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| Dans le monde et dans la société, il nous est tout au plus permis de satisfaire les | | Dans le monde et dans la société, il nous est tout au plus permis de satisfaire les |
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| l'individu est lié. C'est à l'époque de sa plus grande liberté que le peuple grec établit | | l'individu est lié. C'est à l'époque de sa plus grande liberté que le peuple grec établit |
| l'ostracisme, bannit les athées et fit boire la ciguë au plus probe de ses penseurs. | | l'ostracisme, bannit les athées et fit boire la ciguë au plus probe de ses penseurs. |
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| Combien n'a-t-on pas vanté chez Socrate le scrupule de probité qui lui fit | | Combien n'a-t-on pas vanté chez Socrate le scrupule de probité qui lui fit |
| repousser le conseil de s'enfuir de son cachot ! Ce fut de sa part une pure folie de | | repousser le conseil de s'enfuir de son cachot ! Ce fut de sa part une pure folie de |
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| d'une « justice », d'une « légalité », etc., devait se dissiper devant cette considération | | d'une « justice », d'une « légalité », etc., devait se dissiper devant cette considération |
| que toute relation est un rapport de force, une lutte de puissance à puissance. | | que toute relation est un rapport de force, une lutte de puissance à puissance. |
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| La liberté grecque périt misérablement au milieu des chicanes et des intrigues. | | La liberté grecque périt misérablement au milieu des chicanes et des intrigues. |
| Pourquoi ? Parce que les conclusions que n'avait pas su tirer Socrate, leur maître dans | | Pourquoi ? Parce que les conclusions que n'avait pas su tirer Socrate, leur maître dans |
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| Spartiate Lysandre et bien d'autres témoignent que l'intrigue s'était répandue comme | | Spartiate Lysandre et bien d'autres témoignent que l'intrigue s'était répandue comme |
| une lèpre dans toute la Grèce. Le Droit grec, sur lequel reposaient les États grecs, fut, | | une lèpre dans toute la Grèce. Le Droit grec, sur lequel reposaient les États grecs, fut, |
| Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 180
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| dans ces États mêmes, miné et ébranlé par les égoïstes, et les États croulèrent, mettant | | dans ces États mêmes, miné et ébranlé par les égoïstes, et les États croulèrent, mettant |
| en liberté les Individus. Le Peuple grec tomba parce que les individus faisaient moins | | en liberté les Individus. Le Peuple grec tomba parce que les individus faisaient moins |
| de cas de lui que d'eux-mêmes. | | de cas de lui que d'eux-mêmes. |
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| États, Constitutions, Églises, etc., se sont toujours évanouis dès que l'individu a | | États, Constitutions, Églises, etc., se sont toujours évanouis dès que l'individu a |
| levé la tête, car l'individu est l'ennemi irréconciliable de tout ce qui tend à submerger | | levé la tête, car l'individu est l'ennemi irréconciliable de tout ce qui tend à submerger |
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| qu'on ait faits en matière de liens, on n'est arrivé, en partant des lisières, qu'à la | | qu'on ait faits en matière de liens, on n'est arrivé, en partant des lisières, qu'à la |
| bretelle ou à la cravate. | | bretelle ou à la cravate. |
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| Tout ce qui est sacré est un lien, une chaîne. | | Tout ce qui est sacré est un lien, une chaîne. |
| Tout ce qui est sacré est falsifié par des faussaires, et il ne pourrait en être autrement | | |
| ; aussi trouve-t-on à notre époque une foule de ces faussaires dans toutes les | | Tout ce qui est sacré est falsifié par des faussaires, et il ne pourrait en être autrement; aussi trouve-t-on à notre époque une foule de ces faussaires dans toutes les |
| sphères. Ils préparent la rupture avec le droit, la suppression du droit. | | sphères. Ils préparent la rupture avec le droit, la suppression du droit. |
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| Pauvres Athéniens, qu'on accuse de chicane et de sophistique ! Pauvre Alcibiade, | | Pauvres Athéniens, qu'on accuse de chicane et de sophistique ! Pauvre Alcibiade, |
| que l'on accuse d'intrigue ! C'est là justement ce que vous aviez de meilleur, c'était | | que l'on accuse d'intrigue ! C'est là justement ce que vous aviez de meilleur, c'était |
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| le citoyen trop puissant, l'inquisition de l'Église guette l'hérétique, et — l'inquisition | | le citoyen trop puissant, l'inquisition de l'Église guette l'hérétique, et — l'inquisition |
| également guette le traître envers l'État. | | également guette le traître envers l'État. |
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| Car le Peuple n'a cure que de se maintenir et de s'affermir ; il réclame de chacun | | Car le Peuple n'a cure que de se maintenir et de s'affermir ; il réclame de chacun |
| un « patriotique dévouement ». L'individu en soi lui est donc indifférent, c'est un zéro, | | un « patriotique dévouement ». L'individu en soi lui est donc indifférent, c'est un zéro, |
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| seul capable d'accomplir, sa réalisation. Tout Peuple, tout État est « injuste » envers | | seul capable d'accomplir, sa réalisation. Tout Peuple, tout État est « injuste » envers |
| les égoïstes. | | les égoïstes. |
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| Tant qu'il reste debout une seule institution qu'il n'est pas permis à l'individu | | Tant qu'il reste debout une seule institution qu'il n'est pas permis à l'individu |
| d'abolir, le Moi est encore bien loin d'être sa propriété et d'être autonome. Comment | | d'abolir, le Moi est encore bien loin d'être sa propriété et d'être autonome. Comment |
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| Peuple ? Gomment être moi-même s'il n'est permis à mes facultés de se développer | | Peuple ? Gomment être moi-même s'il n'est permis à mes facultés de se développer |
| que pour autant qu'elles « ne troublent pas l'harmonie de la Société »? (Weitling.) | | que pour autant qu'elles « ne troublent pas l'harmonie de la Société »? (Weitling.) |
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| La chute des peuples et de l'humanité sera le signal de son élévation. | | La chute des peuples et de l'humanité sera le signal de son élévation. |
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| Écoute ! Au moment, même où j'écris ces lignes, les cloches se sont mises à | | Écoute ! Au moment, même où j'écris ces lignes, les cloches se sont mises à |
| sonner ; elles portent au loin un joyeux message : demain on célèbre le millième anniMax | | sonner ; elles portent au loin un joyeux message : demain on célèbre le millième anniversaire de notre chère Allemagne. Sonnez, sonnez, ô cloches, cloches des funérailles |
| Stirner (1845), L’unique et sa propriété 181
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| versaire de notre chère Allemagne. Sonnez, sonnez, ô cloches, cloches des funérailles
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| ! Votre voix est si solennelle et si grave qu'il semble que vos langues de bronze soient | | ! Votre voix est si solennelle et si grave qu'il semble que vos langues de bronze soient |
| mues par un pressentiment et que vous escortiez un mort. Peuple allemand et peuples | | mues par un pressentiment et que vous escortiez un mort. Peuple allemand et peuples |
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| au tombeau pour ne vous relever jamais, et qu'ils soient libres, ceux que vous avez | | au tombeau pour ne vous relever jamais, et qu'ils soient libres, ceux que vous avez |
| tenus enchaînés si longtemps ! — Le Peuple est mort, Je me lève. | | tenus enchaînés si longtemps ! — Le Peuple est mort, Je me lève. |
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| Ô toi qui as tant souffert, ô mon peuple allemand, quelle a été ta souffrance ? | | Ô toi qui as tant souffert, ô mon peuple allemand, quelle a été ta souffrance ? |
| C'était le tourment d'une pensée qui ne peut se créer un corps, le tourment d'un Esprit | | C'était le tourment d'une pensée qui ne peut se créer un corps, le tourment d'un Esprit |
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| espérance s'envole, que le dernier amour s'éteint. Je dis adieu à la maison déserte des | | espérance s'envole, que le dernier amour s'éteint. Je dis adieu à la maison déserte des |
| morts et je retourne parmi les vivants. | | morts et je retourne parmi les vivants. |
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| « Car seuls les vivants ont raison. » | | « Car seuls les vivants ont raison. » |
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| Adieu donc, rêve de tant de millions d'hommes ; adieu, toi qui pendant mille ans | | Adieu donc, rêve de tant de millions d'hommes ; adieu, toi qui pendant mille ans |
| as tyrannisé tes enfants ! | | as tyrannisé tes enfants ! |
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| Demain, on te portera en terre ; bientôt, tes soeurs les nations te suivront. Quand | | Demain, on te portera en terre ; bientôt, tes soeurs les nations te suivront. Quand |
| toutes seront parties à ta suite, l'humanité sera enterrée, et sur sa tombe, Moi, mon | | toutes seront parties à ta suite, l'humanité sera enterrée, et sur sa tombe, Moi, mon |
| seul maître enfin, Moi, son héritier, je rirai. | | seul maître enfin, Moi, son héritier, je rirai. |
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| Le mot Gesellschaft, société, a pour étymologie le mot Saal, salle. Lorsqu'une | | Le mot Gesellschaft, société, a pour étymologie le mot Saal, salle. Lorsqu'une |
| salle renferme plusieurs personnes, c'est elle qui fait que ces personnes sont en | | salle renferme plusieurs personnes, c'est elle qui fait que ces personnes sont en |
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| mais d'un tiers ; c'est ce tiers qui fait de nous des compagnons et qui est le vrai | | mais d'un tiers ; c'est ce tiers qui fait de nous des compagnons et qui est le vrai |
| fondateur, le créateur de la société. | | fondateur, le créateur de la société. |
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| Il en est de même pour une société ou compagnie de prisonniers (ceux qui jouissent | | Il en est de même pour une société ou compagnie de prisonniers (ceux qui jouissent |
| d'une même prison). Le tiers que nous rencontrons ici est déjà plus complexe que | | d'une même prison). Le tiers que nous rencontrons ici est déjà plus complexe que |
| ne l'était celui de tantôt, le simple local, la salle. Prison ne désigne plus simplement | | ne l'était celui de tantôt, le simple local, la salle. Prison ne désigne plus simplement |
| Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 182
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| un lieu, mais un lieu en rapport avec ses habitants : la prison n'est prison que parce | | un lieu, mais un lieu en rapport avec ses habitants : la prison n'est prison que parce |
| qu'elle est destinée à des prisonniers, sans lesquels elle serait un bâtiment quelconque. | | qu'elle est destinée à des prisonniers, sans lesquels elle serait un bâtiment quelconque. |
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| la prison, car c'est à cause d'elle qu'ils sont des prisonniers. Qui détermine la manière | | la prison, car c'est à cause d'elle qu'ils sont des prisonniers. Qui détermine la manière |
| de vivre de la société de prisonniers ? Encore la prison. | | de vivre de la société de prisonniers ? Encore la prison. |
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| Mais qui détermine leurs relations ? Est-ce aussi la prison ? Halte ! Ici, je vous | | Mais qui détermine leurs relations ? Est-ce aussi la prison ? Halte ! Ici, je vous |
| arrête : Évidemment, s'ils entrent en relations, ce ne peut être que comme des prisonniers, | | arrête : Évidemment, s'ils entrent en relations, ce ne peut être que comme des prisonniers, |
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| prison, mais celle-ci doit veiller à s'opposer à toutes relations égoïstes, purement | | prison, mais celle-ci doit veiller à s'opposer à toutes relations égoïstes, purement |
| personnelles (les seules qui puissent s'établir réellement entre un Je et un Tu). | | personnelles (les seules qui puissent s'établir réellement entre un Je et un Tu). |
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| La prison consent à ce que nous fassions un travail en commun, elle nous voit | | La prison consent à ce que nous fassions un travail en commun, elle nous voit |
| avec plaisir manoeuvrer ensemble une machine ou partager n'importe quelle besogne. | | avec plaisir manoeuvrer ensemble une machine ou partager n'importe quelle besogne. |
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| moindre tentative de ce genre est punissable, comme l'est toute révolte contre une des | | moindre tentative de ce genre est punissable, comme l'est toute révolte contre une des |
| sacro-saintetés auxquelles l'homme doit se livrer pieds et poings liés. | | sacro-saintetés auxquelles l'homme doit se livrer pieds et poings liés. |
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| La prison, comme la salle, produit une société, une compagnie, une communauté | | La prison, comme la salle, produit une société, une compagnie, une communauté |
| (communauté de travail, par exemple), mais non des relations, une réciprocité, une | | (communauté de travail, par exemple), mais non des relations, une réciprocité, une |
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| porte en elle le germe dangereux d'un « complot », et cette semence de rébellion peut, | | porte en elle le germe dangereux d'un « complot », et cette semence de rébellion peut, |
| si les circonstances sont favorables, germer et porter des fruits. | | si les circonstances sont favorables, germer et porter des fruits. |
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| Ce n'est guère l'usage d'aller volontairement en prison, et il est également peu | | Ce n'est guère l'usage d'aller volontairement en prison, et il est également peu |
| commun que l'on y reste volontairement ; on y nourrit plutôt un égoïste désir de | | commun que l'on y reste volontairement ; on y nourrit plutôt un égoïste désir de |
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| seront hostiles à la société réalisée par la prison, et ne tendront à rien de moins qu'à | | seront hostiles à la société réalisée par la prison, et ne tendront à rien de moins qu'à |
| dissoudre cette société qui résulte de la captivité commune. | | dissoudre cette société qui résulte de la captivité commune. |
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| Adressons-nous donc à d'autres sociétés, des sociétés où il semble que nous | | Adressons-nous donc à d'autres sociétés, des sociétés où il semble que nous |
| demeurions volontiers et de notre plein gré sans vouloir en compromettre l'existence | | demeurions volontiers et de notre plein gré sans vouloir en compromettre l'existence |
| par nos manoeuvres égoïstes. | | par nos manoeuvres égoïstes. |
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| Comme communauté remplissant ces conditions se présente en premier lieu la | | Comme communauté remplissant ces conditions se présente en premier lieu la |
| famille. Parents, époux, enfants, frères et soeurs forment un tout, ou constituent une | | famille. Parents, époux, enfants, frères et soeurs forment un tout, ou constituent une |
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| ombilical. Cette dernière liaison a existé autrefois, elle est un fait qu'il n'est plus | | ombilical. Cette dernière liaison a existé autrefois, elle est un fait qu'il n'est plus |
| possible de défaire et en vertu duquel on reste irrévocablement le fils de cette mère et | | possible de défaire et en vertu duquel on reste irrévocablement le fils de cette mère et |
| Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 183
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| le frère de ses autres enfants ; mais une dépendance permanente ne peut résulter que | | le frère de ses autres enfants ; mais une dépendance permanente ne peut résulter que |
| de la permanence de la piété, de l'esprit de famille. Les individus ne sont, dans toute | | de la permanence de la piété, de l'esprit de famille. Les individus ne sont, dans toute |
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| contraire à celui de la famille ; se mésallier, par exemple, lui est interdit. Celui qui le | | contraire à celui de la famille ; se mésallier, par exemple, lui est interdit. Celui qui le |
| fait « déshonore sa famille », en « fait la honte », etc. | | fait « déshonore sa famille », en « fait la honte », etc. |
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| L'individu chez qui l'instinct égoïste n'est pas assez fort se soumet : il conclut le | | L'individu chez qui l'instinct égoïste n'est pas assez fort se soumet : il conclut le |
| mariage qui satisfait les prétentions de sa famille, il choisit une profession en rapport | | mariage qui satisfait les prétentions de sa famille, il choisit une profession en rapport |
| avec sa position, etc., bref, il « fait honneur à sa famille ». | | avec sa position, etc., bref, il « fait honneur à sa famille ». |
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| Si, au contraire, le sang égoïste bout avec assez d'ardeur dans ses veines, il préfère | | Si, au contraire, le sang égoïste bout avec assez d'ardeur dans ses veines, il préfère |
| devenir « criminel » envers la famille et se soustrait à ses lois. | | devenir « criminel » envers la famille et se soustrait à ses lois. |
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| Lequel m'est le plus cher, du bien de la famille ou de mon bien ? Il est des cas | | Lequel m'est le plus cher, du bien de la famille ou de mon bien ? Il est des cas |
| innombrables où les deux peuvent marcher amicalement côte à côte, où ce qui est | | innombrables où les deux peuvent marcher amicalement côte à côte, où ce qui est |
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| en avoir une perception nette ? C'est l'histoire de la Juliette de Roméo et | | en avoir une perception nette ? C'est l'histoire de la Juliette de Roméo et |
| Juliette : la passion déchaînée finit par ne plus pouvoir être domptée et par renverser | | Juliette : la passion déchaînée finit par ne plus pouvoir être domptée et par renverser |
| tout l'édifice de la piété.
| | l'édifice de la piété. |
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| Vous me direz que c'est purement dans son intérêt que la famille rejette de son | | Vous me direz que c'est purement dans son intérêt que la famille rejette de son |
| sein ces égoïstes qui obéissent à leurs passions plus qu'à la piété. C'est ce même | | sein ces égoïstes qui obéissent à leurs passions plus qu'à la piété. C'est ce même |
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| excluent d'eux-mêmes en mettant leur passion ou leur volonté individuelle au-dessus | | excluent d'eux-mêmes en mettant leur passion ou leur volonté individuelle au-dessus |
| du lien familial. | | du lien familial. |
| Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 184
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| Mais il peut arriver que le désir s'allume dans un coeur moins passionné et moins | | Mais il peut arriver que le désir s'allume dans un coeur moins passionné et moins |
| volontaire que celui de Juliette. Alors celle qui se soumet se sacrifie à la paix de la | | volontaire que celui de Juliette. Alors celle qui se soumet se sacrifie à la paix de la |
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| devant une puissance supérieure — soumise et sacrifiée parce que la superstition de | | devant une puissance supérieure — soumise et sacrifiée parce que la superstition de |
| la piété a exercé sur elle son empire ? | | la piété a exercé sur elle son empire ? |
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| Là, l'égoïsme avait vaincu ; ici, la piété est victorieuse et le coeur égoïste saigne ; | | Là, l'égoïsme avait vaincu ; ici, la piété est victorieuse et le coeur égoïste saigne ; |
| là, l'égoïsme était fort ; ici, il a été faible. Des faibles : voilà, nous le savons depuis | | là, l'égoïsme était fort ; ici, il a été faible. Des faibles : voilà, nous le savons depuis |
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| exemple, fait l'éloge, quand il demande que le mariage des enfants soit subordonné | | exemple, fait l'éloge, quand il demande que le mariage des enfants soit subordonné |
| au choix des parents. | | au choix des parents. |
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| La famille étant une communauté sacrée à laquelle l'individu doit obéissance, la | | La famille étant une communauté sacrée à laquelle l'individu doit obéissance, la |
| fonction de juge lui appartient de droit. Le Cabanis de Wilibald Alexis, par exemple, | | fonction de juge lui appartient de droit. Le Cabanis de Wilibald Alexis, par exemple, |
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| famille une sanction très logique en faisant expier par toute la famille la faute d'un de | | famille une sanction très logique en faisant expier par toute la famille la faute d'un de |
| ses membres. | | ses membres. |
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| De nos jours, toutefois, le bras de l'autorité familiale s'étend rarement assez loin | | De nos jours, toutefois, le bras de l'autorité familiale s'étend rarement assez loin |
| pour pouvoir efficacement châtier le rebelle (l'État protège même dans la plupart des | | pour pouvoir efficacement châtier le rebelle (l'État protège même dans la plupart des |
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| envers la famille : il fait un devoir au fils, par exemple, de refuser d'obéir à ses | | envers la famille : il fait un devoir au fils, par exemple, de refuser d'obéir à ses |
| parents si ceux-ci veulent l'entraîner à pécher contre l'État. | | parents si ceux-ci veulent l'entraîner à pécher contre l'État. |
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| Supposons que l'égoïste ait rompu les liens familiaux et trouve dans l'État un | | Supposons que l'égoïste ait rompu les liens familiaux et trouve dans l'État un |
| protecteur contre l'esprit de famille gravement offensé. À quoi en arrive-t-il ? À faire | | protecteur contre l'esprit de famille gravement offensé. À quoi en arrive-t-il ? À faire |
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| société et n'est pas une association : il est l'extension de la famille (« père du peuple | | société et n'est pas une association : il est l'extension de la famille (« père du peuple |
| — mère du peuple — enfants du peuple »). | | — mère du peuple — enfants du peuple »). |
| Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 185
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| | Ce qu'on nomme État est un tissu, un entrelacement de dépendances et d'attachements; c'est une solidarité, une réciprocité ayant pour effet que tous ceux entre |
| Ce qu'on nomme État est un tissu, un entrelacement de dépendances et d'attachements | |
| ; c'est une solidarité, une réciprocité ayant pour effet que tous ceux entre | |
| lesquels s'établit cette coordination s'accordent entre eux et dépendent les uns des | | lesquels s'établit cette coordination s'accordent entre eux et dépendent les uns des |
| autres : l'État est l'ordre, le régime de cette dépendance mutuelle. Que le roi, dont | | autres : l'État est l'ordre, le régime de cette dépendance mutuelle. Que le roi, dont |
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Ligne 426 : |
| face du désordre de la bestialité par tous ceux chez qui veille le sens de l'ordre. Si le | | face du désordre de la bestialité par tous ceux chez qui veille le sens de l'ordre. Si le |
| désordre l'emportait, l'État aurait vécu. | | désordre l'emportait, l'État aurait vécu. |
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| Mais cette bonne entente, cet attachement réciproque, cette dépendance mutuelle, | | Mais cette bonne entente, cet attachement réciproque, cette dépendance mutuelle, |
| cette pensée d'amour est-elle réellement capable de nous gouverner ? À ce compte, | | cette pensée d'amour est-elle réellement capable de nous gouverner ? À ce compte, |
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Ligne 435 : |
| nul ne « marche sur les pieds du voisin » ? Tout est ainsi mis en « bon ordre », et c'est | | nul ne « marche sur les pieds du voisin » ? Tout est ainsi mis en « bon ordre », et c'est |
| ce bon ordre qu'on appelle État. | | ce bon ordre qu'on appelle État. |
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| Nos sociétés et nos États sont sans que nous les fassions ; ils peuvent s'allier sans | | Nos sociétés et nos États sont sans que nous les fassions ; ils peuvent s'allier sans |
| qu'il y ait alliance entre nous, ils sont prédestinés et ils ont une existence propre, | | qu'il y ait alliance entre nous, ils sont prédestinés et ils ont une existence propre, |
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| mais l'alliance, l'union, l'harmonie toujours instable et changeante de tout ce qui est et | | mais l'alliance, l'union, l'harmonie toujours instable et changeante de tout ce qui est et |
| n'est qu'à condition de changer sans cesse. | | n'est qu'à condition de changer sans cesse. |
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| Un État se passe de mon entremise et de mon consentement ; je nais en lui, j'y | | Un État se passe de mon entremise et de mon consentement ; je nais en lui, j'y |
| grandis, j'ai envers lui des devoirs et je lui dois « foi et hommage ». Il me prend sous | | grandis, j'ai envers lui des devoirs et je lui dois « foi et hommage ». Il me prend sous |
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| l'État est capable de me donner : il me dresse à être un « bon instrument », un | | l'État est capable de me donner : il me dresse à être un « bon instrument », un |
| « membre utile de la Société ». | | « membre utile de la Société ». |
| Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 186
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| C'est ce que doit faire tout État, qu'il soit démocratique, absolu ou constitutionnel. | | C'est ce que doit faire tout État, qu'il soit démocratique, absolu ou constitutionnel. |
| Et il le fera tant que nous ne nous serons pas défaits de cette idée erronée qu'il est un | | Et il le fera tant que nous ne nous serons pas défaits de cette idée erronée qu'il est un |
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| toujours de la même façon, un Moi réel se soit présenté et m'ait affirmé en face qu'il | | toujours de la même façon, un Moi réel se soit présenté et m'ait affirmé en face qu'il |
| ne m'était pas un « toi », mais bel et bien mon propre moi ? C'est ce que fit le Fils de | | ne m'était pas un « toi », mais bel et bien mon propre moi ? C'est ce que fit le Fils de |
| l'homme par excellence *, et je me demande ce qui empêcherait le premier fils de | | l'homme par excellence <ref>« Par excellence » en français dans le texte. (Note du Traducteur.)</ref>, et je me demande ce qui empêcherait le premier fils de |
| l'homme venu d'en faire autant. Voyant ainsi mon moi toujours au-dessus et en dehors | | l'homme venu d'en faire autant. Voyant ainsi mon moi toujours au-dessus et en dehors |
| de moi, je ne suis jamais parvenu à être réellement Moi-même. | | de moi, je ne suis jamais parvenu à être réellement Moi-même. |
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| Je n'ai jamais cru à Moi, je n'ai jamais cru à mon actualité, et je n'ai jamais su me | | Je n'ai jamais cru à Moi, je n'ai jamais cru à mon actualité, et je n'ai jamais su me |
| voir que dans l'avenir. L'enfant croit qu'il sera vraiment lui lorsqu'il sera devenu autre, | | voir que dans l'avenir. L'enfant croit qu'il sera vraiment lui lorsqu'il sera devenu autre, |
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| dans l'acceptation d'un moi étranger auquel on se dévoue. Et qu'est-il, ce moi ? Un | | dans l'acceptation d'un moi étranger auquel on se dévoue. Et qu'est-il, ce moi ? Un |
| moi qui n'est ni un moi ni un toi, un moi imaginaire, un fantôme. | | moi qui n'est ni un moi ni un toi, un moi imaginaire, un fantôme. |
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| Tandis qu'au Moyen Âge l'Église admettait parfaitement que plusieurs États | | Tandis qu'au Moyen Âge l'Église admettait parfaitement que plusieurs États |
| vécussent côte à côte sous son aile, quand vint la Réforme et plus particulièrement la | | vécussent côte à côte sous son aile, quand vint la Réforme et plus particulièrement la |
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| déterminée. « L'enseignement et l'éducation appartiennent à l'État », disait dernièrement | | déterminée. « L'enseignement et l'éducation appartiennent à l'État », disait dernièrement |
| Dupin en parlant du clergé. | | Dupin en parlant du clergé. |
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| Tout ce qui touche au principe de la moralité est affaire d'État. De là, les perpétuelles | | Tout ce qui touche au principe de la moralité est affaire d'État. De là, les perpétuelles |
| immixtions de l'État chinois dans les affaires de famille : en Chine, on n'est | | immixtions de l'État chinois dans les affaires de famille : en Chine, on n'est |
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| l'État y est moins visible, parce qu'il se fie à la famille et ne la soumet pas à une trop | | l'État y est moins visible, parce qu'il se fie à la famille et ne la soumet pas à une trop |
| étroite surveillance. Il la tient liée par le mariage dont lui seul peut dénouer les liens. | | étroite surveillance. Il la tient liée par le mariage dont lui seul peut dénouer les liens. |
| * « Par excellence » en français dans le texte. (Note du Traducteur.)
| | |
| Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 187
| |
| L'État me demande compte de mes principes et m'en impose certains ; cela pourrait | | L'État me demande compte de mes principes et m'en impose certains ; cela pourrait |
| m'induire à demander : « Que lui importe ma marotte (mon principe) ? — | | m'induire à demander : « Que lui importe ma marotte (mon principe) ? — |
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| Loi morale (moralité)? La domination de l'État ne diffère pas de celle de l'église : | | Loi morale (moralité)? La domination de l'État ne diffère pas de celle de l'église : |
| l'une s'appuie sur la piété, l'autre sur la moralité. | | l'une s'appuie sur la piété, l'autre sur la moralité. |
| | |
| On parle de la tolérance, et l'on vante comme un caractère des États civilisés la | | On parle de la tolérance, et l'on vante comme un caractère des États civilisés la |
| liberté qu'y ont les tendances les plus opposées de se manifester, etc. Il est vrai que si | | liberté qu'y ont les tendances les plus opposées de se manifester, etc. Il est vrai que si |
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| qui mettent l'État en danger ! Dans l'État auquel nous faisions allusion, on rêve | | qui mettent l'État en danger ! Dans l'État auquel nous faisions allusion, on rêve |
| d'une « science libre », et en Angleterre on rêve d'une « vie populaire libre ». | | d'une « science libre », et en Angleterre on rêve d'une « vie populaire libre ». |
| | |
| L'État laisse autant que possible les individus jouer librement, pourvu qu'ils ne | | L'État laisse autant que possible les individus jouer librement, pourvu qu'ils ne |
| prennent pas leur jeu au sérieux et ne le perdent pas de vue, lui, l'État. Il ne peut | | prennent pas leur jeu au sérieux et ne le perdent pas de vue, lui, l'État. Il ne peut |
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| seulement ce que l'État me permet de faire ; je ne puis faire valoir ni mes pensées, ni | | seulement ce que l'État me permet de faire ; je ne puis faire valoir ni mes pensées, ni |
| mon travail, ni en général rien de ce qui est à moi. | | mon travail, ni en général rien de ce qui est à moi. |
| | |
| L'État ne poursuit jamais qu'un but : limiter, enchaîner, assujettir l'individu, le subordonner | | L'État ne poursuit jamais qu'un but : limiter, enchaîner, assujettir l'individu, le subordonner |
| à une généralité quelconque. Il ne peut subsister qu'à condition que l'individu | | à une généralité quelconque. Il ne peut subsister qu'à condition que l'individu |
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| (avec raison d'ailleurs, car sa conservation est à ce prix) remplir son devoir. L'État | | (avec raison d'ailleurs, car sa conservation est à ce prix) remplir son devoir. L'État |
| veut faire de l'homme quelque chose, il veut le façonner ; aussi l'homme, en tant que | | veut faire de l'homme quelque chose, il veut le façonner ; aussi l'homme, en tant que |
| Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 188
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| vivant dans l'État, n'est-il qu'un homme factice ; quiconque veut être soi-même est | | vivant dans l'État, n'est-il qu'un homme factice ; quiconque veut être soi-même est |
| l'adversaire de l'État et n'est rien. « Il n'est rien signifie : l'État ne l'utilise pas, ne lui | | l'adversaire de l'État et n'est rien. « Il n'est rien signifie : l'État ne l'utilise pas, ne lui |
| accorde aucun titre, aucun emploi, aucune commission, etc. | | accorde aucun titre, aucun emploi, aucune commission, etc. |
| | |
| Edgar Bauer, dans ses Liberalen Bestrebungen (Revendications libérales, II, 50), | | Edgar Bauer, dans ses Liberalen Bestrebungen (Revendications libérales, II, 50), |
| rêve d' « un gouvernement qui, issu du Peuple, ne puisse jamais se trouver en | | rêve d' « un gouvernement qui, issu du Peuple, ne puisse jamais se trouver en |
| opposition avec lui. Il est vrai qu'il retire lui-même (p. 69) le mot « gouvernement »: | | opposition avec lui. Il est vrai qu'il retire lui-même (p. 69) le mot « gouvernement »:« Dans une république, il ne peut y avoir de gouvernement, il n'y a de place que pour |
| « Dans une république, il ne peut y avoir de gouvernement, il n'y a de place que pour | |
| un pouvoir exécutif. Pure et simple émanation du Peuple, ce pouvoir ne pourrait lui | | un pouvoir exécutif. Pure et simple émanation du Peuple, ce pouvoir ne pourrait lui |
| opposer ni une puissance indépendante, ni des principes et des fonctionnaires à lui ; il | | opposer ni une puissance indépendante, ni des principes et des fonctionnaires à lui ; il |
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| sorti du sein de la mère, se met immédiatement en opposition avec elle. Le gouvernement, | | sorti du sein de la mère, se met immédiatement en opposition avec elle. Le gouvernement, |
| sans ce caractère d'indépendance et d'opposition, ne serait rien du tout. | | sans ce caractère d'indépendance et d'opposition, ne serait rien du tout. |
| | |
| « Dans l'État libre, il n'y a pas de gouvernement, etc. » (p. 94). Ceci veut simplement | | « Dans l'État libre, il n'y a pas de gouvernement, etc. » (p. 94). Ceci veut simplement |
| dire que le Peuple, lorsqu'il est le souverain, ne se laisse pas régenter par une | | dire que le Peuple, lorsqu'il est le souverain, ne se laisse pas régenter par une |
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Ligne 587 : |
| gouvernement au-dessus de Moi, et je ne me trouverai pas mieux de l'un que de | | gouvernement au-dessus de Moi, et je ne me trouverai pas mieux de l'un que de |
| l'autre. | | l'autre. |
| | |
| La République n'est qu'une — monarchie absolue, car peu importe que le souverain | | La République n'est qu'une — monarchie absolue, car peu importe que le souverain |
| s'appelle Prince ou peuple : l'un et l'autre sont une « Majesté ». | | s'appelle Prince ou peuple : l'un et l'autre sont une « Majesté ». |
| | |
| Le régime constitutionnel démontre précisément que personne ne veut et ne peut | | Le régime constitutionnel démontre précisément que personne ne veut et ne peut |
| se résigner à n'être qu'un instrument. Les ministres dominent leur maître, le Prince, et | | se résigner à n'être qu'un instrument. Les ministres dominent leur maître, le Prince, et |
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| Chambres de le conduire. Le constitutionnalisme va plus loin que la république, | | Chambres de le conduire. Le constitutionnalisme va plus loin que la république, |
| attendu que l'État y est conçu comme en dissolution. | | attendu que l'État y est conçu comme en dissolution. |
| | |
| Edgar Bauer nie (p. 56) que dans l'État constitutionnel le Peuple était une | | Edgar Bauer nie (p. 56) que dans l'État constitutionnel le Peuple était une |
| « personnalité ». — Et dans la République ? Dans l'État constitutionnel, le Peuple est | | « personnalité ». — Et dans la République ? Dans l'État constitutionnel, le Peuple est |
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| parti populaire, Peuple ou encore « le Seigneur », n'est nullement une personne, mais | | parti populaire, Peuple ou encore « le Seigneur », n'est nullement une personne, mais |
| un fantôme. | | un fantôme. |
| | |
| Plus loin, Edgar Bauer ajoute (p. 60) : « La tutelle est la caractéristique de tout | | Plus loin, Edgar Bauer ajoute (p. 60) : « La tutelle est la caractéristique de tout |
| gouvernement ». En vérité, elle est plus encore celle d'un Peuple et d'un « État | | gouvernement ». En vérité, elle est plus encore celle d'un Peuple et d'un « État |
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| », sous prétexte qu'ils sont « les exécuteurs de la volonté libre et raisonnable | | », sous prétexte qu'ils sont « les exécuteurs de la volonté libre et raisonnable |
| que le Peuple exprime dans ses lois » (p. 73) ! | | que le Peuple exprime dans ses lois » (p. 73) ! |
| Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 189
| | |
| « Il ne peut être mis d'unité dans l'État, dit-il encore (p. 74), qu'en subordonnant | | « Il ne peut être mis d'unité dans l'État, dit-il encore (p. 74), qu'en subordonnant |
| toutes les administrations aux intentions du gouvernement. » Mais son État démocratique | | toutes les administrations aux intentions du gouvernement. » Mais son État démocratique |
| doit, lui aussi, avoir de l' « unité » ; comment s'y passer de la subordination, | | doit, lui aussi, avoir de l' « unité » ; comment s'y passer de la subordination, |
| de la soumission à la — volonté du Peuple ? | | de la soumission à la — volonté du Peuple ? |
| | |
| « Dans un État constitutionnel, tout l'édifice gouvernemental repose en définitive | | « Dans un État constitutionnel, tout l'édifice gouvernemental repose en définitive |
| sur le Régent et dépend de son sentiment » (p. 130). Comment pourrait-il en être | | sur le Régent et dépend de son sentiment » (p. 130). Comment pourrait-il en être |
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| efforts d'Edgar Bauer aboutissent à un changement de maître. Au lieu de vouloir | | efforts d'Edgar Bauer aboutissent à un changement de maître. Au lieu de vouloir |
| libérer le Peuple, il aurait dû s'occuper de la seule liberté réalisable, de la sienne. | | libérer le Peuple, il aurait dû s'occuper de la seule liberté réalisable, de la sienne. |
| | |
| Dans l'État constitutionnel, l'absolutisme a fini par entrer en lutte avec lui-même, | | Dans l'État constitutionnel, l'absolutisme a fini par entrer en lutte avec lui-même, |
| parce qu'il a abouti à un antagonisme : le gouvernement veut être absolu, et le Peuple | | parce qu'il a abouti à un antagonisme : le gouvernement veut être absolu, et le Peuple |
| veut être absolu. Ces deux absolus se détruiront l'un l'autre. | | veut être absolu. Ces deux absolus se détruiront l'un l'autre. |
| | |
| Edgar Bauer s'indigne de ce que le roi constitutionnel soit donné par la naissance, | | Edgar Bauer s'indigne de ce que le roi constitutionnel soit donné par la naissance, |
| c'est-à-dire par le hasard. Mais quand « le Peuple sera devenu l'unique puissance dans | | c'est-à-dire par le hasard. Mais quand « le Peuple sera devenu l'unique puissance dans |
| l'État » (p. 132), n'est-ce pas à un hasard pareil que nous devrons de l'avoir pour | | l'État » (p. 132), n'est-ce pas à un hasard pareil que nous devrons de l'avoir pour |
| maître ? Qu'est-ce donc que le Peuple ? Le Peuple n'a jamais été que le corps du gouvernement | | maître ? Qu'est-ce donc que le Peuple ? Le Peuple n'a jamais été que le corps du gouvernement; c'est plusieurs corps sous un même bonnet (couronne de prince) ou |
| ; c'est plusieurs corps sous un même bonnet (couronne de prince) ou | |
| plusieurs corps sous une même constitution. Et la constitution est le — prince. | | plusieurs corps sous une même constitution. Et la constitution est le — prince. |
| Princes et Peuples ne peuvent subsister que tant qu'ils ne s'identifient pas. Quand | | Princes et Peuples ne peuvent subsister que tant qu'ils ne s'identifient pas. Quand |
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| Peuple n'est qu'une puissance — fortuite ; c'est une force de la nature, un ennemi que | | Peuple n'est qu'une puissance — fortuite ; c'est une force de la nature, un ennemi que |
| je dois vaincre. | | je dois vaincre. |
| | |
| Que faut-il entendre par un peuple « organisé » (id., p. 132)? Un Peuple « qui n'a | | Que faut-il entendre par un peuple « organisé » (id., p. 132)? Un Peuple « qui n'a |
| plus de gouvernement » et qui se gouverne lui-même. Donc, dans lequel aucun Moi | | plus de gouvernement » et qui se gouverne lui-même. Donc, dans lequel aucun Moi |
| ne dépasse le niveau, un Peuple organisé par l'ostracisme. L'ostracisme, le bannissement | | ne dépasse le niveau, un Peuple organisé par l'ostracisme. L'ostracisme, le bannissement |
| des « Moi », fait du peuple son propre gouverneur. | | des « Moi », fait du peuple son propre gouverneur. |
| | |
| Si vous parlez d'un Peuple, il faut aussi parler d'un prince, car pour être, pour | | Si vous parlez d'un Peuple, il faut aussi parler d'un prince, car pour être, pour |
| vivre et pour faire de l'histoire le Peuple doit, comme tout ce qui agit, avoir une tête, | | vivre et pour faire de l'histoire le Peuple doit, comme tout ce qui agit, avoir une tête, |
| un « chef ». C'est ce que Proudhon exprime en disant : « Une société pour ainsi dire | | un « chef ». C'est ce que Proudhon exprime en disant : « Une société pour ainsi dire |
| acéphale ne peut vivre 1 ». | | acéphale ne peut vivre <ref>De la création de l'ordre, p. 485.»</ref>. |
| | |
| On invoque à chaque instant aujourd'hui la vox populi ; l’« opinion publique » | | On invoque à chaque instant aujourd'hui la vox populi ; l’« opinion publique » |
| doit gouverner les princes. Il est bien certain que la vox populi est en même temps vox | | doit gouverner les princes. Il est bien certain que la vox populi est en même temps vox |
| dei ; mais à quoi bon l'une et l'autre ? Et la vox principis n'est-elle pas aussi vox dei ? | | dei ; mais à quoi bon l'une et l'autre ? Et la vox principis n'est-elle pas aussi vox dei ? |
| 1 De la création de l'ordre, p. 485.
| | |
| Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 190
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| On peut ici se rappeler les « Nationalistes ». Vouloir faire des trente-huit États de | | On peut ici se rappeler les « Nationalistes ». Vouloir faire des trente-huit États de |
| l'Allemagne une nation est aussi absurde que d'entreprendre de réunir en un seul | | l'Allemagne une nation est aussi absurde que d'entreprendre de réunir en un seul |
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Ligne 669 : |
| les reines. Abeilles et Peuples sans volonté, et l'instinct de leurs reines les | | les reines. Abeilles et Peuples sans volonté, et l'instinct de leurs reines les |
| conduit. | | conduit. |
| | |
| En rappelant aux abeilles la qualité d'abeilles qui leur est commune, on ferait | | En rappelant aux abeilles la qualité d'abeilles qui leur est commune, on ferait |
| exactement ce que l'on fait si bruyamment aujourd'hui lorsqu'on rappelle aux Allemands | | exactement ce que l'on fait si bruyamment aujourd'hui lorsqu'on rappelle aux Allemands |
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Ligne 677 : |
| radicale, en ferait sortir en même temps la fin de toute séparation. J'entends la | | radicale, en ferait sortir en même temps la fin de toute séparation. J'entends la |
| séparation de l'homme d'avec l'homme. | | séparation de l'homme d'avec l'homme. |
| | |
| La qualité d'Allemands est partagée par divers peuples et diverses tribus, c'est-àdire | | La qualité d'Allemands est partagée par divers peuples et diverses tribus, c'est-àdire |
| par diverses ruches d'abeilles ; mais l'individu qui a la propriété d'être un Allemand | | par diverses ruches d'abeilles ; mais l'individu qui a la propriété d'être un Allemand |
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| n'est que lorsque l'ultime séparation aura eu lieu que la séparation elle-même cessera | | n'est que lorsque l'ultime séparation aura eu lieu que la séparation elle-même cessera |
| pour se transformer en alliance. | | pour se transformer en alliance. |
| | |
| Les Nationalistes s'efforcent de faire une unité abstraite et sans vie de tout ce qui | | Les Nationalistes s'efforcent de faire une unité abstraite et sans vie de tout ce qui |
| est abeille. Les individualistes, eux, lutteront pour l'unité personnellement voulue qui | | est abeille. Les individualistes, eux, lutteront pour l'unité personnellement voulue qui |
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| origine et même signification. Les Allemands ne seront unis, c'est-à-dire ne s'uniront, | | origine et même signification. Les Allemands ne seront unis, c'est-à-dire ne s'uniront, |
| que du jour où ils auront envoyé au diable leur qualité d'abeilles et jeté par terre | | que du jour où ils auront envoyé au diable leur qualité d'abeilles et jeté par terre |
| toutes leurs ruches, ou, en d'autres termes, du jour où ils seront plus qu' — Allemands | | toutes leurs ruches, ou, en d'autres termes, du jour où ils seront plus qu' Allemands; alors seulement ils pourront former une « association allemande ». Ce n'est ni dans |
| ; alors seulement ils pourront former une « association allemande ». Ce n'est ni dans | |
| leur nationalité ni dans le ventre de leur mère qu'ils doivent rentrer pour parvenir à | | leur nationalité ni dans le ventre de leur mère qu'ils doivent rentrer pour parvenir à |
| une renaissance ; que chacun rentre en soi-même! N'est-ce pas un spectacle sentimental | | une renaissance ; que chacun rentre en soi-même! N'est-ce pas un spectacle sentimental |
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| superstition de la « piété », de la « fraternité », de l’ « amour filial », et de tous les | | superstition de la « piété », de la « fraternité », de l’ « amour filial », et de tous les |
| poncifs sentimentaux qui composent le répertoire de l'esprit de famille. | | poncifs sentimentaux qui composent le répertoire de l'esprit de famille. |
| | |
| Il suffirait pourtant aux susdits Nationalistes de bien comprendre eux-mêmes ce | | Il suffirait pourtant aux susdits Nationalistes de bien comprendre eux-mêmes ce |
| qu'ils veulent pour ne plus se livrer aux embrassades des teutomanes à romances, car | | qu'ils veulent pour ne plus se livrer aux embrassades des teutomanes à romances, car |
| Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 191
| |
| la coalition en vue de résultats et d'intérêts matériels qu'ils prônent aux Allemands | | la coalition en vue de résultats et d'intérêts matériels qu'ils prônent aux Allemands |
| n'est qu'une association volontaire, active et spontanée. | | n'est qu'une association volontaire, active et spontanée. |
| | |
| L'impersonnalité de ce qu'on nomme Peuple et Nation éclate dans ce fait qu'un | | L'impersonnalité de ce qu'on nomme Peuple et Nation éclate dans ce fait qu'un |
| Peuple qui veut faire tout son possible pour mettre son Moi en valeur place à sa tête | | Peuple qui veut faire tout son possible pour mettre son Moi en valeur place à sa tête |
Ligne 693 : |
Ligne 734 : |
| n'a pas plus un moi que les onze planètes assemblées n'en ont un, encore qu'elles | | n'a pas plus un moi que les onze planètes assemblées n'en ont un, encore qu'elles |
| gravitent autour d'un centre commun. | | gravitent autour d'un centre commun. |
| | |
| Pendant longtemps, l'homme a passé pour un citoyen du Ciel. Un voudrait en | | Pendant longtemps, l'homme a passé pour un citoyen du Ciel. Un voudrait en |
| faire aujourd'hui comme au temps des Grecs un zoon politicon, un citoyen de l'État | | faire aujourd'hui comme au temps des Grecs un zoon politicon, un citoyen de l'État |
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| du Peuple, et pour faire le Peuple heureux, grand, etc., on nous rend malheureux | | du Peuple, et pour faire le Peuple heureux, grand, etc., on nous rend malheureux |
| ! Le bonheur du Peuple est — mon malheur. | | ! Le bonheur du Peuple est — mon malheur. |
| | |
| On peut juger du vide que recouvrent de leur emphase les discours des Libéraux | | On peut juger du vide que recouvrent de leur emphase les discours des Libéraux |
| politiques en feuilletant l'ouvrage de Nauwerk : Ueber die Theilnahme am Staate (Sur | | politiques en feuilletant l'ouvrage de Nauwerk : Ueber die Theilnahme am Staate (Sur |
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| distraire ? Que ceux-là s'inquiètent de la marche de l'État qui sont personnellement | | distraire ? Que ceux-là s'inquiètent de la marche de l'État qui sont personnellement |
| intéressés à le voir rester comme il est ou changer. | | intéressés à le voir rester comme il est ou changer. |
| | |
| Ce n'est pas l'idée d'un « devoir sacré » à remplir qui pousse et qui poussera | | Ce n'est pas l'idée d'un « devoir sacré » à remplir qui pousse et qui poussera |
| jamais personne à consacrer ses veilles à l'État, pas plus que ce n'est « par devoir » | | jamais personne à consacrer ses veilles à l'État, pas plus que ce n'est « par devoir » |
| qu'on se fait disciple de la science, artiste, etc.; l'égoïsme seul peut y conduire. | | qu'on se fait disciple de la science, artiste, etc.; l'égoïsme seul peut y conduire. |
| Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 192
| |
| Démontrez aux gens que leur égoïsme exige qu'ils offrent leur concours à l'État, et | | Démontrez aux gens que leur égoïsme exige qu'ils offrent leur concours à l'État, et |
| vous n'aurez pas besoin de les exhorter longtemps ; mais si vous faites appel à leur | | vous n'aurez pas besoin de les exhorter longtemps ; mais si vous faites appel à leur |
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| sourds. Le fait est que jamais les égoïstes ne participeront comme vous l'entendez à la | | sourds. Le fait est que jamais les égoïstes ne participeront comme vous l'entendez à la |
| vie de l'État. | | vie de l'État. |
| | |
| Je trouve dans Nauwerk une phrase imprégnée du plus pur Libéralisme : « L'homme | | Je trouve dans Nauwerk une phrase imprégnée du plus pur Libéralisme : « L'homme |
| n'accomplit sa mission que pour autant qu'il se sache et se sente membre de | | n'accomplit sa mission que pour autant qu'il se sache et se sente membre de |
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| privée, ce qui équivaut à les nier et les détruire. » Et la Religion, telle que la conçoit | | privée, ce qui équivaut à les nier et les détruire. » Et la Religion, telle que la conçoit |
| le Politique, que devient-elle ? Une « affaire privée ». | | le Politique, que devient-elle ? Une « affaire privée ». |
| | |
| Si, au lieu de leur parler du « devoir sacré », de la « destination de l'homme », de | | Si, au lieu de leur parler du « devoir sacré », de la « destination de l'homme », de |
| la « vocation d'être parfaitement humains » et d'autres commandements de même | | la « vocation d'être parfaitement humains » et d'autres commandements de même |
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| lui incomber. » Puis il examine de plus près la « nécessité catégorique qu'il y a pour | | lui incomber. » Puis il examine de plus près la « nécessité catégorique qu'il y a pour |
| chacun de s'intéresser à l'État ». | | chacun de s'intéresser à l'État ». |
| | |
| Celui-là est un politicien et le restera de toute éternité qui loge l'État dans sa tête | | Celui-là est un politicien et le restera de toute éternité qui loge l'État dans sa tête |
| ou dans son coeur ou dans les deux à la fois ; c'est un possédé de l'État, il a la Foi. | | ou dans son coeur ou dans les deux à la fois ; c'est un possédé de l'État, il a la Foi. |
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| « L'État est la condition indispensable du développement intégral de l'humanité. » | | « L'État est la condition indispensable du développement intégral de l'humanité. » |
| Certes, il le fut, aussi longtemps que nous nous proposâmes de développer l'humanité | | Certes, il le fut, aussi longtemps que nous nous proposâmes de développer l'humanité; mais maintenant que nous voulons nous développer, il ne peut plus nous être qu'un |
| ; mais maintenant que nous voulons nous développer, il ne peut plus nous être qu'un | |
| embarras. | | embarras. |
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| Peut-on encore se proposer, aujourd'hui, de réformer et d'améliorer l'État et le | | Peut-on encore se proposer, aujourd'hui, de réformer et d'améliorer l'État et le |
| Peuple ? Pas plus que la Noblesse, le Clergé, l'Église, etc.; on peut les suspendre, les | | Peuple ? Pas plus que la Noblesse, le Clergé, l'Église, etc.; on peut les suspendre, les |
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| etc., retombent ainsi dans l'abîme dont elles n'auraient pas dû sortir, leur néant. Moi, | | etc., retombent ainsi dans l'abîme dont elles n'auraient pas dû sortir, leur néant. Moi, |
| ce rien, je ferai jaillir de moi-même mes créations. | | ce rien, je ferai jaillir de moi-même mes créations. |
| *
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| Au chapitre de la Société se rattache celui du « parti » dont on a en ces derniers | | Au chapitre de la Société se rattache celui du « parti » dont on a en ces derniers |
| temps chanté les louanges. | | temps chanté les louanges. |
| Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 193
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| Il y a dans l'État des partis. « Mon Parti ! Qui voudrait ne pas prendre parti ! » | | Il y a dans l'État des partis. « Mon Parti ! Qui voudrait ne pas prendre parti ! » |
| Mais l'individu est unique et n'est pas membre d'un parti. Il s'unit librement et se | | Mais l'individu est unique et n'est pas membre d'un parti. Il s'unit librement et se |
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| non plus ne veulent qu'un — État. C'est contre l'Individu, et non contre l'État, que se | | non plus ne veulent qu'un — État. C'est contre l'Individu, et non contre l'État, que se |
| brisent tous les partis. | | brisent tous les partis. |
| | |
| Il n'est rien qu'on entende plus souvent aujourd'hui que l'exhortation à rester fidèle | | Il n'est rien qu'on entende plus souvent aujourd'hui que l'exhortation à rester fidèle |
| à son parti ; les hommes de parti ne méprisent rien tant qu'un renégat. On doit | | à son parti ; les hommes de parti ne méprisent rien tant qu'un renégat. On doit |
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| devant renfermer la vérité éternelle, il suffit de l'en extraire, de la démontrer et de la | | devant renfermer la vérité éternelle, il suffit de l'en extraire, de la démontrer et de la |
| faire accepter. | | faire accepter. |
| | |
| Bref, le parti est contradictoire à l'impartialité, et cette dernière est une manifestation | | Bref, le parti est contradictoire à l'impartialité, et cette dernière est une manifestation |
| de l'égoïsme. Que m'importe d'ailleurs le parti ? Je trouverai toujours assez de | | de l'égoïsme. Que m'importe d'ailleurs le parti ? Je trouverai toujours assez de |
| compagnons qui se réuniront à moi sans prêter serment à mon drapeau. | | compagnons qui se réuniront à moi sans prêter serment à mon drapeau. |
| | |
| Si quelqu'un passe d'un parti à l'autre, on l'appelle immédiatement transfuge, déserteur, | | Si quelqu'un passe d'un parti à l'autre, on l'appelle immédiatement transfuge, déserteur, |
| renégat, apostat, etc. La Morale, en effet, exige que l'on adhère fermement à | | renégat, apostat, etc. La Morale, en effet, exige que l'on adhère fermement à |
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| souillé d'une « trahison », c'est-à-dire d'une immoralité. Ce sentiment est presque | | souillé d'une « trahison », c'est-à-dire d'une immoralité. Ce sentiment est presque |
| général chez les gens de culture inférieure. Les plus éclairés sont sur ce point, comme | | général chez les gens de culture inférieure. Les plus éclairés sont sur ce point, comme |
| Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 194
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| sur tous, incertains et troublés ; la confusion de leurs idées ne leur permet pas d'avoir | | sur tous, incertains et troublés ; la confusion de leurs idées ne leur permet pas d'avoir |
| clairement conscience de la contradiction où les accule nécessairement le principe de | | clairement conscience de la contradiction où les accule nécessairement le principe de |
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| ils n'osent pas abandonner leur point d'appui dans la moralité. Quelle excellente | | ils n'osent pas abandonner leur point d'appui dans la moralité. Quelle excellente |
| occasion, pourtant, de la jeter par-dessus bord ! | | occasion, pourtant, de la jeter par-dessus bord ! |
| | |
| Les Individus ou Uniques sont-ils d'un parti ? Eh! comment pourraient-ils être | | Les Individus ou Uniques sont-ils d'un parti ? Eh! comment pourraient-ils être |
| uniques s'ils appartenaient à un parti ? | | uniques s'ils appartenaient à un parti ? |
| | |
| Ne peut-on donc être d'aucun parti ? Entendons-nous : En entrant dans votre parti | | Ne peut-on donc être d'aucun parti ? Entendons-nous : En entrant dans votre parti |
| et dans vos cercles, je conclus avec vous une alliance, qui durera aussi longtemps que | | et dans vos cercles, je conclus avec vous une alliance, qui durera aussi longtemps que |
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| ». Le parti n'a pour moi rien qui me lie, rien d'obligatoire, et je ne le respecte | | ». Le parti n'a pour moi rien qui me lie, rien d'obligatoire, et je ne le respecte |
| pas ; s'il cesse de me plaire, je me retourne contre lui. | | pas ; s'il cesse de me plaire, je me retourne contre lui. |
| | |
| Les membres de tout parti qui tient à son existence et à sa conservation ont | | Les membres de tout parti qui tient à son existence et à sa conservation ont |
| d'autant moins de liberté, ou plus exactement, d'autant, moins de personnalité, et ils | | d'autant moins de liberté, ou plus exactement, d'autant, moins de personnalité, et ils |
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| exigences de ce parti. L'indépendance du parti implique la dépendance de ses | | exigences de ce parti. L'indépendance du parti implique la dépendance de ses |
| membres. | | membres. |
| | |
| Un parti, quel qu'il soit, ne peut jamais se passer d'une profession de foi, car ses | | Un parti, quel qu'il soit, ne peut jamais se passer d'une profession de foi, car ses |
| membres doivent croire à son principe et ne peuvent le mettre en doute ni le discuter, | | membres doivent croire à son principe et ne peuvent le mettre en doute ni le discuter, |
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| autre parti). Mais tant mieux pour toi si un péché ne t'épouvante pas : ton audacieuse | | autre parti). Mais tant mieux pour toi si un péché ne t'épouvante pas : ton audacieuse |
| impiété va t'aider à atteindre l'Individualité. | | impiété va t'aider à atteindre l'Individualité. |
| | |
| Ainsi donc, un égoïste ne pourra jamais embrasser un parti, il ne pourra jamais | | Ainsi donc, un égoïste ne pourra jamais embrasser un parti, il ne pourra jamais |
| prendre parti ? Mais si, il le peut parfaitement, pourvu qu'il ne se laisse pas saisir et | | prendre parti ? Mais si, il le peut parfaitement, pourvu qu'il ne se laisse pas saisir et |
| enchaîner par le parti ! Le parti n'est jamais pour lui qu'une partie : il est de la partie, | | enchaîner par le parti ! Le parti n'est jamais pour lui qu'une partie : il est de la partie, |
| il prend part. | | il prend part. |
| *
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| **
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| Le meilleur État est évidemment celui qui renferme les citoyens les plus fidèles à | | Le meilleur État est évidemment celui qui renferme les citoyens les plus fidèles à |
| la loi. À mesure que le noble sentiment de la légalité languit et s'éteint, l'État, qui est | | la loi. À mesure que le noble sentiment de la légalité languit et s'éteint, l'État, qui est |
| un système de moralité et la vie morale elle-même, voit baisser ses forces et décroître | | un système de moralité et la vie morale elle-même, voit baisser ses forces et décroître |
| ses biens. Avec les bons citoyens disparaît le bon État ; il sombre dans l'anarchie. | | ses biens. Avec les bons citoyens disparaît le bon État ; il sombre dans l'anarchie. |
| Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 195
| | |
| « Respect à la Loi ! », tel est le ciment qui maintient debout tout l'édifice d'un | | « Respect à la Loi ! », tel est le ciment qui maintient debout tout l'édifice d'un |
| État. « La loi est sacrée, celui qui la viole est un criminel. » Sans le crime, pas d'État. | | État. « La loi est sacrée, celui qui la viole est un criminel. » Sans le crime, pas d'État. |
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Ligne 912 : |
| peut parvenir à ses fins que par le crime, dans tous les cas où son intérêt est opposé à | | peut parvenir à ses fins que par le crime, dans tous les cas où son intérêt est opposé à |
| celui de l'État. | | celui de l'État. |
| | |
| L'État ne peut cesser d'exiger que ses lois soient tenues pour sacrées. Aussi | | L'État ne peut cesser d'exiger que ses lois soient tenues pour sacrées. Aussi |
| l'Individu est-il aujourd'hui, vis-à-vis de l'État, exactement ce qu'il était jadis vis-à-vis | | l'Individu est-il aujourd'hui, vis-à-vis de l'État, exactement ce qu'il était jadis vis-à-vis |
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Ligne 946 : |
| tout cela va-t-il durer ? Ne viendra-t-il pas un jour où l'on cessera de se prosterner | | tout cela va-t-il durer ? Ne viendra-t-il pas un jour où l'on cessera de se prosterner |
| devant l'image du saint ? | | devant l'image du saint ? |
| | |
| Quelle folie d'exiger que le pouvoir de l'État lutte à armes courtoises avec | | Quelle folie d'exiger que le pouvoir de l'État lutte à armes courtoises avec |
| l'individu et, comme on l'a dit à propos de la liberté de la presse, partage avec son | | l'individu et, comme on l'a dit à propos de la liberté de la presse, partage avec son |
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| ils n'en démordent pas, que l'État est plus que l'individu et que sa vengeance, qu'il | | ils n'en démordent pas, que l'État est plus que l'individu et que sa vengeance, qu'il |
| appelle peine ou châtiment, est légitime. | | appelle peine ou châtiment, est légitime. |
| Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 196
| | |
| Le mot peine n'a de sens que s'il désigne la pénitence infligée au profanateur d'une | | Le mot peine n'a de sens que s'il désigne la pénitence infligée au profanateur d'une |
| chose sacrée. Celui qui tient une chose pour sacrée mérite évidemment qu'une peine | | chose sacrée. Celui qui tient une chose pour sacrée mérite évidemment qu'une peine |
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Ligne 962 : |
| que cette vie lui est sacrée et que l'idée d'y attenter lui fait horreur est un homme — | | que cette vie lui est sacrée et que l'idée d'y attenter lui fait horreur est un homme — |
| religieux. | | religieux. |
| | |
| Weitling impute au « désordre social » tous les crimes qui se commettent, et il | | Weitling impute au « désordre social » tous les crimes qui se commettent, et il |
| espère que sous le régime communiste les crimes deviendront impossibles, les mobiles | | espère que sous le régime communiste les crimes deviendront impossibles, les mobiles |
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Ligne 973 : |
| comme « voués » à une certaine « cure » et qu'on va leur appliquer les remèdes | | comme « voués » à une certaine « cure » et qu'on va leur appliquer les remèdes |
| qu' « appelle » leur nature d'hommes ? | | qu' « appelle » leur nature d'hommes ? |
| | |
| Le remède et la cure ne sont que l'autre face du châtiment et de l'amendement, la | | Le remède et la cure ne sont que l'autre face du châtiment et de l'amendement, la |
| thérapeutique du corps fait le pendant de la diététique de l'âme. Si celle-ci voit dans | | thérapeutique du corps fait le pendant de la diététique de l'âme. Si celle-ci voit dans |
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Ligne 981 : |
| amie ou ennemie ? Je la traiterais alors comme ma propriété, c'est-à-dire que je la | | amie ou ennemie ? Je la traiterais alors comme ma propriété, c'est-à-dire que je la |
| conserverais ou la détruirais à mon gré. | | conserverais ou la détruirais à mon gré. |
| | |
| « Crime » et « maladie » ne sont point des noms qui s'appliquent à une conception | | « Crime » et « maladie » ne sont point des noms qui s'appliquent à une conception |
| égoïste des choses qu'ils désignent ; ce sont des jugements portés non pas par Moi | | égoïste des choses qu'ils désignent ; ce sont des jugements portés non pas par Moi |
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Ligne 988 : |
| ménagement pour le « crime », tandis qu'on use envers la « maladie » de douceur, de | | ménagement pour le « crime », tandis qu'on use envers la « maladie » de douceur, de |
| compassion, etc. | | compassion, etc. |
| | |
| Le crime est suivi du châtiment. Si le Sacré disparaît, entraînant le crime avec lui, | | Le crime est suivi du châtiment. Si le Sacré disparaît, entraînant le crime avec lui, |
| le châtiment doit disparaître également, car lui non plus n'a de signification que par | | le châtiment doit disparaître également, car lui non plus n'a de signification que par |
Ligne 941 : |
Ligne 1 001 : |
| contre la propriété, on a le bagne, et pour un « viol de pensées », pour l'oppression | | contre la propriété, on a le bagne, et pour un « viol de pensées », pour l'oppression |
| des « droits naturels de l'homme », on n'a que des représentations et des prières. | | des « droits naturels de l'homme », on n'a que des représentations et des prières. |
| | |
| Le Code pénal n'existe que grâce au Sacré et disparaîtra de lui-même quand on | | Le Code pénal n'existe que grâce au Sacré et disparaîtra de lui-même quand on |
| renoncera au châtiment. Partout, actuellement, on veut créer un nouveau Code pénal, | | renoncera au châtiment. Partout, actuellement, on veut créer un nouveau Code pénal, |
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Ligne 1 007 : |
| justement la peine qui doit disparaître, pour faire place à la satisfaction : satisfaction, | | justement la peine qui doit disparaître, pour faire place à la satisfaction : satisfaction, |
| encore une fois, non point du Droit ou de la Justice, mais de nous. Si quelqu'un nous | | encore une fois, non point du Droit ou de la Justice, mais de nous. Si quelqu'un nous |
| Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 197
| |
| fait ce que nous ne voulons pas qui nous soit fait, nous brisons sa puissance et nous | | fait ce que nous ne voulons pas qui nous soit fait, nous brisons sa puissance et nous |
| faisons prévaloir la nôtre : nous nous donnons satisfaction à son égard sans faire la | | faisons prévaloir la nôtre : nous nous donnons satisfaction à son égard sans faire la |
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Ligne 1 020 : |
| simplement inconvenant, et cette rage de moralité qui possède le peuple est pour la | | simplement inconvenant, et cette rage de moralité qui possède le peuple est pour la |
| police une protection bien plus sûre que celle que pourrait lui assurer le gouvernement. | | police une protection bien plus sûre que celle que pourrait lui assurer le gouvernement. |
| | |
| C'est par le crime que l'Égoïste s'est toujours affirmé et a renversé d'une manière | | C'est par le crime que l'Égoïste s'est toujours affirmé et a renversé d'une manière |
| sacrilège les saintes idoles de leurs piédestaux. Rompre avec le Sacré ou, mieux | | sacrilège les saintes idoles de leurs piédestaux. Rompre avec le Sacré ou, mieux |
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Ligne 1 027 : |
| — crime ne gronde-t-il pas avec le tonnerre à l'horizon, et ne vois-tu pas que le ciel, | | — crime ne gronde-t-il pas avec le tonnerre à l'horizon, et ne vois-tu pas que le ciel, |
| lourd de pressentiments, s'obscurcit et se tait ? | | lourd de pressentiments, s'obscurcit et se tait ? |
| *
| | |
| **
| | |
| Celui qui se refuse à dépenser ses forces pour des sociétés aussi restreintes que la | | Celui qui se refuse à dépenser ses forces pour des sociétés aussi restreintes que la |
| Famille, le Parti ou la Nation aspire encore toujours à une société de signification plus | | Famille, le Parti ou la Nation aspire encore toujours à une société de signification plus |
Ligne 973 : |
Ligne 1 034 : |
| trouvé l'objet véritablement digne de son culte auquel il mettra son honneur à se | | trouvé l'objet véritablement digne de son culte auquel il mettra son honneur à se |
| sacrifier : à partir de ce moment, « sa vie et ses services appartiennent à l'Humanité ». | | sacrifier : à partir de ce moment, « sa vie et ses services appartiennent à l'Humanité ». |
| | |
| Le Peuple est le corps, l'État est l'esprit de cette Personne souveraine qui m'a jusqu'ici | | Le Peuple est le corps, l'État est l'esprit de cette Personne souveraine qui m'a jusqu'ici |
| opprimé. On a voulu transfigurer le Peuple et l'État en les élargissant jusqu'à y | | opprimé. On a voulu transfigurer le Peuple et l'État en les élargissant jusqu'à y |
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Ligne 1 040 : |
| n'aboutit qu'à rendre la servitude plus lourde ; Philanthropes et Humanitaires sont des | | n'aboutit qu'à rendre la servitude plus lourde ; Philanthropes et Humanitaires sont des |
| maîtres aussi absolus que les Politiciens et les Diplomates. | | maîtres aussi absolus que les Politiciens et les Diplomates. |
| | |
| Les Critiques contemporains déclament contre la Religion parce qu'en plaçant | | Les Critiques contemporains déclament contre la Religion parce qu'en plaçant |
| Dieu, le divin, le moral, etc., en dehors de l'homme, elle en fait quelque chose d'objectif | | Dieu, le divin, le moral, etc., en dehors de l'homme, elle en fait quelque chose d'objectif |
Ligne 987 : |
Ligne 1 050 : |
| « destination », en un mot faire de lui quelque chose, c'est-à-dire en faire un véritable | | « destination », en un mot faire de lui quelque chose, c'est-à-dire en faire un véritable |
| homme ; l'une entend par là un « vrai croyant », l'autre un « vrai citoyen » ou un | | homme ; l'une entend par là un « vrai croyant », l'autre un « vrai citoyen » ou un |
| Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 198
| |
| « véritable sujet ». En somme, que vous appeliez ma vocation divine ou humaine, | | « véritable sujet ». En somme, que vous appeliez ma vocation divine ou humaine, |
| cela revient au même. | | cela revient au même. |
| | |
| Religion et Politique placent l'homme sur le terrain du devoir. Il doit devenir ceci | | Religion et Politique placent l'homme sur le terrain du devoir. Il doit devenir ceci |
| ou cela, il doit être ainsi et non autrement. Avec ce postulat, ce commandement, | | ou cela, il doit être ainsi et non autrement. Avec ce postulat, ce commandement, |
Ligne 1 006 : |
Ligne 1 069 : |
| principe qui veut que l'on fasse de nous quelque chose, que ce soit des chrétiens, des | | principe qui veut que l'on fasse de nous quelque chose, que ce soit des chrétiens, des |
| sujets ou des affranchis et des hommes. | | sujets ou des affranchis et des hommes. |
| | |
| On peut bien, avec Feuerbach et d'autres, dire que la Religion a dépouillé l'homme | | On peut bien, avec Feuerbach et d'autres, dire que la Religion a dépouillé l'homme |
| de l'humain, et qu'elle a transporté cet humain dans un au-delà si lointain qu'il y | | de l'humain, et qu'elle a transporté cet humain dans un au-delà si lointain qu'il y |
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Ligne 1 078 : |
| être religieux, c'est n'être pas pleinement satisfait de l'homme présent, c'est imaginer | | être religieux, c'est n'être pas pleinement satisfait de l'homme présent, c'est imaginer |
| une « perfection » qui doit être atteinte et se figurer l'homme comme « tendant à se | | une « perfection » qui doit être atteinte et se figurer l'homme comme « tendant à se |
| parfaire 1 ».(« C'est pourquoi vous devez devenir parfaits comme l'est votre Père | | parfaire <ref>».(« C'est pourquoi vous devez devenir parfaits comme l'est votre Père |
| céleste » Matth., v. 48.) Être religieux, c'est se fixer un Idéal, un absolu. La perfection | | céleste » Matth., v. 48.)</ref> Être religieux, c'est se fixer un Idéal, un absolu. La perfection |
| est le « suprême bien », le finis bonorum, et l'idéal de chacun est l'homme parfait, le | | est le « suprême bien », le finis bonorum, et l'idéal de chacun est l'homme parfait, le |
| véritable homme, l'homme libre, etc. | | véritable homme, l'homme libre, etc. |
| | |
| Les efforts de l'époque actuelle tendent à instaurer en guise d'idéal l'« homme | | Les efforts de l'époque actuelle tendent à instaurer en guise d'idéal l'« homme |
| libre ». Si l'on y parvenait, cet idéal nouveau aurait pour conséquence une nouvelle — | | libre ». Si l'on y parvenait, cet idéal nouveau aurait pour conséquence une nouvelle — |
| religion, de nouvelles aspirations, de nouveaux tourments, une nouvelle dévotion, une | | religion, de nouvelles aspirations, de nouveaux tourments, une nouvelle dévotion, une |
| nouvelle divinité, de nouveaux remords. | | nouvelle divinité, de nouveaux remords. |
| | |
| L'idéal de la « liberté absolue » a fait divaguer comme le fait tout absolu. D'après | | L'idéal de la « liberté absolue » a fait divaguer comme le fait tout absolu. D'après |
| Hess, par exemple, cette liberté absolue serait « réalisable dans la société humaine | | Hess, par exemple, cette liberté absolue serait « réalisable dans la société humaine |
| absolue », et un peu plus bas le même auteur appelle cette réalisation une « vocation » | | absolue », et un peu plus bas le même auteur appelle cette réalisation une « vocation » |
| et définit la liberté une « moralité » : il faut inaugurer le règne de la « Justice » (id est | | et définit la liberté une « moralité » : il faut inaugurer le règne de la « Justice » (id est: Égalité) et de la « Moralité » (id est : Liberté). |
| : Égalité) et de la « Moralité » (id est : Liberté). | | |
| Vous vous gaussez de celui qui, tandis que les membres de sa tribu, de sa famille, | | Vous vous gaussez de celui qui, tandis que les membres de sa tribu, de sa famille, |
| de sa nation, etc., peinent et méritent, se borne à se « gonfler » glorieusement des | | de sa nation, etc., peinent et méritent, se borne à se « gonfler » glorieusement des |
| hauts faits de ses compagnons. Non moins aveugle est celui qui met toute sa gloire à | | hauts faits de ses compagnons. Non moins aveugle est celui qui met toute sa gloire à |
| être « homme ». Ni lui ni le parasite glorieux de tantôt ne fondent le sentiment de leur | | être « homme ». Ni lui ni le parasite glorieux de tantôt ne fondent le sentiment de leur |
| 1 Bruno BAUER : Lit. Ztg., 22.
