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modifications
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pas mieux sur le déterminisme économique que sur la présomption | pas mieux sur le déterminisme économique que sur la présomption | ||
d'une action volontaire des hommes. | d'une action volontaire des hommes. | ||
§ Il. La thèse évolutionniste. | |||
Les collectivistes se défendent aujourd'hui d'appuyer leur système | |||
sur la théorie de la catastrophe; ils sont donc eux-mêmes bien plus | |||
évolutionnistes que révolutionnaires. Dans leur doctrine de révolution, | |||
ils se montrent très attachés au déterminisme historique; mais | |||
ils sont déterministes sans être fatalistes, et admettent plus ou moins | |||
libéralement que la volonté humaine, d'ailleurs déterminée par les | |||
motifs tirés des circonstances, joue un rôle important parmi les | |||
forces qui dirigent l'évolution. Pour eux, la nécessité historique ne | |||
doit pas être identifiée avec la contrainte économique exercée par des | |||
facteurs purement objectifs; la nécessité du socialisme se fonde non | |||
pas sur des forces simplement mécaniques, mais sur l'organisation, | |||
la puissance et la maturité du prolétariat (d'ailleurs uni et discipliné | |||
par le mode de production capitaliste), et sur l'ensemble des facteurs | |||
moraux compris dans l'expression lutte de classes. La conception | |||
matérialiste de l'histoire s'élargit et s'assouplit, elle admet les idées | |||
morales parmi les agents de l'évolution, et le débat auquel donne | |||
lieu l'interprétation du matérialisme historique ne porte plus, parmi | |||
les marxistes, que sur la dépendance plus ou moins étroite des facteurs | |||
idéologiques vis-à-vis des facteurs économiques. | |||
Quels que soient ces tempéraments, l'idée d'évolution déterminée | |||
t. TugM-BManow~hy,S~M~ensM)' Theorie und G'esc/noMedet'~aK~&AWM~tM. | |||
ER.?<tHM2<' ,p., chap. Mna, Fischer, t80i, in-8". “: | |||
330 LES SYSTÈMES SOCIALISTES ET L'ÉVOLUTION ÉCONOMIQUE | |||
par les conditions objectives du mode de la production reste dominante | |||
dans les milieux marxistes'. Nous savons ce qu'il faut penser du | |||
prétendu développement de l'antagonisme entre les forces productives | |||
et la capacité du marché. Mais ce n'est pas là, pour les collectivistes de | |||
l'école de Marx, la seule antithèse qui provoque le mouvement historique, | |||
ni même la principale. Aleurs yeux, la nécessité du socialisme | |||
se fonde surtout sur la centralisation croissante des entreprises, | |||
parce que cette centralisation accentue la contradiction immanente | |||
entre le mode collectif de la production capitaliste, qui réclame la | |||
coopération de forces toujours plus nombreuses, et le mode individuel | |||
de l'appropriation des produits; elle développe les antagonismes | |||
de classes par l'extension du prolétariat, et prépare enfin la socialisation | |||
ultérieure des moyens de production. | |||
Il faut reconnaître que des faits nombreux et importants viennent | |||
à l'appui de la thèse collectiviste. Partout la concentration fait des | |||
progrès rapides, non seulement dans l'industrie manufacturière, | |||
mais dans l'industrie des transports, le commerce de détail, la | |||
banque, etc. La petite industrie à domicile paraît, il est vrai, se dc'velopper | |||
sur certains points, dans les métiers où elle n'est pas en | |||
concurrence avec la machine; mais elle n'est elle-même qu'une forme | |||
d'industrie capitaliste. Aussi observe-t-on dans tous les pays progressifs | |||
un accroissement du nombre des salariés, ou plus généralement | |||
de ceux qui se trouvent directement ou indirectement sous la | |||
dépendance du capital. Les sociétés de capitaux et surtout les coalitions | |||
de producteurs, cartels et trusts, sont la forme extrême de | |||
ce mouvement de concentration, qui place les plus grandes affaires | |||
industrielles sous la domination d'un petit nombre de financiers. Ce | |||
courant général n'atteste-t=il pas que Marx a vu juste, lorsqu'il a | |||
annoncé la diminution progressive du nombre des potentats du | |||
capital, et la facile métamorphose de la propriété capitaliste ainsi | |||
concentrée en propriété sociale? | |||
Mais les prophètes grossissent facilement par imagination certains | |||
faits remarquables du monde moderne, comme les grandes | |||
sociétés et les trusts, qui se détachent avec vigueur sur la trame du | |||
fond, sans considérer que cette trame est encore constituée par d'in- | |||
1. Cette idée est exclusive,semble-t-il, chez Engels. L'abolition des classes, | |||
comme tout autre progrès social, devientpraticable, non par la simple conviction, | |||
dans les masses, que l'existence de ces classes est contraire à l'égalité, ou H.la | |||
justice, ou a la fraternité, non par la simple volonté de les détruire, mais par | |||
l'avènement de nouvelles conditions économiques. Engels, Socialisme utopique | |||
et socialismescientifique,p. 31. Voir aussi la préface d'Engels dans la M:'séfe | |||
de &tphilosophiede K. Marx, p. 12,Giard, 1896,in-12. | |||
LES SYSTEMES DEVANT LES FAITS 33t | |||
'II ~··p_rr. a.r,f. nombrables entreprises individuelles qui paraissent douées d'un& | |||
force de résistance considérable. | |||
En agriculture principalement, aucun signe ne nous fait prévoir | |||
la disparition ni même le recul des petites exploitations; les statistisques | |||
n'indiquent à cet égard que des mouvements sans importance | |||
sérieuse, qui se produisent en sens opposés dans les différents | |||
