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::"Le marxisme est l'horizon indépassable de la pensée humaine",
::Jean-Paul Sartre


Beaucoup, sans doute, ne se sont jamais posé une question, pourtant essentielle à quiconque veut comprendre l'évolution du monde : qu’est-ce qui donne de la valeur aux choses ?
Pourquoi certains acceptent  de payer trois mille euros de plus pour une Mercedes que pour une Volvo, alors que les deux voitures sont d'une qualité quasi identique ? Pourquoi certains préfèrent s'offrir une monture de lunettes de marque alors qu'ils pourraient au même prix s'en acheter dix chez Afflelou ?  Pourquoi l’aigue-marine que ma mère portait toujours, a-t-elle beaucoup plus de valeur, pour moi, que la valeur marchande de la pierre ?
Cette question de la valeur a divisé les économistes pendant le XIXème  siècle et une bonne partie du XXème.
Au départ, avec Ricardo et ses successeurs, les économistes se sont fourvoyés : ils estimaient que leur rôle était de trouver une explication objective et mesurable à la valeur des choses. Dans leur esprit la valeur devait être égale à la somme de la valeur des produits et services entrant dans le produit fini.
L’exemple du pot-au-feu est très éclairant.
Dans un pot-au-feu on met des carottes, des poireaux, des navets, des pommes de terre, de la viande…La valeur du pot-au-feu serait donc égale à la somme des valeurs de tous ses ingrédients. Et d'où viendrait la valeur des carottes, des poireaux, de la viande, etc.  ?
Euréka !
Du travail nécessaire pour faire pousser les légumes et élever le bœuf.
Certes, mais le paysan n’a pas creusé la terre avec ses petits ongles, il a utilisé un tracteur, et donc du capital. On ne peut pas produire des carottes, ou autres légumes, on ne peut pas élever des bœufs  uniquement avec du travail ; il faut aussi du capital.
Se pose alors une autre question : qu'est-ce que le capital ? C’est le travail que les générations passées n’ont pas consommé, répondaient les disciples de Ricardo.  Excellente idée !
Une première remarque : si cette idée est juste, en empêchant la rémunération du capital, on spolie les générations futures et on consomme quelque chose que nous n’avons pas produit… et donc on condamne au dénuement le plus total nos pauvres rejetons.
Ce qui induit une question de fond : est-ce bien moral que de condamner à la misère les générations futures ?
Si l’on regarde l’expérience des pays socialistes, le moindre doute n’est plus permis. La seule explication rationnelle aux désastres engendrés par les socialistes, c’est qu’ils ont essayé de nous affranchir de toute richesses, utiles ou inutiles, pour enfin nous libérer de ce matérialisme sordide que génère le capitalisme. La pauvreté la plus totale a suivi leur passage au pouvoir. De cela, il faut prendre acte si on veut rester lucide intellectuellement.
Mais il nous faut continuer notre démonstration et interrompre notre digression puisque le pot-au-feu est servi et qu'il peut refroidir….
Si on utilise un tracteur pour faire pousser les carottes, les navets,  les pommes de terre et pour transporter le fourrage nécessaire à l'alimentation des bœufs, quelle part de l’amortissement du tracteur revient à chacun des ingrédients du pot-au-feu ? Le tracteur, en effet, il faudra bien un jour le remplacer, afin que le paysan puisse continuer de travailler. Sans cette capacité d'amortir le matériel, d'amortir le capital, c'est la dégringolade. Une dégringolade parfois tragique<ref>''Toutes'' les famines du XXème siècle ont une caractéristique commune, un pouvoir, un gouvernement socialiste.  Sûrement un hasard malheureux… </ref> … 
Mais il faut pousser plus loin le raisonnement : même si on pouvait calculer la "valeur travail" et la "valeur capital" de chacun des ingrédients entrant dans notre pot-au-feu, celui-ci pourrait n’avoir aucune "valeur" en termes économiques. Il faut, en effet, que des gens aient envie de pot-au-feu ! 
Se mettre à fabriquer des diligences dernier cri quand les chemins de fer se développaient n'aurait pas été très intelligent, et n'aurait eu aucune "valeur"<ref>Comme on disait du temps de la régie Renault, "Renault fait des voitures avec de l’argent et Peugeot de l’argent avec des voitures ". Chaque année, les impôts que Peugeot payait étaient transfères à Renault pour lui permettre de produire à perte. </ref>.
Pour faire simple, ce n’est pas en additionnant beaucoup de travail et beaucoup de capital que l’on aboutit à un produit qui ait de la  "valeur  ". Or, toutes les économies socialistes ont été organisées, et le sont encore, selon la théorie de la "valeur travail".
Il y  avait des légions de statisticiens qui, en URSS, s'épuisaient à additionner un millième de tracteur à un dixième d’engrais et un vingtième de travailleur pour déterminer la valeur de la carotte !
