=== Section III. Coopératisme. ===
Le libre accès des entreprises de production est impraticable; mais
l'expérience des sociétés coopératives a montré qu'il était une
autre combinaison propre à assurer la diffusion démocratique du
profit.
On distingue en Angleterre deux écoles, deux principes de coopération :
le principe individualiste, appliqué dans les sociétés de production, suivant lequel l'entreprise appartient aux travailleurs et aux
employés, qui la dirigent eux-mêmes et s'en distribuent les profits;
le principe fédéraliste, introduit par les Pionniers de Rochdale et
suivi dans les sociétés de consommation, d'après lequel toute entreprise
coopérative, de consommation ou même de production, appartient
aux consommateurs associés ou aux fédérations des sociétés de
consommation.
Pour apprécier toute la portée de ce principe, il faut se représenter
l'immense développement pris par les sociétés de consommation
anglaises et écossaises. En 1903, elles comprennent 2 millions
de membres. Au sommet, deux magasins de gros (''Wholesale societies''), l'un anglais et l'autre écossais, fondés par les sociétés
fédérées, font pour elles les achats en gros, et fabriquent dans leurs
propres établissements les articles d'alimentation et d'habillement
d'un usage courant. Ils occupent des milliers d'ouvriers dans leurs
ateliers et dans leurs usines, les plus grandes et les mieux outillées
du monde; ils les emploient dans les meilleures conditions d'hygiène,
de confort, de durée du travail et de salaires. Ils produisent même
certains articles à perte, les vêtements confectionnes par exemple,
pour que les sociétés de consommation ne soient pas obligées de
recourir aux maisons qui exploitent le travail parle ''Sweating system''.
De leur côté, beaucoup de sociétés de consommation se livrent aussi
à la production. Au total, en y comprenant les deux ''Wholesale '', le
capital des sociétés de consommation monte à 872 millions de francs,
y compris les fonds de réserve et les emprunts. Pour la distribution,
elles occupent 54 000 employés et font un chiffre de ventes de
1450 millions (non comprises les ventes des ''Wholesale '' aux sociétés).
Pour la production, elles emploient 27000 ouvriers et fournissent
annuellement des marchandises d'une valeur de 277 millions.
Dans tous ces groupements, aussi bien dans les ''Wholesale '' que
dans les sociétés de consommation, le principe statutaire est le
même : la direction de l'affaire appartient non pas aux capitalistes
qui ne disposent que d'une voix par tête comme associés, quel
que soit le nombre de leurs actions, non pas même aux travailleurs
et employés, mais aux consommateurs associés; la répartition
des bénéfices que réalise la société en vendant les marchandises à
ses membres aux prix du commerce, après certains prélèvements
destinés aux dépenses d'éducation et d'assistance mutuelle, se fait
entre les associés au prorata de leurs achats, sans distinction suivant
la nature des achats et l'origine des profits; quant aux capitaux, ils
n'ont droit qu'à un intérêt fixe, de même que les travailleurs et
employés n'ont droit qu'à un salaire fixe, sauf dans la ''Wholesale societies'' écossaise où ils ont une part des bénéfices.
Ainsi les entreprises de production créées par les sociétés de consommation
anglaises, au lieu d'appartenir et de profiter à une petite
oligarchie d'actionnaires, comme dans les sociétés capitalistes, ou à
une étroite aristocratie de travailleurs sociétaires, comme dans les
sociétés coopératives de production, appartiennent à la démocratie
ouverte des consommateurs groupés en société. Ces entreprises,
montées par les sociétés de consommation pour leurs propres besoins
et dirigées par elles, n'ont à craindre ni le défaut de capital, ni le
défaut de clientèle, ni le défaut de discipline, écueils ordinaires des
sociétés coopératives de production. Elles ne sont pas des monopoles
de producteurs contre consommateurs, des groupes luttant entre ux pour la conquête du profit. Elles réalisent vraiment le type d'une organisation démocratique.
Dans les sociétés anglaises comme dans les associations de
M. Oppenheimer, la production coopérative s'appuie donc sur la
société de consommation, avec cette différence toutefois, d'une
importance capitale, que les entreprises de production créées par la
communauté, au lieu d'être indépendantes et de garder pour elles
leur profit, suivant le principe individualiste, appartiennent aux
sociétés de consommation fédérées ou isolées, qui les administrent
et s'en attribuent les bénéfices, conformément au principe fédéraliste.
Peu importe donc que ces entreprises restent fermées, qu'elles n'admettent
les travailleurs qu'en nombre limité et dans la mesure de
leurs besoins; leurs profits n'en sont pas moins répandus dans la
masse, puisqu'ils sont attribués aux consommateurs, et que les
sociétés de consommation ont tout intérêt à étendre indéfiniment le
cercle de leurs membres pour augmenter leur crédit, leur puissance
d'achat et leurs bénéfices.