| |
| Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 199
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| valeur sur une exclusion, mais sur une connexion, sur le « lien » qui les unit aux | | valeur sur une exclusion, mais sur une connexion, sur le « lien » qui les unit aux |
| autres : lien du sang, lien de la nationalité ou lien de l'humanité. | | autres : lien du sang, lien de la nationalité ou lien de l'humanité. |
| | |
| Les « Nationalistes » d'aujourd'hui ont rallumé la discussion entre ceux qui | | Les « Nationalistes » d'aujourd'hui ont rallumé la discussion entre ceux qui |
| pensent n'avoir dans les veines qu'un sang purement humain et n'être liés que par des | | pensent n'avoir dans les veines qu'un sang purement humain et n'être liés que par des |
| liens purement humains et ceux qui se targuent d'un sang spécial et de liens spéciaux. | | liens purement humains et ceux qui se targuent d'un sang spécial et de liens spéciaux. |
| | |
| Si nous considérons l'orgueil comme la conscience d'une valeur (valeur qui peut | | Si nous considérons l'orgueil comme la conscience d'une valeur (valeur qui peut |
| être surfaite, mais peu importe), nous constatons une différence énorme entre l'orgueil | | être surfaite, mais peu importe), nous constatons une différence énorme entre l'orgueil |
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| moins opportuns à exhiber sa vigueur : tu ne pourras serrer la main à personne sans la | | moins opportuns à exhiber sa vigueur : tu ne pourras serrer la main à personne sans la |
| lui écraser. | | lui écraser. |
| | |
| Une fois parvenu à se convaincre que l'on est plus que le membre d'une famille, le | | Une fois parvenu à se convaincre que l'on est plus que le membre d'une famille, le |
| fils d'une race, l'individu d'un peuple, etc., on en arrive finalement à dire : On est plus | | fils d'une race, l'individu d'un peuple, etc., on en arrive finalement à dire : On est plus |
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| Mais ne vaudrait-il pas mieux dire : Si nous sommes plus que ne peuvent exprimer | | Mais ne vaudrait-il pas mieux dire : Si nous sommes plus que ne peuvent exprimer |
| tous les noms qu'on nous donne, nous voulons être plus qu'homme pour la même | | tous les noms qu'on nous donne, nous voulons être plus qu'homme pour la même |
| raison que voulez être plus que Juif et plus qu'Allemand. Les Nationalistes ont raison | | raison que voulez être plus que Juif et plus qu'Allemand. Les Nationalistes ont raison: on ne peut pas renier sa nationalité ; mais les Humanitaires aussi ont raison : on ne |
| : on ne peut pas renier sa nationalité ; mais les Humanitaires aussi ont raison : on ne | |
| doit pas se renfermer dans les bornes étroites de sa nationalité. C'est à l'individualité à | | doit pas se renfermer dans les bornes étroites de sa nationalité. C'est à l'individualité à |
| résoudre cette contradiction : la nationalité est ma propriété, mais Je ne tiens pas tout | | résoudre cette contradiction : la nationalité est ma propriété, mais Je ne tiens pas tout |
| entier dans une de mes propriétés ; l'humanité aussi est ma propriété, mais c'est Moi | | entier dans une de mes propriétés ; l'humanité aussi est ma propriété, mais c'est Moi |
| seul qui, par mon unicité, donne à l'homme son existence. | | seul qui, par mon unicité, donne à l'homme son existence. |
| | |
| L'histoire cherche l'Homme : mais l'homme, c'est toi, c'est moi, c'est nous ! Après | | L'histoire cherche l'Homme : mais l'homme, c'est toi, c'est moi, c'est nous ! Après |
| l'avoir pris pour un Être mystérieux, une divinité, et l'avoir cherché dans le Dieu | | l'avoir pris pour un Être mystérieux, une divinité, et l'avoir cherché dans le Dieu |
| d'abord, puis dans l'Homme (l'humanité, le genre humain), je l'ai enfin trouvé dans | | d'abord, puis dans l'Homme (l'humanité, le genre humain), je l'ai enfin trouvé dans |
| l'individu borné et passager, dans l'Unique. | | l'individu borné et passager, dans l'Unique. |
| | |
| Je suis possesseur de l'humanité, Je suis l'humanité, et Je ne fais rien pour le bien | | Je suis possesseur de l'humanité, Je suis l'humanité, et Je ne fais rien pour le bien |
| d'une autre humanité. Tu es fou, toi qui, étant une humanité unique, te guindes afin de | | d'une autre humanité. Tu es fou, toi qui, étant une humanité unique, te guindes afin de |
| vivre pour une autre que celle que tu es toi-même. | | vivre pour une autre que celle que tu es toi-même. |
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| Les relations du Moi avec le monde humain que nous avons examinées jusqu'ici | | Les relations du Moi avec le monde humain que nous avons examinées jusqu'ici |
| se prêtent à de tels développements et nous ouvrent de si riches perspectives qu'en | | se prêtent à de tels développements et nous ouvrent de si riches perspectives qu'en |
| d'autres circonstances on ne saurait trop s'y étendre. Mais nous ne nous proposions | | d'autres circonstances on ne saurait trop s'y étendre. Mais nous ne nous proposions |
| pour le moment que d'en indiquer les grandes lignes, et nous sommes forcés de nous | | pour le moment que d'en indiquer les grandes lignes, et nous sommes forcés de nous |
| Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 200
| |
| interrompre pour passer à l'examen de deux autres côtés de la question. Je ne suis pas | | interrompre pour passer à l'examen de deux autres côtés de la question. Je ne suis pas |
| seulement en rapport avec les hommes en tant que représentants de l'idée d' « Homme | | seulement en rapport avec les hommes en tant que représentants de l'idée d' « Homme |
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Ligne 1 151 : |
| mots de ce que les hommes appellent leur propriété : les biens tant matériels que | | mots de ce que les hommes appellent leur propriété : les biens tant matériels que |
| spirituels. | | spirituels. |
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| Tandis que la notion d'Homme se développait et qu'on en acquérait une intelligence | | Tandis que la notion d'Homme se développait et qu'on en acquérait une intelligence |
| plus claire, nous eûmes à la respecter successivement sous les diverses formes | | plus claire, nous eûmes à la respecter successivement sous les diverses formes |
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Ligne 1 158 : |
| mon respect doit s'étendre également à tout ce qui est humain, à tout ce qui appartient | | mon respect doit s'étendre également à tout ce qui est humain, à tout ce qui appartient |
| à l'Homme. | | à l'Homme. |
| | |
| Les hommes ont une propriété; devant cette propriété, Je dois m'incliner : elle est | | Les hommes ont une propriété; devant cette propriété, Je dois m'incliner : elle est |
| sacrée. Leur propriété consiste en un avoir en partie extérieur et en partie intérieur. | | sacrée. Leur propriété consiste en un avoir en partie extérieur et en partie intérieur. |
Ligne 1 104 : |
Ligne 1 173 : |
| l'attend. Ta vie est ta propriété, mais elle n'est sacrée pour les hommes que si elle n'est | | l'attend. Ta vie est ta propriété, mais elle n'est sacrée pour les hommes que si elle n'est |
| pas la vie d'un non-homme. | | pas la vie d'un non-homme. |
| | |
| Les biens matériels dont l'homme ne peut justifier la possession par son humanité, | | Les biens matériels dont l'homme ne peut justifier la possession par son humanité, |
| il n'y a aucun titre et nous pouvons les lui prendre ; d'où la concurrence sous toutes | | il n'y a aucun titre et nous pouvons les lui prendre ; d'où la concurrence sous toutes |
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| également à notre disposition ; d'où la liberté de la discussion, la liberté de la science | | également à notre disposition ; d'où la liberté de la discussion, la liberté de la science |
| et de la critique. | | et de la critique. |
| | |
| Mais les biens consacrés sont inviolables. Qui les consacre et les garantit ? À | | Mais les biens consacrés sont inviolables. Qui les consacre et les garantit ? À |
| première vue, c'est l'État, la Société ; mais, plus proprement, c'est l'Homme ou | | première vue, c'est l'État, la Société ; mais, plus proprement, c'est l'Homme ou |
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| humaine ou plutôt que son possesseur ne la détient qu'en vertu de sa qualité d'Homme | | humaine ou plutôt que son possesseur ne la détient qu'en vertu de sa qualité d'Homme |
| et non à titre de non-homme. | | et non à titre de non-homme. |
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| Dans le domaine spirituel, l'homme est légitime possesseur de sa foi, par exemple, | | Dans le domaine spirituel, l'homme est légitime possesseur de sa foi, par exemple, |
| et de son honneur, de sa conscience, de son sentiment du convenable et du honteux, | | et de son honneur, de sa conscience, de son sentiment du convenable et du honteux, |
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| ceux qui portent atteinte au fondement de la religion, à la foi politique, bref toute | | ceux qui portent atteinte au fondement de la religion, à la foi politique, bref toute |
| lésion de ce à quoi l'Homme « a droit ». | | lésion de ce à quoi l'Homme « a droit ». |
| Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 201
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| Le Libéralisme critique ne s'est pas encore prononcé sur la question de savoir | | Le Libéralisme critique ne s'est pas encore prononcé sur la question de savoir |
| jusqu'à quel point il pourrait admettre que les biens sont sacrés ; il pense bien être | | jusqu'à quel point il pourrait admettre que les biens sont sacrés ; il pense bien être |
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| l'homme. Sa répulsion théorique pour la « masse » devrait, s'il arrivait au pouvoir, se | | l'homme. Sa répulsion théorique pour la « masse » devrait, s'il arrivait au pouvoir, se |
| traduire par des mesures de répulsion pratique. | | traduire par des mesures de répulsion pratique. |
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| Les représentants des différentes nuances du Libéralisme sont en désaccord sur | | Les représentants des différentes nuances du Libéralisme sont en désaccord sur |
| l'extension à donner à l'idée d' « Homme » et sur ce qu'en doit retirer l'homme individuel, | | l'extension à donner à l'idée d' « Homme » et sur ce qu'en doit retirer l'homme individuel, |
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| en est le développement. » Découvrez l'Homme, et vous connaîtrez par le fait | | en est le développement. » Découvrez l'Homme, et vous connaîtrez par le fait |
| même ce qui est propre à l'Homme, la propriété de l'Homme ou l'humain. | | même ce qui est propre à l'Homme, la propriété de l'Homme ou l'humain. |
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| Mais que l'homme individuel prétende à tous les droits du monde, qu'il invoque à | | Mais que l'homme individuel prétende à tous les droits du monde, qu'il invoque à |
| leur appui l'autorité de l’« Homme » et son titre d'homme, que m'importent, à Moi, | | leur appui l'autorité de l’« Homme » et son titre d'homme, que m'importent, à Moi, |
| son droit et ses prétentions ? Ses droits, il ne les tient que de l'Homme, et non de Moi | | son droit et ses prétentions ? Ses droits, il ne les tient que de l'Homme, et non de Moi: aussi n'a-t-il à mes yeux aucun droit. Sa vie, par exemple, ne m'importe que pour |
| : aussi n'a-t-il à mes yeux aucun droit. Sa vie, par exemple, ne m'importe que pour | |
| autant qu'elle a une valeur pour Moi. Je ne respecte pas plus son prétendu droit de | | autant qu'elle a une valeur pour Moi. Je ne respecte pas plus son prétendu droit de |
| propriété, ou droit sur les biens matériels, que je ne respecte son droit sur le | | propriété, ou droit sur les biens matériels, que je ne respecte son droit sur le |
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| ses dieux. Ses biens, tant matériels que spirituels, sont à Moi, et je les traite en | | ses dieux. Ses biens, tant matériels que spirituels, sont à Moi, et je les traite en |
| propriétaire selon — mes forces. | | propriétaire selon — mes forces. |
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| La « question de la propriété », dans les termes où on la pose, n'en est pas une ; | | La « question de la propriété », dans les termes où on la pose, n'en est pas une ; |
| ne visant que ce qu'on nomme notre avoir, elle est trop étroite et n'est susceptible | | ne visant que ce qu'on nomme notre avoir, elle est trop étroite et n'est susceptible |
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| dépend du propriétaire, et, par l'intermédiaire de ce dernier, la question de la propriété | | dépend du propriétaire, et, par l'intermédiaire de ce dernier, la question de la propriété |
| se rattache à un problème d'une porte beaucoup plus grande. | | se rattache à un problème d'une porte beaucoup plus grande. |
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| La Révolution dirigea ses attaques contre tout ce qui vient de la « grâce de Dieu » | | La Révolution dirigea ses attaques contre tout ce qui vient de la « grâce de Dieu » |
| et, entre autres, contre le droit divin que l'on remplaça par le droit humain. À ce que la | | et, entre autres, contre le droit divin que l'on remplaça par le droit humain. À ce que la |
| « faveur divine » nous dispense, on opposa ce qui découle de l' « essence de | | « faveur divine » nous dispense, on opposa ce qui découle de l' « essence de |
| l'homme ». | | l'homme ». |
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| Les relations entre les hommes, ayant cessé d'être fondées sur le dogme religieux | | Les relations entre les hommes, ayant cessé d'être fondées sur le dogme religieux |
| qui commande « aimez-vous les uns les autres pour l'amour de Dieu », durent être | | qui commande « aimez-vous les uns les autres pour l'amour de Dieu », durent être |
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| le monde, jusqu'alors organisé selon l'ordre de Dieu, appartiendrait dorénavant à | | le monde, jusqu'alors organisé selon l'ordre de Dieu, appartiendrait dorénavant à |
| l’ « Homme ». | | l’ « Homme ». |
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| Le monde appartient à l'« Homme » et doit être par moi respecté comme sa | | Le monde appartient à l'« Homme » et doit être par moi respecté comme sa |
| propriété. | | propriété. |
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| Propriété = Mien ! | | Propriété = Mien ! |
| Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 202
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| Propriété, au sens bourgeois du mot, signifie propriété sacrée, de sorte que je dois | | Propriété, au sens bourgeois du mot, signifie propriété sacrée, de sorte que je dois |
| respecter ta propriété. | | respecter ta propriété. |
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| « Respect à la propriété ! » Aussi les Politiques verraient-ils volontiers chacun | | « Respect à la propriété ! » Aussi les Politiques verraient-ils volontiers chacun |
| posséder sa parcelle de propriété, et cette tendance a abouti dans certaines régions à | | posséder sa parcelle de propriété, et cette tendance a abouti dans certaines régions à |
| un morcellement incroyable. Chacun doit avoir son os où il trouve quelque chose à | | un morcellement incroyable. Chacun doit avoir son os où il trouve quelque chose à |
| ronger. | | ronger. |
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| L'égoïste voit la question sous un tout autre jour. Je ne recule pas avec un religieux | | L'égoïste voit la question sous un tout autre jour. Je ne recule pas avec un religieux |
| effroi devant ta ou votre propriété ; je la considère toujours comme ma propriété, | | effroi devant ta ou votre propriété ; je la considère toujours comme ma propriété, |
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| propriété ! C'est en nous plaçant tous à ce point de vue qu'il nous sera le plus facile de | | propriété ! C'est en nous plaçant tous à ce point de vue qu'il nous sera le plus facile de |
| nous entendre. | | nous entendre. |
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| Les Libéraux politiques ont à coeur d'abolir autant que possible toutes les | | Les Libéraux politiques ont à coeur d'abolir autant que possible toutes les |
| servitudes, afin que chacun soit franc maître de son champ, ce champ n'eût-il que tout | | servitudes, afin que chacun soit franc maître de son champ, ce champ n'eût-il que tout |
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| et une propriété respectée ! Plus il y aura de propriétaires, plus l'État sera riche en | | et une propriété respectée ! Plus il y aura de propriétaires, plus l'État sera riche en |
| « hommes libres » et en « bons patriotes ». | | « hommes libres » et en « bons patriotes ». |
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| Le Libéralisme politique, comme toute religiosité, compte sur le respect, l'humanité, | | Le Libéralisme politique, comme toute religiosité, compte sur le respect, l'humanité, |
| la charité ; aussi est-il perpétuellement déçu. Car dans la pratique de la vie les | | la charité ; aussi est-il perpétuellement déçu. Car dans la pratique de la vie les |
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| la grande propriété, elle aussi, est à eux, ils ne s'en seraient pas d'eux-mêmes respectueusement | | la grande propriété, elle aussi, est à eux, ils ne s'en seraient pas d'eux-mêmes respectueusement |
| écartés et on ne les expulserait pas. | | écartés et on ne les expulserait pas. |
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| La propriété telle due la comprennent les Libéraux bourgeois mérite les invectives | | La propriété telle due la comprennent les Libéraux bourgeois mérite les invectives |
| des Communistes et de Proudhon : elle est insoutenable et inexistante, attendu que le | | des Communistes et de Proudhon : elle est insoutenable et inexistante, attendu que le |
| citoyen propriétaire ne possède en réalité rien et est partout un banni. Loin que le | | citoyen propriétaire ne possède en réalité rien et est partout un banni. Loin que le |
| monde puisse lui appartenir, le misérable coin où il vivote n'est même pas à lui. | | monde puisse lui appartenir, le misérable coin où il vivote n'est même pas à lui. |
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| Proudhon ne veut pas entendre parler de propriétaires, mais bien de possesseurs | | Proudhon ne veut pas entendre parler de propriétaires, mais bien de possesseurs |
| ou d'usufruitiers 1. Qu'est-ce à dire ? Il veut que nul ne puisse s'approprier le sol, mais | | ou d'usufruitiers <ref>Voir, par exemple, Qu'est-ce que la propriété ?, p. 83</ref>. Qu'est-ce à dire ? Il veut que nul ne puisse s'approprier le sol, mais |
| en ait l'usage ; — mais ne lui accordât-on même que la centime partie du produit qu'il | | en ait l'usage ; — mais ne lui accordât-on même que la centime partie du produit qu'il |
| en tire, du fruit, cette fraction du moins serait sa propriété et il pourrait en user à sa | | en tire, du fruit, cette fraction du moins serait sa propriété et il pourrait en user à sa |
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| non la propriété. Si nous voulons nous approprier le sol, au lieu d'en laisser l'aubaine | | non la propriété. Si nous voulons nous approprier le sol, au lieu d'en laisser l'aubaine |
| aux propriétaires fonciers, unissons-nous, associons-nous dans ce but, et formons une | | aux propriétaires fonciers, unissons-nous, associons-nous dans ce but, et formons une |
| 1 Voir, par exemple, Qu'est-ce que la propriété ?, p. 83
| | société <ref>En français dans le texte. (Note du Traducteur.)</ref> qui s'en rendra propriétaire. Si nous réussissons, ceux qui sont aujourd'hui |
| Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 203
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| société * qui s'en rendra propriétaire. Si nous réussissons, ceux qui sont aujourd'hui
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| propriétaires cesseront de l'être. Et de même que nous les aurons dépossédés de la | | propriétaires cesseront de l'être. Et de même que nous les aurons dépossédés de la |
| terre et du sol, nous pourrons encore les expulser de mainte autre propriété, pour en | | terre et du sol, nous pourrons encore les expulser de mainte autre propriété, pour en |
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| fantôme) et n'a de réalité que dans les individus. Et ces individus pris en masse n'en | | fantôme) et n'a de réalité que dans les individus. Et ces individus pris en masse n'en |
| useront pas moins arbitrairement avec la terre et le sol que ne le faisait l'individu | | useront pas moins arbitrairement avec la terre et le sol que ne le faisait l'individu |
| isolé, ledit « propriétaire ** ». | | isolé, ledit « propriétaire <ref> Ibid.</ref>». |
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| Ainsi donc. la propriété ne cesse pas de subsister et ne cesse même pas d'être | | Ainsi donc. la propriété ne cesse pas de subsister et ne cesse même pas d'être |
| « exclusive » du fait que l'humanité, cette vaste société, exproprie l'individu auquel | | « exclusive » du fait que l'humanité, cette vaste société, exproprie l'individu auquel |
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| nous a manqué jusqu'à présent n'est passé aux mains des propriétaires actuels que par | | nous a manqué jusqu'à présent n'est passé aux mains des propriétaires actuels que par |
| la prise. Associons-nous pour commettre ce vol. » | | la prise. Associons-nous pour commettre ce vol. » |
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| Il tâche de nous faire accepter l'idée que la Société est le possesseur primitif et | | Il tâche de nous faire accepter l'idée que la Société est le possesseur primitif et |
| l'unique propriétaire de droits imprescriptibles ; c'est envers elle que celui qu'on | | l'unique propriétaire de droits imprescriptibles ; c'est envers elle que celui qu'on |
| nomme propriétaire est coupable de vol (« La propriété, c'est le vol * »); si elle retire | | nomme propriétaire est coupable de vol (« La propriété, c'est le vol <ref>En français dans le texte. (Note du Traducteur.) </ref>»); si elle retire |
| au propriétaire actuel ce qu'il détient comme lui appartenant, elle ne le vole pas, elle | | au propriétaire actuel ce qu'il détient comme lui appartenant, elle ne le vole pas, elle |
| ne fait que rentrer en possession de son bien et user de son droit. — Voilà où on en | | ne fait que rentrer en possession de son bien et user de son droit. — Voilà où on en |
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| que vous rendez sacré, de sorte que « Tous » devient le redoutable maître de | | que vous rendez sacré, de sorte que « Tous » devient le redoutable maître de |
| l'individu. Et c'est à son côté que se dresse alors le spectre du « Droit ». | | l'individu. Et c'est à son côté que se dresse alors le spectre du « Droit ». |
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| Proudhon et les Communistes combattent l'égoïsme. Aussi leurs doctrines sontelles | | Proudhon et les Communistes combattent l'égoïsme. Aussi leurs doctrines sontelles |
| la continuation et la conséquence du principe chrétien, du principe d'amour, de | | la continuation et la conséquence du principe chrétien, du principe d'amour, de |
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| car lui seul peut user et disposer de « tout », il a sur tout potestas et | | car lui seul peut user et disposer de « tout », il a sur tout potestas et |
| imperium. Les Communistes ont rendu la chose plus claire en dotant de cet imperium | | imperium. Les Communistes ont rendu la chose plus claire en dotant de cet imperium |
| * En français dans le texte. (Note du Traducteur.)
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| ** Ibid.
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| * En français dans le texte. (Note du Traducteur.)
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| Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 204
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| la « Société de tous ». Donc : étant des ennemis de l'égoïsme, ils sont des — Chrétiens, | | la « Société de tous ». Donc : étant des ennemis de l'égoïsme, ils sont des — Chrétiens, |
| ou, d'une façon plus générale, des hommes religieux, des visionnaires, subordonnés | | ou, d'une façon plus générale, des hommes religieux, des visionnaires, subordonnés |
| et asservis à une généralité, à une abstraction quelconque (Dieu, la Société, | | et asservis à une généralité, à une abstraction quelconque (Dieu, la Société, |
| etc.). | | etc.). |
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| Proudhon se rapproche encore des Chrétiens en ce qu'il accorde à Dieu ce qu'il | | Proudhon se rapproche encore des Chrétiens en ce qu'il accorde à Dieu ce qu'il |
| dénie aux hommes : il le nomme (loc. cit., p. 90) le propriétaire de la terre. Il montre | | dénie aux hommes : il le nomme (loc. cit., p. 90) le propriétaire de la terre. Il montre |
| ainsi qu'il ne peut se délivrer de l'idée qu'il doit exister quelque part un propriétaire ; | | ainsi qu'il ne peut se délivrer de l'idée qu'il doit exister quelque part un propriétaire ; |
| il conclut en définitive à un propriétaire, qu'il place seulement dans l'au-delà. | | il conclut en définitive à un propriétaire, qu'il place seulement dans l'au-delà. |
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| Le propriétaire, ce n'est ni Dieu ni l'Homme (la « Société humaine »), c'est — | | Le propriétaire, ce n'est ni Dieu ni l'Homme (la « Société humaine »), c'est — |
| l'Individu. | | l'Individu. |
| *
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| **
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| Proudhon (comme Weitling) croit faire la pire injure à la propriété en la qualifiant | | Proudhon (comme Weitling) croit faire la pire injure à la propriété en la qualifiant |
| de « vol ». Sans vouloir soulever cette question embarrassante : « Y a-t-il une objection | | de « vol ». Sans vouloir soulever cette question embarrassante : « Y a-t-il une objection |
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| conclusion que Proudhon : si quelque chose appartient à « tous », l'individu qui se | | conclusion que Proudhon : si quelque chose appartient à « tous », l'individu qui se |
| l'approprie est un voleur. | | l'approprie est un voleur. |
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| La propriété privée ne vit que grâce au Droit. Le Droit est sa seule garantie ; — | | La propriété privée ne vit que grâce au Droit. Le Droit est sa seule garantie ; — |
| car posséder un objet n'est pas encore en être propriétaire, ce que je possède ne | | car posséder un objet n'est pas encore en être propriétaire, ce que je possède ne |
| devient « ma propriété » que par la sanction du Droit ; — elle n'est pas « un fait * », | | devient « ma propriété » que par la sanction du Droit ; — elle n'est pas « un fait <ref>En français dans le texte. (Note du Traducteur.) </ref>», |
| comme le pense Proudhon, mais une fiction, une idée ; une idée, voilà ce qu'est la | | comme le pense Proudhon, mais une fiction, une idée ; une idée, voilà ce qu'est la |
| propriété qu'engendre le Droit, la propriété légitime, garantie. Ce n'est pas Moi qui | | propriété qu'engendre le Droit, la propriété légitime, garantie. Ce n'est pas Moi qui |
| fais que ce que je possède est ma propriété, c'est — le Droit. | | fais que ce que je possède est ma propriété, c'est — le Droit. |
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| Néanmoins, on désigne sous le nom de propriété le pouvoir illimité que j'ai sur les | | Néanmoins, on désigne sous le nom de propriété le pouvoir illimité que j'ai sur les |
| choses (objet, animal ou homme) dont je puis « user et abuser à mon gré »; le Droit | | choses (objet, animal ou homme) dont je puis « user et abuser à mon gré »; le Droit |
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| seule : si je la perds, l'objet m'échappe. Du jour où les Romains n'eurent plus la force | | seule : si je la perds, l'objet m'échappe. Du jour où les Romains n'eurent plus la force |
| de s'opposer aux Germains, Rome et les dépouilles du monde que dix siècles de toute- | | de s'opposer aux Germains, Rome et les dépouilles du monde que dix siècles de toute- |
| * En français dans le texte. (Note du Traducteur.)
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| Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 205
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| puissance avaient entassées dans ses murs appartinrent aux vainqueurs, et il serait | | puissance avaient entassées dans ses murs appartinrent aux vainqueurs, et il serait |
| ridicule de prétendre que les Romains en demeuraient néanmoins légitimes propriétaires. | | ridicule de prétendre que les Romains en demeuraient néanmoins légitimes propriétaires. |
| Toute chose est la propriété de qui sait la prendre et la garder, et reste à lui tant | | Toute chose est la propriété de qui sait la prendre et la garder, et reste à lui tant |
| qu'elle ne lui est pas reprise ; c'est ainsi que la liberté appartient à celui qui la prend. | | qu'elle ne lui est pas reprise ; c'est ainsi que la liberté appartient à celui qui la prend. |
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| La force seule décide de la propriété ; l'État (que ce soit l'État des bourgeois, des | | La force seule décide de la propriété ; l'État (que ce soit l'État des bourgeois, des |
| gueux ou tout uniment des hommes) étant seul fort, est aussi seul propriétaire ; Moi, | | gueux ou tout uniment des hommes) étant seul fort, est aussi seul propriétaire ; Moi, |
| l'Unique, je n'ai rien, je ne suis qu'un métayer sur les terres de l'État, je suis un vassal, | | l'Unique, je n'ai rien, je ne suis qu'un métayer sur les terres de l'État, je suis un vassal, |
| et par suite un serviteur. Sous la domination de l'État, aucune propriété n'est à Moi. | | et par suite un serviteur. Sous la domination de l'État, aucune propriété n'est à Moi. |
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| Je veux accroître ma valeur, je veux lever le prix de toutes les propriétés dont est | | Je veux accroître ma valeur, je veux lever le prix de toutes les propriétés dont est |
| faite mon individualité, et je déprécierais la propriété ? Jamais ! De même que je n'ai | | faite mon individualité, et je déprécierais la propriété ? Jamais ! De même que je n'ai |
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| à la patrie » : j'appartenais, et par suite tout ce que je nommais mien appartenait | | à la patrie » : j'appartenais, et par suite tout ce que je nommais mien appartenait |
| à la patrie, au Peuple, à l'État. | | à la patrie, au Peuple, à l'État. |
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| On demande aux États de mettre fin au paupérisme. Autant vaudrait leur demander | | On demande aux États de mettre fin au paupérisme. Autant vaudrait leur demander |
| de se couper la tête et de la poser à leurs pieds, car tant que l'État est un moi, le | | de se couper la tête et de la poser à leurs pieds, car tant que l'État est un moi, le |
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| l'État, comme un « membre loyal de la Société » qu'il est ; sinon, la propriété est | | l'État, comme un « membre loyal de la Société » qu'il est ; sinon, la propriété est |
| confisquée ou fond en procès ruineux. | | confisquée ou fond en procès ruineux. |
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| La propriété est et reste donc la propriété de l'État, sans jamais être la propriété | | La propriété est et reste donc la propriété de l'État, sans jamais être la propriété |
| du Moi. Dire que l'État ne retire pas arbitrairement à l'individu ce que l'individu tient | | du Moi. Dire que l'État ne retire pas arbitrairement à l'individu ce que l'individu tient |
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Ligne 1 423 : |
| mien « de par Dieu ou de par le Droit ». Mais Dieu et le Droit ne le font mien que si | | mien « de par Dieu ou de par le Droit ». Mais Dieu et le Droit ne le font mien que si |
| — l'État ne s'y oppose pas. | | — l'État ne s'y oppose pas. |
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| En cas d'expropriation, de réquisition d'armes, etc., ou encore, par exemple, lorsque | | En cas d'expropriation, de réquisition d'armes, etc., ou encore, par exemple, lorsque |
| le fisc recueille une succession dont les ayants droit ne se sont pas présentés dans | | le fisc recueille une succession dont les ayants droit ne se sont pas présentés dans |
| les délais légaux, le principe, habituellement voilé, saute aux yeux de tous : le Peuple, | | les délais légaux, le principe, habituellement voilé, saute aux yeux de tous : le Peuple, |
| « l'État », est seul propriétaire ; l'individu n'est que fermier, tenancier, vassal. | | « l'État », est seul propriétaire ; l'individu n'est que fermier, tenancier, vassal. |
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| Je voulais dire ceci : l'État ne peut se proposer de faire qu'un individu soit propriétaire | | Je voulais dire ceci : l'État ne peut se proposer de faire qu'un individu soit propriétaire |
| dans son propre intérêt à lui, individu ; il ne peut vouloir que Je sois riche ou | | dans son propre intérêt à lui, individu ; il ne peut vouloir que Je sois riche ou |
| même que Je possède seulement quelque aisance ; pour autant que je suis Moi, l'État | | même que Je possède seulement quelque aisance ; pour autant que je suis Moi, l'État |
| Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 206
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| ne peut rien me reconnaître, rien me permettre, rien m'accorder. L'État ne peut obvier | | ne peut rien me reconnaître, rien me permettre, rien m'accorder. L'État ne peut obvier |
| au paupérisme, parce que l'indigence est mon indigence. Celui qui n'est que ce que | | au paupérisme, parce que l'indigence est mon indigence. Celui qui n'est que ce que |
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| qu'il mérite, c'est-à-dire le salaire de ses services. Ce n'est pas lui qui se fait valoir et | | qu'il mérite, c'est-à-dire le salaire de ses services. Ce n'est pas lui qui se fait valoir et |
| qui tire de soi-même le meilleur parti possible, c'est l'État. | | qui tire de soi-même le meilleur parti possible, c'est l'État. |
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| Ce sujet est de ceux que l'économie dite politique traite avec prédilection ; il n'est | | Ce sujet est de ceux que l'économie dite politique traite avec prédilection ; il n'est |
| cependant pas du domaine de la « politique » et dépasse de cent coudées l'horizon de | | cependant pas du domaine de la « politique » et dépasse de cent coudées l'horizon de |
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| que je puis être propriétaire, m'unir à la femme que j'aime et me livrer librement | | que je puis être propriétaire, m'unir à la femme que j'aime et me livrer librement |
| à un « commerce ». | | à un « commerce ». |
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| L'État ne s'inquiète ni de Moi ni du mien, il ne se préoccupe que de soi et du sien ; | | L'État ne s'inquiète ni de Moi ni du mien, il ne se préoccupe que de soi et du sien ; |
| si j'ai une valeur à ses yeux, ce n'est que comme « son enfant », « enfant du pays », | | si j'ai une valeur à ses yeux, ce n'est que comme « son enfant », « enfant du pays », |
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| termes, son intelligence est trop courte pour me saisir. C'est ce qui explique d'ailleurs | | termes, son intelligence est trop courte pour me saisir. C'est ce qui explique d'ailleurs |
| qu'il ne puisse rien faire pour moi. | | qu'il ne puisse rien faire pour moi. |
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| Le paupérisme est un corollaire de la non-valeur du Moi, de mon impuissance à | | Le paupérisme est un corollaire de la non-valeur du Moi, de mon impuissance à |
| me faire valoir. Aussi État et paupérisme sont-ils deux phénomènes inséparables. | | me faire valoir. Aussi État et paupérisme sont-ils deux phénomènes inséparables. |
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| m'exploiter, à me dépouiller, à me faire servir à quelque chose, ne fût-ce qu'à soigner | | m'exploiter, à me dépouiller, à me faire servir à quelque chose, ne fût-ce qu'à soigner |
| une proles (prolétariat); il veut que je sois « sa créature ». | | une proles (prolétariat); il veut que je sois « sa créature ». |
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| Le paupérisme ne pourra être enrayé que du jour où ma valeur ne dépendra plus | | Le paupérisme ne pourra être enrayé que du jour où ma valeur ne dépendra plus |
| que de moi, où je la fixerai moi-même et ferai moi-même mon prix. Si je veux me | | que de moi, où je la fixerai moi-même et ferai moi-même mon prix. Si je veux me |
| voir en hausse, c'est à moi à me hausser et à me soulever. | | voir en hausse, c'est à moi à me hausser et à me soulever. |
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| Quoi que je fasse, que je fabrique de la farine ou du coton, ou que j'extraie à | | Quoi que je fasse, que je fabrique de la farine ou du coton, ou que j'extraie à |
| grand-peine du sol le fer et le charbon, c'est là mon travail et je veux en tirer moimême | | grand-peine du sol le fer et le charbon, c'est là mon travail et je veux en tirer moimême |
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| ce conflit se dénouait par un accord entre les deux parties, l'État n'y trouverait rien à | | ce conflit se dénouait par un accord entre les deux parties, l'État n'y trouverait rien à |
| redire, car peu lui importe comment les particuliers s'arrangent entre eux, du moment | | redire, car peu lui importe comment les particuliers s'arrangent entre eux, du moment |
| Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 207
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| que leur entente ne lui cause aucun préjudice. Il ne se juge lésé et mis en péril que si, | | que leur entente ne lui cause aucun préjudice. Il ne se juge lésé et mis en péril que si, |
| ne parvenant pas à trouver un terrain d'entente, les antagonistes se prennent aux | | ne parvenant pas à trouver un terrain d'entente, les antagonistes se prennent aux |
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| les Saints, un « entremetteur ». Il sépare les hommes et s'interpose entre eux comme | | les Saints, un « entremetteur ». Il sépare les hommes et s'interpose entre eux comme |
| « Esprit ». | | « Esprit ». |
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| Les ouvriers qui réclament une augmentation de salaire sont traités en criminels | | Les ouvriers qui réclament une augmentation de salaire sont traités en criminels |
| dès qu'ils tentent de l'arracher de force au patron. Que doivent-ils faire ? S'ils n'usent | | dès qu'ils tentent de l'arracher de force au patron. Que doivent-ils faire ? S'ils n'usent |
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| que l'État ne peut tolérer. Que faire donc, diront les travailleurs ? Que faire ? Vous | | que l'État ne peut tolérer. Que faire donc, diront les travailleurs ? Que faire ? Vous |
| compter, ne compter que sur vous-mêmes et ne pas vous occuper de l'État ! | | compter, ne compter que sur vous-mêmes et ne pas vous occuper de l'État ! |
| | |
| Voilà pour le travail de mes bras ; il en va de même du travail de mon cerveau. | | Voilà pour le travail de mes bras ; il en va de même du travail de mon cerveau. |
| L'État me permet de tirer profit de toutes mes pensées et d'en faire l'objet d'un commerce | | L'État me permet de tirer profit de toutes mes pensées et d'en faire l'objet d'un commerce |
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| fief relevant de l'État. Mes chemins doivent être ses chemins, sinon il me met à | | fief relevant de l'État. Mes chemins doivent être ses chemins, sinon il me met à |
| l'amende, et mes pensées ses pensées, sinon il me bâillonne. | | l'amende, et mes pensées ses pensées, sinon il me bâillonne. |
| | |
| Rien n'est plus redoutable pour l'État que la valeur du Moi ; il n'est rien dont il | | Rien n'est plus redoutable pour l'État que la valeur du Moi ; il n'est rien dont il |
| doive plus soigneusement me tenir à l'écart que de toute occasion de m'exploiter moimême. | | doive plus soigneusement me tenir à l'écart que de toute occasion de m'exploiter moimême. |
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| propriété de l'individu : il n'y a que des propriétés de l'État. Ce que j'ai, je ne l'ai que | | propriété de l'individu : il n'y a que des propriétés de l'État. Ce que j'ai, je ne l'ai que |
| par l'État ; ce que je suis, je ne le suis que par lui. | | par l'État ; ce que je suis, je ne le suis que par lui. |
| | |
| Ma propriété privée n'est que ce que l'État me concède du sien, en en frustrant | | Ma propriété privée n'est que ce que l'État me concède du sien, en en frustrant |
| (privant) d'autres de ses membres : c'est toujours une propriété de l'État. | | (privant) d'autres de ses membres : c'est toujours une propriété de l'État. |
| | |
| Mais quoi que fasse l'État, je sens toujours plus clairement qu'il me reste une puissance | | Mais quoi que fasse l'État, je sens toujours plus clairement qu'il me reste une puissance |
| considérable ; j'ai un pouvoir sur moi-même, c'est-à-dire sur tout ce qui n'est et | | considérable ; j'ai un pouvoir sur moi-même, c'est-à-dire sur tout ce qui n'est et |
| ne peut être qu'à moi et qui n'existe que parce que c'est mien. | | ne peut être qu'à moi et qui n'existe que parce que c'est mien. |
| | |
| Que faire, quand mon chemin n'est plus le sien, quand mes pensées ne sont plus | | Que faire, quand mon chemin n'est plus le sien, quand mes pensées ne sont plus |
| les siennes ? Passer outre, et ne compter qu'avec moi-même et sur moi-même. Ma | | les siennes ? Passer outre, et ne compter qu'avec moi-même et sur moi-même. Ma |
| propriété réelle, celle dont je puis disposer à mon gré, dont je puis trafiquer à ma | | propriété réelle, celle dont je puis disposer à mon gré, dont je puis trafiquer à ma |
| guise, ce sont mes pensées, qui n'ont que faire d'une sanction et qu'il m'importe peu | | guise, ce sont mes pensées, qui n'ont que faire d'une sanction et qu'il m'importe peu |
| Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 208
| |
| de voir légitimer par une destination, une autorisation ou une grâce. Étant miennes, | | de voir légitimer par une destination, une autorisation ou une grâce. Étant miennes, |
| elles sont mes créatures, et je puis les abandonner pour d'autres ; si je les cède en | | elles sont mes créatures, et je puis les abandonner pour d'autres ; si je les cède en |
| change d'autres, ces autres deviennent à leur tour ma propriété. | | change d'autres, ces autres deviennent à leur tour ma propriété. |
| | |
| Qu'est-ce donc que ma propriété ? Ce qui est en ma puissance, et rien d'autre. À | | Qu'est-ce donc que ma propriété ? Ce qui est en ma puissance, et rien d'autre. À |
| quoi suis-je légitimement autorisé ? À tout ce dont je suis capable. Je me donne le | | quoi suis-je légitimement autorisé ? À tout ce dont je suis capable. Je me donne le |
| droit de propriété sur un objet, par le seul fait que je m'en empare, ou, en d'autres | | droit de propriété sur un objet, par le seul fait que je m'en empare, ou, en d'autres |
| termes, je deviens propriétaire de droit chaque fois que je me fais de force propriétaire | | termes, je deviens propriétaire de droit chaque fois que je me fais de force propriétaire; en me donnant le pouvoir, je me donne le titre. |
| ; en me donnant le pouvoir, je me donne le titre. | | |
| Tant que vous. ne pouvez m'arracher mon pouvoir sur une chose, cette chose | | Tant que vous. ne pouvez m'arracher mon pouvoir sur une chose, cette chose |
| demeure ma propriété. Eh bien, soit ! Que la force décide de la propriété, et j'attendrai | | demeure ma propriété. Eh bien, soit ! Que la force décide de la propriété, et j'attendrai |
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| je ne verrai à ma propriété d'autre limite réelle que ma — force, unique source de | | je ne verrai à ma propriété d'autre limite réelle que ma — force, unique source de |
| mon droit. | | mon droit. |
| | |
| Ici, c'est à l'égoïsme, à l'intérêt personnel de décider, et non pas au principe | | Ici, c'est à l'égoïsme, à l'intérêt personnel de décider, et non pas au principe |
| d'amour, aux raisons de sentiment telles que charité, indulgence, bienveillance ou même | | d'amour, aux raisons de sentiment telles que charité, indulgence, bienveillance ou même |
| équité et justice (car la justitia aussi est un phénomène d'amour, un produit de | | équité et justice (car la justitia aussi est un phénomène d'amour, un produit de |
| l'amour) : l'amour ne connaît que le « sacrifice » et exige le « dévouement ». Sacrifier | | l'amour) : l'amour ne connaît que le « sacrifice » et exige le « dévouement ». Sacrifier |
| quelque chose ? Se priver de quelque chose ? L'égoïste n'y songe pas ; il dit simplement | | quelque chose ? Se priver de quelque chose ? L'égoïste n'y songe pas ; il dit simplement: Ce dont j'ai besoin, il me le faut, et je l'aurai ! |
| : Ce dont j'ai besoin, il me le faut, et je l'aurai ! | | |
| Toutes les tentatives faites pour soumettre la propriété à des lois rationnelles ont | | Toutes les tentatives faites pour soumettre la propriété à des lois rationnelles ont |
| leur source dans l'amour et aboutissent à un orageux océan de réglementations et de | | leur source dans l'amour et aboutissent à un orageux océan de réglementations et de |
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| dont je suis victime de la part des individus propriétaires, mais le pouvoir | | dont je suis victime de la part des individus propriétaires, mais le pouvoir |
| qu'il donne à la communauté est plus tyrannique encore. | | qu'il donne à la communauté est plus tyrannique encore. |
| | |
| C'est par une autre voie que l'égoïsme marche vers la suppression de la misère de | | C'est par une autre voie que l'égoïsme marche vers la suppression de la misère de |
| la plèbe. Il ne dit pas : Attends ce que l'autorité quelconque chargée de partager les | | la plèbe. Il ne dit pas : Attends ce que l'autorité quelconque chargée de partager les |
| Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 209
| |
| biens au nom de la communauté te donnera dans son équité (car c'est d'un don qu'il | | biens au nom de la communauté te donnera dans son équité (car c'est d'un don qu'il |
| s'agit depuis toujours dans les « États », chacun y recevant selon ses mérites, c'est-àdire | | s'agit depuis toujours dans les « États », chacun y recevant selon ses mérites, c'est-àdire |
| ses services); il dit : Mets la main sur ce dont tu as besoin, prends-le. C'est la | | ses services); il dit : Mets la main sur ce dont tu as besoin, prends-le. C'est la |
| déclaration de guerre de tous contre tous. Moi seul suis juge de ce que je veux avoir. | | déclaration de guerre de tous contre tous. Moi seul suis juge de ce que je veux avoir. |
| | |
| « En vérité, cette sagesse-là n'est pas nouvelle, car c'est ainsi qu'en ont de tout | | « En vérité, cette sagesse-là n'est pas nouvelle, car c'est ainsi qu'en ont de tout |
| temps usé les égoïstes. » Peu importe que la chose ne soit pas neuve, si ce n'est que | | temps usé les égoïstes. » Peu importe que la chose ne soit pas neuve, si ce n'est que |
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| mettre la main sur un objet, de s'en emparer, n'est nullement méprisable ; il est | | mettre la main sur un objet, de s'en emparer, n'est nullement méprisable ; il est |
| purement le fait de l'égoïste conscient et conséquent avec lui-même. | | purement le fait de l'égoïste conscient et conséquent avec lui-même. |
| | |
| Ce n'est que quand je n'attendrai plus ni des individus ni de la communauté ce que | | Ce n'est que quand je n'attendrai plus ni des individus ni de la communauté ce que |
| je puis me donner moi-même que j'échapperai aux chaînes de — l'Amour ; la plèbe ne | | je puis me donner moi-même que j'échapperai aux chaînes de — l'Amour ; la plèbe ne |
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| veulent qu'il soit respecté. On n'a pas conscience de cette « sagesse nouvelle », et c'est | | veulent qu'il soit respecté. On n'a pas conscience de cette « sagesse nouvelle », et c'est |
| la vieille conscience du péché qui en est cause. | | la vieille conscience du péché qui en est cause. |
| | |
| Si les hommes parviennent à perdre le respect de la propriété, chacun aura une | | Si les hommes parviennent à perdre le respect de la propriété, chacun aura une |
| propriété, de même que tous les esclaves deviennent hommes libres dès qu'ils cessent | | propriété, de même que tous les esclaves deviennent hommes libres dès qu'ils cessent |
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| individus, des associations égoïstes, qui auront pour effet de multiplier les moyens | | individus, des associations égoïstes, qui auront pour effet de multiplier les moyens |
| d'action de chacun et d'affermir sa propriété sans cesse menacée. | | d'action de chacun et d'affermir sa propriété sans cesse menacée. |
| | |
| Selon les Communistes, la communauté doit être propriétaire. C'est au contraire | | Selon les Communistes, la communauté doit être propriétaire. C'est au contraire |
| Moi qui suis propriétaire et je ne fais que m'entendre avec d'autres au sujet de ma | | Moi qui suis propriétaire et je ne fais que m'entendre avec d'autres au sujet de ma |
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| répond : je prends ce qu'il me faut. Si les Communistes agissent en gueux, l'Égoïste | | répond : je prends ce qu'il me faut. Si les Communistes agissent en gueux, l'Égoïste |
| agit en propriétaire. | | agit en propriétaire. |
| | |
| Toutes les tentatives ayant pour but le soulagement des classes misérables doivent | | Toutes les tentatives ayant pour but le soulagement des classes misérables doivent |
| échouer si elles prennent pour principe l'Amour. C'est de l'égoïsme seul que la plèbe | | échouer si elles prennent pour principe l'Amour. C'est de l'égoïsme seul que la plèbe |
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Ligne 1 631 : |
| crainte. « Les gens perdraient tout respect si on ne les forçait pas à avoir peur », disait | | crainte. « Les gens perdraient tout respect si on ne les forçait pas à avoir peur », disait |
| l'Épouvantail au Chat Botté. | | l'Épouvantail au Chat Botté. |
| | |
| La propriété ne doit et ne peut donc pas être abolie ; ce qu'il faut, c'est l'arracher | | La propriété ne doit et ne peut donc pas être abolie ; ce qu'il faut, c'est l'arracher |
| aux fantômes pour en faire ma propriété. Alors s'évanouira cette illusion que je ne | | aux fantômes pour en faire ma propriété. Alors s'évanouira cette illusion que je ne |
| suis pas autorisé à prendre tout ce dont j'ai besoin. | | suis pas autorisé à prendre tout ce dont j'ai besoin. |
| Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 210
| | |
| « Mais de combien de choses l'homme n'a-t-il pas besoin ! » Celui qui a besoin de | | « Mais de combien de choses l'homme n'a-t-il pas besoin ! » Celui qui a besoin de |
| beaucoup et qui s'entend à le prendre s'est-il jamais fait faute de se l'approprier ? | | beaucoup et qui s'entend à le prendre s'est-il jamais fait faute de se l'approprier ? |
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Ligne 1 648 : |
| Défendez votre propriété, vous serez forts ; mais si vous voulez garder la faculté de | | Défendez votre propriété, vous serez forts ; mais si vous voulez garder la faculté de |
| donner et jouir d'autant plus de droits politiques que vous pouvez faire plus d'aumônes | | donner et jouir d'autant plus de droits politiques que vous pouvez faire plus d'aumônes |
| (taxe des pauvres 1 ) cela durera ce que ceux que vous gratifiez de vos dons | | (taxe des pauvres <ref> Le gouvernement anglais, dans un projet de loi électorale pour l'Irlande, proposa d'accorder |
| | l'électorat à tous ceux qui payaient 5 livres sterling de taxe des pauvres. Celui qui fait l'aumône |
| | acquiert des droits politiques !</ref>) cela durera ce que ceux que vous gratifiez de vos dons |
| permettront que cela dure. | | permettront que cela dure. |
| | |
| La question de la propriété n'est pas, je crois l'avoir montré, aussi simple à résoudre | | La question de la propriété n'est pas, je crois l'avoir montré, aussi simple à résoudre |
| que se l'imaginent les Socialistes et même les Communistes. Elle ne sera résolue | | que se l'imaginent les Socialistes et même les Communistes. Elle ne sera résolue |
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| leur donniez, ils voudront toujours davantage, car ils ne veulent rien de moins que — | | leur donniez, ils voudront toujours davantage, car ils ne veulent rien de moins que — |
| la suppression de tout don. | | la suppression de tout don. |
| | |
| On demandera : Mais que se passera-t-il, quand les sans-fortune auront pris | | On demandera : Mais que se passera-t-il, quand les sans-fortune auront pris |
| courage ? Comment s'accomplira le nivellement ? Autant vaudrait me demander de | | courage ? Comment s'accomplira le nivellement ? Autant vaudrait me demander de |
| tirer l'horoscope d'un enfant. Ce que fera un esclave quand il aura brisé ses chaînes ? | | tirer l'horoscope d'un enfant. Ce que fera un esclave quand il aura brisé ses chaînes ? |
| — Attendez, et vous le saurez. | | — Attendez, et vous le saurez. |
| *
| | |
| **
| | |
| La concurrence est étroitement liée au principe de la bourgeoisie. Est-elle autre | | La concurrence est étroitement liée au principe de la bourgeoisie. Est-elle autre |
| chose que l’égalité ? Et l'égalité n'est-elle pas précisément un produit de cette | | chose que l’égalité ? Et l'égalité n'est-elle pas précisément un produit de cette |
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| entre vous, vous êtes concurrents, et la concurrence est votre, position sociale. Mais | | entre vous, vous êtes concurrents, et la concurrence est votre, position sociale. Mais |
| devant moi, l'État, vous n'êtes que de « simples individus ». | | devant moi, l'État, vous n'êtes que de « simples individus ». |
| 1 Le gouvernement anglais, dans un projet de loi électorale pour l'Irlande, proposa d'accorder
| | |
| l'électorat à tous ceux qui payaient 5 livres sterling de taxe des pauvres. Celui qui fait l'aumône
| |
| acquiert des droits politiques !
| |
| Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 211
| |
| L'égalité, que l'on a théoriquement établie en principe entre tous les hommes, | | L'égalité, que l'on a théoriquement établie en principe entre tous les hommes, |
| trouve sa mise en application et sa réalisation pratique dans la concurrence, car | | trouve sa mise en application et sa réalisation pratique dans la concurrence, car |
| l'égalité * n'est que la libre concurrence. Tous sont, vis-à-vis de l'état, de — simples | | l'égalité <ref>« Égalité » en français dans le texte. (Note du traducteur.)</ref> n'est que la libre concurrence. Tous sont, vis-à-vis de l'état, de — simples |
| particuliers, et dans la Société, c'est-à-dire vis-à-vis les uns des autres, des — concurrents. | | particuliers, et dans la Société, c'est-à-dire vis-à-vis les uns des autres, des — concurrents. |
| | |
| Je n'ai pas à être autre chose qu'un simple particulier pour pouvoir concourir avec | | Je n'ai pas à être autre chose qu'un simple particulier pour pouvoir concourir avec |
| tout autre homme, sauf le Prince et sa famille. Cette liberté était jadis impossible, | | tout autre homme, sauf le Prince et sa famille. Cette liberté était jadis impossible, |
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| accorder des patentes (brevet donné à un candidat et établissant que telle profession | | accorder des patentes (brevet donné à un candidat et établissant que telle profession |
| lui est ouverte [patente]). | | lui est ouverte [patente]). |
| | |
| Mais la libre « concurrence » est-elle bien réellement « libre » ? Est-elle même | | Mais la libre « concurrence » est-elle bien réellement « libre » ? Est-elle même |
| vraiment une « concurrence », c'est-à-dire un concours entre les personnes ? C'est ce | | vraiment une « concurrence », c'est-à-dire un concours entre les personnes ? C'est ce |
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| Peut-on dire que la concurrence est « libre », quand l'État, que le principe de la | | Peut-on dire que la concurrence est « libre », quand l'État, que le principe de la |
| bourgeoisie fait souverain, s'ingénie à la restreindre de mille façons ? | | bourgeoisie fait souverain, s'ingénie à la restreindre de mille façons ? |
| | |
| « Voici un riche fabricant qui fait de brillantes affaires, et je voudrais lui faire la | | « Voici un riche fabricant qui fait de brillantes affaires, et je voudrais lui faire la |
| concurrence. | | concurrence. |
| | |
| — Fais, dit l'État, je ne vois, pour ma part, rien qui s'oppose à ce que tu le fasses. | | — Fais, dit l'État, je ne vois, pour ma part, rien qui s'oppose à ce que tu le fasses. |
| | |
| — Oui, mais il me faudrait de la place pour mon installation, il me faudrait de | | — Oui, mais il me faudrait de la place pour mon installation, il me faudrait de |
| l'argent ! | | l'argent ! |
| | |
| — C'est regrettable, mais si tu n'as pas d'argent, tu ne peux pas songer à concourir. | | — C'est regrettable, mais si tu n'as pas d'argent, tu ne peux pas songer à concourir. |
| Et il ne s'agit pas que tu prennes rien à personne, car je protège la propriété et | | Et il ne s'agit pas que tu prennes rien à personne, car je protège la propriété et |
| ses privilèges. » | | ses privilèges. » |
| | |
| La libre concurrence n'est pas « libre », parce que les moyens de concourir, les | | La libre concurrence n'est pas « libre », parce que les moyens de concourir, les |
| choses nécessaires à la concurrence me font défaut. Contre ma personne, on n'a rien à | | choses nécessaires à la concurrence me font défaut. Contre ma personne, on n'a rien à |
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| l'État ; le fabricant n'est pas propriétaire ; ce qu'il possède, il ne l'a qu'à titre de | | l'État ; le fabricant n'est pas propriétaire ; ce qu'il possède, il ne l'a qu'à titre de |
| concession, de dépôt. | | concession, de dépôt. |
| | |
| « Allons, soit ! Si je ne puis rien contre le fabricant, je m'en vais faire concurrence | | « Allons, soit ! Si je ne puis rien contre le fabricant, je m'en vais faire concurrence |
| à ce professeur de droit ; c'est un sot et j'en sais cent fois plus que lui : je ferai déserter | | à ce professeur de droit ; c'est un sot et j'en sais cent fois plus que lui : je ferai déserter |
| son auditoire. | | son auditoire. |
| | |
| — As-tu fait des études, mon ami, et es-tu reçu docteur ? | | — As-tu fait des études, mon ami, et es-tu reçu docteur ? |
| | |
| — Non, mais à quoi bon ? Je possède largement les connaissances nécessaires à | | — Non, mais à quoi bon ? Je possède largement les connaissances nécessaires à |
| cet enseignement. | | cet enseignement. |
| * « Égalité » en français dans le texte. (Note du traducteur.)
| | |
| Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 212
| |
| — J'en suis fâché, mais ici la concurrence n'est pas « libre ». Contre ta personne, | | — J'en suis fâché, mais ici la concurrence n'est pas « libre ». Contre ta personne, |
| il n'y a rien à dire, mais la chose essentielle te manque : le diplôme de docteur. Et ce | | il n'y a rien à dire, mais la chose essentielle te manque : le diplôme de docteur. Et ce |
| diplôme, moi, l'État, je l'exige ! Demande-le-moi d'abord bien gentiment, et nous | | diplôme, moi, l'État, je l'exige ! Demande-le-moi d'abord bien gentiment, et nous |
| verrons ensuite ce qu'il y a à faire. » | | verrons ensuite ce qu'il y a à faire. » |
| | |
| Voilà à quoi se réduit la « liberté » de la concurrence. Il faut que l'État, mon | | Voilà à quoi se réduit la « liberté » de la concurrence. Il faut que l'État, mon |
| seigneur et maître, me confère l'aptitude à concourir. | | seigneur et maître, me confère l'aptitude à concourir. |
| | |
| Mais aussi, sont-ce bien en réalité les personnes qui concourent ? Non, encore une | | Mais aussi, sont-ce bien en réalité les personnes qui concourent ? Non, encore une |
| fois, ce sont les choses ! L'argent en première ligne, etc. | | fois, ce sont les choses ! L'argent en première ligne, etc. |
| | |
| Dans la lutte, il y aura toujours des vaincus (ainsi le poète médiocre devra céder la | | Dans la lutte, il y aura toujours des vaincus (ainsi le poète médiocre devra céder la |
| palme, etc.). Mais ce qu'il importe de distinguer, c'est d'abord si les moyens qui font | | palme, etc.). Mais ce qu'il importe de distinguer, c'est d'abord si les moyens qui font |
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| que j'attende l'autorisation de l'État pour avoir les moyens ou les mettre en oeuvre | | que j'attende l'autorisation de l'État pour avoir les moyens ou les mettre en oeuvre |
| (comme c'est le cas, par exemple, lorsqu'il s'agit d'un diplôme), ces moyens sont une | | (comme c'est le cas, par exemple, lorsqu'il s'agit d'un diplôme), ces moyens sont une |
| grâce que l'État m'accorde 1. | | grâce que l'État m'accorde <ref>Dans les collèges, les universités, etc., on voit des pauvres concourir avec des riches. Mais cela ne leur est en général possible que grâce à des bourses, qui —cela est significatif — ont pour la |
| | plupart été fondées à une époque où la libre concurrence était encore loin d'être admise en |
| | principe. Le principe de la concurrence ne fonde pas de bourses d'études, mais il signifie : Aide-toi |
| | toi-même, c'est-à-dire procure-toi les moyens. Ce que l'État dépense dans ce but n'est qu'un |
| | placement à intérêt, destiné à lui procurer des « serviteurs ».</ref>. |
| | |
| Tel est, au fond, le sens de la libre concurrence : l'État considère tous les hommes | | Tel est, au fond, le sens de la libre concurrence : l'État considère tous les hommes |
| comme ses enfants et comme égaux ; libre à chacun de faire tout son possible pour | | comme ses enfants et comme égaux ; libre à chacun de faire tout son possible pour |
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| la poursuite de la fortune, des biens (argent, emplois, titres, etc.), en un mot des | | la poursuite de la fortune, des biens (argent, emplois, titres, etc.), en un mot des |
| moyens matériels. | | moyens matériels. |
| | |
| Au sens bourgeois, tout homme possède, chacun est « propriétaire ». Comment se | | Au sens bourgeois, tout homme possède, chacun est « propriétaire ». Comment se |
| fait-il donc que la plupart n'aient pour ainsi dire rien ? Cela vient de ce que la plupart | | fait-il donc que la plupart n'aient pour ainsi dire rien ? Cela vient de ce que la plupart |
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| conservant au sujet de cette quotité la plus grande latitude, se jeta à corps perdu dans | | conservant au sujet de cette quotité la plus grande latitude, se jeta à corps perdu dans |
| la concurrence. | | la concurrence. |
| Fatalement, l'égoïsme heureux devait porter ombrage à celui qui était moins favorisé | | |
| ; ce dernier, s'appuyant toujours sur le principe de l'humanité, souleva la question | | Fatalement, l'égoïsme heureux devait porter ombrage à celui qui était moins favorisé; ce dernier, s'appuyant toujours sur le principe de l'humanité, souleva la question |
| du quotient de répartition des biens sociaux et la résolut ainsi : « L'homme doit avoir | | du quotient de répartition des biens sociaux et la résolut ainsi : « L'homme doit avoir |
| autant qu'il lui est nécessaire. » | | autant qu'il lui est nécessaire. » |
| 1 Dans les collèges, les universités, etc., on voit des pauvres concourir avec des riches. Mais cela ne
| | |
| leur est en général possible que grâce à des bourses, qui —cela est significatif — ont pour la
| |
| plupart été fondées à une époque où la libre concurrence était encore loin d'être admise en
| |
| principe. Le principe de la concurrence ne fonde pas de bourses d'études, mais il signifie : Aide-toi
| |
| toi-même, c'est-à-dire procure-toi les moyens. Ce que l'État dépense dans ce but n'est qu'un
| |
| placement à intérêt, destiné à lui procurer des « serviteurs ».
| |
| Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 213
| |
| Mais mon égoïsme pourra-t-il se contenter de cela ? Les besoins de l' « Homme » | | Mais mon égoïsme pourra-t-il se contenter de cela ? Les besoins de l' « Homme » |
| ne sont nullement une mesure applicable à moi et à mes besoins ; car je puis avoir | | ne sont nullement une mesure applicable à moi et à mes besoins ; car je puis avoir |
| besoin de plus ou de moins. Non, je dois avoir autant que je suis capable de m'approprier. | | besoin de plus ou de moins. Non, je dois avoir autant que je suis capable de m'approprier. |
| | |
| Chacun n'a pas à sa disposition les moyens de concourir, parce que ces moyens (et | | Chacun n'a pas à sa disposition les moyens de concourir, parce que ces moyens (et |
| c'est là le vice fondamental de la concurrence) ne dépendent pas de la personne, mais | | c'est là le vice fondamental de la concurrence) ne dépendent pas de la personne, mais |
| de circonstances tout à fait indépendantes de cette dernière. La plupart des hommes | | de circonstances tout à fait indépendantes de cette dernière. La plupart des hommes |
| sont dépourvus de ces instruments et, par suite, des biens qu'ils pourraient en tirer. | | sont dépourvus de ces instruments et, par suite, des biens qu'ils pourraient en tirer. |
| | |
| Aussi les Socialistes réclament-ils pour tous les hommes les instruments et | | Aussi les Socialistes réclament-ils pour tous les hommes les instruments et |
| préparent-ils une société qui fournira à tous ces instruments. Nous ne reconnaissons | | préparent-ils une société qui fournira à tous ces instruments. Nous ne reconnaissons |
| plus, disent-ils, tes richesses (avoir) comme ta richesse (pouvoir) *. Tu auras à te créer | | plus, disent-ils, tes richesses (avoir) comme ta richesse (pouvoir) <ref>Le mot allemand Vermögen a un sens très étendu et signifie, suivant les cas : force, puissance, |
| | faculté, MOYEN, RICHESSE, fortune ou pécule. Nous le traduirons par richesse, en priant le |
| | lecteur de bien vouloir se rappeler que nous entendons par ce mot la richesse « instrument de |
| | production » et non « résultat de production ». C'est d'ailleurs le sens étymologique du mot |
| | français, qui, par sa racine germanique rik ou reich, signifie « puissance ». « Richesse, c'est |
| | pouvoir », disait Hobbes.(Note du Traducteur.)</ref>. Tu auras à te créer |
| une autre richesse, à te pourvoir d'autres moyens d'action, qui seront ta force de travail. | | une autre richesse, à te pourvoir d'autres moyens d'action, qui seront ta force de travail. |
| Sous l'homme en possession d'un avoir, sous le « possesseur », nous apercevons | | Sous l'homme en possession d'un avoir, sous le « possesseur », nous apercevons |
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| « propriétaire ». Mais il faut bien te dire que tu ne détiens les choses qu'en | | « propriétaire ». Mais il faut bien te dire que tu ne détiens les choses qu'en |
| attendant que tu sois « exproprié ». | | attendant que tu sois « exproprié ». |
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| Celui qui possède est riche, mais pour autant seulement que les autres ne le sont | | Celui qui possède est riche, mais pour autant seulement que les autres ne le sont |
| pas. Et comme ta marchandise ne forme ta richesse qu'aussi longtemps que tu es capable | | pas. Et comme ta marchandise ne forme ta richesse qu'aussi longtemps que tu es capable |
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| pas de pouvoir sur elle, il faudra bien que tu cherches à te procurer d'autres moyens | | pas de pouvoir sur elle, il faudra bien que tu cherches à te procurer d'autres moyens |
| d'action, car notre puissance l'emporte aujourd’hui sur ta prétendue richesse. | | d'action, car notre puissance l'emporte aujourd’hui sur ta prétendue richesse. |
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| Parvenir à être considéré comme possesseur réalisait déjà un progrès énorme. Le | | Parvenir à être considéré comme possesseur réalisait déjà un progrès énorme. Le |
| servage disparaissait et l'homme, qui jusque-là avait dû la corvée à son seigneur et | | servage disparaissait et l'homme, qui jusque-là avait dû la corvée à son seigneur et |
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| ton travail qui est ta richesse. Tu n'es plus, désormais, maître et possesseur que de ce | | ton travail qui est ta richesse. Tu n'es plus, désormais, maître et possesseur que de ce |
| qui naît de ton travail, et non plus de ce que peut te donner un héritage. | | qui naît de ton travail, et non plus de ce que peut te donner un héritage. |
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| En attendant, comme il n'existe pas de possession qui n'ait à sa source l'héritage, | | En attendant, comme il n'existe pas de possession qui n'ait à sa source l'héritage, |
| comme tous les sous qui forment ton avoir sont à l'effigie de l'hérédité et non à | | comme tous les sous qui forment ton avoir sont à l'effigie de l'hérédité et non à |
| l'effigie du travail, il faut que tout soit refondu au creuset commun. | | l'effigie du travail, il faut que tout soit refondu au creuset commun. |
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| Mais est-il bien vrai, comme le pensent les Communistes, que ma richesse ne consiste | | Mais est-il bien vrai, comme le pensent les Communistes, que ma richesse ne consiste |
| que dans mon travail ? Ne consiste-t-elle pas plutôt en tout ce dont je suis capable | | que dans mon travail ? Ne consiste-t-elle pas plutôt en tout ce dont je suis capable |
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| impropres au travail. Ceux-ci sont encore capables de bien des choses, ne fût-ce que | | impropres au travail. Ceux-ci sont encore capables de bien des choses, ne fût-ce que |
| de conserver leur vie au lieu de se l'ôter. Et s'ils sont capables de vous faire désirer | | de conserver leur vie au lieu de se l'ôter. Et s'ils sont capables de vous faire désirer |
| * Le mot allemand Vermögen a un sens très étendu et signifie, suivant les cas : force, puissance,
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| faculté, MOYEN, RICHESSE, fortune ou pécule. Nous le traduirons par richesse, en priant le
| |
| lecteur de bien vouloir se rappeler que nous entendons par ce mot la richesse « instrument de
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| production » et non « résultat de production ». C'est d'ailleurs le sens étymologique du mot
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| français, qui, par sa racine germanique rik ou reich, signifie « puissance ». « Richesse, c'est
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| pouvoir », disait Hobbes.(Note du Traducteur.)
