Charles Gave:Les Evangiles et le contrat

Révision datée du 8 mai 2008 à 17:28 par Copeau (discussion | contributions) (Nouvelle page : {{Navigateur|CHAPITRE XI - Evangiles et endettement|Charles Gave  —  [[Charles Gave:Un libéral nommé Jésus|Un l...)
(diff) ← Version précédente | Voir la version actuelle (diff) | Version suivante → (diff)
CHAPITRE XI - Evangiles et endettement << Charles Gave  —  Un libéral nommé Jésus >> CONCLUSION - Quand un rocher change le cours d’un fleuve


Charles Gave:Les Evangiles et le contrat


Anonyme


CHAPITRE XII
Les Evangiles et le contrat
Un libéral nommé Jésus
2849410209.01.LZZZZZZZ.jpg
Auteur : Charles Gave
Genre
essai, actualité
Année de parution
2005
Interwiki
Medium Amazon New Logo.jpg [1]
Index des livres
A • B • C • D • E • F • G • H • I • 

J • K • L • M • N • O • P •  Q • R • S • T • U • V • W • X • Y • Z

"Le capitalisme, c’est l’exploitation de l’homme par l’homme. Le socialisme, c’est le contraire."
Anonyme.

A plusieurs reprises nous avons mentionné l’importance dans les Evangiles de la notion de "contrat". Elle est absolument centrale dans toute la Bible, qui est l'histoire d’un – ou de deux – contrats, selon que l’on est juif ou chrétien. On peut affirmer sans crainte d’exagérer que l’Ancien et le Nouveau Testament ne sont que l’historique des contrats qui ont unis les hommes et le Dieu d’Israël. L’Ancien Testament est l’histoire, longue, tortueuse et compliquée du premier contrat passé entre Dieu et Abraham. Il est établi entre Dieu et Son peuple, le "peuple choisi"[1]. C'est la version officielle.

En fait la première alliance[2], pour l’appeler de son nom français, avait été établi d’abord entre Dieu et Abraham, puis reconduite quelque temps après entre Dieu et Moïse. Si on lit l’Ancien Testament avec un œil de juriste, on ne peut pas s’empêcher de penser que les termes du contrat avaient été mal négociés par l’une des deux parties.

Quelque part, Abraham et Moïse ont roulé le Seigneur.

J'ai participé à de nombreuses négociations d’affaires et, à mon humble avis, Dieu aurait dû se réserver les conseils d’un bon avocat.

Quelles erreurs a-t-Il commises ? Abraham et Moïse se sont engagés :

1. Pour d’autres qu’eux-mêmes.

2. Pour un futur indéterminé.

3. Sans en avoir reçu l’autorité.

Ils ont promis, juré que les Israélites feraient ce que Dieu leur ordonnerait de faire. Ils se sont engagés, non pas pour eux-mêmes, mais pour des tiers, et de surcroît des tiers qui n’étaient pas encore nés. C'est quelque chose qu’il ne faut jamais accepter dans une négociation. Tenir ses propres engagements est déjà assez difficile. Vérifier que l’autre partie tient ses promesses est un travail à temps plein. S’imaginer que la partie adverse va être capable de respecter sa part du contrat, si elle s’est engagée à ce qu'une tierce partie respecte des promesses que l’on a faites pour elle, sans la prévenir, relève de la naïveté la plus touchante.

De fait, ça n’a pas très bien marché.

Une partie du peuple juif a respecté et respecte toujours la Loi mosaïque, et nous a transmis le message intact, ce qui est proprement inouï et mérite notre reconnaissance éternelle.

Mais les riches et les puissants ont eu bien du mal à s’y tenir. Qu'on se souvienne du roi David qui envoie le mari d’une femme qu’il convoitait se faire massacrer au front. Tuer le mari pour ne pas commettre l’adultère, voilà une solution dont heureusement ne dispose pas la plupart des individus. La planète serait un peu vide…

Devant ces manquements répétés, le Seigneur envoie prophète après prophète, pour rappeler les termes du contrat. Ils sont, en général, accueillis avec le même enthousiasme que des huissiers de justice venant exiger le paiement d’une dette que l’on avait totalement oublié.

Le peuple les jette dans des citernes – vides! –, les lapide ; les rois les font emprisonner… Etre prophète n’est à l’évidence pas un métier de tout repos et d'ailleurs la plupart d’entre eux se plaignent amèrement à Dieu d’avoir été choisis.

A ce point une question surgit : pourquoi les Juifs, ne font-ils donc que rarement ce que le Seigneur attend d’eux ? Pourquoi le contrat entre Lui et Son Peuple ne marche-t-il jamais aussi bien qu’IL l’espérait ?[3] Parce que ce contrat fait fi de la liberté individuelle de chacune des parties. Chaque individu se sent tenu en conscience par les promesses qu’il a faites, mais beaucoup plus rarement par les promesses que quelqu’un d’autre a faites en son nom et sans qu'on l'ait consulté.

