Ceux qui ont reproché à notre constitution de ne pas avoir suffisamment limité la prérogative du gouvernement, relativement au droit de paix et de guerre, ont envisagé la question d’une manière très-superficielle, et se sont laissé dominer par leurs souvenirs, au lieu de raisonner d’après des principes. L’opinion publique ne se trompe presque jamais, sur la légitimité des guerres que les gouvernements entreprennent : mais des maximes précises à cet égard sont impossibles à établir. Dire qu’il faut s’en tenir à la défensive, c’est ne rien dire. Il est facile au chef d’un état de réduire par des insultes, des menaces, des préparatifs hostiles, son voisin à l’attaquer, et dans ce cas, le coupable n’est pas l’agresseur, mais celui qui a réduit l’autre à chercher son salut dans l’agression. Ainsi la défensive peut n’être quelquefois qu’une adroite hypocrisie, et l’offensive devenir une précaution de défense légitime. Interdire aux gouvernements de continuer les hostilités au delà des frontières, est encore une précaution illusoire. Quand les ennemis nous ont attaqués gratuitement, et que nous les repoussons hors de nos limites, faudra-t-il, en nous arrêtant devant une ligne idéale, leur donner le temps de réparer leurs pertes et de recommencer leurs efforts ? La seule garantie possible contre les guerres inutiles ou injustes, c’est l’énergie des assemblées représentatives. Elles accordent les levées d’hommes, elles consentent les impôts. C’est donc à elles et au sentiment national qui doit les diriger, qu’il faut s’en remettre, soit pour appuyer le pouvoir exécutif, quand la guerre est juste, dût-elle être portée hors du territoire, dans le but de mettre l’ennemi hors d’état de nuire, soit pour contraindre ce même pouvoir exécutif à faire la paix, quand l’objet de la défense est atteint, et que la sécurité est assurée. Notre constitution contient sur ce point toutes les dispositions nécessaires et les seules dispositions raisonnables. Elle ne soumet pas aux représentants du peuple la ratification des traités, sauf les cas d’échange d’une portion de territoire, et avec raison. Cette prérogative accordée aux assemblées, ne sert qu’à jeter sur elles de la défaveur. Après la conclusion d’un traité, le rompre est toujours une résolution violente et odieuse : c’est en quelque sorte enfreindre le droit des nations, qui ne communiquent entre elles que par leurs gouvernements. La connaissance des faits manque toujours à une assemblée. Elle ne peut, en conséquence, être juge de la nécessité d’un traité de paix. Quand la constitution l’en fait juge, les ministres peuvent entourer la représentation nationale de la haine populaire. Un seul article jeté avec adresse au milieu des conditions de la paix, place une assemblée dans l’alternative, ou de perpétuer la guerre, ou de sanctionner des dispositions attentatoires à la liberté ou à l’honneur. L’Angleterre mérite encore ici de nous servir de modèle. Les traités sont examinés par le parlement, non pour les rejeter ou pour les admettre, mais pour déterminer si les ministres ont rempli leur devoir dans les négociations. La désapprobation du traité n’a de résultat que le renvoi ou l’accusation du ministre qui a mal servi son pays. Cette question n’arme point la masse du peuple, avide de repos, contre l’assemblée qui paraîtrait vouloir lui en disputer la jouissance, et cette faculté contient toutefois les ministres avant la conclusion des traités.
Benjamin Constant:Principes de politique - Chapitre 13
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Anonyme
Chapitre 13 : Du droit de paix et de guerre
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