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| Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 214
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| leur conservation, c'est qu'ils possèdent un pouvoir sur vous. À celui qui n'exercerait | | leur conservation, c'est qu'ils possèdent un pouvoir sur vous. À celui qui n'exercerait |
| absolument aucun pouvoir sur vous, vous n'accorderiez rien, il n'aurait plus qu'à | | absolument aucun pouvoir sur vous, vous n'accorderiez rien, il n'aurait plus qu'à |
| disparaître. | | disparaître. |
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| Ainsi, ta richesse consiste en tout ce dont tu es capable ! Si tu es capable de procurer | | Ainsi, ta richesse consiste en tout ce dont tu es capable ! Si tu es capable de procurer |
| un plaisir à des milliers d'hommes, ces milliers d'hommes te donneront des | | un plaisir à des milliers d'hommes, ces milliers d'hommes te donneront des |
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| oblige à acheter ton travail. Mais si tu n'es capable d'intéresser personne à toi, tu es | | oblige à acheter ton travail. Mais si tu n'es capable d'intéresser personne à toi, tu es |
| tout juste capable de disparaître. | | tout juste capable de disparaître. |
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| Ne dois-je donc pas, moi qui suis capable de beaucoup, avoir l'avantage sur ceux | | Ne dois-je donc pas, moi qui suis capable de beaucoup, avoir l'avantage sur ceux |
| qui peuvent moins ? Nous voici attablés devant l'abondance : vais-je m'abstenir de me | | qui peuvent moins ? Nous voici attablés devant l'abondance : vais-je m'abstenir de me |
| servir de mon mieux et attendre ce qui me reviendra d'un partage égal ? | | servir de mon mieux et attendre ce qui me reviendra d'un partage égal ? |
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| Contre la concurrence se dresse le principe de la Société des gueux, le principe du | | Contre la concurrence se dresse le principe de la Société des gueux, le principe du |
| partage égal. | | partage égal. |
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| L'individu ne supporte pas de n'être considéré que comme une fraction, un tantième | | L'individu ne supporte pas de n'être considéré que comme une fraction, un tantième |
| de la société, parce qu'il est plus que cela ; son unicité s'insurge contre cette | | de la société, parce qu'il est plus que cela ; son unicité s'insurge contre cette |
| conception qui le diminue et le rabaisse. | | conception qui le diminue et le rabaisse. |
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| Aussi n'admet-il pas que les autres lui adjugent sa part ; déjà, dans la Société des | | Aussi n'admet-il pas que les autres lui adjugent sa part ; déjà, dans la Société des |
| travailleurs, il soupçonne que le partage égal aura pour effet de dépouiller le fort au | | travailleurs, il soupçonne que le partage égal aura pour effet de dépouiller le fort au |
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| toi, père, ne te refuses-tu pas bien des choses pour qu'il ne manque de rien ? Il vous | | toi, père, ne te refuses-tu pas bien des choses pour qu'il ne manque de rien ? Il vous |
| contraint, et par cela même il possède ce que vous croyez à vous. | | contraint, et par cela même il possède ce que vous croyez à vous. |
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| Si je tiens à ta personne, ta seule existence a déjà pour moi une valeur ; si je n'ai | | Si je tiens à ta personne, ta seule existence a déjà pour moi une valeur ; si je n'ai |
| besoin que d'une de tes facultés, c'est ta complaisance ou ton assistance qui ont un | | besoin que d'une de tes facultés, c'est ta complaisance ou ton assistance qui ont un |
| prix à mes yeux. et que j'achète. | | prix à mes yeux. et que j'achète. |
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| Il se peut aussi que tu ne saches prendre à mon estimation qu'une valeur en | | Il se peut aussi que tu ne saches prendre à mon estimation qu'une valeur en |
| argent : c'était le cas des citoyens allemands vendus à beaux deniers et expédiés en | | argent : c'était le cas des citoyens allemands vendus à beaux deniers et expédiés en |
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| Comment leur aurait-il témoigné une estime qu'il ne ressentait pas, qu'il pouvait à | | Comment leur aurait-il témoigné une estime qu'il ne ressentait pas, qu'il pouvait à |
| peine ressentir pour un pareil bétail ? | | peine ressentir pour un pareil bétail ? |
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| La pratique égoïste consiste à ne considérer les autres ni comme des propriétaires | | La pratique égoïste consiste à ne considérer les autres ni comme des propriétaires |
| ni comme des gueux ou des travailleurs, mais à voir en eux une partie de votre richesse, | | ni comme des gueux ou des travailleurs, mais à voir en eux une partie de votre richesse, |
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| Américains du Nord. Et ils répondent : Nous ne donnerions pas un liard ni de lui ni de | | Américains du Nord. Et ils répondent : Nous ne donnerions pas un liard ni de lui ni de |
| son travail. | | son travail. |
| Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 215
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| Lorsqu'on dit que la concurrence met tout à la portée de tous, on s'exprime d'une | | Lorsqu'on dit que la concurrence met tout à la portée de tous, on s'exprime d'une |
| façon inexacte ; il est plus juste de dire que grâce à elle tout est à vendre. En mettant | | façon inexacte ; il est plus juste de dire que grâce à elle tout est à vendre. En mettant |
| tout à la disposition de tous, elle le livre à leur appréciation et en demande un prix. | | tout à la disposition de tous, elle le livre à leur appréciation et en demande un prix. |
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| Mais les amateurs manquent le plus souvent du moyen de se faire acheteurs : ils | | Mais les amateurs manquent le plus souvent du moyen de se faire acheteurs : ils |
| n'ont pas d'argent. On peut, avec de l'argent, se procurer tout ce qui est à vendre, mais | | n'ont pas d'argent. On peut, avec de l'argent, se procurer tout ce qui est à vendre, mais |
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| circulante ? Sache donc que tu as autant d'argent que tu as de — puissance, car tu as | | circulante ? Sache donc que tu as autant d'argent que tu as de — puissance, car tu as |
| la valeur que tu sais te donner. | | la valeur que tu sais te donner. |
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| On ne paie pas avec de l'argent, dont on peut être à court, mais avec sa richesse, | | On ne paie pas avec de l'argent, dont on peut être à court, mais avec sa richesse, |
| son « pouvoir », car on n'est propriétaire que de ce dont on est maître. | | son « pouvoir », car on n'est propriétaire que de ce dont on est maître. |
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| instrument de paiement reste encore, comme toujours, notre richesse : Tu paies avec | | instrument de paiement reste encore, comme toujours, notre richesse : Tu paies avec |
| ce que tu as « en ton pouvoir ». Songe donc à augmenter ta richesse ! | | ce que tu as « en ton pouvoir ». Songe donc à augmenter ta richesse ! |
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| En concédant tout cela, on est tout près de répéter la maxime : « À chacun selon | | En concédant tout cela, on est tout près de répéter la maxime : « À chacun selon |
| ses moyens. » Mais qui me donnera « selon mes moyens »? La Société ? Je devrais | | ses moyens. » Mais qui me donnera « selon mes moyens »? La Société ? Je devrais |
| pour cela me soumettre à son estimation. Non. Je prendrai selon mes moyens. | | pour cela me soumettre à son estimation. Non. Je prendrai selon mes moyens. |
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| « Tout appartient à tous! » cette proposition procède aussi d'une théorie futile. À | | « Tout appartient à tous! » cette proposition procède aussi d'une théorie futile. À |
| chacun appartient seulement ce qu'il peut. Lorsque je dis : le monde est à moi, c'est là | | chacun appartient seulement ce qu'il peut. Lorsque je dis : le monde est à moi, c'est là |
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| que je ne respecte aucune propriété étrangère. Cela seul est à moi que j'ai en mon | | que je ne respecte aucune propriété étrangère. Cela seul est à moi que j'ai en mon |
| pouvoir, qui dépend de ma force. | | pouvoir, qui dépend de ma force. |
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| On n'est pas digne d'avoir ce que par faiblesse on se laisse prendre ; on n'est pas | | On n'est pas digne d'avoir ce que par faiblesse on se laisse prendre ; on n'est pas |
| digne de le garder parce qu'on n'est pas capable de le garder. | | digne de le garder parce qu'on n'est pas capable de le garder. |
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| On fait grand bruit de l' « injustice séculaire » des riches envers les pauvres. | | On fait grand bruit de l' « injustice séculaire » des riches envers les pauvres. |
| Comme si c'était la faute des riches s'il y a des pauvres, et comme si ce n'était pas | | Comme si c'était la faute des riches s'il y a des pauvres, et comme si ce n'était pas |
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| pauvres, les crèches, les hospices, les établissements de bienfaisance de toute espèce, | | pauvres, les crèches, les hospices, les établissements de bienfaisance de toute espèce, |
| d'où viennent-ils ? | | d'où viennent-ils ? |
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| Mais tout cela ne vous suffit pas. Les riches devraient, n'est-ce pas, partager avec | | Mais tout cela ne vous suffit pas. Les riches devraient, n'est-ce pas, partager avec |
| les pauvres ? En un mot, ils devraient supprimer la misère. Sans compter qu'il y a à | | les pauvres ? En un mot, ils devraient supprimer la misère. Sans compter qu'il y a à |
| peine un de vous qui consentirait à partager, et que celui-là serait un fou, demandezvous | | peine un de vous qui consentirait à partager, et que celui-là serait un fou, demandez-vous: Pourquoi les riches devraient-ils se dépouiller et se dévouer, alors que c'est aux |
| : Pourquoi les riches devraient-ils se dépouiller et se dévouer, alors que c'est aux | |
| pauvres que cette conduite profiterait, bien plus qu'à eux-mêmes ? Toi qui touches un | | pauvres que cette conduite profiterait, bien plus qu'à eux-mêmes ? Toi qui touches un |
| écu par jour, tu es un riche à côté de milliers d'hommes qui vivent avec dix sous : estil | | écu par jour, tu es un riche à côté de milliers d'hommes qui vivent avec dix sous : estil |
| de ton intérêt de partager avec eux, ou n'est-ce pas plutôt du leur ? | | de ton intérêt de partager avec eux, ou n'est-ce pas plutôt du leur ? |
| Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 216
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| Grâce à la concurrence, ce qu'on fait on ne le fait pas avec l'intention de le « faire | | Grâce à la concurrence, ce qu'on fait on ne le fait pas avec l'intention de le « faire |
| de son mieux », mais avec l'intention de le faire le plus lucrativement possible, avec | | de son mieux », mais avec l'intention de le faire le plus lucrativement possible, avec |
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| administrer, rendre la justice, etc., en toute conscience, mais on craint d'être déplacé | | administrer, rendre la justice, etc., en toute conscience, mais on craint d'être déplacé |
| ou révoqué : avant tout, il faut bien qu'on — vive. | | ou révoqué : avant tout, il faut bien qu'on — vive. |
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| Toute cette pratique est en somme une lutte pour cette chère vie, une suite d'efforts | | Toute cette pratique est en somme une lutte pour cette chère vie, une suite d'efforts |
| ininterrompus pour s'élever de degré en degré jusqu'à plus ou moins de « bienêtre | | ininterrompus pour s'élever de degré en degré jusqu'à plus ou moins de « bienêtre |
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| hommes qu'une « vie amère », une « amère indigence ». Tant d'ardeur pour si peu de | | hommes qu'une « vie amère », une « amère indigence ». Tant d'ardeur pour si peu de |
| chose ! | | chose ! |
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| Une infatigable âpreté à la curée ne nous laisse pas le temps de respirer et de nous | | Une infatigable âpreté à la curée ne nous laisse pas le temps de respirer et de nous |
| arrêter à une jouissance paisible. Nous ne connaissons pas la joie de posséder. | | arrêter à une jouissance paisible. Nous ne connaissons pas la joie de posséder. |
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| Lorsqu'on parle d'organiser le travail, on ne peut avoir en vue que celui dont d'autres | | Lorsqu'on parle d'organiser le travail, on ne peut avoir en vue que celui dont d'autres |
| peuvent s'acquitter à notre place, par exemple, celui du boucher, du laboureur, | | peuvent s'acquitter à notre place, par exemple, celui du boucher, du laboureur, |
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| attendu que l'individualité de l'ouvrier y est sans importance et qu'on peut y dresser à | | attendu que l'individualité de l'ouvrier y est sans importance et qu'on peut y dresser à |
| peu près « tous les hommes ». | | peu près « tous les hommes ». |
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| Comme la Société ne peut prendre en considération que les travaux qui présentent | | Comme la Société ne peut prendre en considération que les travaux qui présentent |
| une utilité générale, les travaux humains, sa sollicitude ne peut pas s'étendre à celui | | une utilité générale, les travaux humains, sa sollicitude ne peut pas s'étendre à celui |
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| L'Unique saura bien s'élever dans la Société par son travail, mais la Société ne peut | | L'Unique saura bien s'élever dans la Société par son travail, mais la Société ne peut |
| pas lever l'Unique. | | pas lever l'Unique. |
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| Il est, par conséquent, toujours à souhaiter que nous nous unissions pour les travaux | | Il est, par conséquent, toujours à souhaiter que nous nous unissions pour les travaux |
| humains, afin qu'ils n'absorbent plus tout notre temps et tous nos efforts comme | | humains, afin qu'ils n'absorbent plus tout notre temps et tous nos efforts comme |
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| et il en résulta cette tendance que l'on entend à chaque instant déplorer sous le nom de | | et il en résulta cette tendance que l'on entend à chaque instant déplorer sous le nom de |
| « matérialisme des moeurs ». | | « matérialisme des moeurs ». |
| Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 217
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| Le Communisme essaie d'y mettre un frein en répandant la croyance que les biens | | Le Communisme essaie d'y mettre un frein en répandant la croyance que les biens |
| humains n'exigent pas que l'on se donne tant de peine pour eux, et qu'on peut, par une | | humains n'exigent pas que l'on se donne tant de peine pour eux, et qu'on peut, par une |
| organisation judicieuse, se les procurer sans la grande dépense de temps et d'énergie | | organisation judicieuse, se les procurer sans la grande dépense de temps et d'énergie |
| qui a paru nécessaire jusqu'à présent. | | qui a paru nécessaire jusqu'à présent. |
| | |
| Mais pour qui faut-il gagner du temps ? Pourquoi l'homme a-t-il besoin de plus de | | Mais pour qui faut-il gagner du temps ? Pourquoi l'homme a-t-il besoin de plus de |
| temps qu'il n'en faut pour ranimer ses forces puises par le travail ? Ici, le Communisme | | temps qu'il n'en faut pour ranimer ses forces puises par le travail ? Ici, le Communisme |
| se tait. | | se tait. |
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| Pourquoi ? Eh bien ! pour jouir de soi-même comme Unique, après avoir fait sa | | Pourquoi ? Eh bien ! pour jouir de soi-même comme Unique, après avoir fait sa |
| part comme homme ! | | part comme homme ! |
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| Dans la première joie de se voir autorisé à allonger la main vers tout ce qui est | | Dans la première joie de se voir autorisé à allonger la main vers tout ce qui est |
| humain, on ne songea plus à désirer autre chose, et on se lança par les chemins de la | | humain, on ne songea plus à désirer autre chose, et on se lança par les chemins de la |
| concurrence à la poursuite de cet humain, comme si sa possession était le but de tous | | concurrence à la poursuite de cet humain, comme si sa possession était le but de tous |
| nos voeux. | | nos voeux. |
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| Mais, après une course effrénée, on s'aperçoit enfin que « la richesse ne fait pas le | | Mais, après une course effrénée, on s'aperçoit enfin que « la richesse ne fait pas le |
| bonheur ». Et l'on cherche à se procurer le nécessaire à moins de frais, et à ne lui | | bonheur ». Et l'on cherche à se procurer le nécessaire à moins de frais, et à ne lui |
| consacrer que le temps et les peines indispensables. La richesse se trouve déprécie, et | | consacrer que le temps et les peines indispensables. La richesse se trouve déprécie, et |
| la pauvreté satisfaite, la gueuserie insouciante, devient le séduisant idéal. | | la pauvreté satisfaite, la gueuserie insouciante, devient le séduisant idéal. |
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| Est-il bien nécessaire que telles fonctions humaines, auxquelles tout le monde se | | Est-il bien nécessaire que telles fonctions humaines, auxquelles tout le monde se |
| croit apte, soient mieux rémunérées que les autres, et qu'on dépense pour s'y élever | | croit apte, soient mieux rémunérées que les autres, et qu'on dépense pour s'y élever |
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| tout le monde, du moins au grand nombre ; pour toutes ces choses, un homme ordinaire | | tout le monde, du moins au grand nombre ; pour toutes ces choses, un homme ordinaire |
| suffit. | | suffit. |
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| En admettant même que, si l'ordre est essentiel à l'État, la nécessité d'une subordination | | En admettant même que, si l'ordre est essentiel à l'État, la nécessité d'une subordination |
| hiérarchique ne lui est pas moins imposée par sa nature, nous remarquerons | | hiérarchique ne lui est pas moins imposée par sa nature, nous remarquerons |
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| démesurés en comparaison de ceux qui occupent les degrés inférieurs de l'échelle | | démesurés en comparaison de ceux qui occupent les degrés inférieurs de l'échelle |
| sociale. | | sociale. |
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| Pourtant ces derniers, inspirés d'abord par la doctrine socialiste, plus tard sans | | Pourtant ces derniers, inspirés d'abord par la doctrine socialiste, plus tard sans |
| doute aussi par un sentiment égoïste (dont nous donnerons dès à présent une légère | | doute aussi par un sentiment égoïste (dont nous donnerons dès à présent une légère |
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| avec ce principe fondamental : Respecte ce qui n'est pas à toi, ce qui est à | | avec ce principe fondamental : Respecte ce qui n'est pas à toi, ce qui est à |
| autrui ! Respecte les autres, et en particulier tes supérieurs ! | | autrui ! Respecte les autres, et en particulier tes supérieurs ! |
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| À cela, nous répondons : Vous voulez notre respect ? Soit, achetez-le-nous, voici | | À cela, nous répondons : Vous voulez notre respect ? Soit, achetez-le-nous, voici |
| le prix que nous en demandons. Nous voulons bien vous laisser votre propriété, mais | | le prix que nous en demandons. Nous voulons bien vous laisser votre propriété, mais |
| moyennant une compensation suffisante. Qu'est-ce qu'un général fournit en temps de | | moyennant une compensation suffisante. Qu'est-ce qu'un général fournit en temps de |
| paix, pour compenser les milliers d'écus de son traitement ? Et tel autre, pour ses | | paix, pour compenser les milliers d'écus de son traitement ? Et tel autre, pour ses |
| Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 218
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| centaines de mille ou ses millions annuels ? Quelle compensation recevons-nous de | | centaines de mille ou ses millions annuels ? Quelle compensation recevons-nous de |
| vous, pour manger des pommes de terre en vous regardant tranquillement humer vos | | vous, pour manger des pommes de terre en vous regardant tranquillement humer vos |
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Ligne 2 034 : |
| avec vous — et vous auriez raison. Sans violence, nous ne les aurons pas ; mais vous, | | avec vous — et vous auriez raison. Sans violence, nous ne les aurons pas ; mais vous, |
| ce n'est que parce que vous nous faites violence que vous les avez. | | ce n'est que parce que vous nous faites violence que vous les avez. |
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| Mais va pour les huîtres, et passons à une propriété qui nous touche de plus près | | Mais va pour les huîtres, et passons à une propriété qui nous touche de plus près |
| (car tout cela n'était que possession), au travail. | | (car tout cela n'était que possession), au travail. |
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| Nous peinons douze heures par jour à la sueur de notre front, et vous nous donnez | | Nous peinons douze heures par jour à la sueur de notre front, et vous nous donnez |
| pour cela quelques sous. Eh bien ! faites-vous donc payer votre travail au même prix. | | pour cela quelques sous. Eh bien ! faites-vous donc payer votre travail au même prix. |
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Ligne 2 051 : |
| que de notre salaire habituel. Nous serons bientôt d'accord, pourvu qu'il soit bien | | que de notre salaire habituel. Nous serons bientôt d'accord, pourvu qu'il soit bien |
| entendu que personne n'a plus à faire ni à recevoir de cadeaux. | | entendu que personne n'a plus à faire ni à recevoir de cadeaux. |
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| Qui sait ? Nous pourrons même bien aller jusqu'à payer de notre poche un prix | | Qui sait ? Nous pourrons même bien aller jusqu'à payer de notre poche un prix |
| équitable aux infirmes, aux malades et aux vieillards, pour que la faim et la misère ne | | équitable aux infirmes, aux malades et aux vieillards, pour que la faim et la misère ne |
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| d'obtenir ce résultat qu'en l'achetant. Il se pourra même, un peu parce que nous | | d'obtenir ce résultat qu'en l'achetant. Il se pourra même, un peu parce que nous |
| aimons à voir autour de nous des visages souriants, que nous voulions leur bien-être. | | aimons à voir autour de nous des visages souriants, que nous voulions leur bien-être. |
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| Seulement, plus de cadeaux ! Gardez les vôtres, et n'en attendez plus de nous. Il y | | Seulement, plus de cadeaux ! Gardez les vôtres, et n'en attendez plus de nous. Il y |
| a des siècles que nous vous faisons l'aumône avec une bonne volonté — stupide, il y a | | a des siècles que nous vous faisons l'aumône avec une bonne volonté — stupide, il y a |
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| présent le prix de notre marchandise est en hausse énorme. Nous ne vous prendrons | | présent le prix de notre marchandise est en hausse énorme. Nous ne vous prendrons |
| rien, rien du tout, mais vous paierez mieux ce que vous voudrez avoir. | | rien, rien du tout, mais vous paierez mieux ce que vous voudrez avoir. |
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| Toi, quelle est ta fortune ? — J'ai un bien de mille arpents. — Eh bien ! moi je | | Toi, quelle est ta fortune ? — J'ai un bien de mille arpents. — Eh bien ! moi je |
| suis ton valet de charrue, et dorénavant je ne labourerai plus ton champ qu'au prix | | suis ton valet de charrue, et dorénavant je ne labourerai plus ton champ qu'au prix |
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| autres laboureurs nous ne travaillons plus à d'autres conditions, et s'il s'en présente un | | autres laboureurs nous ne travaillons plus à d'autres conditions, et s'il s'en présente un |
| qui demande moins, qu'il prenne garde à lui ! | | qui demande moins, qu'il prenne garde à lui ! |
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| Voici la servante, qui à présent demande tout autant, et tu n'en trouveras plus en | | Voici la servante, qui à présent demande tout autant, et tu n'en trouveras plus en |
| dessous de ce prix. — Mais alors, je suis ruiné ! — Doucement ! Il te reviendra touMax | | dessous de ce prix. — Mais alors, je suis ruiné ! — Doucement ! Il te reviendra touMax |
| Stirner (1845), L’unique et sa propriété 219
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| jours bien autant qu'à nous; du reste, s'il en était autrement, nous rabattrions assez | | jours bien autant qu'à nous; du reste, s'il en était autrement, nous rabattrions assez |
| pour que tu puisses vivre comme nous. — Mais je suis habitué à vivre mieux ! — | | pour que tu puisses vivre comme nous. — Mais je suis habitué à vivre mieux ! — |
| Nous le voulons bien, mais cela ne nous regarde pas ; tâche de réduire ta dépense. | | Nous le voulons bien, mais cela ne nous regarde pas ; tâche de réduire ta dépense. |
| Faut-il nous louer au rabais pour que tu puisses bien vivre ? | | Faut-il nous louer au rabais pour que tu puisses bien vivre ? |
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| Le riche régale toujours le pauvre de ces paroles : Est-ce que ta misère me | | Le riche régale toujours le pauvre de ces paroles : Est-ce que ta misère me |
| regarde ? Tâche de te tirer d'affaire comme tu pourras : c'est ton affaire et non la | | regarde ? Tâche de te tirer d'affaire comme tu pourras : c'est ton affaire et non la |
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| vous compterez pour plus. Ce que nous voulons, c'est avoir une valeur, et nous avons | | vous compterez pour plus. Ce que nous voulons, c'est avoir une valeur, et nous avons |
| bien l'intention de nous montrer dignes du prix que vous payerez. | | bien l'intention de nous montrer dignes du prix que vous payerez. |
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| L'État est-il capable d'éveiller chez le salarié une aussi courageuse confiance et un | | L'État est-il capable d'éveiller chez le salarié une aussi courageuse confiance et un |
| sentiment aussi vif de son Moi ? L'État peut-il faire que l'homme ait conscience de sa | | sentiment aussi vif de son Moi ? L'État peut-il faire que l'homme ait conscience de sa |
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| Supposons pourtant que l'État ait fait une loi et que les valets de labour soient | | Supposons pourtant que l'État ait fait une loi et que les valets de labour soient |
| parfaitement d'accord, l'État pourrait-il, alors, consentir ? | | parfaitement d'accord, l'État pourrait-il, alors, consentir ? |
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| Dans ce cas isolé, — oui ; mais ce cas isolé est plus que cela, il met en jeu un | | Dans ce cas isolé, — oui ; mais ce cas isolé est plus que cela, il met en jeu un |
| principe ; ce qui est en question ici, c'est le Moi réalisant lui-même sa valeur, et par | | principe ; ce qui est en question ici, c'est le Moi réalisant lui-même sa valeur, et par |
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| non seulement avec l'État, mais encore avec la Société ; elle vise bien au-delà du | | non seulement avec l'État, mais encore avec la Société ; elle vise bien au-delà du |
| commun et du communiste, — par égoïsme. | | commun et du communiste, — par égoïsme. |
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| Le Communisme fait du principe de la bourgeoisie, que tout homme est possesseur | | Le Communisme fait du principe de la bourgeoisie, que tout homme est possesseur |
| (« propriétaire »), une vérité indiscutable, une réalité, en mettant fin au souci | | (« propriétaire »), une vérité indiscutable, une réalité, en mettant fin au souci |
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| réellement : ce que quelqu'un possède en puissance dans sa capacité de travail il ne | | réellement : ce que quelqu'un possède en puissance dans sa capacité de travail il ne |
| peut plus le perdre, comme, sous le régime de la concurrence, cela menaçait à chaque | | peut plus le perdre, comme, sous le régime de la concurrence, cela menaçait à chaque |
| Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 220
| |
| instant de lui échapper. On est possesseur d'une façon assurée, et sans souci. Et on | | instant de lui échapper. On est possesseur d'une façon assurée, et sans souci. Et on |
| l'est précisément parce qu'on ne cherche plus sa richesse dans une marchandise, mais | | l'est précisément parce qu'on ne cherche plus sa richesse dans une marchandise, mais |
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| me rapporterait mon labeur, parce que ma richesse ne consiste pas seulement dans | | me rapporterait mon labeur, parce que ma richesse ne consiste pas seulement dans |
| mon travail. | | mon travail. |
| | |
| Par le travail, je puis arriver, par exemple, à m'acquitter des fonctions d'un président | | Par le travail, je puis arriver, par exemple, à m'acquitter des fonctions d'un président |
| ou d'un ministre ; ces emplois n'exigent que l'instruction moyenne, c'est-à-dire | | ou d'un ministre ; ces emplois n'exigent que l'instruction moyenne, c'est-à-dire |
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| pas au-dessus de ses forces), ou, en somme, qu'un savoir-faire dont tout le monde est | | pas au-dessus de ses forces), ou, en somme, qu'un savoir-faire dont tout le monde est |
| capable. | | capable. |
| | |
| Mais s'il est vrai que ces fonctions peuvent être exercées par tout homme quel | | Mais s'il est vrai que ces fonctions peuvent être exercées par tout homme quel |
| qu'il soit, ce n'est pourtant que la force unique de l'individu, propre exclusivement à | | qu'il soit, ce n'est pourtant que la force unique de l'individu, propre exclusivement à |
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| ordinaire qui ne fait que de la besogne humaine, mais encore comme un producteur | | ordinaire qui ne fait que de la besogne humaine, mais encore comme un producteur |
| d'unique. Faites payer de même votre propre travail. | | d'unique. Faites payer de même votre propre travail. |
| | |
| On ne peut appliquer à l'oeuvre de mon unicité un prix général comme à ce que je | | On ne peut appliquer à l'oeuvre de mon unicité un prix général comme à ce que je |
| fais en tant qu'homme. Ce n'est qu'en cette dernière qualité que je puis travailler à | | fais en tant qu'homme. Ce n'est qu'en cette dernière qualité que je puis travailler à |
| forfait. | | forfait. |
| | |
| Fixez donc, je le veux bien, une taxe générale pour les travaux humains, mais que | | Fixez donc, je le veux bien, une taxe générale pour les travaux humains, mais que |
| le contrat n'ait pas pour effet d'aliéner votre unicité. | | le contrat n'ait pas pour effet d'aliéner votre unicité. |
| | |
| Tes besoins humains ou généraux peuvent être satisfaits par la Société ; mais c'est | | Tes besoins humains ou généraux peuvent être satisfaits par la Société ; mais c'est |
| à Toi à chercher la satisfaction de tes besoins uniques. La Société ne peut ni te | | à Toi à chercher la satisfaction de tes besoins uniques. La Société ne peut ni te |
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| pas pour cela sur la Société, mais fais en sorte d'avoir de quoi — acheter la satisfaction | | pas pour cela sur la Société, mais fais en sorte d'avoir de quoi — acheter la satisfaction |
| de tes désirs. | | de tes désirs. |
| | |
| Faut-il que l'usage de l'argent soit conservé entre égoïstes ? À l'ancienne monnaie | | Faut-il que l'usage de l'argent soit conservé entre égoïstes ? À l'ancienne monnaie |
| s'attache la tare de la possession héréditaire. Ne la recevez plus en paiement, et elle | | s'attache la tare de la possession héréditaire. Ne la recevez plus en paiement, et elle |
Ligne 2 014 : |
Ligne 2 176 : |
| que l'héritier soit ou ne soit pas encore en possession. Si tout cela est à vous, pourquoi | | que l'héritier soit ou ne soit pas encore en possession. Si tout cela est à vous, pourquoi |
| le laisser mettre sous scellés, pourquoi vous inquiéter des sceaux ? | | le laisser mettre sous scellés, pourquoi vous inquiéter des sceaux ? |
| | |
| Mais à quoi bon créer un nouvel instrument ? Anéantissez-vous donc la marchandise | | Mais à quoi bon créer un nouvel instrument ? Anéantissez-vous donc la marchandise |
| parce que vous lui ôtez le cachet de l'hérédité ? Considérez la monnaie comme | | parce que vous lui ôtez le cachet de l'hérédité ? Considérez la monnaie comme |
| une marchandise ; à ce titre, elle est un précieux moyen, une richesse. Car elle | | une marchandise ; à ce titre, elle est un précieux moyen, une richesse. Car elle |
| empêche l'ankylose de la richesse, la maintient en circulation et en opère l'échange. Si | | empêche l'ankylose de la richesse, la maintient en circulation et en opère l'échange. Si |
| Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 221
| |
| vous connaissez un meilleur instrument d'échange, adoptez-le, je le veux bien ; mais | | vous connaissez un meilleur instrument d'échange, adoptez-le, je le veux bien ; mais |
| ce sera encore toujours l'« argent » sous une nouvelle forme. Ce n'est pas l'argent qui | | ce sera encore toujours l'« argent » sous une nouvelle forme. Ce n'est pas l'argent qui |
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Ligne 2 189 : |
| d'avoir « la volonté de bien travailler », ceux-là sont condamnés fatalement, et par | | d'avoir « la volonté de bien travailler », ceux-là sont condamnés fatalement, et par |
| leur faute, à devenir des — sans-travail. | | leur faute, à devenir des — sans-travail. |
| | |
| C'est de l'argent que dépend le bonheur et le malheur. Ce qui en fait une puissance | | C'est de l'argent que dépend le bonheur et le malheur. Ce qui en fait une puissance |
| dans la période bourgeoise, c'est qu'on ne fait que le courtiser comme une jeune fille, | | dans la période bourgeoise, c'est qu'on ne fait que le courtiser comme une jeune fille, |
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Ligne 2 196 : |
| enlèvement que les hardis chevaliers (d'industrie) conquièrent l'argent, objet de leur | | enlèvement que les hardis chevaliers (d'industrie) conquièrent l'argent, objet de leur |
| ardente passion. | | ardente passion. |
| | |
| Celui que la chance favorise emmène chez lui la fiancée. Le gueux introduit la | | Celui que la chance favorise emmène chez lui la fiancée. Le gueux introduit la |
| jeune fille dans son ménage qui est la « Société », et elle disparaît. Dans sa maison, | | jeune fille dans son ménage qui est la « Société », et elle disparaît. Dans sa maison, |
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Ligne 2 206 : |
| issue de Travail, son père. Les traits du visage, l'« effigie » présentent un caractère | | issue de Travail, son père. Les traits du visage, l'« effigie » présentent un caractère |
| nouveau. | | nouveau. |
| | |
| Revenons-en enfin encore une fois à la concurrence. La concurrence doit précisément | | Revenons-en enfin encore une fois à la concurrence. La concurrence doit précisément |
| son existence à ce que personne ne s'occupe de ses affaires et ne songe à | | son existence à ce que personne ne s'occupe de ses affaires et ne songe à |
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Ligne 2 214 : |
| indispensable fourniture à des boulangers qui se font concurrence. Et ainsi de la | | indispensable fourniture à des boulangers qui se font concurrence. Et ainsi de la |
| viande aux bouchers, du vin aux marchands de vin, etc. | | viande aux bouchers, du vin aux marchands de vin, etc. |
| | |
| Abolir le régime de la concurrence ne veut pas dire favoriser le régime de la corporation. | | Abolir le régime de la concurrence ne veut pas dire favoriser le régime de la corporation. |
| Voici la différence : dans la corporation, faire le pain, etc., est l'affaire des | | Voici la différence : dans la corporation, faire le pain, etc., est l'affaire des |
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Ligne 2 221 : |
| mienne, la vôtre : ce n'est l'affaire ni des compagnons, ni des boulangers patentés, | | mienne, la vôtre : ce n'est l'affaire ni des compagnons, ni des boulangers patentés, |
| mais bien celle des associés. | | mais bien celle des associés. |
| | |
| Si je ne m'inquiète pas de mes affaires, il faut bien que je me contente de ce qu'il | | Si je ne m'inquiète pas de mes affaires, il faut bien que je me contente de ce qu'il |
| plaît à d'autres de me donner. Or, avoir du pain est mon affaire, j'en veux, je ne puis | | plaît à d'autres de me donner. Or, avoir du pain est mon affaire, j'en veux, je ne puis |
Ligne 2 064 : |
Ligne 2 231 : |
| fabrication : c'est son affaire, sa propriété, et non la propriété des membres de telle | | fabrication : c'est son affaire, sa propriété, et non la propriété des membres de telle |
| corporation ou de tel patron patenté. | | corporation ou de tel patron patenté. |
| Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 222
| | |
| Jetons encore un regard en arrière. Le monde appartient aux enfants de ce monde, | | Jetons encore un regard en arrière. Le monde appartient aux enfants de ce monde, |
| aux enfants des hommes. Il n'est plus le monde de Dieu, mais le monde des hommes. | | aux enfants des hommes. Il n'est plus le monde de Dieu, mais le monde des hommes. |
Ligne 2 073 : |
Ligne 2 240 : |
| « criminelle », tandis que, au contraire, l'appropriation humaine est « juste » et se fait | | « criminelle », tandis que, au contraire, l'appropriation humaine est « juste » et se fait |
| par une « voie légale ». | | par une « voie légale ». |
| | |
| C'est ainsi qu'on parle depuis la Révolution. | | C'est ainsi qu'on parle depuis la Révolution. |
| | |
| Mais nulle chose n'est en elle-même ma propriété, vu qu'une chose a une existence | | Mais nulle chose n'est en elle-même ma propriété, vu qu'une chose a une existence |
| indépendante de moi ; seule ma puissance est à moi. Cet arbre n'est pas à moi ; | | indépendante de moi ; seule ma puissance est à moi. Cet arbre n'est pas à moi ; |
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Ligne 2 251 : |
| que la puissance n'est pas une entité, mais qu'elle n'a d'existence que comme puissance | | que la puissance n'est pas une entité, mais qu'elle n'a d'existence que comme puissance |
| du Moi, et qu'elle n'existe qu'en Moi, le puissant. | | du Moi, et qu'elle n'existe qu'en Moi, le puissant. |
| | |
| On élève la puissance, comme d'autres de mes propriétés (l'humanité, la majesté, | | On élève la puissance, comme d'autres de mes propriétés (l'humanité, la majesté, |
| etc.), au rang d' « être pour soi » (fürsichseiend), de sorte qu'elle ne cesse pas d'exister | | etc.), au rang d' « être pour soi » (fürsichseiend), de sorte qu'elle ne cesse pas d'exister |
Ligne 2 087 : |
Ligne 2 257 : |
| fantôme, la puissance est le — Droit. Cette puissance immortalisée ne s'éteint pas | | fantôme, la puissance est le — Droit. Cette puissance immortalisée ne s'éteint pas |
| même à ma mort, elle est transmissible (« héréditaire »). | | même à ma mort, elle est transmissible (« héréditaire »). |
| | |
| Il suit de là qu'en réalité les choses appartiennent non pas à Moi, mais au Droit. | | Il suit de là qu'en réalité les choses appartiennent non pas à Moi, mais au Droit. |
| | |
| Tout cela n'est qu'une vaine apparence pour un autre motif encore : la puissance | | Tout cela n'est qu'une vaine apparence pour un autre motif encore : la puissance |
| de l'individu ne devient permanente et ne devient un droit que pour autant que | | de l'individu ne devient permanente et ne devient un droit que pour autant que |
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Ligne 2 268 : |
| « pleins pouvoirs », on s'est dessaisi du pouvoir, on a renoncé à celui de prendre un | | « pleins pouvoirs », on s'est dessaisi du pouvoir, on a renoncé à celui de prendre un |
| meilleur parti. | | meilleur parti. |
| | |
| Le propriétaire peut renoncer à sa puissance et à son droit sur une chose en en | | Le propriétaire peut renoncer à sa puissance et à son droit sur une chose en en |
| faisant don, en la dissipant, etc. Et nous, nous ne pourrions pas également abandonner | | faisant don, en la dissipant, etc. Et nous, nous ne pourrions pas également abandonner |
| la puissance que nous lui avons prêtée ? | | la puissance que nous lui avons prêtée ? |
| | |
| L'homme selon le droit, l' « honnête homme », ne demande pas à faire sien ce qui | | L'homme selon le droit, l' « honnête homme », ne demande pas à faire sien ce qui |
| n'est pas à lui « de droit » ou ce à quoi il n'a pas droit ; il ne revendique que sa « propriété | | n'est pas à lui « de droit » ou ce à quoi il n'a pas droit ; il ne revendique que sa « propriété |
Ligne 2 109 : |
Ligne 2 283 : |
| mortellement ennemies : le Dieu et l'Homme. Les uns se réclament du droit divin, les | | mortellement ennemies : le Dieu et l'Homme. Les uns se réclament du droit divin, les |
| autres du droit humain ou des droits de l'homme. | | autres du droit humain ou des droits de l'homme. |
| Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 223
| | |
| Ce qui est clair, c'est que dans les deux cas l'individu ne crée pas lui-même son | | Ce qui est clair, c'est que dans les deux cas l'individu ne crée pas lui-même son |
| droit. | | droit. |
| | |
| Trouvez-moi donc aujourd'hui une seule action qui n'offense pas un droit ! À | | Trouvez-moi donc aujourd'hui une seule action qui n'offense pas un droit ! À |
| chaque instant les droits de l'homme sont foulés aux pieds par les uns, tandis que les | | chaque instant les droits de l'homme sont foulés aux pieds par les uns, tandis que les |
Ligne 2 122 : |
Ligne 2 297 : |
| discours sont des crimes, et toute entrave à votre liberté de discourir n'est pas moins | | discours sont des crimes, et toute entrave à votre liberté de discourir n'est pas moins |
| un crime. Vous êtes tous des criminels. | | un crime. Vous êtes tous des criminels. |
| | |
| Cependant, vous ne l'êtes que parce que vous vous tenez tous sur le terrain du | | Cependant, vous ne l'êtes que parce que vous vous tenez tous sur le terrain du |
| droit, c'est-à-dire parce que vous ne savez pas que vous êtes criminels et ne savez pas | | droit, c'est-à-dire parce que vous ne savez pas que vous êtes criminels et ne savez pas |
| vous en féliciter. | | vous en féliciter. |
| | |
| La propriété inviolable ou sacrée a pris naissance sur ce même terrain ; elle est la | | La propriété inviolable ou sacrée a pris naissance sur ce même terrain ; elle est la |
| fille spirituelle du Droit. Le chien qui voit un os en la puissance d'un autre n'y renonce | | fille spirituelle du Droit. Le chien qui voit un os en la puissance d'un autre n'y renonce |
Ligne 2 133 : |
Ligne 2 310 : |
| qu'il se montre mais qu'on ne peut pas tuer. Ce qui est humain, c'est de voir dans tout | | qu'il se montre mais qu'on ne peut pas tuer. Ce qui est humain, c'est de voir dans tout |
| objet particulier non pas quelque chose de particulier, mais quelque chose de général. | | objet particulier non pas quelque chose de particulier, mais quelque chose de général. |
| | |
| Je ne dois plus à la nature, comme telle, aucun respect ; je sais que j'ai à son égard | | Je ne dois plus à la nature, comme telle, aucun respect ; je sais que j'ai à son égard |
| tous les droits. Mais je suis tenu de respecter dans l'arbre du jardin que voilà sa | | tous les droits. Mais je suis tenu de respecter dans l'arbre du jardin que voilà sa |
Ligne 2 147 : |
Ligne 2 325 : |
| exorcisons donc l'esprit d'étrangèreté qui nous avait fait d'abord reculer d'effroi | | exorcisons donc l'esprit d'étrangèreté qui nous avait fait d'abord reculer d'effroi |
| devant elle. | | devant elle. |
| | |
| Mais il est indispensable pour cela que je ne prétende à rien en qualité d'Homme, | | Mais il est indispensable pour cela que je ne prétende à rien en qualité d'Homme, |
| mais seulement en qualité de Moi, de ce Moi que je suis ; je ne prétendrai par conséquent | | mais seulement en qualité de Moi, de ce Moi que je suis ; je ne prétendrai par conséquent |
Ligne 2 152 : |
Ligne 2 331 : |
| de ce qui me revient en tant qu'homme, mais à — ce que je veux, et parce que je le | | de ce qui me revient en tant qu'homme, mais à — ce que je veux, et parce que je le |
| veux. | | veux. |
| | |
| Donc, une chose ne sera la juste et légitime propriété d'un autre que quand il sera | | Donc, une chose ne sera la juste et légitime propriété d'un autre que quand il sera |
| juste pour toi qu'elle soit la propriété de cet autre. Dès qu'il ne te convient plus qu'il | | juste pour toi qu'elle soit la propriété de cet autre. Dès qu'il ne te convient plus qu'il |
| Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 224
| |
| en soit ainsi, la légitimité disparaît à tes yeux, et il ne te reste plus qu'à rire du droit | | en soit ainsi, la légitimité disparaît à tes yeux, et il ne te reste plus qu'à rire du droit |
| absolu du propriétaire. | | absolu du propriétaire. |
| | |
| Outre la propriété au sens restreint dont nous nous sommes entretenus jusqu'à | | Outre la propriété au sens restreint dont nous nous sommes entretenus jusqu'à |
| présent, il en est une autre qui s'impose à notre vénération et contre laquelle il nous | | présent, il en est une autre qui s'impose à notre vénération et contre laquelle il nous |
Ligne 2 167 : |
Ligne 2 347 : |
| l'idole, la faculté de vénération de celui qui la tient pour sacrée est elle-même sacrée | | l'idole, la faculté de vénération de celui qui la tient pour sacrée est elle-même sacrée |
| et on doit s'incliner devant elle. | | et on doit s'incliner devant elle. |
| | |
| Dans des temps plus barbares que les nôtres, on avait coutume d'exiger de chacun | | Dans des temps plus barbares que les nôtres, on avait coutume d'exiger de chacun |
| une certaine foi et une dévotion à un certain objet sacré ; on n'y allait pas de main | | une certaine foi et une dévotion à un certain objet sacré ; on n'y allait pas de main |
Ligne 2 173 : |
Ligne 2 354 : |
| qu'on désigne sous le nom plus vague d' « être suprême »; la tolérance humaine se | | qu'on désigne sous le nom plus vague d' « être suprême »; la tolérance humaine se |
| déclare satisfaite du moment que chacun révère un « objet sacré » quel qu'il soit. | | déclare satisfaite du moment que chacun révère un « objet sacré » quel qu'il soit. |
| | |
| Ramené à son expression la plus humaine, cet objet sacré est l' « Homme luimême | | Ramené à son expression la plus humaine, cet objet sacré est l' « Homme luimême |
| » et l' « humain ». Car c'est une illusion de croire que l'humain est tout à fait | | » et l' « humain ». Car c'est une illusion de croire que l'humain est tout à fait |
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Ligne 2 364 : |
| empêché d'entendre le cri de douleur de l'égoïsme ; c'est ainsi qu'on a pris pour notre | | empêché d'entendre le cri de douleur de l'égoïsme ; c'est ainsi qu'on a pris pour notre |
| vrai moi un fantôme devenu si bon homme. | | vrai moi un fantôme devenu si bon homme. |
| | |
| Mais « le Sacré s'appelle Humain », dit Goethe, et l'humain n'est que le sacré à sa | | Mais « le Sacré s'appelle Humain », dit Goethe, et l'humain n'est que le sacré à sa |
| plus haute puissance. | | plus haute puissance. |
| | |
| L'égoïste s'exprime tout autrement. C'est justement parce que tu tiens quelque | | L'égoïste s'exprime tout autrement. C'est justement parce que tu tiens quelque |
| chose pour sacré que je te trouve ridicule, et en admettant même que je veuille tout | | chose pour sacré que je te trouve ridicule, et en admettant même que je veuille tout |
| respecter en toi, c'est précisément ton sanctuaire intérieur que je ne respecterais pas. | | respecter en toi, c'est précisément ton sanctuaire intérieur que je ne respecterais pas. |
| | |
| À ces manières de voir si opposées correspondent naturellement des conduites | | À ces manières de voir si opposées correspondent naturellement des conduites |
| différentes envers les biens spirituels : l'égoïste les attaque ; le religieux (c'est-à-dire | | différentes envers les biens spirituels : l'égoïste les attaque ; le religieux (c'est-à-dire |
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Ligne 2 379 : |
| qui craint Dieu, par exemple, a plus à défendre que celui qui craint l'Homme, que le | | qui craint Dieu, par exemple, a plus à défendre que celui qui craint l'Homme, que le |
| Libéral. | | Libéral. |
| | |
| Quand on nous offense dans nos biens spirituels, ce n'est plus comme lorsqu'on | | Quand on nous offense dans nos biens spirituels, ce n'est plus comme lorsqu'on |
| nous lésait dans nos biens matériels : ici, l'offense est spirituelle, le péché commis | | nous lésait dans nos biens matériels : ici, l'offense est spirituelle, le péché commis |
Ligne 2 204 : |
Ligne 2 390 : |
| c'est-à-dire envers ce que nous tenons pour sacré ; et la raillerie, l'insulte, le mépris, le | | c'est-à-dire envers ce que nous tenons pour sacré ; et la raillerie, l'insulte, le mépris, le |
| scepticisme, etc., ne sont que des nuances différentes de la criminelle impiété. | | scepticisme, etc., ne sont que des nuances différentes de la criminelle impiété. |
| *
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| | |
| Sans nous occuper des multiples façons dont le sacrilège peut se commettre, nous | | Sans nous occuper des multiples façons dont le sacrilège peut se commettre, nous |
| ne rappellerons ici que celle qui met en danger la sainteté par le fait d'une presse trop | | ne rappellerons ici que celle qui met en danger la sainteté par le fait d'une presse trop |
| libre. | | libre. |
| | |
| Tant qu'on exigera encore du respect pour le moindre être spirituel, la parole et la | | Tant qu'on exigera encore du respect pour le moindre être spirituel, la parole et la |
| presse devront être enchaînées au nom de cet être; car l'égoïste pourrait par ses | | presse devront être enchaînées au nom de cet être; car l'égoïste pourrait par ses |
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Ligne 2 401 : |
| « pénalités convenables », à moins qu'on ne préfère recourir au moyen plus judicieux | | « pénalités convenables », à moins qu'on ne préfère recourir au moyen plus judicieux |
| que fournit la puissance préventive de la police, c'est-à-dire à la censure. | | que fournit la puissance préventive de la police, c'est-à-dire à la censure. |
| | |
| Combien de gens nous entendons tous les jours appeler à grands cris la liberté de | | Combien de gens nous entendons tous les jours appeler à grands cris la liberté de |
| la presse ! Or, de quoi la presse doit-elle être libre ? Sans doute d'une dépendance, | | la presse ! Or, de quoi la presse doit-elle être libre ? Sans doute d'une dépendance, |
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| ou je permets qu'on trace autour de mes publications une limite au-delà de laquelle | | ou je permets qu'on trace autour de mes publications une limite au-delà de laquelle |
| commencent le délit et la répression. C'est moi-même qui restreint ma liberté. | | commencent le délit et la répression. C'est moi-même qui restreint ma liberté. |
| | |
| Pour que la presse fût libre, il serait indispensable qu'aucune contrainte ne pût lui | | Pour que la presse fût libre, il serait indispensable qu'aucune contrainte ne pût lui |
| être imposée au nom d'une loi. Et pour en arriver là, il faudrait que moi-même je me | | être imposée au nom d'une loi. Et pour en arriver là, il faudrait que moi-même je me |
| fusse affranchi de l'obéissance à la loi. | | fusse affranchi de l'obéissance à la loi. |
| | |
| En vérité, la liberté absolue de la presse est une chimère, comme toute liberté | | En vérité, la liberté absolue de la presse est une chimère, comme toute liberté |
| absolue. La presse peut être libre de bien des choses, mais elle ne le sera jamais que | | absolue. La presse peut être libre de bien des choses, mais elle ne le sera jamais que |
| de ce dont je serai moi-même libre. Affranchissons-nous de tout ce qui est sacré, | | de ce dont je serai moi-même libre. Affranchissons-nous de tout ce qui est sacré, |
| soyons sans foi et sans loi, et nos discours le seront aussi. | | soyons sans foi et sans loi, et nos discours le seront aussi. |
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| Nous ne pouvons pas plus affranchir nos écrits de toute contrainte que nous ne | | Nous ne pouvons pas plus affranchir nos écrits de toute contrainte que nous ne |
| pouvons être nous-mêmes affranchis de tout. Mais nous pouvons les faire aussi libres | | pouvons être nous-mêmes affranchis de tout. Mais nous pouvons les faire aussi libres |
| que nous le sommes. Il faut pour cela qu'ils soient notre propriété, au lieu d'être, | | que nous le sommes. Il faut pour cela qu'ils soient notre propriété, au lieu d'être, |
| comme ils l'ont été jusqu'ici, au service d'un fantôme. | | comme ils l'ont été jusqu'ici, au service d'un fantôme. |
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| On ne se rend pas bien compte de ce qu'on demande en réclamant la liberté de la | | On ne se rend pas bien compte de ce qu'on demande en réclamant la liberté de la |
| presse. Ce que prétendument on désire, c'est que l'État rende la presse libre ; mais ce | | presse. Ce que prétendument on désire, c'est que l'État rende la presse libre ; mais ce |
| Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 226
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| qu'on veut en réalité et sans s'en douter, c'est que la presse soit affranchie de l'État ou | | qu'on veut en réalité et sans s'en douter, c'est que la presse soit affranchie de l'État ou |
| n'ait plus à compter avec lui. Le voeu conscient est une pétition que l'on adresse à | | n'ait plus à compter avec lui. Le voeu conscient est une pétition que l'on adresse à |
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| sacrée » et appelleraient sur celui qui se le permettrait les sévérités d'une loi sur la | | sacrée » et appelleraient sur celui qui se le permettrait les sévérités d'une loi sur la |
| presse. | | presse. |
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| En un mot, il est impossible que la presse soit libre de ce dont je ne suis pas libre | | En un mot, il est impossible que la presse soit libre de ce dont je ne suis pas libre |
| moi-même. | | moi-même. |
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| Ce que j'en dis va peut-être me faire passer pour un adversaire de la liberté de la | | Ce que j'en dis va peut-être me faire passer pour un adversaire de la liberté de la |
| presse ? Loin de là ! J'affirme seulement qu'on ne l'obtiendra jamais tant qu'on ne | | presse ? Loin de là ! J'affirme seulement qu'on ne l'obtiendra jamais tant qu'on ne |
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| par la liberté de la presse) l'usage que vous faites de la presse, vous vivrez dans de | | par la liberté de la presse) l'usage que vous faites de la presse, vous vivrez dans de |
| vaines espérances et de vaines récriminations. | | vaines espérances et de vaines récriminations. |
| | |
| « Absurdité ! Vous qui nourrissez des pensées comme on en voit dans votre livre, | | « Absurdité ! Vous qui nourrissez des pensées comme on en voit dans votre livre, |
| vous ne parviendrez à leur donner de publicité que grâce à un heureux hasard ou à | | vous ne parviendrez à leur donner de publicité que grâce à un heureux hasard ou à |
| force d'artifices. Et c'est vous qui voulez vous opposer à ce qu'on harcèle, qu'on | | force d'artifices. Et c'est vous qui voulez vous opposer à ce qu'on harcèle, qu'on |
| importune l'État jusqu'à ce qu'il accorde enfin la liberté d'imprimer ? » | | importune l'État jusqu'à ce qu'il accorde enfin la liberté d'imprimer ? » |
| | |
| Il se pourrait qu'un auteur à qui on tiendrait ce langage répondît — car jusqu'où ne | | Il se pourrait qu'un auteur à qui on tiendrait ce langage répondît — car jusqu'où ne |
| va pas l'insolence de ces gens ? — de la manière suivante : | | va pas l'insolence de ces gens ? — de la manière suivante : |
| | |
| —Réfléchissez bien à ce que vous dites ! Que fais-je donc en vue de me procurer | | —Réfléchissez bien à ce que vous dites ! Que fais-je donc en vue de me procurer |
| pour mon livre la liberté de la presse ? Est-ce que je demande une permission ? Ne | | pour mon livre la liberté de la presse ? Est-ce que je demande une permission ? Ne |
| me voit-on pas, au contraire, sans me soucier de la légalité, guetter une occasion | | me voit-on pas, au contraire, sans me soucier de la légalité, guetter une occasion |
| favorable, et la saisir sans aucun égard pour l'État et ses désirs ? | | favorable, et la saisir sans aucun égard pour l'État et ses désirs ? |
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| « Oui ! je trompe — puisqu'il faut que le mot terrible soit prononcé — je trompe | | « Oui ! je trompe — puisqu'il faut que le mot terrible soit prononcé — je trompe |
| l'État. | | l'État. |
| | |
| « Et vous, sans vous en douter, vous en faites autant. Vous lui persuadez du haut | | « Et vous, sans vous en douter, vous en faites autant. Vous lui persuadez du haut |
| de vos tribunes qu'il doit faire le sacrifice de sa sainteté et de son invulnérabilité, qu'il | | de vos tribunes qu'il doit faire le sacrifice de sa sainteté et de son invulnérabilité, qu'il |
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| redouter. Eh bien ! vous l'abusez ; car c'en sera fait de son existence aussitôt qu'il aura | | redouter. Eh bien ! vous l'abusez ; car c'en sera fait de son existence aussitôt qu'il aura |
| perdu son inviolabilité. | | perdu son inviolabilité. |
| | |
| « Il est vrai qu'à vous il pourrait bien concéder la liberté d'écrire comme l'a fait | | « Il est vrai qu'à vous il pourrait bien concéder la liberté d'écrire comme l'a fait |
| l'Angleterre : Vous êtes les dévots de l'État, vous êtes incapables d'écrire contre lui, | | l'Angleterre : Vous êtes les dévots de l'État, vous êtes incapables d'écrire contre lui, |
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| déchaîner contre l'Église, l'État, les Moeurs, et pour assaillir le « sacro-saint » | | déchaîner contre l'Église, l'État, les Moeurs, et pour assaillir le « sacro-saint » |
| d'implacables arguments ? Vous seriez alors les premiers à trembler et à appeler à la | | d'implacables arguments ? Vous seriez alors les premiers à trembler et à appeler à la |
| Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 227
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| vie des lois de septembre. Vous vous repentiriez, trop tard, de la sottise qui vous | | vie des lois de septembre. Vous vous repentiriez, trop tard, de la sottise qui vous |
| aurait poussés à enjôler et à aveugler l'État ou le Gouvernement. | | aurait poussés à enjôler et à aveugler l'État ou le Gouvernement. |
| | |
| « Mais ma conduite à moi ne prouve que deux choses. D'abord ceci, que la liberté | | « Mais ma conduite à moi ne prouve que deux choses. D'abord ceci, que la liberté |
| de la presse est toujours inséparable de « circonstances favorables » et ne peut, par | | de la presse est toujours inséparable de « circonstances favorables » et ne peut, par |
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| contre l'État son propre intérêt et en se mettant, soi et sa volonté, au-dessus de l'État et | | contre l'État son propre intérêt et en se mettant, soi et sa volonté, au-dessus de l'État et |
| de toute « puissance supérieure ». | | de toute « puissance supérieure ». |
| | |
| « Ce n'est pas dans l'État, ce n'est que contre l'État que la liberté de la presse peut | | « Ce n'est pas dans l'État, ce n'est que contre l'État que la liberté de la presse peut |
| être conquise. Et si cette liberté règne jamais, ce n'est pas à la suite d'une prière, mais | | être conquise. Et si cette liberté règne jamais, ce n'est pas à la suite d'une prière, mais |
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| morale ou de la loi. Liberté vis-à-vis de la contrainte de la censure, elle n'est pas | | morale ou de la loi. Liberté vis-à-vis de la contrainte de la censure, elle n'est pas |
| liberté vis-à-vis de la contrainte de la loi. | | liberté vis-à-vis de la contrainte de la loi. |
| | |
| « La presse, une fois saisie du désir de la liberté, veut devenir toujours plus libre | | « La presse, une fois saisie du désir de la liberté, veut devenir toujours plus libre |
| jusqu'à ce qu'enfin l'écrivain se dise : Puisque je ne suis tout à fait libre que quand je | | jusqu'à ce qu'enfin l'écrivain se dise : Puisque je ne suis tout à fait libre que quand je |
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| elle doit être à Moi ! L'individualité, la propriété de la presse, voilà ce que je veux | | elle doit être à Moi ! L'individualité, la propriété de la presse, voilà ce que je veux |
| m'assurer. | | m'assurer. |
| | |
| « Une liberté de la presse n'est qu'un permis d'imprimer que me délivre l'État, et | | « Une liberté de la presse n'est qu'un permis d'imprimer que me délivre l'État, et |
| l'État ne permettra jamais, et il ne peut jamais librement permettre, que j'emploie la | | l'État ne permettra jamais, et il ne peut jamais librement permettre, que j'emploie la |
| presse à l'anéantir. | | presse à l'anéantir. |
| | |
| « Exprimons-nous donc plutôt de la manière suivante, pour éviter ce que le terme | | « Exprimons-nous donc plutôt de la manière suivante, pour éviter ce que le terme |
| « liberté de la presse » a pu laisser jusqu'ici de vague dans nos paroles : La liberté de | | « liberté de la presse » a pu laisser jusqu'ici de vague dans nos paroles : La liberté de |
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| aux politiciens libéraux : en Allemagne, par exemple, ils ne demandent qu'« une | | aux politiciens libéraux : en Allemagne, par exemple, ils ne demandent qu'« une |
| tolérance plus large, plus étendue, de la parole libre ». | | tolérance plus large, plus étendue, de la parole libre ». |
| | |
| « La liberté de la presse qu'on sollicite est une liberté qui doit appartenir au | | « La liberté de la presse qu'on sollicite est une liberté qui doit appartenir au |
| Peuple, et tant que le Peuple (l'État) ne la possède pas, je ne puis en faire aucun usage. | | Peuple, et tant que le Peuple (l'État) ne la possède pas, je ne puis en faire aucun usage. |
| Mais si on se place au point de vue de la propriété de la presse, les choses se présenMax | | Mais si on se place au point de vue de la propriété de la presse, les choses se présenMax |
| Stirner (1845), L’unique et sa propriété 228
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| tent sous un jour différent. Bien que mon Peuple soit privé de la liberté de la presse, | | tent sous un jour différent. Bien que mon Peuple soit privé de la liberté de la presse, |
| je me procure par ruse ou par violence le moyen d'imprimer ; je ne demande la | | je me procure par ruse ou par violence le moyen d'imprimer ; je ne demande la |
| permission d'imprimer qu'à — Moi et à ma force. | | permission d'imprimer qu'à — Moi et à ma force. |
| | |
| « Dès que la presse est à Moi, il ne me faut pas plus d'autorisation de l'État pour | | « Dès que la presse est à Moi, il ne me faut pas plus d'autorisation de l'État pour |
| en user qu'il ne m'en faut pour me moucher. Et la presse est ma propriété à partir du | | en user qu'il ne m'en faut pour me moucher. Et la presse est ma propriété à partir du |
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| feraient aucun cas ? Ce serait un rêve, une illusion, tout comme l' « unité de | | feraient aucun cas ? Ce serait un rêve, une illusion, tout comme l' « unité de |
| l'Allemagne ». | | l'Allemagne ». |
| | |
| « La presse est à Moi dès que je m'appartiens, dès que je suis mon propriétaire : | | « La presse est à Moi dès que je m'appartiens, dès que je suis mon propriétaire : |
| Le monde est à l'égoïste, parce que l'égoïste n'appartient à aucune puissance du | | Le monde est à l'égoïste, parce que l'égoïste n'appartient à aucune puissance du |
| monde. | | monde. |
| | |
| « Cela étant, il se peut très bien que la presse, quoique mienne, soit encore très | | « Cela étant, il se peut très bien que la presse, quoique mienne, soit encore très |
| peu libre, comme c'est le cas en ce moment. Mais le monde est grand, et on se tire | | peu libre, comme c'est le cas en ce moment. Mais le monde est grand, et on se tire |
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| comme je veux affirmer ma propriété, il faut bien que j'en vienne aux mains avec mes | | comme je veux affirmer ma propriété, il faut bien que j'en vienne aux mains avec mes |
| ennemis. | | ennemis. |
| | |
| — N'accepterais-tu pas leur permission si on te l’accordait ? | | — N'accepterais-tu pas leur permission si on te l’accordait ? |
| | |
| — Oui, certes, et avec plaisir, car leur permission me prouverait que je les ai | | — Oui, certes, et avec plaisir, car leur permission me prouverait que je les ai |
| aveuglés et que je les mène à l'abîme. Ce n'est pas leur permission que je veux, mais | | aveuglés et que je les mène à l'abîme. Ce n'est pas leur permission que je veux, mais |
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| sollicite, c'est pour m'en faire une arme contre eux, c'est pour faire disparaître ceux-là | | sollicite, c'est pour m'en faire une arme contre eux, c'est pour faire disparaître ceux-là |
| mêmes qui me l'auront accordée. | | mêmes qui me l'auront accordée. |
| | |
| « J'agis consciemment comme un ennemi, je prends mes avantages et je profite de | | « J'agis consciemment comme un ennemi, je prends mes avantages et je profite de |
| leur imprévoyance. | | leur imprévoyance. |
| | |
| « La presse n'est à moi que si j'en use sans reconnaître absolument aucun juge en | | « La presse n'est à moi que si j'en use sans reconnaître absolument aucun juge en |
| dehors de moi-même, c'est-à-dire que si je ne suis plus déterminé ni par la religion, ni | | dehors de moi-même, c'est-à-dire que si je ne suis plus déterminé ni par la religion, ni |
| par la morale, ni par le respect des lois de l'État, etc., mais par Moi seul et par mon | | par la morale, ni par le respect des lois de l'État, etc., mais par Moi seul et par mon |
| égoïsme ! » | | égoïsme ! » |
| | |
| Qu'avez-vous à répliquer à celui qui vous fait une réponse si insolente ? Mais | | Qu'avez-vous à répliquer à celui qui vous fait une réponse si insolente ? Mais |
| peut-être la question sera-t-elle mieux posée sous la forme suivante : À qui est la | | peut-être la question sera-t-elle mieux posée sous la forme suivante : À qui est la |
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| affranchie des lois, c'est-à-dire indépendante de la volonté du Peuple (de la volonté de | | affranchie des lois, c'est-à-dire indépendante de la volonté du Peuple (de la volonté de |
| l'État). | | l'État). |
| Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 229
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| Mais une fois devenue la propriété du Peuple, la presse est encore bien loin d'être | | Mais une fois devenue la propriété du Peuple, la presse est encore bien loin d'être |
| ma propriété ; sa liberté conserve par rapport à moi le sens de permission. C'est au | | ma propriété ; sa liberté conserve par rapport à moi le sens de permission. C'est au |
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| ont le coeur et la tête durs, tout comme les plus farouches despotes et les esclaves | | ont le coeur et la tête durs, tout comme les plus farouches despotes et les esclaves |
| qu'ils emploient. | | qu'ils emploient. |
| | |
| Edgar Bauer, dans ses Revendications libérales, soutient que la liberté de la presse | | Edgar Bauer, dans ses Revendications libérales, soutient que la liberté de la presse |
| est impossible dans les États absolus ou constitutionnels, mais qu'elle a sa place tout | | est impossible dans les États absolus ou constitutionnels, mais qu'elle a sa place tout |
| indiquée dans les « États libres ». Dans ceux-ci, dit-il, l'individu a le droit d'exprimer | | indiquée dans les « États libres ». Dans ceux-ci, dit-il, l'individu a le droit d'exprimer |
| tout ce qu'il pense, et ce droit ne lui est pas contesté parce qu'il n'est plus seulement | | tout ce qu'il pense, et ce droit ne lui est pas contesté parce qu'il n'est plus seulement |
| un individu isolé, mais bien un membre solidaire d'un tout réel et intelligent 1. Ce | | un individu isolé, mais bien un membre solidaire d'un tout réel et intelligent <ref>II, p. 91 sqq.</ref>. Ce |
| n'est donc pas l'individu mais le membre qui jouit de la liberté de la presse. Mais si, | | n'est donc pas l'individu mais le membre qui jouit de la liberté de la presse. Mais si, |
| pour jouir de la liberté de la presse, il faut que l'individu ait prouvé sa fidélité à la | | pour jouir de la liberté de la presse, il faut que l'individu ait prouvé sa fidélité à la |
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| propre énergie : elle est une liberté du peuple, une liberté qui ne lui est accordée à lui, | | propre énergie : elle est une liberté du peuple, une liberté qui ne lui est accordée à lui, |
| individu, qu'en raison de sa fidélité et de sa qualité de sociétaire. | | individu, qu'en raison de sa fidélité et de sa qualité de sociétaire. |
| | |
| Au contraire, ce n'est que comme individu que chacun peut être libre d'exprimer | | Au contraire, ce n'est que comme individu que chacun peut être libre d'exprimer |
| sa pensée. Mais il n'en a pas le « droit », et cette liberté n'est pas « son droit sacré »; il | | sa pensée. Mais il n'en a pas le « droit », et cette liberté n'est pas « son droit sacré »; il |
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| contre le Peuple — mon ennemi ; je ne l'obtiens que si je la conquière réellement, si | | contre le Peuple — mon ennemi ; je ne l'obtiens que si je la conquière réellement, si |
| je la prends. Et si je la prends, c'est qu'elle est ma propriété. | | je la prends. Et si je la prends, c'est qu'elle est ma propriété. |
| | |
| Sander, que combat Edgar Bauer, considère la liberté de la presse comme « le | | Sander, que combat Edgar Bauer, considère la liberté de la presse comme « le |
| droit et la liberté du citoyen dans l'État ». Bauer ne dit rien d'autre. Pour lui aussi elle | | droit et la liberté du citoyen dans l'État ». Bauer ne dit rien d'autre. Pour lui aussi elle |
| n'est que le droit du citoyen libre. | | n'est que le droit du citoyen libre. |
| | |
| On réclame encore la liberté de la presse comme un « droit commun à tous les | | On réclame encore la liberté de la presse comme un « droit commun à tous les |
| hommes ». À cela il a été objecté que tous les hommes ne savent pas en faire bon | | hommes ». À cela il a été objecté que tous les hommes ne savent pas en faire bon |
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| établissant qu'il est vraiment Homme, car ce n'est pas à l'individu, c'est à | | établissant qu'il est vraiment Homme, car ce n'est pas à l'individu, c'est à |
| l'Homme qu'il accorde la liberté de la presse. | | l'Homme qu'il accorde la liberté de la presse. |
| 1 II, p. 91 sqq.
| | |
| Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 230
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| C'est justement sous le prétexte que cela n'est pas humain qu'on m'a enlevé ce qui | | C'est justement sous le prétexte que cela n'est pas humain qu'on m'a enlevé ce qui |
| est à Moi ! Et on m'a laissé ce qui est à l'Homme. | | est à Moi ! Et on m'a laissé ce qui est à l'Homme. |
| | |
| La liberté de la presse ne peut produire qu'une presse responsable. Une presse | | La liberté de la presse ne peut produire qu'une presse responsable. Une presse |
| irresponsable ne peut naître que de la propriété de la presse. | | irresponsable ne peut naître que de la propriété de la presse. |
| *
| | |
| **
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| Les relations des hommes entre eux sont régies, pour tous ceux qui vivent religieusement, | | Les relations des hommes entre eux sont régies, pour tous ceux qui vivent religieusement, |
| par une loi formelle dont on peut bien parfois, au risque de pécher, | | par une loi formelle dont on peut bien parfois, au risque de pécher, |
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| de l'amour, leur amour est même plus profond et plus pur : ils aiment l'Homme et | | de l'amour, leur amour est même plus profond et plus pur : ils aiment l'Homme et |
| l'Humanité. | | l'Humanité. |
| | |
| Si nous tâchons de formuler le sens de cette loi, nous dirons à peu près : Chaque | | Si nous tâchons de formuler le sens de cette loi, nous dirons à peu près : Chaque |
| homme doit tenir quelque chose pour plus que lui-même. Tu dois oublier ton « intérêt | | homme doit tenir quelque chose pour plus que lui-même. Tu dois oublier ton « intérêt |
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| etc., doivent être pour toi plus que toi-même, et ton « intérêt privé » doit s'effacer | | etc., doivent être pour toi plus que toi-même, et ton « intérêt privé » doit s'effacer |
| devant leur intérêt ; car il ne faut pas être un — égoïste ! | | devant leur intérêt ; car il ne faut pas être un — égoïste ! |
| | |
| L'Amour est un commandement religieux d'une grande portée ; il ne se borne pas | | L'Amour est un commandement religieux d'une grande portée ; il ne se borne pas |
| à l'amour de Dieu et des hommes, mais il préside à tous nos rapports. Quoi que nous | | à l'amour de Dieu et des hommes, mais il préside à tous nos rapports. Quoi que nous |
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| N'est-ce pas comme si on disait : il ne faut pas que sa critique l'anéantisse, il doit la | | N'est-ce pas comme si on disait : il ne faut pas que sa critique l'anéantisse, il doit la |
| laisser subsister, et subsister en tant que chose sacrée et indestructible ? | | laisser subsister, et subsister en tant que chose sacrée et indestructible ? |
| | |
| Il en est de même de notre critique des hommes : l'amour doit en rester la tonique | | Il en est de même de notre critique des hommes : l'amour doit en rester la tonique |
| invariable. Il est certain que les jugements que nous dicte la haine ne sont pas nos | | invariable. Il est certain que les jugements que nous dicte la haine ne sont pas nos |
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| indulgents », mais ce ne sont pas nos propres jugements, ni par conséquent, réellement, | | indulgents », mais ce ne sont pas nos propres jugements, ni par conséquent, réellement, |
| des jugements. | | des jugements. |
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| Celui qui brûle d'amour pour la justice s'écrie : fiat justitia, pereat mundus ! Il lui | | Celui qui brûle d'amour pour la justice s'écrie : fiat justitia, pereat mundus ! Il lui |
| est permis de se demander et d'examiner ce que c'est, à proprement parler, que la | | est permis de se demander et d'examiner ce que c'est, à proprement parler, que la |
| justice, ce qu'elle exige et en quoi elle consiste, mais non pas si elle est quelque | | justice, ce qu'elle exige et en quoi elle consiste, mais non pas si elle est quelque |
| chose. | | chose. |
| Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 231
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| Il est bien vrai que « Celui qui demeure dans l'amour, celui-là demeure en Dieu et | | Il est bien vrai que « Celui qui demeure dans l'amour, celui-là demeure en Dieu et |
| Dieu en lui » (ler ép. de Jean, IV, 16). Le Dieu demeure en lui, il ne peut s'en défaire et | | Dieu en lui » (ler ép. de Jean, IV, 16). Le Dieu demeure en lui, il ne peut s'en défaire et |
| devenir sans dieu, et lui-même demeure en Dieu, il reste confiné dans l'amour de Dieu | | devenir sans dieu, et lui-même demeure en Dieu, il reste confiné dans l'amour de Dieu |
| et ne peut devenir sans amour. | | et ne peut devenir sans amour. |
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| « Dieu est l'Amour ! » Tous les siècles et toutes les générations reconnaissent | | « Dieu est l'Amour ! » Tous les siècles et toutes les générations reconnaissent |
| dans cette parole le fondement du Christianisme. Mais ce Dieu qui est amour est un | | dans cette parole le fondement du Christianisme. Mais ce Dieu qui est amour est un |
| Dieu importun : il ne peut pas laisser le monde en repos, il veut lui infuser la sainteté. | | Dieu importun : il ne peut pas laisser le monde en repos, il veut lui infuser la sainteté. |
| « Dieu s'est fait homme pour rendre les hommes divins 1. » Sa main se retrouve | | « Dieu s'est fait homme pour rendre les hommes divins <ref> Athanase.</ref>.» Sa main se retrouve |
| partout, et rien n'arrive que par lui. En tout se révèlent ses « desseins excellents », ses | | partout, et rien n'arrive que par lui. En tout se révèlent ses « desseins excellents », ses |
| « vues et ses décrets impénétrables ». La raison, qui est lui-même, doit aussi se | | « vues et ses décrets impénétrables ». La raison, qui est lui-même, doit aussi se |
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Ligne 2 698 : |
| combat la déraison et l'irrationnel. Dieu ne laisse aucun être suivre la voie qui lui | | combat la déraison et l'irrationnel. Dieu ne laisse aucun être suivre la voie qui lui |
| est propre, et l'Homme ne veut nous permettre qu'une conduite humaine. | | est propre, et l'Homme ne veut nous permettre qu'une conduite humaine. |
| | |
| Mais celui qui est pénétré de l'amour sacré (religieux, moral, humain) n'a d'amour | | Mais celui qui est pénétré de l'amour sacré (religieux, moral, humain) n'a d'amour |
| que pour le fantôme, pour le « véritable Homme », et il persécute l'individu, l'homme | | que pour le fantôme, pour le « véritable Homme », et il persécute l'individu, l'homme |
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Ligne 2 706 : |
| pas fantôme, c'est-à-dire l'égoïste ou l'individuel. Tel est le sens de cette fameuse | | pas fantôme, c'est-à-dire l'égoïste ou l'individuel. Tel est le sens de cette fameuse |
| manifestation de l'Amour qu'on nomme « Justice ». | | manifestation de l'Amour qu'on nomme « Justice ». |
| | |
| L'accusé n'a aucun ménagement à espérer, pas une âme compatissante ne jettera | | L'accusé n'a aucun ménagement à espérer, pas une âme compatissante ne jettera |
| un voile sur sa triste nudité. Sans émotion, le juge austère arrache au pauvre condamné | | un voile sur sa triste nudité. Sans émotion, le juge austère arrache au pauvre condamné |
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Ligne 2 718 : |
| succombe, et où celle-ci règne, ceux-là doivent tomber. Leur antagonisme est | | succombe, et où celle-ci règne, ceux-là doivent tomber. Leur antagonisme est |
| impérissable. | | impérissable. |
| | |
| L'ère chrétienne est l'ère de la miséricorde, de l'amour, du souci de rendre aux | | L'ère chrétienne est l'ère de la miséricorde, de l'amour, du souci de rendre aux |
| hommes ce qui leur appartient et de les guider vers l'accomplissement de leur vocation | | hommes ce qui leur appartient et de les guider vers l'accomplissement de leur vocation |
Ligne 2 504 : |
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| Communistes et les Humanitaires attendent de l'homme plus que les Chrétiens, leur | | Communistes et les Humanitaires attendent de l'homme plus que les Chrétiens, leur |
| point de vue reste le même. À l'homme doit appartenir tout ce qui est humain. S'il | | point de vue reste le même. À l'homme doit appartenir tout ce qui est humain. S'il |
| 1 Athanase.