pays; elles n'ont donc pas de signification précise, et ne viennent | |||
aucunement confirmer l'hypothèse d'une décadence de la petite culture. | |||
On sait la raison de cette stabilité en agriculture, les grandes | |||
entreprises capitalistes ne jouissent pas, comme dans l'industrie, | |||
d'une supériorité décisive sur les petites exploitations. Le développement | |||
des sociétés agricoles marque bien une tendance de l'agriculture | |||
vers les formes collectives. Mais c'est un mouvement qui, loin d'écraser | |||
ou d'absorber les faibles, fortifie au contraire les petites entreprises | |||
et assure leur existence; il agit donc directement en sens contraire | |||
de la concentration. | |||
L'évolution capitaliste de l'agriculture, si elle respecte les petites | |||
exploitations, modifie cependant d'une façon sensible la condition | |||
des personnes. Elle affecte assez gravement les ouvriers agricoles, | |||
même ceux qui sont possesseurs d'une parcelle de terre. Dépouillés | |||
de certains avantages de l'ancienne économie rurale, les ouvriers | |||
émigrent des campagnes, et viennent souvent tomber dans les couches | |||
inférieures du prolétariat industriel. Mais si par là augmente | |||
le nombre des salariés de l'industrie, celui des salariés agricoles | |||
diminue en même temps. Le prolétariat décroît dans l'agriculture, et | |||
l'importance des exploitants indépendants -s'y accroît d'une façon | |||
relative et absolue. Les paysans propriétaires forment un bloc résis' | |||
tant que n'entame pas le mouvement contemporain. Déclarer qu'ils | |||
sont destinés à tomber en masse dans le prolétariat, c'est découvrir | |||
trop ingénument les vices de méthode d'une doctrine qui a besoin d& | |||
généraliser les phénomènes de concentration et de prolétarisation | |||
pour conclure à la nécessité historique de la propriété collective. | |||
Dans la thèse transformiste du marxisme, la partie la plus faible | |||
est certainement l'axiome traditionnel d'une décadence inévitable d& | |||
la propriété paysanne. Entraînés par l'attrait de la symétrie et les | |||
besoins de leur cause, les écrivains du parti ont traité les problèmes | |||
agraires par voie d'analogie, au lieu de les considérer en eux-mêmes | |||
ils ont procédé par généralisation hâtive, et transporté en agriculturele | |||
procès constaté dans l'industrie, sans s'inquiéter de la difFérenc& | |||
des phénomènes et des causes fondamentales qui l'expliquent. | |||
Karl Marx appliquait indistinctement à la production agricole et | |||
332 LES SYSTÈMES SOCIALISTES ET L'ÉVOLUTION ÉCONOMIQUE | |||
industrielle son exposé synthétique des tendances de l'accumulation | |||
capitaliste; Eccarius et les marxistes de l'Internationale en 1868, | |||
Liebknecht en 1870, Engels en 1894, attribuaient au machinisme | |||
une action révolutionnaire dans l'agriculture comme dans l'industrie, | |||
et continuaient à présenter la situation du paysan comme desespérée | |||
M. Kautsky lui-même, bien que conduit par les récentes statistiques à | |||
abandonner la proposition initiale du manifeste d'Erfûrtet son exégèse | |||
antérieure sur la banqueroute nécessaire de la propriété paysanne, a | |||
repris en 1898, dans La question agraire, le thème de l'infériorité de | |||
la petite culture; et s'il n'en tire plus, comme jadis, sa conséquence | |||
logique, du moins s'efforce-t-il encore de justifier l'idée classique de | |||
la prolétarisation du paysan propriétaire en invoquant la pulvérisation | |||
du sol, l'endettement de la propriété, et divers phénomènes | |||
réunis sous le terme équivoque d'industrialisation de l'agriculture | |||
Il serait temps, pour le parti socialiste en quête d'une politique | |||
agraire, de renoncer a des dogmes trop simplistes et à d'anciennes | |||
illusions sur la marche conquérante de la charrue à vapeur. Comme | |||
le constatent, dans le sein même du parti, des observateurs mieux | |||
avisés, l'exploitation paysanne est bien vivante; elle s'adapte exactement | |||
aux nécessités de l'agriculture intensive, se fortifie par la coopération, | |||
et supporte sans faiblir le choc de la concurrence exotique qui | |||
ébranle bien des exploitations capitalistes. | |||
Dans le commerce de détail, la position des petits commerçants est | |||
restée ferme. Ils se multiplient dans certaines branches et se défendent | |||
dans les autres, parce qu'ils restent nécessaires pour les articles de | |||
consommation journalière. Sur l'ensemble, si les petites entreprises | |||
commerciales augmentent moins vite que les grandes, du moins | |||
ont-elles assez de vitalité pour augmenter d'une façon absolue. | |||
Par contre, la situation des artisans indépendants paraît plus | |||
ébranlée par les progrès de l'industrie capitaliste, grande industrie | |||
mécanique ou industrie à domicile salariée. Encore les métiers qui | |||
ne sont pas directement en concurrence avec la machine maintiennent- | |||
ils leurs positions parfois même ils s'étendent, lorsqu'ils sont | |||
adaptés à des besoin locaux pour lesquels le consommateur doit | |||
rester en relations directes avec le producteur. Pour cette raison, la | |||
rëgressiondela petite industrie, au total, est extrêmementlente, même | |||
dans un pays de rapide évolution industrielle comme l'Allemagne. | |||
I. Karl Marx,LeCapital, liv. ï, p. 217,341et 3i2, et liv. !!I, cit. xxxvn et XLVtt.– | |||
Kautsky, Das ~r/B)-~)-PM~'amm, p. 28, Stuttgart, Dietz, )892, in-12. Voir nu | |||
surplus, sur cette littérature, supra, p. 6[, 62, 210,2i9, et Ed. David, SocM~mi.s | |||