Une fois de plus, en lisant les Evangiles nous ne cessons de découvrir que le collectivisme ne fonctionne pas : une promesse – un contrat – n’est tenable que si cette promesse lie deux personnes, et deux personnes seulement, chacune ayant accepté clairement de limiter sa liberté individuelle, dans les limites prévues par le contrat. Toute autre formule restreignant la liberté individuelle est vouée à l’échec.

Je peux consentir à limiter ma liberté.

Je ne peux pas accepter que quelqu’un d’autre que moi le fasse.

Voilà le fond du message de Jésus.

Sans vouloir insister, contentons-nous de remarquer que toutes les négociations collectives de nos chers socialistes ou soi-disant gouvernements de droite[4] impliquent, d'une part, l’Etat dans le rôle de Dieu le Père distribuant les Commandements, d'autre part, le petit peuple des entrepreneurs et des travailleurs, qui attend, la casquette à la main, que les décisions qu’il devra respecter soient prises par ceux qui savent[5].

Ainsi toutes les conventions collectives sont organisées sur le modèle de l’Ancien Testament, et donc vouées à l’échec. Pourquoi ? Automatiquement se créent deux classes, celle du "peuple élu", signataire et bénéficiaire de la convention et celle des braves gens qui n’en font pas partie, les exclus.

Or il se trouve que dans le monde moderne, les exclus portent un autre nom, celui d’usager ou de client, et ce sont ces exclus qui paient pour les privilégiés du "peuple élu".

Certains se souviennent peut-être d'une gravure qui illustrait jadis les livres d’histoire ; on voyait le Tiers Etat qui portait sur son dos la Noblesse et le Clergé. Eh bien, nous y sommes à nouveau, la cléricature étatique a remplacé les prêtres catholiques, les fonctionnaires ont remplacé la noblesse. A quand une nouvelle Nuit du 4 août[6] ?

L’exemple archétypal du contrat signé sur le Sinaï entre Dieu le Père et son Peuple éperdu de reconnaissance[7], est bien évidemment la remarquable loi Aubry sur les trente-cinq heures, dont l’application dans les hôpitaux, par exemple, a démontré la funeste imbécillité. Elle est absurde dans toutes ses applications, mais dans les hôpitaux tout le monde peut le vérifier. En effet, dans un hôpital les gains de productivité sont difficiles.

Nul n’a envie que le chirurgien qui va l’opérer multiplie par deux le nombre de ses opérations journalières, surtout s’il vous fait passer sur le billard en fin de journée… Il risque d'être un peu fatigué ! Dans un monde professionnel où les gains de productivité sont faibles, toute réduction du temps de travail oblige à embaucher, si on ne veut pas que la qualité du service baisse. Or, embaucher est impossible pour deux raisons : il n’y a personne à embaucher, et en plus il n’y a pas d’argent pour le faire. Depuis des années, en effet, ceux qui gèrent la Sécurité sociale, limitent le nombre des admissions aux concours de médecins ou d’infirmiers. Ce qui limite le nombre de candidats à la formation médicale ou paramédicale.

Aujourd’hui, quand bien même on voudrait embaucher des médecins ou des infirmiers, on ne le pourrait pas, car il faut entre trois et dix ans pour former des personnels qualifiés dans le domaine de la santé. Les choses n'iront pas, avec le temps, en s'arrangeant… D'autre part, les hôpitaux sont soumis à des contraintes budgétaires qui leur sont de plus en plus difficiles de contourner. S'il existait un personnel disponible, les hôpitaux ne pourraient l'embaucher en raison de ces contraintes. Comme le système hospitalier fonctionne sans liberté des prix, il n’y a pas de liberté de choix, donc pas de liberté du tout.

Si l’Union Soviétique a sauté parce que son système économique était idiot, pourquoi s’imaginer que la Sécurité sociale puisse marcher ? Les grand-messes (!) où le gouvernement et les syndicats officient de concert pour annoncer la dix huitième, la dix neuvième ou la vingtième – nous ne savons plus très bien – réforme de la Sécurité sociale nous rappellent singulièrement le processus de la glasnost de Gorbatchev qui s’échinait, sous les applaudissements de toute la gauche française, a réformer un système qui était condamné, car contraire à la nature humaine et à la Loi divine….

Or les valeurs et les principes de fonctionnement de l’ex-Union Soviétique et de la Sécurité sociale sont exactement les mêmes : la combinaison des limitations des dépenses, du contrôle des prix, du numerus clausus et des trente-cinq heures ? Ce qui engendre une situation fort intéressante pour un logicien, celle d'un problème sans solution. Ubuesque. Le plus drôle, si on veut : c’est qu'il s'agit du même ministre ou de "la" même ministre qui a fixé le numerus clausus pour les études, le budget des hôpitaux et imposé les trente-cinq heures !

Bref l’Ancien Testament nous démontre que les négociations collectives ne fonctionnent jamais, parce que les puissants se défilent toujours, ce qui met hors-jeu une bonne partie de la population. Et voilà comment "certains sont plus égaux que d’autres"… Revenons à Dieu. Au bout d’un certain temps, Lui qui jetait un oeil sur sa création, il a fini, selon les Evangiles, par se rendre compte que les choses ne se passaient vraiment pas comme Il l’avait espéré.