Voilà certes un principe nouveau et fécond, la diffusion du profit
et de la rente du sol chez les consommateurs, c'est-à dire chez tout
le monde. Largement appliqué, ne peut-il pas être la base d'une nouvelle
démocratie industrielle? N'est-il pas appelé à opérer une révolution
économique par l'abolition progressive du mode de production
capitaliste? M. Charles Gide incline à le croire; et dans ses Conférences
sur la coopération, si attachantes par la finesse et l'élévation
de la pensée, sans développer avec précision l'organisation de la
société future, il se la représente sous l'aspect d'une multitude de
sociétés coopératives produisant pour leur propre compte tout ce
qu'elles consomment, propriétaires de la totalité ou de la plus grande
partie de l'outillage commercial, industriel et agricole de la nation,
et constituant par leur fédération une véritable ''République coopérative''.
Ces idées, propagées en France par les coopérateurs de l'école de
Nîmes, en Angleterre par ceux de l'école fédéraliste, constituent le
''coopératisme'' qui n'est au fond qu'une variété du socialisme sociétaire,
puisqu'il vise la suppression des revenus capitalistes par le
développement des associations libres, sans expropriation et sans
exploitation des entreprises par l'État; la cloison établie ici est purement
artificielle, et sert seulement à marquer, dans le socialisme
sociétaire, le caractère propre d'un certain mode de répartition, et les
ambitions nées du mouvement coopératif.
M. Charles Andler, de son côté, fonde sur la coopération les
mêmes espérances. Il pense que des sociétés de consommation
qui concentreraient la force d'achat immense des ouvriers, et se
mettraient en relations directes avec des associations agricoles appliquant
elles-mêmes la coopération à la production et à la culture,
pourraient devenir propriétaires de la terre et des instruments de
production nécessaires à leurs besoins, occuper tous leurs membres
comme travailleurs, et faire aux entreprises capitalistes une concurrence
désastreuse en détournant d'elles la clientèle et la main d'oeuvre;
les moyens de production exploités d'une façon capitaliste
subiraient donc une dépréciation graduelle, qui faciliterait leur
acquisition par les sociétés coopératives. Peut-être M. Andler
s'éloigne-t-il du véritable coopératisme, lorsqu'il dit que le travailleur
agricole recevrait "le produit intégral de sa collaboration avec
la terre "; peut-être, au contraire, n'envisage-t-il pas comme une
règle générale de répartition cette attribution totale du bénéfice aux
travailleurs, qui établirait, nous l'avons vu, l'inégalité des profits
entre les groupes de producteurs, à moins qu'on ne leur imposât
l'obligation de rester ouverts à tout venant. Quoi qu'il en soit sur
ce point, M. Andler croit que les sociétés coopératives sont capables
de fonder, par la force de l'initiative individuelle, la République
sociale au milieu du capitalisme. Non pas qu'à ses yeux la chose
doive se réaliser nécessairement; mais elle est réalisable, et il faut y
travailler.
Il ne s'agit plus là d'une construction systématique et artificielle,
mais d'une vue d'avenir sur l'extension possible, par des voies naturelles,
d'un organisme de production et de répartition que nous
voyons croître sous nos yeux, dans la société présente. Forme
vivante, parce que " la vie s'y développe du dedans ", et que " la
volonté interne de transformer les institutions y précède l'acte extérieur
de la réforme " (Béatrice Potter) ; forme féconde, parce qu'elle
développe l'esprit d'association et répand dans les classes ouvrières
cette éducation morale et économique sans laquelle toute révolution
est condamnée à rester stérile.
Supposons-la suffisamment développée pour embrasser la plus
grande partie du domaine de la production. Les sociétés de consommation ont tout intérêt, nous le savons, à accueillir ceux qui se présentent
comme clients. Si elles veulent en même temps les employer
comme travailleurs, elles doivent évidemment tenir compte des
limites que leurs établissements, comme tous les autres, sont obligés
d'observer. Mais le placement de leurs membres leur sera d'autant
plus facile que leurs entreprises et celles de leurs fédérations seront
plus nombreuses, plus complexes, plus puissantes. Le jour où elles
produiront elles-mêmes tout ce qu'elles consommeront, le placement
de leurs membres sera assuré, puisque tout nouveau producteur
sera en même temps, dans le sein de la société, consommateur pour
la valeur intégrale de son produit. A part quelques frottements
inévitables, le problème des sans-travail sera résolu. Il le sera d'autant
mieux que les crises de surproduction pourront être en grande
partie restreintes, ou même évitées, dans un état social où la concurrence,
sans être complètement abolie, cessera d'être anarchique. La
concurrence, en effet, sera limitée par des ententes, faciles à conclure
entre grandes associations de consommateurs qui pourvoiront elles-mêmes
à leurs besoins, et qui établiront ainsi une relation directe
entre la production et la consommation sans l'intermédiaire des
commerçants et des spéculateurs. Ces ententes, loin d'être préjudiciables
aux consommateurs comme les coalitions actuelles de producteurs,
seront au contraire formées dans leur intérêt, puisqu'elles
le seront par eux mêmes.