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| Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 232
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| suffisait aux pieux que l'homme eût en partage ce qui est de Dieu, les Humanitaires | | suffisait aux pieux que l'homme eût en partage ce qui est de Dieu, les Humanitaires |
| exigent que rien ne lui soit refusé de ce qui est de l'Homme. Quant à ce qui est de | | exigent que rien ne lui soit refusé de ce qui est de l'Homme. Quant à ce qui est de |
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| il faut qu'on le crée soi-même. Le reste, l'amour me l'accordait ; ceci, Moi seul puis | | il faut qu'on le crée soi-même. Le reste, l'amour me l'accordait ; ceci, Moi seul puis |
| me le donner. | | me le donner. |
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| Jusqu'à présent, les relations ont été fondées sur l'amour, les égards et les services | | Jusqu'à présent, les relations ont été fondées sur l'amour, les égards et les services |
| réciproques. Si l'on se devait à soi-même de se sanctifier, c'est-à-dire d'introniser en | | réciproques. Si l'on se devait à soi-même de se sanctifier, c'est-à-dire d'introniser en |
| soi l'être suprême et d'en faire une vérité * et une réalité, on devait aussi aux autres de | | soi l'être suprême et d'en faire une vérité <ref>« Vérité » en français dans le texte. (Note du Traducteur.)</ref> et une réalité, on devait aussi aux autres de |
| les aider à réaliser leur essence et leur destinée ; dans les deux cas, on devait à | | les aider à réaliser leur essence et leur destinée ; dans les deux cas, on devait à |
| l'essence de l'homme de contribuer à sa réalisation. | | l'essence de l'homme de contribuer à sa réalisation. |
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| Seulement, on ne se doit pas à soi-même de faire quelque chose de soi, ni aux | | Seulement, on ne se doit pas à soi-même de faire quelque chose de soi, ni aux |
| autres de faire d'eux quelque chose : on ne doit rien ni à son essence ni à celle des | | autres de faire d'eux quelque chose : on ne doit rien ni à son essence ni à celle des |
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| rapports avec Moi, et mes rapports avec l'essence de l'Homme ne sont pas des rapports | | rapports avec Moi, et mes rapports avec l'essence de l'Homme ne sont pas des rapports |
| avec les hommes. | | avec les hommes. |
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| De l'amour, tel qu'il est naturel à l'homme de le ressentir, la civilisation a fait un | | De l'amour, tel qu'il est naturel à l'homme de le ressentir, la civilisation a fait un |
| commandement. Mais en tant que commandé, l'amour appartient à l'Homme comme | | commandement. Mais en tant que commandé, l'amour appartient à l'Homme comme |
| tel, et non à moi ; il est mon essence, cette essence que l'on tient pour si « essentielle | | tel, et non à moi ; il est mon essence, cette essence que l'on tient pour si « essentielle |
| », et n'est pas ma propriété. C'est l'Homme, c'est-à-dire l'humanité, qui me l'impose | | », et n'est pas ma propriété. C'est l'Homme, c'est-à-dire l'humanité, qui me l'impose: l'amour est obligatoire, aimer est mon devoir. Ainsi, au lieu d'avoir sa source |
| : l'amour est obligatoire, aimer est mon devoir. Ainsi, au lieu d'avoir sa source | |
| réellement en Moi, il l'a dans l'Homme en général, dont il est la propriété, l'attribut | | réellement en Moi, il l'a dans l'Homme en général, dont il est la propriété, l'attribut |
| particulier : « Il sied à l'Homme, c'est-à-dire à chaque homme, d'aimer ; aimer est le | | particulier : « Il sied à l'Homme, c'est-à-dire à chaque homme, d'aimer ; aimer est le |
| devoir et la vocation de l'homme, etc. » | | devoir et la vocation de l'homme, etc. » |
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| Il faut, par conséquent, que je revendique l'amour pour Moi, et que je le soustraie | | Il faut, par conséquent, que je revendique l'amour pour Moi, et que je le soustraie |
| à la puissance de l'Homme. | | à la puissance de l'Homme. |
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| On en est arrivé à me concéder comme un fief dont la propriété appartient à | | On en est arrivé à me concéder comme un fief dont la propriété appartient à |
| l'Homme ce qui était primitivement à moi, mais sans raison logique, instinctivement. | | l'Homme ce qui était primitivement à moi, mais sans raison logique, instinctivement. |
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| l'Homme ou à l'humanité et où rien n'appartient au Moi. En dépouillant l'individu de | | l'Homme ou à l'humanité et où rien n'appartient au Moi. En dépouillant l'individu de |
| tout pour attribuer tout à l'Homme, on a fondé une énorme féodalité. | | tout pour attribuer tout à l'Homme, on a fondé une énorme féodalité. |
| | |
| L'individu n'apparaît plus en fin de compte que comme « foncièrement mauvais ». | | L'individu n'apparaît plus en fin de compte que comme « foncièrement mauvais ». |
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| Faut-il peut-être ne prendre aucun intérêt actif à la personne d'autrui ? Dois-je | | Faut-il peut-être ne prendre aucun intérêt actif à la personne d'autrui ? Dois-je |
| n'avoir à coeur ni sa joie ni son intérêt, ne puis-je préférer la jouissance que je lui | | n'avoir à coeur ni sa joie ni son intérêt, ne puis-je préférer la jouissance que je lui |
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| lui, me serait le plus cher, ma vie, ma prospérité, ma liberté. En effet, c'est pour moi | | lui, me serait le plus cher, ma vie, ma prospérité, ma liberté. En effet, c'est pour moi |
| un plaisir et un bonheur que le spectacle de son bonheur et de son plaisir. Mais je ne | | un plaisir et un bonheur que le spectacle de son bonheur et de son plaisir. Mais je ne |
| * « Vérité » en français dans le texte. (Note du Traducteur.)
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| Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 233
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| me sacrifie pas à lui, je reste égoïste et je — jouis de lui. En lui sacrifiant tout ce que, | | me sacrifie pas à lui, je reste égoïste et je — jouis de lui. En lui sacrifiant tout ce que, |
| n'était mon amour pour lui, je me réserverais, je fais une chose très simple et même | | n'était mon amour pour lui, je me réserverais, je fais une chose très simple et même |
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| à laquelle il a perdu le pouvoir de se soustraire. Il a abdiqué devant elle, parce | | à laquelle il a perdu le pouvoir de se soustraire. Il a abdiqué devant elle, parce |
| qu'il ne sait plus se détacher d'elle et par conséquent s'en affranchir. Il est possédé. | | qu'il ne sait plus se détacher d'elle et par conséquent s'en affranchir. Il est possédé. |
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| Moi aussi, j'aime les hommes, non seulement quelques-uns, mais chacun d'eux. | | Moi aussi, j'aime les hommes, non seulement quelques-uns, mais chacun d'eux. |
| Mais je les aime avec la conscience de mon égoïsme : je les aime parce que l'amour | | Mais je les aime avec la conscience de mon égoïsme : je les aime parce que l'amour |
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| m'afflige et ce qui le soulage me soulage : je pourrais le tuer, je ne saurais le martyriser. | | m'afflige et ce qui le soulage me soulage : je pourrais le tuer, je ne saurais le martyriser. |
| Au contraire, le noble et vertueux philistin qu'est le prince Rodolphe des Mystères | | Au contraire, le noble et vertueux philistin qu'est le prince Rodolphe des Mystères |
| de Paris s'ingénie à martyriser les méchants parce qu'ils l' « exaspèrent » *. Ma | | de Paris s'ingénie à martyriser les méchants parce qu'ils l' « exaspèrent » <ref> Voir l'étude de Max Stirner sur Les Mystères de Paris, d'Eugène Sue, publiée dans les Berliner |
| | Monatschriften en 1843, et réimprimée par les soins de J. H. Mackay dans les Max Stirner's |
| | kleinere Schriften (Berlin, Schuster et Loeffler, 1898). (Note du Traducteur.)</ref>. Ma |
| sympathie prouve simplement que le sentiment de ceux qui sentent est aussi le mien, | | sympathie prouve simplement que le sentiment de ceux qui sentent est aussi le mien, |
| qu'il est ma propriété — tandis que le procédé impitoyable de l' « homme de bien » | | qu'il est ma propriété — tandis que le procédé impitoyable de l' « homme de bien » |
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| Rodolphe ne sent pas comme le notaire ; il sent, au contraire, que « le scélérat a ce | | Rodolphe ne sent pas comme le notaire ; il sent, au contraire, que « le scélérat a ce |
| qu'il a mérité ». Ce n'est pas là de la sympathie. | | qu'il a mérité ». Ce n'est pas là de la sympathie. |
| | |
| Vous aimez l'Homme, et ce vous est une raison pour torturer l'individu, l'égoïste ; | | Vous aimez l'Homme, et ce vous est une raison pour torturer l'individu, l'égoïste ; |
| votre amour de l'Homme fait de vous les bourreaux des hommes. | | votre amour de l'Homme fait de vous les bourreaux des hommes. |
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| Quand je vois souffrir celui que j'aime, je souffre avec lui, et je n'ai pas de repos | | Quand je vois souffrir celui que j'aime, je souffre avec lui, et je n'ai pas de repos |
| que je n'aie tout tenté pour le consoler et l'égayer. Quand je le vois joyeux, sa joie me | | que je n'aie tout tenté pour le consoler et l'égayer. Quand je le vois joyeux, sa joie me |
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| s'agit de la douleur corporelle, que je ne ressens pas comme lui : c'est sa dent qui lui | | s'agit de la douleur corporelle, que je ne ressens pas comme lui : c'est sa dent qui lui |
| fait mal, et ce qui me fait mal à moi, c'est sa souffrance. | | fait mal, et ce qui me fait mal à moi, c'est sa souffrance. |
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| Et c'est parce que je ne puis supporter ce pli douloureux sur le front aimé, c'est par | | Et c'est parce que je ne puis supporter ce pli douloureux sur le front aimé, c'est par |
| conséquent dans mon intérêt, que je l'efface par un baiser. Si je ne t'aimais pas, tu | | conséquent dans mon intérêt, que je l'efface par un baiser. Si je ne t'aimais pas, tu |
| pourrais froncer les sourcils tant que tu voudrais sans m'émouvoir ; je ne veux | | pourrais froncer les sourcils tant que tu voudrais sans m'émouvoir ; je ne veux |
| dissiper que mon chagrin. | | dissiper que mon chagrin. |
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| Y a-t-il maintenant quelqu'un ou quelque chose que je n'aime pas et qui a le droit | | Y a-t-il maintenant quelqu'un ou quelque chose que je n'aime pas et qui a le droit |
| d'être aimé par moi ? Qui passe le premier, mon amour ou son droit ? Les parents, les | | d'être aimé par moi ? Qui passe le premier, mon amour ou son droit ? Les parents, les |
| amis, le peuple, la patrie, la ville natale, etc., enfin, en général, mes semblables « mes | | amis, le peuple, la patrie, la ville natale, etc., enfin, en général, mes semblables « mes |
| * Voir l'étude de Max Stirner sur Les Mystères de Paris, d'Eugène Sue, publiée dans les Berliner
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| Monatschriften en 1843, et réimprimée par les soins de J. H. Mackay dans les Max Stirner's
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| kleinere Schriften (Berlin, Schuster et Loeffler, 1898). (Note du Traducteur.)
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| Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 234
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| frères », prétendent avoir droit à mon amour et le réclament impérieusement. Ils le | | frères », prétendent avoir droit à mon amour et le réclament impérieusement. Ils le |
| considèrent comme leur propriété, et moi, si je ne respecte pas cette propriété, ils me | | considèrent comme leur propriété, et moi, si je ne respecte pas cette propriété, ils me |
| considèrent comme un voleur qui leur enlève ce qui leur appartient. | | considèrent comme un voleur qui leur enlève ce qui leur appartient. |
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| Je dois donc aimer. Mais si l'amour est un commandement et une loi, il faut qu'on | | Je dois donc aimer. Mais si l'amour est un commandement et une loi, il faut qu'on |
| m'y forme et qu'on m'y dresse, et qu'on me punisse si je viens à l'enfreindre. On | | m'y forme et qu'on m'y dresse, et qu'on me punisse si je viens à l'enfreindre. On |
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| génération en génération, on peut se haïr uniquement parce que les ancêtres des uns | | génération en génération, on peut se haïr uniquement parce que les ancêtres des uns |
| étaient Guelfes et ceux des autres Gibelins. | | étaient Guelfes et ceux des autres Gibelins. |
| | |
| Mais l'amour n'est pas un commandement. Comme tous mes autres sentiments, il | | Mais l'amour n'est pas un commandement. Comme tous mes autres sentiments, il |
| est ma propriété. Méritez, c'est-à-dire achetez ma propriété, et je vous la céderai. Je | | est ma propriété. Méritez, c'est-à-dire achetez ma propriété, et je vous la céderai. Je |
| n'ai pas à aimer une religion, un peuple, une patrie, une famille, etc., qui ne savent pas | | n'ai pas à aimer une religion, un peuple, une patrie, une famille, etc., qui ne savent pas |
| mériter mon amour ; je vends ma tendresse au prix qu'il me plaît de fixer. | | mériter mon amour ; je vends ma tendresse au prix qu'il me plaît de fixer. |
| | |
| L'amour intéressé est bien différent de l'amour désintéressé, mystique ou romantique. | | L'amour intéressé est bien différent de l'amour désintéressé, mystique ou romantique. |
| On peut aimer une foule de choses, on peut aimer non seulement l'homme, mais | | On peut aimer une foule de choses, on peut aimer non seulement l'homme, mais |
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| conscience, le serment. Dans les deux cas, l'objet ne m'appartient plus, c'est moi qui | | conscience, le serment. Dans les deux cas, l'objet ne m'appartient plus, c'est moi qui |
| lui appartiens. | | lui appartiens. |
| | |
| Si l'amour est une possession, ce n'est pas en tant qu'il est mon sentiment (en cette | | Si l'amour est une possession, ce n'est pas en tant qu'il est mon sentiment (en cette |
| qualité, au contraire, j'en reste maître comme de ma propriété), mais bien parce que | | qualité, au contraire, j'en reste maître comme de ma propriété), mais bien parce que |
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| s'efforce-t-il de faire que ce qu'il aime approche autant que possible de la sainteté et | | s'efforce-t-il de faire que ce qu'il aime approche autant que possible de la sainteté et |
| devienne, par exemple, un « Homme ». | | devienne, par exemple, un « Homme ». |
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| Ce que j'aime, il est de mon devoir de l'aimer ; ce n'est pas par suite ou en raison | | Ce que j'aime, il est de mon devoir de l'aimer ; ce n'est pas par suite ou en raison |
| de mon amour qu'il devient le but de ce dernier : il est de lui-même et par lui-même | | de mon amour qu'il devient le but de ce dernier : il est de lui-même et par lui-même |
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| je m'acquitte envers lui, est en réalité un amour qui lui appartient, un tribut que je lui | | je m'acquitte envers lui, est en réalité un amour qui lui appartient, un tribut que je lui |
| paie. | | paie. |
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| Tout amour auquel adhère la moindre tache d'obligation est un amour désintéressé, | | Tout amour auquel adhère la moindre tache d'obligation est un amour désintéressé, |
| et aussi loin que s'étende cette tache, l'amour devient servitude. Quiconque croit | | et aussi loin que s'étende cette tache, l'amour devient servitude. Quiconque croit |
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| « amour désintéressé »; c'est un intérêt que nous portons à l'objet pour l'amour de cet | | « amour désintéressé »; c'est un intérêt que nous portons à l'objet pour l'amour de cet |
| objet et non pour l'amour de nous et de nous seuls. | | objet et non pour l'amour de nous et de nous seuls. |
| | |
| L'amour religieux ou romantique se distingue, il est vrai, de l'amour physique par | | L'amour religieux ou romantique se distingue, il est vrai, de l'amour physique par |
| une différence dans l'objet, mais pas par une différence dans nos rapports avec lui. À | | une différence dans l'objet, mais pas par une différence dans nos rapports avec lui. À |
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| elle, pas plus que je n'ai, par exemple, de devoirs envers mon oeil. Si j'en prends le | | elle, pas plus que je n'ai, par exemple, de devoirs envers mon oeil. Si j'en prends le |
| plus grand soin, c'est pour Moi que je le fais. | | plus grand soin, c'est pour Moi que je le fais. |
| | |
| L'amour n'a pas plus manqué à l'Antiquité qu'aux siècles de Christianisme; le dieu | | L'amour n'a pas plus manqué à l'Antiquité qu'aux siècles de Christianisme; le dieu |
| de l'amour est né longtemps avant le Dieu d'amour. Mais il était réservé aux Modernes | | de l'amour est né longtemps avant le Dieu d'amour. Mais il était réservé aux Modernes |
| de connaître l'esclavage du mysticisme. | | de connaître l'esclavage du mysticisme. |
| | |
| Si l'amour est servitude, c'est que son objet m'est étranger, et que je suis impuissant | | Si l'amour est servitude, c'est que son objet m'est étranger, et que je suis impuissant |
| contre son éloignement et sa supériorité. Pour l'égoïste, rien n'est assez haut | | contre son éloignement et sa supériorité. Pour l'égoïste, rien n'est assez haut |
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| prend sa source dans l'intérêt personnel, coule dans le lit de l'intérêt personnel et a son | | prend sa source dans l'intérêt personnel, coule dans le lit de l'intérêt personnel et a son |
| embouchure dans l'intérêt personnel. | | embouchure dans l'intérêt personnel. |
| | |
| Est-ce encore là de l'amour ? demandera-t-on. Choisissez un autre nom si vous en | | Est-ce encore là de l'amour ? demandera-t-on. Choisissez un autre nom si vous en |
| savez un meilleur, et que le doux nom d'amour s'éteigne avec un monde qui n'est | | savez un meilleur, et que le doux nom d'amour s'éteigne avec un monde qui n'est |
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| chrétienne, et je m'en tiens au vieux mot : « j'aime » l'objet qui est mien, j'aime ma — | | chrétienne, et je m'en tiens au vieux mot : « j'aime » l'objet qui est mien, j'aime ma — |
| propriété. | | propriété. |
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| Je ne consens à me livrer à l'amour que pour autant qu'il ne soit qu'un de mes | | Je ne consens à me livrer à l'amour que pour autant qu'il ne soit qu'un de mes |
| sentiments ; mais s'il faut qu'il soit une force supérieure à moi, une puissance divine | | sentiments ; mais s'il faut qu'il soit une force supérieure à moi, une puissance divine |
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| diabolique : l'un ne vaut pas mieux que l'autre. En un mot, l'amour égoïste, c'est-àdire | | diabolique : l'un ne vaut pas mieux que l'autre. En un mot, l'amour égoïste, c'est-àdire |
| mon amour, n'est ni sacré, ni profane, ni divin, ni diabolique. | | mon amour, n'est ni sacré, ni profane, ni divin, ni diabolique. |
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| « Un amour que limite la foi est un amour faux. La seule limitation qui ne soit pas | | « Un amour que limite la foi est un amour faux. La seule limitation qui ne soit pas |
| contradictoire avec l'essence de l'amour est celle que l'amour s'impose à lui-même par | | contradictoire avec l'essence de l'amour est celle que l'amour s'impose à lui-même par |
| la raison, l'intelligence. L'amour qui repousse la rigueur et la loi de l'intelligence est | | la raison, l'intelligence. L'amour qui repousse la rigueur et la loi de l'intelligence est |
| théoriquement un amour faux, pratiquement un amour funeste 1. » C'est ce que dit | | théoriquement un amour faux, pratiquement un amour funeste <ref>FEUERBACH : Wesen des Christentum, p.394.</ref>. » C'est ce que dit |
| Feuerbach ; les croyants disent au contraire : L'amour est essentiellement du domaine | | Feuerbach ; les croyants disent au contraire : L'amour est essentiellement du domaine |
| de la foi. Celui-là s'élève avec véhémence contre l'amour sans raison, ceux-ci contre | | de la foi. Celui-là s'élève avec véhémence contre l'amour sans raison, ceux-ci contre |
| l'amour sans foi. Pour Feuerbach comme pour le dévot, l'amour est tout au plus un | | l'amour sans foi. Pour Feuerbach comme pour le dévot, l'amour est tout au plus un |
| 1 FEUERBACH : Wesen des Christentum, p.394.
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| Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 236
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| splendidum vitium. Ne sont-ils pas tous deux obligés de laisser subsister l'amour, | | splendidum vitium. Ne sont-ils pas tous deux obligés de laisser subsister l'amour, |
| même entaché de déraison ou d'impiété ? Ils n'osent pas dire : l'amour déraisonnable | | même entaché de déraison ou d'impiété ? Ils n'osent pas dire : l'amour déraisonnable |
| ou impie est une absurdité, n'est pas de l'amour, pas plus qu'ils n'oseraient dire : des | | ou impie est une absurdité, n'est pas de l'amour, pas plus qu'ils n'oseraient dire : des |
| larmes déraisonnables ou impies ne sont pas des larmes. | | larmes déraisonnables ou impies ne sont pas des larmes. |
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| L'amour, même en dehors de la raison ou de la foi, doit bien être considéré comme | | L'amour, même en dehors de la raison ou de la foi, doit bien être considéré comme |
| de l'amour, encore qu'on doive le regarder alors comme indigne de l'homme ; tout | | de l'amour, encore qu'on doive le regarder alors comme indigne de l'homme ; tout |
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| propre » est le fait de la foi. L'amour déraisonnable n'est ni « faux » ni « funeste »; | | propre » est le fait de la foi. L'amour déraisonnable n'est ni « faux » ni « funeste »; |
| c'est comme amour tout court qu'il remplit son rôle. | | c'est comme amour tout court qu'il remplit son rôle. |
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| Il faut qu'envers le monde, et particulièrement envers les hommes, j'adopte un | | Il faut qu'envers le monde, et particulièrement envers les hommes, j'adopte un |
| sentiment déterminé, et que ce sentiment, qui dans le cas présent est l'amour, je le leur | | sentiment déterminé, et que ce sentiment, qui dans le cas présent est l'amour, je le leur |
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| comme j'ai résolu d'aimer, je surmonte cette impression désagréable comme je | | comme j'ai résolu d'aimer, je surmonte cette impression désagréable comme je |
| surmonte toute autre antipathie. | | surmonte toute autre antipathie. |
| | |
| Mais le sentiment auquel je me suis a priori déterminé et — condamné est, en | | Mais le sentiment auquel je me suis a priori déterminé et — condamné est, en |
| réalité, un sentiment borné, parce qu'il résulte d'une prédestination dont il ne m'est | | réalité, un sentiment borné, parce qu'il résulte d'une prédestination dont il ne m'est |
Ligne 2 722 : |
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| sorte que si le monde ne me domine pas, je suis en revanche d'autant plus fatalement | | sorte que si le monde ne me domine pas, je suis en revanche d'autant plus fatalement |
| dominé par l'esprit d'amour. J'ai vaincu le monde, pour devenir l'esclave de cet esprit. | | dominé par l'esprit d'amour. J'ai vaincu le monde, pour devenir l'esclave de cet esprit. |
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| Si j'ai dit d'abord : J'aime le monde, je puis tout aussi bien ajouter à présent : Je ne | | Si j'ai dit d'abord : J'aime le monde, je puis tout aussi bien ajouter à présent : Je ne |
| l'aime pas, car je l'anéantis comme je m'anéantis ; j'en use et je l'use. Je ne m'astreins | | l'aime pas, car je l'anéantis comme je m'anéantis ; j'en use et je l'use. Je ne m'astreins |
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Ligne 2 976 : |
| ». Combien il me serait indifférent, — n'était mon amour ! C'est mon amour que | | ». Combien il me serait indifférent, — n'était mon amour ! C'est mon amour que |
| je repais de lui, il ne me sert qu'à cela, je jouis de lui. | | je repais de lui, il ne me sert qu'à cela, je jouis de lui. |
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| Choisissons un autre exemple, tout actuel, celui-ci : Je vois les hommes plongés | | Choisissons un autre exemple, tout actuel, celui-ci : Je vois les hommes plongés |
| dans les ténèbres de la superstition, harcelés par un essaim de fantômes. Si je cherche, | | dans les ténèbres de la superstition, harcelés par un essaim de fantômes. Si je cherche, |
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| Bible, ou les gouvernements chrétiens qui se font un devoir sacré de défendre | | Bible, ou les gouvernements chrétiens qui se font un devoir sacré de défendre |
| l'homme du peuple contre les « mauvais livres ». | | l'homme du peuple contre les « mauvais livres ». |
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| Non seulement ce n'est pas pour l'amour de vous que j'exprime ce que je pense, | | Non seulement ce n'est pas pour l'amour de vous que j'exprime ce que je pense, |
| mais ce n'est pas même pour l'amour de la vérité. Non : | | mais ce n'est pas même pour l'amour de la vérité. Non : |
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| « Je chante comme chante l'oiseau | | « Je chante comme chante l'oiseau |
| Qui habite dans le feuillage. | | Qui habite dans le feuillage. |
| Le chant même que produit ma voix | | Le chant même que produit ma voix |
| Est mon salaire, et un salaire royal 1. » | | Est mon salaire, et un salaire royal <ref> Wilhelm Meister.</ref>» |
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| Je chante ? Je chante parce que je suis un chanteur ! Si pour cela je me sers de | | Je chante ? Je chante parce que je suis un chanteur ! Si pour cela je me sers de |
| vous, c'est que j'ai besoin — d'oreilles. | | vous, c'est que j'ai besoin — d'oreilles. |
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| Quand le monde se trouve sur mon chemin (et il s'y trouve toujours), je le consomme | | Quand le monde se trouve sur mon chemin (et il s'y trouve toujours), je le consomme |
| pour apaiser la faim de mon égoïsme : tu n'es pour moi qu'une — nourriture ; | | pour apaiser la faim de mon égoïsme : tu n'es pour moi qu'une — nourriture ; |
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| ton sourire et que mon visage est au service de mon désir. À mille autres personnes | | ton sourire et que mon visage est au service de mon désir. À mille autres personnes |
| que je ne désire pas faire sourire, je ne sourirai pas. | | que je ne désire pas faire sourire, je ne sourirai pas. |
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| Cet amour, qui se fonde sur l' « essence de l'Homme » et qui, dans la période | | Cet amour, qui se fonde sur l' « essence de l'Homme » et qui, dans la période |
| chrétienne et morale, pèse sur nous comme un « commandement », on doit y être | | chrétienne et morale, pèse sur nous comme un « commandement », on doit y être |
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| Comment s'y prend-on pour régler les relations entre les hommes ? C'est ce que nous | | Comment s'y prend-on pour régler les relations entre les hommes ? C'est ce que nous |
| allons, du moins pour un cas particulier, étudier ici avec les yeux de l'égoïsme. | | allons, du moins pour un cas particulier, étudier ici avec les yeux de l'égoïsme. |
| 1 Wilhelm Meister.
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| Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 238
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| Ceux qui nous élèvent apportent un soin tout particulier à nous déshabituer de | | Ceux qui nous élèvent apportent un soin tout particulier à nous déshabituer de |
| bonne heure du mensonge et à nous inculquer ce principe qu'il faut toujours dire la | | bonne heure du mensonge et à nous inculquer ce principe qu'il faut toujours dire la |
| vérité. Si on fondait cette règle sur l'égoïsme, tout le monde s'en pénètrerait facilement | | vérité. Si on fondait cette règle sur l'égoïsme, tout le monde s'en pénètrerait facilement; on comprendrait sans peine que le menteur perd de gaieté de coeur la confiance |
| ; on comprendrait sans peine que le menteur perd de gaieté de coeur la confiance | |
| qu'il désire inspirer aux autres, et on sentirait combien il est juste de dire que le | | qu'il désire inspirer aux autres, et on sentirait combien il est juste de dire que le |
| menteur n'est pas cru, même quand il dit vrai. Mais chacun sentirait en même temps | | menteur n'est pas cru, même quand il dit vrai. Mais chacun sentirait en même temps |
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| le droit d'attendre de moi la vérité, mais Moi je ne le leur donne pas ; je ne | | le droit d'attendre de moi la vérité, mais Moi je ne le leur donne pas ; je ne |
| reconnais d'autre droit que celui que j'accorde moi-même. | | reconnais d'autre droit que celui que j'accorde moi-même. |
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| Autre exemple : La police pénètre dans une assemblée révolutionnaire et demande | | Autre exemple : La police pénètre dans une assemblée révolutionnaire et demande |
| son nom à l'orateur. Tout le monde sait que la police a le droit de le faire ; seulement, | | son nom à l'orateur. Tout le monde sait que la police a le droit de le faire ; seulement, |
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| seulement à notre intérêt, à notre égoïsme. Il compte que nous ne voudrons pas nous | | seulement à notre intérêt, à notre égoïsme. Il compte que nous ne voudrons pas nous |
| brouiller avec Dieu par un parjure. | | brouiller avec Dieu par un parjure. |
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| Imaginez-vous à présent un révolutionnaire français de 1788 qui, entre amis, ait | | Imaginez-vous à présent un révolutionnaire français de 1788 qui, entre amis, ait |
| laissé échapper la phrase devenue célèbre : « Le monde n'aura pas la paix avant qu'on | | laissé échapper la phrase devenue célèbre : « Le monde n'aura pas la paix avant qu'on |
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| vous tromper, car je ne vous ai donné aucune autorité, aucun droit sur ma sincérité. Et | | vous tromper, car je ne vous ai donné aucune autorité, aucun droit sur ma sincérité. Et |
| malgré les menaces du Dieu « qui est la vérité même », malgré l'amertume du | | malgré les menaces du Dieu « qui est la vérité même », malgré l'amertume du |
| Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 239
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| mensonge, j'ai le courage de mentir. Lors même que je serais dégoûté de la vie et que | | mensonge, j'ai le courage de mentir. Lors même que je serais dégoûté de la vie et que |
| rien ne me paraîtrait plus désirable que la hache du bourreau, vous n'auriez pas la joie | | rien ne me paraîtrait plus désirable que la hache du bourreau, vous n'auriez pas la joie |
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| coupable de haute trahison, je ne m'adressais pas à vous et vous deviez les ignorer ; | | coupable de haute trahison, je ne m'adressais pas à vous et vous deviez les ignorer ; |
| ma volonté est immuable et l'horreur du mensonge ne m'effrayera pas. » | | ma volonté est immuable et l'horreur du mensonge ne m'effrayera pas. » |
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| Si Sigismond est un triste sire, ce n'est pas parce qu'il a violé sa parole de prince ; | | Si Sigismond est un triste sire, ce n'est pas parce qu'il a violé sa parole de prince ; |
| mais s'il a enfreint sa parole, c'est parce qu'il était un coquin. Il aurait pu tenir parole | | mais s'il a enfreint sa parole, c'est parce qu'il était un coquin. Il aurait pu tenir parole |
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| pour le servir. Ils nous montrent ainsi comment on doit en user avec la vérité à l'égard | | pour le servir. Ils nous montrent ainsi comment on doit en user avec la vérité à l'égard |
| des hommes. | | des hommes. |
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| En l'honneur de Dieu et pour l'amour de Dieu, un parjure, un mensonge, une | | En l'honneur de Dieu et pour l'amour de Dieu, un parjure, un mensonge, une |
| parole princière violée ! | | parole princière violée ! |
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| Et si, changeant deux mots à la phrase, nous écrivions : un parjure et un mensonge | | Et si, changeant deux mots à la phrase, nous écrivions : un parjure et un mensonge |
| — pour l'amour de moi ? Ne serait-ce pas nous faire l'avocat de toutes espèces de | | — pour l'amour de moi ? Ne serait-ce pas nous faire l'avocat de toutes espèces de |
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| ne peut rien faire pour l'amour de soi sans le faire en même temps pour l'amour de son | | ne peut rien faire pour l'amour de soi sans le faire en même temps pour l'amour de son |
| maître, tout comme celui qui craint Dieu. | | maître, tout comme celui qui craint Dieu. |
| Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 240
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| Le parjure de François ler envers l'empereur Charles-Quint est célèbre. Ce n'est pas | | Le parjure de François ler envers l'empereur Charles-Quint est célèbre. Ce n'est pas |
| quelque temps après, en réfléchissant mûrement à la promesse faite, c'est immédiatement, | | quelque temps après, en réfléchissant mûrement à la promesse faite, c'est immédiatement, |
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| où s'étale un second parjure, démontre d'ailleurs à suffisance qu'il était possédé d'un | | où s'étale un second parjure, démontre d'ailleurs à suffisance qu'il était possédé d'un |
| esprit de trafic qui faisait de lui un bas filou. | | esprit de trafic qui faisait de lui un bas filou. |
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| Que répondre à ceux qui lui reprochent ce faux serment ? D'abord sans doute nous | | Que répondre à ceux qui lui reprochent ce faux serment ? D'abord sans doute nous |
| répéterons que s'il se déshonora ce ne fut pas tant par son parjure que par son avarice ; | | répéterons que s'il se déshonora ce ne fut pas tant par son parjure que par son avarice ; |
| que ce n'est pas son parjure qui le rendit méprisable, mais que c'est parce qu'il était un | | que ce n'est pas son parjure qui le rendit méprisable, mais que c'est parce qu'il était un |
| méprisable personnage qu'il s'en rendit coupable. | | méprisable personnage qu'il s'en rendit coupable. |
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| Toutefois, considéré en lui-même, le parjure de François doit être autrement jugé. | | Toutefois, considéré en lui-même, le parjure de François doit être autrement jugé. |
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| Pourrait-on dire que François ne répondit pas à la confiance que Charles lui | | Pourrait-on dire que François ne répondit pas à la confiance que Charles lui |
| témoignait en lui rendant la liberté ? Si Charles avait eu réellement confiance en lui, il | | témoignait en lui rendant la liberté ? Si Charles avait eu réellement confiance en lui, il |
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| pouvoir d'un ennemi ; mais tout bon chrétien lui jette la pierre pour avoir voulu se | | pouvoir d'un ennemi ; mais tout bon chrétien lui jette la pierre pour avoir voulu se |
| délivrer des liens de Dieu. (Le pape ne le délia que plus tard de son serment.) | | délivrer des liens de Dieu. (Le pape ne le délia que plus tard de son serment.) |
| Il est honteux de tromper une confiance que nous avons librement cherché à gagner | | |
| ; mais quand un homme veut nous tenir en son pouvoir par un serment, le rendre | | Il est honteux de tromper une confiance que nous avons librement cherché à gagner; mais quand un homme veut nous tenir en son pouvoir par un serment, le rendre |
| victime de l'insuccès de sa ruse et de sa défiance n'est pas une honte pour l'égoïsme. | | victime de l'insuccès de sa ruse et de sa défiance n'est pas une honte pour l'égoïsme. |
| Tu as voulu me lier ? Apprends donc que je puis rompre tes liens. | | Tu as voulu me lier ? Apprends donc que je puis rompre tes liens. |
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| Est-ce Moi qui ai donné à celui qui a confiance le droit de se fier à moi ? Toute la | | Est-ce Moi qui ai donné à celui qui a confiance le droit de se fier à moi ? Toute la |
| question est là. Qu'un homme qui poursuit mon ami me demande dans quelle | | question est là. Qu'un homme qui poursuit mon ami me demande dans quelle |
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| hasard peut le mettre sur la bonne voie, et mon amour de la vérité aura livré mon ami, | | hasard peut le mettre sur la bonne voie, et mon amour de la vérité aura livré mon ami, |
| en m'ôtant — le courage du mensonge. Celui pour qui la vérité est une idole, une | | en m'ôtant — le courage du mensonge. Celui pour qui la vérité est une idole, une |
| Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 241
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| chose sacrée, doit s'humilier devant elle, il ne peut pas braver ses exigences et y résister | | chose sacrée, doit s'humilier devant elle, il ne peut pas braver ses exigences et y résister |
| vaillamment, bref, il doit renoncer à l'héroïsme du mensonge. Car le mensonge ne | | vaillamment, bref, il doit renoncer à l'héroïsme du mensonge. Car le mensonge ne |
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| de l'ennemi. Pour eux la vérité est « sacrée », et ce qui est sacré exige toujours | | de l'ennemi. Pour eux la vérité est « sacrée », et ce qui est sacré exige toujours |
| un culte aveugle fait de soumission et de sacrifice. | | un culte aveugle fait de soumission et de sacrifice. |
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| Si vous manquez d'audace, si vous ne vous moquez pas du sacro-saint, il vous | | Si vous manquez d'audace, si vous ne vous moquez pas du sacro-saint, il vous |
| domestique et vous asservit. Qu'on amorce le piège d'un grain de vérité, vous vous y | | domestique et vous asservit. Qu'on amorce le piège d'un grain de vérité, vous vous y |
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| de serviteurs : les serviteurs de la vérité et les serviteurs du mensonge. Servez donc la | | de serviteurs : les serviteurs de la vérité et les serviteurs du mensonge. Servez donc la |
| vérité, et que Dieu vous bénisse ! | | vérité, et que Dieu vous bénisse ! |
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| Il y a d'autres serviteurs de la vérité, qui la servent « avec mesure », et qui font, | | Il y a d'autres serviteurs de la vérité, qui la servent « avec mesure », et qui font, |
| par exemple, une distinction entre le mensonge simple et le mensonge sous serment. | | par exemple, une distinction entre le mensonge simple et le mensonge sous serment. |
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| corrompu et rendu incapable de faire un menteur ou un espion, puisque je fournirais | | corrompu et rendu incapable de faire un menteur ou un espion, puisque je fournirais |
| de mon plein gré à l'ennemi le moyen de me démasquer. | | de mon plein gré à l'ennemi le moyen de me démasquer. |
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| L'État lui-même craint le mensonge et le serment « officieux »; aussi n'admet-il | | L'État lui-même craint le mensonge et le serment « officieux »; aussi n'admet-il |
| pas l'accusé au serment. Mais vous ne justifiez pas la crainte de l'État : Vous mentez, | | pas l'accusé au serment. Mais vous ne justifiez pas la crainte de l'État : Vous mentez, |
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| lié par une constitution, une loi fondamentale de l'État). Que tout soit gentiment | | lié par une constitution, une loi fondamentale de l'État). Que tout soit gentiment |
| tempéré, bien tiède et bien doux, tant bien que mal. | | tempéré, bien tiède et bien doux, tant bien que mal. |
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| Il avait été convenu entre les étudiants d'une université que toute parole d'honneur | | Il avait été convenu entre les étudiants d'une université que toute parole d'honneur |
| qu'exigerait d'eux le juge universitaire serait nulle et non avenue. Ils ne voyaient, en | | qu'exigerait d'eux le juge universitaire serait nulle et non avenue. Ils ne voyaient, en |
| Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 242
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| effet, dans cette exigence qu'un piège, impossible à éviter si l'on n'enlevait pas toute | | effet, dans cette exigence qu'un piège, impossible à éviter si l'on n'enlevait pas toute |
| signification à une parole donnée dans ces conditions. À la même université, quiconque | | signification à une parole donnée dans ces conditions. À la même université, quiconque |
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| c'est-à-dire hostile, la parole d'un ennemi ; vous n'avez pas le droit de vous y fier, car | | c'est-à-dire hostile, la parole d'un ennemi ; vous n'avez pas le droit de vous y fier, car |
| l'ennemi ne vous accorde pas ce droit. | | l'ennemi ne vous accorde pas ce droit. |
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| D'ailleurs, les tribunaux de l'État eux-mêmes ne reconnaissent pas l'inviolabilité | | D'ailleurs, les tribunaux de l'État eux-mêmes ne reconnaissent pas l'inviolabilité |
| du serment. Si j'avais juré à un homme contre qui la justice instruit de ne rien révéler | | du serment. Si j'avais juré à un homme contre qui la justice instruit de ne rien révéler |
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| ! Seulement, s'il est au monde une puissance qui puisse me délier du serment, je | | ! Seulement, s'il est au monde une puissance qui puisse me délier du serment, je |
| suis certainement moi-même la première puissance qui ait droit de le faire. | | suis certainement moi-même la première puissance qui ait droit de le faire. |
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| Comme curiosité, et pour rappeler toutes sortes de serments usuels, il est juste de | | Comme curiosité, et pour rappeler toutes sortes de serments usuels, il est juste de |
| donner place ici à celui que l'empereur Paul fit prêter aux prisonniers polonais | | donner place ici à celui que l'empereur Paul fit prêter aux prisonniers polonais |
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| enfin qu'en quelque point du monde que nous nous trouvions, un seul mot de | | enfin qu'en quelque point du monde que nous nous trouvions, un seul mot de |
| l'Empereur suffira pour que nous quittions tout et nous rendions à son appel. » | | l'Empereur suffira pour que nous quittions tout et nous rendions à son appel. » |
| *
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| **
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| Il est un domaine où il semble que le principe de l'amour ait été depuis longtemps | | Il est un domaine où il semble que le principe de l'amour ait été depuis longtemps |
| débordé par l'égoïsme, et où il paraît ne plus manquer qu'une chose, la conscience du | | débordé par l'égoïsme, et où il paraît ne plus manquer qu'une chose, la conscience du |
| bon droit dans la victoire. Ce domaine est celui de la spéculation sous ses deux | | bon droit dans la victoire. Ce domaine est celui de la spéculation sous ses deux |
| formes, pensée et agiotage. | | formes, pensée et agiotage. |
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| On s'abandonne hardiment à sa pensée sans se demander ce qu'il en adviendra, et | | On s'abandonne hardiment à sa pensée sans se demander ce qu'il en adviendra, et |
| on se livre à toutes sortes d'opérations financières malgré le grand nombre de ceux qui | | on se livre à toutes sortes d'opérations financières malgré le grand nombre de ceux qui |
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| encore en se disant qu'il est « au service de l'Idée ». L'Humanité, l'Idée sont pour lui | | encore en se disant qu'il est « au service de l'Idée ». L'Humanité, l'Idée sont pour lui |
| ce quelque chose dont il est obligé de dire : cela est au-dessus de moi. | | ce quelque chose dont il est obligé de dire : cela est au-dessus de moi. |
| Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 243
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| On a jusqu'aujourd'hui pensé et trafiqué — pour l'amour de Dieu. Ceux qui, | | On a jusqu'aujourd'hui pensé et trafiqué — pour l'amour de Dieu. Ceux qui, |
| pendant six jours, ont tout foulé aux pieds en vue de leurs intérêts égoïstes offrent, le | | pendant six jours, ont tout foulé aux pieds en vue de leurs intérêts égoïstes offrent, le |
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| est un être au-dessus d'eux, un être supérieur, un être suprême, et c'est pourquoi je | | est un être au-dessus d'eux, un être supérieur, un être suprême, et c'est pourquoi je |
| puis dire qu'ils travaillent « pour l'amour de Dieu ». | | puis dire qu'ils travaillent « pour l'amour de Dieu ». |
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| Je puis, par conséquent, dire aussi que le principe de toutes leurs actions est — | | Je puis, par conséquent, dire aussi que le principe de toutes leurs actions est — |
| l'Amour. Non pas, toutefois, un amour volontaire, leur propriété à eux, mais un amour | | l'Amour. Non pas, toutefois, un amour volontaire, leur propriété à eux, mais un amour |
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| qu'ils doivent payer un tribut à l'Amour, c'est-à-dire qu'il ne leur est pas permis d'être | | qu'ils doivent payer un tribut à l'Amour, c'est-à-dire qu'il ne leur est pas permis d'être |
| des « égoïstes ». | | des « égoïstes ». |
| | |
| Notre désir de délivrer le monde des liens qui entravent sa liberté n'a pas sa source | | Notre désir de délivrer le monde des liens qui entravent sa liberté n'a pas sa source |
| dans notre amour pour lui, le monde, mais dans notre amour pour nous ; n'étant ni par | | dans notre amour pour lui, le monde, mais dans notre amour pour nous ; n'étant ni par |
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| est à nous, il n'exerce plus sa puissance contre nous, mais pour nous. Mon égoïsme a | | est à nous, il n'exerce plus sa puissance contre nous, mais pour nous. Mon égoïsme a |
| intérêt à affranchir le monde, afin qu'il devienne — ma propriété. | | intérêt à affranchir le monde, afin qu'il devienne — ma propriété. |
| | |
| L'état primitif de l'homme n'est pas l'isolement ou la solitude, mais bien la société. | | L'état primitif de l'homme n'est pas l'isolement ou la solitude, mais bien la société. |
| Au début de notre existence, nous nous trouvons déjà étroitement unis à notre mère, | | Au début de notre existence, nous nous trouvons déjà étroitement unis à notre mère, |
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| préfère les relations qu'il a nouées avec ses semblables à la société dans laquelle il | | préfère les relations qu'il a nouées avec ses semblables à la société dans laquelle il |
| n'est pas entré, où il n'a fait que naître. | | n'est pas entré, où il n'a fait que naître. |
| | |
| Mais l'union ou l'association sont la dissolution de la société. Il est vrai qu'une | | Mais l'union ou l'association sont la dissolution de la société. Il est vrai qu'une |
| association peut dégénérer en société, comme une pensée peut dégénérer en idée fixe | | association peut dégénérer en société, comme une pensée peut dégénérer en idée fixe: cela a lieu quand dans la pensée s’éteint l’énergie pensante, le penser lui-même, ce |
| : cela a lieu quand dans la pensée s’éteint l’énergie pensante, le penser lui-même, ce | |
| perpétuel désaveu de toutes les pensées qui tendent à prendre trop de consistance. | | perpétuel désaveu de toutes les pensées qui tendent à prendre trop de consistance. |
| Lorsqu'une association s'est cristallisée en société, elle cesse d'être une association | | Lorsqu'une association s'est cristallisée en société, elle cesse d'être une association |
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| — société, communauté. Une analogie frappante rapproche sous ce rapport l'association | | — société, communauté. Une analogie frappante rapproche sous ce rapport l'association |
| du parti. | | du parti. |
| | |
| Qu'une société, l'État, par exemple, restreigne ma liberté, cela ne me trouble | | Qu'une société, l'État, par exemple, restreigne ma liberté, cela ne me trouble |
| guère. Car je sais bien que je dois m'attendre à voir ma liberté limitée par toutes sortes | | guère. Car je sais bien que je dois m'attendre à voir ma liberté limitée par toutes sortes |
| Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 244
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| de puissances, par tout ce qui est plus fort que moi, même par chacun de mes voisins; | | de puissances, par tout ce qui est plus fort que moi, même par chacun de mes voisins; |
| quand je serais l'autocrate de toutes les R..., je ne jouirais pas de la liberté absolue. | | quand je serais l'autocrate de toutes les R..., je ne jouirais pas de la liberté absolue. |
Ligne 3 066 : |
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| à l'individualité que la société s'attaque, c'est elle qui doit succomber sous ses | | à l'individualité que la société s'attaque, c'est elle qui doit succomber sous ses |
| coups. | | coups. |
| | |
| Une société à laquelle je m'attache m'enlève bien certaines libertés ; mais en revanche | | Une société à laquelle je m'attache m'enlève bien certaines libertés ; mais en revanche |
| elle m'en assure d'autres. Il importe de même assez peu que je me prive moimême | | elle m'en assure d'autres. Il importe de même assez peu que je me prive moimême |
| (par exemple, par un contrat) de telle ou telle liberté. Par contre, je défendrai | | (par exemple, par un contrat) de telle ou telle liberté. Par contre, je défendrai |
| jalousement mon individualité. | | jalousement mon individualité. |
| | |
| Toute communauté a une tendance, plus ou moins grande d'après la somme de ses | | Toute communauté a une tendance, plus ou moins grande d'après la somme de ses |
| forces, à devenir pour ses membres une autorité, et à leur imposer des limites. Elle | | forces, à devenir pour ses membres une autorité, et à leur imposer des limites. Elle |
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Ligne 3 345 : |
| qu'ils restent « dans les bornes de la légalité », c'est-à-dire qu'ils ne se permettent que | | qu'ils restent « dans les bornes de la légalité », c'est-à-dire qu'ils ne se permettent que |
| ce que leur permettent la société et ses lois. | | ce que leur permettent la société et ses lois. |
| | |
| Il y a loin d'une société qui ne restreint que ma liberté à une société qui restreint | | Il y a loin d'une société qui ne restreint que ma liberté à une société qui restreint |
| mon individualité. La première est une union, un accord, une association. Mais celle | | mon individualité. La première est une union, un accord, une association. Mais celle |
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Ligne 3 354 : |
| que l'on nomme — humilité. Mon humilité fait sa grandeur, ma soumission sa | | que l'on nomme — humilité. Mon humilité fait sa grandeur, ma soumission sa |
| souveraineté. | | souveraineté. |
| | |
| Mais sous le rapport de la liberté, il n'y a pas de différence essentielle entre l'État | | Mais sous le rapport de la liberté, il n'y a pas de différence essentielle entre l'État |
| et l'association. Pas plus que l'État n'est compatible avec une liberté illimitée, l'association | | et l'association. Pas plus que l'État n'est compatible avec une liberté illimitée, l'association |
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| l'on en vint à élever au rang d'idéal la liberté en soi, la liberté absolue, ce qui était | | l'on en vint à élever au rang d'idéal la liberté en soi, la liberté absolue, ce qui était |
| étaler au plein jour l'absurdité des voeux impossibles. | | étaler au plein jour l'absurdité des voeux impossibles. |
| | |
| L'association, procurant une plus grande somme de liberté, pourra être considérée | | L'association, procurant une plus grande somme de liberté, pourra être considérée |
| comme « une nouvelle liberté »; on y échappe, en effet, à la contrainte inséparable de | | comme « une nouvelle liberté »; on y échappe, en effet, à la contrainte inséparable de |
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| la volonté n'y manqueront pas, car le but de l'association n'est pas précisément la | | la volonté n'y manqueront pas, car le but de l'association n'est pas précisément la |
| liberté, qu'elle sacrifie à l'individualité, mais cette individualité elle-même. RelativeMax | | liberté, qu'elle sacrifie à l'individualité, mais cette individualité elle-même. RelativeMax |
| Stirner (1845), L’unique et sa propriété 245
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| ment à celle-ci, la différence est grande entre État et association. L'État est l'ennemi, | | ment à celle-ci, la différence est grande entre État et association. L'État est l'ennemi, |
| le meurtrier de l'individu, l'association en est la fille et l'auxiliaire ; le premier est un | | le meurtrier de l'individu, l'association en est la fille et l'auxiliaire ; le premier est un |
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| L'association au contraire est mon oeuvre, ma créature ; elle n'est pas sacrée et n'est | | L'association au contraire est mon oeuvre, ma créature ; elle n'est pas sacrée et n'est |
| pas une puissance spirituelle supérieure à mon esprit. | | pas une puissance spirituelle supérieure à mon esprit. |
| | |
| Je ne veux pas être l'esclave de mes maximes, mais je veux qu'elles restent, sans | | Je ne veux pas être l'esclave de mes maximes, mais je veux qu'elles restent, sans |
| aucune garantie, exposées sans cesse à ma critique ; je ne leur accorde aucun droit de | | aucune garantie, exposées sans cesse à ma critique ; je ne leur accorde aucun droit de |
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| pour moi plus que l'État, plus que l'Église, Dieu, etc., et, par conséquent, infiniment | | pour moi plus que l'État, plus que l'Église, Dieu, etc., et, par conséquent, infiniment |
| plus aussi que l'association. | | plus aussi que l'association. |
| | |
| La Société que le Communisme se propose de fonder paraît à première vue se | | La Société que le Communisme se propose de fonder paraît à première vue se |
| rapprocher extrêmement de l'association telle que je l'entends. Le but qu'elle se | | rapprocher extrêmement de l'association telle que je l'entends. Le but qu'elle se |
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| s'en trouvent probablement mieux que des heures de travail strictement réglées que | | s'en trouvent probablement mieux que des heures de travail strictement réglées que |
| leur promet Weitling. | | leur promet Weitling. |
| | |
| Le même Weitling affirme que le bien-être de quelques milliers d'hommes ne peut | | Le même Weitling affirme que le bien-être de quelques milliers d'hommes ne peut |
| être mis en balance avec le bien-être de plusieurs millions d'autres, et il exhorte les | | être mis en balance avec le bien-être de plusieurs millions d'autres, et il exhorte les |
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| mais dans leur propre intérêt. Comment peut-on encore être tenté de faire appel à | | mais dans leur propre intérêt. Comment peut-on encore être tenté de faire appel à |
| l'esprit de sacrifice et à l'amour désintéressé des hommes ? On ne sait que trop que | | l'esprit de sacrifice et à l'amour désintéressé des hommes ? On ne sait que trop que |
| Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 246
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| ces beaux sentiments n'ont produit, après une gestation de plusieurs milliers d'années, | | ces beaux sentiments n'ont produit, après une gestation de plusieurs milliers d'années, |
| que la présente misère. Pourquoi s'obstiner à attendre encore de l'abnégation la venue | | que la présente misère. Pourquoi s'obstiner à attendre encore de l'abnégation la venue |
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| toujours sur l'amour, et, conscient ou inconscient l'Humanitaire qui bafoue l'égoïsme | | toujours sur l'amour, et, conscient ou inconscient l'Humanitaire qui bafoue l'égoïsme |
| ne sort pas de la même ornière. | | ne sort pas de la même ornière. |
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| Quand la communauté est devenue pour l'homme un besoin, quand il trouve | | Quand la communauté est devenue pour l'homme un besoin, quand il trouve |
| qu'elle l'aide à réaliser ses desseins, elle ne tarde pas, prenant rang de principe, à lui | | qu'elle l'aide à réaliser ses desseins, elle ne tarde pas, prenant rang de principe, à lui |
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| Peuple (dieux nationaux) ou de « tous les hommes ». (« Il est le père de tous les | | Peuple (dieux nationaux) ou de « tous les hommes ». (« Il est le père de tous les |
| hommes. ») | | hommes. ») |
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| Que l'on n’espère point arriver à détruire de fond en comble la religion, tant que | | Que l'on n’espère point arriver à détruire de fond en comble la religion, tant que |
| l'on n'aura pas auparavant mis au rebut la société et tout ce qu'implique son principe. | | l'on n'aura pas auparavant mis au rebut la société et tout ce qu'implique son principe. |
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| la Société ! La société alors est le grand Pan, et les hommes n'existent plus que « les | | la Société ! La société alors est le grand Pan, et les hommes n'existent plus que « les |
| uns pour les autres ». C'est l'apothéose de l' « Amour-État ! | | uns pour les autres ». C'est l'apothéose de l' « Amour-État ! |
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| Pour moi, j'aime mieux avoir recours à l'égoïsme des hommes qu'à leurs « services | | Pour moi, j'aime mieux avoir recours à l'égoïsme des hommes qu'à leurs « services |
| d'amour », à leur miséricorde, à leur charité, etc. L'égoïsme exige la réciprocité | | d'amour », à leur miséricorde, à leur charité, etc. L'égoïsme exige la réciprocité |
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| n'existait pas, ni ses lois et ses institutions qu'il paie par-dessus le marché. Et malgré | | n'existait pas, ni ses lois et ses institutions qu'il paie par-dessus le marché. Et malgré |
| tout, le pauvre diable aime encore son maître ! | | tout, le pauvre diable aime encore son maître ! |
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| Non, la communauté comme « but » de l'histoire jusqu'à ce jour est impossible. | | Non, la communauté comme « but » de l'histoire jusqu'à ce jour est impossible. |
| Défaisons-nous au plus tôt de toute illusion hypocrite à ce sujet, et reconnaissons | | Défaisons-nous au plus tôt de toute illusion hypocrite à ce sujet, et reconnaissons |
| Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 247
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| MOI 371
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| que si c'est en tant qu'Hommes que nous sommes égaux, égaux nous ne le | | que si c'est en tant qu'Hommes que nous sommes égaux, égaux nous ne le |
| sommes pas, attendu que nous ne sommes pas Hommes. Nous ne sommes égaux | | sommes pas, attendu que nous ne sommes pas Hommes. Nous ne sommes égaux |
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| sommes indicibles, parce qu'il n'y a que les idées qui puissent être exprimées et se | | sommes indicibles, parce qu'il n'y a que les idées qui puissent être exprimées et se |
| fixer par la parole. | | fixer par la parole. |
| | |
| Cessons donc d'aspirer à la communauté ; ayons plutôt en vue la particularité. Ne | | Cessons donc d'aspirer à la communauté ; ayons plutôt en vue la particularité. Ne |
| recherchons pas la plus vaste collectivité, la « société humaine », ne cherchons dans | | recherchons pas la plus vaste collectivité, la « société humaine », ne cherchons dans |
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| lequel j'ai ou je n'ai pas de sympathie, un objet qui m'intéresse ou ne m'intéresse pas, | | lequel j'ai ou je n'ai pas de sympathie, un objet qui m'intéresse ou ne m'intéresse pas, |
| dont je puis ou dont je ne puis pas me servir. | | dont je puis ou dont je ne puis pas me servir. |
| | |
| S'il peut m'être utile, je consens à m'entendre avec lui, à m'associer avec lui pour | | S'il peut m'être utile, je consens à m'entendre avec lui, à m'associer avec lui pour |
| que cet accord augmente ma force, pour que nos puissances réunies produisent plus | | que cet accord augmente ma force, pour que nos puissances réunies produisent plus |
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| d'autre qu'une augmentation de ma force, et je ne la conserve que tant qu'elle est ma | | d'autre qu'une augmentation de ma force, et je ne la conserve que tant qu'elle est ma |
| force multipliée. Dans ce sens-là, elle est une — association. | | force multipliée. Dans ce sens-là, elle est une — association. |
| | |
| L'association n'est maintenue ni par un lien naturel ni par un lien spirituel ; elle | | L'association n'est maintenue ni par un lien naturel ni par un lien spirituel ; elle |
| n'est ni une société naturelle ni une société morale. Ce n'est ni l'unité de sang, ni | | n'est ni une société naturelle ni une société morale. Ce n'est ni l'unité de sang, ni |
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| n'est que dans l'association que votre unicité peut s'affirmer, parce que l'association ne | | n'est que dans l'association que votre unicité peut s'affirmer, parce que l'association ne |
| vous possède pas, mais que vous la possédez et que vous vous servez d'elle. | | vous possède pas, mais que vous la possédez et que vous vous servez d'elle. |
| | |
| Dans l'association, et dans l'association seule, la propriété prend sa véritable | | Dans l'association, et dans l'association seule, la propriété prend sa véritable |
| valeur et est réellement propriété, attendu que je n'y dois plus à personne ce qui est à | | valeur et est réellement propriété, attendu que je n'y dois plus à personne ce qui est à |
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| depuis qu'a commencé l'évolution religieuse et dont l'État donne la formule : une | | depuis qu'a commencé l'évolution religieuse et dont l'État donne la formule : une |
| féodalité, ayant en somme à sa base la négation de la propriété. | | féodalité, ayant en somme à sa base la négation de la propriété. |
| | |
| L'État s'efforce de discipliner les appétits ; en d'autres termes, il cherche à faire en | | L'État s'efforce de discipliner les appétits ; en d'autres termes, il cherche à faire en |
| sorte qu'ils se tournent vers lui seul, et à les satisfaire au moyen de ce qu'il a à leur | | sorte qu'ils se tournent vers lui seul, et à les satisfaire au moyen de ce qu'il a à leur |
| offrir. Rassasier un appétit pour l'amour de celui qui l'éprouve est une idée qui ne | | offrir. Rassasier un appétit pour l'amour de celui qui l'éprouve est une idée qui ne |
| saurait venir à l'État ; il flétrit du nom d' « égoïste » celui qui manifeste des désirs | | saurait venir à l'État ; il flétrit du nom d' « égoïste » celui qui manifeste des désirs |
| Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 248
| |
| déréglés, et l'« homme égoïste » est son ennemi. Il l'est parce que l'État, incapable de | | déréglés, et l'« homme égoïste » est son ennemi. Il l'est parce que l'État, incapable de |
| « comprendre » l'égoïste, ne peut s'entendre avec lui. Comme l'État (et il ne pourrait | | « comprendre » l'égoïste, ne peut s'entendre avec lui. Comme l'État (et il ne pourrait |
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Ligne 3 539 : |
| redevance. — La « Société » à son tour ne peut agir d'une façon essentiellement | | redevance. — La « Société » à son tour ne peut agir d'une façon essentiellement |
| différente. | | différente. |
| | |
| Tu apportes dans l'association toute ta puissance, toute ta richesse, et tu t'y fais | | Tu apportes dans l'association toute ta puissance, toute ta richesse, et tu t'y fais |
| valoir. Dans la société, toi et ton activité êtes utilisés. Dans la première, tu vis en | | valoir. Dans la société, toi et ton activité êtes utilisés. Dans la première, tu vis en |
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| obsédé de « devoirs sociaux »; à l'association, tu ne dois rien : elle te sert, et tu la | | obsédé de « devoirs sociaux »; à l'association, tu ne dois rien : elle te sert, et tu la |
| quittes sans scrupule dès que tu n'as plus d'avantages à en tirer. | | quittes sans scrupule dès que tu n'as plus d'avantages à en tirer. |
| Si la société est plus que toi, tu la feras passer avant toi et tu t'en feras le serviteur | | |
| ; l'association est ton outil, ton arme, elle aiguise et multiplie ta force naturelle. | | Si la société est plus que toi, tu la feras passer avant toi et tu t'en feras le serviteur; l'association est ton outil, ton arme, elle aiguise et multiplie ta force naturelle. |
| L'association n'existe que pour toi et par toi, la société au contraire te réclame comme | | L'association n'existe que pour toi et par toi, la société au contraire te réclame comme |
| son bien et elle peut exister sans toi. Bref, la société est sacrée et l'association est ta | | son bien et elle peut exister sans toi. Bref, la société est sacrée et l'association est ta |
| propriété, la société se sert de toi et tu te sers de l'association. | | propriété, la société se sert de toi et tu te sers de l'association. |
| | |
| On ne manquera probablement pas de nous objecter que l'accord que nous avons | | On ne manquera probablement pas de nous objecter que l'accord que nous avons |
| conclu peut devenir gênant et limiter notre liberté ; on dira qu'en définitive nous en | | conclu peut devenir gênant et limiter notre liberté ; on dira qu'en définitive nous en |
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Ligne 3 561 : |
| « sacrifice », je ne renonce qu'à ce qui échappe à mon pouvoir, c'est-à-dire que je ne | | « sacrifice », je ne renonce qu'à ce qui échappe à mon pouvoir, c'est-à-dire que je ne |
| « sacrifie » rien du tout. | | « sacrifie » rien du tout. |
| | |
| Pour en revenir à la propriété, c'est donc le maître qui est propriétaire. Et maintenant, | | Pour en revenir à la propriété, c'est donc le maître qui est propriétaire. Et maintenant, |
| choisis : veux-tu être le maître ou veux-tu que la société soit maîtresse ? Il | | choisis : veux-tu être le maître ou veux-tu que la société soit maîtresse ? Il |
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| de maître en mettant l'Homme à la place du Dieu, et en faisant un fief de l'Homme de | | de maître en mettant l'Homme à la place du Dieu, et en faisant un fief de l'Homme de |
| ce qui auparavant était un fief accordé par la grâce divine. | | ce qui auparavant était un fief accordé par la grâce divine. |
| | |
| Nous avons montré plus haut que la gueuserie du Communisme est, par le | | Nous avons montré plus haut que la gueuserie du Communisme est, par le |
| principe humanitaire, poussée jusqu'à la gueuserie absolue, jusqu'à la plus gueuse des | | principe humanitaire, poussée jusqu'à la gueuserie absolue, jusqu'à la plus gueuse des |
| gueuseries ; mais nous avons montré aussi que ce n'est que par cette voie que la | | gueuseries ; mais nous avons montré aussi que ce n'est que par cette voie que la |
| gueuserie peut aboutir à l'individualité. L'ancien régime féodal a été si complètement | | gueuserie peut aboutir à l'individualité. L'ancien régime féodal a été si complètement |
| Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 249
| |
| anéanti par la Révolution que toute réaction, quelque habileté qu'elle déploie à | | anéanti par la Révolution que toute réaction, quelque habileté qu'elle déploie à |
| galvaniser le cadavre du passé, est désormais condamnée à avorter misérablement, car | | galvaniser le cadavre du passé, est désormais condamnée à avorter misérablement, car |
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| féodalité est ressuscitée avec un corps transfiguré, féodalité nouvelle sous la haute | | féodalité est ressuscitée avec un corps transfiguré, féodalité nouvelle sous la haute |
| suzeraineté de l’ « Homme ». | | suzeraineté de l’ « Homme ». |
| | |
| Le Christianisme est loin d'être anéanti, et ses fidèles ont eu raison de voir avec | | Le Christianisme est loin d'être anéanti, et ses fidèles ont eu raison de voir avec |
| confiance dans les assauts qu'on lui a livrés jusqu'à présent de simples preuves dont il | | confiance dans les assauts qu'on lui a livrés jusqu'à présent de simples preuves dont il |
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| confiance, nous prenons pour notre propriété ; et nous croyons avoir trouvé ce qui est | | confiance, nous prenons pour notre propriété ; et nous croyons avoir trouvé ce qui est |
| à « nous » quand nous découvrons ce qui est « à l'Homme ». | | à « nous » quand nous découvrons ce qui est « à l'Homme ». |
| | |
| Si le Libéralisme veut me donner ce qui est à moi, ce n'est point qu'il y voie le | | Si le Libéralisme veut me donner ce qui est à moi, ce n'est point qu'il y voie le |
| mien, mais l'humain. Comme si, sous ce déguisement, il m'était possible de l'atteindre | | mien, mais l'humain. Comme si, sous ce déguisement, il m'était possible de l'atteindre |
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| Homme, je puis avoir un droit, mais je suis plus qu'Homme, je suis un homme | | Homme, je puis avoir un droit, mais je suis plus qu'Homme, je suis un homme |
| particulier, aussi ce droit peut-il m'être refusé à Moi, au particulier. | | particulier, aussi ce droit peut-il m'être refusé à Moi, au particulier. |
| | |
| Mais si vous savez faire cas de votre richesse, si vous tenez à haut prix vos | | Mais si vous savez faire cas de votre richesse, si vous tenez à haut prix vos |
| talents, si vous ne permettez pas qu'on vous force à les vendre au-dessous de leur | | talents, si vous ne permettez pas qu'on vous force à les vendre au-dessous de leur |
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| et l'on ne pourra plus vous dire : renoncez à votre propriété ! Vous répondriez : | | et l'on ne pourra plus vous dire : renoncez à votre propriété ! Vous répondriez : |
| je veux en profiter. | | je veux en profiter. |
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| Au fronton de notre siècle, on ne lit plus la maxime delphique : « Connais-toi toimême | | Au fronton de notre siècle, on ne lit plus la maxime delphique : « Connais-toi toimême |
| », mais bien : « EXPLOITE-TOI TOI-MÊME ! » | | », mais bien : « EXPLOITE-TOI TOI-MÊME ! » |
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| Proudhon dit que la « propriété, c'est le vol ». Mais la propriété d'autrui (il ne | | Proudhon dit que la « propriété, c'est le vol ». Mais la propriété d'autrui (il ne |
| parle que de celle-là) n'existe que par le fait d'une renonciation, d'un abandon, comme | | parle que de celle-là) n'existe que par le fait d'une renonciation, d'un abandon, comme |
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| nous-mêmes qui sommes en faute en ne les volant pas ? S'il y a des riches, la faute en | | nous-mêmes qui sommes en faute en ne les volant pas ? S'il y a des riches, la faute en |
| est aux pauvres. | | est aux pauvres. |
| | |
| En général, personne ne s'indigne et ne proteste contre sa propre propriété ; on ne | | En général, personne ne s'indigne et ne proteste contre sa propre propriété ; on ne |
| s'irrite que contre celle d'autrui. Chacun, pour sa part, veut augmenter et non diminuer | | s'irrite que contre celle d'autrui. Chacun, pour sa part, veut augmenter et non diminuer |
| ce qu'il peut appeler sien et voudrait pouvoir appeler tout ainsi. Ce n'est en réalité pas | | ce qu'il peut appeler sien et voudrait pouvoir appeler tout ainsi. Ce n'est en réalité pas |
| à la propriété qu'on s'attaque, mais à la propriété étrangère ; ce que l'on combat, c'est, | | à la propriété qu'on s'attaque, mais à la propriété étrangère ; ce que l'on combat, c'est, |
| Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 250
| |
| pour former un mot qui fasse le pendant de propriété, l’aliénité. Et comment s'y | | pour former un mot qui fasse le pendant de propriété, l’aliénité. Et comment s'y |
| prend-on ? Au lieu de transformer l’alienum en proprium et de s'approprier le bien | | prend-on ? Au lieu de transformer l’alienum en proprium et de s'approprier le bien |
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| d'un tiers. Alors toute trace d'« égoïsme » disparaît, et tout devient on ne peut plus | | d'un tiers. Alors toute trace d'« égoïsme » disparaît, et tout devient on ne peut plus |
| pur, on ne peut plus humain ! | | pur, on ne peut plus humain ! |
| | |
| Radicale inhabilité de l'individu à être propriétaire, radicale gueuserie, telle est | | Radicale inhabilité de l'individu à être propriétaire, radicale gueuserie, telle est |
| l' « essence du Christianisme et de toute religiosité (piété, moralité, humanité), tel est | | l' « essence du Christianisme et de toute religiosité (piété, moralité, humanité), tel est |
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| « qui vient seulement d'être découvert » est la féodalité parfaite, la servitude universelle, | | « qui vient seulement d'être découvert » est la féodalité parfaite, la servitude universelle, |
| la — parfaite gueuserie. | | la — parfaite gueuserie. |
| | |
| Est-ce donc une nouvelle « révolution » qu'appelle cette féodalité nouvelle ? | | Est-ce donc une nouvelle « révolution » qu'appelle cette féodalité nouvelle ? |
| | |
| Révolution et insurrection ne sont pas synonymes. La première consiste en un | | Révolution et insurrection ne sont pas synonymes. La première consiste en un |
| bouleversement de l'ordre établi, du status de l'État ou de la Société, elle n'a donc | | bouleversement de l'ordre établi, du status de l'État ou de la Société, elle n'a donc |
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Ligne 3 657 : |
| pour me dégager du présent qui m'opprime ; et dès que je l'ai abandonné, ce présent | | pour me dégager du présent qui m'opprime ; et dès que je l'ai abandonné, ce présent |
| est mort et tombe en décomposition. | | est mort et tombe en décomposition. |
| | |
| En somme, mon but n'étant pas de renverser ce qui est, mais de m’élever au-dessus | | En somme, mon but n'étant pas de renverser ce qui est, mais de m’élever au-dessus |
| de lui, mes intentions et mes actes n'ont rien de politique ni de social ; n'ayant | | de lui, mes intentions et mes actes n'ont rien de politique ni de social ; n'ayant |
| d'autre objet que moi et mon individualité, ils sont égoïstes. | | d'autre objet que moi et mon individualité, ils sont égoïstes. |
| | |
| La révolution ordonne d'instituer, d'instaurer, l'insurrection veut qu'on se soulève | | La révolution ordonne d'instituer, d'instaurer, l'insurrection veut qu'on se soulève |
| ou qu'on s'élève. | | ou qu'on s'élève. |
| | |
| Le choix d'une constitution, tel était le problème qui préoccupait les cerveaux | | Le choix d'une constitution, tel était le problème qui préoccupait les cerveaux |
| révolutionnaires ; toute l'histoire politique de la Révolution est remplie par des luttes | | révolutionnaires ; toute l'histoire politique de la Révolution est remplie par des luttes |
| constitutionnelles et des questions constitutionnelles, de même que les génies du | | constitutionnelles et des questions constitutionnelles, de même que les génies du |
| Socialisme se sont montrés étonnamment féconds en institutions sociales (palanstères, | | Socialisme se sont montrés étonnamment féconds en institutions sociales (palanstères, |
| etc.). C'est au contraire à s'affranchir de toute constitution que tend l'insurgé 1. | | etc.). C'est au contraire à s'affranchir de toute constitution que tend l'insurgé <ref>Pour me garantir contre toute poursuite criminelle, je ferai, par surcroît de précaution, |
| | expressément remarquer que je prends le mot « insurrection » dans son sens étymologique et non |
| | dans l'acception restreinte sur laquelle sont suspendues les foudres du Code pénal.</ref>. |
| | |
| Je cherchais une comparaison afin de rendre plus clair ce que je viens de dire, et | | Je cherchais une comparaison afin de rendre plus clair ce que je viens de dire, et |
| voici que ma pensée se reporte aux premiers temps de la fondation du Christianisme. | | voici que ma pensée se reporte aux premiers temps de la fondation du Christianisme. |
| 1 Pour me garantir contre toute poursuite criminelle, je ferai, par surcroît de précaution,
| | |
| expressément remarquer que je prends le mot « insurrection » dans son sens étymologique et non
| |
| dans l'acception restreinte sur laquelle sont suspendues les foudres du Code pénal.
| |
| Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 251
| |
| Dans le camp libéral, on reproche aux premiers Chrétiens d'avoir prêché l'obéissance | | Dans le camp libéral, on reproche aux premiers Chrétiens d'avoir prêché l'obéissance |
| aux lois païennes existantes, d'avoir prescrit de reconnaître, l'autorité païenne et | | aux lois païennes existantes, d'avoir prescrit de reconnaître, l'autorité païenne et |
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Ligne 3 710 : |
| tranquille, sans un regard pour les vaincus, il éleva son temple à lui, sans prêter | | tranquille, sans un regard pour les vaincus, il éleva son temple à lui, sans prêter |
| l'oreille aux cris de douleur de ceux qu'il avait ensevelis sous leurs ruines. | | l'oreille aux cris de douleur de ceux qu'il avait ensevelis sous leurs ruines. |
| | |
| Et maintenant, ce qui est arrivé au monde païen arrivera-t-il au monde chrétien ? | | Et maintenant, ce qui est arrivé au monde païen arrivera-t-il au monde chrétien ? |
| Une révolution ne conduira certainement pas au but, si d'abord une insurrection ne | | Une révolution ne conduira certainement pas au but, si d'abord une insurrection ne |
| s'est accomplie. | | s'est accomplie. |
| | |
| À quoi tendent mes relations avec le monde ? Je veux en jouir ; il faut pour cela | | À quoi tendent mes relations avec le monde ? Je veux en jouir ; il faut pour cela |
| qu'il soit ma propriété, et je veux donc le conquérir. Je ne veux pas la liberté des hommes, | | qu'il soit ma propriété, et je veux donc le conquérir. Je ne veux pas la liberté des hommes, |
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| Et s'ils s'opposent à mes désirs, eh bien ! le droit de vie et de mort que se sont | | Et s'ils s'opposent à mes désirs, eh bien ! le droit de vie et de mort que se sont |
| réserve l'Église et l'État, je déclare que lui aussi — est à moi. | | réserve l'Église et l'État, je déclare que lui aussi — est à moi. |
| | |
| Flétrissez cette veuve d'officier qui, durant la retraite de Russie, ayant eu la jambe | | Flétrissez cette veuve d'officier qui, durant la retraite de Russie, ayant eu la jambe |
| emportée par un boulet, défit sa jarretière, étrangla son enfant, puis se coucha pour | | emportée par un boulet, défit sa jarretière, étrangla son enfant, puis se coucha pour |
| mourir à côté du cadavre ; flétrissez la mémoire de cette mère infanticide. Qui sait, si | | mourir à côté du cadavre ; flétrissez la mémoire de cette mère infanticide. Qui sait, si |
| cet enfant était resté en vie, quels « services il eût pu rendre » au monde ? Et la mère | | cet enfant était resté en vie, quels « services il eût pu rendre » au monde ? Et la mère |
| Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 252
| |
| le tua, parce qu'elle voulait mourir contente et tranquille ! Cette histoire émeut peutêtre | | le tua, parce qu'elle voulait mourir contente et tranquille ! Cette histoire émeut peutêtre |
| encore votre sentimentalité, mais vous n'en savez rien tirer d'autre. Soit. Pour | | encore votre sentimentalité, mais vous n'en savez rien tirer d'autre. Soit. Pour |
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Ligne 3 731 : |
| rapports avec les hommes et qu'il n'y a pas d'accès d'humilité qui puisse me faire | | rapports avec les hommes et qu'il n'y a pas d'accès d'humilité qui puisse me faire |
| renoncer au pouvoir de vie et de mort. | | renoncer au pouvoir de vie et de mort. |
| | |
| Quant aux « devoirs sociaux » en général, ce n'est pas à un tiers à fixer ma position | | Quant aux « devoirs sociaux » en général, ce n'est pas à un tiers à fixer ma position |
| vis-à-vis des autres ; ce n'est, par conséquent, ni Dieu ni l'humanité qui peuvent | | vis-à-vis des autres ; ce n'est, par conséquent, ni Dieu ni l'humanité qui peuvent |
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Ligne 3 739 : |
| suicide), à moins que je ne « me » distingue Moi-même (mon âme immortelle de mon | | suicide), à moins que je ne « me » distingue Moi-même (mon âme immortelle de mon |
| existence terrestre, etc.). | | existence terrestre, etc.). |
| | |
| Je ne m'humilie plus devant aucune puissance, je reconnais que toute puissance | | Je ne m'humilie plus devant aucune puissance, je reconnais que toute puissance |
| n'est que la mienne, et que je dois l'abattre dès qu'elle menace de devenir opposée ou | | n'est que la mienne, et que je dois l'abattre dès qu'elle menace de devenir opposée ou |
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Ligne 3 749 : |
| pour qu'elles ne soient plus ; il n'y a de « puissances supérieures » que parce que je les | | pour qu'elles ne soient plus ; il n'y a de « puissances supérieures » que parce que je les |
| élève et me mets au-dessous d'elles. | | élève et me mets au-dessous d'elles. |
| | |
| Voici donc en quoi consistent mes rapports avec le monde : Je ne fais plus rien | | Voici donc en quoi consistent mes rapports avec le monde : Je ne fais plus rien |
| pour lui « pour l'amour de Dieu », je ne fais plus rien « pour l'amour de l'Homme », | | pour lui « pour l'amour de Dieu », je ne fais plus rien « pour l'amour de l'Homme », |
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| sont l'universelle félicité, le monde moral ou règneraient l'amour universel, la paix | | sont l'universelle félicité, le monde moral ou règneraient l'amour universel, la paix |
| éternelle, l'extinction de l'égoïsme, etc. | | éternelle, l'extinction de l'égoïsme, etc. |
| | |
| « Rien dans ce monde n'est parfait ! » — Sur cette triste parole, les bons s'en | | « Rien dans ce monde n'est parfait ! » — Sur cette triste parole, les bons s'en |
| détournent et se réfugient près de Dieu dans leur oratoire, ou dans l'orgueilleux | | détournent et se réfugient près de Dieu dans leur oratoire, ou dans l'orgueilleux |
| sanctuaire de leur « conscience ». Mais nous, nous demeurons dans ce monde « imparfait | | sanctuaire de leur « conscience ». Mais nous, nous demeurons dans ce monde « imparfait |
| » : tel qu'il est, nous savons le faire servir à notre jouissance. | | » : tel qu'il est, nous savons le faire servir à notre jouissance. |
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| Mes relations avec le monde consistent en ce que je jouis de lui et l'emploie à ma | | Mes relations avec le monde consistent en ce que je jouis de lui et l'emploie à ma |
| jouissance. Relations équivaut à jouissance du monde, et cela rentre dans ma — | | jouissance. Relations équivaut à jouissance du monde, et cela rentre dans ma — |
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| == Notes et références == | | == Notes et références == |
| <references /> <!-- aide : http://fr.wikipedia.org/wiki/Aide:Notes et références --> | | <references /> <!-- aide : http://fr.wikipedia.org/wiki/Aide:Notes et références --> |
Max Stirner:B. Mes relations
L’Unique et sa propriété
Anonyme
B — MES RELATIONS
Dans le monde et dans la société, il nous est tout au plus permis de satisfaire les
exigences de l'homme ; celles de l'égoïste doivent toujours être sacrifiées.
