Différences entre les versions de « Les systèmes socialistes et l'évolution économique - Première partie : Les théories. Les systèmes de société socialiste - Livre II : Des formes socialistes qui conservent la valeur régie par l’offre et la demande »

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''* I. Collectivisme de M. Georges Renard.''
 
''* § I. Collectivisme de M. Georges Renard.''




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une synthèse; il veut concilier dans une harmonieuse unité la concurrence
une synthèse; il veut concilier dans une harmonieuse unité la concurrence
et la solidarité, les intérêts individuels et l'intérêt général,
et la solidarité, les intérêts individuels et l'intérêt général,
l'utilité et la justice, l'individualisme et le communisme, la liberté et
l'utilité et la justice, l'individualisme et le communisme, la liberté et l'autorité, la décentralisation politique et la centralisation économique,
l'aristocratie naturelle et la démocratie, la réciprocité des services
et la fraternité.
 
De même encore, M. Renard combine les deux théories de la valeur;
pour lui, la valeur normale est constituée à la fois par le travail du
producteur et le besoin du consommateur; la valeur varie avec ces
deux éléments, elle se mesure sur eux, suivant une loi sujette à de
fréquentes dérogations dans la société actuelle, mais toujours observée dans
une société collectiviste.
 
S'appuyant sur de principe composite de la valeur, l'auteur cherche
à corriger le collectivisme sur deux points particulièrement faibles,
le recrutement des travailleurs et l'attribution des objets rares. L'ensemble
du système est respecté; la production, s'exerçant sur des
moyens socialisés, reste intégralement soumise à la direction de
l'autorité publique; la valeur elle même, mesurée en bons sociaux,
résulte d'une taxation faite par l'autorité suivant une règle fixe. Mais
la règle de calcul est nouvelle, et le principe de la taxation se trouve
même complètement écarté pour les objets rares.
 
Si l'on veut que les travailleurs se répartissent librement entre les
emplois dans la proportion des besoins, on doit graduer le tarif suivant
la « pénibilité des professions; mais on doit aussi, pour écarter
tout arbitraire, adopter une règle de calcul générale et uniforme.
L'heure de travail social, qui reste toujours l'unité de mesure de la
valeur, aura donc, dans chaque métier, un coefficient variable,
déterminé d'une façon mathématique par le rapport entre le nombre
des travailleurs et les besoins de la production.
 
On suppose connus, par la statistique, les produits de tout genre
nécessaires à la consommation nationale pendant une année; en
conséquence, l'autorité publique détermine, pour chaque branche de
la production, les quantités de produits et les quantités de travail à
fournir. On calculera d'abord la moyenne sociale qui servira de base
aux coefficients particuliers. Si la production nationale tout entière
demande 15 milliards d'heures de travail social, et qu'il y ait dans le
pays 10 millions de travailleurs, chacun d'eux doit donner en moyenne
l.500 heures de travail par an. Mais voici un métier peu recherché
où le nombre des travailleurs est insuffisant; pour satisfaire à la
demande des produits; il y faudrait par exemple 4500000 heures de
travail dans l'année, et les travailleurs ne sont que 1000. Le travail
que chacun d'eux devrait fournir, dans l'année, pour élever la production
à la hauteur des besoins serait de 4500 heures, c'est-à-dire
3 fois la moyenne sociale. Le coéfficient de l'heure de travail sera
donc 3 dans cette industrie; chaque heure de travail sera payée
3 bons, et cette rémunération supérieure à la normale suffira pour
attirer dans cette branche les travailleurs qui y manquent. A l'inverse,
dans une profession encombrée, si chaque travailleur ne doit fournir,
d'après le même calcul, que 500 heures de travail annuel, le coefficient
sera 1/3, et les travailleurs s'élimineront d'eux-mêmes jusqu'à
ce que la rétribution se rapproche de la moyenne. Finalement, l'équilibre
s'établira très vite; dans chaque métier, le nombre des travailleurs,
la quantité de travail à fournir et le coefficient graviteront
autour de la normale dans un cercle très étroit.
 
Quant aux produits, ils seront taxés, en principe, suivant le nombre
des heures de travail qui auront servi à les créer; cette règle signifie,
sans aucun doute, que leur valeur résultera des bons qu'ils auront
coûtés d'après les coefficients du travail. Toutefois les objets rares,
d'une reproduction difficile ou impossible, comme les oeuvres d'art,
les pierres précieuses, les vins de grand cru, seront soustraits à la
règle et attribués au plus offrant; la société entière beneficiera du
surplus payé pour les acquérir.
 