und La;!C<t():f~c/M/t7. , I, lntrod., Berlin, Verl. der SociaL MoMtshefte, lUU:, | |||
gr. in-S". | |||
LES SYSTÈMES DEVANT LES FAITS 333 | |||
Quant aux cartels et aux trusts, il est incontestable qu'ils ont pris | |||
depuis quelques années un développement extraordinaire dans | |||
les grands pays industriels, avec une forme particulièrement concentrée | |||
chez celui qui tient la tête du mouvement capitaliste. Néanmoins, | |||
le phénomène est loin d'être général. La plupart des monopoles | |||
connus sont dus à la limitation naturelle des sources de la | |||
production, ou à des causes artificielles et légales. En dehors de ces | |||
cas déterminés, la supériorité des grands capitaux a pu encore engendrer | |||
l'extrême concentration, parfois même le monopole, dans certaines | |||
industries métallurgiques, chimiques ou textiles qui exigent | |||
un outillage très coûteux, une mise de fonds considérable, et quiproduisent | |||
des marchandises uniformes pour un marché très étendu. | |||
Mais ces conditions sont limitées; pour la très grande majorité des | |||
industries, la lutte reste possible avec des capitaux relativement restreints. | |||
Dans la plupart des professions industrielles, les moyens | |||
et grands établissements se créent si facilement, ils occupent une | |||
place si considérable et se développent avec tant de vigueur, qu'on | |||
ne peut prévoir sérieusement aujourd'hui leur absorption dans une | |||
seule entreprise gigantesque. | |||
La dispersion individuelle, malgré les progrès de la centralisation, | |||
reste donc dominante sur une immense étendue du domaine économique. | |||
Si concentration des entreprises signiHe évolution indirecte | |||
vers le collectivisme, il faut reconnaître que cette évolution est encore | |||
peu avancée. Sans doute, le mouvement de concentration est loin | |||
d'être parvenu à son terme; il est destiné, selon toute vraisemblance, | |||
à s'étendre et à s'accélérer sur beaucoup de points. Mais supposer | |||
qu'il aboutira un jour à supprimer la totalité, ou même la majeure | |||
partie des exploitations indépendantes dans l'agriculture, l'industrie | |||
et le commerce, c'est bâtir une hypothèse en l'air, en dehors des | |||
données de l'expérience; c'est oublier que, sur le champ agrandi de | |||
la production, les grandes entreprises peuvent se développer sans | |||
nécessairement restreindre la part des petites. Jamais, dans la série | |||
des métamorphoses historiques, les formes d'organisation économique | |||
ne disparaissent complètement les unes devant les autres; | |||
les anciennes conservent toujours leur raison d'être sur certains | |||
points où elles subsistent à côté des nouvelles*. | |||
i. La question de la répartition des fortunes, très différente de celle qui vient | |||
d'être traitée, ne présente pas la même importance; car, s'il est vrai que le nombre | |||
des personnes jouissant d'un revenu capitaliste qui leur procure une aisance | |||
relative augmente dans les pays progressifs,H n'est pas moins certain que ce | |||
nombre reste encoreune minorité assez faible. Sur l'interprétation des statistiques | |||
334 LES SYSTEMES SOCIALISTES ET L'ÉVOLUTION ÉCONOMIQUE | |||
L'extension des exploitations administratives marque une évolution | |||
directe vers le régime de la propriété collective. A ce point de | |||
vue, nous avons noté les progrès du socialisme d'État et du socialisme | |||
communal. L'Etat moderne socialise de nombreux services; il | |||
construit et exploite des chemins de fer et des télégraphes, il gère | |||
des offices de banque et d'assurances. Les communes, de leur côté, | |||
municipalisent les services d'eau, de gaz, d'éclairage électrique et de | |||
tramways; elles construisent des habitations ouvrières, et songent | |||
à de nouvelles entreprises dans un but d'hygiène publique. Ce mouvement | |||
de socialisation étatiste et municipale, comme le mouvement | |||
de concentration capitaliste, est sans doute destiné à se poursuivre. | |||
Il est probable que l'État et les villes compléteront leur oeuvre dans | |||
les domaines où s'exerce déjà leur activité. Peut-être même se lanceront- | |||
ils dans des voies nouvelles; il n'est pas impossible, par | |||
exemple, que l'État mette un jour la main sur des forces naturelles | |||
comme les chutes d'eau, sur les gisements minéraux, sur des entreprises | |||
fortement concentrées qui détiennent un monopole menaçant | |||
pour le public. Néanmoins, une socialisation intégrale, ou embrassant | |||
la majeure partie de la production, reste en dehors des prévi- | |||
-sions que nous sommes autorisés à tirer des faits actuels. | |||
Tant que l'État et les villes se bornent à créer des services jusquelà | |||
inconnus ou négligés de l'industrie privée, tant qu'ils se contentent | |||
d'absorber de grandes entreprises monopolisées, l'opération est | |||
relativement facile; mais si les corps politiques voulaient envahir | |||
les positions occupées aujourd'hui par une multitude d'entreprises | |||
individuelles, il en irait tout autrement. Brusquer les choses, pratiquer | |||
des expropriations en masse, ce serait recourir à la révolution | |||
et tenter l'impossible; il est évident, pour tout homme réfléchi, que | |||
la socialisation no peut précéder la concentration. Mais la concentration | |||
est lente, et elle a ses limites; attendre que les entreprises | |||
privées disparaissent par le cours naturel des événements, c'est | |||
rejeter à une époque indéfiniment éloignée la réalisation du collectivisme | |||