Il se dit qu’il lui fallait retourner à la table des négociations. Ses deux premières expériences lui ayant laissé un mauvais souvenir, méfiant, il décide d’envoyer son propre Fils, pour discuter du nouveau contrat, de la nouvelle alliance, du "new covenant" comme diraient nos amis anglais. Et là, tout change. Jésus a compris. Comme nous l’avons déjà expliqué, Il décide de ne s’intéresser qu’à un individu à la fois. A la place d’un bon gros contrat, d’une énorme convention collective, la décision est prise de ne plus passer que des contrats individuels, renouvelés à chaque transaction. Fini la massification, ou l’appartenance forcée à une race, une nation, une religion, ou un syndicat. Fini le favoritisme, la corruption, les préséances. On comprend que nos élites détestent le marché libre fondé sur le contrat individuel. L’homme "tribal" devient "l’individu" moderne. Et c’est l’explosion de liberté et donc de créativité engendrée par le christianisme. Samuel Huttington dans son livre Le choc des civilisations fait une intéressante remarque : les enquêtes d’opinion effectuées dans les cinq ou six grandes civilisations qui se partagent aujourd’hui le monde, montrent que la civilisation judéo-chrétienne se distingue des autres essentiellement par l’extrême individualisme de ceux qui en font partie.

La notion d’individu est centrale et consubstantielle à notre civilisation.

Cette notion trouve sa source originelle dans les Evangiles, en général et dans les paroles de Jésus, en particulier. L’individualisme occidental n’est que le lointain reflet de cette liberté qui nous a été donnée d’être ou de ne pas être un bon Juif, de suivre ou de ne pas suivre l’Appel.

Dans cet esprit, ceux qui ne voient que l’étatisme, l’égalitarisme – contrat collectif – et le pessimisme – lutte des classes, "valeur travail", malthusianisme – constituent un recul moral sans précèdent, qui tend à nier tout ce que le Christ nous a enseigné  ? Il s’agit d’un retour en arrière, d'un retour de la morale de l’esclave . A contrario, je me répète, le message des Evangiles est libérateur. Hélas, je le sais, les églises en général et l’église catholique en particulier, n'ont pas toujours respecté la liberté individuelle, loin s'en faut ! Mais Jean-Paul II, le pape actuel, n'a-t-il pas demandé pardon pour les crimes que son Eglise a pu commettre dans l’histoire ? Il a eu raison de le faire.

Quels qu'aient été ses erreurs et même ses crimes, il ne faut jamais perdre de vue que l'église catholique a eu ce mérite inouï de nous transmettre les paroles du Christ sans y toucher. De cela on ne pourra jamais assez la remercier.


Notes et références

  1. Les descendants d’Abraham et de Sarah, devaient être "aussi nombreux que les étoiles", d’après la promesse de Dieu à Abraham. Ce qui avait fait rire en douce Sarah, qui se savait trop vieille pour enfanter. Ce pour quoi, elle avait été punie...non pas d’être vieille, mais d’avoir ri. C’est un peu décevant, mais sur ce coup-là, Dieu a manqué d’humour.
  2. En fait en anglais, on appelle ces contrats non pas "alliance", mais "covenant" mot juridique qui veut dire contrat. En français on utilise un terme venant du monde diplomatique "alliance", en anglais un terme venant du droit privé. En France on pense le droit et la loi en termes de relations politiques, en Angleterre en termes de liberté individuelle. Voir les deux derniers chapitres des Lions menés par des Anes. Op.cit.
  3. Ce qui étonne dans la Bible, c’est cette impression que Dieu découvre sans arrêt, et parfois avec stupéfaction, de quoi sont capables les hommes. Il est omniscient, mais les hommes le surprennent tout le temps…
  4. Reconnaissons- le : celui qui découvre la moindre différence entre les partis au pouvoir en France en analysant les politiques menées par les uns ou les autres, a l’oeil bien exercé. La droite française est au moins aussi étatiste, sociale-démocrate et corrompue que la gauche. Les seules réformes intelligentes qu'a connu la France ces dernières années, ont été faites par Pierre Bérégovoy, Premier ministre socialiste, trop tôt disparu.
  5. Dans les années Mitterrand, la classe politique faisait référence au président en l’appelant "Dieu", plaisanterie ô combien révélatrice.
  6. Pendant la Nuit du 4 août 1789, la noblesse française a voté l’abolition de ses privilèges, donnant ainsi un très bel exemple d’altruisme et de patriotisme.
  7. Ce qui n’est pas vrai du tout. Dès que Moise est sorti du camp, les Israélites se sont mis à faire la fête, à adorer le Veau d’or, à vouloir retourner en Egypte… Rester dans le droit chemin les ennuyait profondément. Rien n’a vraiment changé, et ne changera jamais.
CHAPITRE XI - Evangiles et endettement << Charles Gave  —  Un libéral nommé Jésus >> CONCLUSION - Quand un rocher change le cours d’un fleuve