Ces combinaisons sont ingénieuses. La première semble assurer le
recrutement des travailleurs en nombre suffisant dans toutes les professions,
sans recours à la contrainte et sans échelle arbitraire de
tarifs; elle évite toute distinction a priori entre le travail de l'orfèvre
et celui du terrassier, entre le travail du vidangeur et celui du garçon
de café; les premiers ne sont mieux payés que si leurs métiers sont
moins recherchés, et dans la mesure où ils le sont moins que les
autres. La seconde combinaison écarte l'arbitraire dans l'attribution
des objets rares, et conserve à la société le benefice de la rareté. Sans
doute, la liberté des consommations n'est pas mieux garantie que
dans le collectivisme ordinaire, puisque l'autorité publique garde le
pouvoir de régler toute la production. Mais n'est-ce pas déjà un progrès
d'avoir une méthode de distribution satisfaisante pour les objets
rares, et surtout de conserver aux travailleurs le libre choix de leur
profession et de leur domicile?
 
Il le semble; et cependant, la correction apportée ici au collectivisme
est tout à fait insuffisante. Ce n'est pas seulement qu'il serait très
difficile, en pratique, d'estimer à l'avance le temps de travail nécessaire dans les différentes productions, notamment en agriculture ;
c'est encore au point de vue théorique que la transaction est imparfaite.
 
Malgré les apparences, le système des coéfficients ne dispense pas
du recrutement forcé, parce que l'offre et la demande y jouent un
rôle trop restreint. Il est bien entendu que la valeur, sauf pour les
objets rares, ne varie pas suivant l'offre et la demande des produits;
mais on pourrait croire au moins que la rétribution du travail varie
suivant l'offre et la demande des travaux. En réalité, l'offre et la
demande du travail, au lieu de déterminer directement le taux du
coefficient, n'ont d'influence que sur les éléments qui servent à le
calculer; les variations du coefficient sont enfermées dans les limites
d'un rapport mathématique. Or, cette détermination mathématique
enlève au jeu de l'offre et la demande sa souplesse et son efficacité.
 
Si un métier dangereux ou rebutant est déserté, ce n'est pas le
procédé du coefficient qui y attirera un nombre suffisant de travailleurs
car il est contradictoire que le nombre normal des travailleurs
y fasse tomber le coefficient au taux normal, et que ce taux soit considéré
par les travailleurs comme donnant une rémunération insuffisante
pour un travail particulièrement pénible. En supposant qu'il
faille dans ce métier 4 500 000 heures de travail par an, soit 3 000 personnes
travaillant chacune 1500 heures suivant la moyenne sociale,
on trouvera peut-être 1500 personnes pour donner 2250 000 heures,
et même pour fournir un travail supplémentaire, parce que le coefficient
2 exercera sur elles un attrait assez puissant; mais on ne
recrutera jamais 3000 travailleurs pour exécuter le travail au coefficient
1. Il faudra donc recourir à la contrainte pour assurer le service,
à moins d'attribuer dans tous les cas aux travailleurs le bénéfice
d'un coefficient surélevé, même s'ils sont en nombre suffisant pour
produire les quantités demandées en ne fournissant chacun que la
moyenne sociale de travail. Mais admettre ce tempérament, c'est abandonner
la règle de calcul mathématique pour revenir purement et
simplement à la loi de l'offre et de la demande.
 
Le procédé des variations mathématiques serait efficace, s'il s'agissait
seulement de corriger des défauts d'équilibre accidentels dans
des métiers également appréciés; il ne l'est pas pour opérer une juste
répartition des travailleurs entre des emplois inégalement recherchés.
La corvée obligatoire reste menaçante, tant que le tarif du travail
n'est pas affranchi de tout rapport mathématique, et librement abandonné
aux fluctuations de l'offre et de la demande.
 
Pour la valeur des produits, la concession faite par M. Renard à
la loi dû l'offre et de la demande est encore insuffisante. Seuls, les
objets rares doivent être mis aux enchères; mais quelle est la limite
des objets rares? Tous les produits dont l'offre est inférieure à la
demande sont rares, au moins momentanément; il n'y a ni raison
suffisante, ni moyen rationnel de faire entre eux une distinction
pour établir leur valeur sur des bases différentes. Il ne suffit pas de
dire que le besoin, étant prévu et aussitôt satisfait, n'aura plus
d'action sur la valeur des produits ordinaires; on sait que l'équilibre théorique
entre la production d'un article et les besoins, entre la
demande et les quantités en magasin, ne peut jamais être atteint
exactement, tant à cause de l'incertitude des récoltes que des fautes
de direction. Il faut donc généraliser le procédé des enchères pour
écouler les produits en excès, pour répartir équitablement ceux qui
sont en déficit et faire bénéficier l'État de leur rareté. On ne s'arrête
pas où l'on veut dans la voie des concessions dès que l'on abandonne
le principe de la taxation pour quelques objets, on se trouve inévitablement
conduit à l'abandonner pour tous.
 
Le mécanisme de l'offre et de la demande, même limité à certains
objets rares, serait-il capable de fonctionner avec des "bons sociaux"
remplaçant la monnaie métallique? La question est d'un ordre plus
général; elle prêtera mieux à la discussion, lorsque nous aurons
étudié les systèmes qui présentent une combinaison semblable sur une
échelle plus large.
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