intégral. | |||
L'État, dans ses envahissements, ne serait pas seulement arrêté | |||
fiscales, on peut consulter particulièrement CMson, Cours d'économie politique, | |||
t. H, p. 30i et suiv., Gauthier-ViUars, 1903, 2 vol. in-S". Paul Leroy-Beauiieu, | |||
~'a~c~s la science des ~?:ances, 6* édit., t. I, p. 508 et suiv., Guitiaufnin, 2 vol. | |||
!n-S' 2?s~at sur la !'e~a)'on des t'i'c/teMfs, 4* édit., p. 496 et suiv., Guillaumin, | |||
in-8°. Voir aussi la discussion à ce sujet entre Bernstein (Socialisme théorique | |||
et soct<:Memoerf!F pratique, p. 77 et suiv.) et Kautsky (Le marxisme et son | |||
ct-iM~Kf' Bernstein, p. tS3 et suiv.). Sur les dépôts aux caisses d'épargne dans | |||
les différents pays, Bull. de stat. et de /< comp., mai 1901, p. 602. | |||
LES SYSTÈMES DEVANT LES FAITS 33S | |||
par la masse résistante des petites entreprises privées, il le serait | |||
aussi par les bornes de sa capacité administrative. Nous n'avons | |||
pas a revenir ici sur les fonctions démesurées que le socialisme Intégral, | |||
sous l'une ou l'autre de ses formes, attribue aux administrations | |||
publiques; mais nous pouvons au moins rechercher dans | |||
quelle mesure le perfectionnement qui s'est opéré dans les services | |||
administratifs est favorable aux progrès de la socialisation. | |||
A ce point de vue évolutionniste, on peut accorder que l'administration | |||
publique, dans nos grands États modernes centralisés, est | |||
devenue progressivement une machine colossale d'une extrême complication, | |||
qui remplit aujourd'hui sans trop d'irrégularités les fonctions | |||
les plus vastes et les plus variées. Dans une moindre mesure, | |||
les administrations des grandes compagnies de chemins de fer, de | |||
navigation et de banque, celles des grands magasins, des fédérations | |||
coopératives de l'Angleterre, ont grandi successivement par la | |||
multiplication et l'extension de leurs services. Ces vastes systèmes, | |||
dans lesquels la division du travail se combine avec une direction ““ | |||
très centralisée, fonctionnent automatiquement suivant des règles | |||
précises qui s'améliorent avec l'expérience. Ce sont là de véritables | |||
merveilles d'organisation nous sommes trop accoutumés à les voir | |||
pour songer à les admirer; mais avec un peu de recul, nous pouvons | |||
nous rendre compte qu'elles eussent paru chimériques dans les | |||
siècles passés. | |||
Il faut donc se montrer tr~s réservé dans ses affirmations sur | |||
l'avenir, et ne pas prononcer à la légère qu'une chose est impossible | |||
parce qu'elle n'existe pas encore. Mais il est encore plus vain | |||
d'affirmer sa nécessité, avec la prétention de s'appuyer sur une | |||
méthode scientifique. II est aussi trop facile de critiquer impitoyablement, | |||
comme le font volontiers les collectivistes, la gestion des | |||
entreprises par l'État capitaliste, et de s'imaginer que tous les vices | |||
de l'exploitation administrative disparaîtraient, si le pouvoir appartenait | |||
au prolétariat. | |||
Dans l'avenir, l'administration publique se perfectionnera sans | |||
doute, et deviendra capable de gérer de nouveaux services. Mais | |||
sera-t-elle jamais en état de diriger toutes les fonctions économiques | |||
d'un peuple? A cet égard, ce ne sont pas les quelques entreprises | |||
industrielles dont elle est aujourd'hui chargée, ni même les services | |||
administratifs de l'armée, qui peuvent nous fournir quelque lumière. | |||
A vrai dire, les progrès réalisés jusqu'ici dans les services de l'armée | |||
ne sont pas tels que l'on puisse présumer des administrations | |||
nnh)i<ruRa (fu'ellcs réussiront un iour à approvisionner une ville do | |||
336 LES SYSTÈMES SOCIALISTES ET L'ÉVOLUTION ÉCONOMIQUE | |||
.1. .7T_ .7aL_L_t_~t_ t_ r. v plusieurs millions d'habitants, à y gérer le service du logement, à y | |||
diriger la production industrielle et les échanges. Jusqu'à preuve | |||
contraire fournie par l'expérience, une telle conception paraît chimérique. | |||
Le socialisme d'État, ou simplement communal, poussé | |||
jusqu'à cette extrémité, peut être proposé comme un rêve d'avenir; | |||
mais il faut renoncer à le présenter comme un système scientifique, | |||
c'est-à-dire basé sur l'observation des phénomènes d'évolution. | |||
L'État centralisateur, déjà limité par la résistance des intérêts | |||
individuels menacés et par l'impuissance de ses agents à gérer l'économie | |||
nationale tout entière, se trouverait encore arrêté par d'autres | |||
forces qui se développent au cours de l'évolution. Malgré les efforts | |||
ingénieux des constructeurs de systèmes socialistes pour ménager | |||
la liberté, toujours et inévitablement elle se trouve atteinte dans ses | |||
parties les plus essentielles par une organisation autoritaire de la | |||
production. C'est l'individu qui est soumis à la réquisition et au | |||
domicile forcé, ou qui tout au moins se trouve astreint, dans ses | |||
consommations matérielles et son activité intellectuelle, à n'user que | |||
des produits et des services autorisés par l'État. Ce sont les groupes | |||
professionnels qui sont composés et dirigés par des autorités extérieures, | |||
ou qui, s'ils élisent leurs chefs, restent néanmoins subordonnés | |||
à une autorité supérieure chargée de leur distribuer les. | |||
moyens de travail et de leur assigner la nature et la quantité des produits | |||
à fournir. | |||
Or, dans le mouvement démocratique de nos sociétés, le besoin | |||
de liberté a grandi non seulement chez les individus, mais aussi | |||