Il n'est personne qui n'ait remarqué l'intérêt passionné que l'époque actuelle témoigne
pour la « question sociale » de préférence à toute autre question, et qui n'ait en
conséquence dirigé spécialement son attention sur la société. Pourtant, si cet intérêt
était moins aveuglé par la passion, on ne perdrait pas de vue l'individu pour ne plus
voir que la Société, et on reconnaîtrait qu'une société ne peut guère se renouveler tant
que ses éléments vieillis ne sont pas remplacés par d'autres. À supposer, par exemple,
qu'il se formât au sein du peuple juif une société destinée à répandre sur la terre un
nouvel évangile, il ne faudrait pas que ces apôtres demeurassent des Pharisiens.
Tel tu es, et tel tu te montreras et te comporteras envers les hommes : hypocrite,
en hypocrite ; chrétien, en chrétien. C'est pourquoi le caractère d'une société est déterminé
par le caractère de ses membres : ils en sont les créateurs. C'est là un point dont
il serait bon de tenir compte, si l'on ne veut pas analyser la notion même de société.
Les hommes, bien loin de chercher à atteindre leur complet développement et à se
faire valoir, n'ont pas même su jusqu'à présent fonder leurs sociétés sur eux-mêmes ;
bien plus, ils n'ont su jusqu'ici que fonder des « sociétés » et vivre en société. Ces
sociétés furent de tout temps des personnes, personnes puissantes, personnes « morales
», qui inspiraient à l'individu la folie congrue, la peur des fantômes.
Tout fantôme qui se respecte porte un nom ; ceux-ci s'appellent « Peuples ». II y
eut un Peuple des aïeux, un Peuple des Hellènes, etc., et il y a aujourd'hui le Peuple
des Humains, l'Humanité (Anacharsis Clootz rêvait une « Nation de l'humanité ») ;vinrent ensuite les subdivisions de ce Peuple, qui renfermait ses sociétés particulières: peuple espagnol, peuple français, etc.; ces dernières comprirent à leur tour les castes,
les villes, les corporations, bref tous les groupements possibles, jusqu'au minuscule
petit peuple qu'est la Famille.
Au lieu de dire que la personne qui a jusqu'à présent hanté toutes les sociétés fut
le Peuple, on pourrait nommer à sa place l'un des deux extrêmes, la Famille ou
l'Humanité, qui sont les deux unités les plus naturelles. Nous préférons cependant le
mot « Peuple »; d'abord, parce que son étymologie le rattache au mot grec Polloi, le
nombre, la foule, ensuite et surtout parce que les « revendications populaires » sont
aujourd'hui à l'ordre du jour et que les révolutionnaires les plus contemporains n'ont
pas encore dépouillé leur idolâtrie pour cette illusoire personne ; cette dernière considération
serait cependant plutôt faite pour nous incliner à choisir le terme « Humanité
», l' « Humanité » étant aujourd'hui ce que tout le monde rêve.
Ainsi donc, le Peuple, l'Humanité ou la Famille, ont jusqu'à présent, semble-t-il,
occupé la scène de l'histoire : aucun intérêt égoïste n'était toléré dans ces sociétés ;
seuls, les intérêts d'une collectivité, intérêts nationaux ou intérêts du peuple, intérêts
de caste, intérêts de famille et « intérêts généraux de l'humanité » pouvaient y jouer
un rôle. Mais qui donc a conduit à leur perte les peuples dont l'histoire nous conte la
chute ? L'égoïste qui cherche sa propre satisfaction. Chaque fois qu'un intérêt égoïste
s'y insinua, la société fut « corrompue » et marcha à sa désorganisation ; le peuple
romain et le perfectionnement de son droit privé, ou le christianisme et son incessante
invasion par le « libre examen », la « conscience de soi », l'« autonomie de l'esprit »,
etc., en sont d'illustres exemples.
Le Peuple chrétien a produit deux sociétés qui dureront ce que lui-même durera :
l’État et l’Église. Peut-ou les appeler des associations d'égoïstes ? Poursuivons-nous
en elles un intérêt égoïste, personnel, individuel, ou y poursuivons-nous un intérêt
populaire (parce que du peuple chrétien) sous le nom d'intérêt de l'État ou d'intérêt de
l'Église ? M'est-il en elles possible, m'est-il par elles permis d'être moi-même ? Puisje
penser et agir comme je veux, puis-je me manifester, m'affirmer, vivre ma vie à
moi ? Ne dois-je pas laisser intactes la majesté de l'État et la sainteté de l'Église ?
Ainsi donc, ce que je veux je ne le puis pas. Mais est-il une société, quelle qu'elle
soit, où je puisse espérer trouver cette liberté d'action illimitée ? Non ! Et une société
est-elle capable de nous satisfaire ? En aucune façon ! C'est tout autre chose de me
heurter à un autre Moi, ou de me heurter à un peuple, à une généralité. Dans le premier
cas, mon adversaire et moi combattons d'égal à égal ; dans le second, je suis un
adversaire méprisé, enchaîné et tenu en tutelle. Contre un autre Moi, je suis un mâle
en face d'un mâle ; en face du Peuple, je suis un écolier qui ne peut s'attaquer à son
camarade sans que ce dernier appelle à son secours le papa et la maman : lorsqu'il
s'est mis à l'abri derrière une jupe, moi, l'enfant malappris, on me gronde et on me
« défend de raisonner ». Un Moi est un ennemi en chair et en os ; allez donc étreindre
et terrasser l'Humanité, une abstraction, une « Majesté », un fantôme ! Mais il n'est
pas de Majesté, pas de Sainteté qui puisse me dire. : tu n'iras pas plus loin ; rien ne
peut m'empêcher de passer dont je puis me rendre maître. Ce que je ne puis vaincre,
voilà la seule limite à mon pouvoir ; et tant que mon pouvoir est borné, je ne suis
qu'un Moi borné ; — borné, non pas par la puissance extérieure, mais par ce qu'il me
manque encore de puissance propre, par ma propre impuissance. Mais la « garde
meurt et ne se rend pas! ». Donnez-moi seulement un adversaire vivant !
« Je me mesurerai avec tout adversaire
que je puis voir et toiser du regard,
qui, lui-même plein de courage, enflamme mon courage..., etc. »
Le temps a aboli maint privilège, mais toujours en vue du seul bien public, en vue
de l'État, du bien de l'État, et en aucune façon en vue de mon bien à moi. Le servage,
par exemple, ne fut aboli qu'afin de renforcer la puissance d'un maître unique, du
maître du peuple, la puissance monarchique ; le servage ainsi monopolisé n'en devint
que plus écrasant. Ce n'est jamais qu'en faveur d'un monarque, que ce monarque
s'appelle Prince ou s'appelle Loi, que les privilèges sont tombés. En France, il est vrai,
les citoyens ne sont pas serfs du roi, mais en revanche ils sont serfs de la loi (la
charte). La subordination persiste ; seulement, l'État chrétien ayant reconnu que
l'homme ne peut servir deux maîtres à la fois (son suzerain et le prince, par exemple),
tous les privilèges ont été donnés à un seul : il peut de nouveau placer l'un au-dessus
de l'autre, et créer des « haut placés ».
Mais que m'importe le bien public ? Par là même qu'il est le bien public, il n'est
pas mon bien, mais le suprême degré de l'abnégation. Je puis avoir le ventre vide
pendant que le bien public festoie, l'État illumine peut-être tandis que je crève de
faim. La vraie folie des Libéraux politiques, c'est d'opposer le Peuple au gouvernement,
et de parler de droits du Peuple. Ils veulent que le Peuple soit majeur, etc.
Comme si un mot pouvait être majeur [1] ! Seul l'individu peut être majeur. De même toute la question de la liberté de la presse n'a plus ni queue ni tête, si on prétend faire
de cette liberté un « droit du Peuple » : elle est simplement un droit ou pour mieux
dire une conséquence de la force de 1'individu. Si c'est le Peuple qui a la liberté de la
presse, moi, bien que je fasse partie de ce Peuple, je n'en jouis pas ; une liberté du
Peuple n'est pas ma liberté, et si la liberté de la presse est une liberté du Peuple, elle
sera nécessairement flanquée d'une loi sur la presse dirigée contre moi.
Ce qu'il faut surtout bien faire valoir en présence des tendances libérales actuelles,
c'est que :
La liberté du Peuple n'est pas ma liberté.
Admettons ces catégories, liberté du Peuple et droit du Peuple, et soit par exemple
le droit « du Peuple » que chacun a de porter des armes. N'est-ce pas là un droit dont
on peut être privé ? Si c'était mon propre droit, je ne pourrais pas le perdre ; mais ce
droit ne m'appartient pas, il appartient au Peuple, aussi peut-il m'être enlevé. Je puis
être emprisonné en vertu de la liberté du Peuple, et je puis, à la suite d’une condamnation,
être déchu du droit de porter des armes.
Le Libéralisme me paraît être une dernière tentative peur instaurer la liberté du
Peuple, la liberté de la communauté, de la « Société », de la généralité, de l'Humanité.
J'y vois le rêve d'une humanité majeure, d'un peuple majeur, d'une communauté,
d'une « Société » majeures.
Un peuple ne peut être libre qu'aux dépens de l'individu, car sa liberté ne touche
que lui et n'est pas l'affranchissement de l'individu ; plus le peuple est libre, plus
l'individu est lié. C'est à l'époque de sa plus grande liberté que le peuple grec établit
l'ostracisme, bannit les athées et fit boire la ciguë au plus probe de ses penseurs.
Combien n'a-t-on pas vanté chez Socrate le scrupule de probité qui lui fit
repousser le conseil de s'enfuir de son cachot ! Ce fut de sa part une pure folie de
donner aux Athéniens le droit de le condamner. Aussi n'a-t-il été traité que comme il
le méritait ; pourquoi se laissait-il entraîner par les Athéniens à engager la lutte sur le
terrain où ils s'étaient placés ? Pourquoi ne pas rompre avec eux ? S'il avait su, s'il
avait pu savoir ce qu'il était, il n'eût reconnu à de tels juges aucune autorité, aucun
droit. S'il fut faible, ce fut précisément en ne fuyant pas, en gardant cette illusion qu'il
avait encore quelque chose de commun avec les Athéniens, et en s'imaginant n'être
qu'un membre, un simple membre de ce peuple. Il était bien plutôt ce peuple même en
personne, et seul il pouvait être son juge. Il n'y avait point de juge au-dessus de lui :
n'avait-il pas d'ailleurs prononcé sa sentence ? Il s'était, lui, jugé digne du Prytanée. Il
aurait dû s'en tenir là, et, n'ayant prononcé contre lui-même aucune sentence de mort,
il aurait dû mépriser celle des Athéniens et s'enfuir. Mais il se subordonna, et il
accepta le Peuple pour juge : il se sentait petit devant la majesté du Peuple. S'incliner
comme devant un « droit » devant la force qu'il n'aurait dû reconnaître qu'en y
succombant, c'était se trahir soi-même, et c'était de la vertu. La légende attribue les
mêmes scrupules au Christ, qui, dit-on, ne voulut pas se servir de sa puissance sur les
légions célestes. Luther fut plus sage ; il eut raison de se faire délivrer un sauf-conduit
en bonne forme avant, de se hasarder à la diète de Worms, et Socrate aurait dû savoir
que les Athéniens n'étaient que ses ennemis et. que lui seul était son juge. L'illusion
d'une « justice », d'une « légalité », etc., devait se dissiper devant cette considération
que toute relation est un rapport de force, une lutte de puissance à puissance.
La liberté grecque périt misérablement au milieu des chicanes et des intrigues.
Pourquoi ? Parce que les conclusions que n'avait pas su tirer Socrate, leur maître dans
l'art de penser, le commun des Grecs était bien moins capable encore de s'y élever.
Qu'est-ce que la chicane, sinon l'art d'exploiter l'actuel sans le détruire ? (Je pourrais
ajouter d'exploiter à « son profit », mais cela va de soi.) Parmi ces gens de chicane
nous comptons les théologiens, qui « commentent et interprètent » la parole de Dieu ;
à quoi accrocheraient-ils leurs gloses si la parole divine n'était pas un texte « présent »
et censé immuable ? Tels sont encore les Libéraux, qui ne s'attaquent au « présent »
que pour le critiquer et l'interpréter ; tous ne sont que des falsificateurs, juste comme
ceux qui falsifient le droit. Socrate s'était incliné devant le droit et devant la loi, et les
Grecs continuèrent à admettre l'autorité du droit et de la loi; mais ils n'entendaient pas
prodiguer gratuitement leurs respects, il fallait qu'ils y trouvassent leur compte, et ils
durent bien en venir à le chercher dans l'intrigue et à fausser le droit. Avec Alcibiade,
cet intrigant de génie, commence la période de la « décadence » athénienne ; le
Spartiate Lysandre et bien d'autres témoignent que l'intrigue s'était répandue comme
une lèpre dans toute la Grèce. Le Droit grec, sur lequel reposaient les États grecs, fut,
dans ces États mêmes, miné et ébranlé par les égoïstes, et les États croulèrent, mettant
en liberté les Individus. Le Peuple grec tomba parce que les individus faisaient moins
de cas de lui que d'eux-mêmes.
États, Constitutions, Églises, etc., se sont toujours évanouis dès que l'individu a
levé la tête, car l'individu est l'ennemi irréconciliable de tout ce qui tend à submerger
sa volonté sous une volonté générale, de tout lien, c'est-à-dire de toute chaîne. Cependant,
on s'imagine aujourd'hui encore que l'homme ne peut se passer de « liens
sacrés »! L'homme, cet ennemi mortel de tout « lien »! L'histoire des peuples nous
montre qu'aucun lien n'a pu échapper à la dissolution ; elle nous démontre que
l'homme lutte infatigablement contre toute chaîne, quelle qu'elle soit ; et cependant on
ferme les yeux devant l'évidence, et l'on en rêve encore et toujours de nouvelles : on
croit, par exemple, avoir trouvé quelque chose de neuf et de solide quand on impose à
l'homme ce qu'on appelle une « constitution libérale », une belle chaîne constitutionnelle.
Les rubans, les cordons et tous les liens de confiance et d'amour qui unissent les
sujets à... finissent en vérité par montrer quelque peu la corde ; mais quelques progrès
qu'on ait faits en matière de liens, on n'est arrivé, en partant des lisières, qu'à la
bretelle ou à la cravate.
Tout ce qui est sacré est un lien, une chaîne.
Tout ce qui est sacré est falsifié par des faussaires, et il ne pourrait en être autrement; aussi trouve-t-on à notre époque une foule de ces faussaires dans toutes les
sphères. Ils préparent la rupture avec le droit, la suppression du droit.
Pauvres Athéniens, qu'on accuse de chicane et de sophistique ! Pauvre Alcibiade,
que l'on accuse d'intrigue ! C'est là justement ce que vous aviez de meilleur, c'était
votre premier pas vers la liberté. Votre Eschyle, votre Hérodote et les autres ne rêvaient
qu'un Peuple grec libre : vous eûtes, les premiers, un pressentiment de votre
liberté.
Tout Peuple opprime ceux qui s'élèvent au-dessus de sa majesté ; l'ostracisme menace
le citoyen trop puissant, l'inquisition de l'Église guette l'hérétique, et — l'inquisition
également guette le traître envers l'État.
Car le Peuple n'a cure que de se maintenir et de s'affermir ; il réclame de chacun
un « patriotique dévouement ». L'individu en soi lui est donc indifférent, c'est un zéro,
et le Peuple ne peut faire ni même permettre que l'individu accomplisse ce qu'il est
seul capable d'accomplir, sa réalisation. Tout Peuple, tout État est « injuste » envers
les égoïstes.
Tant qu'il reste debout une seule institution qu'il n'est pas permis à l'individu
d'abolir, le Moi est encore bien loin d'être sa propriété et d'être autonome. Comment
parler de liberté, tant que je dois par exemple me lier par serment à une constitution, à
une charte, à une loi, tant que je dois jurer d'appartenir « corps et âme » à mon
Peuple ? Gomment être moi-même s'il n'est permis à mes facultés de se développer
que pour autant qu'elles « ne troublent pas l'harmonie de la Société »? (Weitling.)
La chute des peuples et de l'humanité sera le signal de son élévation.
Écoute ! Au moment, même où j'écris ces lignes, les cloches se sont mises à
sonner ; elles portent au loin un joyeux message : demain on célèbre le millième anniversaire de notre chère Allemagne. Sonnez, sonnez, ô cloches, cloches des funérailles
! Votre voix est si solennelle et si grave qu'il semble que vos langues de bronze soient
mues par un pressentiment et que vous escortiez un mort. Peuple allemand et peuples
allemands ont derrière eux dix siècles d'histoire ; quelle longue vie ! Descendez donc
au tombeau pour ne vous relever jamais, et qu'ils soient libres, ceux que vous avez
tenus enchaînés si longtemps ! — Le Peuple est mort, Je me lève.
Ô toi qui as tant souffert, ô mon peuple allemand, quelle a été ta souffrance ?
C'était le tourment d'une pensée qui ne peut se créer un corps, le tourment d'un Esprit
errant qui s'évanouit lorsque le coq chante et qui aspire cependant à sa délivrance et à
sa réalisation. En moi aussi, tu as longtemps vécu, chère — pensée, cher — fantôme !
Déjà je croyais avoir trouvé la parole magique qui doit te délivrer, déjà je croyais
avoir découvert une chair et des membres pour vêtir l'Esprit errant, — et voilà que
j'entends le glas des cloches qui te conduisent au repos éternel ; voilà que la dernière
espérance s'envole, que le dernier amour s'éteint. Je dis adieu à la maison déserte des
morts et je retourne parmi les vivants.
« Car seuls les vivants ont raison. »
Adieu donc, rêve de tant de millions d'hommes ; adieu, toi qui pendant mille ans
as tyrannisé tes enfants !
Demain, on te portera en terre ; bientôt, tes soeurs les nations te suivront. Quand
toutes seront parties à ta suite, l'humanité sera enterrée, et sur sa tombe, Moi, mon
seul maître enfin, Moi, son héritier, je rirai.
Le mot Gesellschaft, société, a pour étymologie le mot Saal, salle. Lorsqu'une
salle renferme plusieurs personnes, c'est elle qui fait que ces personnes sont en
société. Elles sont en société, mais elles ne font pas la société ; elles en font tout au
plus une société de salon si elles parlent le langage que l'on parle dans un salon,
Quant aux véritables relations, elles sont indépendantes de la société, elles peuvent
exister ou ne pas exister sans que la nature de ce qu'on appelle « société » en soit
altérée. La société, ce sont les personnes qui se trouvent dans la salle, et peu importe
qu'elles soient muettes ou ne prononcent que de banales phrases de politesse. Les
relations, au contraire, impliquent réciprocité, c'est le commerce (commercium) des
individus. La société n'est que l'occupation en commun d'une salle ; des statues, dans
une salle de musée, sont en société, elles sont « groupées ». Telle étant la signification
naturelle du mot société, il s'ensuit que la société n'est pas l'oeuvre de toi et de moi,
mais d'un tiers ; c'est ce tiers qui fait de nous des compagnons et qui est le vrai
fondateur, le créateur de la société.
Il en est de même pour une société ou compagnie de prisonniers (ceux qui jouissent
d'une même prison). Le tiers que nous rencontrons ici est déjà plus complexe que
ne l'était celui de tantôt, le simple local, la salle. Prison ne désigne plus simplement
un lieu, mais un lieu en rapport avec ses habitants : la prison n'est prison que parce
qu'elle est destinée à des prisonniers, sans lesquels elle serait un bâtiment quelconque.
Qui imprime un caractère commun à ceux qui y sont assemblés ? Il est clair que c'est
la prison, car c'est à cause d'elle qu'ils sont des prisonniers. Qui détermine la manière
de vivre de la société de prisonniers ? Encore la prison.
Mais qui détermine leurs relations ? Est-ce aussi la prison ? Halte ! Ici, je vous
arrête : Évidemment, s'ils entrent en relations, ce ne peut être que comme des prisonniers,
c'est-à-dire que pour autant que le permettent les règlements de la prison ;
mais ces relations, c'est eux-mêmes et eux seuls qui les créent, c'est le Je qui se met en
l'apport avec le Tu ; non seulement ces relations ne peuvent pas être le fait de la
prison, mais celle-ci doit veiller à s'opposer à toutes relations égoïstes, purement
personnelles (les seules qui puissent s'établir réellement entre un Je et un Tu).
La prison consent à ce que nous fassions un travail en commun, elle nous voit
avec plaisir manoeuvrer ensemble une machine ou partager n'importe quelle besogne.
Mais si j'oublie que je suis un prisonnier et si je noue des relations avec toi, également
oublieux de ton sort, voilà qui met la prison en péril : non seulement elle ne peut créer
de pareilles relations, mais elle ne peut même pas les tolérer. Et voilà pourquoi la
Chambre française, saintement et moralement pensante, a adopté le système de la
« prison cellulaire »; les autres, non moins vertueusement intentionnées, feront de
même pour mettre un obstacle aux « relations démoralisantes ». Dès que l'emprisonnement
est une affaire faite, il est sacré, il n'est plus permis de s'y attaquer. La
moindre tentative de ce genre est punissable, comme l'est toute révolte contre une des
sacro-saintetés auxquelles l'homme doit se livrer pieds et poings liés.
La prison, comme la salle, produit une société, une compagnie, une communauté
(communauté de travail, par exemple), mais non des relations, une réciprocité, une
association. Au contraire, toute association entre individus née à l'ombre de la prison
porte en elle le germe dangereux d'un « complot », et cette semence de rébellion peut,
si les circonstances sont favorables, germer et porter des fruits.
Ce n'est guère l'usage d'aller volontairement en prison, et il est également peu
commun que l'on y reste volontairement ; on y nourrit plutôt un égoïste désir de
liberté. Il est donc à présumer que toutes les relations personnelles entre prisonniers
seront hostiles à la société réalisée par la prison, et ne tendront à rien de moins qu'à
dissoudre cette société qui résulte de la captivité commune.
Adressons-nous donc à d'autres sociétés, des sociétés où il semble que nous
demeurions volontiers et de notre plein gré sans vouloir en compromettre l'existence
par nos manoeuvres égoïstes.
Comme communauté remplissant ces conditions se présente en premier lieu la
famille. Parents, époux, enfants, frères et soeurs forment un tout, ou constituent une
famille dont des alliances viennent peu à peu grossir les rangs. La famille n'est
réellement une communauté que si tous ses membres en observent la loi, la piété ou
l'amour familial. Un fils à qui père, mère, frères et soeurs sont devenus indifférents a
été fils, mais sa qualité de fils ne se manifestant plus activement a aussi peu d'importance
que la liaison depuis longtemps détruite de la mère et de l'enfant par le cordon
ombilical. Cette dernière liaison a existé autrefois, elle est un fait qu'il n'est plus
possible de défaire et en vertu duquel on reste irrévocablement le fils de cette mère et
le frère de ses autres enfants ; mais une dépendance permanente ne peut résulter que
de la permanence de la piété, de l'esprit de famille. Les individus ne sont, dans toute
l'acception du mot, membres d'une famille que s'ils se font un devoir de maintenir la
famille et s'ils se gardent, comme ses conservateurs, d'en remettre le fondement en
question. Il est pour tout membre de la famille une chose inébranlable et sacrée : c'est
la famille elle-même, ou, plus exactement, la piété. La famille doit subsister : telle
est, pour celui de ses membres qui ne s'est laissé envahir par aucun égoïsme
antifamilial, la vérité fondamentale, celle qu'aucun doute ne peut effleurer. En un mot,
si la famille est sacrée, aucun de ceux qui lui appartiennent ne peut s'en détacher, sous
peine d'être « criminel » envers elle. Il ne pourra jamais poursuivre un intérêt
contraire à celui de la famille ; se mésallier, par exemple, lui est interdit. Celui qui le
fait « déshonore sa famille », en « fait la honte », etc.
L'individu chez qui l'instinct égoïste n'est pas assez fort se soumet : il conclut le
mariage qui satisfait les prétentions de sa famille, il choisit une profession en rapport
avec sa position, etc., bref, il « fait honneur à sa famille ».
Si, au contraire, le sang égoïste bout avec assez d'ardeur dans ses veines, il préfère
devenir « criminel » envers la famille et se soustrait à ses lois.
Lequel m'est le plus cher, du bien de la famille ou de mon bien ? Il est des cas
innombrables où les deux peuvent marcher amicalement côte à côte, où ce qui est
utile à ma famille peut être pour moi une source de profits ou réciproquement. Il est
alors malaisé de décider si je poursuis le bien commun ou mon bien à moi, et je me
flatterai peut-être avec complaisance de mon désintéressement. Mais vient un jour où
se dresse devant moi l'alternative redoutable : ou ceci, ou cela ! Il faut choisir, et par
mon choix je vais peut-être déshonorer mon arbre généalogique, offenser père, mère,
frères et soeurs, tous mes parents. Que faire ? C'est ici que va se montrer à nu le fond
de mon coeur, et qu'on va savoir si j'ai jamais mis la piété au-dessus de l'égoïsme ;
l’égoïsme ne peut plus se dissimuler sous le voile du désintéressement. Un désir
s'allume dans mon âme, et, grandissant d'heure en heure, il devient passion. La plus
fugitive pensée contraire à l'esprit de famille, à la piété, porte déjà en elle le germe
d'un crime contre la famille ; mais qui s'avise de cela, et qui pourrait au premier moment
en avoir une perception nette ? C'est l'histoire de la Juliette de Roméo et
Juliette : la passion déchaînée finit par ne plus pouvoir être domptée et par renverser
l'édifice de la piété.
Vous me direz que c'est purement dans son intérêt que la famille rejette de son
sein ces égoïstes qui obéissent à leurs passions plus qu'à la piété. C'est ce même
argument que les Protestants ont invoqué avec beaucoup de succès contre les
Catholiques, et ils sont bien convaincus que c'est ainsi que les choses se sont passées
en ce qui les concerne. Mais c'est là une échappatoire de gens qui sentent le besoin
de se disculper, et rien de plus. Les Catholiques qui tenaient à l'unité de l'Église n'ont
repoussé ces hérétiques que parce que ceux-ci ne tenaient pas assez à l'unité pour lui
faire le sacrifice de leurs convictions. Les uns ont énergiquement défendu l'unité
parce que le lien, l'Église catholique (autrement dit unique et universelle, leur était
sacré ; les autres, au contraire, ont mis le lien de côté. Il en est de même de ceux qui
s'affranchissent de la piété ; ce n'est pas la famille qui les exclut de son sein, ils s'en
excluent d'eux-mêmes en mettant leur passion ou leur volonté individuelle au-dessus
du lien familial.
Mais il peut arriver que le désir s'allume dans un coeur moins passionné et moins
volontaire que celui de Juliette. Alors celle qui se soumet se sacrifie à la paix de la
famille. On pourrait dire qu'ici encore c'est l'égoïsme qui la fait agir, car la décision
que prend celle qui cède vient de ce que l'union de la famille la satisfait mieux que ne
le ferait l'accomplissement de son désir. C'est possible, mais comment le croire, s'il
reste un signe certain du sacrifice de l'égoïsme à la piété ? Comment le croire, si le
désir contraire à la paix de la famille reste, une fois le sacrifice consommé, comme le
souvenir et le témoin d'un « sacrifice » fait à un lien sacré, et si celle qui se soumet a
conscience de n'avoir pas réalisé sa volonté propre, de s'être humblement inclinée
devant une puissance supérieure — soumise et sacrifiée parce que la superstition de
la piété a exercé sur elle son empire ?
Là, l'égoïsme avait vaincu ; ici, la piété est victorieuse et le coeur égoïste saigne ;
là, l'égoïsme était fort ; ici, il a été faible. Des faibles : voilà, nous le savons depuis
longtemps, ce que sont les désintéressés. La famille a soin d'eux : elle entoure ces
faibles membres de sa sollicitude, parce qu'ils lui appartiennent et qu'ils ne s'appartiennent
pas ni ne songent à eux-mêmes. C'est de cette faiblesse que Hegel, par
exemple, fait l'éloge, quand il demande que le mariage des enfants soit subordonné
au choix des parents.
La famille étant une communauté sacrée à laquelle l'individu doit obéissance, la
fonction de juge lui appartient de droit. Le Cabanis de Wilibald Alexis, par exemple,
nous décrit un « tribunal de famille ». Le père, au nom du « conseil de famille »,
envoie à l'armée son fils insoumis et l'expulse de la famille afin de purifier par cet
acte de rigueur la famille souillée. Le droit chinois donne à la responsabilité de la
famille une sanction très logique en faisant expier par toute la famille la faute d'un de
ses membres.
De nos jours, toutefois, le bras de l'autorité familiale s'étend rarement assez loin
pour pouvoir efficacement châtier le rebelle (l'État protège même dans la plupart des
cas contre l'exhérédation). Le criminel contre la famille n'a qu'à se réfugier dans le
giron de l'État pour devenir libre, de même que le criminel envers l'État qui s'enfuit en
Amérique y trouve un asile contre les lois de son pays ; le fils dénaturé, opprobre de
sa famille, est à l'abri de tout châtiment parce que l'État protecteur enlève à la vindicte
familiale toute sainteté et la profane en déclarant qu'elle n'est que « vengeance ».
L'État s'oppose au châtiment, l'exercice d'un droit sacré de la famille, parce que la
sainteté de la famille étant, dans la hiérarchie, inférieure à sa propre sainteté pâlit et
perd tout prestige dès qu'elle entre en lutte avec cette sainteté supérieure. Lorsqu'il n'y
a pas conflit entre les deux, l'État laisse toute sa valeur à l'autorité sacrée, encore que
moins sacrée, de la famille; mais dans le cas contraire, il va jusqu'à ordonner le crime
envers la famille : il fait un devoir au fils, par exemple, de refuser d'obéir à ses
parents si ceux-ci veulent l'entraîner à pécher contre l'État.
Supposons que l'égoïste ait rompu les liens familiaux et trouve dans l'État un
protecteur contre l'esprit de famille gravement offensé. À quoi en arrive-t-il ? À faire
partie d'une nouvelle société, dans laquelle son égoïsme va rencontrer les mêmes
pièges, les mêmes filets que ceux auxquels il vient d'échapper. L'État aussi est une
société et n'est pas une association : il est l'extension de la famille (« père du peuple
— mère du peuple — enfants du peuple »).
Ce qu'on nomme État est un tissu, un entrelacement de dépendances et d'attachements; c'est une solidarité, une réciprocité ayant pour effet que tous ceux entre
lesquels s'établit cette coordination s'accordent entre eux et dépendent les uns des
autres : l'État est l'ordre, le régime de cette dépendance mutuelle. Que le roi, dont
l'autorité se répercute sur tous ceux qui détiennent le moindre emploi public, jusque
sur le valet du bourreau, vienne à disparaître, l'ordre n'en sera pas moins maintenu en
face du désordre de la bestialité par tous ceux chez qui veille le sens de l'ordre. Si le
désordre l'emportait, l'État aurait vécu.
Mais cette bonne entente, cet attachement réciproque, cette dépendance mutuelle,
cette pensée d'amour est-elle réellement capable de nous gouverner ? À ce compte,
l'État serait l'amour réalisé, vivre dans l'État serait être pour autrui et vivre pour
autrui. Mais que devient l'individualité quand règne l'esprit d'ordre ? Ne trouvera-t-on
pas que tout est pour le mieux pourvu que l'on parvienne par la force à faire régner
l'ordre, c'est-à-dire à disloquer et à parquer judicieusement le troupeau de façon que
nul ne « marche sur les pieds du voisin » ? Tout est ainsi mis en « bon ordre », et c'est
ce bon ordre qu'on appelle État.
Nos sociétés et nos États sont sans que nous les fassions ; ils peuvent s'allier sans
qu'il y ait alliance entre nous, ils sont prédestinés et ils ont une existence propre,
indépendante ; en face de nous, les égoïstes, ils sont l'état de choses existant et
indissoluble. Toutes les luttes d'aujourd'hui sont bien, comme on le dit, dirigées
contre l'ordre établi et visent à renverser l'état de choses régnant. Mais leur véritable
but est universellement méconnu ; il semblerait, à entendre nos réformateurs, qu'il
s'agit simplement de substituer à ce qui existe actuellement un nouvel ordre meilleur.
C'est bien plutôt à l'ordre lui-même, c'est-à-dire à tout État (status) quel qu'il soit, que
la guerre devrait être déclarée, et non pas à tel État déterminé, à la forme actuelle de
l'État. Le but à atteindre n'est pas un autre État (l'État démocratique, par exemple),
mais l'alliance, l'union, l'harmonie toujours instable et changeante de tout ce qui est et
n'est qu'à condition de changer sans cesse.
Un État se passe de mon entremise et de mon consentement ; je nais en lui, j'y
grandis, j'ai envers lui des devoirs et je lui dois « foi et hommage ». Il me prend sous
son aile tutélaire, et je vis de sa « grâce ». Ainsi l'existence indépendante de l'État
fonde ma dépendance ; sa vie comme organisme exige que je ne croisse pas en liberté
mais que je sois taillé pour lui ; afin de pouvoir s'épanouir suivant sa nature, il
m'applique les ciseaux de la « culture », il me donne une éducation et une instruction
mesurées sur lui et non sur moi, et m'apprend, par exemple, à respecter les lois, à me
garder d'attenter à la propriété de l'État (c'est-à-dire à la propriété privée), à vénérer
une Altesse divine ou terrestre, etc.; en un mot il m'enseigne à être — irréprochable,
en sacrifiant mon individualité sur l'autel de la « sainteté » (saint ou sacré est tout ce
qu'on peut imaginer : propriété, vie d'autrui, etc.). Telle est l'espèce de culture que
l'État est capable de me donner : il me dresse à être un « bon instrument », un
« membre utile de la Société ».
C'est ce que doit faire tout État, qu'il soit démocratique, absolu ou constitutionnel.
Et il le fera tant que nous ne nous serons pas défaits de cette idée erronée qu'il est un
« moi » et, comme tel, une « personne » morale, mystique ou politique. C'est de cette
peau du lion du moi que je dois, Moi qui suis véritablement un moi, dépouiller le
vaniteux mangeur de chardons. À quel pillage mon moi n'est-il pas livré, depuis que
le monde est monde ! Ce furent d'abord le soleil, la lune et les étoiles, les chats et les
crocodiles qui eurent l'honneur de passer pour Moi ; ce furent ensuite Jéhovah, Allah,
Notre Père qui usurpèrent mon titre ; puis les familles, les tribus, les peuples, et
jusqu'à l'humanité ; vinrent enfin l'État et l'Église, toujours avec la même prétention
d'être Moi ; et Moi, je les regardais paisiblement faire. Quoi d'étonnant, alors, que,
toujours de la même façon, un Moi réel se soit présenté et m'ait affirmé en face qu'il
ne m'était pas un « toi », mais bel et bien mon propre moi ? C'est ce que fit le Fils de
l'homme par excellence [2], et je me demande ce qui empêcherait le premier fils de
l'homme venu d'en faire autant. Voyant ainsi mon moi toujours au-dessus et en dehors
de moi, je ne suis jamais parvenu à être réellement Moi-même.
Je n'ai jamais cru à Moi, je n'ai jamais cru à mon actualité, et je n'ai jamais su me
voir que dans l'avenir. L'enfant croit qu'il sera vraiment lui lorsqu'il sera devenu autre,
lorsqu'il sera un « grand »; l'homme pense qu'au-delà de cette vie seulement il pourra
être vraiment quelque chose ; et, pour prendre un exemple plus près de nous, les
meilleurs ne prétendent-ils pas aujourd'hui encore qu'il faut, avant d'être réellement
un moi, un « citoyen libre », un « citoyen de l'État », un « homme libre » ou un
« véritable homme », s'être au préalable incorporé l'État, son Peuple, l'Humanité, et
que sais-je encore ? Eux non plus ne conçoivent de vérité et de réalité pour le moi que
dans l'acceptation d'un moi étranger auquel on se dévoue. Et qu'est-il, ce moi ? Un
moi qui n'est ni un moi ni un toi, un moi imaginaire, un fantôme.
Tandis qu'au Moyen Âge l'Église admettait parfaitement que plusieurs États
vécussent côte à côte sous son aile, quand vint la Réforme et plus particulièrement la
guerre de Trente Ans, ce fut aux États à apprendre la tolérance et à permettre à
diverses Églises (confessions) de vivre réunies sous une même couronne. Mais tous
les États sont religieux ; tous sont des « États chrétiens », et ils se font un devoir de
courber les indépendants et les « égoïstes » sous le joug du surnaturel, c'est-à-dire de
les christianiser. Toutes les institutions de l'État chrétien visent à la christianisation
du peuple. Le but de tout l'appareil judiciaire est de forcer les gens à la justice, celui
de l'école est de leur imposer la culture intellectuelle, etc.; bref, le but de l'État est
invariable : protéger celui qui agit chrétiennement contre celui qui n'agit pas chrétiennement,
le rendre fort et lui assurer la suprématie. L'Église elle-même devint dans les
mains de l'État un instrument de contrainte, et il exigea de chacun une religion
déterminée. « L'enseignement et l'éducation appartiennent à l'État », disait dernièrement
Dupin en parlant du clergé.
Tout ce qui touche au principe de la moralité est affaire d'État. De là, les perpétuelles
immixtions de l'État chinois dans les affaires de famille : en Chine, on n'est
rien si l'on n'est pas avant toute chose un bon enfant de ses parents. Chez nous aussi,
les affaires de famille sont foncièrement des affaires d'État ; seulement, l'ingérence de
l'État y est moins visible, parce qu'il se fie à la famille et ne la soumet pas à une trop
étroite surveillance. Il la tient liée par le mariage dont lui seul peut dénouer les liens.
L'État me demande compte de mes principes et m'en impose certains ; cela pourrait
m'induire à demander : « Que lui importe ma marotte (mon principe) ? —
Beaucoup, car il est, lui, le — principe suprême. C'est une opinion courante, que toute
la question du divorce et du droit matrimonial en général roule sur le départ, à faire
entre les droits de l'Église et les droits de l'État. Le problème est plutôt celui-ci : étant
donné que l'homme doit être gouverné par une Sainteté, celle-ci s'appelle-t-elle Foi ou
Loi morale (moralité)? La domination de l'État ne diffère pas de celle de l'église :
l'une s'appuie sur la piété, l'autre sur la moralité.
On parle de la tolérance, et l'on vante comme un caractère des États civilisés la
liberté qu'y ont les tendances les plus opposées de se manifester, etc. Il est vrai que si
quelques-uns lancent leurs policiers aux trousses des fumeurs de pipe, d'autres sont
assez forts pour ne pas se laisser mouvoir par les meetings les plus turbulents, Mais
pour apprécier cette longanimité, il faut remarquer que pour tout État le jeu réciproque
des individualités, les hauts et les bas de leur vie quotidienne sont en quelque
sorte une part laissée au hasard, part qu'il doit bien leur abandonner faute de pouvoir
la canaliser utilement. Certains États font comme le Pharisien, qui gobait des chameaux
et faisait la grimace devant une mouche, tandis que d'autres sont plus
judicieux ; dans ces derniers, les individus sont « plus libres » parce qu'ils sont moins
menés à la baguette. Mais libre, je ne le suis dans aucun État. Leur fameuse tolérance
ne s'exerce qu'en faveur de ce qui est « inoffensif » et « sans danger »; elle n'est que
leur haussement d'épaules devant ce qui ne vaut pas qu'ils en tiennent compte, et n'est
qu'un — despotisme plus imposant, plus auguste et plus orgueilleux. Certain État a
manifesté pendant quelque temps des velléités de s'élever au-dessus des querelles
littéraires, et de permettre à tous de s'y livrer à coeur joie ; l'Angleterre, elle, porte la
tête trop haut pour entendre la rumeur de la foule et sentir la — fumée de tabac. Mais
malheur à la littérature qui s'attaque à l'État même, malheur aux soulèvements populaires
qui mettent l'État en danger ! Dans l'État auquel nous faisions allusion, on rêve
d'une « science libre », et en Angleterre on rêve d'une « vie populaire libre ».
L'État laisse autant que possible les individus jouer librement, pourvu qu'ils ne
prennent pas leur jeu au sérieux et ne le perdent pas de vue, lui, l'État. Il ne peut
s'établir d'homme à homme de relations qui ne soient inquiétées, sans « surveillance
et interventions supérieures ». Je ne puis pas faire tout ce dont je serais capable, mais
seulement ce que l'État me permet de faire ; je ne puis faire valoir ni mes pensées, ni
mon travail, ni en général rien de ce qui est à moi.
L'État ne poursuit jamais qu'un but : limiter, enchaîner, assujettir l'individu, le subordonner
à une généralité quelconque. Il ne peut subsister qu'à condition que l'individu
ne soit pas pour soi-même tout dans tout ; il implique de toute nécessité la
limitation du moi, ma mutilation et mon esclavage. Jamais l'État ne se propose de stimuler
la libre activité de l'individu; la seule activité qu'il encourage est celle qui se
rattache au but que lui-même poursuit. Jamais non plus l'État n'est capable de produire
rien de collectif; on ne peut pas dire qu'un tissu est l'oeuvre « collective » des
différentes parties d'une machine, il est plutôt l'oeuvre de toute la machine considérée
comme une unité : il en est de même de tout ce qui sort de la machine de l'État, car
l'État est le ressort qui met en mouvement les rouages des esprits individuels dont
aucun ne suit sa propre impulsion, L'état cherche par sa censure, sa surveillance et sa
police à enrayer toute activité libre ; en jouant ce rôle de bâton dans les roues, il croit
(avec raison d'ailleurs, car sa conservation est à ce prix) remplir son devoir. L'État
veut faire de l'homme quelque chose, il veut le façonner ; aussi l'homme, en tant que
vivant dans l'État, n'est-il qu'un homme factice ; quiconque veut être soi-même est
l'adversaire de l'État et n'est rien. « Il n'est rien signifie : l'État ne l'utilise pas, ne lui
accorde aucun titre, aucun emploi, aucune commission, etc.
Edgar Bauer, dans ses Liberalen Bestrebungen (Revendications libérales, II, 50),
rêve d' « un gouvernement qui, issu du Peuple, ne puisse jamais se trouver en
opposition avec lui. Il est vrai qu'il retire lui-même (p. 69) le mot « gouvernement »:« Dans une république, il ne peut y avoir de gouvernement, il n'y a de place que pour
un pouvoir exécutif. Pure et simple émanation du Peuple, ce pouvoir ne pourrait lui
opposer ni une puissance indépendante, ni des principes et des fonctionnaires à lui ; il
n'aurait d'autre fondement et son autorité et ses principes n'auraient d'autre source que
le Peuple, unique et suprême puissance de l'État. La notion de gouvernement est
incompatible avec celle d'État démocratique. » Mais cela revient au même. Tout ce
qui émane, découle ou dérive d'une chose en devient indépendant et, comme l'enfant
sorti du sein de la mère, se met immédiatement en opposition avec elle. Le gouvernement,
sans ce caractère d'indépendance et d'opposition, ne serait rien du tout.
« Dans l'État libre, il n'y a pas de gouvernement, etc. » (p. 94). Ceci veut simplement
dire que le Peuple, lorsqu'il est le souverain, ne se laisse pas régenter par une
puissance supérieure. Mais en est-il autrement dans la monarchie absolue ? Qui dit
souverain exclut toute idée d'une puissance supérieure. Que le souverain s'appelle
Prince ou Peuple, jamais il ne peut y avoir un gouvernement au-dessus de lui, cela va
de soi. Mais dans tout État, absolu, républicain ou « libre », il y aura toujours un
gouvernement au-dessus de Moi, et je ne me trouverai pas mieux de l'un que de
l'autre.
La République n'est qu'une — monarchie absolue, car peu importe que le souverain
s'appelle Prince ou peuple : l'un et l'autre sont une « Majesté ».
Le régime constitutionnel démontre précisément que personne ne veut et ne peut
se résigner à n'être qu'un instrument. Les ministres dominent leur maître, le Prince, et
les députés dominent leur maître, le Peuple. Le Prince doit se conformer à la volonté
des ministres et le Peuple doit se laisser mener par le bout du nez où il plaît aux
Chambres de le conduire. Le constitutionnalisme va plus loin que la république,
attendu que l'État y est conçu comme en dissolution.
Edgar Bauer nie (p. 56) que dans l'État constitutionnel le Peuple était une
« personnalité ». — Et dans la République ? Dans l'État constitutionnel, le Peuple est
un — parti, et un parti est bien une « personne », s'il vous plaît de parler d'une personne
morale ou « politique » (p. 76). Le fait est qu'une personne morale, qu'on la baptise
parti populaire, Peuple ou encore « le Seigneur », n'est nullement une personne, mais
un fantôme.
Plus loin, Edgar Bauer ajoute (p. 60) : « La tutelle est la caractéristique de tout
gouvernement ». En vérité, elle est plus encore celle d'un Peuple et d'un « État
démocratique »; elle est le caractère essentiel de toute — archie. Un État démocratique
qui « résume en lui toute puissance », qui est « maître absolu », ne peut pas me
laisser devenir majeur et user de mes forces. Et quel enfantillage de ne plus vouloir
donner aux fonctionnaires élus par le peuple le nom de « serviteurs » et d' « instruments
», sous prétexte qu'ils sont « les exécuteurs de la volonté libre et raisonnable
que le Peuple exprime dans ses lois » (p. 73) !
« Il ne peut être mis d'unité dans l'État, dit-il encore (p. 74), qu'en subordonnant
toutes les administrations aux intentions du gouvernement. » Mais son État démocratique
doit, lui aussi, avoir de l' « unité » ; comment s'y passer de la subordination,
de la soumission à la — volonté du Peuple ?
« Dans un État constitutionnel, tout l'édifice gouvernemental repose en définitive
sur le Régent et dépend de son sentiment » (p. 130). Comment pourrait-il en être
autrement dans un « État démocratique »? N'y serais-je pas également régi par le
sentiment populaire, et cela fait-il pour Moi une grande différence de dépendre des
sentiments d'un Prince ou de dépendre des sentiments du Peuple, de ce qu'on nomme
l' « opinion publique ? Si, comme Edgar Bauer le dit avec raison, dépendance
équivaut à « rapport religieux », le Peuple restera pour Moi, dans un État démocratique,
une puissance supérieure, une « majesté » (la « majesté » est proprement l'essence
du Dieu et du Prince), avec laquelle je serai dans un rapport religieux. — Et le
Peuple souverain serait irresponsable comme l'est le régent constitutionnel. Tous les
efforts d'Edgar Bauer aboutissent à un changement de maître. Au lieu de vouloir
libérer le Peuple, il aurait dû s'occuper de la seule liberté réalisable, de la sienne.
Dans l'État constitutionnel, l'absolutisme a fini par entrer en lutte avec lui-même,
parce qu'il a abouti à un antagonisme : le gouvernement veut être absolu, et le Peuple
veut être absolu. Ces deux absolus se détruiront l'un l'autre.
Edgar Bauer s'indigne de ce que le roi constitutionnel soit donné par la naissance,
c'est-à-dire par le hasard. Mais quand « le Peuple sera devenu l'unique puissance dans
l'État » (p. 132), n'est-ce pas à un hasard pareil que nous devrons de l'avoir pour
maître ? Qu'est-ce donc que le Peuple ? Le Peuple n'a jamais été que le corps du gouvernement; c'est plusieurs corps sous un même bonnet (couronne de prince) ou
plusieurs corps sous une même constitution. Et la constitution est le — prince.
Princes et Peuples ne peuvent subsister que tant qu'ils ne s'identifient pas. Quand
plusieurs Peuples sont réunis sous une même constitution, comme cela s'est vu par
exemple dans l'ancienne monarchie perse et se voit encore aujourd'hui, ces « Peuples
» ne comptent plus que pour des « provinces ». En face de Moi, en tout cas, le
Peuple n'est qu'une puissance — fortuite ; c'est une force de la nature, un ennemi que
je dois vaincre.
Que faut-il entendre par un peuple « organisé » (id., p. 132)? Un Peuple « qui n'a
plus de gouvernement » et qui se gouverne lui-même. Donc, dans lequel aucun Moi
ne dépasse le niveau, un Peuple organisé par l'ostracisme. L'ostracisme, le bannissement
des « Moi », fait du peuple son propre gouverneur.
Si vous parlez d'un Peuple, il faut aussi parler d'un prince, car pour être, pour
vivre et pour faire de l'histoire le Peuple doit, comme tout ce qui agit, avoir une tête,
un « chef ». C'est ce que Proudhon exprime en disant : « Une société pour ainsi dire
acéphale ne peut vivre [3].
On invoque à chaque instant aujourd'hui la vox populi ; l’« opinion publique »
doit gouverner les princes. Il est bien certain que la vox populi est en même temps vox
dei ; mais à quoi bon l'une et l'autre ? Et la vox principis n'est-elle pas aussi vox dei ?
On peut ici se rappeler les « Nationalistes ». Vouloir faire des trente-huit États de
l'Allemagne une nation est aussi absurde que d'entreprendre de réunir en un seul
essaim trente-huit essaims d'abeilles conduits par leurs trente-huit reines. Toutes sont
des abeilles, mais ce n'est pas en tant qu'abeilles qu'elles tiennent les unes aux autres
et peuvent s'unir : elles sont simplement, comme abeilles sujettes, liées à leurs souveraines,
les reines. Abeilles et Peuples sans volonté, et l'instinct de leurs reines les
conduit.
En rappelant aux abeilles la qualité d'abeilles qui leur est commune, on ferait
exactement ce que l'on fait si bruyamment aujourd'hui lorsqu'on rappelle aux Allemands
leur qualité d'Allemands. Le fait d'être Allemands a de commun avec le fait
d'être abeilles qu'il renferme en soi la nécessité de scissions et de séparations, sans
cependant impliquer la séparation dernière, celle qui, en accomplissant la séparation
radicale, en ferait sortir en même temps la fin de toute séparation. J'entends la
séparation de l'homme d'avec l'homme.
La qualité d'Allemands est partagée par divers peuples et diverses tribus, c'est-àdire
par diverses ruches d'abeilles ; mais l'individu qui a la propriété d'être un Allemand
est encore tout aussi impuissant que l'abeille isolée. Et cependant, seuls les
individus peuvent s'allier ; toutes les alliances et toutes les ligues entre peuples sont et
resteront des assemblages mécaniques, parce que ceux qui sont ainsi unis (du moment
que l'on considère que ce sont les Peuples qui s'unissent) n'ont pas de volonté. Ce
n'est que lorsque l'ultime séparation aura eu lieu que la séparation elle-même cessera
pour se transformer en alliance.
Les Nationalistes s'efforcent de faire une unité abstraite et sans vie de tout ce qui
est abeille. Les individualistes, eux, lutteront pour l'unité personnellement voulue qui
naît de l'association. C'est la marque de toutes les tendances réactionnaires de vouloir
instaurer quelque chose de général, d'abstrait, un concept creux et sans vie, tandis
que les voeux des égoïstes tendent à délivrer les individus pleins de vie et de vigueur
du faix des généralités abstraites. Les réactionnaires voudraient faire jaillir de terre
un Peuple, une Nation; les égoïstes n'ont en vue qu'eux-mêmes. Au fond, les deux
tendances actuellement à l'ordre du jour, la tendance particulariste au rétablissement
des droits provinciaux et des anciennes distinctions de races (Francs, Bavarois, etc.,
Lusace, etc.), et la tendance unitaire au rétablissement de l'unité nationale ont même
origine et même signification. Les Allemands ne seront unis, c'est-à-dire ne s'uniront,
que du jour où ils auront envoyé au diable leur qualité d'abeilles et jeté par terre
toutes leurs ruches, ou, en d'autres termes, du jour où ils seront plus qu' Allemands; alors seulement ils pourront former une « association allemande ». Ce n'est ni dans
leur nationalité ni dans le ventre de leur mère qu'ils doivent rentrer pour parvenir à
une renaissance ; que chacun rentre en soi-même! N'est-ce pas un spectacle sentimental
prodigieusement ridicule que celui d'un Allemand qui serre la main à son
voisin avec une sainte émotion parce que « lui aussi est un Allemand »? Le voilà bien
avancé ! Mais ne riez pas, cela passera pour fort touchant tant qu'on rêvera encore de
« fraternité » et que la voix du sang ne se sera pas tue. Nos Nationalistes, qui prétendent
fabriquer une grande famille allemande, sont incapables de se délivrer de la
superstition de la « piété », de la « fraternité », de l’ « amour filial », et de tous les
poncifs sentimentaux qui composent le répertoire de l'esprit de famille.
Il suffirait pourtant aux susdits Nationalistes de bien comprendre eux-mêmes ce
qu'ils veulent pour ne plus se livrer aux embrassades des teutomanes à romances, car
la coalition en vue de résultats et d'intérêts matériels qu'ils prônent aux Allemands
n'est qu'une association volontaire, active et spontanée.
L'impersonnalité de ce qu'on nomme Peuple et Nation éclate dans ce fait qu'un
Peuple qui veut faire tout son possible pour mettre son Moi en valeur place à sa tête
un chef sans volonté. Il ne peut échapper à ce dilemme : ou bien être asservi à un
prince qui ne réalise que lui-même et son bon plaisir personnel — et dans ce cas il ne
reconnaîtra pas dans ce « maître absolu » sa propre volonté, la volonté populaire —,
ou bien hisser sur le trône un prince soliveau qui ne témoigne d'aucune volonté personnelle
— et dans ce second cas il aura un prince sans volonté qu'on pourrait, sans
aucun inconvénient, remplacer par un mécanisme d'horlogerie bien réglé. De ces
considérations il résulte, clair comme le jour, que le moi du Peuple est une puissance
impersonnelle, « spirituelle », — la Loi. Le moi du Peuple est par conséquent un fantôme
et non un moi. Je ne suis un moi que parce que c'est Moi qui me fais, c'est-àdire
parce que Je ne suis pas l'oeuvre d'un autre, mais proprement mon oeuvre. Et
qu'est-ce que le moi du Peuple ? Un hasard le lui donne, les circonstances lui imposent
tel ou tel maître héréditaire ou lui procurent le chef qu'il élit ; il n'est pas son
produit, le produit du Peuple « souverain », comme Je suis mon produit. Figure-toi
que l'on te veuille persuader que tu n'es pas toi, mais que toi, c'est Pierre ou Paul.
C'est ce qui arrive au peuple, et il ne pourrait en être autrement, attendu que le peuple
n'a pas plus un moi que les onze planètes assemblées n'en ont un, encore qu'elles
gravitent autour d'un centre commun.
Pendant longtemps, l'homme a passé pour un citoyen du Ciel. Un voudrait en
faire aujourd'hui comme au temps des Grecs un zoon politicon, un citoyen de l'État
ou homme politique. Le Grec fut enseveli sous les ruines de son État, et le citoyen
céleste tombera avec son Ciel. Mais nous n'entendons pas que la Nation, la
Nationalité ou le Peuple nous entraînent dans leur chute, nous n'entendons point
n'être que des animaux politiques. Depuis la Révolution, on cherche à faire le bonheur
du Peuple, et pour faire le Peuple heureux, grand, etc., on nous rend malheureux
! Le bonheur du Peuple est — mon malheur.
On peut juger du vide que recouvrent de leur emphase les discours des Libéraux
politiques en feuilletant l'ouvrage de Nauwerk : Ueber die Theilnahme am Staate (Sur
la participation à l'État). L'auteur se plaint de l'indifférence et de l'apathie qui
empêchent les gens d'être des citoyens dans toute l'acception du mot, et il s'exprime
comme s'il n'était possible d'être homme qu'à condition de prendre une part active à la
vie de l'État, c'est-à-dire à condition de jouer un rôle politique. En cela il est logique,
car si on considère l'État comme le dépositaire et le gardien de toute « humanité »,
nous ne pouvons avoir rien d'humain si nous n'y participons pas. Mais en quoi cela
touche-t-il l'égoïste ? En rien, car l'égoïste est lui-même le gardien de son humanité,
et la seule chose qu'il demande à l'État, c'est de s'ôter de son soleil. Ce n'est que si
l'État vient à toucher à sa propriété que l'égoïste sort de son indifférence. Si les
affaires de l'État n'atteignent pas le savant enfermé dans son cabinet, doit-il s'en
inquiéter parce que cette sollicitude est « le plus sacré de ses devoirs »? Tant que
l'État ne se met pas en travers de ses études favorites, qu'a-t-il besoin de s'en laisser
distraire ? Que ceux-là s'inquiètent de la marche de l'État qui sont personnellement
intéressés à le voir rester comme il est ou changer.
Ce n'est pas l'idée d'un « devoir sacré » à remplir qui pousse et qui poussera
jamais personne à consacrer ses veilles à l'État, pas plus que ce n'est « par devoir »
qu'on se fait disciple de la science, artiste, etc.; l'égoïsme seul peut y conduire.
Démontrez aux gens que leur égoïsme exige qu'ils offrent leur concours à l'État, et
vous n'aurez pas besoin de les exhorter longtemps ; mais si vous faites appel à leur
patriotisme, etc., vous prêcherez longtemps ce « service d'amour » à des coeurs
sourds. Le fait est que jamais les égoïstes ne participeront comme vous l'entendez à la
vie de l'État.
Je trouve dans Nauwerk une phrase imprégnée du plus pur Libéralisme : « L'homme
n'accomplit sa mission que pour autant qu'il se sache et se sente membre de
l'Humanité, et qu'il agisse comme tel. » Et plus loin : « Tels que les conçoit le Théologien,
les rapports de l'homme avec l'État se réduisent à n'être plus qu'une pure affaire
privée, ce qui équivaut à les nier et les détruire. » Et la Religion, telle que la conçoit
le Politique, que devient-elle ? Une « affaire privée ».
Si, au lieu de leur parler du « devoir sacré », de la « destination de l'homme », de
la « vocation d'être parfaitement humains » et d'autres commandements de même
espèce, on représentait aux gens le tort qu'ils font à leur intérêt en laissant aller l'État
comme il va, on leur tiendrait, aux tirades près, le même langage qu'on leur tient dans
les moments critiques quand on veut atteindre son but. Mais au lieu de cela, notre
théologophobe s'écrie : « S'il fut jamais un temps où l'État dut pouvoir compter sur
tous les siens, c'est bien le nôtre. — L'homme qui pense reconnaît dans la coopération
théorique et pratique à l'État un devoir, et un des devoirs les plus sacrés qui peuvent
lui incomber. » Puis il examine de plus près la « nécessité catégorique qu'il y a pour
chacun de s'intéresser à l'État ».
Celui-là est un politicien et le restera de toute éternité qui loge l'État dans sa tête
ou dans son coeur ou dans les deux à la fois ; c'est un possédé de l'État, il a la Foi.
« L'État est la condition indispensable du développement intégral de l'humanité. »
Certes, il le fut, aussi longtemps que nous nous proposâmes de développer l'humanité; mais maintenant que nous voulons nous développer, il ne peut plus nous être qu'un
embarras.
Peut-on encore se proposer, aujourd'hui, de réformer et d'améliorer l'État et le
Peuple ? Pas plus que la Noblesse, le Clergé, l'Église, etc.; on peut les suspendre, les
détruire, les supprimer, mais non les réformer. Ce n'est pas en la réformant qu'on fait
d'une absurdité une chose sensée ; mieux vaut la mettre immédiatement au rebut.
Il ne doit plus, à l'avenir, être question de l'État (constitution de l'État, etc.), mais
de Moi. Toutes les questions relatives à la puissance souveraine, à la constitution,
etc., retombent ainsi dans l'abîme dont elles n'auraient pas dû sortir, leur néant. Moi,
ce rien, je ferai jaillir de moi-même mes créations.
Au chapitre de la Société se rattache celui du « parti » dont on a en ces derniers
temps chanté les louanges.
Il y a dans l'État des partis. « Mon Parti ! Qui voudrait ne pas prendre parti ! »
Mais l'individu est unique et n'est pas membre d'un parti. Il s'unit librement et se
sépare ensuite librement. Un parti n'est autre chose qu'un État dans l'État, et la
« paix » doit régner dans ce petit essaim d'abeilles comme dans le grand. Ceux-là
mêmes qui proclament avec le plus d'énergie qu'il faut qu'il y ait dans l'État une
opposition sont les premiers à s'indigner contre la discorde des partis. Preuve qu'eux
non plus ne veulent qu'un — État. C'est contre l'Individu, et non contre l'État, que se
brisent tous les partis.
Il n'est rien qu'on entende plus souvent aujourd'hui que l'exhortation à rester fidèle
à son parti ; les hommes de parti ne méprisent rien tant qu'un renégat. On doit
marcher les yeux fermés à la suite de son parti, et approuver et adopter sans réserve
tous ses principes. En vérité, le mal n'est pas aussi grand ici que dans certaines sociétés
qui lient leurs membres par des lois ou statuts fixes et immuables (par exemple,
les ordres religieux, la société de Jésus, etc.). Mais le parti cesse d'être une association
dès le moment où il veut rendre obligatoires certains principes et les mettre au-dessus
de toute discussion et de toute atteinte ; c'est précisément ce moment qui marque la
naissance du parti. Sitôt le parti constitué et en tant que parti, il est une société née,
une alliance morte, une idée devenue idée fixe. Le parti de l'absolutisme ne peut
tolérer chez aucun de ses membres le moindre doute sur la vérité du principe
absolutiste. Ce doute ne leur serait possible que s'ils étaient assez égoïstes pour
vouloir être encore quelque chose en dehors de leur parti, c'est-à-dire pour vouloir
être « impartiaux ». Ils ne peuvent être impartiaux que comme égoïstes et non comme
hommes de parti. Si tu es Protestant, et si tu appartiens au parti qu'est le Protestantisme,
tu ne peux que maintenir ton parti dans la bonne voie ; à la rigueur, tu pourrais
le « purifier », mais non le rejeter. Es-tu Chrétien, es-tu enrôlé dans le parti chrétien,
tu ne peux en sortir en tant que membre de ce parti ; si tu en transgresses la discipline,
ce sera seulement lorsque ton égoïsme, c'est-à-dire ton « impartialité », t'y poussera.
Quelques efforts qu'aient faits les Chrétiens, jusqu'à Hegel et aux Communistes
inclusivement, pour fortifier leur parti, ils en sont restés à ceci : le Christianisme
devant renfermer la vérité éternelle, il suffit de l'en extraire, de la démontrer et de la
faire accepter.