Le coopératisme, ainsi poussé à ses dernières limites, ne se confond-
il pas avec le collectivisme? Évidemment, comme le reconnaît
M. Gide, il présente avec lui de grandes analogies, surtout si toutes
les associations sont fédérées et soumises à une direction unique qui
règle la production en appréciant les besoins de la consommation.
Toutefois, en dehors de la différence fondamentale des voies et
moyens de réalisation, le coopératisme, dans l'organisation même de
la société, s'éloigne du collectivisme sur des points essentiels. L'État
reste étranger aux fonctions économiques; il gère peut-être certaines
entreprises comme les chemins de fer; il se réserve sans doute
un contrôle supérieur pour empêcher les abus du monopole, pour
protéger l'individu contre la tyrannie des associations, pour exercer
un arbitrage dans les conflits possibles entre les associations et leurs
employés; mais la production, la circulation et la répartition sont
l'oeuvre de corporations indépendantes au lieu d'être gouvernées par
l'Etat. La valeur reste ce qu'elle est aujourd'hui; les prix, en monnaie
métallique, sont régis par la concurrence intérieure et extérieure;
toutefois, le jour où la concurrence intérieure cesserait par la fédération de toutes les associations, les prix s'établiraient dans des
conditions assez semblables à celles que nous avons rencontrées
dans le socialisme d'État intégral. Enfin, la répartition se fait sur des
bases très différentes de celles du collectivisme, ou même du socialisme
d'État. Sous l'influence de la concurrence, le prix du travail
et celui du produit se fixent à des taux différents le prix du produit,
s'élève au-dessus du salaire dépensé dans la production, et l'excédent,
au lieu d'être attribué aux travailleurs, est réparti entre les
consommateurs, de sorte que les premiers ne reçoivent pas la valeur
intégrale du produit de leur travail, et ne profitent de l'excédent
qu'en qualité de consommateurs. On pourrait même reprocher au
coopératisme de maintenir le salariat sans intéresser suffisamment
le producteur au succès de l'entreprise et au résultat de ses efforts;
il n'est associé participant que comme consommateur et dans la
société de consommation, à un titre qui est loin d'attacher le coeur
de l'homme et d'inspirer le dévouement à l'intérêt collectif comme
celui d'associé dans une coopérative de production. Tout au moins
faudrait-il admettre au profit du producteur la participation aux
bénéfices, comme dans la Wholesale écossaise.
Ces réserves faites, que faut-il penser des destinées de la coopération
? Est-elle réellement capable d'opérer, par les voies naturelles,
une véritable révolution économique? Les perspectives qu'elle ouvre
sur l'avenir sont attachantes; à ceux qui ont conscience du mal
social, il est difficile d'échapper à leur séduction. Mais n'est-ce pas
un rêve? Nous ne pourrons répondre à la question qu'après une
étude particulière du mouvement coopératif, et une étude générale
de l'évolution économique à l'époque contemporaine.
Observons immédiatement que le coopératisme, dans son état le
plus développé, laisserait encore subsister certaines inégalités capitalistes.
Si les coopératives devenaient propriétaires de maisons d'habitation
et les louaient à leurs membres, comme le font déjà les
sociétés anglaises, qui possèdent des propriétés urbaines pour une
valeur de 70 millions, le loyer pourrait, aussi bien que la rente des
terres de culture, le profit et l'intérêt du capital collectif, être compris
dans les répartitions de bénéfices ou servir à des fins sociales. Mais
l'intérêt subsisterait encore pour les dettes publiques, les prêts de
consommation, les avances aux petits producteurs individuels placés
en dehors des entreprises coopératives. Les profits resteraient inégaux
pour ces petits producteurs, et même pour les grandes associations
coopératives. A l'intérieur même des coopératives, le capital fourni
par les associés à titre individuel devrait être rétribué avant toute
attribution de dividendes aux consommateurs en proportion de leurs
achats. L'intérêt ne disparaîtrait, dans l'association, que si elle parvenait
à se libérer entièrement du capital actions et obligations vis-à-
vis des tiers et de ses propres membres; c'est seulement après un
amortissement complet que le capital social serait transformé tout
entier, conformément au principe socialiste, en un fonds commun de
jouissance collective.
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