chez les collectivités. Pense-t-on que les associations de toute nature | |||
qui se sont formées de nos jours, syndicats agricoles, sociétés coopératives, | |||
mutualités, syndicats ouvriers eux-mêmes, renonceraient | |||
volontiers à leur indépendance et accepteraient sans protestation la | |||
dure discipline collectiviste, le régime de centralisation bureaucratique | |||
qui est au fond de toute organisation socialiste? L'état social | |||
nouveau, caractérisé par l'épanouissement et la puissance des associations | |||
économiques, offrirait plus d'obstacles encore à la réalisation | |||
du collectivisme que l'état d'individualisme inorganique issu de | |||
la Révolution française. En vérité, l'idéal collectiviste, malgré la | |||
concentration industrielle, paraît aujourd'hui plus éloigné de la | |||
réalité, plus contraire à la direction des esprits que l'idéal sociétaire | |||
et libertaire. | |||
Si les considérations précédentes s'appliquent à toutes les formes | |||
du collectivisme intégral, au socialisme d'État comme au collectiLES | |||
SYSTÈMES DEVANT LES FAITS 33? | |||
LES SYSTÈMES SOCIALISTES. | |||
-visme pur, il en est d'autres qui concernent exclusivement la seconde | |||
de ces formes, le régime bizarre caractérisé non seulement par une | |||
organisation étatiste de la production, mais aussi par une constitution | |||
toute nouvelle de la valeur. | |||
Le collectivisme pur choque tellement l'idée d'évolution, qu'il | |||
apparaît comme un simple jeu de l'esprit. Pour lui, aucune origine | |||
-n'est possible en dehors de la révolution, puisque son mode de la | |||
valeur lui interdit de conserver le moindre vestige de la production | |||
libre et de l'économie monétaire. Cette incapacité d'une adaptation | |||
progressive révèle immédiatement une antinomie fondamentale | |||
-entre les bases du système et les lois de l'évolution. | |||
Effectivement, quelle que puisse être la concentration capitaliste, | |||
il y aura toujours un abîme entre le régime capitaliste et le pur collectivisme. | |||
Une société mue par des autorités publiques qui fixent | |||
les besoins, dirigent la production et la circulation, taxent le travail | |||
et les produits en unités de travail, est aux antipodes d'une société | |||
dans laquelle la production, entreprise par les individus et les associations | |||
privées à leurs risques et périls, est réglée par eux d'après | |||
les fluctuations des prix en monnaie métallique. Il y a, entre ces | |||
deux sociétés, opposition radicale; leur pivot, le principe de valeur, | |||
est entièrement diSérent; la réglementation autoritaire de la production | |||
sociale sans prix régulateurs n'a aucune racine dans le régime | |||
-des échanges; la répartition basée sur une fixation autoritaire de | |||
toutes les valeurs, sur une balance exacte entre la valeur des travaux | |||
et celle des produits, est une combinaison absolument nouvelle | |||
qui ne se retrouve, même en germe, dans aucune société | |||
présente ou passée. | |||
Il faut, pour apercevoir des exemples de sociétés communistes, | |||
<remonter aux populations primitives; encore le régime patriarcal | |||
n'ofîre-t-il pas, même sur une échelle minuscule, le modèle du collectivisme. | |||
Si la production y est organisée et dirigée par un chef, | |||
du moins la répartition s'y fait-elle suivant les besoins ou le rang de | |||
.chacun, sans que le chef de la communauté fixe les valeurs d'après | |||
un principe destiné à régler la répartition des produits dans la proportion | |||
du travail fourni par chacun des membres de la famille'. Il | |||
i. Les quelques vUlages communistes de l'Australie méridionale, créés par le | |||
-Gouvernementpour occuper des ouvriers sans travail, sont des groupes minus- | |||
-cutes, auxquels la jouissance collective de la. terre est imposée autant par les | |||
nécessites naturelles de t'irrigation que par la responsabilité solidaire des avances | |||
<re<;ues de l'État. Sont-cedes sociétéscommunistes, exigeant de chacun un travail | |||
"réagtiaotnosu, spuriovpaonrttiloennnoémàbrseedsefsormceesm, betredsisdteribcuhaanqtuelefsamviivlrlee?s Setonatu-tcreesdeosbjseotscipétaérs | |||
338 LES SYSTÈMES SOCIALISTES ET L'ÉVOLUTION ÉCONOMIQUE | |||
est même difficile de rencontrer quelque part un groupe qui ne pratique | |||
pas l'échange en quelque manière, soit dans son sein, soit avec | |||
d'autres groupes, et qui ne connaisse pas la valeur d'échange fixée | |||
par l'accord des parties, lors même que la production en vue de | |||
l'échange n'y est pas le mode dominant. Et si l'on descend le cours | |||
de l'histoire, on voit que l'évolution, loin d'amener une élimination | |||
graduelle des échanges, se poursuit, au contraire, dans le sens d'un | |||
développement progressif de la division du travail et de la production | |||
pour le marché. | |||
La société moderne, en dépit de la concentration des entreprises, | |||
reste toujours une société d'individus et de groupes autonomes pratiquant | |||
librement les échanges privés, et réglant la production en | |||
conséquence des prix. Le prix d'un produit monopolisé comme le | |||
pétrole subit lui-même l'influence de la demande librement exprimée | |||
sur le marché, et exerce à son tour une influence sur la production. | |||
Le collectivisme radical, au contraire, est exclusif de tout échange | |||
entre particuliers, de toute concurrence, de toute valeur fixée par | |||
l'offre et la demande. Il remplace le système naturel de la valeur, | |||
aussi vieux que le monde, par un système inventé de toutes pièces | |||