Bref, le parti est contradictoire à l'impartialité, et cette dernière est une manifestation
de l'égoïsme. Que m'importe d'ailleurs le parti ? Je trouverai toujours assez de
compagnons qui se réuniront à moi sans prêter serment à mon drapeau.
Si quelqu'un passe d'un parti à l'autre, on l'appelle immédiatement transfuge, déserteur,
renégat, apostat, etc. La Morale, en effet, exige que l'on adhère fermement à
son parti ; le trahir, c'est se souiller du crime d'« infidélité »; mais l'individualité, elle,
ne connaît ni « fidélité » ni « dévouement » de précepte ; elle permet tout, y compris
l'apostasie, la désertion et le reste. Les Moraux eux-mêmes se laissent inconsciemment
diriger par le principe égoïste quand ils ont à juger quelqu'un qui abandonne son
parti pour se rallier au leur ; bien mieux, ils ne se font aucun scrupule d'aller racoler
des partisans dans le camp opposé ! Ils devraient seulement avoir conscience d'une
chose, c'est qu'il faut agir d'une façon immorale pour agir d'une façon personnelle, ce
qui revient ici à dire qu'il faut savoir rompre sa foi et même son serment si l'on veut
se déterminer soi-même au lieu de se laisser déterminer par des considérations
morales. Un apostat se peint toujours sous des couleurs douteuses aux yeux des gens
de moralité sévère; ils ne lui accorderont pas facilement leur confiance, car il s'est
souillé d'une « trahison », c'est-à-dire d'une immoralité. Ce sentiment est presque
général chez les gens de culture inférieure. Les plus éclairés sont sur ce point, comme
sur tous, incertains et troublés ; la confusion de leurs idées ne leur permet pas d'avoir
clairement conscience de la contradiction où les accule nécessairement le principe de
moralité. Ils n'osent pas accuser franchement l'apostolat d'immoralité, car eux-mêmes
prêchent en somme l'apostasie, le passage d'une religion à une autre, etc.; d'autre part,
ils n'osent pas abandonner leur point d'appui dans la moralité. Quelle excellente
occasion, pourtant, de la jeter par-dessus bord !
Les Individus ou Uniques sont-ils d'un parti ? Eh! comment pourraient-ils être
uniques s'ils appartenaient à un parti ?
Ne peut-on donc être d'aucun parti ? Entendons-nous : En entrant dans votre parti
et dans vos cercles, je conclus avec vous une alliance, qui durera aussi longtemps que
votre parti et moi poursuivrons le même but. Mais si aujourd'hui je me rallie encore à
son programme, demain peut-être je ne pourrai plus le faire et je lui deviendrai « infidèle
». Le parti n'a pour moi rien qui me lie, rien d'obligatoire, et je ne le respecte
pas ; s'il cesse de me plaire, je me retourne contre lui.
Les membres de tout parti qui tient à son existence et à sa conservation ont
d'autant moins de liberté, ou plus exactement, d'autant, moins de personnalité, et ils
manquent d'autant plus d'égoïsme qu'ils se soumettent plus complètement à toutes les
exigences de ce parti. L'indépendance du parti implique la dépendance de ses
membres.
Un parti, quel qu'il soit, ne peut jamais se passer d'une profession de foi, car ses
membres doivent croire à son principe et ne peuvent le mettre en doute ni le discuter,
il doit être pour eux un axiome certain et indubitable. En d'autres termes : on doit
appartenir corps et âme à son parti ; sinon, on n'est plus véritablement un homme de
parti, on est plus ou moins un — égoïste. Que le moindre doute s'élève chez toi au
sujet du Christianisme, et, tu ne seras plus un vrai Chrétien, toi qui auras eu l'impiété
grande d'examiner le dogme et de traîner le Christianisme devant le tribunal de ton
égoïsme. Tu te seras rendu coupable envers le Christianisme, cette affaire de parti
(affaire de parti, parce qu'il n'est pas l'affaire, par exemple, des Juifs, qui sont d'un
autre parti). Mais tant mieux pour toi si un péché ne t'épouvante pas : ton audacieuse
impiété va t'aider à atteindre l'Individualité.
Ainsi donc, un égoïste ne pourra jamais embrasser un parti, il ne pourra jamais
prendre parti ? Mais si, il le peut parfaitement, pourvu qu'il ne se laisse pas saisir et
enchaîner par le parti ! Le parti n'est jamais pour lui qu'une partie : il est de la partie,
il prend part.
Le meilleur État est évidemment celui qui renferme les citoyens les plus fidèles à
la loi. À mesure que le noble sentiment de la légalité languit et s'éteint, l'État, qui est
un système de moralité et la vie morale elle-même, voit baisser ses forces et décroître
ses biens. Avec les bons citoyens disparaît le bon État ; il sombre dans l'anarchie.
« Respect à la Loi ! », tel est le ciment qui maintient debout tout l'édifice d'un
État. « La loi est sacrée, celui qui la viole est un criminel. » Sans le crime, pas d'État.
Le monde moral — et c'est l'État — est plein de fripons, de trompeurs, de menteurs,
de voleurs, etc. L'État étant la « souveraineté de la Loi » et sa hiérarchie, l'égoïste ne
peut parvenir à ses fins que par le crime, dans tous les cas où son intérêt est opposé à
celui de l'État.
L'État ne peut cesser d'exiger que ses lois soient tenues pour sacrées. Aussi
l'Individu est-il aujourd'hui, vis-à-vis de l'État, exactement ce qu'il était jadis vis-à-vis
de l'Église, un profane (un barbare, un homme naturel, un « égoïste », etc.). Devant
l'Individu, l'État se ceint d'une auréole de sainteté. Il fait, par exemple, une loi sur le
duel. Deux hommes qui conviennent de risquer leur vie afin de régler une affaire
(quelle qu'elle soit) ne peuvent exécuter leur convention, parce que l'État ne le veut
pas : ils s'exposeraient à des poursuites judiciaires et à un châtiment. Que devient la
liberté de l'arbitre ? Il en est tout autrement là où, comme en Amérique du Nord, la
société décide de faire subir aux duellistes certaines conséquences désagréables de
leur acte et leur retire, par exemple, le crédit dont ils avaient joui antérieurement.
Refuser son crédit est l'affaire de chacun, et s'il plaît à une société de le retirer à
quelqu'un pour l'une ou l'autre raison, celui qu'elle frappe ne peut pas se plaindre
d'une atteinte à sa liberté : la société n'a fait qu'user de la sienne. Il ne s'agit plus, ici,
d'une expiation ni du châtiment d'un crime. En Amérique du Nord, le duel n'est pas
un crime, c'est un acte contre lequel la société prend des mesures de prudence et se
préserve. L'État, au contraire, qualifie le duel crime, c'est-à-dire violation de sa loi
sacrée : il en fait une affaire criminelle. La société dont nous parlions laisse l'individu
parfaitement libre de s'exposer aux suites funestes ou désagréables qu'entraînera sa
manière d'agir, et laisse pleine et entière sa liberté de vouloir ; l'État fait précisément
le contraire : il dénie toute légitimité à la volonté de l'individu et ne reconnaît comme
légitime que sa propre volonté, la loi de l'État. Il en résulte que celui qui transgresse
les commandements de l'État peut être considéré comme violant les commandements
de Dieu, opinion, d'ailleurs, que l'Église a soutenue. Dieu est la Sainteté en soi et pour
soi, et les commandements de l'Église comme ceux de l'État sont les ordres que cette
Sainteté donne au monde par l'intermédiaire de ses prêtres ou de ses maîtres de droit
divin. L'Église avait les péchés mortels, l'État a les crimes qui entraînent la mort ;
elle avait ses hérétiques, il a ses traîtres ; elle avait des pénitences, il a des pénalités ;
elle avait les inquisiteurs, il a les agents du fisc ; bref, à l'une le péché, à l'autre le
crime ; là, le pécheur, ici, le criminel ; là, l'inquisition, et ici — encore l'inquisition !
La sainteté de l'État ne tombera-t-elle pas comme est tombée la sainteté de l'Église ?
La crainte de ses lois, le respect de sa majesté, la misère et l'humiliation de ses sujets,
tout cela va-t-il durer ? Ne viendra-t-il pas un jour où l'on cessera de se prosterner
devant l'image du saint ?
Quelle folie d'exiger que le pouvoir de l'État lutte à armes courtoises avec
l'individu et, comme on l'a dit à propos de la liberté de la presse, partage avec son
adversaire le vent et le soleil ! Pour que l'État, cette idée, ait un pouvoir réel, il doit
être une puissance supérieure à l'individu. L'État est « sacré », donc il ne peut pas
prêter le flanc aux « attaques impies » des individus. Si l'État est sacré, il faut une
censure. Les Libéraux politiques admettent les prémisses et nient la conséquence.
Toutefois, ils accordent à l'État les mesures de répression, car il est bien convenu, et
ils n'en démordent pas, que l'État est plus que l'individu et que sa vengeance, qu'il
appelle peine ou châtiment, est légitime.
Le mot peine n'a de sens que s'il désigne la pénitence infligée au profanateur d'une
chose sacrée. Celui qui tient une chose pour sacrée mérite évidemment qu'une peine
lui soit infligée dès qu'il s'y attaque. Un homme qui épargne une vie humaine parce
que cette vie lui est sacrée et que l'idée d'y attenter lui fait horreur est un homme —
religieux.
Weitling impute au « désordre social » tous les crimes qui se commettent, et il
espère que sous le régime communiste les crimes deviendront impossibles, les mobiles
(l'argent, par exemple) en ayant disparu. Mais son bon naturel l'égare, car la
société organise, telle qu'il l'entend, sera, elle aussi, sacrée et inviolable. Il n'y manquera
pas de gens qui, la bouche pleine de professions de foi communistes, travailleront
sous main à sa ruine. Somme toute, Weitling est bien obligé de s'en tenir aux
« moyens curatifs » à opposer aux maladies et aux faiblesses inséparables de la nature
humaine ; mais ce mot « curatif » n'indique-t-il pas déjà que l'on considère les individus
comme « voués » à une certaine « cure » et qu'on va leur appliquer les remèdes
qu' « appelle » leur nature d'hommes ?
Le remède et la cure ne sont que l'autre face du châtiment et de l'amendement, la
thérapeutique du corps fait le pendant de la diététique de l'âme. Si celle-ci voit dans
une action un péché contre le Droit, celle-là y voit un péché de l'homme contre luimême,
le dérangement de sa santé. Ne vaudrait-il pas mieux considérer simplement
ce que cette action a de favorable ou de défavorable pour Moi et voir si elle m'est
amie ou ennemie ? Je la traiterais alors comme ma propriété, c'est-à-dire que je la
conserverais ou la détruirais à mon gré.
« Crime » et « maladie » ne sont point des noms qui s'appliquent à une conception
égoïste des choses qu'ils désignent ; ce sont des jugements portés non pas par Moi
mais par un autre, sur l'offense faite au Droit en général, ou à la Santé, que ce soit la
santé de l'individu (du malade) ou de la généralité (de la Société). On n'a aucun
ménagement pour le « crime », tandis qu'on use envers la « maladie » de douceur, de
compassion, etc.
Le crime est suivi du châtiment. Si le Sacré disparaît, entraînant le crime avec lui,
le châtiment doit disparaître également, car lui non plus n'a de signification que par
rapport au Sacré. On a aboli les peines ecclésiastiques. Pourquoi ? Parce que la façon
dont il se comporte envers le « saint Dieu » est l'affaire de chacun. Comme est
tombée la peine ecclésiastique doivent tomber toutes les peines. Si le péché envers
son Dieu est l'affaire personnelle de chacun, il en est de même du péché envers tout
Sacré quel qu'il soit. Suivant la doctrine de notre droit pénal, que l'on s'efforce vainement
de rendre moins anachronique, on punit les hommes de telle ou telle « inhumanité
», et l'on démontre ainsi par l'absurdité de leurs conséquences la niaiserie de ces
théories qui font pendre les petits voleurs et laissent courir les grands. Pour un attentat
contre la propriété, on a le bagne, et pour un « viol de pensées », pour l'oppression
des « droits naturels de l'homme », on n'a que des représentations et des prières.
Le Code pénal n'existe que grâce au Sacré et disparaîtra de lui-même quand on
renoncera au châtiment. Partout, actuellement, on veut créer un nouveau Code pénal,
sans éprouver le moindre scrupule au sujet des pénalités à édicter. C'est pourtant
justement la peine qui doit disparaître, pour faire place à la satisfaction : satisfaction,
encore une fois, non point du Droit ou de la Justice, mais de nous. Si quelqu'un nous
fait ce que nous ne voulons pas qui nous soit fait, nous brisons sa puissance et nous
faisons prévaloir la nôtre : nous nous donnons satisfaction à son égard sans faire la
folie de vouloir donner satisfaction au Droit (au fantôme). C'est l'homme qui doit se
défendre contre l'homme, et ce n'est pas le Sacré, pas plus que ce n'est Dieu qui se
défend contre l'homme ; — encore que jadis, et parfois aussi de nos jours, on ait vu
tous les « serviteurs de Dieu » lui prêter main-forte pour châtier l'impie, comme ils
prêtent aujourd'hui main-forte au Sacré. De ce dévouement au Sacré il résulte que,
sans y avoir d'intérêt vital et personnel, on livre les malfaiteurs aux griffes de la police
et des tribunaux : on donne procuration aux autorités constituées pour qu'elles
« administrent pour le mieux le domaine du Sacré » et on reste neutre. Le peuple met
une véritable rage à exciter la police contre tout ce qui lui semble immoral ou souvent
simplement inconvenant, et cette rage de moralité qui possède le peuple est pour la
police une protection bien plus sûre que celle que pourrait lui assurer le gouvernement.
C'est par le crime que l'Égoïste s'est toujours affirmé et a renversé d'une manière
sacrilège les saintes idoles de leurs piédestaux. Rompre avec le Sacré ou, mieux
encore, rompre le Sacré peut devenir général. Ce n'est pas une nouvelle révolution qui
approche ; mais, puissant, orgueilleux, sans respect, sans honte, sans conscience, un
— crime ne gronde-t-il pas avec le tonnerre à l'horizon, et ne vois-tu pas que le ciel,
lourd de pressentiments, s'obscurcit et se tait ?
Celui qui se refuse à dépenser ses forces pour des sociétés aussi restreintes que la
Famille, le Parti ou la Nation aspire encore toujours à une société de signification plus
haute ; lorsqu'il a découvert la « Société humaine » ou l’ « Humanité », il croit avoir
trouvé l'objet véritablement digne de son culte auquel il mettra son honneur à se
sacrifier : à partir de ce moment, « sa vie et ses services appartiennent à l'Humanité ».
Le Peuple est le corps, l'État est l'esprit de cette Personne souveraine qui m'a jusqu'ici
opprimé. On a voulu transfigurer le Peuple et l'État en les élargissant jusqu'à y
voir respectivement l'« humanité » et la « raison universelle ». Mais ce magnificat
n'aboutit qu'à rendre la servitude plus lourde ; Philanthropes et Humanitaires sont des
maîtres aussi absolus que les Politiciens et les Diplomates.
Les Critiques contemporains déclament contre la Religion parce qu'en plaçant
Dieu, le divin, le moral, etc., en dehors de l'homme, elle en fait quelque chose d'objectif
tandis qu’eux au contraire, préfèrent laisser ces sujets dans l'homme. Mais ils
n'en versent pas moins dans l'ornière religieuse, et ils imposent, eux aussi, une
« vocation »à l'homme en le voulant divin, humain, etc. : Moralité, liberté, humanité,
etc., doivent être son essence. La Politique, comme la Religion, prétendit se charger
de l' « éducation » de l'homme, le conduire à la réalisation de son « essence » et de sa
« destination », en un mot faire de lui quelque chose, c'est-à-dire en faire un véritable
homme ; l'une entend par là un « vrai croyant », l'autre un « vrai citoyen » ou un
« véritable sujet ». En somme, que vous appeliez ma vocation divine ou humaine,
cela revient au même.
Religion et Politique placent l'homme sur le terrain du devoir. Il doit devenir ceci
ou cela, il doit être ainsi et non autrement. Avec ce postulat, ce commandement,
chacun s'élève non seulement au-dessus des autres, mais encore au-dessus de luimême.
Nos Critiques disent : « Tu dois être complètement homme, tu dois être un
homme libre. » Eux aussi sont en train de proclamer une nouvelle Religion et d'ériger
un nouvel idéal absolu, un idéal qui sera la Liberté. Les hommes doivent être libres. Il
n'y aurait pas à s'étonner de voir paraître des missionnaires de la Liberté, semblables
aux missionnaires de la foi que le Christianisme, convaincu que tous les hommes
étaient destinés à devenir chrétiens, envoyait à la conquête du monde païen. Et de
même que, jusqu'à présent, la Foi s'est constituée en Église et la Moralité en État, la
Liberté pourrait suivre leur exemple et se constituer en une communion nouvelle, qui
pratiquerait à son tour la « propagande ». Il n'y a, évidemment, aucune raison de
s'opposer à un essai d'association quel qu'il soit, mais il faut s'opposer d'autant plus
énergiquement à toute résurrection de l'ancienne charge d'âme, de la tutelle, bref, au
principe qui veut que l'on fasse de nous quelque chose, que ce soit des chrétiens, des
sujets ou des affranchis et des hommes.
On peut bien, avec Feuerbach et d'autres, dire que la Religion a dépouillé l'homme
de l'humain, et qu'elle a transporté cet humain dans un au-delà si lointain qu'il y
devient inaccessible et qu'il y acquiert une existence propre et y prend la forme d'une
personne, d'un « Dieu ». Mais là n'est pas toute l'erreur de la religion. On pourrait fort
bien cesser de croire à la personnalité de la part d'humanité qui fut retirée à l'homme,
on pourrait fort bien transformer le dieu en divin et rester nonobstant religieux. Car
être religieux, c'est n'être pas pleinement satisfait de l'homme présent, c'est imaginer
une « perfection » qui doit être atteinte et se figurer l'homme comme « tendant à se
parfaire [4] Être religieux, c'est se fixer un Idéal, un absolu. La perfection
est le « suprême bien », le finis bonorum, et l'idéal de chacun est l'homme parfait, le
véritable homme, l'homme libre, etc.
Les efforts de l'époque actuelle tendent à instaurer en guise d'idéal l'« homme
libre ». Si l'on y parvenait, cet idéal nouveau aurait pour conséquence une nouvelle —
religion, de nouvelles aspirations, de nouveaux tourments, une nouvelle dévotion, une
nouvelle divinité, de nouveaux remords.
L'idéal de la « liberté absolue » a fait divaguer comme le fait tout absolu. D'après
Hess, par exemple, cette liberté absolue serait « réalisable dans la société humaine
absolue », et un peu plus bas le même auteur appelle cette réalisation une « vocation »
et définit la liberté une « moralité » : il faut inaugurer le règne de la « Justice » (id est: Égalité) et de la « Moralité » (id est : Liberté).
Vous vous gaussez de celui qui, tandis que les membres de sa tribu, de sa famille,
de sa nation, etc., peinent et méritent, se borne à se « gonfler » glorieusement des
hauts faits de ses compagnons. Non moins aveugle est celui qui met toute sa gloire à
être « homme ». Ni lui ni le parasite glorieux de tantôt ne fondent le sentiment de leur
valeur sur une exclusion, mais sur une connexion, sur le « lien » qui les unit aux
autres : lien du sang, lien de la nationalité ou lien de l'humanité.
Les « Nationalistes » d'aujourd'hui ont rallumé la discussion entre ceux qui
pensent n'avoir dans les veines qu'un sang purement humain et n'être liés que par des
liens purement humains et ceux qui se targuent d'un sang spécial et de liens spéciaux.
Si nous considérons l'orgueil comme la conscience d'une valeur (valeur qui peut
être surfaite, mais peu importe), nous constatons une différence énorme entre l'orgueil
d'« appartenir » à une nation, c'est-à-dire d'être la propriété de cette nation, et l'orgueil
de nommer une nationalité sa propriété. Ma nationalité est un de mes prédicats, une
de mes propriétés, tandis que la nation est ma propriétaire et ma maîtresse. Si tu
possèdes la force physique, tu pourras l'employer en temps utile et elle pourra te
procurer cette satisfaction de connaître ta valeur qu'on appelle orgueil. Mais si c'est
ton grand vigoureux corps qui te possède, il te poussera partout et aux moments les
moins opportuns à exhiber sa vigueur : tu ne pourras serrer la main à personne sans la
lui écraser.
Une fois parvenu à se convaincre que l'on est plus que le membre d'une famille, le
fils d'une race, l'individu d'un peuple, etc., on en arrive finalement à dire : On est plus
que tout cela parce qu'on est — homme ou encore : l'Homme est plus que le Juif,
l'Allemand, etc. « Que chacun soit donc entièrement et uniquement — homme ! »
Mais ne vaudrait-il pas mieux dire : Si nous sommes plus que ne peuvent exprimer
tous les noms qu'on nous donne, nous voulons être plus qu'homme pour la même
raison que voulez être plus que Juif et plus qu'Allemand. Les Nationalistes ont raison: on ne peut pas renier sa nationalité ; mais les Humanitaires aussi ont raison : on ne
doit pas se renfermer dans les bornes étroites de sa nationalité. C'est à l'individualité à
résoudre cette contradiction : la nationalité est ma propriété, mais Je ne tiens pas tout
entier dans une de mes propriétés ; l'humanité aussi est ma propriété, mais c'est Moi
seul qui, par mon unicité, donne à l'homme son existence.
L'histoire cherche l'Homme : mais l'homme, c'est toi, c'est moi, c'est nous ! Après
l'avoir pris pour un Être mystérieux, une divinité, et l'avoir cherché dans le Dieu
d'abord, puis dans l'Homme (l'humanité, le genre humain), je l'ai enfin trouvé dans
l'individu borné et passager, dans l'Unique.
Je suis possesseur de l'humanité, Je suis l'humanité, et Je ne fais rien pour le bien
d'une autre humanité. Tu es fou, toi qui, étant une humanité unique, te guindes afin de
vivre pour une autre que celle que tu es toi-même.
Les relations du Moi avec le monde humain que nous avons examinées jusqu'ici
se prêtent à de tels développements et nous ouvrent de si riches perspectives qu'en
d'autres circonstances on ne saurait trop s'y étendre. Mais nous ne nous proposions
pour le moment que d'en indiquer les grandes lignes, et nous sommes forcés de nous
interrompre pour passer à l'examen de deux autres côtés de la question. Je ne suis pas
seulement en rapport avec les hommes en tant que représentants de l'idée d' « Homme
» ou en tant qu'enfants de l'Homme (pourquoi ne pas dire « enfants de l'Homme »,
puisqu'on dit « enfants de Dieu »?); je suis en outre en rapport avec ce qu'ils tiennent
de l'Homme et appellent leur propriété. En d'autres termes, je suis en relation non
seulement avec ce qu'ils sont comme hommes, mais encore avec leur avoir humain
Après avoir traité du monde des hommes, je dois donc, pour remplir le cadre que je
me suis tracé, passer à l'examen du monde des sensations et des idées et dire quelques
mots de ce que les hommes appellent leur propriété : les biens tant matériels que
spirituels.
Tandis que la notion d'Homme se développait et qu'on en acquérait une intelligence
plus claire, nous eûmes à la respecter successivement sous les diverses formes
personnelles dont on la revêtit ; du dernier et du plus haut de ses avatars sortit enfin le
commandement de « respecter en chacun l'Homme ». Mais si je respecte l'Homme,
mon respect doit s'étendre également à tout ce qui est humain, à tout ce qui appartient
à l'Homme.
Les hommes ont une propriété; devant cette propriété, Je dois m'incliner : elle est
sacrée. Leur propriété consiste en un avoir en partie extérieur et en partie intérieur.
Leur avoir extérieur comprend des choses, et leur avoir intérieur est formé de pensées
de convictions, de nobles sentiments, etc. Mais je ne suis jamais tenu de respecter que
leur avoir humain, je n'ai pas à ménager celui qui n'est pas humain, car les hommes ne
peuvent avoir réellement en propre que ce qui est propre à l'homme. Parmi les biens
intérieurs, on peut citer, par exemple, la religion ; la religion étant libre, c'est-à-dire
propre à l'Homme, il ne m'est pas permis d'y toucher ; un autre de ces biens intérieurs
est l'honneur; étant libre, il m'est inviolable (diffamation, caricatures, etc.). La religion
et l'honneur sont une « propriété spirituelle ». Comme propriété matérielle, vient
en premier lieu la personne : ma personne est ma propriété ; de là résulte la liberté de
la personne ; mais, bien entendu, seule la personne humaine est libre, l'autre, la prison
l'attend. Ta vie est ta propriété, mais elle n'est sacrée pour les hommes que si elle n'est
pas la vie d'un non-homme.
Les biens matériels dont l'homme ne peut justifier la possession par son humanité,
il n'y a aucun titre et nous pouvons les lui prendre ; d'où la concurrence sous toutes
ses formes. Ceux des biens spirituels qu'il ne peut revendiquer comme homme sont
également à notre disposition ; d'où la liberté de la discussion, la liberté de la science
et de la critique.
Mais les biens consacrés sont inviolables. Qui les consacre et les garantit ? À
première vue, c'est l'État, la Société ; mais, plus proprement, c'est l'Homme ou
l’« idée »: l'idée d'une propriété sacrée implique l'idée que cette propriété est vraiment
humaine ou plutôt que son possesseur ne la détient qu'en vertu de sa qualité d'Homme
et non à titre de non-homme.
Dans le domaine spirituel, l'homme est légitime possesseur de sa foi, par exemple,
et de son honneur, de sa conscience, de son sentiment du convenable et du honteux,
etc. Les actes attentatoires à l'honneur (paroles, écrits) sont punissables, de même
ceux qui portent atteinte au fondement de la religion, à la foi politique, bref toute
lésion de ce à quoi l'Homme « a droit ».
Le Libéralisme critique ne s'est pas encore prononcé sur la question de savoir
jusqu'à quel point il pourrait admettre que les biens sont sacrés ; il pense bien être
l'adversaire de toute sainteté, mais comme il lutte contre l'égoïsme, il doit lui tracer
des limites et il ne peut tolérer que le non-homme les franchisse au préjudice de
l'homme. Sa répulsion théorique pour la « masse » devrait, s'il arrivait au pouvoir, se
traduire par des mesures de répulsion pratique.
Les représentants des différentes nuances du Libéralisme sont en désaccord sur
l'extension à donner à l'idée d' « Homme » et sur ce qu'en doit retirer l'homme individuel,
c'est-à-dire sur la définition de l'Homme et de l'humain ; l'homme politique,
l'homme moral et l'homme « humain » ont revendiqué tour à tour, et toujours plus
catégoriquement, le titre d'Homme. Celui qui définit le mieux ce qu'est l' « Homme »
est aussi celui qui sait le mieux ce que doit avoir l' « Homme ». Ce concept, l'État ne
le saisit que dans son acception politique ; la Société, d'autre part, ne comprend que sa
portée sociale ; seule, dit-on, l'Humanité l'embrasse tout entier : « L'histoire de l'humanité
en est le développement. » Découvrez l'Homme, et vous connaîtrez par le fait
même ce qui est propre à l'Homme, la propriété de l'Homme ou l'humain.
Mais que l'homme individuel prétende à tous les droits du monde, qu'il invoque à
leur appui l'autorité de l’« Homme » et son titre d'homme, que m'importent, à Moi,
son droit et ses prétentions ? Ses droits, il ne les tient que de l'Homme, et non de Moi: aussi n'a-t-il à mes yeux aucun droit. Sa vie, par exemple, ne m'importe que pour
autant qu'elle a une valeur pour Moi. Je ne respecte pas plus son prétendu droit de
propriété, ou droit sur les biens matériels, que je ne respecte son droit sur le
« sanctuaire de son âme » ou droit de garder intacts ses biens spirituels, ses idoles et
ses dieux. Ses biens, tant matériels que spirituels, sont à Moi, et je les traite en
propriétaire selon — mes forces.
La « question de la propriété », dans les termes où on la pose, n'en est pas une ;
ne visant que ce qu'on nomme notre avoir, elle est trop étroite et n'est susceptible
d'aucune solution ; c'est à « celui de qui nous tenons tout » à la trancher ; la propriété
dépend du propriétaire, et, par l'intermédiaire de ce dernier, la question de la propriété
se rattache à un problème d'une porte beaucoup plus grande.
La Révolution dirigea ses attaques contre tout ce qui vient de la « grâce de Dieu »
et, entre autres, contre le droit divin que l'on remplaça par le droit humain. À ce que la
« faveur divine » nous dispense, on opposa ce qui découle de l' « essence de
l'homme ».
Les relations entre les hommes, ayant cessé d'être fondées sur le dogme religieux
qui commande « aimez-vous les uns les autres pour l'amour de Dieu », durent être
édifiées sur la base humaine du « aimez-vous les uns les autres pour l'amour de
l'Homme ». De même, en ce qui concerne les relations des hommes avec les choses
de ce monde, la doctrine révolutionnaire ne put faire autrement que de proclamer que
le monde, jusqu'alors organisé selon l'ordre de Dieu, appartiendrait dorénavant à
l’ « Homme ».
Le monde appartient à l'« Homme » et doit être par moi respecté comme sa
propriété.
Propriété = Mien !
Propriété, au sens bourgeois du mot, signifie propriété sacrée, de sorte que je dois
respecter ta propriété.
« Respect à la propriété ! » Aussi les Politiques verraient-ils volontiers chacun
posséder sa parcelle de propriété, et cette tendance a abouti dans certaines régions à
un morcellement incroyable. Chacun doit avoir son os où il trouve quelque chose à
ronger.
L'égoïste voit la question sous un tout autre jour. Je ne recule pas avec un religieux
effroi devant ta ou votre propriété ; je la considère toujours comme ma propriété,
que je n'ai pas à « respecter ». Traitez donc de même ce que vous appelez ma
propriété ! C'est en nous plaçant tous à ce point de vue qu'il nous sera le plus facile de
nous entendre.
Les Libéraux politiques ont à coeur d'abolir autant que possible toutes les
servitudes, afin que chacun soit franc maître de son champ, ce champ n'eût-il que tout
juste assez de surface pour que le fumier d'un homme suffît à l'engraisser. (« Que les
cultivateurs se marient de bonne heure, afin de profiter du fumier de leur femme ! »)
Peu importe que le champ soit petit, pourvu qu'on ait le sien, qu'il soit une propriété,
et une propriété respectée ! Plus il y aura de propriétaires, plus l'État sera riche en
« hommes libres » et en « bons patriotes ».
Le Libéralisme politique, comme toute religiosité, compte sur le respect, l'humanité,
la charité ; aussi est-il perpétuellement déçu. Car dans la pratique de la vie les
gens ne respectent rien. Tous les jours, on voit de grands propriétaires arrondir leur
domaine en accaparant les propriétés plus petites qui l'avoisinent ; et l'on voit tous les
jours de petits propriétaires dépossédés obligés de redevenir mercenaires ou fermiers
sur le lopin de terre qui leur a été légalement extorqué. La concurrence couvre de son
pavillon le dol et la violence, et ce n'est pas de respect de la propriété qui peut
s'opposer à ce brigandage. Si, au contraire, les « petits propriétaires » s'étaient dit que
la grande propriété, elle aussi, est à eux, ils ne s'en seraient pas d'eux-mêmes respectueusement
écartés et on ne les expulserait pas.
La propriété telle due la comprennent les Libéraux bourgeois mérite les invectives
des Communistes et de Proudhon : elle est insoutenable et inexistante, attendu que le
citoyen propriétaire ne possède en réalité rien et est partout un banni. Loin que le
monde puisse lui appartenir, le misérable coin où il vivote n'est même pas à lui.
Proudhon ne veut pas entendre parler de propriétaires, mais bien de possesseurs
ou d'usufruitiers [5]. Qu'est-ce à dire ? Il veut que nul ne puisse s'approprier le sol, mais
en ait l'usage ; — mais ne lui accordât-on même que la centime partie du produit qu'il
en tire, du fruit, cette fraction du moins serait sa propriété et il pourrait en user à sa
guise. Celui qui n'a que l'usage d'un champ n'est évidemment pas propriétaire de ce
champ ; celui-là l'est moins encore qui doit, ainsi que le veut Proudhon, abandonner
de ce produit tout ce qui ne lui est pas strictement nécessaire ; seulement, il est propriétaire
du tantième qui lui reste. Proudhon ne nie donc que telle ou telle propriété, et
non la propriété. Si nous voulons nous approprier le sol, au lieu d'en laisser l'aubaine
aux propriétaires fonciers, unissons-nous, associons-nous dans ce but, et formons une
société [6] qui s'en rendra propriétaire. Si nous réussissons, ceux qui sont aujourd'hui
propriétaires cesseront de l'être. Et de même que nous les aurons dépossédés de la
terre et du sol, nous pourrons encore les expulser de mainte autre propriété, pour en
faire la nôtre, la propriété des ravisseurs. Les « ravisseurs » forment une société que
l'on peut s'imaginer croissant et s'étendant progressivement au point de finir par
embrasser l'humanité entière. Mais cette humanité elle-même n'est qu'une pensée (un
fantôme) et n'a de réalité que dans les individus. Et ces individus pris en masse n'en
useront pas moins arbitrairement avec la terre et le sol que ne le faisait l'individu
isolé, ledit « propriétaire [7]».
Ainsi donc. la propriété ne cesse pas de subsister et ne cesse même pas d'être
« exclusive » du fait que l'humanité, cette vaste société, exproprie l'individu auquel
elle afferme et donne peut-être en fief une parcelle, de même qu'elle exproprie tout ce
qui n'est pas humanité (elle ne reconnaît, par exemple, aucun droit de propriété aux
animaux). Cela revient donc exactement au même. Ce à quoi tous veulent avoir part
sera retiré à ce même individu qui veut l'avoir pour lui seul et sera érigé en bien
commun. En tant que bien commun, chacun en a sa part, et cette part est sa propriété.
C'est ainsi que, d'après notre vieux droit de succession, une maison qui appartient à
cinq héritiers est leur bien commun, indivis, tandis qu'un cinquième seulement du
revenu est la propriété de chacun. Proudhon aurait pu nous épargner son pathos,
lorsqu'il dit : « Il est certaines choses qui ne sont la propriété que de quelques-uns,
mais auxquelles nous prétendons et auxquelles désormais nous ferons la chasse.
Prenons-les, puisque c'est en prenant qu'on devient propriétaire, et puisque ce qui
nous a manqué jusqu'à présent n'est passé aux mains des propriétaires actuels que par
la prise. Associons-nous pour commettre ce vol. »
Il tâche de nous faire accepter l'idée que la Société est le possesseur primitif et
l'unique propriétaire de droits imprescriptibles ; c'est envers elle que celui qu'on
nomme propriétaire est coupable de vol (« La propriété, c'est le vol [8]»); si elle retire
au propriétaire actuel ce qu'il détient comme lui appartenant, elle ne le vole pas, elle
ne fait que rentrer en possession de son bien et user de son droit. — Voilà où on en
arrive lorsqu'on fait du fantôme Société une personne morale. Ce que l'homme peut
atteindre, voilà, au contraire, ce qui lui appartient : c'est à Moi que le monde appartient.
Et que dites-vous d'autre, lorsque vous déclarez que « le monde appartient à
tous ? Tous, c'est Moi, Moi, et encore Moi. Mais vous faites de « Tous » un fantôme
que vous rendez sacré, de sorte que « Tous » devient le redoutable maître de
l'individu. Et c'est à son côté que se dresse alors le spectre du « Droit ».
Proudhon et les Communistes combattent l'égoïsme. Aussi leurs doctrines sontelles
la continuation et la conséquence du principe chrétien, du principe d'amour, de
sacrifice, de dévouement à une généralité abstraite, à un « étranger ». En ce qui
concerne la propriété, par exemple, ils ne font que compléter et consacrer doctrinalement
ce qui existe en fait depuis longtemps, l'incapacité de l'individu à être propriétaire.
Lorsque la loi nous déclare que ad reges potestas omnium pertinet, ad singulos
proprietas ; omnia rex imperio possidet, singuli dominio, cela signifie : le roi est propriétaire,
car lui seul peut user et disposer de « tout », il a sur tout potestas et
imperium. Les Communistes ont rendu la chose plus claire en dotant de cet imperium
la « Société de tous ». Donc : étant des ennemis de l'égoïsme, ils sont des — Chrétiens,
ou, d'une façon plus générale, des hommes religieux, des visionnaires, subordonnés
et asservis à une généralité, à une abstraction quelconque (Dieu, la Société,
etc.).
Proudhon se rapproche encore des Chrétiens en ce qu'il accorde à Dieu ce qu'il
dénie aux hommes : il le nomme (loc. cit., p. 90) le propriétaire de la terre. Il montre
ainsi qu'il ne peut se délivrer de l'idée qu'il doit exister quelque part un propriétaire ;
il conclut en définitive à un propriétaire, qu'il place seulement dans l'au-delà.
Le propriétaire, ce n'est ni Dieu ni l'Homme (la « Société humaine »), c'est —
l'Individu.
Proudhon (comme Weitling) croit faire la pire injure à la propriété en la qualifiant
de « vol ». Sans vouloir soulever cette question embarrassante : « Y a-t-il une objection
bien sérieuse à faire au vol ? », nous demanderons simplement : L'idée de « vol »
peut-elle subsister si on ne laisse pas subsister l'idée de « propriété » ? Comment
pourrait-on voler, s'il n'y avait pas de propriété ? Ce qui n'appartient à personne ne
saurait être volé, celui qui puise de l'eau dans la mer ne vole pas. Par conséquent, la
propriété n'est pas un vol, ce n'est que par elle que le vol devient possible. Weitling,
qui considère tout comme la propriété de tous, doit nécessairement aboutir à la même
conclusion que Proudhon : si quelque chose appartient à « tous », l'individu qui se
l'approprie est un voleur.
La propriété privée ne vit que grâce au Droit. Le Droit est sa seule garantie ; —
car posséder un objet n'est pas encore en être propriétaire, ce que je possède ne
devient « ma propriété » que par la sanction du Droit ; — elle n'est pas « un fait [9]»,
comme le pense Proudhon, mais une fiction, une idée ; une idée, voilà ce qu'est la
propriété qu'engendre le Droit, la propriété légitime, garantie. Ce n'est pas Moi qui
fais que ce que je possède est ma propriété, c'est — le Droit.
Néanmoins, on désigne sous le nom de propriété le pouvoir illimité que j'ai sur les
choses (objet, animal ou homme) dont je puis « user et abuser à mon gré »; le Droit
romain définit la propriété jus utendi et abutendi re sua, quatenus juris ratio patitur,
un droit exclusif et illimité ; mais la propriété a pour condition la puissance. Ce qui est
en mon pouvoir est à moi. Tant que je maintiens ma situation de possesseur d'un
objet, j'en reste le propriétaire ; s'il m'échappe, quelle que soit la force qui me l'enlève
(le fait, par exemple, que je reconnais qu'un autre y a droit), voilà la propriété éteinte.
Propriété et possession reviennent donc au même. Ce n'est point un droit extérieur à
ma puissance qui me fait légitime propriétaire, mais ma puissance elle-même, et elle
seule : si je la perds, l'objet m'échappe. Du jour où les Romains n'eurent plus la force
de s'opposer aux Germains, Rome et les dépouilles du monde que dix siècles de toute-
puissance avaient entassées dans ses murs appartinrent aux vainqueurs, et il serait
ridicule de prétendre que les Romains en demeuraient néanmoins légitimes propriétaires.
Toute chose est la propriété de qui sait la prendre et la garder, et reste à lui tant
qu'elle ne lui est pas reprise ; c'est ainsi que la liberté appartient à celui qui la prend.
La force seule décide de la propriété ; l'État (que ce soit l'État des bourgeois, des
gueux ou tout uniment des hommes) étant seul fort, est aussi seul propriétaire ; Moi,
l'Unique, je n'ai rien, je ne suis qu'un métayer sur les terres de l'État, je suis un vassal,
et par suite un serviteur. Sous la domination de l'État, aucune propriété n'est à Moi.
Je veux accroître ma valeur, je veux lever le prix de toutes les propriétés dont est
faite mon individualité, et je déprécierais la propriété ? Jamais ! De même que je n'ai
jamais été jusqu'à présent justement apprécié parce que l'on mettait toujours au-dessus
de Moi le Peuple, l'Humanité et cent autres abstractions, on n'a jamais non plus
pleinement reconnu jusqu'à ce jour la valeur de la propriété. La propriété n'était que la
propriété d'un fantôme, du Peuple, par exemple ; mon existence tout entière « appartenait
à la patrie » : j'appartenais, et par suite tout ce que je nommais mien appartenait
à la patrie, au Peuple, à l'État.
On demande aux États de mettre fin au paupérisme. Autant vaudrait leur demander
de se couper la tête et de la poser à leurs pieds, car tant que l'État est un moi, le
moi individuel doit rester un pauvre diable de non-moi. L'intérêt de l'État est d'être
riche lui-même ; peut lui chaut que Pierre soit riche et Paul pauvre, il aimerait autant
que ce fût Paul le riche et Pierre le pauvre ; il regarde l'un s'enrichir et l'autre s'appauvrir
sans s'émouvoir de ce jeu de bascule. Comme individus, tous sont réellement
égaux devant sa face, et en cela il a raison : pauvre et riche ne sont pour lui — rien, de
même que devant Dieu nous sommes tous « de pauvres pécheurs ». D'autre part, l'État
a un très grand intérêt à ce que ces mêmes individus qui font de lui leur moi partagent
ses richesses : il les fait participer à sa propriété. La propriété, dont il fait un appât et
une récompense pour les individus, lui sert à les apprivoiser, mais elle reste sa
propriété et nul n'en a la jouissance qu'autant qu'il porte dans son coeur le moi de
l'État, comme un « membre loyal de la Société » qu'il est ; sinon, la propriété est
confisquée ou fond en procès ruineux.
La propriété est et reste donc la propriété de l'État, sans jamais être la propriété
du Moi. Dire que l'État ne retire pas arbitrairement à l'individu ce que l'individu tient
de l'État revient simplement à dire que l'État ne se vole pas lui-même. Celui qui est un
« Moi d'État », c'est-à-dire un bon citoyen ou un bon sujet, jouit de son fief en toute
sécurité, mais il en jouit comme moi d'État et non comme Moi propre, comme
individu. C'est ce qu'exprime le code, quand il définit la propriété : ce que je nomme
mien « de par Dieu ou de par le Droit ». Mais Dieu et le Droit ne le font mien que si
— l'État ne s'y oppose pas.
En cas d'expropriation, de réquisition d'armes, etc., ou encore, par exemple, lorsque
le fisc recueille une succession dont les ayants droit ne se sont pas présentés dans
les délais légaux, le principe, habituellement voilé, saute aux yeux de tous : le Peuple,
« l'État », est seul propriétaire ; l'individu n'est que fermier, tenancier, vassal.
Je voulais dire ceci : l'État ne peut se proposer de faire qu'un individu soit propriétaire
dans son propre intérêt à lui, individu ; il ne peut vouloir que Je sois riche ou
même que Je possède seulement quelque aisance ; pour autant que je suis Moi, l'État
ne peut rien me reconnaître, rien me permettre, rien m'accorder. L'État ne peut obvier
au paupérisme, parce que l'indigence est mon indigence. Celui qui n'est que ce que
font de lui les circonstances ou la volonté d'un tiers (l'état) n'a non plus, et c'est
parfaitement juste, que ce que ce tiers lui accorde. Et ce tiers ne lui donnera que ce
qu'il mérite, c'est-à-dire le salaire de ses services. Ce n'est pas lui qui se fait valoir et
qui tire de soi-même le meilleur parti possible, c'est l'État.
Ce sujet est de ceux que l'économie dite politique traite avec prédilection ; il n'est
cependant pas du domaine de la « politique » et dépasse de cent coudées l'horizon de
l'État, qui ne connaît que la propriété de l'État et ne peut répartir qu'elle. L'État, ne
peut faire autrement que de soumettre la possession de la propriété à des conditions,
comme il y soumet tout, par exemple le mariage qu'il soustrait à ma puissance en
n'admettant comme valable que le mariage par lui sanctionné. Mais une propriété
n'est ma propriété que si elle est à moi sans conditions ; ce n'est que si je suis inconditionné
que je puis être propriétaire, m'unir à la femme que j'aime et me livrer librement
à un « commerce ».
L'État ne s'inquiète ni de Moi ni du mien, il ne se préoccupe que de soi et du sien ;
si j'ai une valeur à ses yeux, ce n'est que comme « son enfant », « enfant du pays »,
etc.; comme Moi, je ne lui suis rien. Ma vie, ses hauts et ses bas, ma fortune ou ma
ruine ne sont pour l'intelligence de l'État qu'une contingence, un accident. Mais si
Moi et le mien ne sommes pour lui qu'un accident, qu'est-ce que cela prouve, sinon
qu'il est incapable de me comprendre ? Je dépasse sa compréhension, ou, en d'autres
termes, son intelligence est trop courte pour me saisir. C'est ce qui explique d'ailleurs
qu'il ne puisse rien faire pour moi.
Le paupérisme est un corollaire de la non-valeur du Moi, de mon impuissance à
me faire valoir. Aussi État et paupérisme sont-ils deux phénomènes inséparables.
L'État n'admet pas que je me mette moi-même à profit, et il n'existe qu'à condition
que je n'aie pas voix au marché : toujours il vise à tirer parti de moi, c'est-à-dire à
m'exploiter, à me dépouiller, à me faire servir à quelque chose, ne fût-ce qu'à soigner
une proles (prolétariat); il veut que je sois « sa créature ».
Le paupérisme ne pourra être enrayé que du jour où ma valeur ne dépendra plus
que de moi, où je la fixerai moi-même et ferai moi-même mon prix. Si je veux me
voir en hausse, c'est à moi à me hausser et à me soulever.
Quoi que je fasse, que je fabrique de la farine ou du coton, ou que j'extraie à
grand-peine du sol le fer et le charbon, c'est là mon travail et je veux en tirer moimême
tout le profit possible. Me plaindre ne servirait de rien, mon travail ne sera pas
payé ce qu'il vaut ; l'acheteur ne m'écoutera pas, et l'État fera de même la sourde
oreille jusqu'au moment où il croira nécessaire de m' « apaiser » pour prévenir l'explosion
de ma redoutable puissance. Mais ces moyens d' « apaisement » dont il use en
guise de soupape de sûreté sont tout ce que je puis attendre de lui ; si je m'avise de
réclamer plus, l'État se tournera contre moi et me fera sentir ses griffes et ses serres,
car il est le roi des animaux, le lion et l'aigle. Si le prix qu'il fixe à mon travail et à
mes marchandises ne me satisfait pas, et, si je tente de fixer moi-même la valeur
d'échange de mes produits, c'est-à-dire de faire en sorte que « je sois payé de mes
peines », je me heurterai à une fin de non-recevoir absolue chez le consommateur. Si
ce conflit se dénouait par un accord entre les deux parties, l'État n'y trouverait rien à
redire, car peu lui importe comment les particuliers s'arrangent entre eux, du moment
que leur entente ne lui cause aucun préjudice. Il ne se juge lésé et mis en péril que si,
ne parvenant pas à trouver un terrain d'entente, les antagonistes se prennent aux
cheveux. Ce sont là des relations immédiates d'homme à homme que l'État ne peut
tolérer ; il doit s'interposer comme — médiateur, il doit — intervenir. L'État, en assumant
ce rôle de tampon, est devenu ce qu'était Jésus-Christ, ce qu'étaient l'Église et
les Saints, un « entremetteur ». Il sépare les hommes et s'interpose entre eux comme
« Esprit ».
Les ouvriers qui réclament une augmentation de salaire sont traités en criminels
dès qu'ils tentent de l'arracher de force au patron. Que doivent-ils faire ? S'ils n'usent
pas de leur force, ils s'en retourneront les mains vides ; mais user de sa force, recourir
à la contrainte, c'est mettre en pratique le « aide-toi toi-même », c'est se faire valoir
soi-même, tirer librement et réellement de sa propriété ce qu'elle vaut, toutes choses
que l'État ne peut tolérer. Que faire donc, diront les travailleurs ? Que faire ? Vous
compter, ne compter que sur vous-mêmes et ne pas vous occuper de l'État !
Voilà pour le travail de mes bras ; il en va de même du travail de mon cerveau.
L'État me permet de tirer profit de toutes mes pensées et d'en faire l'objet d'un commerce
avec les hommes (j'en tire déjà un prix, du seul fait, par exemple, qu'elles me
valent l'estime ou l'admiration des auditeurs); il me le permet, mais pour autant
seulement que mes pensées soient — ses pensées. Si je nourris, au contraire, des pensées
qu'il ne peut approuver, c'est-à-dire faire siennes, il m'interdit formellement d'en
réaliser la valeur, de les échanger et d'en commercer. Mes pensées ne sont libres que
lorsque l'état les agrée, c'est-à-dire lorsqu'elles sont des pensées de l'État. Il ne me
laisse philosopher en liberté que si je me montre « philosophe d'État »; mais je ne
puis pas philosopher contre l'État, bien qu'il me permette volontiers de remédier à ses
« imperfections », de le « redresser ». — De même, donc, que je ne puis considérer
mon « Moi » comme légitime que s'il porte l'estampille de l'État et s'il peut exhiber
les certificats et passeports que ce dernier lui a gracieusement accordés, de même je
ne suis autorisé à faire valoir mon « Mien » que si je le tiens pour le « sien », pour un
fief relevant de l'État. Mes chemins doivent être ses chemins, sinon il me met à
l'amende, et mes pensées ses pensées, sinon il me bâillonne.
Rien n'est plus redoutable pour l'État que la valeur du Moi ; il n'est rien dont il
doive plus soigneusement me tenir à l'écart que de toute occasion de m'exploiter moimême.
Je suis l'adversaire inconciliable de l'État, qui ne peut échapper à l'étau du
dilemme : lui ou moi. Aussi s'attache-t-il non seulement à paralyser le Moi, mais
encore à annihiler le Mien. Il n'y a dans l'État aucune — propriété, c'est-à-dire aucune
propriété de l'individu : il n'y a que des propriétés de l'État. Ce que j'ai, je ne l'ai que
par l'État ; ce que je suis, je ne le suis que par lui.
Ma propriété privée n'est que ce que l'État me concède du sien, en en frustrant
(privant) d'autres de ses membres : c'est toujours une propriété de l'État.
Mais quoi que fasse l'État, je sens toujours plus clairement qu'il me reste une puissance
considérable ; j'ai un pouvoir sur moi-même, c'est-à-dire sur tout ce qui n'est et
ne peut être qu'à moi et qui n'existe que parce que c'est mien.
Que faire, quand mon chemin n'est plus le sien, quand mes pensées ne sont plus
les siennes ? Passer outre, et ne compter qu'avec moi-même et sur moi-même. Ma
propriété réelle, celle dont je puis disposer à mon gré, dont je puis trafiquer à ma
guise, ce sont mes pensées, qui n'ont que faire d'une sanction et qu'il m'importe peu
de voir légitimer par une destination, une autorisation ou une grâce. Étant miennes,
elles sont mes créatures, et je puis les abandonner pour d'autres ; si je les cède en
change d'autres, ces autres deviennent à leur tour ma propriété.
Qu'est-ce donc que ma propriété ? Ce qui est en ma puissance, et rien d'autre. À
quoi suis-je légitimement autorisé ? À tout ce dont je suis capable. Je me donne le
droit de propriété sur un objet, par le seul fait que je m'en empare, ou, en d'autres
termes, je deviens propriétaire de droit chaque fois que je me fais de force propriétaire; en me donnant le pouvoir, je me donne le titre.
Tant que vous. ne pouvez m'arracher mon pouvoir sur une chose, cette chose
demeure ma propriété. Eh bien, soit ! Que la force décide de la propriété, et j'attendrai
tout de ma force ! La puissance étrangère, la puissance que je laisse à autrui a fait de
moi un serf ; puisse ma propre puissance faire de moi un propriétaire ! Que je rentre
donc en possession de la puissance que j'ai abandonnée aux autres, ignorant que
j'étais de la valeur de me forces. À mes yeux, ma propriété s'étend jusqu'où s'étend
mon bras ; je revendiquerai comme mien tout ce que je suis capable de conquérir, et
je ne verrai à ma propriété d'autre limite réelle que ma — force, unique source de
mon droit.
Ici, c'est à l'égoïsme, à l'intérêt personnel de décider, et non pas au principe
d'amour, aux raisons de sentiment telles que charité, indulgence, bienveillance ou même
équité et justice (car la justitia aussi est un phénomène d'amour, un produit de
l'amour) : l'amour ne connaît que le « sacrifice » et exige le « dévouement ». Sacrifier
quelque chose ? Se priver de quelque chose ? L'égoïste n'y songe pas ; il dit simplement: Ce dont j'ai besoin, il me le faut, et je l'aurai !
Toutes les tentatives faites pour soumettre la propriété à des lois rationnelles ont
leur source dans l'amour et aboutissent à un orageux océan de réglementations et de
contraintes. Le Socialisme et le Communisme ne font eux-mêmes pas exception à la
règle. Chacun doit être pourvu de moyens d'existence suffisants, et peu importe que
ces moyens on les trouve, selon l'idée socialiste, dans une propriété personnelle, ou
qu'avec les Communistes on les puise dans la communauté des biens. Les individus
ne cesseront en aucun cas de se sentir dépendants. La cour arbitrale que vous
chargerez de répartir équitablement les biens ne m'accordera que la part que m'aura
mesurée son esprit d'équité, son bienveillant souci des besoins de tous. Moi, l'individu,
je ne vois pas un moindre obstacle dans la richesse de la collectivité que dans la
richesse des autres individus, car ni l'une ni l'autre ne m'appartient. Que les biens
soient entre les mains de la communauté qui m'en accorde une partie ou entre les
mains des particuliers, il en résulte toujours pour moi la même contrainte, attendu que
je ne puis en aucun cas en disposer. Bien plus, en abolissant la propriété personnelle,
le Communisme ne fait que me rejeter plus profondément sous la dépendance
d'autrui, autrui s'appelant désormais la généralité ou la communauté. Bien qu'il soit
toujours en lutte ouverte contre l'État, le but que poursuit le Communisme est un
nouvel « État », un status, un ordre de choses destiné à paralyser la liberté de mes
mouvements, un pouvoir souverain supérieur à moi ; il s'oppose avec raison à l'oppression
dont je suis victime de la part des individus propriétaires, mais le pouvoir
qu'il donne à la communauté est plus tyrannique encore.
C'est par une autre voie que l'égoïsme marche vers la suppression de la misère de
la plèbe. Il ne dit pas : Attends ce que l'autorité quelconque chargée de partager les
biens au nom de la communauté te donnera dans son équité (car c'est d'un don qu'il
s'agit depuis toujours dans les « États », chacun y recevant selon ses mérites, c'est-àdire
ses services); il dit : Mets la main sur ce dont tu as besoin, prends-le. C'est la
déclaration de guerre de tous contre tous. Moi seul suis juge de ce que je veux avoir.
« En vérité, cette sagesse-là n'est pas nouvelle, car c'est ainsi qu'en ont de tout
temps usé les égoïstes. » Peu importe que la chose ne soit pas neuve, si ce n'est que
d'aujourd'hui qu'on en a conscience; et cette conscience ne peut prétendre à une bien
haute antiquité (à moins que vous ne la fassiez remonter aux lois de l'Égypte et de
Sparte); il suffirait de votre objection et du mépris avec lequel vous parlez de l'égoïste
pour prouver qu'elle est peu répandue. Ce qu'il faut bien se dire, c'est que l'acte de
mettre la main sur un objet, de s'en emparer, n'est nullement méprisable ; il est
purement le fait de l'égoïste conscient et conséquent avec lui-même.
Ce n'est que quand je n'attendrai plus ni des individus ni de la communauté ce que
je puis me donner moi-même que j'échapperai aux chaînes de — l'Amour ; la plèbe ne
cessera d'être la plèbe que du jour où elle prendra. Elle n'est plèbe que parce qu'elle a
peur de prendre et peur du châtiment qui s'ensuivrait. Prendre est un péché, prendre
est un crime ; — voilà le dogme, et ce dogme à lui seul suffit pour créer la plèbe ;
mais si la plèbe reste ce qu'elle est, à qui la faute ? À elle d'abord, qui admet ce dogme,
et à ceux-là ensuite qui, par « égoïsme » (pour leur renvoyer leur injure favorite),
veulent qu'il soit respecté. On n'a pas conscience de cette « sagesse nouvelle », et c'est
la vieille conscience du péché qui en est cause.
Si les hommes parviennent à perdre le respect de la propriété, chacun aura une
propriété, de même que tous les esclaves deviennent hommes libres dès qu'ils cessent
de respecter en leur maître un maître. Alors pourront se conclure des alliances entre
individus, des associations égoïstes, qui auront pour effet de multiplier les moyens
d'action de chacun et d'affermir sa propriété sans cesse menacée.
Selon les Communistes, la communauté doit être propriétaire. C'est au contraire
Moi qui suis propriétaire et je ne fais que m'entendre avec d'autres au sujet de ma
propriété. Si la communauté va à l'encontre de mes intérêts, je m'insurge contre elle et
je me défends. Je suis propriétaire, mais la propriété n'est pas sacrée. Ne serais-je
donc que possesseur ? Eh ! non. Jusqu'à présent on n'était que possesseur, on ne
s'assurait la jouissance d'une parcelle qu'en laissant les autres jouir de la leur. Mais
désormais tout m'appartient ; je suis propriétaire de tout ce dont j'ai besoin et dont je
puis m'emparer. Si le Socialiste dit : la Société me donne ce qu'il me faut, l'Égoïste
répond : je prends ce qu'il me faut. Si les Communistes agissent en gueux, l'Égoïste
agit en propriétaire.
Toutes les tentatives ayant pour but le soulagement des classes misérables doivent
échouer si elles prennent pour principe l'Amour. C'est de l'égoïsme seul que la plèbe
doit attendre quelque aide ; cette aide, elle doit se la prêter à elle-même, et — c'est ce
qu'elle fera. La plèbe est une puissance pourvu qu'elle ne se laisse pas dompter par la
crainte. « Les gens perdraient tout respect si on ne les forçait pas à avoir peur », disait
l'Épouvantail au Chat Botté.
La propriété ne doit et ne peut donc pas être abolie ; ce qu'il faut, c'est l'arracher
aux fantômes pour en faire ma propriété. Alors s'évanouira cette illusion que je ne
suis pas autorisé à prendre tout ce dont j'ai besoin.
« Mais de combien de choses l'homme n'a-t-il pas besoin ! » Celui qui a besoin de
beaucoup et qui s'entend à le prendre s'est-il jamais fait faute de se l'approprier ?
Napoléon a pris l'Europe et les Français Alger. Ce qu'il faudrait, c'est que la plèbe,
que le respect paralyse, apprenne enfin à se procurer ce qu'il lui faut. Si elle va trop
loin et si vous vous jugez lésés, eh bien ! défendez-vous : il n'est pas nécessaire que
vous lui fassiez bénévolement des cadeaux. Quand elle apprendra à se connaître, ou
plutôt quand ceux de la plèbe apprendront à se connaître, ils cesseront d'en faire partie
par là même qu'ils refuseront vos aumônes. Mais il est parfaitement ridicule de
déclarer « pécheur et criminel » celui qui ne prétend plus vivre de vos bienfaits et
veut se tirer d'affaire lui-même. Vos dons le trompent et lui font prendre patience.
Défendez votre propriété, vous serez forts ; mais si vous voulez garder la faculté de
donner et jouir d'autant plus de droits politiques que vous pouvez faire plus d'aumônes
(taxe des pauvres [10]) cela durera ce que ceux que vous gratifiez de vos dons
permettront que cela dure.
La question de la propriété n'est pas, je crois l'avoir montré, aussi simple à résoudre
que se l'imaginent les Socialistes et même les Communistes. Elle ne sera résolue
que par la guerre de tous contre tous. Les pauvres ne deviendront libres et propriétaires
que lorsqu'ils — s'insurgeront, se soulèveront, s'élèveront. Quoi que vous
leur donniez, ils voudront toujours davantage, car ils ne veulent rien de moins que —
la suppression de tout don.
On demandera : Mais que se passera-t-il, quand les sans-fortune auront pris
courage ? Comment s'accomplira le nivellement ? Autant vaudrait me demander de
tirer l'horoscope d'un enfant. Ce que fera un esclave quand il aura brisé ses chaînes ?
— Attendez, et vous le saurez.
La concurrence est étroitement liée au principe de la bourgeoisie. Est-elle autre
chose que l’égalité ? Et l'égalité n'est-elle pas précisément un produit de cette
Révolution dont la bourgeoisie ou la classe moyenne fut l'auteur ? Il n'est défendu à
personne de rivaliser avec tous les autres membres de l'État (le Prince excepté, parce
qu'il représente l'État); chacun peut travailler à s'élever au rang des autres et à les
surpasser, voire même à les ruiner, les dépouiller et leur arracher jusqu'aux derniers
lambeaux de leur fortune. Cela prouve à toute évidence que, devant le tribunal de
l'État, chacun n'a la valeur que d'un « simple individu » et ne doit compter sur aucune
faveur. Surpassez-vous l'un l'autre, enchérissez l'un sur l'autre tant que vous voulez et
tant que vous pouvez ; moi, l'État, je n'ai rien à y voir. Vous êtes libres de concourir
entre vous, vous êtes concurrents, et la concurrence est votre, position sociale. Mais
devant moi, l'État, vous n'êtes que de « simples individus ».
L'égalité, que l'on a théoriquement établie en principe entre tous les hommes,
trouve sa mise en application et sa réalisation pratique dans la concurrence, car
l'égalité [11] n'est que la libre concurrence. Tous sont, vis-à-vis de l'état, de — simples
particuliers, et dans la Société, c'est-à-dire vis-à-vis les uns des autres, des — concurrents.
Je n'ai pas à être autre chose qu'un simple particulier pour pouvoir concourir avec
tout autre homme, sauf le Prince et sa famille. Cette liberté était jadis impossible,
attendu qu'on ne jouissait de la liberté de se faire valoir que dans la corporation et par
la corporation. Sous le système des corporations et de la féodalité, l'état accordait des
privilèges, tandis que sous le régime de la concurrence et du Libéralisme il se borne à
accorder des patentes (brevet donné à un candidat et établissant que telle profession
lui est ouverte [patente]).
Mais la libre « concurrence » est-elle bien réellement « libre » ? Est-elle même
vraiment une « concurrence », c'est-à-dire un concours entre les personnes ? C'est ce
qu'elle prétend être, puisqu'elle fonde justement son droit sur ce titre ; elle est née, en
effet, du fait que les personnes ont été affranchies de toute domination personnelle.
Peut-on dire que la concurrence est « libre », quand l'État, que le principe de la
bourgeoisie fait souverain, s'ingénie à la restreindre de mille façons ?
« Voici un riche fabricant qui fait de brillantes affaires, et je voudrais lui faire la
concurrence.
— Fais, dit l'État, je ne vois, pour ma part, rien qui s'oppose à ce que tu le fasses.
— Oui, mais il me faudrait de la place pour mon installation, il me faudrait de
l'argent !
— C'est regrettable, mais si tu n'as pas d'argent, tu ne peux pas songer à concourir.
Et il ne s'agit pas que tu prennes rien à personne, car je protège la propriété et
ses privilèges. »
La libre concurrence n'est pas « libre », parce que les moyens de concourir, les
choses nécessaires à la concurrence me font défaut. Contre ma personne, on n'a rien à
objecter ; mais comme je n'ai pas la chose, il faut que ma personne renonce. Et qui est
en possession des moyens, qui a ces choses nécessaires ? Est-ce peut-être tel ou tel
fabricant ? Non, car dans ce cas je pourrais les lui prendre ! Le seul propriétaire, c'est
l'État ; le fabricant n'est pas propriétaire ; ce qu'il possède, il ne l'a qu'à titre de
concession, de dépôt.
« Allons, soit ! Si je ne puis rien contre le fabricant, je m'en vais faire concurrence
à ce professeur de droit ; c'est un sot et j'en sais cent fois plus que lui : je ferai déserter
son auditoire.
— As-tu fait des études, mon ami, et es-tu reçu docteur ?
— Non, mais à quoi bon ? Je possède largement les connaissances nécessaires à
cet enseignement.
— J'en suis fâché, mais ici la concurrence n'est pas « libre ». Contre ta personne,
il n'y a rien à dire, mais la chose essentielle te manque : le diplôme de docteur. Et ce
diplôme, moi, l'État, je l'exige ! Demande-le-moi d'abord bien gentiment, et nous
verrons ensuite ce qu'il y a à faire. »
Voilà à quoi se réduit la « liberté » de la concurrence. Il faut que l'État, mon
seigneur et maître, me confère l'aptitude à concourir.
Mais aussi, sont-ce bien en réalité les personnes qui concourent ? Non, encore une
fois, ce sont les choses ! L'argent en première ligne, etc.
Dans la lutte, il y aura toujours des vaincus (ainsi le poète médiocre devra céder la
palme, etc.). Mais ce qu'il importe de distinguer, c'est d'abord si les moyens qui font
défaut au concurrent malheureux sont personnels ou matériels, et, en second lieu, si
les moyens matériels peuvent s'acquérir à force d'énergie personnelle, ou si l'on ne
peut les obtenir que par faveur, en simples dons, le pauvre, par exemple, étant forcé
de laisser au riche sa richesse, c'est-à-dire de lui en faire cadeau. En somme, s'il faut
que j'attende l'autorisation de l'État pour avoir les moyens ou les mettre en oeuvre
(comme c'est le cas, par exemple, lorsqu'il s'agit d'un diplôme), ces moyens sont une
grâce que l'État m'accorde [12].
Tel est, au fond, le sens de la libre concurrence : l'État considère tous les hommes
comme ses enfants et comme égaux ; libre à chacun de faire tout son possible pour
mériter les biens et les faveurs dont l'État est le dispensateur. Aussi tous se lancent à
la poursuite de la fortune, des biens (argent, emplois, titres, etc.), en un mot des
moyens matériels.
Au sens bourgeois, tout homme possède, chacun est « propriétaire ». Comment se
fait-il donc que la plupart n'aient pour ainsi dire rien ? Cela vient de ce que la plupart
sont déjà tout heureux rien que d'être propriétaires, ne fût-ce que de quelques loques,
comme les enfants se font un bonheur de leur première culotte ou du premier sou
qu'on leur a donné. À examiner la chose de plus près, voici comment il faut l'entendre.
Le Libéralisme vint d'abord déclarer qu'il était de l'essence de l'homme d'être non
pas propriété, mais propriétaire. Comme cela ne s'appliquait qu'à l’ « Homme » et non
à l'individu, cela abandonnait à l'individu le soin de déterminer la quotité nécessaire à
la satisfaction de son intérêt personnel. Il en résulta que l'égoïsme de l'individu,
conservant au sujet de cette quotité la plus grande latitude, se jeta à corps perdu dans
la concurrence.
Fatalement, l'égoïsme heureux devait porter ombrage à celui qui était moins favorisé; ce dernier, s'appuyant toujours sur le principe de l'humanité, souleva la question
du quotient de répartition des biens sociaux et la résolut ainsi : « L'homme doit avoir
autant qu'il lui est nécessaire. »
Mais mon égoïsme pourra-t-il se contenter de cela ? Les besoins de l' « Homme »
ne sont nullement une mesure applicable à moi et à mes besoins ; car je puis avoir
besoin de plus ou de moins. Non, je dois avoir autant que je suis capable de m'approprier.
Chacun n'a pas à sa disposition les moyens de concourir, parce que ces moyens (et
c'est là le vice fondamental de la concurrence) ne dépendent pas de la personne, mais
de circonstances tout à fait indépendantes de cette dernière. La plupart des hommes
sont dépourvus de ces instruments et, par suite, des biens qu'ils pourraient en tirer.
Aussi les Socialistes réclament-ils pour tous les hommes les instruments et
préparent-ils une société qui fournira à tous ces instruments. Nous ne reconnaissons
plus, disent-ils, tes richesses (avoir) comme ta richesse (pouvoir) [13]. Tu auras à te créer
une autre richesse, à te pourvoir d'autres moyens d'action, qui seront ta force de travail.
Sous l'homme en possession d'un avoir, sous le « possesseur », nous apercevons
l'homme, aussi avons-nous provisoirement respecté ce possesseur que nous nommions
« propriétaire ». Mais il faut bien te dire que tu ne détiens les choses qu'en
attendant que tu sois « exproprié ».
Celui qui possède est riche, mais pour autant seulement que les autres ne le sont
pas. Et comme ta marchandise ne forme ta richesse qu'aussi longtemps que tu es capable
de la maintenir en ta possession, c'est-à-dire aussi longtemps que nous n'avons
pas de pouvoir sur elle, il faudra bien que tu cherches à te procurer d'autres moyens
d'action, car notre puissance l'emporte aujourd’hui sur ta prétendue richesse.
Parvenir à être considéré comme possesseur réalisait déjà un progrès énorme. Le
servage disparaissait et l'homme, qui jusque-là avait dû la corvée à son seigneur et
avait été plus ou moins la propriété de ce dernier, devenait, à son tour, un « seigneur
», un « monsieur ». Mais il ne suffit plus, désormais, que tu possèdes : ton avoir
est démonétisé ; par contre, ton travail augmente de prix. Tu ne vaux à nos yeux qu'en
tant que tu mets en oeuvre les choses, comme autrefois en tant que tu les avais. C'est
ton travail qui est ta richesse. Tu n'es plus, désormais, maître et possesseur que de ce
qui naît de ton travail, et non plus de ce que peut te donner un héritage.
En attendant, comme il n'existe pas de possession qui n'ait à sa source l'héritage,
comme tous les sous qui forment ton avoir sont à l'effigie de l'hérédité et non à
l'effigie du travail, il faut que tout soit refondu au creuset commun.
Mais est-il bien vrai, comme le pensent les Communistes, que ma richesse ne consiste
que dans mon travail ? Ne consiste-t-elle pas plutôt en tout ce dont je suis capable
? La Société des travailleurs elle-même est bien obligée d'en convenir, puisqu'elle
vient en aide aux malades, aux enfants, aux vieillards, en un mot à ceux qui sont
impropres au travail. Ceux-ci sont encore capables de bien des choses, ne fût-ce que
de conserver leur vie au lieu de se l'ôter. Et s'ils sont capables de vous faire désirer
leur conservation, c'est qu'ils possèdent un pouvoir sur vous. À celui qui n'exercerait
absolument aucun pouvoir sur vous, vous n'accorderiez rien, il n'aurait plus qu'à
disparaître.
Ainsi, ta richesse consiste en tout ce dont tu es capable ! Si tu es capable de procurer
un plaisir à des milliers d'hommes, ces milliers d'hommes te donneront des
honoraires, parce qu'il est en ton pouvoir de cesser de leur être agréable et que cela les
oblige à acheter ton travail. Mais si tu n'es capable d'intéresser personne à toi, tu es
tout juste capable de disparaître.
Ne dois-je donc pas, moi qui suis capable de beaucoup, avoir l'avantage sur ceux
qui peuvent moins ? Nous voici attablés devant l'abondance : vais-je m'abstenir de me
servir de mon mieux et attendre ce qui me reviendra d'un partage égal ?
Contre la concurrence se dresse le principe de la Société des gueux, le principe du
partage égal.
L'individu ne supporte pas de n'être considéré que comme une fraction, un tantième
de la société, parce qu'il est plus que cela ; son unicité s'insurge contre cette
conception qui le diminue et le rabaisse.