Et pendant près d’un siècle, cette erreur intellectuelle a été soutenue –  et continue de l’être –  contre vents et marées par toute la gauche et tous les syndicats français<ref>Tous les secteurs relevant du domaine public en France et ou les syndicats sont présents, sont organisés selon la "valeur travail".D'ailleurs dès qu'un ministre veut introduire des critères de rentabilité, de compétitivité dans son ministère, c'est la révolution dans les couloirs, et la mobilisation entre la Nation et la Bastille. </ref>. C'est l'hommage de Jean-Paul Sartre au marxisme, "horizon indépassable de la pensée humaine".
En France aujourd’hui, il y a des milliers de braves citoyens qui travaillent au ministère de la Santé pour comptabiliser un dixième d’amortissement de l'hôpital avec un trentième du coût de formation d'un médecin, et y ajouter ensuite le prix du coton hydrophile avant de conclure que la Sécurité sociale est en déficit… Le déficit de la Sécurité sociale ne veut strictement rien dire pour un économiste.
Si le prix d’un bien ou d’un service est maintenu artificiellement à un niveau zéro, sa demande devient infinie… Comment en être surpris ? Il ne peut donc pas y avoir d’équilibre des comptes de la Sécurité sociale dans son mode actuel de fonctionnement.
Comme le répétait un de mes professeurs, toute société doit, à un moment ou à un autre, choisir entre la main invisible d’Adam Smith –  le marché – et le coup de pied au cul fort violent de Joseph Staline – la contrainte étatique, le rationnement, la corruption, les gendarmes et le Goulag.
L’ennui avec la théorie de la "valeur travail", c’est qu’elle parait logique : un bien devrait se vendre à un prix qui couvre son coût de fabrication et qui permette à ceux qui l’ont produit de vivre décemment.
Cette théorie rejoint celle du "juste prix de l’église catholique ", qui s’est toujours fait distinguer par sa constante incompétence dans les domaines économiques<ref>Ce n’est plus vrai du dernier Pape, voir l’Encyclique ''Centesimus annus''. Il est surprenant que l’église ait eu pendant des siècles une doctrine sociale, et aucune doctrine sur la façon dont cette richesse  qu’il fallait repartir, avait été créée…</ref>.
Bien qu'étant catholique, je ne peux m'empêcher de remarquer que les protestants, en lisant les mêmes Evangiles, en ont tiré des conclusions totalement différentes, et parfaitement valables économiquement<ref>Voir les analyses bien connues de Max Weber</ref>.
Ce n’est donc pas le message qui est en cause, mais la lecture  fausse de ce message par une élite insuffisamment formée, et fort contente d’exercer un magistère moral dans un domaine où elle n’a rien à dire de pertinent.
Si la théorie de la "valeur travail" ou du "juste prix" ne tient pas devant la réalité, par où pêche-t-elle ?
Les classiques voulaient partir de la valeur pour déterminer le prix.
''En fait, il faut partir du prix pour déterminer la valeur''.
Chacun de nous, en effet, a une échelle des valeurs différente de celle de son voisin.
Chacun de nous, à partir de son revenu, considère qu'il peut vendre ou échanger un certain nombre de produits ou de services, à tout moment.
Il y a donc une infinité de "valeurs" qui se baladent dans le monde à chaque instant. On est devant un univers infini des possibles.
De temps en temps, miraculeusement, deux "valeurs" se rencontrent et un prix est arrêté. C'est alors que l’échange du bien ou du service a lieu.
Ce prix, fixe la valeur monétaire du bien, à ce moment-là, et à ce moment-là, seulement. Ce qui n’a rien à voir avec la valeur subjective que chacun d'entre nous pourrait accorder à ce bien. C'est l'exemple de l’aigue-marine de ma mère que je ne vendrais pas pour tout l'or du monde.
Pour la commodité de l’analyse et les calculs statistiques, le prix arrêté lors de cette transaction sera utilisé comme un substitut à la valeur, et ce jusqu'à ce qu'une nouvelle transaction ait lieu.
Et ainsi de suite.
La valeur de notre pot-au-feu, c’est le prix auquel il est acheté, un jour précis par un tiers.
Tout ceux qui ont assisté à une vente aux enchères comprennent ce mécanisme. Personne dans une vente aux enchères n’achète s’il n’est pas persuadé, au moment où il fait son offre, que le prix qu’il paie est inférieur à la valeur du bien qu’il achète. "J’ai fait une bonne affaire", telle est la façon de résumer cette situation.
Cette théorie de la valeur subjective et son corollaire, le prix objectif,  fut mise en lumière par une école économique qu’il est convenu d’appeler l’Ecole Autrichienne<ref>Von Mises, Hayek, Schumpeter…</ref>, à la fin du XIXeme et au début du XXeme siècle.
Elle révolutionna la pensée économique.