c'est l'inconnu sans précédents, sans un germe quelconque dans le | |||
passé ou le présent qui l'annonce pour l'avenir. | |||
Non, le régime des échanges n'est pas en voie de disparaître par le | |||
fait de l'évolution. Ni le développement des trusts, des sociétés par | |||
actions, des sociétés coopératives et des syndicats agricoles, ni | |||
le progrès des exploitations industrielles de l'État et des villes, ne | |||
nous fait faire un pas dans le sens du pur collectivisme. Le passage | |||
du régime des échanges au collectivisme, au lieu d'être un changement | |||
graduel comme le fut le passage de la petite production autonome | |||
à la grande production capitaliste, serait une transformation | |||
coopératives de production et de consommation,dans lesquelleschaque associé, | |||
en dehors de la jouissance exclusived'un lot personnel, reçoit un salaire proportionné | |||
au travail qu'il fournit a {'association,achète les produits au magasin | |||
social, et perçoit en outre une part des bénéfices sur la vente des produits au | |||
dehors? Il est difficile de déterminer exactement les caractères de ces petites | |||
sociétés, d'après les descriptions assez incomplètes qui en ont été données jusqu'ici. | |||
Quoi qu'il en soit, il parait certain que ce ne sont pas des types de collectivisme | |||
pur, puisque, dans les villages où le travail est rémunéré, le travailleur | |||
reçoit un salaire en argent, ou en compte créditeur calculé en argent. Ces établissements | |||
ont donné de mauvais résultats financiers, mais ils ont sur certains | |||
points étendu la colonisation et procure à des prolétaires un foyer stable et une | |||
occupation constante.(PierreLerov-Beaulieu,Lesnouvellessociétésanglo-saxonnes, | |||
p. 159et suiv., Colin,1897,in-12.–-Vigoureux,~ villagescommunistesde ~MStralie | |||
méridionale,Muséesocial, mars 1900.) | |||
LES SYSTÈMES DEVANT LES FAITS -339 | |||
1 | |||
d'essence et de nature, qu'on ne peut attendre du cours naturel des | |||
événements. | |||
Laissons donc de côté cette invention d'une monnaie en bons de | |||
travail, ce système de circulation aussi éloigne des faits qu'irrecevable | |||
en théorie, pour ne retenir du collectivisme que le socialisme | |||
d'État. Des développements qui précèdent, il ressort que le socialisme | |||
intégral so trouve, vis-à-vis de l'évolution contemporaine, | |||
dans une position assez analogue, quoiqu'en sens inverse, à celle de | |||
l'individualisme radical; la realité lui est en partie favorable, et en | |||
partie contraire. Elle lui est favorable par le progrès incontestable | |||
de la centralisation industrielle, commerciale et financière, et par | |||
l'extension des entreprises de l'État et des municipalités; elle lui est | |||
contraire par le développement spontané des associations indépendantes | |||
réfractaires au joug administratif, par la fermeté inébranlable | |||
de la petite culture appuyée sur les sociétés agricoles, par la survivance | |||
d'une multitude d'établissements industriels et commerciaux, | |||
dont la plupart conservent leur raison d'être à côté des grandes | |||
maisons et ne paraissent nullement condamnés à disparaître. | |||
Il est aussi vain de défigurer ou d'exagérer les faits dans un sens | |||
que de les dissimuler ou de les nier dans un autre. Les affirmations | |||
tranchantes sur les victoires inévitables du socialisme peuvent avoir | |||
une valeur de propagande; mais, à défaut d'une base expérimentale | |||
et sans'l'appui de la méthodehistoriquo, elles ne peuvent passer pour | |||
inspirées par l'esprit scientifique. Le but final du socialisme intégral | |||
ne paraît pas se rapprocher, et le fameux chapitre du Capita | |||
sur la Tendance /HS<(M'Mede ~'aceMKKtMoM capitaliste, dans lequel | |||
Karl Marx sonne le glas de la société individualiste et annonce | |||
l'avènement du régime de la propriété collective, n'est plus considéré, | |||
par les plus fidèles disciples eux-mêmes, que comme un aperçu en | |||
raccourci d'un long processus; c'est « la description lapidaire d'une | |||
évolution qui met des siècles à s'accomplir )) | |||
Le système collectiviste, lors même qu'il s'enferme prudemment | |||
dans la courte formule socialisation des moyens de production, établissement | |||
du mode de production et d'échange socialiste, n'est donc | |||
pas le terme appréciable d'une évolution des réalités présentes; | |||
dépouillé du caractère de nécessité historique objective, il est, ni | |||
plus ni moins que les utopies des anciens socialistes, une construction | |||
systématique sur des principes a priori. En cela les socialistes | |||
1. Kautsky, Le marxisme et son critique Bernstein, p: !ÛO. | |||
.340 LES SYSTÈMES SOCIALISTES ET L'ÉVOLUTION ÉCONOMIQUE | |||
.E.3. 1- _1 modernes, sous le voile du réalisme historique, ne font que suivre | |||
ia méthode de Rousseau, dont ils sont les disciples sans le dire. | |||
Comme les doctrinaires du laisser faire, ils rentrent eux-mêmes dans | |||
la catégorie des métaphysiciens qui appliquent la méthode déductive | |||
aux problèmes de la vie sociale. | |||
Ils se rattachent encore à l'auteur du Con< social et du ~MeoMf.; | |||
.SM?l''origine de r~M~aKte par leur foi dans la puissance de la volonté | |||
.au service de la raison, c'est-à-dire dans la puissance de l'État au service | |||
d'un système, pour dompter les forces hostiles qui font obstacle | |||
.à la réalisation d'un idéal rationnel dans les sociétés humaines. Ils | |||
.croient, eux aussi, à la bonté originelle de l'homme; ils sont convaincus | |||