Aussi n'admet-il pas que les autres lui adjugent sa part ; déjà, dans la Société des
travailleurs, il soupçonne que le partage égal aura pour effet de dépouiller le fort au
profit du faible. Il n'attend, au contraire, sa richesse que de lui-même, et il dit : ce que
je suis capable de me procurer, voilà ma richesse. Quelle richesse ne possède pas
l'enfant dans son sourire, dans ses gestes, dans sa voix, dans le seul fait qu'il existe !
Êtes-vous capables de résister à son désir ? Toi, mère, ne lui offres-tu pas ton sein, et
toi, père, ne te refuses-tu pas bien des choses pour qu'il ne manque de rien ? Il vous
contraint, et par cela même il possède ce que vous croyez à vous.
Si je tiens à ta personne, ta seule existence a déjà pour moi une valeur ; si je n'ai
besoin que d'une de tes facultés, c'est ta complaisance ou ton assistance qui ont un
prix à mes yeux. et que j'achète.
Il se peut aussi que tu ne saches prendre à mon estimation qu'une valeur en
argent : c'était le cas des citoyens allemands vendus à beaux deniers et expédiés en
Amérique, dont l'histoire raconte l'odyssée. Dira-t-on que le vendeur devait faire plus
grand cas d'eux, qui se laissèrent vendre ? Il préférait l'argent comptant à cette
marchandise vivante qui n'avait pas su se rendre précieuse à ses yeux. S'il ne reconnaissait
pas en eux une plus grande valeur, c'est qu'en définitive sa marchandise ne
valait pas grand-chose : et un fripon ne regarde pas à la qualité de ce qu'il donne.
Comment leur aurait-il témoigné une estime qu'il ne ressentait pas, qu'il pouvait à
peine ressentir pour un pareil bétail ?
La pratique égoïste consiste à ne considérer les autres ni comme des propriétaires
ni comme des gueux ou des travailleurs, mais à voir en eux une partie de votre richesse,
des objets qui peuvent vous servir. Cela étant, vous ne paierez rien à celui qui
possède (« au propriétaire »), vous ne paierez rien à celui qui travaille, vous ne
donnerez qu'à celui dont vous avez besoin. Avons-nous besoin d'un roi ? disent les
Américains du Nord. Et ils répondent : Nous ne donnerions pas un liard ni de lui ni de
son travail.
Lorsqu'on dit que la concurrence met tout à la portée de tous, on s'exprime d'une
façon inexacte ; il est plus juste de dire que grâce à elle tout est à vendre. En mettant
tout à la disposition de tous, elle le livre à leur appréciation et en demande un prix.
Mais les amateurs manquent le plus souvent du moyen de se faire acheteurs : ils
n'ont pas d'argent. On peut, avec de l'argent, se procurer tout ce qui est à vendre, mais
justement c'est l'argent qui fait défaut. Où prendre l'argent, cette propriété mobile ou
circulante ? Sache donc que tu as autant d'argent que tu as de — puissance, car tu as
la valeur que tu sais te donner.
On ne paie pas avec de l'argent, dont on peut être à court, mais avec sa richesse,
son « pouvoir », car on n'est propriétaire que de ce dont on est maître.
Weitling a imaginé un nouvel instrument d'échange, le travail. Mais le véritable
instrument de paiement reste encore, comme toujours, notre richesse : Tu paies avec
ce que tu as « en ton pouvoir ». Songe donc à augmenter ta richesse !
En concédant tout cela, on est tout près de répéter la maxime : « À chacun selon
ses moyens. » Mais qui me donnera « selon mes moyens »? La Société ? Je devrais
pour cela me soumettre à son estimation. Non. Je prendrai selon mes moyens.
« Tout appartient à tous! » cette proposition procède aussi d'une théorie futile. À
chacun appartient seulement ce qu'il peut. Lorsque je dis : le monde est à moi, c'est là
aussi une phrase vide de sens, à moins que je ne veuille simplement faire entendre
que je ne respecte aucune propriété étrangère. Cela seul est à moi que j'ai en mon
pouvoir, qui dépend de ma force.
On n'est pas digne d'avoir ce que par faiblesse on se laisse prendre ; on n'est pas
digne de le garder parce qu'on n'est pas capable de le garder.
On fait grand bruit de l' « injustice séculaire » des riches envers les pauvres.
Comme si c'était la faute des riches s'il y a des pauvres, et comme si ce n'était pas
aussi la faute des pauvres s'il y a des riches ! Quelle différence y a-t-il entre eux,
sinon celle qui sépare la puissance de l'impuissance et ceux qui peuvent de ceux qui
ne peuvent pas ? Quel crime les riches ont-ils commis ? « Ils sont durs! » Mais qui
donc a entretenu les pauvres, qui a pourvu à leur subsistance lorsqu'ils ne pouvaient
plus travailler, qui a répandu à profusion les aumônes, ces aumônes dont le nom
même signifie compassion [en Grec, dans le texte]? Les riches ne furent-ils pas toujours
« compatissants »? Ne furent-ils pas toujours « charitables »? Et les taxes des
pauvres, les crèches, les hospices, les établissements de bienfaisance de toute espèce,
d'où viennent-ils ?
Mais tout cela ne vous suffit pas. Les riches devraient, n'est-ce pas, partager avec
les pauvres ? En un mot, ils devraient supprimer la misère. Sans compter qu'il y a à
peine un de vous qui consentirait à partager, et que celui-là serait un fou, demandez-vous: Pourquoi les riches devraient-ils se dépouiller et se dévouer, alors que c'est aux
pauvres que cette conduite profiterait, bien plus qu'à eux-mêmes ? Toi qui touches un
écu par jour, tu es un riche à côté de milliers d'hommes qui vivent avec dix sous : estil
de ton intérêt de partager avec eux, ou n'est-ce pas plutôt du leur ?
Grâce à la concurrence, ce qu'on fait on ne le fait pas avec l'intention de le « faire
de son mieux », mais avec l'intention de le faire le plus lucrativement possible, avec
le moins de frais et le plus grand bénéfice possible. Aussi, n'étudie-t-on que pour se
faire une position (brod-studium), on apprend les courbettes et les belles manières, on
tâche d'acquérir la routine et la « connaissance des affaires », on travaille « pour la
forme ». Et tandis qu'en apparence il s'agit de « bien remplir ses fonctions », on ne
vise en réalité qu'à faire « une bonne affaire », à gagner de l'argent. On fait son métier
prétendument par amour du métier, mais en réalité pour l'amour du bénéfice qu'il
procure. Si l'on devient censeur, ce n'est pas que le métier soit attrayant, mais la
position n'est pas déplaisante ; et puis on veut — monter en grade. On voudrait bien
administrer, rendre la justice, etc., en toute conscience, mais on craint d'être déplacé
ou révoqué : avant tout, il faut bien qu'on — vive.
Toute cette pratique est en somme une lutte pour cette chère vie, une suite d'efforts
ininterrompus pour s'élever de degré en degré jusqu'à plus ou moins de « bienêtre
». Et toutes leurs peines et tous leurs soucis ne rapportent à la plupart des
hommes qu'une « vie amère », une « amère indigence ». Tant d'ardeur pour si peu de
chose !
Une infatigable âpreté à la curée ne nous laisse pas le temps de respirer et de nous
arrêter à une jouissance paisible. Nous ne connaissons pas la joie de posséder.
Lorsqu'on parle d'organiser le travail, on ne peut avoir en vue que celui dont d'autres
peuvent s'acquitter à notre place, par exemple, celui du boucher, du laboureur,
etc.; mais il est des travaux qui restent du ressort de l'égoïsme, attendu que personne
ne peut exécuter pour vous le tableau que vous peignez, produire vos compositions
musicales, etc.; personne ne peut faire l'oeuvre de Raphaël. Ces derniers travaux sont
ceux d'un Unique, ce sont les oeuvres que cet Unique seul est à même d'exécuter,
tandis que les premiers sont des travaux banaux que l'on pourrait appeler « humains »,
attendu que l'individualité de l'ouvrier y est sans importance et qu'on peut y dresser à
peu près « tous les hommes ».
Comme la Société ne peut prendre en considération que les travaux qui présentent
une utilité générale, les travaux humains, sa sollicitude ne peut pas s'étendre à celui
qui fait oeuvre d'Unique ; son intervention dans ce cas pourrait même être nuisible.
L'Unique saura bien s'élever dans la Société par son travail, mais la Société ne peut
pas lever l'Unique.
Il est, par conséquent, toujours à souhaiter que nous nous unissions pour les travaux
humains, afin qu'ils n'absorbent plus tout notre temps et tous nos efforts comme
ils le faisaient sous le régime de la concurrence. À ce point de vue, le Communisme
est appelé à porter des fruits. Ce dont tout le monde est capable ou peut devenir capable
était, avant l'avènement de la Bourgeoisie, au pouvoir de quelques-uns et refusé
à tous les autres : c'était le temps du Privilège. La Bourgeoisie trouva juste de permettre
à tous l'accès de ce qui paraissait convenir à quiconque est « homme ».
Toutefois, ce qu'elle permettait à tous, elle ne le donnait réellement à personne : elle
laissait seulement chacun libre de s'en emparer par ses efforts « humains ». Tous les
yeux se dirigèrent vers ces biens humains, qui dès lors souriaient à tous les passants,
et il en résulta cette tendance que l'on entend à chaque instant déplorer sous le nom de
« matérialisme des moeurs ».
Le Communisme essaie d'y mettre un frein en répandant la croyance que les biens
humains n'exigent pas que l'on se donne tant de peine pour eux, et qu'on peut, par une
organisation judicieuse, se les procurer sans la grande dépense de temps et d'énergie
qui a paru nécessaire jusqu'à présent.
Mais pour qui faut-il gagner du temps ? Pourquoi l'homme a-t-il besoin de plus de
temps qu'il n'en faut pour ranimer ses forces puises par le travail ? Ici, le Communisme
se tait.
Pourquoi ? Eh bien ! pour jouir de soi-même comme Unique, après avoir fait sa
part comme homme !
Dans la première joie de se voir autorisé à allonger la main vers tout ce qui est
humain, on ne songea plus à désirer autre chose, et on se lança par les chemins de la
concurrence à la poursuite de cet humain, comme si sa possession était le but de tous
nos voeux.
Mais, après une course effrénée, on s'aperçoit enfin que « la richesse ne fait pas le
bonheur ». Et l'on cherche à se procurer le nécessaire à moins de frais, et à ne lui
consacrer que le temps et les peines indispensables. La richesse se trouve déprécie, et
la pauvreté satisfaite, la gueuserie insouciante, devient le séduisant idéal.
Est-il bien nécessaire que telles fonctions humaines, auxquelles tout le monde se
croit apte, soient mieux rémunérées que les autres, et qu'on dépense pour s'y élever
toutes ses forces et toute son énergie ? Sans chercher plus loin, la phrase si souvent
employée : « Ah ! si j'étais le ministre, si j'étais le..., ça ne se passerait pas ainsi ! »
exprime déjà la conviction qu'on se sent capable de jouer le rôle d'un de ces dignes
personnages ; on sent très bien qu'il n'est pas besoin pour cela d'une personnalité
exceptionnelle, mais qu'il suffit d'un degré de culture accessible en somme sinon à
tout le monde, du moins au grand nombre ; pour toutes ces choses, un homme ordinaire
suffit.
En admettant même que, si l'ordre est essentiel à l'État, la nécessité d'une subordination
hiérarchique ne lui est pas moins imposée par sa nature, nous remarquerons
que ceux qui trônent au sommet de la hiérarchie jouissent de biens et de privilèges
démesurés en comparaison de ceux qui occupent les degrés inférieurs de l'échelle
sociale.
Pourtant ces derniers, inspirés d'abord par la doctrine socialiste, plus tard sans
doute aussi par un sentiment égoïste (dont nous donnerons dès à présent une légère
teinte à leur langage) s'enhardissent à demander : Qu'est-ce donc qui fait la sécurité de
votre propriété, messieurs les privilégiés ? Et ils répondent eux-mêmes : Votre propriété
est sûre parce que nous nous abstenons de l'attaquer ! Donc grâce à notre protection
! Et que nous donnez-vous en récompense ? Vous n'avez pour le « menu
peuple » que du mépris et des coups de pied, la surveillance de la police, et un catéchisme
avec ce principe fondamental : Respecte ce qui n'est pas à toi, ce qui est à
autrui ! Respecte les autres, et en particulier tes supérieurs !
À cela, nous répondons : Vous voulez notre respect ? Soit, achetez-le-nous, voici
le prix que nous en demandons. Nous voulons bien vous laisser votre propriété, mais
moyennant une compensation suffisante. Qu'est-ce qu'un général fournit en temps de
paix, pour compenser les milliers d'écus de son traitement ? Et tel autre, pour ses
centaines de mille ou ses millions annuels ? Quelle compensation recevons-nous de
vous, pour manger des pommes de terre en vous regardant tranquillement humer vos
huîtres? Achetez-nous seulement ces huîtres au prix où nous devons vous acheter les
pommes de terre, et vous pourrez continuer à les manger en paix. Vous imaginezvous
peut-être que les huîtres ne sont pas à nous comme à vous ? Vous crieriez à la
violence si vous nous voyiez en remplir notre assiette et nous mettre à les consommer
avec vous — et vous auriez raison. Sans violence, nous ne les aurons pas ; mais vous,
ce n'est que parce que vous nous faites violence que vous les avez.
Mais va pour les huîtres, et passons à une propriété qui nous touche de plus près
(car tout cela n'était que possession), au travail.
Nous peinons douze heures par jour à la sueur de notre front, et vous nous donnez
pour cela quelques sous. Eh bien ! faites-vous donc payer votre travail au même prix.
Cela ne vous va pas ! Vous imaginez-vous peut-être que notre travail est ainsi royalement
payé, tandis que le vôtre vaut un traitement de vingt mille francs ? Mais si vous
ne taxiez pas le vôtre à si haut prix, et si vous nous laissiez tirer un meilleur parti du
nôtre, qui vous dit que nous ne serions pas capables de produire des choses plus
importantes que tout ce que vous avez fait jusqu'ici avec vos milliers d'écus ? Si vous
ne receviez plus qu'un salaire comme le nôtre, vous deviendriez bientôt plus assidus
pour gagner davantage. Si vous exécutez des choses qui nous semblent valoir dix fois,
cent fois plus que notre propre travail, qu'à cela ne tienne, vous en recevrez cent fois
plus. De notre côté, nous projetons aussi des travaux que vous nous paierez mieux
que de notre salaire habituel. Nous serons bientôt d'accord, pourvu qu'il soit bien
entendu que personne n'a plus à faire ni à recevoir de cadeaux.
Qui sait ? Nous pourrons même bien aller jusqu'à payer de notre poche un prix
équitable aux infirmes, aux malades et aux vieillards, pour que la faim et la misère ne
nous les enlèvent pas ; car si nous voulons qu'ils vivent, la satisfaction de ce désir il
convient que nous l’— achetions. Je dis bien : que nous l'« achetions », je ne songe
nullement à une misérable « aumône ». Leur vie est aussi leur propriété, à ceux-là
mêmes qui ne peuvent pas travailler ; et si nous voulons (n'importe pour quelle
raison) qu'ils ne nous privent pas de cette vie qui est à eux, il n'y a pas d'autre moyen
d'obtenir ce résultat qu'en l'achetant. Il se pourra même, un peu parce que nous
aimons à voir autour de nous des visages souriants, que nous voulions leur bien-être.
Seulement, plus de cadeaux ! Gardez les vôtres, et n'en attendez plus de nous. Il y
a des siècles que nous vous faisons l'aumône avec une bonne volonté — stupide, il y a
des siècles que nous gaspillons l'obole du pauvre et que nous rendons au seigneur —
ce qui n'est pas au seigneur. C'est fini : déliez les cordons de votre bourse, car dès à
présent le prix de notre marchandise est en hausse énorme. Nous ne vous prendrons
rien, rien du tout, mais vous paierez mieux ce que vous voudrez avoir.
Toi, quelle est ta fortune ? — J'ai un bien de mille arpents. — Eh bien ! moi je
suis ton valet de charrue, et dorénavant je ne labourerai plus ton champ qu'au prix
d'un écu par jour. — Alors, j'en prendrai un autre. — Tu n'en trouveras pas, car nous
autres laboureurs nous ne travaillons plus à d'autres conditions, et s'il s'en présente un
qui demande moins, qu'il prenne garde à lui !
Voici la servante, qui à présent demande tout autant, et tu n'en trouveras plus en
dessous de ce prix. — Mais alors, je suis ruiné ! — Doucement ! Il te reviendra touMax
jours bien autant qu'à nous; du reste, s'il en était autrement, nous rabattrions assez
pour que tu puisses vivre comme nous. — Mais je suis habitué à vivre mieux ! —
Nous le voulons bien, mais cela ne nous regarde pas ; tâche de réduire ta dépense.
Faut-il nous louer au rabais pour que tu puisses bien vivre ?
Le riche régale toujours le pauvre de ces paroles : Est-ce que ta misère me
regarde ? Tâche de te tirer d'affaire comme tu pourras : c'est ton affaire et non la
mienne. — Soit, nous y veillerons, et nous ne laisserons plus les riches accaparer à
leur profit les moyens que nous avons de tirer parti de nous-mêmes. — Pourtant, vous
autres, gens sans instruction, vous n'avez pas autant de besoins que nous. — Qu'à cela
ne tienne, nous prendrons quelque chose de plus pour être à même de nous procurer
l'instruction dont nous pourrons avoir besoin. — Et si vous abattez ainsi les riches,
qui est-ce donc qui soutiendra encore les arts et les sciences ? — Mais c'est au public
de le faire ! Nous nous cotiserons : on fait ainsi de jolies petites sommes. D'ailleurs,
nous savons comment vous autres, riches, vous encouragez les arts ; vous n'achetez
que des livres insipides, ou des saintes Vierges de la plus lamentable platitude, quand
ce n'est pas une paire de jambes de danseuses. — Ah ! la maudite égalité ! — Non,
mon bon vieux monsieur, il ne s'agit pas ici d'égalité. Nous voulons tout bonnement
compter pour ce que nous valons ; si vous valez plus que nous, qu'à cela ne tienne,
vous compterez pour plus. Ce que nous voulons, c'est avoir une valeur, et nous avons
bien l'intention de nous montrer dignes du prix que vous payerez.
L'État est-il capable d'éveiller chez le salarié une aussi courageuse confiance et un
sentiment aussi vif de son Moi ? L'État peut-il faire que l'homme ait conscience de sa
valeur ? Il y a plus, oserait-il se proposer un tel but, peut-il vouloir que l'individu
connaisse sa valeur et en tire le meilleur profit ? La question, on le voit, est double.
Voyons en premier lieu ce que l'État est capable de réaliser dans cette direction. Il
faut, nous l'avons vu, que tous les garçons de charrue marchent la main dans la main,
mais aussi il n'y a que cet accord qui puisse donner un résultat : une loi de l'État se
verrait éludée de mille manières et resterait lettre morte par l'effet de la concurrence.
En second lieu, que peut permettre l'État ? Il lui est impossible de tolérer que les gens
subissent une autre contrainte que la sienne ; il ne peut donc tolérer que les garçons de
charrue coalisés se fassent justice contre ceux qui voudraient se louer à trop bas prix.
Supposons pourtant que l'État ait fait une loi et que les valets de labour soient
parfaitement d'accord, l'État pourrait-il, alors, consentir ?
Dans ce cas isolé, — oui ; mais ce cas isolé est plus que cela, il met en jeu un
principe ; ce qui est en question ici, c'est le Moi réalisant lui-même sa valeur, et par
conséquent s'affirmant en face de l'État. Jusque-là, les Communistes étaient d'accord
avec nous. Mais la mise en valeur de soi-même est nécessairement en contradiction
non seulement avec l'État, mais encore avec la Société ; elle vise bien au-delà du
commun et du communiste, — par égoïsme.
Le Communisme fait du principe de la bourgeoisie, que tout homme est possesseur
(« propriétaire »), une vérité indiscutable, une réalité, en mettant fin au souci
d'acquérir et en faisant que chacun ait ce dont il a besoin. C'est la puissance de travail
de chacun qui forme sa richesse, et s'il n'en fait pas usage, c'est sa faute. C'en est fait
des compétitions infatigables, et nulle concurrence ne demeure plus, comme c'était
trop souvent le cas jusqu'aujourd'hui, stérile, attendu que tout effort de travail a pour
effet de procurer à celui qui le fait le nécessaire. À présent seulement on possède
réellement : ce que quelqu'un possède en puissance dans sa capacité de travail il ne
peut plus le perdre, comme, sous le régime de la concurrence, cela menaçait à chaque
instant de lui échapper. On est possesseur d'une façon assurée, et sans souci. Et on
l'est précisément parce qu'on ne cherche plus sa richesse dans une marchandise, mais
dans sa puissance de travail, c'est-à-dire parce qu'on est un gueux, un homme dont la
fortune n'est qu'idéale. Quant à Moi, je ne puis me contenter de la maigre pitance que
me rapporterait mon labeur, parce que ma richesse ne consiste pas seulement dans
mon travail.
Par le travail, je puis arriver, par exemple, à m'acquitter des fonctions d'un président
ou d'un ministre ; ces emplois n'exigent que l'instruction moyenne, c'est-à-dire
accessible à tout le monde (car l'instruction moyenne ne signifie pas seulement l'instruction
que tout le monde possède, mais celle, par exemple, du médecin, du militaire,
du philosophe, que tout le monde peut acquérir, et qu'un « homme cultivé » ne croit
pas au-dessus de ses forces), ou, en somme, qu'un savoir-faire dont tout le monde est
capable.
Mais s'il est vrai que ces fonctions peuvent être exercées par tout homme quel
qu'il soit, ce n'est pourtant que la force unique de l'individu, propre exclusivement à
l'individu, qui leur donne en quelque sorte une vie et une signification. S'il ne remplit
pas ses fonctions comme un « homme ordinaire », mais s'il y dépense tout le trésor de
son unicité, il n'est pas payé par le fait qu'il touche le traitement, ordinaire de
l'employé ou du ministre. S'il vous a pleinement satisfait, et si vous voulez continuer
à bénéficier non seulement de son travail de fonctionnaire, mais en plus de sa
précieuse puissance individuelle, vous ne le paierez pas seulement comme un homme
ordinaire qui ne fait que de la besogne humaine, mais encore comme un producteur
d'unique. Faites payer de même votre propre travail.
On ne peut appliquer à l'oeuvre de mon unicité un prix général comme à ce que je
fais en tant qu'homme. Ce n'est qu'en cette dernière qualité que je puis travailler à
forfait.
Fixez donc, je le veux bien, une taxe générale pour les travaux humains, mais que
le contrat n'ait pas pour effet d'aliéner votre unicité.
Tes besoins humains ou généraux peuvent être satisfaits par la Société ; mais c'est
à Toi à chercher la satisfaction de tes besoins uniques. La Société ne peut ni te
procurer une amitié ou le service d'un ami, ni même t'assurer les bons offices d'un
individu. Et pourtant tu auras à chaque instant besoin de services de ce genre, dans les
circonstances les plus insignifiantes il te faudra quelqu'un pour t'assister. Ne compte
pas pour cela sur la Société, mais fais en sorte d'avoir de quoi — acheter la satisfaction
de tes désirs.
Faut-il que l'usage de l'argent soit conservé entre égoïstes ? À l'ancienne monnaie
s'attache la tare de la possession héréditaire. Ne la recevez plus en paiement, et elle
est ruinée ; ne faites plus rien pour cet argent, et toute sa puissance s'évanouit. Biffez
le mot héritage, et le sceau du magistrat est sans vertu. À présent, tout est héritage,
que l'héritier soit ou ne soit pas encore en possession. Si tout cela est à vous, pourquoi
le laisser mettre sous scellés, pourquoi vous inquiéter des sceaux ?
Mais à quoi bon créer un nouvel instrument ? Anéantissez-vous donc la marchandise
parce que vous lui ôtez le cachet de l'hérédité ? Considérez la monnaie comme
une marchandise ; à ce titre, elle est un précieux moyen, une richesse. Car elle
empêche l'ankylose de la richesse, la maintient en circulation et en opère l'échange. Si
vous connaissez un meilleur instrument d'échange, adoptez-le, je le veux bien ; mais
ce sera encore toujours l'« argent » sous une nouvelle forme. Ce n'est pas l'argent qui
vous fait du mal, mais bien votre impuissance à le prendre. Mettez en jeu tous vos
moyens, faites tous vos efforts, et l'argent ne vous manquera pas : ce sera un argent à
vous, une monnaie à votre effigie. Mais travailler, ce n'est pas cela que j'appelle
« mettre en jeu tous vos moyens ». Ceux qui se contentent de « chercher du travail »,
d'avoir « la volonté de bien travailler », ceux-là sont condamnés fatalement, et par
leur faute, à devenir des — sans-travail.
C'est de l'argent que dépend le bonheur et le malheur. Ce qui en fait une puissance
dans la période bourgeoise, c'est qu'on ne fait que le courtiser comme une jeune fille,
mais que personne ne l'épouse. Tous les procédés romanesques et chevaleresques
pour s'attacher à une femme aimée se retrouvent dans la concurrence. Et c'est par un
enlèvement que les hardis chevaliers (d'industrie) conquièrent l'argent, objet de leur
ardente passion.
Celui que la chance favorise emmène chez lui la fiancée. Le gueux introduit la
jeune fille dans son ménage qui est la « Société », et elle disparaît. Dans sa maison,
elle n'est plus la fiancée, mais la femme, et avec sa virginité s'en va son nom de
famille : la jeune fille s'appelait « Argent », elle s'appelle aujourd'hui « Travail »,
parce que « Travail » est le nom du mari. Elle est la propriété du mari. Pour en finir
avec cette comparaison, l'enfant de Travail et d'Argent est de nouveau une fille, et de
nouveau célibataire, c'est-à-dire Argent, mais avec une filiation certaine : elle est
issue de Travail, son père. Les traits du visage, l'« effigie » présentent un caractère
nouveau.
Revenons-en enfin encore une fois à la concurrence. La concurrence doit précisément
son existence à ce que personne ne s'occupe de ses affaires et ne songe à
s'entendre avec les autres à leur sujet. Le pain, par exemple, est un objet de première
nécessité pour tous les habitants d'une ville. Donc, rien de plus naturel que de
s'accorder pour établir une boulangerie publique. Au lieu de cela, on abandonne cette
indispensable fourniture à des boulangers qui se font concurrence. Et ainsi de la
viande aux bouchers, du vin aux marchands de vin, etc.
Abolir le régime de la concurrence ne veut pas dire favoriser le régime de la corporation.
Voici la différence : dans la corporation, faire le pain, etc., est l'affaire des
compagnons ; sous la concurrence, c'est l'affaire de ceux à qui il plaît de concourir ;
dans l'association, c'est l'affaire de ceux qui ont besoin de pain, par conséquent la
mienne, la vôtre : ce n'est l'affaire ni des compagnons, ni des boulangers patentés,
mais bien celle des associés.
Si je ne m'inquiète pas de mes affaires, il faut bien que je me contente de ce qu'il
plaît à d'autres de me donner. Or, avoir du pain est mon affaire, j'en veux, je ne puis
m'en passer ; et pourtant on s'en remet aux boulangers, sans autre espoir que d'obtenir
de leur discorde, de leur jalousie, de leur rivalité, en un mot de leur concurrence, un
avantage sur lequel on ne pouvait pas compter avec les membres des corporations, qui
étaient entièrement et exclusivement en possession du monopole de la boulangerie.
Ce dont chacun a besoin, chacun aussi devrait participer à sa production ou à sa
fabrication : c'est son affaire, sa propriété, et non la propriété des membres de telle
corporation ou de tel patron patenté.
Jetons encore un regard en arrière. Le monde appartient aux enfants de ce monde,
aux enfants des hommes. Il n'est plus le monde de Dieu, mais le monde des hommes.
Tout ce que chaque homme peut s'en procurer, il peut le nommer sien ; seulement, le
véritable Homme, l'État, la Société humaine ou l'Humanité veilleront à ce que chacun
ne fasse sien que ce qu'il s'approprie en tant qu'Homme, c'est-à-dire d'une manière
humaine. L'appropriation non humaine n'est pas autorisée par l'Homme ; elle est
« criminelle », tandis que, au contraire, l'appropriation humaine est « juste » et se fait
par une « voie légale ».
C'est ainsi qu'on parle depuis la Révolution.
Mais nulle chose n'est en elle-même ma propriété, vu qu'une chose a une existence
indépendante de moi ; seule ma puissance est à moi. Cet arbre n'est pas à moi ;
ce qui est à moi, c'est mon pouvoir sur lui, l'usage que j'en fais. Et comment exprimet-
on ce pouvoir ? On dit : j'ai un droit sur cet arbre ; ou bien : il est ma légitime
propriété. Or, si je l'ai acquis, c'est par la force. On oublie que la propriété ne dure
qu'aussi longtemps que la puissance reste agissante ; ou, plus exactement, on oublie
que la puissance n'est pas une entité, mais qu'elle n'a d'existence que comme puissance
du Moi, et qu'elle n'existe qu'en Moi, le puissant.
On élève la puissance, comme d'autres de mes propriétés (l'humanité, la majesté,
etc.), au rang d' « être pour soi » (fürsichseiend), de sorte qu'elle ne cesse pas d'exister
alors qu'elle a depuis longtemps cessé d'être ma puissance. Ainsi transformée en
fantôme, la puissance est le — Droit. Cette puissance immortalisée ne s'éteint pas
même à ma mort, elle est transmissible (« héréditaire »).
Il suit de là qu'en réalité les choses appartiennent non pas à Moi, mais au Droit.
Tout cela n'est qu'une vaine apparence pour un autre motif encore : la puissance
de l'individu ne devient permanente et ne devient un droit que pour autant que
d'autres individus conjuguent leur puissance à la sienne. L'illusion consiste à croire
qu'ils ne peuvent plus retirer leur puissance à ceux auxquels ils l'ont accordée. Ici
reparaît le même phénomène que tantôt, le divorce de la puissance et du moi : je ne
puis pas reprendre au possesseur la part de puissance qui lui vient de moi. On a donné
« pleins pouvoirs », on s'est dessaisi du pouvoir, on a renoncé à celui de prendre un
meilleur parti.
Le propriétaire peut renoncer à sa puissance et à son droit sur une chose en en
faisant don, en la dissipant, etc. Et nous, nous ne pourrions pas également abandonner
la puissance que nous lui avons prêtée ?
L'homme selon le droit, l' « honnête homme », ne demande pas à faire sien ce qui
n'est pas à lui « de droit » ou ce à quoi il n'a pas droit ; il ne revendique que sa « propriété
légitime ». Qui donc sera juge et fixera les limites de son droit ? Finalement, ce
doit être l'Homme, car c'est de lui qu'on tient les droits de l'homme. Par conséquent,
on peut dire avec Térence, mais dans un sens infiniment plus large que lui : « Humani
nihil a me alienum puto », c'est-à-dire l'humain est ma propriété. De quelque manière
qu'on s'y prenne, sur ce terrain on aura inévitablement un juge, et de notre temps les
divers juges que l'on s'était donnés ont fini par s'incarner en deux personnes
mortellement ennemies : le Dieu et l'Homme. Les uns se réclament du droit divin, les
autres du droit humain ou des droits de l'homme.
Ce qui est clair, c'est que dans les deux cas l'individu ne crée pas lui-même son
droit.
Trouvez-moi donc aujourd'hui une seule action qui n'offense pas un droit ! À
chaque instant les droits de l'homme sont foulés aux pieds par les uns, tandis que les
autres ne peuvent pas ouvrir la bouche sans blasphémer contre le droit divin. Faites
l'aumône, et vous outragez un droit de l'homme, puisque le rapport de mendiant à
bienfaiteur n'est pas humain ; exprimez un doute, vous péchez contre un droit divin.
Mangez votre pain sec avec contentement, votre résignation est une offense aux droits
de l'homme ; mangez-le en mécontents, et vos murmures sont une insulte au droit
divin. Il n'est pas un de vous qui ne commette à chaque instant un crime : tous vos
discours sont des crimes, et toute entrave à votre liberté de discourir n'est pas moins
un crime. Vous êtes tous des criminels.
Cependant, vous ne l'êtes que parce que vous vous tenez tous sur le terrain du
droit, c'est-à-dire parce que vous ne savez pas que vous êtes criminels et ne savez pas
vous en féliciter.
La propriété inviolable ou sacrée a pris naissance sur ce même terrain ; elle est la
fille spirituelle du Droit. Le chien qui voit un os en la puissance d'un autre n'y renonce
que s'il se sent trop faible. Mais l'homme respecte le droit de l'autre à son os. Ceci est
considéré comme humain, cela comme brutal ou « égoïste ». Et partout, comme dans
ce cas-ci, ce qui est » humain », c'est de voir en tout quelque chose de spirituel (ici, le
droit), c'est-à-dire de faire de toute chose un fantôme que l'on peut bien chasser dès
qu'il se montre mais qu'on ne peut pas tuer. Ce qui est humain, c'est de voir dans tout
objet particulier non pas quelque chose de particulier, mais quelque chose de général.
Je ne dois plus à la nature, comme telle, aucun respect ; je sais que j'ai à son égard
tous les droits. Mais je suis tenu de respecter dans l'arbre du jardin que voilà sa
qualité d'objet étranger (à un point de vue plus étroit, on dit : de respecter la « propriété
»), et il ne m'est pas permis d'y toucher. Et cela ne pourra changer que quand je
ne verrai pas dans le fait de laisser cet arbre à autrui autre chose que dans le fait de lui
abandonner, par exemple, mon bâton, c'est-à-dire quand j'aurai cessé de considérer
cet arbre comme quelque chose d'étranger a priori, de sacré. Moi, au contraire, je ne
me fais pas un crime de l'abattre si cela me plaît ; il reste ma propriété, quelque long
qu'ait pu être le temps pendant lequel je l'ai abandonné à d'autres : il était et il reste à
moi. Je ne vois pas plus la qualité d'objet étranger dans la richesse du banquier que
Napoléon dans les provinces des rois. Nous ne nous faisons aucun scrupule d'en
tenter la « conquête », et nous cherchons par tous les moyens à y arriver. Nous en
exorcisons donc l'esprit d'étrangèreté qui nous avait fait d'abord reculer d'effroi
devant elle.
Mais il est indispensable pour cela que je ne prétende à rien en qualité d'Homme,
mais seulement en qualité de Moi, de ce Moi que je suis ; je ne prétendrai par conséquent
à rien d'humain, mais seulement à ce qui est mien, ou, en d'autres termes, à rien
de ce qui me revient en tant qu'homme, mais à — ce que je veux, et parce que je le
veux.
Donc, une chose ne sera la juste et légitime propriété d'un autre que quand il sera
juste pour toi qu'elle soit la propriété de cet autre. Dès qu'il ne te convient plus qu'il
en soit ainsi, la légitimité disparaît à tes yeux, et il ne te reste plus qu'à rire du droit
absolu du propriétaire.
Outre la propriété au sens restreint dont nous nous sommes entretenus jusqu'à
présent, il en est une autre qui s'impose à notre vénération et contre laquelle il nous
est encore bien moins permis de « pécher ». Cette propriété est constituée par les
biens spirituels et le « sanctuaire de la conscience ». Ce qu'un homme tient pour
sacré, il n'est pas permis à un autre de s'en moquer. Si faux que soit l'objet de sa foi, et
si désireux qu'on soit de l'en détacher pour le ramener « tout doucement et pour son
bien » au culte d'un sacro-saint plus authentique, sa foi du moins, quelque discutable
qu'en soit l'objet, est sacrée et doit toujours être respectée ; quelque absurde que soit
l'idole, la faculté de vénération de celui qui la tient pour sacrée est elle-même sacrée
et on doit s'incliner devant elle.
Dans des temps plus barbares que les nôtres, on avait coutume d'exiger de chacun
une certaine foi et une dévotion à un certain objet sacré ; on n'y allait pas de main
morte contre les dissidents. Mais la « liberté de conscience » se répandant de plus en
plus, le « Dieu jaloux » et « seul Seigneur s'est, depuis, peu à peu transformé en ce
qu'on désigne sous le nom plus vague d' « être suprême »; la tolérance humaine se
déclare satisfaite du moment que chacun révère un « objet sacré » quel qu'il soit.
Ramené à son expression la plus humaine, cet objet sacré est l' « Homme luimême
» et l' « humain ». Car c'est une illusion de croire que l'humain est tout à fait
nôtre et tout à fait exempt de cette teinte de surnaturel qui s'attache au divin, et de
s'imaginer que dire l'Homme, c'est dire Moi ou Toi. Et c'est cette erreur qui peut
conduire à l'orgueilleuse illusion qu'on ne voit plus nulle part rien de « sacré », que
partout nous nous sentons chez nous et délivrés de l'obsession de la sainteté, du
frisson de la terreur sacrée. Mais le ravissement d'« avoir enfin trouvé l'Homme » a
empêché d'entendre le cri de douleur de l'égoïsme ; c'est ainsi qu'on a pris pour notre
vrai moi un fantôme devenu si bon homme.
Mais « le Sacré s'appelle Humain », dit Goethe, et l'humain n'est que le sacré à sa
plus haute puissance.
L'égoïste s'exprime tout autrement. C'est justement parce que tu tiens quelque
chose pour sacré que je te trouve ridicule, et en admettant même que je veuille tout
respecter en toi, c'est précisément ton sanctuaire intérieur que je ne respecterais pas.
À ces manières de voir si opposées correspondent naturellement des conduites
différentes envers les biens spirituels : l'égoïste les attaque ; le religieux (c'est-à-dire
celui qui, au-dessus de lui, place son « essence ») doit, pour être conséquent, les
défendre. Quels biens spirituels faut-il défendre et lesquels doit-on laisser sans protection
? Cela dépend entièrement de l'idée qu'on se fait de l' « être suprême »; celui
qui craint Dieu, par exemple, a plus à défendre que celui qui craint l'Homme, que le
Libéral.
Quand on nous offense dans nos biens spirituels, ce n'est plus comme lorsqu'on
nous lésait dans nos biens matériels : ici, l'offense est spirituelle, le péché commis
contre les biens spirituels consiste à les profaner directement, tandis qu'on ne faisait
que détourner ou éloigner les biens matériels. Ici, les biens eux-mêmes subissent une
dépréciation, une déchéance : ils ne sont pas simplement soustraits, leur caractère
sacré est directement mis en jeu. On désigne sous le nom d' « impiété » ou de « sacriMax
Stirner (1845), L’unique et sa propriété 225
lège » toutes les infractions qui peuvent être commises contre les biens spirituels,
c'est-à-dire envers ce que nous tenons pour sacré ; et la raillerie, l'insulte, le mépris, le
scepticisme, etc., ne sont que des nuances différentes de la criminelle impiété.
Sans nous occuper des multiples façons dont le sacrilège peut se commettre, nous
ne rappellerons ici que celle qui met en danger la sainteté par le fait d'une presse trop
libre.
Tant qu'on exigera encore du respect pour le moindre être spirituel, la parole et la
presse devront être enchaînées au nom de cet être; car l'égoïste pourrait par ses
manifestations l' « offenser », et c'est cette offense qu'on doit réprimer à l'aide de
« pénalités convenables », à moins qu'on ne préfère recourir au moyen plus judicieux
que fournit la puissance préventive de la police, c'est-à-dire à la censure.
Combien de gens nous entendons tous les jours appeler à grands cris la liberté de
la presse ! Or, de quoi la presse doit-elle être libre ? Sans doute d'une dépendance,
d'une sujétion, d'un asservissement ! Mais c'est affaire à chacun de s'affranchir de tout
cela ; on peut affirmer avec certitude que si vous avez secoué le joug des vieilles
habitudes de domesticité, ce que vous écrivez et publiez vous appartient en propre, au
lieu d'avoir été conçu et formulé au service d'un pouvoir quelconque ; mais qu'est-ce
qu'un fidèle chrétien peut bien dire ou imprimer qui soit plus indépendant de la
croyance chrétienne qu'il ne l'est lui-même ? S'il est des choses que je ne puis ou n'ose
écrire, le premier coupable ne peut être que moi-même. — Et, quoique ceci paraisse
s'éloigner du sujet, en voici pourtant l'explication : Par une loi sur la presse, je trace
ou je permets qu'on trace autour de mes publications une limite au-delà de laquelle
commencent le délit et la répression. C'est moi-même qui restreint ma liberté.
Pour que la presse fût libre, il serait indispensable qu'aucune contrainte ne pût lui
être imposée au nom d'une loi. Et pour en arriver là, il faudrait que moi-même je me
fusse affranchi de l'obéissance à la loi.
En vérité, la liberté absolue de la presse est une chimère, comme toute liberté
absolue. La presse peut être libre de bien des choses, mais elle ne le sera jamais que
de ce dont je serai moi-même libre. Affranchissons-nous de tout ce qui est sacré,
soyons sans foi et sans loi, et nos discours le seront aussi.
Nous ne pouvons pas plus affranchir nos écrits de toute contrainte que nous ne
pouvons être nous-mêmes affranchis de tout. Mais nous pouvons les faire aussi libres
que nous le sommes. Il faut pour cela qu'ils soient notre propriété, au lieu d'être,
comme ils l'ont été jusqu'ici, au service d'un fantôme.
On ne se rend pas bien compte de ce qu'on demande en réclamant la liberté de la
presse. Ce que prétendument on désire, c'est que l'État rende la presse libre ; mais ce
qu'on veut en réalité et sans s'en douter, c'est que la presse soit affranchie de l'État ou
n'ait plus à compter avec lui. Le voeu conscient est une pétition que l'on adresse à
l'État, la tendance inconsciente est une révolte contre l'État. L'humble supplique comme
la ferme revendication du droit à la liberté de la presse supposent que l'État est le
dispensateur, dont on ne peut espérer qu'un don, une concession, un octroi. Il se
pourrait qu'un État fût assez fou pour accorder le cadeau demandé, mais il y a tout à
parier que ceux qui le recevraient ne sauraient pas s'en servir, aussi longtemps qu'ils
considéreraient l'État comme une vérité : ils se garderaient bien d'offenser cette « chose
sacrée » et appelleraient sur celui qui se le permettrait les sévérités d'une loi sur la
presse.
En un mot, il est impossible que la presse soit libre de ce dont je ne suis pas libre
moi-même.
Ce que j'en dis va peut-être me faire passer pour un adversaire de la liberté de la
presse ? Loin de là ! J'affirme seulement qu'on ne l'obtiendra jamais tant qu'on ne
voudra qu'elle, la liberté de la presse, c'est-à-dire tant qu'on n'aura en vue qu'une permission
limitée. Mendiez-la tant que vous voudrez, cette permission : vous l'attendrez
éternellement, car il n'y a personne au monde qui puisse vous la donner. Tant que
vous voudrez voir « légitimer, autoriser, justifier » par une permission (c'est-à-dire
par la liberté de la presse) l'usage que vous faites de la presse, vous vivrez dans de
vaines espérances et de vaines récriminations.
« Absurdité ! Vous qui nourrissez des pensées comme on en voit dans votre livre,
vous ne parviendrez à leur donner de publicité que grâce à un heureux hasard ou à
force d'artifices. Et c'est vous qui voulez vous opposer à ce qu'on harcèle, qu'on
importune l'État jusqu'à ce qu'il accorde enfin la liberté d'imprimer ? »
Il se pourrait qu'un auteur à qui on tiendrait ce langage répondît — car jusqu'où ne
va pas l'insolence de ces gens ? — de la manière suivante :
—Réfléchissez bien à ce que vous dites ! Que fais-je donc en vue de me procurer
pour mon livre la liberté de la presse ? Est-ce que je demande une permission ? Ne
me voit-on pas, au contraire, sans me soucier de la légalité, guetter une occasion
favorable, et la saisir sans aucun égard pour l'État et ses désirs ?
« Oui ! je trompe — puisqu'il faut que le mot terrible soit prononcé — je trompe
l'État.
« Et vous, sans vous en douter, vous en faites autant. Vous lui persuadez du haut
de vos tribunes qu'il doit faire le sacrifice de sa sainteté et de son invulnérabilité, qu'il
doit s'exposer aux attaques des gens qui écrivent, sans avoir pour cela de danger à
redouter. Eh bien ! vous l'abusez ; car c'en sera fait de son existence aussitôt qu'il aura
perdu son inviolabilité.
« Il est vrai qu'à vous il pourrait bien concéder la liberté d'écrire comme l'a fait
l'Angleterre : Vous êtes les dévots de l'État, vous êtes incapables d'écrire contre lui,
quoi que vous y puissiez voir d'abus à réformer et de « défectuosités à amender ».
Mais quoi ? Si des adversaires de l'État profitaient de la liberté de la parole pour se
déchaîner contre l'Église, l'État, les Moeurs, et pour assaillir le « sacro-saint »
d'implacables arguments ? Vous seriez alors les premiers à trembler et à appeler à la
vie des lois de septembre. Vous vous repentiriez, trop tard, de la sottise qui vous
aurait poussés à enjôler et à aveugler l'État ou le Gouvernement.
« Mais ma conduite à moi ne prouve que deux choses. D'abord ceci, que la liberté
de la presse est toujours inséparable de « circonstances favorables » et ne peut, par
conséquent, jamais être une liberté absolue ; en second lieu ceci, que quiconque veut
en jouir doit rechercher et au besoin créer l'occasion favorable, en faisant prévaloir
contre l'État son propre intérêt et en se mettant, soi et sa volonté, au-dessus de l'État et
de toute « puissance supérieure ».
« Ce n'est pas dans l'État, ce n'est que contre l'État que la liberté de la presse peut
être conquise. Et si cette liberté règne jamais, ce n'est pas à la suite d'une prière, mais
bien comme l'oeuvre d'une révolte qu'on l'aura obtenue. Toute demande, toute
proposition de liberté de la presse est déjà une révolte, consciente ou inconsciente ; il
n'y a que l'insuffisance philistine qui ne veuille ni ne puisse se l'avouer, tant que le
résultat ne le lui aura pas, à sa grande terreur, montré d'une façon claire et évidente.
La liberté de la presse obtenue à force de prières a d'abord un air amical et bienveillant,
il est bien loin de ses intentions de laisser jamais surgir la licence de la presse ;
mais peu à peu son coeur s'endurcit, et elle en arrive insensiblement à conclure qu'en
définitive une liberté n'est pas une liberté tant qu'elle est au service de l'État, de la
morale ou de la loi. Liberté vis-à-vis de la contrainte de la censure, elle n'est pas
liberté vis-à-vis de la contrainte de la loi.
« La presse, une fois saisie du désir de la liberté, veut devenir toujours plus libre
jusqu'à ce qu'enfin l'écrivain se dise : Puisque je ne suis tout à fait libre que quand je
n'ai aucun ménagement à garder, mes écrits ne sont libres que quand ils sont à moi,
quand ils ne peuvent m'être dictés par aucune puissance ou autorité, par aucune foi,
par aucun respect ; ce n'est pas « libre » que la presse doit être — c'est trop peu —
elle doit être à Moi ! L'individualité, la propriété de la presse, voilà ce que je veux
m'assurer.
« Une liberté de la presse n'est qu'un permis d'imprimer que me délivre l'État, et
l'État ne permettra jamais, et il ne peut jamais librement permettre, que j'emploie la
presse à l'anéantir.
« Exprimons-nous donc plutôt de la manière suivante, pour éviter ce que le terme
« liberté de la presse » a pu laisser jusqu'ici de vague dans nos paroles : La liberté de
la presse que revendiquent si haut les Libéraux est, sans aucun doute, possible dans
l'État ; elle n'est même possible que dans l'État, attendu qu'elle est une permission et
que, par conséquent, cet imprimatur doit être accordé par quelqu'un, qui, dans le cas
présent, est l'État. Mais, en tant que permission, elle est limitée par cet État lui-même,
qui naturellement n'est pas tenu de tolérer plus qu'il n'est compatible avec sa conservation
et sa prospérité. Il trace à la liberté de la presse une limite, qui est la loi de son
existence et de son extension. Un État peut être plus tolérant qu'un autre, mais il n'y a
là qu'une différence de quantité ; c'est pourtant cette différence qui tient tant à coeur
aux politiciens libéraux : en Allemagne, par exemple, ils ne demandent qu'« une
tolérance plus large, plus étendue, de la parole libre ».
« La liberté de la presse qu'on sollicite est une liberté qui doit appartenir au
Peuple, et tant que le Peuple (l'État) ne la possède pas, je ne puis en faire aucun usage.
Mais si on se place au point de vue de la propriété de la presse, les choses se présenMax
tent sous un jour différent. Bien que mon Peuple soit privé de la liberté de la presse,
je me procure par ruse ou par violence le moyen d'imprimer ; je ne demande la
permission d'imprimer qu'à — Moi et à ma force.
« Dès que la presse est à Moi, il ne me faut pas plus d'autorisation de l'État pour
en user qu'il ne m'en faut pour me moucher. Et la presse est ma propriété à partir du
moment où, pour Moi, il n'y a plus rien au-dessus de Moi, car dès lors plus d'état, plus
d'Église, plus de Peuple, plus de Société : tous ne devaient leur existence qu'à mon
mépris de moi-même, et tous s'évanouissent dès que l'infirmité de mon orgueil
disparaît ; ils ne sont qu'à la condition d'être au-dessus de moi, ils n'existent que s'ils
sont des puissances. — À moins qu'on ne puisse se figurer un État dont les sujets ne
feraient aucun cas ? Ce serait un rêve, une illusion, tout comme l' « unité de
l'Allemagne ».
« La presse est à Moi dès que je m'appartiens, dès que je suis mon propriétaire :
Le monde est à l'égoïste, parce que l'égoïste n'appartient à aucune puissance du
monde.
« Cela étant, il se peut très bien que la presse, quoique mienne, soit encore très
peu libre, comme c'est le cas en ce moment. Mais le monde est grand, et on se tire
d'affaire comme on peut. Si je consentais à renoncer à la propriété de ma presse,
j'arriverais facilement à faire imprimer partout tout ce que ma plume produit. Mais
comme je veux affirmer ma propriété, il faut bien que j'en vienne aux mains avec mes
ennemis.
— N'accepterais-tu pas leur permission si on te l’accordait ?
— Oui, certes, et avec plaisir, car leur permission me prouverait que je les ai
aveuglés et que je les mène à l'abîme. Ce n'est pas leur permission que je veux, mais
leur aveuglement et leur défaite. Si je la sollicite, cette permission, ce n'est pas parce
que j'espère, comme les politiciens libéraux, qu'eux et moi pourrions vivre en paix
côte à côte, et même nous soutenir, nous entraider réciproquement. Non. Si je la
sollicite, c'est pour m'en faire une arme contre eux, c'est pour faire disparaître ceux-là
mêmes qui me l'auront accordée.
« J'agis consciemment comme un ennemi, je prends mes avantages et je profite de
leur imprévoyance.
« La presse n'est à moi que si j'en use sans reconnaître absolument aucun juge en
dehors de moi-même, c'est-à-dire que si je ne suis plus déterminé ni par la religion, ni
par la morale, ni par le respect des lois de l'État, etc., mais par Moi seul et par mon
égoïsme ! »
Qu'avez-vous à répliquer à celui qui vous fait une réponse si insolente ? Mais
peut-être la question sera-t-elle mieux posée sous la forme suivante : À qui est la
presse ? Au Peuple (l'État) ou à Moi ? Les politiciens se proposent simplement de
soustraire la presse aux entreprises personnelles et arbitraires des gouvernants ; ils ne
réfléchissent pas que, pour être vraiment ouverte à tout le monde, elle devrait être
affranchie des lois, c'est-à-dire indépendante de la volonté du Peuple (de la volonté de
l'État).
Mais une fois devenue la propriété du Peuple, la presse est encore bien loin d'être
ma propriété ; sa liberté conserve par rapport à moi le sens de permission. C'est au
Peuple qu'il appartient de juger mes idées, c'est à lui que j'en dois compte, c'est envers
lui que j'en suis responsable. Or, les jurés aussi, quand on attaque leurs idées fixes,
ont le coeur et la tête durs, tout comme les plus farouches despotes et les esclaves
qu'ils emploient.
Edgar Bauer, dans ses Revendications libérales, soutient que la liberté de la presse
est impossible dans les États absolus ou constitutionnels, mais qu'elle a sa place tout
indiquée dans les « États libres ». Dans ceux-ci, dit-il, l'individu a le droit d'exprimer
tout ce qu'il pense, et ce droit ne lui est pas contesté parce qu'il n'est plus seulement
un individu isolé, mais bien un membre solidaire d'un tout réel et intelligent [14]. Ce
n'est donc pas l'individu mais le membre qui jouit de la liberté de la presse. Mais si,
pour jouir de la liberté de la presse, il faut que l'individu ait prouvé sa fidélité à la
communauté, qui est le Peuple, cette liberté ne lui appartient pas en vertu de sa
propre énergie : elle est une liberté du peuple, une liberté qui ne lui est accordée à lui,
individu, qu'en raison de sa fidélité et de sa qualité de sociétaire.
Au contraire, ce n'est que comme individu que chacun peut être libre d'exprimer
sa pensée. Mais il n'en a pas le « droit », et cette liberté n'est pas « son droit sacré »; il
n'en a que le pouvoir, pouvoir qui suffit d'ailleurs pour le mettre en possession. Pour
posséder la liberté de la presse, je n'ai pas besoin de concession, je n'ai pas besoin du
consentement du Peuple, je n'ai pas besoin d'en avoir le « droit » ni d'y être « autorisé
». Il en est de la liberté de la presse comme de toute autre liberté, je dois la
prendre moi-même ; le Peuple, quoique « seul juge », ne peut me la donner. Il peut
applaudir à la liberté dont je m'empare ou il peut se mettre en garde et se défendre
contre elle ; mais me la donner, me l'accorder, me l'octroyer lui est impossible. J'en
use malgré le Peuple, en ma seule qualité d'individu, c'est-à-dire que je lutte pour elle
contre le Peuple — mon ennemi ; je ne l'obtiens que si je la conquière réellement, si
je la prends. Et si je la prends, c'est qu'elle est ma propriété.
Sander, que combat Edgar Bauer, considère la liberté de la presse comme « le
droit et la liberté du citoyen dans l'État ». Bauer ne dit rien d'autre. Pour lui aussi elle
n'est que le droit du citoyen libre.
On réclame encore la liberté de la presse comme un « droit commun à tous les
hommes ». À cela il a été objecté que tous les hommes ne savent pas en faire bon
usage, attendu que tous ne sont pas vraiment hommes. À l'Homme, comme tel, jamais
un gouvernement ne l'a refusée. Seulement, l'Homme n'écrit pas, pour l'excellente
raison qu'il est un fantôme. Cette liberté, les gouvernements ne l'ont jamais refusée
qu'à des individus, pour l'accorder à d'autres individus, par exemple à leurs organes.
Donc, si on veut l'obtenir pour tout le monde, il faut précisément affirmer qu'elle
appartient à l'individu, à Moi, et non pas à l'Homme ou à l'individu en tant
qu'Homme. Dans tous les cas, ce qui n'est pas homme (l'animal, par exemple) ne peut
en faire usage. Le Gouvernement français, par exemple, ne conteste pas que la liberté
de la presse soit un droit de l'Homme. Il exige seulement de l'individu un cautionnement
établissant qu'il est vraiment Homme, car ce n'est pas à l'individu, c'est à
l'Homme qu'il accorde la liberté de la presse.
C'est justement sous le prétexte que cela n'est pas humain qu'on m'a enlevé ce qui
est à Moi ! Et on m'a laissé ce qui est à l'Homme.
La liberté de la presse ne peut produire qu'une presse responsable. Une presse
irresponsable ne peut naître que de la propriété de la presse.
Les relations des hommes entre eux sont régies, pour tous ceux qui vivent religieusement,
par une loi formelle dont on peut bien parfois, au risque de pécher,
négliger l'observation, mais dont on ne s'aviserait jamais de nier la valeur absolue.
C'est la loi de l'Amour, loi avec laquelle ceux-là mêmes qui semblent combattre son
principe et qui haïssent son nom n'ont pas encore su rompre ; car à eux aussi il reste
de l'amour, leur amour est même plus profond et plus pur : ils aiment l'Homme et
l'Humanité.
Si nous tâchons de formuler le sens de cette loi, nous dirons à peu près : Chaque
homme doit tenir quelque chose pour plus que lui-même. Tu dois oublier ton « intérêt
privé » dès qu'il s'agit du bonheur des autres, du bien de la Patrie ou de la Société, du
bien public, du bien de l'humanité, de la bonne cause, etc.! Patrie, Humanité, Société,
etc., doivent être pour toi plus que toi-même, et ton « intérêt privé » doit s'effacer
devant leur intérêt ; car il ne faut pas être un — égoïste !
L'Amour est un commandement religieux d'une grande portée ; il ne se borne pas
à l'amour de Dieu et des hommes, mais il préside à tous nos rapports. Quoi que nous
fassions, pensions et voulions, toujours l'amour doit faire le fond de nos actions, de
nos pensées et de nos désirs. Il nous est bien permis de juger, mais nous ne devons
juger qu'avec amour. On peut certainement critiquer la Bible, et même d'une manière
approfondie ; mais le critique doit, avant tout, l'aimer et voir en elle le livre saint.
N'est-ce pas comme si on disait : il ne faut pas que sa critique l'anéantisse, il doit la
laisser subsister, et subsister en tant que chose sacrée et indestructible ?
Il en est de même de notre critique des hommes : l'amour doit en rester la tonique
invariable. Il est certain que les jugements que nous dicte la haine ne sont pas nos
propres jugements, ce sont les jugements de la haine qui nous domine, des « jugements
haineux ». Mais les jugements dictés par l'amour sont-ils mieux les nôtres ? Ce
sont les jugements de l'amour qui nous domine, ce sont des jugements « charitables,
indulgents », mais ce ne sont pas nos propres jugements, ni par conséquent, réellement,
des jugements.
Celui qui brûle d'amour pour la justice s'écrie : fiat justitia, pereat mundus ! Il lui
est permis de se demander et d'examiner ce que c'est, à proprement parler, que la
justice, ce qu'elle exige et en quoi elle consiste, mais non pas si elle est quelque
chose.
Il est bien vrai que « Celui qui demeure dans l'amour, celui-là demeure en Dieu et
Dieu en lui » (ler ép. de Jean, IV, 16). Le Dieu demeure en lui, il ne peut s'en défaire et
devenir sans dieu, et lui-même demeure en Dieu, il reste confiné dans l'amour de Dieu
et ne peut devenir sans amour.
« Dieu est l'Amour ! » Tous les siècles et toutes les générations reconnaissent
dans cette parole le fondement du Christianisme. Mais ce Dieu qui est amour est un
Dieu importun : il ne peut pas laisser le monde en repos, il veut lui infuser la sainteté.
« Dieu s'est fait homme pour rendre les hommes divins [15].» Sa main se retrouve
partout, et rien n'arrive que par lui. En tout se révèlent ses « desseins excellents », ses
« vues et ses décrets impénétrables ». La raison, qui est lui-même, doit aussi se
développer et se réaliser dans le monde entier. Sa providence paternelle ne nous laisse
plus la moindre initiative ; nous ne pouvons rien faire de sensé sans que l'on dise :
c'est Dieu qui l'a fait, ni nous attirer une disgrâce sans entendre dire : Dieu l'a voulu
ainsi. Nous n'avons rien qui ne nous vienne de lui, tout nous est « donné » par lui.
Mais ce que fait Dieu, l'homme le fait aussi. Dieu veut donner au monde la béatitude,
l'homme veut lui donner le bonheur et rendre tous les hommes heureux. C'est pourquoi
tout homme voudrait éveiller chez les autres la raison qu'il croit avoir lui-même
en partage : tout doit être totalement raisonnable. Dieu combat le Diable, le philosophe
combat la déraison et l'irrationnel. Dieu ne laisse aucun être suivre la voie qui lui
est propre, et l'Homme ne veut nous permettre qu'une conduite humaine.
Mais celui qui est pénétré de l'amour sacré (religieux, moral, humain) n'a d'amour
que pour le fantôme, pour le « véritable Homme », et il persécute l'individu, l'homme
réel, aussi impitoyablement et avec la même froideur que s'il procédait juridiquement
contre un monstre. Il trouve louable et nécessaire de se montrer inexorable, car
l'amour du fantôme ou de la généralité abstraite lui ordonne de haïr tout ce qui n'est
pas fantôme, c'est-à-dire l'égoïste ou l'individuel. Tel est le sens de cette fameuse
manifestation de l'Amour qu'on nomme « Justice ».
L'accusé n'a aucun ménagement à espérer, pas une âme compatissante ne jettera
un voile sur sa triste nudité. Sans émotion, le juge austère arrache au pauvre condamné
ses derniers lambeaux d'excuse ; sans pitié, le geôlier le traîne à sa sombre prison ;
et à l'expiration de sa peine, il n'a pas à espérer de réconciliation ; quand on le
rejettera, flétri, parmi les hommes, ses bons, ses loyaux frères en Christianisme lui
cracheront au visage avec mépris. Pas de grâce non plus pour le criminel « qui a
mérité la mort ». On le conduit à l'échafaud, et la loi morale assouvit, aux acclamations
de la foule, son sublime besoin de — vengeance. Car l'un des deux seul peut
vivre, la loi morale ou le criminel : où les criminels restent impunis, la loi morale
succombe, et où celle-ci règne, ceux-là doivent tomber. Leur antagonisme est
impérissable.
L'ère chrétienne est l'ère de la miséricorde, de l'amour, du souci de rendre aux
hommes ce qui leur appartient et de les guider vers l'accomplissement de leur vocation
humaine (divine). Aussi toutes les relations humaines ont-elles pour base cette
considération : telle et telle chose constituent l'essence de l'homme, et, par conséquent,
lui tracent la destinée à laquelle il est appelé soit par Dieu, soit (selon les idées
d'aujourd'hui) par sa qualité d'Homme (sa race). De là le prosélytisme. Bien que les
Communistes et les Humanitaires attendent de l'homme plus que les Chrétiens, leur
point de vue reste le même. À l'homme doit appartenir tout ce qui est humain. S'il
suffisait aux pieux que l'homme eût en partage ce qui est de Dieu, les Humanitaires
exigent que rien ne lui soit refusé de ce qui est de l'Homme. Quant à ce qui est de
l'Égoïste, les uns et les autres le repoussent énergiquement. Cela est parfaitement
naturel, car ce qui est l'oeuvre de l'égoïsme ne peut être accordé ni concédé (en fief) :
il faut qu'on le crée soi-même. Le reste, l'amour me l'accordait ; ceci, Moi seul puis
me le donner.
Jusqu'à présent, les relations ont été fondées sur l'amour, les égards et les services
réciproques. Si l'on se devait à soi-même de se sanctifier, c'est-à-dire d'introniser en
soi l'être suprême et d'en faire une vérité [16] et une réalité, on devait aussi aux autres de
les aider à réaliser leur essence et leur destinée ; dans les deux cas, on devait à
l'essence de l'homme de contribuer à sa réalisation.
Seulement, on ne se doit pas à soi-même de faire quelque chose de soi, ni aux
autres de faire d'eux quelque chose : on ne doit rien ni à son essence ni à celle des
autres. Toutes relations qui reposent sur une essence sont des relations avec un fantôme
et non avec une réalité. Mes rapports avec l'être suprême ne sont pas des
rapports avec Moi, et mes rapports avec l'essence de l'Homme ne sont pas des rapports
avec les hommes.
De l'amour, tel qu'il est naturel à l'homme de le ressentir, la civilisation a fait un
commandement. Mais en tant que commandé, l'amour appartient à l'Homme comme
tel, et non à moi ; il est mon essence, cette essence que l'on tient pour si « essentielle
», et n'est pas ma propriété. C'est l'Homme, c'est-à-dire l'humanité, qui me l'impose: l'amour est obligatoire, aimer est mon devoir. Ainsi, au lieu d'avoir sa source
réellement en Moi, il l'a dans l'Homme en général, dont il est la propriété, l'attribut
particulier : « Il sied à l'Homme, c'est-à-dire à chaque homme, d'aimer ; aimer est le
devoir et la vocation de l'homme, etc. »
Il faut, par conséquent, que je revendique l'amour pour Moi, et que je le soustraie
à la puissance de l'Homme.
On en est arrivé à me concéder comme un fief dont la propriété appartient à
l'Homme ce qui était primitivement à moi, mais sans raison logique, instinctivement.
En aimant, je suis devenu un vassal, je suis devenu l'homme lige de l'humanité, un
simple représentant de cette espèce ; lorsque j'agis non pas comme Moi, mais comme
Homme, j'agis comme un exemplaire de l'espèce humaine, c'est-à-dire humainement.
Notre état de civilisation tout entier est un système féodal, où la propriété appartient à
l'Homme ou à l'humanité et où rien n'appartient au Moi. En dépouillant l'individu de
tout pour attribuer tout à l'Homme, on a fondé une énorme féodalité.
L'individu n'apparaît plus en fin de compte que comme « foncièrement mauvais ».
Faut-il peut-être ne prendre aucun intérêt actif à la personne d'autrui ? Dois-je
n'avoir à coeur ni sa joie ni son intérêt, ne puis-je préférer la jouissance que je lui
procure à telle ou telle de mes jouissances personnelles ? Loin de là : je puis lui
sacrifier avec joie d'innombrables jouissances, je puis m'imposer des privations sans
nombre pour augmenter son plaisir, et je puis, pour lui, mettre en péril ce qui, sans
lui, me serait le plus cher, ma vie, ma prospérité, ma liberté. En effet, c'est pour moi
un plaisir et un bonheur que le spectacle de son bonheur et de son plaisir. Mais je ne
me sacrifie pas à lui, je reste égoïste et je — jouis de lui. En lui sacrifiant tout ce que,
n'était mon amour pour lui, je me réserverais, je fais une chose très simple et même
plus commune dans la vie qu'il ne paraît, qui prouve uniquement qu'une certaine
passion est plus forte chez moi que toutes les autres. Le Christianisme aussi enseigne
à sacrifier toutes les autres passions à celle-là. Mais sacrifier des passions à une autre,
ce n'est pas me sacrifier moi-même ; je ne sacrifie rien de ce par quoi je suis vraiment
moi, je ne sacrifie pas ce qui fait à proprement parler ma valeur, mon individualité. Il
se pourrait que cette fâcheuse éventualité se produisît : c'est qu'il en est de l'amour
comme de toute autre passion, du moment que j'y obéis aveuglément ; si l'ambitieux
que sa passion entraîne reste sourd aux avertissements qu'un instant de sang-froid
éveillerait en lui, c'est qu'il a laissé cette passion prendre les proportions d'une tyrannie
à laquelle il a perdu le pouvoir de se soustraire. Il a abdiqué devant elle, parce
qu'il ne sait plus se détacher d'elle et par conséquent s'en affranchir. Il est possédé.
Moi aussi, j'aime les hommes, non seulement quelques-uns, mais chacun d'eux.
Mais je les aime avec la conscience de mon égoïsme : je les aime parce que l'amour
me rend heureux, j'aime parce qu'il m'est naturel et agréable d'aimer. Je ne connais
pas d'obligation d'aimer. J'ai de la sympathie pour tout être sentant, ce qui l'afflige
m'afflige et ce qui le soulage me soulage : je pourrais le tuer, je ne saurais le martyriser.
Au contraire, le noble et vertueux philistin qu'est le prince Rodolphe des Mystères
de Paris s'ingénie à martyriser les méchants parce qu'ils l' « exaspèrent » [17]. Ma
sympathie prouve simplement que le sentiment de ceux qui sentent est aussi le mien,
qu'il est ma propriété — tandis que le procédé impitoyable de l' « homme de bien »
(la façon par exemple dont il traite le notaire Ferrand) rappelle l'insensibilité de ce
brigand qui, selon la mesure de son lit, coupait ou étendait de force les jambes de ses
prisonniers. Le lit de Rodolphe, à la mesure duquel il taille les hommes, c'est la
notion du « Bien ». Le sentiment du droit, de la vertu, etc., rend dur et intolérant.
Rodolphe ne sent pas comme le notaire ; il sent, au contraire, que « le scélérat a ce
qu'il a mérité ». Ce n'est pas là de la sympathie.
Vous aimez l'Homme, et ce vous est une raison pour torturer l'individu, l'égoïste ;
votre amour de l'Homme fait de vous les bourreaux des hommes.
Quand je vois souffrir celui que j'aime, je souffre avec lui, et je n'ai pas de repos
que je n'aie tout tenté pour le consoler et l'égayer. Quand je le vois joyeux, sa joie me
rend joyeux. Il ne suit pas de là que ce soit le même objet qui produit sa peine ou sa
joie et qui éveille en moi les mêmes sentiments ; cela est surtout évident quand il
s'agit de la douleur corporelle, que je ne ressens pas comme lui : c'est sa dent qui lui
fait mal, et ce qui me fait mal à moi, c'est sa souffrance.
Et c'est parce que je ne puis supporter ce pli douloureux sur le front aimé, c'est par
conséquent dans mon intérêt, que je l'efface par un baiser. Si je ne t'aimais pas, tu
pourrais froncer les sourcils tant que tu voudrais sans m'émouvoir ; je ne veux
dissiper que mon chagrin.
Y a-t-il maintenant quelqu'un ou quelque chose que je n'aime pas et qui a le droit
d'être aimé par moi ? Qui passe le premier, mon amour ou son droit ? Les parents, les
amis, le peuple, la patrie, la ville natale, etc., enfin, en général, mes semblables « mes
frères », prétendent avoir droit à mon amour et le réclament impérieusement. Ils le
considèrent comme leur propriété, et moi, si je ne respecte pas cette propriété, ils me
considèrent comme un voleur qui leur enlève ce qui leur appartient.
Je dois donc aimer. Mais si l'amour est un commandement et une loi, il faut qu'on
m'y forme et qu'on m'y dresse, et qu'on me punisse si je viens à l'enfreindre. On
exercera donc sur moi, pour m'amener à aimer, la plus énergique « influence morale »
possible. Et il est hors de doute que l'on peut exciter et induire les hommes à l'amour
aussi bien qu'aux autres passions, à la haine, par exemple. La haine se transmet de
génération en génération, on peut se haïr uniquement parce que les ancêtres des uns
étaient Guelfes et ceux des autres Gibelins.
Mais l'amour n'est pas un commandement. Comme tous mes autres sentiments, il
est ma propriété. Méritez, c'est-à-dire achetez ma propriété, et je vous la céderai. Je
n'ai pas à aimer une religion, un peuple, une patrie, une famille, etc., qui ne savent pas
mériter mon amour ; je vends ma tendresse au prix qu'il me plaît de fixer.
L'amour intéressé est bien différent de l'amour désintéressé, mystique ou romantique.
On peut aimer une foule de choses, on peut aimer non seulement l'homme, mais
en général tout « objet » quel qu'il soit (le vin, la patrie, etc.). L'amour devient
aveugle et furieux lorsque, devenant nécessité, il échappe à ma puissance (aimer à la
folie); — il devient romantique lorsqu'il s'y joint une idée de devoir, c'est-à-dire
quand l'objet de l'amour me devient sacré et quand je me sens lié à lui par le devoir, la
conscience, le serment. Dans les deux cas, l'objet ne m'appartient plus, c'est moi qui
lui appartiens.
Si l'amour est une possession, ce n'est pas en tant qu'il est mon sentiment (en cette
qualité, au contraire, j'en reste maître comme de ma propriété), mais bien parce que
son objet m'est étranger. L'amour religieux, en effet, repose sur le commandement
d'aimer dans l'objet aimé une chose « sacrée »: car il existe pour l'amour désintéressé
des objets dignes d'amour d'une manière absolue, des objets pour lesquels mon coeur a
le devoir de battre : tels sont, par exemple, les autres hommes, ou encore un époux,
les parents, etc. L'amour sacré s'attache à ce qu'il y a de sacré dans l'objet aimé, aussi
s'efforce-t-il de faire que ce qu'il aime approche autant que possible de la sainteté et
devienne, par exemple, un « Homme ».