Mais pourquoi toutes ces digressions sur la valeur dans un livre consacré aux relations entre les Evangiles et les moteurs de l'économie ? Parce que la théorie subjective de la valeur est présente dans les Evangiles, en toutes lettres, ce que peu de gens semblent avoir remarqué.
::Jésus, ayant levé les yeux, vit les riches qui mettaient leurs
::offrandes dans le tronc.
::Il vit aussi une femme, une veuve très pauvre, qui y mettait deux
::pites, et il dit :
::"Je vous assure que cette pauvre veuve a mis plus que personne,
::car tous les autres ont fait offrande à Dieu de leur superflu,
::tandis qu’elle a donné de son nécessaire,
::tout ce qu’elle avait
::pour vivre. "
Encore une fois, tout y est, et en trois phrases.
On ne peut s’empêcher d’être éperdu d’admiration devant la capacité du Christ à dire une vérité profonde avec un minimum de mots.
• Le service acheté est la sensation du devoir accompli que l’on se procure par un acte de charité.
• Le prix est de deux pites, c'est-à-dire rien.
• La valeur est immense.
Quand Bill Gates donne 20 milliards de dollars à des associations caritatives pour l’enfance<ref>Les 20 milliards iront vraiment aux enfants, et non dans le compte en Suisse du roitelet local qui en reversera aussitôt une partie au grand roi occidental.
Les vaccinations effectuées et payées par la fondation de Bill Gates ont déjà sauvé plus d’un million d’enfants dans le monde.
</ref>  – plus que le budget d’aide aux Pays en Voie de Développement de la France…–, il donne aux yeux de Dieu moins que cette pauvre veuve…
Dieu pratique et connaît la théorie de la valeur subjective….
Le message est clair : chacun est libre de dépenser ses revenus comme il l’entend.
Mais pour que cette liberté de dépenser ses revenus en fonction de ses préférences personnelles existe (cf. la définition de Jean-Paul II de la liberté), il faut que les deux branches de la transaction soient également libres.
Ce qui implique : chacun doit pouvoir bâtir et gérer sa propre échelle de valeur sans contrainte.
La confrontation entre les différentes échelles de valeur doit aussi être libre.
Les prix doivent donc être libres pour que l’adéquation prix- valeur, puisse se faire librement.
Personne ne doit être forcé ni d'acheter ni de vendre un produit ou un service qu’il ne veut pas.
Imaginons que, sur le tronc de l'église, il y ait eu un panneau : "don minimum, une drachme", ou encore, "nul ne peut faire la charité s’il n’a pas un revenu minimum de dix pites… " La pauvre veuve n’aurait pu donner ses deux pites…
Le message de Jésus est simple : Pour que les valeurs puissent se concrétiser dans des actions, il faut que les prix soient libres.
Pourquoi ? Parce que les préférences individuelles exprimées par des prix sont l’information de base dont les entrepreneurs ont besoin pour ajuster leur production à la demande.
Quiconque manipule les prix empêche l’information de se créer et de circuler. L'idée des politiques est, toujours, d’acheter la farine chère, pour plaire aux paysans et de forcer les boulangers à vendre le pain bon marché, pour plaire aux ouvriers. Moyennant quoi, on aura des excédents de farine et des pénuries de pain<ref>Excédents de farine en Europe, exportés à grand coups de subventions en Afrique, ce qui dérègle les lois du marché de la la paysannerie locale, que l’on essaye ensuite d’empêcher d’émigrer chez nous... ce qui crée des pénuries de pain en Afrique.</ref>, ce que l’on constate tous les jours avec la Politique agricole commune,  ou à travers le contrôle des honoraires médicaux et des tarifs hospitaliers.
La lecture de ces derniers paragraphes aura probablement fait sursauter et s'exclamer plusieurs lecteurs : « Là,  il exagère ! ».
Tout le monde sait, en effet, que chacun peut dépenser son revenu comme il l'entend. Tout le monde sait que les prix sont libres en France et que notre pays est en proie au libéralisme le plus sauvage et le plus débridé.
Eh bien ce n’est pas vrai, pas vrai du tout !
A l’intérieur de la richesse créée chaque année en France, c'est-à-dire le PNB, 33 % au moins sont organisés selon des principes qui interdisent et la liberté des prix et la liberté de choix contre 20 %,  il y a 25 ans. Chaque Français devrait mesure l'illusion dans laquelle il vit : il se croit dans un régime de liberté des prix ! C'est de cette illusion que crève la France.
Parmi les secteurs de cette économie socialisée, on peut citer :
L’Education Nationale,
La Santé,
Les Transports,
Les Télécommunications,
L’Energie…
Si vous estimez que ces secteurs – soit environ 35 % de la population active – fonctionnent à votre satisfaction, alors, vous devez être membre du PS ou du PCF, inscrit à la CGT à FO ou au SNESUP, ou travailler au CNRS…
== Notes et références ==
<references /> <!-- aide : http://fr.wikipedia.org/wiki/Aide:Notes et références -->