que le mal social vient du vice des institutions humaines, et | |||
-qu'il suffirait de procéder à une organisation rationnelle de la société | |||
pour faire régner la vertu, la paix et le bonheur parmi les hommes. | |||
Car ces philosophes déterministes, ces « calvinistes sans Dieu », qui | |||
font si grand état des lois dynamiques auxquelles les sociétés ne sauraient | |||
se soustraire, nous présentent en même temps le collectivisme | |||
comme l'avènement du règne de la volonté libre, et comme le | |||
triomphe de la liberté humaine sur la nécessité. Pour eux, il appartient | |||
également à l'homme d'écarter, en ce qui le concerne, la loi de | |||
la concurrence vitale qui gouverne les espèces animales et végétales; | |||
la lutte pour l'existence individuelle doit disparaître dans un état | |||
social transformé où l'homme dominera la naturei. | |||
La philosophie de Rousseau inspire naturellement les romanciers | |||
utopistes. M. Bellamy fait parler au révérend Barton la langue de | |||
Jean-Jacques « Maintenant que les conditions de la vie sont organisées, | |||
pour la première fois, de manière à ne pas développer chez | |||
l'homme ses plus mauvais instincts. on est enfin à même de voir | |||
ce qu'est réellement la nature humaine, affranchie des influences | |||
pervertissantes. Nous assistons à cette révélation que ni les théologiens, | |||
ni les philosophes des temps anciens n'avaient voulu | |||
admettre, à savoir que la nature humaine, dans ses qualités essentielles, | |||
est bonne, que les hommes, par leurs penchants naturels, | |||
sont généreux, compatissants et aimants, animés d'élans divins vers | |||
la tendresse et le sacrifice, puisqu'ils sont l'image du Créateur et | |||
non sa caricature. » 1 | |||
1. Engeis, Soe:'a~MMMe<op:~Keg~oeMtH~e ~c:M<M, p. 33.–Comparer Loria | |||
.:P)OfoC&K~:MH.M!MeMt<s..McieCncKocenMp~oums'iptiov/e-a, p!p. .36, 120302 eett si3uti,v.G(diaarnds, tl8e9s7e,nins-8d.'u–nEensrii.m'opleFaetrtroi-, | |||
nuation), Giard, !S97,in-8. | |||
2. Centans après, trad. Rey, p. 203et 204. | |||
LES SYSTÈMES DEVANT LES FAITS 341 | |||
PPfotHufr TL.il~ehbÏkrnnfe~chfht, tlaa ssno~ci~ié~tfé nn~onuvv~eîï~lle nn''aanumra Tp~lu?nsa ~b~eesnoîritn rd!e~ | |||
casernes, de prisons, de tribunaux et de Codes, parce que le vice, le | |||
crime et la misère auront disparu Même foi chez M. Bebel; l'alcoolisme | |||
lui-même, cette plaie des sociétés modernes, sera inconnu dans | |||
l'ordre nouveau. L'harmonie doit régner dans un milieu social où | |||
chacun se porte garant de tous et tous de chacun | |||
M. Jaurès nous promet aussi d'admirables transformations | |||
morales. Les vaines agitations seront moins à craindre dans ce | |||
milieu qu'une sorte de réserve fière, et de désintéressement un peu | |||
hautain pour tout ce qui ressemblerait à une dignité extérieure. Le | |||
fonctionnarisme n'engendrera plus ni servilité, ni tyrannie. Le pro~ | |||
grès sera passionnément aimé pour lui-même, et pour le surcroît de | |||
bien-être qu'il répandra sur chacun en le répandant sur tous". | |||
M. Georges Renard se rapproche encore plus de Rousseau. Même | |||
nature d'esprit, même méthode abstraite et constructive, même tendance | |||
à l'absolu, même conception de l'homme en soi et de l'unité | |||
réalisée par l'État souverain. 11 pose ses problèmes sociaux à la | |||
manière de Rousseau, dans des termes semblables; il a le même idéal | |||
d'organisation politique, et se propose de préparer les matériaux | |||
pour une nouvelle déclaration des droits politiques et économiques | |||
de l'homme et du citoyen. Ses procédés sont ceux du rationalisme | |||
déductif. Il commence par poser les principes généraux, axiomes | |||
d'ordre moral et postulats énoncés au nom de la justice, tels que | |||
l'égalité des points de départ pour tous, ou la formule: A chacun | |||
suivant son travail et ses besoins. De ces concepts idéalistes, il conclut | |||
que le système régnant, en opposition avec eux, doit être aboli, | |||
et que le régime socialiste, en conformité avec eux, doit être établi; | |||
il construit donc sur ces bases la constitution politique et économique | |||
de la société nouvelle telle qu'elle lui paraît découler des prémisses | |||
posées. Son oeuvre présente le type le plus accompli de la méthode | |||
purement déductive, opérant sur des principes a priori conçus par la | |||
raison*. | |||
Certes, il y a quelque chose de noble dans cette foi rationaliste | |||
qui anime Rousseau et ses successeurs. Mais il ne suffit pas qu'une | |||
doctrine flatte nos désirs pour qu'elle soit vraie et conforme aux | |||
lois do la vie. Déclarer que la critique dirigée contre les plans de | |||
I. Zukunflstaatliches, Cosmopolis,janv. 1898. | |||
2. La femme,trad. Ravé, p. 289 et 239. | |||
3. Or~asMa~to~socialiste, Revue sociatiste, avril 1895, p. M4, et août iSOS, | |||
p.)49eti37. | |||
4. Le t-e~BMsocialiste, passim, not. p. 8, 3t et 184. | |||
34S LES SYSTÈMES SOCIALISTES ET L'ÉVOLUTION ÉCONOMIQUE | |||
1.. f' "u_a_ __s e_L,1. r.ofnvfa ~,naalla mran~t nniir société collectiviste est irrecevable, sous prétexte qu'elle prend pour | |||
base la nature actuelle de l'homme, c'est reconnaître que la société | |||
collectiviste suppose une transformation radicale de l'homme moral | |||
et intellectuel et nous jeter en pleine utopie, à échéance indénniment | |||
éloignée. | |||
Les socialistes paraissent très forts dans leur rôle de critiques; | |||
mais la critique n'est que le côté négatif et trop facile de leur tâche; | |||