Ce que j'aime, il est de mon devoir de l'aimer ; ce n'est pas par suite ou en raison
de mon amour qu'il devient le but de ce dernier : il est de lui-même et par lui-même
digne d'amour. Ce n'est pas Moi qui fais de lui un objet d'amour, il l'est par essence
(qu'il puisse, dans une certaine mesure, l'être devenu par mon choix, s'il s'agit par
exemple d'un époux, d'une fiancée, cela ne fait rien à l'affaire, attendu que, même
dans ce cas, ma prédilection lui confère un « droit à mon amour » et que, l'ayant aimé,
je suis tenu de l'aimer éternellement). Il n'est donc pas l'objet de mon amour, mais de
l'amour en général : c'est un objet qui doit être aimé. L'amour lui revient, il lui est dû,
il est son droit, et Moi, je suis obligé de l'aimer. Mon amour, c'est-à-dire l'amour dont
je m'acquitte envers lui, est en réalité un amour qui lui appartient, un tribut que je lui
paie.
Tout amour auquel adhère la moindre tache d'obligation est un amour désintéressé,
et aussi loin que s'étende cette tache, l'amour devient servitude. Quiconque croit
devoir quelque chose à l'objet de son amour aime d'une façon romantique ou reliMax
Stirner (1845), L’unique et sa propriété 235
gieuse. L'amour de la famille, par exemple, tel qu'on le conçoit communément sous le
nom de « piété », est un amour religieux ; de même, l'amour de la patrie qu'on prêche
sous le nom de « patriotisme ». Tout ce que nous avons d'amour romantique se meut
dans le même cercle : c'est partout et toujours le mensonge, ou plutôt l'illusion, d'un
« amour désintéressé »; c'est un intérêt que nous portons à l'objet pour l'amour de cet
objet et non pour l'amour de nous et de nous seuls.
L'amour religieux ou romantique se distingue, il est vrai, de l'amour physique par
une différence dans l'objet, mais pas par une différence dans nos rapports avec lui. À
ce dernier point de vue, l'un comme l'autre est possession, servitude. Quant à l'objet,
dans un cas il est profane, dans l'autre sacré. Il exerce sur moi, dans les deux cas, la
même domination, seulement dans l'un il est sensible et dans l'autre spirituel (imaginaire).
Mon amour n'est ma propriété que s'il consiste uniquement en un intérêt personnel
et égoïste, si, par conséquent, l'objet de mon amour est réellement mon objet
ou ma propriété. Or, je ne dois rien à ma propriété, et je n'ai pas de devoirs envers
elle, pas plus que je n'ai, par exemple, de devoirs envers mon oeil. Si j'en prends le
plus grand soin, c'est pour Moi que je le fais.
L'amour n'a pas plus manqué à l'Antiquité qu'aux siècles de Christianisme; le dieu
de l'amour est né longtemps avant le Dieu d'amour. Mais il était réservé aux Modernes
de connaître l'esclavage du mysticisme.
Si l'amour est servitude, c'est que son objet m'est étranger, et que je suis impuissant
contre son éloignement et sa supériorité. Pour l'égoïste, rien n'est assez haut
pour qu'il croie devoir s'humilier, rien n'est assez indépendant pour qu'il en fasse le
principe de sa vie, rien n'est assez sacré pour qu'il s'y sacrifie. L'amour de l'égoïste
prend sa source dans l'intérêt personnel, coule dans le lit de l'intérêt personnel et a son
embouchure dans l'intérêt personnel.
Est-ce encore là de l'amour ? demandera-t-on. Choisissez un autre nom si vous en
savez un meilleur, et que le doux nom d'amour s'éteigne avec un monde qui n'est
plus ! Pour ma part, je n'en trouve pas d'autre pour le moment dans notre langue
chrétienne, et je m'en tiens au vieux mot : « j'aime » l'objet qui est mien, j'aime ma —
propriété.
Je ne consens à me livrer à l'amour que pour autant qu'il ne soit qu'un de mes
sentiments ; mais s'il faut qu'il soit une force supérieure à moi, une puissance divine
(Feuerbach), une passion à laquelle j'ai le devoir de ne pas me soustraire, une obligation
morale et religieuse, je le — méprise. Sentiment, il est à Moi ; principe auquel
je dois vouer et « consacrer » mon âme, il est souverain et divin, comme la haine est
diabolique : l'un ne vaut pas mieux que l'autre. En un mot, l'amour égoïste, c'est-àdire
mon amour, n'est ni sacré, ni profane, ni divin, ni diabolique.
« Un amour que limite la foi est un amour faux. La seule limitation qui ne soit pas
contradictoire avec l'essence de l'amour est celle que l'amour s'impose à lui-même par
la raison, l'intelligence. L'amour qui repousse la rigueur et la loi de l'intelligence est
théoriquement un amour faux, pratiquement un amour funeste [18]. » C'est ce que dit
Feuerbach ; les croyants disent au contraire : L'amour est essentiellement du domaine
de la foi. Celui-là s'élève avec véhémence contre l'amour sans raison, ceux-ci contre
l'amour sans foi. Pour Feuerbach comme pour le dévot, l'amour est tout au plus un
splendidum vitium. Ne sont-ils pas tous deux obligés de laisser subsister l'amour,
même entaché de déraison ou d'impiété ? Ils n'osent pas dire : l'amour déraisonnable
ou impie est une absurdité, n'est pas de l'amour, pas plus qu'ils n'oseraient dire : des
larmes déraisonnables ou impies ne sont pas des larmes.
L'amour, même en dehors de la raison ou de la foi, doit bien être considéré comme
de l'amour, encore qu'on doive le regarder alors comme indigne de l'homme ; tout
ce qu'on peut conclure, c'est que l'essentiel n'est pas l'amour, mais la raison ou la foi,
et que celui qui est sans raison ou sans foi peut bien aimer, mais qu'un amour n'a de
valeur que s'il est celui d'un homme raisonnable ou d'un croyant. Feuerbach est
victime d'une illusion lorsqu'il dit que l'amour emprunte à la raison « sa propre
limitation »; le croyant aurait au même titre le droit de dire que cette « limitation
propre » est le fait de la foi. L'amour déraisonnable n'est ni « faux » ni « funeste »;
c'est comme amour tout court qu'il remplit son rôle.
Il faut qu'envers le monde, et particulièrement envers les hommes, j'adopte un
sentiment déterminé, et que ce sentiment, qui dans le cas présent est l'amour, je le leur
témoigne de prime abord, avant toute expérience. Je reconnais qu'en agissant ainsi je
fais preuve de plus d'arbitraire et d'autonomie que si je laisse le monde m'assaillir des
sentiments les plus divers et si je me laisse envelopper par le réseau inextricable des
impressions que le hasard m'apporte. En effet, j'aborde les hommes et les choses avec
un sentiment fait d'avance, avec, pour ainsi dire, un parti pris et une opinion préconçue.
Je me suis au préalable tracé ma conduite envers eux, et, quoi qu'ils fassent,
je ne sentirai et ne penserai à leur égard que comme j'ai, une fois pour toutes, résolu
de le faire. Le principe de l'amour m'assure contre la domination du monde ; car, quoi
qu'il arrive, j'aime. Ce qui est laid, par exemple, peut m'inspirer de la répulsion, mais
comme j'ai résolu d'aimer, je surmonte cette impression désagréable comme je
surmonte toute autre antipathie.
Mais le sentiment auquel je me suis a priori déterminé et — condamné est, en
réalité, un sentiment borné, parce qu'il résulte d'une prédestination dont il ne m'est
pas possible de m'affranchir. Étant préconçu, il est un préjugé. Ce n'est plus Moi qui
m'exprime dans mes rapports avec le monde, mais c'est mon amour qui s'exprime. De
sorte que si le monde ne me domine pas, je suis en revanche d'autant plus fatalement
dominé par l'esprit d'amour. J'ai vaincu le monde, pour devenir l'esclave de cet esprit.
Si j'ai dit d'abord : J'aime le monde, je puis tout aussi bien ajouter à présent : Je ne
l'aime pas, car je l'anéantis comme je m'anéantis ; j'en use et je l'use. Je ne m'astreins
pas à n'éprouver pour les hommes qu'un seul et invariable sentiment, je donne libre
carrière à tous ceux dont je suis capable. Pourquoi ne le déclarerais-je pas crûment ?
Oui, j'exploite le monde et les hommes ! Je puis ainsi rester ouvert à toutes espèces
d'impressions, sans qu'aucune d'elles m'arrache à moi-même. Je puis aimer, aimer de
toute mon âme, et laisser brûler dans mon coeur le feu dévorant de la passion, sans
cependant prendre l'être aimé pour autre chose que pour l'aliment de ma passion, un
aliment qui l'aiguise sans la rassasier jamais. Tous les soins dont je l'entoure ne
s'adressent qu'à l'objet de mon amour, qu'à celui dont mon amour a besoin, au « bienaimé
». Combien il me serait indifférent, — n'était mon amour ! C'est mon amour que
je repais de lui, il ne me sert qu'à cela, je jouis de lui.
Choisissons un autre exemple, tout actuel, celui-ci : Je vois les hommes plongés
dans les ténèbres de la superstition, harcelés par un essaim de fantômes. Si je cherche,
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 237
dans la mesure de mes forces, à projeter la lumière du jour sur ces apparitions de la
nuit, croyez-vous que j'obéisse à mon amour pour vous ? J'écris peut-être par amour
pour les hommes ? Eh ! non, j'écris parce que je veux faire à des idées qui sont mes
idées une place dans le monde ; si je prévoyais que ces idées dussent vous ravir la
paix et le repos, si dans ces idées que je sème je voyais les germes de guerres sanglantes
et une cause de ruine pour maintes générations, je ne les répandrais pas moins.
Faites-en ce que vous voudrez, faites-en ce que vous pourrez, c'est votre affaire, et je
ne m'en inquiète pas. Peut-être ne vous apporteront-elles que le chagrin, les combats,
la mort, et ne seront-elles que pour bien peu d'entre vous une source de joie. Si j'avais
à coeur votre bien-être, j'imiterais l'Église qui interdit aux laïques la lecture de la
Bible, ou les gouvernements chrétiens qui se font un devoir sacré de défendre
l'homme du peuple contre les « mauvais livres ».
Non seulement ce n'est pas pour l'amour de vous que j'exprime ce que je pense,
mais ce n'est pas même pour l'amour de la vérité. Non :
« Je chante comme chante l'oiseau
Qui habite dans le feuillage.
Le chant même que produit ma voix
Est mon salaire, et un salaire royal [19]»
Je chante ? Je chante parce que je suis un chanteur ! Si pour cela je me sers de
vous, c'est que j'ai besoin — d'oreilles.
Quand le monde se trouve sur mon chemin (et il s'y trouve toujours), je le consomme
pour apaiser la faim de mon égoïsme : tu n'es pour moi qu'une — nourriture ;
de même, toi aussi tu me consommes et tu me fais servir à ton usage. Il n'y a entre
nous qu'un rapport, celui de l'utilité, du profit, de l'intérêt. Nous ne nous devons rien
l'un à l'autre, car ce que je puis paraître te devoir, c'est tout au plus à moi que je le
dois. Si, pour te faire sourire, je t'aborde avec une mine joyeuse, c'est que j'ai intérêt à
ton sourire et que mon visage est au service de mon désir. À mille autres personnes
que je ne désire pas faire sourire, je ne sourirai pas.
Cet amour, qui se fonde sur l' « essence de l'Homme » et qui, dans la période
chrétienne et morale, pèse sur nous comme un « commandement », on doit y être
dressé. C'est à l'influence morale, le principal facteur de notre éducation, à y pourvoir.
Comment s'y prend-on pour régler les relations entre les hommes ? C'est ce que nous
allons, du moins pour un cas particulier, étudier ici avec les yeux de l'égoïsme.
Ceux qui nous élèvent apportent un soin tout particulier à nous déshabituer de
bonne heure du mensonge et à nous inculquer ce principe qu'il faut toujours dire la
vérité. Si on fondait cette règle sur l'égoïsme, tout le monde s'en pénètrerait facilement; on comprendrait sans peine que le menteur perd de gaieté de coeur la confiance
qu'il désire inspirer aux autres, et on sentirait combien il est juste de dire que le
menteur n'est pas cru, même quand il dit vrai. Mais chacun sentirait en même temps
qu'il ne doit la vérité qu'à celui que lui-même autorise à entendre cette vérité. Supposez
qu'un espion rôde dans le camp ennemi sous un vêtement emprunté et qu'on lui
demande qui il est. Ceux qui posent la question sont évidemment en droit de le faire,
mais l'homme déguisé ne leur donne pas le droit d'apprendre de lui la vérité ; aussi
leur dira-t-il tout ce qu'il lui plaira d'inventer mais non ce qui est vrai. Et pourtant la
loi morale dit : « Tu ne mentiras pas. » La morale donne donc à ceux qui m'interrogent
le droit d'attendre de moi la vérité, mais Moi je ne le leur donne pas ; je ne
reconnais d'autre droit que celui que j'accorde moi-même.
Autre exemple : La police pénètre dans une assemblée révolutionnaire et demande
son nom à l'orateur. Tout le monde sait que la police a le droit de le faire ; seulement,
ce droit elle ne le tient pas du révolutionnaire, qui est son ennemi : il lui donne un
faux nom et il lui — ment. Mais la police n'est pas assez naïve pour se fier à la
véracité de ses ennemis ; au contraire, elle ne croit rien sans preuve et tâche, autant
que possible, d' « établir l'identité » de l'individu qu'elle a interrogé. L'État lui-même
agit toujours avec défiance envers les individus, parce qu'il reconnaît dans leur
égoïsme son ennemi naturel ; il lui faut toujours « la preuve », et celui qui ne peut pas
fournir cette preuve devient l'objet de recherches inquisitoriales, d'une enquête. L'État
ne croit pas l'individu et n'a pas confiance en lui ; il vit avec lui sur le pied de la
« défiance mutuelle » : il ne se fie à moi que quand il s'est convaincu de la véracité de
mes assertions, et pour cela il n'a souvent d'autre moyen que le serment. Ce moyen
prouve que l'État ne se fie pas à notre amour de la vérité, à notre sincérité, mais
seulement à notre intérêt, à notre égoïsme. Il compte que nous ne voudrons pas nous
brouiller avec Dieu par un parjure.
Imaginez-vous à présent un révolutionnaire français de 1788 qui, entre amis, ait
laissé échapper la phrase devenue célèbre : « Le monde n'aura pas la paix avant qu'on
ait étranglé le dernier des rois avec les boyaux du dernier des prêtres ! » À cette
époque, le roi possède encore toute sa puissance. Le hasard a ébruité le propos. mais
on ne saurait pourtant citer aucun témoin. On veut obtenir que l'accusé avoue. Doit-il
ou ne doit-il pas avouer ? S'il nie, il ment et — reste impuni ; s'il avoue, il est sincère
et — on lui coupe la tête. Il met la vérité au-dessus de tout ? Soit, qu'il meure ! Il
faudrait n'être qu'un poète bien misérable pour ramasser cette mort comme un sujet de
tragédie : car quel intérêt y a-t-il à voir comment un homme meurt par lâcheté ? Si
notre homme avait le courage de ne pas être esclave de la vérité et de la sincérité,
voici à peu près ce qu'il dirait : « Quel besoin les juges ont-ils de savoir ce que j'ai dit
à mes amis ? Si j'avais eu l'intention de leur en faire part, je le leur aurais dit comme
je l'ai dit à mes amis ; mais il ne me plaît pas qu'ils le sachent. Ils prétendent s'imposer
à ma confiance sans que je la leur aie accordée, sans que j'aie voulu faire d'eux
mes confidents ; ils veulent connaître ce que moi je veux cacher. Approchez donc,
vous qui croyez que votre volonté brisera la mienne, approchez, juges et bourreaux, et
montrez votre savoir-faire. Vous pouvez me mettre à la torture, vous pouvez me
menacer de l'enfer et de la damnation éternelle, vous me briserez peut-être au point de
me faire prêter un faux serment, mais vous ne m'arracherez pas la vérité, car je veux
vous tromper, car je ne vous ai donné aucune autorité, aucun droit sur ma sincérité. Et
malgré les menaces du Dieu « qui est la vérité même », malgré l'amertume du
mensonge, j'ai le courage de mentir. Lors même que je serais dégoûté de la vie et que
rien ne me paraîtrait plus désirable que la hache du bourreau, vous n'auriez pas la joie
de trouver en moi un esclave de la vérité, de me faire trahir ma volonté par vos ruses
d'inquisiteurs. Si en prononçant les paroles dont on m'accuse je me suis rendu
coupable de haute trahison, je ne m'adressais pas à vous et vous deviez les ignorer ;
ma volonté est immuable et l'horreur du mensonge ne m'effrayera pas. »
Si Sigismond est un triste sire, ce n'est pas parce qu'il a violé sa parole de prince ;
mais s'il a enfreint sa parole, c'est parce qu'il était un coquin. Il aurait pu tenir parole
et n'en aurait pas moins été un plat coquin, un valet de la prêtraille. Luther, poussé par
une force supérieure, a été infidèle à ses voeux monastiques : il le fut pour l'amour de
Dieu. Tous deux ont violé leur serment parce qu'ils étaient asservis : Sigismond, parce
qu'il voulait se montrer le disciple fidèle de la vérité divine, c'est-à-dire de la vraie foi,
de la foi catholique ; Luther, pour rendre témoignage fidèlement, de tout son coeur et
de toute son âme, en faveur de l'Évangile ; tous deux furent parjures, pour ne pas
mentir à la « vérité supérieure ». Le premier fut absous par les prêtres, le second le fut
par lui-même. À quoi pensaient-ils tous deux, sinon à ce qu'exprime cette parole de
l'apôtre : « Ce n'est pas aux hommes, mais à Dieu que tu as menti »? Ils mentaient aux
hommes, ils violaient leur serment aux yeux du monde, pour ne pas mentir à Dieu et
pour le servir. Ils nous montrent ainsi comment on doit en user avec la vérité à l'égard
des hommes.
En l'honneur de Dieu et pour l'amour de Dieu, un parjure, un mensonge, une
parole princière violée !
Et si, changeant deux mots à la phrase, nous écrivions : un parjure et un mensonge
— pour l'amour de moi ? Ne serait-ce pas nous faire l'avocat de toutes espèces de
bassesses et d'infamies ? Peut-être, mais que fait-on d'autre en disant « pour l'amour
de Dieu » ? L'amour de Dieu ? Quelles infamies n'a-t-on pas commises pour l'amour
de Dieu ? Quels échafauds n'a-t-on pas inondés de sang pour l'amour de Dieu ? Quels
autodafés n'a-t-on pas allumés pour l'amour de Dieu ? L'amour de Dieu ? Et pour qui
donc l'intelligence humaine a-t-elle été abrutie ? Pour qui, aujourd'hui encore,
l'éducation religieuse enchaîne-t-elle l'esprit dès la plus tendre enfance ? N'a-t-on pas,
« pour l'amour de Dieu », rompu des voeux sacrés ? Et, tous les jours, des missionnaires
et des prêtres ne parcourent-ils pas le monde pour amener des juifs, des païens,
des protestants, des catholiques, etc., à trahir la foi de leurs pères — toujours pour
l'amour de Dieu ? Y aurait-il un grand mal à ce que tout cela se fît pour l'amour de
moi ? Que signifie donc pour l'amour de moi ? Tout d'abord cela donne l'idée d'une
« spéculation ignoble ». Celui qui spécule en vue d'un « gain sordide » le fait en effet
pour l'amour de soi (puisqu'il n'est en somme rien que l'on ne fasse pour l'amour de
soi, par exemple, tout ce que l'on fait « à la plus grande gloire de Dieu »); mais ce soimême
pour lequel il recherche le gain est l'esclave du gain, il ne s'élève pas au-dessus
du gain, il appartient au gain, au sac d'argent, et ne s'appartient pas, il n'est pas son
maître. Un homme que gouverne la passion de l'avarice ne doit-il pas obéir aux ordres
de cette maîtresse ? Si, une fois en passant, il se laisse aller à une généreuse faiblesse,
cela ne paraîtra-t-il pas tout simplement une exception, juste comme lorsque de
fidèles croyants à qui vient à manquer la conduite de leur maître tombent dans les
embûches du « diable »? Donc un avare n'est pas son possesseur ; il est esclave, et il
ne peut rien faire pour l'amour de soi sans le faire en même temps pour l'amour de son
maître, tout comme celui qui craint Dieu.
Le parjure de François ler envers l'empereur Charles-Quint est célèbre. Ce n'est pas
quelque temps après, en réfléchissant mûrement à la promesse faite, c'est immédiatement,
au moment même où il prêtait serment, que François la rétracta tacitement par
une restriction mentale à laquelle avaient d'avance souscrit ses conseillers. Le parjure
fut prémédité. François était tout disposé à acheter sa liberté, mais le prix qu'en
exigeait Charles lui paraissait trop élevé et déraisonnable. J'admets que Charles fut
dupe de son avarice, en cherchant à soutirer de son prisonnier la plus grosse somme
possible, mais il n'en fut pas moins misérable de la part du roi de vouloir racheter sa
liberté au prix d'une rançon plus faible qu'il n'était convenu ; la suite de son histoire,
où s'étale un second parjure, démontre d'ailleurs à suffisance qu'il était possédé d'un
esprit de trafic qui faisait de lui un bas filou.
Que répondre à ceux qui lui reprochent ce faux serment ? D'abord sans doute nous
répéterons que s'il se déshonora ce ne fut pas tant par son parjure que par son avarice ;
que ce n'est pas son parjure qui le rendit méprisable, mais que c'est parce qu'il était un
méprisable personnage qu'il s'en rendit coupable.
Toutefois, considéré en lui-même, le parjure de François doit être autrement jugé.
Pourrait-on dire que François ne répondit pas à la confiance que Charles lui
témoignait en lui rendant la liberté ? Si Charles avait eu réellement confiance en lui, il
lui aurait dit le prix que lui semblait valoir sa mise en liberté, puis il lui eût ouvert la
porte de sa prison et eût attendu que François lui envoyât la rançon convenue. Mais
cette confiance, Charles ne l'éprouvait pas ; il ne se fiait qu'à la faiblesse et à la
crédulité de François, lesquelles, croyait-il, ne lui permettraient pas de manquer à son
serment. François ne trompa que — ce calcul trop crédule. C'est précisément en
croyant trouver une garantie dans le serment de son ennemi que Charles l'affranchit
de toute obligation. Il avait supposé chez le roi de France de la sottise, de l'étroitesse
de conscience, et il mettait sa confiance non pas en François, mais dans la sottise,
c'est-à-dire la scrupulosité de François. Il ne lui ouvrait les grilles de sa prison de
Madrid que pour refermer sur lui les grilles plus sûres de la conscience, cette prison
où la religion enferme l'esprit humain. Il le renvoyait en France, garrotté de liens
invisibles ; quoi d'étonnant à ce que François ait cherché à s'échapper et à rompre ses
liens ? Personne n'eût trouvé mauvais qu'il s'évadât de Madrid, puisqu'il était au
pouvoir d'un ennemi ; mais tout bon chrétien lui jette la pierre pour avoir voulu se
délivrer des liens de Dieu. (Le pape ne le délia que plus tard de son serment.)
Il est honteux de tromper une confiance que nous avons librement cherché à gagner; mais quand un homme veut nous tenir en son pouvoir par un serment, le rendre
victime de l'insuccès de sa ruse et de sa défiance n'est pas une honte pour l'égoïsme.
Tu as voulu me lier ? Apprends donc que je puis rompre tes liens.
Est-ce Moi qui ai donné à celui qui a confiance le droit de se fier à moi ? Toute la
question est là. Qu'un homme qui poursuit mon ami me demande dans quelle
direction il s'est enfui, je le mettrai certainement sur une fausse piste. Pourquoi vientil
s'adresser justement à moi, à l'ami de celui qu'il poursuit ? Plutôt que d'être un faux
ami, plutôt que de trahir l'ami et l'amitié, je mentirai à l'ennemi. Je pourrais, il est
vrai, répondre avec une courageuse droiture que je ne veux pas parler (c'est ainsi que
Fichte résout la question). De cette manière, mon amour de la vérité sera sauf, mais
j'aurai fait, pour mon ami, tout juste — rien ; car si je ne dépiste pas l'ennemi, le
hasard peut le mettre sur la bonne voie, et mon amour de la vérité aura livré mon ami,
en m'ôtant — le courage du mensonge. Celui pour qui la vérité est une idole, une
chose sacrée, doit s'humilier devant elle, il ne peut pas braver ses exigences et y résister
vaillamment, bref, il doit renoncer à l'héroïsme du mensonge. Car le mensonge ne
demande pas moins de courage que la vérité, et un courage dont sont dépourvus la
plupart des jeunes gens : ils aiment mieux confesser la vérité et monter pour elle sur
l'échafaud que conserver, en ayant le courage de mentir, l'espoir de ruiner la puissance
de l'ennemi. Pour eux la vérité est « sacrée », et ce qui est sacré exige toujours
un culte aveugle fait de soumission et de sacrifice.
Si vous manquez d'audace, si vous ne vous moquez pas du sacro-saint, il vous
domestique et vous asservit. Qu'on amorce le piège d'un grain de vérité, vous vous y
élancerez certainement tête baissée — et voilà un fou attrapé. Vous ne voulez pas
mentir ? Eh bien ! faites-vous égorger sur l'autel de la vérité et soyez — martyr !
Martyr au profit de qui ? De vous-même, de votre individualité ? Non, de votre idole
— de la vérité. Vous ne connaissez que deux espèces de services, que deux espèces
de serviteurs : les serviteurs de la vérité et les serviteurs du mensonge. Servez donc la
vérité, et que Dieu vous bénisse !
Il y a d'autres serviteurs de la vérité, qui la servent « avec mesure », et qui font,
par exemple, une distinction entre le mensonge simple et le mensonge sous serment.
Et pourtant tout le chapitre du serment se confond avec celui du mensonge, car un
serment n'est qu'une énonciation fortement affirmée. Vous vous croyez en droit de
mentir parce que vous n'ajoutez pas un serment ? Ceux qui y regardent de près
doivent condamner et damner le mensonge aussi sévèrement que le faux serment. Il
s'est conservé dans la morale un vieux sujet de controverse que l'on a l'habitude de
traiter sous le titre de « mensonge officieux ». Quiconque admet le mensonge officieux
est obligé, pour être conséquent, d'admettre le « serment officieux ». Si mon
mensonge se trouve justifié parce qu'il est un mensonge de nécessité, pourquoi seraisje
assez pusillanime pour priver ce mensonge justifié de l'appui de la plus forte
affirmation ? Quoi que je fasse, pourquoi ne le ferais-je pas tout à fait et sans restriction
(reservatio mentalis) ? Et si je me mets à mentir, pourquoi ne pas le faire
complètement, en toute connaissance de cause et de toutes mes forces ? Espion, je
serais obligé de confirmer par serment toutes les fausses déclarations que je ferais à
l'ennemi. Résolu à lui mentir, devrais-je tout à coup sentir ma résolution et mon
courage faiblir si l'on m'acculait au serment ? C'est qu'alors j'aurais été d'avance
corrompu et rendu incapable de faire un menteur ou un espion, puisque je fournirais
de mon plein gré à l'ennemi le moyen de me démasquer.
L'État lui-même craint le mensonge et le serment « officieux »; aussi n'admet-il
pas l'accusé au serment. Mais vous ne justifiez pas la crainte de l'État : Vous mentez,
mais vous ne prêtez pas de faux serment. Si vous avez, par exemple, rendu à
quelqu'un un service qu'il doit ignorer, qu'il vienne à s'en douter et qu'il vous pose la
question en face, vous nierez ; s'il insiste, vous direz : « Non, bien certainement,
non! » S'il fallait en venir au serment, vous reculeriez, car la crainte du sacré vous
arrête toujours à moitié chemin. Contre le sacré, vous êtes sans volonté propre. Vous
mentez avec mesure, comme vous êtes libre « avec mesure », religieux « avec
mesure » (voir la fade controverse actuelle de l'Université contre l'Église à propos des
« empiètements du clergé »), monarchique « avec mesure » (il vous faut un monarque
lié par une constitution, une loi fondamentale de l'État). Que tout soit gentiment
tempéré, bien tiède et bien doux, tant bien que mal.
Il avait été convenu entre les étudiants d'une université que toute parole d'honneur
qu'exigerait d'eux le juge universitaire serait nulle et non avenue. Ils ne voyaient, en
effet, dans cette exigence qu'un piège, impossible à éviter si l'on n'enlevait pas toute
signification à une parole donnée dans ces conditions. À la même université, quiconque
manquait à sa parole d'honneur envers un condisciple était infâme, et quiconque
avait donné sa parole au juge universitaire pouvait aller rire avec les mêmes
condisciples aux dépens du juge trompé, qui se figurait qu'un serment a la même
valeur entre amis et entre ennemis. Ce n'était pas tant la théorie que la nécessité
pratique qui avait appris à ces étudiants à agir ainsi ; sans ce stratagème, ils auraient
inévitablement été forcés de trahir et de dénoncer leurs amis. Mais si le moyen se
justifiait pratiquement, il a aussi sa justification théorique. Une parole d'honneur ou
un serment ne m'engagent qu'envers celui à qui moi-même je donne le droit de les
recevoir ; contraint à jurer de dire la vérité, je ne donnerai qu'une parole contrainte,
c'est-à-dire hostile, la parole d'un ennemi ; vous n'avez pas le droit de vous y fier, car
l'ennemi ne vous accorde pas ce droit.
D'ailleurs, les tribunaux de l'État eux-mêmes ne reconnaissent pas l'inviolabilité
du serment. Si j'avais juré à un homme contre qui la justice instruit de ne rien révéler
à sa charge, la cour, sans tenir compte du serment qui me lie, ne manquerait pas
d'exiger mon témoignage, et, en cas de refus, de me faire enfermer jusqu'à ce que je
me décide — à devenir parjure. La cour « me délie de mon serment ». Quelle générosité
! Seulement, s'il est au monde une puissance qui puisse me délier du serment, je
suis certainement moi-même la première puissance qui ait droit de le faire.
Comme curiosité, et pour rappeler toutes sortes de serments usuels, il est juste de
donner place ici à celui que l'empereur Paul fit prêter aux prisonniers polonais
(Kosciusko, Potocki, Niemcewicz, etc.), lorsqu'il leur rendit la liberté : « Nous jurons
non seulement fidélité et obéissance à l'Empereur, mais nous promettons de verser
notre sang pour sa gloire. Nous nous engageons à dénoncer tout ce qui pourrait venir
à notre connaissance de menaçant pour sa personne ou son empire, nous déclarons
enfin qu'en quelque point du monde que nous nous trouvions, un seul mot de
l'Empereur suffira pour que nous quittions tout et nous rendions à son appel. »
Il est un domaine où il semble que le principe de l'amour ait été depuis longtemps
débordé par l'égoïsme, et où il paraît ne plus manquer qu'une chose, la conscience du
bon droit dans la victoire. Ce domaine est celui de la spéculation sous ses deux
formes, pensée et agiotage.
On s'abandonne hardiment à sa pensée sans se demander ce qu'il en adviendra, et
on se livre à toutes sortes d'opérations financières malgré le grand nombre de ceux qui
souffriront peut-être de nos spéculations. Mais bien que l'on ait dépouillé le dernier
reste de religiosité, de romantisme ou d' « humanité », si une catastrophe finit par se
produire, la conscience religieuse se réveille et on fait tout au moins profession d'humanité.
Le spéculateur avide laisse tomber quelques sous dans le tronc des pauvres
et » fait du bien » ; le penseur téméraire se console en songeant qu'il travaille au
progrès du genre humain, que l'humanité se trouvera bien des ruines qu'il a faites, ou
encore en se disant qu'il est « au service de l'Idée ». L'Humanité, l'Idée sont pour lui
ce quelque chose dont il est obligé de dire : cela est au-dessus de moi.
On a jusqu'aujourd'hui pensé et trafiqué — pour l'amour de Dieu. Ceux qui,
pendant six jours, ont tout foulé aux pieds en vue de leurs intérêts égoïstes offrent, le
septième jour, un sacrifice au Seigneur ; ceux dont la pensée inexorable a bouleversé
mille « bonnes causes » ne le faisaient que pour servir une autre « bonne cause », et
sont obligés de penser non seulement à eux-mêmes mais à un « autre » qui doit bénéficier
de leur satisfaction personnelle, au Peuple, à l'Humanité, etc. Mais cet « autre »
est un être au-dessus d'eux, un être supérieur, un être suprême, et c'est pourquoi je
puis dire qu'ils travaillent « pour l'amour de Dieu ».
Je puis, par conséquent, dire aussi que le principe de toutes leurs actions est —
l'Amour. Non pas, toutefois, un amour volontaire, leur propriété à eux, mais un amour
obligatoire, appartenant à l'être suprême (c'est-à-dire à Dieu, qui est l'amour même);
bref, non pas l'amour égoïste mais l'amour religieux, un amour qui naît de l'illusion
qu'ils doivent payer un tribut à l'Amour, c'est-à-dire qu'il ne leur est pas permis d'être
des « égoïstes ».
Notre désir de délivrer le monde des liens qui entravent sa liberté n'a pas sa source
dans notre amour pour lui, le monde, mais dans notre amour pour nous ; n'étant ni par
profession ni par « amour » les libérateurs du monde, nous voulons simplement en
enlever la possession à d'autres et le faire nôtre ; il ne faut pas qu'il reste asservi à
Dieu (l'Église) et à la loi (l'état), mais qu'il devienne notre propriété. Quand le monde
est à nous, il n'exerce plus sa puissance contre nous, mais pour nous. Mon égoïsme a
intérêt à affranchir le monde, afin qu'il devienne — ma propriété.
L'état primitif de l'homme n'est pas l'isolement ou la solitude, mais bien la société.
Au début de notre existence, nous nous trouvons déjà étroitement unis à notre mère,
puisque avant même de respirer nous partageons sa vie. Lorsque ensuite nous ouvrons
les yeux à la lumière, c'est pour reposer encore sur le sein d'un être humain qui nous
bercera sur ses genoux, qui guidera nos premiers pas et nous enchaînera à sa personne
par les mille liens de son amour. La société est notre état de nature. C'est pourquoi
l'union qui a d'abord été si intime se relâche peu à peu, à mesure que nous apprenons
à nous connaître, et la dissolution de la société primitive devient de plus en plus
manifeste. Si la mère veut, une fois encore, avoir pour elle seule l'enfant qu'elle a
porté, il faut qu'elle aille l'arracher à la rue et à la société de ses camarades. L'enfant
préfère les relations qu'il a nouées avec ses semblables à la société dans laquelle il
n'est pas entré, où il n'a fait que naître.
Mais l'union ou l'association sont la dissolution de la société. Il est vrai qu'une
association peut dégénérer en société, comme une pensée peut dégénérer en idée fixe: cela a lieu quand dans la pensée s’éteint l’énergie pensante, le penser lui-même, ce
perpétuel désaveu de toutes les pensées qui tendent à prendre trop de consistance.
Lorsqu'une association s'est cristallisée en société, elle cesse d'être une association
(car l'association veut que l'action de s'associer soit permanente), elle ne consiste plus
que dans le fait d'être associés, elle n'est plus que l'immobilité, la fixité, elle est —
morte comme association, elle est le cadavre de l'association, c'est-à-dire qu'elle est
— société, communauté. Une analogie frappante rapproche sous ce rapport l'association
du parti.
Qu'une société, l'État, par exemple, restreigne ma liberté, cela ne me trouble
guère. Car je sais bien que je dois m'attendre à voir ma liberté limitée par toutes sortes
de puissances, par tout ce qui est plus fort que moi, même par chacun de mes voisins;
quand je serais l'autocrate de toutes les R..., je ne jouirais pas de la liberté absolue.
Mon individualité, au contraire, je n'entends pas la laisser entamer. Et c'est précisément
à l'individualité que la société s'attaque, c'est elle qui doit succomber sous ses
coups.
Une société à laquelle je m'attache m'enlève bien certaines libertés ; mais en revanche
elle m'en assure d'autres. Il importe de même assez peu que je me prive moimême
(par exemple, par un contrat) de telle ou telle liberté. Par contre, je défendrai
jalousement mon individualité.
Toute communauté a une tendance, plus ou moins grande d'après la somme de ses
forces, à devenir pour ses membres une autorité, et à leur imposer des limites. Elle
leur demande, et doit leur demander, un certain esprit d'obéissance, elle exige que ses
membres lui soient soumis, soient ses « sujets », elle n'existe que par la sujétion. Cela
ne veut pas dire qu'elle ne puisse faire preuve d'une certaine tolérance ; au contraire,
elle fera bon accueil aux projets d'amélioration, aux conseils et aux critiques, pour
autant qu'ils ont en vue son bénéfice ; mais la critique doit se montrer « bienveillante
», on ne lui permet pas d'être « insolente et irrévérencieuse »; en d'autres
termes, il faut laisser intacte et tenir pour sacrée la substance de la société. La société
ne prétend pas que ses membres s'élèvent et se placent au-dessus d'elle ; elle veut
qu'ils restent « dans les bornes de la légalité », c'est-à-dire qu'ils ne se permettent que
ce que leur permettent la société et ses lois.
Il y a loin d'une société qui ne restreint que ma liberté à une société qui restreint
mon individualité. La première est une union, un accord, une association. Mais celle
qui menace l'individualité est une puissance pour soi et au-dessus de Moi, une
puissance qui m'est inaccessible, que je peux bien admirer, honorer, respecter, adorer,
mais que je ne puis ni dominer ni mettre à profit, parce que devant elle je me résigne
et j'abdique. La société est fondée sur ma résignation, mon abnégation, ma lâcheté,
que l'on nomme — humilité. Mon humilité fait sa grandeur, ma soumission sa
souveraineté.
Mais sous le rapport de la liberté, il n'y a pas de différence essentielle entre l'État
et l'association. Pas plus que l'État n'est compatible avec une liberté illimitée, l'association
ne peut naître et subsister si elle ne restreint de toute façon la liberté. On ne
peut nulle part éviter une certaine limitation de la liberté, car il est impossible de
s'affranchir de tout : on ne peut pas : voler comme un oiseau pour la seule raison
qu'on le désire, car on ne se débarrasse pas de sa pesanteur ; on ne peut pas vivre à
son gré sous l'eau comme un poisson, car on a besoin d'air, c'est là un besoin dont on
ne peut s'affranchir, et ainsi de suite. La religion, et en particulier le Christianisme,
ayant torturé l'homme en exigeant de lui qu'il réalise le contre-nature et l'absurde,
c'est par une conséquence naturelle de cette impulsion religieuse extravagante que
l'on en vint à élever au rang d'idéal la liberté en soi, la liberté absolue, ce qui était
étaler au plein jour l'absurdité des voeux impossibles.
L'association, procurant une plus grande somme de liberté, pourra être considérée
comme « une nouvelle liberté »; on y échappe, en effet, à la contrainte inséparable de
la vie dans l'État ou la Société ; toutefois, les restrictions à la liberté et les obstacles à
la volonté n'y manqueront pas, car le but de l'association n'est pas précisément la
liberté, qu'elle sacrifie à l'individualité, mais cette individualité elle-même. RelativeMax
ment à celle-ci, la différence est grande entre État et association. L'État est l'ennemi,
le meurtrier de l'individu, l'association en est la fille et l'auxiliaire ; le premier est un
Esprit, qui veut être adoré en esprit et en vérité, la seconde est mon oeuvre, elle est née
de Moi. L'État est le maître de mon esprit, il veut que je croie en lui et m'impose un
credo, le credo de la légalité. Il exerce sur Moi une influence morale, il règne sur mon
esprit, il proscrit mon Moi pour se substituer à lui comme mon vrai moi. Bref, l'État
est sacré, et en face de moi, l'individu, il est le véritable homme, l'esprit, le fantôme.
L'association au contraire est mon oeuvre, ma créature ; elle n'est pas sacrée et n'est
pas une puissance spirituelle supérieure à mon esprit.
Je ne veux pas être l'esclave de mes maximes, mais je veux qu'elles restent, sans
aucune garantie, exposées sans cesse à ma critique ; je ne leur accorde aucun droit de
cité chez moi. Mais j'entends encore moins engager mon avenir à l'association et lui
« vendre mon âme », comme on dit quand il s'agit du diable et comme c'est
réellement le cas quand il s'agit de l'État ou d'une autorité spirituelle. Je suis et je reste
pour moi plus que l'État, plus que l'Église, Dieu, etc., et, par conséquent, infiniment
plus aussi que l'association.
La Société que le Communisme se propose de fonder paraît à première vue se
rapprocher extrêmement de l'association telle que je l'entends. Le but qu'elle se
propose est le « bien de tous », et lorsqu'on dit de tous, il faut entendre, Weitling ne se
lasse pas de le répéter, d'absolument tous, de tous sans exception. Il semble bien, en
réalité, que personne n'y doive être désavantagé. Mais quel sera donc ce bien ? Y a-til
un seul et même bien pour tous, tous se trouveront-ils également bien d'une seule et
même chose ? S'il en est ainsi, c'est du « vrai bien » qu'il s'agit. Et nous voilà ramenés
précisément au point où commence la tyrannie de la religion. Le Christianisme dit :
Ne vous arrêtez pas aux vanités de ce monde, cherchez votre vrai bien, devenez de
pieux chrétiens. Être chrétien, voilà le vrai bien. C'est le vrai bien de « tous », parce
que c'est le bien de l'Homme comme tel (du fantôme). Mais le bien de « tous » est-il
nécessairement mon, bien et ton bien ? Et si pour toi et pour moi ce bien-là n'en est
pas un, aura-t-on soin de nous procurer ce dont nous jugeons devoir nous trouver bien
? Au contraire : la Société ayant décrété que le « vrai bien » est telle ou telle chose,
par exemple, la jouissance honnêtement acquise par le travail, s'il arrive que tu
préfères, toi, les délices de la paresse, la jouissance sans le travail, la Société, qui
veille au « bien de tous », se gardera d'étendre sa sollicitude à ce qui pour toi est le
bien. Le Communisme, qui se fait le champion du bien de tous les hommes, anéantit
précisément le bien-être de ceux qui ont jusqu'à présent vécu de leurs rentes et qui
s'en trouvent probablement mieux que des heures de travail strictement réglées que
leur promet Weitling.
Le même Weitling affirme que le bien-être de quelques milliers d'hommes ne peut
être mis en balance avec le bien-être de plusieurs millions d'autres, et il exhorte les
premiers à renoncer à leurs avantages particuliers « pour l'amour du bien général ».
Non, n'exigez pas des gens qu'ils sacrifient la moindre partie de ce qu'ils ont à la
communauté ; c'est là une façon chrétienne de présenter les choses avec laquelle vous
n'aboutirez à rien. Exhortez-les, au contraire, à ne se laisser arracher ce qu'ils ont par
personne, engagez-les à s'en assurer la possession de façon qu'elle soit durable, ils
vous comprendront beaucoup mieux. Ils en viendront alors d’eux-mêmes à se dire
que le meilleur moyen de soigner leur bien, c'est de s'allier dans ce but avec d'autres,
c'est-à-dire de « sacrifier une partie de leur liberté », non pas dans l'intérêt de tous,
mais dans leur propre intérêt. Comment peut-on encore être tenté de faire appel à
l'esprit de sacrifice et à l'amour désintéressé des hommes ? On ne sait que trop que
ces beaux sentiments n'ont produit, après une gestation de plusieurs milliers d'années,
que la présente misère. Pourquoi s'obstiner à attendre encore de l'abnégation la venue
de temps meilleurs ? Pourquoi ne pas mettre plutôt son espoir dans l'usurpation ? Ce
n'est plus des débonnaires et des miséricordieux, ce n'est plus de ceux qui donnent et
de ceux qui aiment que viendra le salut, mais uniquement de ceux qui prendront, qui
s'approprieront et qui sauront dire : ceci est à moi. Le Communisme compte encore
toujours sur l'amour, et, conscient ou inconscient l'Humanitaire qui bafoue l'égoïsme
ne sort pas de la même ornière.
Quand la communauté est devenue pour l'homme un besoin, quand il trouve
qu'elle l'aide à réaliser ses desseins, elle ne tarde pas, prenant rang de principe, à lui
imposer ses lois, les lois de la — société. Le principe des hommes arrive ainsi à
régner souverainement sur eux ; il devient leur être suprême, leur dieu, et, comme tel,
leur législateur. Le Communisme conduit ce principe jusqu'à ses plus rigoureuses
conséquences, et le Christianisme est la religion de la société ; car, comme Feuerbach
le dit justement, bien que sa pensée ne soit pas juste, l'amour est l'essence de l'Homme,
c'est-à-dire l'essence de la société ou de l'Homme social (communiste). Toute
religion est un culte de la société, du principe qui régit l'homme social (l'homme
cultivé); aussi nul dieu n'est-il jamais le dieu exclusif d'un Moi ; toujours un dieu est
le dieu d'une société ou d'une communauté : d'une famille (lares, pénates), d'un
Peuple (dieux nationaux) ou de « tous les hommes ». (« Il est le père de tous les
hommes. »)
Que l'on n’espère point arriver à détruire de fond en comble la religion, tant que
l'on n'aura pas auparavant mis au rebut la société et tout ce qu'implique son principe.
Or, c'est précisément à l'heure du Communisme que ce principe passe au méridien,
attendu qu'alors tout doit être commun afin que règne l' « égalité » . Cette « égalité »
une fois conquise, la « liberté » ne manquera pas non plus, mais la liberté de qui ? De
la Société ! La société alors est le grand Pan, et les hommes n'existent plus que « les
uns pour les autres ». C'est l'apothéose de l' « Amour-État !
Pour moi, j'aime mieux avoir recours à l'égoïsme des hommes qu'à leurs « services
d'amour », à leur miséricorde, à leur charité, etc. L'égoïsme exige la réciprocité
(donnant, donnant), il ne fait rien pour rien, et s'il offre ses services, c'est pour qu'on
les — achète. Mais le « service d'amour », comment me le procurer ? C'est le hasard
qui fera que j'aurai justement affaire à un « bon coeur ». Et je ne puis émouvoir la
charité qu'en mendiant ses services, soit par mon extérieur misérable, soit par ma
détresse, ma misère, ma souffrance. — Et que puis-je lui offrir en échange de son
assistance ? Rien ! Il faut que je la reçoive comme un cadeau. L'amour ne se paie pas,
ou, disons mieux : l'amour peut bien se payer, mais seulement en amour (un service
en vaut un autre). Quelle misère, quelle gueuserie que de recevoir d'année en année,
sans jamais rien rendre en échange, les dons que nous fait, par exemple, régulièrement
le pauvre manoeuvre ! Celui qui reçoit ainsi, que peut-il faire pour l'autre, en
échange de ces sous dont l'accumulation forme pourtant toute sa fortune ? Le
manoeuvre aurait plus de jouissance si celui qu'il engraisse de ses laborieux bienfaits
n'existait pas, ni ses lois et ses institutions qu'il paie par-dessus le marché. Et malgré
tout, le pauvre diable aime encore son maître !
Non, la communauté comme « but » de l'histoire jusqu'à ce jour est impossible.
Défaisons-nous au plus tôt de toute illusion hypocrite à ce sujet, et reconnaissons
que si c'est en tant qu'Hommes que nous sommes égaux, égaux nous ne le
sommes pas, attendu que nous ne sommes pas Hommes. Nous ne sommes égaux
qu'en tant, que pensés ; ce qu'il y a d'égal en nous, c'est « nous » tels que nous nous
concevons et non tels que nous sommes en réalité et en personnes. Je suis « moi » et
tu es « moi », mais Je ne suis pas ce « moi » pensé ; il n'est, lui par qui nous sommes
tous égaux, que ma pensée. Je suis Homme et tu es homme, mais « Homme » n'est
qu'une idée, une généralité abstraite. Ni Moi ni Toi ne pouvons être exprimés, nous
sommes indicibles, parce qu'il n'y a que les idées qui puissent être exprimées et se
fixer par la parole.
Cessons donc d'aspirer à la communauté ; ayons plutôt en vue la particularité. Ne
recherchons pas la plus vaste collectivité, la « société humaine », ne cherchons dans
les autres que des moyens et des organes à mettre en oeuvre comme notre propriété !
Dans l'arbre et dans l'animal, nous ne voyons pas nos semblables, et l'hypothèse
d'après laquelle les autres seraient nos semblables prend sa source dans une hypocrisie.
Personne n'est mon semblable, mais, semblable à tous les autres êtres, l'homme
est pour moi une propriété. On a beau me dire que je dois me comporter en homme
envers le « prochain » et que je dois « respecter » mon prochain. Personne n'est pour
moi un objet de respect ; mon prochain, comme tous les autres êtres, est un objet pour
lequel j'ai ou je n'ai pas de sympathie, un objet qui m'intéresse ou ne m'intéresse pas,
dont je puis ou dont je ne puis pas me servir.
S'il peut m'être utile, je consens à m'entendre avec lui, à m'associer avec lui pour
que cet accord augmente ma force, pour que nos puissances réunies produisent plus
que l'une d'elles ne pourrait faire isolément. Mais je ne vois dans cette réunion rien
d'autre qu'une augmentation de ma force, et je ne la conserve que tant qu'elle est ma
force multipliée. Dans ce sens-là, elle est une — association.
L'association n'est maintenue ni par un lien naturel ni par un lien spirituel ; elle
n'est ni une société naturelle ni une société morale. Ce n'est ni l'unité de sang, ni
l'unité de croyance (c'est-à-dire d'esprit) qui lui donne naissance. Dans une société
naturelle — comme une famille, une tribu, une nation, ou même l'humanité —, les
individus n'ont que la valeur d'exemplaires d'un même genre ou d'une même espèce ;
dans une société morale — comme une communauté religieuse ou une Église —,
l'individu ne représente qu'un membre animé de l'esprit commun ; dans l'un comme
dans l'autre cas, ce que tu es comme Unique doit passer à l'arrière-plan et s'effacer. Ce
n'est que dans l'association que votre unicité peut s'affirmer, parce que l'association ne
vous possède pas, mais que vous la possédez et que vous vous servez d'elle.
Dans l'association, et dans l'association seule, la propriété prend sa véritable
valeur et est réellement propriété, attendu que je n'y dois plus à personne ce qui est à
moi. Les Communistes ne font que consacrer logiquement un état de choses qui dure
depuis qu'a commencé l'évolution religieuse et dont l'État donne la formule : une
féodalité, ayant en somme à sa base la négation de la propriété.
L'État s'efforce de discipliner les appétits ; en d'autres termes, il cherche à faire en
sorte qu'ils se tournent vers lui seul, et à les satisfaire au moyen de ce qu'il a à leur
offrir. Rassasier un appétit pour l'amour de celui qui l'éprouve est une idée qui ne
saurait venir à l'État ; il flétrit du nom d' « égoïste » celui qui manifeste des désirs
déréglés, et l'« homme égoïste » est son ennemi. Il l'est parce que l'État, incapable de
« comprendre » l'égoïste, ne peut s'entendre avec lui. Comme l'État (et il ne pourrait
en être autrement) ne s'occupe que de lui-même, il ne s'informe pas de mes besoins et
ne s'inquiète de moi que pour me corrompre et me fausser, c'est-à-dire pour faire de
moi un autre moi, un bon citoyen. Il prend une foule de mesures pour « améliorer les
moeurs. — Et par quel moyen s'attache-t-il les individus ? Au moyen de lui-même,
c'est-à-dire de ce qui est à l'État, de la propriété de l'État. Il s'occupe sans relâche à
faire participer tout le monde à ses « biens », à faire profiter tout le monde des
« avantages de l'instruction » : il vous donne son éducation, il vous ouvre l'accès de
ses établissements d'instruction, il vous met à même d'arriver par les voies de
l'industrie à la propriété, c'est-à-dire à l'inféodation. Seigneur généreux, il n'exige de
vous, en échange de cette investiture, que le légitime hommage d'une perpétuelle
reconnaissance. Mais les vassaux ingrats et félons oublient de s'acquitter de cette
redevance. — La « Société » à son tour ne peut agir d'une façon essentiellement
différente.
Tu apportes dans l'association toute ta puissance, toute ta richesse, et tu t'y fais
valoir. Dans la société, toi et ton activité êtes utilisés. Dans la première, tu vis en
égoïste, dans la seconde, tu vis en Homme, c'est-à-dire religieusement : tu y travailles
à la vigne du Seigneur. Tu dois à la société tout ce que tu as, tu es son obligé et tu es
obsédé de « devoirs sociaux »; à l'association, tu ne dois rien : elle te sert, et tu la
quittes sans scrupule dès que tu n'as plus d'avantages à en tirer.
Si la société est plus que toi, tu la feras passer avant toi et tu t'en feras le serviteur; l'association est ton outil, ton arme, elle aiguise et multiplie ta force naturelle.
L'association n'existe que pour toi et par toi, la société au contraire te réclame comme
son bien et elle peut exister sans toi. Bref, la société est sacrée et l'association est ta
propriété, la société se sert de toi et tu te sers de l'association.
On ne manquera probablement pas de nous objecter que l'accord que nous avons
conclu peut devenir gênant et limiter notre liberté ; on dira qu'en définitive nous en
venons aussi à ce que « chacun devra sacrifier une partie de sa liberté dans l'intérêt de
la communauté. Mais ce n'est nullement à la « communauté » que ce sacrifice sera
fait, pas plus que ce n'est pour 1'amour de la « communauté » ou de qui que ce soit
que j'ai contracté ; si je m'associe, c'est dans mon intérêt, et si je sacrifiais quelque
chose, ce serait encore dans mon intérêt, par pur égoïsme. D'ailleurs, en fait de
« sacrifice », je ne renonce qu'à ce qui échappe à mon pouvoir, c'est-à-dire que je ne
« sacrifie » rien du tout.
Pour en revenir à la propriété, c'est donc le maître qui est propriétaire. Et maintenant,
choisis : veux-tu être le maître ou veux-tu que la société soit maîtresse ? Il
dépendra de là que tu sois un propriétaire ou un gueux ! L'égoïsme fait le propriétaire,
la société fait le gueux. Or, gueuserie ou absence de propriété, tel est le sens de
la féodalité, du régime de vasselage qui, depuis le siècle dernier, n'a fait que changer
de maître en mettant l'Homme à la place du Dieu, et en faisant un fief de l'Homme de
ce qui auparavant était un fief accordé par la grâce divine.
Nous avons montré plus haut que la gueuserie du Communisme est, par le
principe humanitaire, poussée jusqu'à la gueuserie absolue, jusqu'à la plus gueuse des
gueuseries ; mais nous avons montré aussi que ce n'est que par cette voie que la
gueuserie peut aboutir à l'individualité. L'ancien régime féodal a été si complètement
anéanti par la Révolution que toute réaction, quelque habileté qu'elle déploie à
galvaniser le cadavre du passé, est désormais condamnée à avorter misérablement, car
ce qui est mort — est mort. Mais la résurrection aussi devait, dans l'histoire du Christianisme,
se montrer comme une vérité ; elle l'a fait : dans un monde nouveau, la
féodalité est ressuscitée avec un corps transfiguré, féodalité nouvelle sous la haute
suzeraineté de l’ « Homme ».
Le Christianisme est loin d'être anéanti, et ses fidèles ont eu raison de voir avec
confiance dans les assauts qu'on lui a livrés jusqu'à présent de simples preuves dont il
ne devait sortir que plus pur et plus fort ; il n'a fait en réalité que se transfigurer, et 1e
Christianisme « qu'on vient de découvrir » est l’— humain. Nous vivons encore en
pleine ère chrétienne ; ce sont précisément ceux que cela irrite le plus qui contribuent
le plus à la faire durer. Plus la féodalité s'est faite humaine, plus elle nous est devenue
chère : nous ne reconnaissons plus le caractère de féodalité dans ce que, pleins de
confiance, nous prenons pour notre propriété ; et nous croyons avoir trouvé ce qui est
à « nous » quand nous découvrons ce qui est « à l'Homme ».
Si le Libéralisme veut me donner ce qui est à moi, ce n'est point qu'il y voie le
mien, mais l'humain. Comme si, sous ce déguisement, il m'était possible de l'atteindre
! Les droits de l'Homme eux-mêmes, ce produit tant vanté de la Révolution,
doivent s'entendre dans ce sens : l'Homme qui est en moi me donne droit à telle et
telle chose ; en tant qu'individu, c'est-à-dire tel que je suis, je n'ai aucun droit ; les
droits sont l'apanage de l'Homme, et c'est lui qui m'autorise et me justifie. Comme
Homme, je puis avoir un droit, mais je suis plus qu'Homme, je suis un homme
particulier, aussi ce droit peut-il m'être refusé à Moi, au particulier.
Mais si vous savez faire cas de votre richesse, si vous tenez à haut prix vos
talents, si vous ne permettez pas qu'on vous force à les vendre au-dessous de leur
valeur, si vous ne vous laissez pas mettre en tête que votre marchandise n'est pas
précieuse, si vous ne vous rendez pas ridicules par un « prix dérisoire », mais si vous
imitez le brave qui dit : « Je vendrai cher ma vie (ma propriété), l'ennemi ne l'aura pas
à bon marché », — alors vous aurez reconnu comme vrai le contraire du Communisme,
et l'on ne pourra plus vous dire : renoncez à votre propriété ! Vous répondriez :
je veux en profiter.
Au fronton de notre siècle, on ne lit plus la maxime delphique : « Connais-toi toimême
», mais bien : « EXPLOITE-TOI TOI-MÊME ! »
Proudhon dit que la « propriété, c'est le vol ». Mais la propriété d'autrui (il ne
parle que de celle-là) n'existe que par le fait d'une renonciation, d'un abandon, comme
une conséquence de mon humilité ; elle est un cadeau. Que signifient alors toutes ces
grimaces sentimentales ? Pourquoi faire appel à la compassion comme un pauvre
volé, quand on n'est qu'un imbécile et un lâche faiseur de cadeaux ? Et pourquoi
rejeter toujours la faute sur les autres et les accuser de nous voler, alors que c'est
nous-mêmes qui sommes en faute en ne les volant pas ? S'il y a des riches, la faute en
est aux pauvres.
En général, personne ne s'indigne et ne proteste contre sa propre propriété ; on ne
s'irrite que contre celle d'autrui. Chacun, pour sa part, veut augmenter et non diminuer
ce qu'il peut appeler sien et voudrait pouvoir appeler tout ainsi. Ce n'est en réalité pas
à la propriété qu'on s'attaque, mais à la propriété étrangère ; ce que l'on combat, c'est,
pour former un mot qui fasse le pendant de propriété, l’aliénité. Et comment s'y
prend-on ? Au lieu de transformer l’alienum en proprium et de s'approprier le bien
étranger, on se donne des airs d'impartialité et de détachement, et l'on demande
seulement que toute propriété soit abandonnée à un tiers (par exemple à la Société
humaine). On revendique le bien étranger non pas en son nom à soi, mais au nom
d'un tiers. Alors toute trace d'« égoïsme » disparaît, et tout devient on ne peut plus
pur, on ne peut plus humain !
Radicale inhabilité de l'individu à être propriétaire, radicale gueuserie, telle est
l' « essence du Christianisme et de toute religiosité (piété, moralité, humanité), tel est
le principe jadis voilé qu'a mis en tête de son joyeux message la « religion nouvelle ».
C'est l'évolution de ce nouvel Évangile que nous avons sous les yeux dans la lutte qui
se livre actuellement contre la propriété et qui doit conduire l'Homme à la victoire : la
victoire de l'humanité, c'est le triomphe du — Christianisme. Et ce Christianisme
« qui vient seulement d'être découvert » est la féodalité parfaite, la servitude universelle,
la — parfaite gueuserie.
Est-ce donc une nouvelle « révolution » qu'appelle cette féodalité nouvelle ?
Révolution et insurrection ne sont pas synonymes. La première consiste en un
bouleversement de l'ordre établi, du status de l'État ou de la Société, elle n'a donc
qu'une portée politique ou sociale. La seconde entraîne bien comme conséquence
inévitable le même renversement des institutions établies, mais là n'est point son but,
elle ne procède que du mécontentement des hommes ; elle n'est pas une levée de
boucliers, mais l'acte d'individus qui s'élèvent, qui se redressent, sans s'inquiéter des
institutions qui vont craquer sous leurs efforts ni de celles qui pourront en résulter. La
révolution avait en vue un régime nouveau, l'insurrection nous mène à ne plus nous
laisser régir mais à nous régir nous-mêmes et elle ne fonde pas de brillantes espérances
sur les « institutions à venir ». Elle est une lutte contre ce qui est établi, en ce
sens que, lorsqu'elle réussit, ce qui est établi s'écroule tout seul. Elle est mon effort
pour me dégager du présent qui m'opprime ; et dès que je l'ai abandonné, ce présent
est mort et tombe en décomposition.
En somme, mon but n'étant pas de renverser ce qui est, mais de m’élever au-dessus
de lui, mes intentions et mes actes n'ont rien de politique ni de social ; n'ayant
d'autre objet que moi et mon individualité, ils sont égoïstes.
La révolution ordonne d'instituer, d'instaurer, l'insurrection veut qu'on se soulève
ou qu'on s'élève.
Le choix d'une constitution, tel était le problème qui préoccupait les cerveaux
révolutionnaires ; toute l'histoire politique de la Révolution est remplie par des luttes
constitutionnelles et des questions constitutionnelles, de même que les génies du
Socialisme se sont montrés étonnamment féconds en institutions sociales (palanstères,
etc.). C'est au contraire à s'affranchir de toute constitution que tend l'insurgé [20].
Je cherchais une comparaison afin de rendre plus clair ce que je viens de dire, et
voici que ma pensée se reporte aux premiers temps de la fondation du Christianisme.
Dans le camp libéral, on reproche aux premiers Chrétiens d'avoir prêché l'obéissance
aux lois païennes existantes, d'avoir prescrit de reconnaître, l'autorité païenne et
d'avoir franchement ordonné de « rendre à César ce qui est à César ». Quel soulèvement
pourtant à ce moment contre la domination romaine ! Combien les Juifs,
combien les Romains eux-mêmes se montraient séditieux envers le pouvoir qui
régissait le monde, en un mot, combien général était le « mécontentement politique »!
Mais les Chrétiens ne voulurent pas s'en apercevoir. ni s'associer aux « tendances
libérales de l'époque ». Les passions politiques étaient alors tellement surexcitées que,
comme on le voit dans les Évangiles, on ne crut pas pouvoir accuser avec plus de
succès le fondateur du Christianisme qu'en lui imputant des « machinations politiques
»; les mêmes Évangiles nous apprennent pourtant que personne ne s'intéressait
moins que lui aux menées politiques ambiantes. Pourquoi donc ne fut-il pas un
révolutionnaire ou un démagogue, comme les Juifs auraient voulu le faire croire ?
Pourquoi ne fut-il pas un libéral ? Parce qu'il n'attendait pas le salut du remaniement
des institutions, et que toute la boutique gouvernementale et administrative lui était
totalement indifférente. Il n'était pas un révolutionnaire, comme le fut par exemple
César, mais un insurgé : il ne cherchait pas à renverser un gouvernement mais à se
relever lui-même. Aussi s'en tenait-il à sa maxime : « Soyez prudents comme les serpents
», dont le « rendez à César ce qui appartient à César » n'était que l'application à
un cas spécial. En effet, il ne faisait pas une campagne libérale ou politique contre
l'autorité établie, mais il voulait, sans s'inquiéter de cette autorité ni s'en laisser
troubler, suivre sa propre voie. Les ennemis du gouvernement ne lui étaient pas
moins indifférents que le gouvernement lui-même, car de part et d'autre on ne
comprenait pas ce qu'il voulait, et il lui suffisait de se tenir, avec la prudence du
serpent, aussi loin que possible des uns et des autres. Mais, sans être un séditieux, un
démagogue ou un révolutionnaire, il n'en fut pas moins, comme chacun des Chrétiens
primitifs, un insurgé, s'élevant au-dessus de tout ce que le gouvernement et ses
adversaires tenaient pour auguste, s'affranchissant de tous les liens qui entravaient les
uns et les autres, et détruisant en même temps les sources de la vie du monde païen
tout entier, devenu du reste incapable de maintenir dans son éclat le système établi.
C'est précisément parce qu'il ne visait pas au renversement de l'ordre établi qu'il en fut
le plus mortel ennemi et le véritable destructeur. Car il le mura dans son tombeau et,
tranquille, sans un regard pour les vaincus, il éleva son temple à lui, sans prêter
l'oreille aux cris de douleur de ceux qu'il avait ensevelis sous leurs ruines.
Et maintenant, ce qui est arrivé au monde païen arrivera-t-il au monde chrétien ?
Une révolution ne conduira certainement pas au but, si d'abord une insurrection ne
s'est accomplie.
À quoi tendent mes relations avec le monde ? Je veux en jouir ; il faut pour cela
qu'il soit ma propriété, et je veux donc le conquérir. Je ne veux pas la liberté des hommes,
je ne veux pas l'égalité des hommes, je ne veux que ma puissance sur les
hommes ; je veux qu'ils soient ma propriété, c'est-à-dire qu'ils servent à ma jouissance.
Et s'ils s'opposent à mes désirs, eh bien ! le droit de vie et de mort que se sont
réserve l'Église et l'État, je déclare que lui aussi — est à moi.
Flétrissez cette veuve d'officier qui, durant la retraite de Russie, ayant eu la jambe
emportée par un boulet, défit sa jarretière, étrangla son enfant, puis se coucha pour
mourir à côté du cadavre ; flétrissez la mémoire de cette mère infanticide. Qui sait, si
cet enfant était resté en vie, quels « services il eût pu rendre » au monde ? Et la mère
le tua, parce qu'elle voulait mourir contente et tranquille ! Cette histoire émeut peutêtre
encore votre sentimentalité, mais vous n'en savez rien tirer d'autre. Soit. Pour
moi, je veux montrer par cet exemple que c'est mon contentement qui décide de mes
rapports avec les hommes et qu'il n'y a pas d'accès d'humilité qui puisse me faire
renoncer au pouvoir de vie et de mort.
Quant aux « devoirs sociaux » en général, ce n'est pas à un tiers à fixer ma position
vis-à-vis des autres ; ce n'est, par conséquent, ni Dieu ni l'humanité qui peuvent
déterminer les rapports entre moi et les hommes : c'est Moi qui prends position. Cela
revient à dire plus nettement : Je n'ai pas de devoirs envers les autres, pas plus que je
n'ai de devoirs envers moi (par exemple, le devoir de la conservation, opposé au
suicide), à moins que je ne « me » distingue Moi-même (mon âme immortelle de mon
existence terrestre, etc.).
Je ne m'humilie plus devant aucune puissance, je reconnais que toute puissance
n'est que la mienne, et que je dois l'abattre dès qu'elle menace de devenir opposée ou
supérieure à Moi. Toute puissance ne peut être considérée que comme un de mes
moyens d'arriver à mes fins, de même qu'un chien de chasse est une puissance à notre
service contre l'animal sauvage, mais que nous le tuons s'il vient à nous attaquer nousmêmes.
Toutes les puissances qui furent mes maîtresses, je les rabaisse donc au rôle
de mes servantes. Les idoles n'existent que par Moi : il suffit que je ne les crée plus
pour qu'elles ne soient plus ; il n'y a de « puissances supérieures » que parce que je les
élève et me mets au-dessous d'elles.
Voici donc en quoi consistent mes rapports avec le monde : Je ne fais plus rien
pour lui « pour l'amour de Dieu », je ne fais plus rien « pour l'amour de l'Homme »,
mais ce que je fais, je le fais « pour l'amour de Moi ». Ainsi seulement le monde peut
me satisfaire, tandis que pour celui qui le considère au point de vue religieux (avec
lequel, notez-le bien, je confonds le point de vue moral et humain), le monde reste
« un pieux désir » (pium desiderium), c'est-à-dire un au-delà, un inaccessible. Tels
sont l'universelle félicité, le monde moral ou règneraient l'amour universel, la paix
éternelle, l'extinction de l'égoïsme, etc.
« Rien dans ce monde n'est parfait ! » — Sur cette triste parole, les bons s'en
détournent et se réfugient près de Dieu dans leur oratoire, ou dans l'orgueilleux
sanctuaire de leur « conscience ». Mais nous, nous demeurons dans ce monde « imparfait
» : tel qu'il est, nous savons le faire servir à notre jouissance.
Mes relations avec le monde consistent en ce que je jouis de lui et l'emploie à ma
jouissance. Relations équivaut à jouissance du monde, et cela rentre dans ma —
jouissance de Moi.
Notes et références
- ↑ * Jeu de mot intraduisible : As könnte mündig sein, wer keinen Mund hat : « Comme si on pouvait être majeur (mündig) quand on n’a pas de bouche (Mund). (Note du Traducteur.)
- ↑ « Par excellence » en français dans le texte. (Note du Traducteur.)
- ↑ De la création de l'ordre, p. 485.»
- ↑ ».(« C'est pourquoi vous devez devenir parfaits comme l'est votre Père
céleste » Matth., v. 48.)
- ↑ Voir, par exemple, Qu'est-ce que la propriété ?, p. 83
- ↑ En français dans le texte. (Note du Traducteur.)
- ↑ Ibid.
- ↑ En français dans le texte. (Note du Traducteur.)
- ↑ En français dans le texte. (Note du Traducteur.)
- ↑ Le gouvernement anglais, dans un projet de loi électorale pour l'Irlande, proposa d'accorder
l'électorat à tous ceux qui payaient 5 livres sterling de taxe des pauvres. Celui qui fait l'aumône
acquiert des droits politiques !
- ↑ « Égalité » en français dans le texte. (Note du traducteur.)
- ↑ Dans les collèges, les universités, etc., on voit des pauvres concourir avec des riches. Mais cela ne leur est en général possible que grâce à des bourses, qui —cela est significatif — ont pour la
plupart été fondées à une époque où la libre concurrence était encore loin d'être admise en
principe. Le principe de la concurrence ne fonde pas de bourses d'études, mais il signifie : Aide-toi
toi-même, c'est-à-dire procure-toi les moyens. Ce que l'État dépense dans ce but n'est qu'un
placement à intérêt, destiné à lui procurer des « serviteurs ».
- ↑ Le mot allemand Vermögen a un sens très étendu et signifie, suivant les cas : force, puissance,
faculté, MOYEN, RICHESSE, fortune ou pécule. Nous le traduirons par richesse, en priant le
lecteur de bien vouloir se rappeler que nous entendons par ce mot la richesse « instrument de
production » et non « résultat de production ». C'est d'ailleurs le sens étymologique du mot
français, qui, par sa racine germanique rik ou reich, signifie « puissance ». « Richesse, c'est
pouvoir », disait Hobbes.(Note du Traducteur.)
- ↑ II, p. 91 sqq.
- ↑ Athanase.
- ↑ « Vérité » en français dans le texte. (Note du Traducteur.)
- ↑ Voir l'étude de Max Stirner sur Les Mystères de Paris, d'Eugène Sue, publiée dans les Berliner
Monatschriften en 1843, et réimprimée par les soins de J. H. Mackay dans les Max Stirner's
kleinere Schriften (Berlin, Schuster et Loeffler, 1898). (Note du Traducteur.)
- ↑ FEUERBACH : Wesen des Christentum, p.394.
- ↑ Wilhelm Meister.
- ↑ Pour me garantir contre toute poursuite criminelle, je ferai, par surcroît de précaution,
expressément remarquer que je prends le mot « insurrection » dans son sens étymologique et non
dans l'acception restreinte sur laquelle sont suspendues les foudres du Code pénal.