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Version du 7 mai 2008 à 20:49

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Charles Gave:Les évangiles et la notion de valeur


Anonyme


CHAPITRE V
Les évangiles et la notion de valeur
Un libéral nommé Jésus
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Auteur : Charles Gave
Genre
essai, actualité
Année de parution
2005
Interwiki
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Index des livres
A • B • C • D • E • F • G • H • I • 

J • K • L • M • N • O • P •  Q • R • S • T • U • V • W • X • Y • Z

"Le marxisme est l'horizon indépassable de la pensée humaine",
Jean-Paul Sartre


Beaucoup, sans doute, ne se sont jamais posé une question, pourtant essentielle à quiconque veut comprendre l'évolution du monde : qu’est-ce qui donne de la valeur aux choses ?

Pourquoi certains acceptent de payer trois mille euros de plus pour une Mercedes que pour une Volvo, alors que les deux voitures sont d'une qualité quasi identique ? Pourquoi certains préfèrent s'offrir une monture de lunettes de marque alors qu'ils pourraient au même prix s'en acheter dix chez Afflelou ? Pourquoi l’aigue-marine que ma mère portait toujours, a-t-elle beaucoup plus de valeur, pour moi, que la valeur marchande de la pierre ?

Cette question de la valeur a divisé les économistes pendant le XIXème siècle et une bonne partie du XXème.

Au départ, avec Ricardo et ses successeurs, les économistes se sont fourvoyés : ils estimaient que leur rôle était de trouver une explication objective et mesurable à la valeur des choses. Dans leur esprit la valeur devait être égale à la somme de la valeur des produits et services entrant dans le produit fini.

L’exemple du pot-au-feu est très éclairant.

Dans un pot-au-feu on met des carottes, des poireaux, des navets, des pommes de terre, de la viande…La valeur du pot-au-feu serait donc égale à la somme des valeurs de tous ses ingrédients. Et d'où viendrait la valeur des carottes, des poireaux, de la viande, etc.  ?

Euréka !

Du travail nécessaire pour faire pousser les légumes et élever le bœuf.

Certes, mais le paysan n’a pas creusé la terre avec ses petits ongles, il a utilisé un tracteur, et donc du capital. On ne peut pas produire des carottes, ou autres légumes, on ne peut pas élever des bœufs uniquement avec du travail ; il faut aussi du capital. Se pose alors une autre question : qu'est-ce que le capital ? C’est le travail que les générations passées n’ont pas consommé, répondaient les disciples de Ricardo. Excellente idée !