il est singulier que tant d'esprits positifs puissent se contenter d'une | |||
phrase sans cesse répétée sur la socialisation des moyens de production | |||
et l'établissement du mode de production et d'échange socialiste, | |||
sans être assiégés par le besoin de connaître la construction qui | |||
se dissimule derrière ce cliché. Or, après leur critique passionnée de | |||
l'ordre existant, les collectivistes font preuve eux-mêmes d'une lamentable | |||
impuissance. La plupart se contentent de travailler à la destruction | |||
d'un régime vicieux, et de prédire la socialisation des moyens | |||
de production, sans essayer de décrire la structure d'un organisme | |||
reposant sur cette forme de propriété sociale; ils estiment l'explication | |||
suffisante, lorsqu'ils ont proclamé que le socialisme est une | |||
nécessité historique. Les presse-t-on d'apporter des solutions positives | |||
? S'ils se décident à parler, c'est en général pour présenter le | |||
collectivisme intégral comme le type de la société future; ils ne | |||
craignent pas d'affirmer que l'évolution nous conduit à cet immense | |||
système pourvoyeur, à cette gigantesque organisation bureaucratique | |||
privée de nerfs et de muscles, aveugle et sans équilibre. | |||
L'esprit reste confondu devant l'abîme qui sépare la thèse historique | |||
des collectivistes, si laborieusement enchaînée, de leur construction | |||
sociale de l'avenir, si artificielle et si fragile. | |||
Peut-être a-t-il fallu des promesses aussi vastes que l'expropriation | |||
totale des capitalistes et l'avènement d'une ère de bonheur universel | |||
pour soulever les masses, enflammer les enthousiasmes et répandre | |||
la foi qui inspire les dévouements aveugles. Sans doute, chez des | |||
populations impressionnables, de faible culture et d'imagination | |||
vive, un modeste programme de réformes partielles n'aurait pas | |||
recruté d'aussi nombreux et ardents défenseurs. Mais, au point de | |||
vue scientifique, le système collectiviste, comme la théorie marxiste | |||
de la valeur, est un poids mort pour une école. Et même au point de | |||
vue de la tactique du parti, il est probable que cette doctrine sera un | |||
jour une gêne et un obstacle. Il est impossible que les classes | |||
ouvrières, lorsqu'elles auront atteint sur le continent le même degré | |||
de maturité qu'en Angleterre, lorsqu'elles se donneront la peine de | |||
réfléchir à la construction collectiviste, n'en aperçoivent pas le néant. | |||
LES SYSTÈMES DEVANT LES FAITS 343 | |||
a, n 1êI- _r_?1 -Il-- -1-- -Il* Il a fallu, pour que la doctrine se propageât parmi elles, des conditions | |||
particulières d'inexpérience et d'irresponsabilité, qui résultaient | |||
d'un état social dans lequel elles n'avaient aucune part a l'administration | |||
des intérêts politiques et économiques., Ces causes | |||
s'affaibliront progressivement, à mesure que la situation matérielle | |||
des travailleurs s'améliorera, que leur organisation se fortifiera, que | |||
leurs associations se développeront, que leur éducation se fera dans | |||
les syndicats, les coopératives, les juridictions professionnelles, les | |||
conseils du travail, les assemblées politiques, et que leur importance | |||
grandira dans la direction des affaires publiques. | |||
Tant que le parti socialiste s'est appuyé exclusivement sur les | |||
ouvriers de la grande industrie, tant qu'il est resté sans influence | |||
sur le gouvernement des peuples, il a pu, en enfant perdu, caresser | |||
des chimères, et tracer dans l'absolu des plans de société dont la | |||
réalisation paraissait assez éloignée pour qu'il se crût dispensé de | |||
les soumettre à un examen rénéchi. Aujourd'hui, la situation est | |||
tout autre. Le parti commence à envahir les corps élus, les assemblées | |||
locales et les Parlements; il pénètre dans les municipalités, il | |||
a sa part dans le gouvernement de la chose publique; il entre | |||
tous les jours en contact plus intime avec les réalités et les conditions | |||
du pouvoir; il se trouve obligé de regarder en face des éventualités | |||
jusqu'ici lointaines. Parvenu à l'âge adulte, il doit modifier | |||
profondément sa conception politique. Déjà, dans ses tentatives | |||
pour gagner à lui les classes rurales et la petite bourgeoisie, il a du | |||
atténuer singulièrement la portée de ses principes, et promettre à | |||
ces nouvelles catégories d'adeptes que l'expropriation ne les atteindrait | |||
pas. A mesure que le parti socialiste gagnera en surface et | |||
prendra plus d'autorité dans l'administration des affaires publiques, | |||
il tendra davantage, comme certains signes le font déjà pressentir, | |||
a reléguer les déclarations collectivistes au rang des vieilles | |||
formules qui continuent à figurer dans un programme par respect | |||
pour les apôtres disparus, mais qui ont perdu leur sens et leur | |||
vertu efficace; il portera tout son effort sur les réformes pratiques | |||
que comportent les divers milieux sociaux. Dans la mêlée des opinions, | |||
il restera, si l'on veut, le parti des novateurs les plus radicaux | |||
et les plus audacieux, le représentant le plus avancé des revendications | |||
populaires; mais il prendra plus clairement conscience des | |||
données scientifiques de l'évolution, et se contentera d'adapter à de | |||
nouveaux besoins le régimodes échanges et de la concurrence. Le parti | |||
socialiste, s'il veut jouer unrôlesur la scène dumonde, doit dépouiller | |||
sa vieille forme révolutionnaire et devenir un parti réformiste. |
modifications