Une première remarque : si cette idée est juste, en empêchant la rémunération du capital, on spolie les générations futures et on consomme quelque chose que nous n’avons pas produit… et donc on condamne au dénuement le plus total nos pauvres rejetons. Ce qui induit une question de fond : est-ce bien moral que de condamner à la misère les générations futures ? Si l’on regarde l’expérience des pays socialistes, le moindre doute n’est plus permis. La seule explication rationnelle aux désastres engendrés par les socialistes, c’est qu’ils ont essayé de nous affranchir de toute richesses, utiles ou inutiles, pour enfin nous libérer de ce matérialisme sordide que génère le capitalisme. La pauvreté la plus totale a suivi leur passage au pouvoir. De cela, il faut prendre acte si on veut rester lucide intellectuellement.

Mais il nous faut continuer notre démonstration et interrompre notre digression puisque le pot-au-feu est servi et qu'il peut refroidir….

Si on utilise un tracteur pour faire pousser les carottes, les navets, les pommes de terre et pour transporter le fourrage nécessaire à l'alimentation des bœufs, quelle part de l’amortissement du tracteur revient à chacun des ingrédients du pot-au-feu ? Le tracteur, en effet, il faudra bien un jour le remplacer, afin que le paysan puisse continuer de travailler. Sans cette capacité d'amortir le matériel, d'amortir le capital, c'est la dégringolade. Une dégringolade parfois tragique[1]

Mais il faut pousser plus loin le raisonnement : même si on pouvait calculer la "valeur travail" et la "valeur capital" de chacun des ingrédients entrant dans notre pot-au-feu, celui-ci pourrait n’avoir aucune "valeur" en termes économiques. Il faut, en effet, que des gens aient envie de pot-au-feu !

Se mettre à fabriquer des diligences dernier cri quand les chemins de fer se développaient n'aurait pas été très intelligent, et n'aurait eu aucune "valeur"[2].

Pour faire simple, ce n’est pas en additionnant beaucoup de travail et beaucoup de capital que l’on aboutit à un produit qui ait de la "valeur ". Or, toutes les économies socialistes ont été organisées, et le sont encore, selon la théorie de la "valeur travail". Il y avait des légions de statisticiens qui, en URSS, s'épuisaient à additionner un millième de tracteur à un dixième d’engrais et un vingtième de travailleur pour déterminer la valeur de la carotte !

Et pendant près d’un siècle, cette erreur intellectuelle a été soutenue – et continue de l’être – contre vents et marées par toute la gauche et tous les syndicats français[3]. C'est l'hommage de Jean-Paul Sartre au marxisme, "horizon indépassable de la pensée humaine".

En France aujourd’hui, il y a des milliers de braves citoyens qui travaillent au ministère de la Santé pour comptabiliser un dixième d’amortissement de l'hôpital avec un trentième du coût de formation d'un médecin, et y ajouter ensuite le prix du coton hydrophile avant de conclure que la Sécurité sociale est en déficit… Le déficit de la Sécurité sociale ne veut strictement rien dire pour un économiste.

Si le prix d’un bien ou d’un service est maintenu artificiellement à un niveau zéro, sa demande devient infinie… Comment en être surpris ? Il ne peut donc pas y avoir d’équilibre des comptes de la Sécurité sociale dans son mode actuel de fonctionnement. Comme le répétait un de mes professeurs, toute société doit, à un moment ou à un autre, choisir entre la main invisible d’Adam Smith – le marché – et le coup de pied au cul fort violent de Joseph Staline – la contrainte étatique, le rationnement, la corruption, les gendarmes et le Goulag.

L’ennui avec la théorie de la "valeur travail", c’est qu’elle parait logique : un bien devrait se vendre à un prix qui couvre son coût de fabrication et qui permette à ceux qui l’ont produit de vivre décemment.

Cette théorie rejoint celle du "juste prix de l’église catholique ", qui s’est toujours fait distinguer par sa constante incompétence dans les domaines économiques[4].

Bien qu'étant catholique, je ne peux m'empêcher de remarquer que les protestants, en lisant les mêmes Evangiles, en ont tiré des conclusions totalement différentes, et parfaitement valables économiquement[5].

Ce n’est donc pas le message qui est en cause, mais la lecture fausse de ce message par une élite insuffisamment formée, et fort contente d’exercer un magistère moral dans un domaine où elle n’a rien à dire de pertinent.

Si la théorie de la "valeur travail" ou du "juste prix" ne tient pas devant la réalité, par où pêche-t-elle ?

Les classiques voulaient partir de la valeur pour déterminer le prix.

En fait, il faut partir du prix pour déterminer la valeur.

Chacun de nous, en effet, a une échelle des valeurs différente de celle de son voisin. Chacun de nous, à partir de son revenu, considère qu'il peut vendre ou échanger un certain nombre de produits ou de services, à tout moment.

Il y a donc une infinité de "valeurs" qui se baladent dans le monde à chaque instant. On est devant un univers infini des possibles.

De temps en temps, miraculeusement, deux "valeurs" se rencontrent et un prix est arrêté. C'est alors que l’échange du bien ou du service a lieu. Ce prix, fixe la valeur monétaire du bien, à ce moment-là, et à ce moment-là, seulement. Ce qui n’a rien à voir avec la valeur subjective que chacun d'entre nous pourrait accorder à ce bien. C'est l'exemple de l’aigue-marine de ma mère que je ne vendrais pas pour tout l'or du monde.

Pour la commodité de l’analyse et les calculs statistiques, le prix arrêté lors de cette transaction sera utilisé comme un substitut à la valeur, et ce jusqu'à ce qu'une nouvelle transaction ait lieu.

Et ainsi de suite.

La valeur de notre pot-au-feu, c’est le prix auquel il est acheté, un jour précis par un tiers.

Tout ceux qui ont assisté à une vente aux enchères comprennent ce mécanisme. Personne dans une vente aux enchères n’achète s’il n’est pas persuadé, au moment où il fait son offre, que le prix qu’il paie est inférieur à la valeur du bien qu’il achète. "J’ai fait une bonne affaire", telle est la façon de résumer cette situation.

Cette théorie de la valeur subjective et son corollaire, le prix objectif, fut mise en lumière par une école économique qu’il est convenu d’appeler l’Ecole Autrichienne[6], à la fin du XIXeme et au début du XXeme siècle.

Elle révolutionna la pensée économique.


Mais pourquoi toutes ces digressions sur la valeur dans un livre consacré aux relations entre les Evangiles et les moteurs de l'économie ? Parce que la théorie subjective de la valeur est présente dans les Evangiles, en toutes lettres, ce que peu de gens semblent avoir remarqué.

Jésus, ayant levé les yeux, vit les riches qui mettaient leurs
offrandes dans le tronc.
Il vit aussi une femme, une veuve très pauvre, qui y mettait deux
pites, et il dit :
"Je vous assure que cette pauvre veuve a mis plus que personne,
car tous les autres ont fait offrande à Dieu de leur superflu,
tandis qu’elle a donné de son nécessaire,
tout ce qu’elle avait
pour vivre. "

Encore une fois, tout y est, et en trois phrases.

On ne peut s’empêcher d’être éperdu d’admiration devant la capacité du Christ à dire une vérité profonde avec un minimum de mots.

• Le service acheté est la sensation du devoir accompli que l’on se procure par un acte de charité.

• Le prix est de deux pites, c'est-à-dire rien.

• La valeur est immense.

Quand Bill Gates donne 20 milliards de dollars à des associations caritatives pour l’enfance[7] – plus que le budget d’aide aux Pays en Voie de Développement de la France…–, il donne aux yeux de Dieu moins que cette pauvre veuve…

Dieu pratique et connaît la théorie de la valeur subjective….

Le message est clair : chacun est libre de dépenser ses revenus comme il l’entend.

Mais pour que cette liberté de dépenser ses revenus en fonction de ses préférences personnelles existe (cf. la définition de Jean-Paul II de la liberté), il faut que les deux branches de la transaction soient également libres. Ce qui implique : chacun doit pouvoir bâtir et gérer sa propre échelle de valeur sans contrainte.

La confrontation entre les différentes échelles de valeur doit aussi être libre.

Les prix doivent donc être libres pour que l’adéquation prix- valeur, puisse se faire librement.

Personne ne doit être forcé ni d'acheter ni de vendre un produit ou un service qu’il ne veut pas. Imaginons que, sur le tronc de l'église, il y ait eu un panneau : "don minimum, une drachme", ou encore, "nul ne peut faire la charité s’il n’a pas un revenu minimum de dix pites… " La pauvre veuve n’aurait pu donner ses deux pites…

Le message de Jésus est simple : Pour que les valeurs puissent se concrétiser dans des actions, il faut que les prix soient libres.

Pourquoi ? Parce que les préférences individuelles exprimées par des prix sont l’information de base dont les entrepreneurs ont besoin pour ajuster leur production à la demande.

Quiconque manipule les prix empêche l’information de se créer et de circuler. L'idée des politiques est, toujours, d’acheter la farine chère, pour plaire aux paysans et de forcer les boulangers à vendre le pain bon marché, pour plaire aux ouvriers. Moyennant quoi, on aura des excédents de farine et des pénuries de pain[8], ce que l’on constate tous les jours avec la Politique agricole commune, ou à travers le contrôle des honoraires médicaux et des tarifs hospitaliers.

La lecture de ces derniers paragraphes aura probablement fait sursauter et s'exclamer plusieurs lecteurs : « Là, il exagère ! ». Tout le monde sait, en effet, que chacun peut dépenser son revenu comme il l'entend. Tout le monde sait que les prix sont libres en France et que notre pays est en proie au libéralisme le plus sauvage et le plus débridé.

Eh bien ce n’est pas vrai, pas vrai du tout !

A l’intérieur de la richesse créée chaque année en France, c'est-à-dire le PNB, 33 % au moins sont organisés selon des principes qui interdisent et la liberté des prix et la liberté de choix contre 20 %, il y a 25 ans. Chaque Français devrait mesure l'illusion dans laquelle il vit : il se croit dans un régime de liberté des prix ! C'est de cette illusion que crève la France.

Parmi les secteurs de cette économie socialisée, on peut citer :

L’Education Nationale, La Santé, Les Transports, Les Télécommunications, L’Energie…

Si vous estimez que ces secteurs – soit environ 35 % de la population active – fonctionnent à votre satisfaction, alors, vous devez être membre du PS ou du PCF, inscrit à la CGT à FO ou au SNESUP, ou travailler au CNRS…

Notes et références

  1. Toutes les famines du XXème siècle ont une caractéristique commune, un pouvoir, un gouvernement socialiste. Sûrement un hasard malheureux…
  2. Comme on disait du temps de la régie Renault, "Renault fait des voitures avec de l’argent et Peugeot de l’argent avec des voitures ". Chaque année, les impôts que Peugeot payait étaient transfères à Renault pour lui permettre de produire à perte.
  3. Tous les secteurs relevant du domaine public en France et ou les syndicats sont présents, sont organisés selon la "valeur travail".D'ailleurs dès qu'un ministre veut introduire des critères de rentabilité, de compétitivité dans son ministère, c'est la révolution dans les couloirs, et la mobilisation entre la Nation et la Bastille.
  4. Ce n’est plus vrai du dernier Pape, voir l’Encyclique Centesimus annus. Il est surprenant que l’église ait eu pendant des siècles une doctrine sociale, et aucune doctrine sur la façon dont cette richesse qu’il fallait repartir, avait été créée…
  5. Voir les analyses bien connues de Max Weber
  6. Von Mises, Hayek, Schumpeter…
  7. Les 20 milliards iront vraiment aux enfants, et non dans le compte en Suisse du roitelet local qui en reversera aussitôt une partie au grand roi occidental. Les vaccinations effectuées et payées par la fondation de Bill Gates ont déjà sauvé plus d’un million d’enfants dans le monde.
  8. Excédents de farine en Europe, exportés à grand coups de subventions en Afrique, ce qui dérègle les lois du marché de la la paysannerie locale, que l’on essaye ensuite d’empêcher d’émigrer chez nous... ce qui crée des pénuries de pain en Afrique.
CHAPITRE IV - Les Evangiles et la prise de risque << Charles Gave  —  Un libéral nommé Jésus >> CHAPITRE V - Les évangiles et la richesse