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Henry Hazlitt:L'Économie politique en une leçon - Chapitre XIII – La "parité" des prix


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Chapitre XIII – La "parité" des prix

1

L'histoire des tarifs douaniers est là pour nous rappeler que certains intérêts particuliers savent trouver d'ingénieuses raisons pour soutenir qu'ils devraient être l'objet d'une sollicitude toute spéciale. Ils commencent par faire faire une déclaration par leurs porte-parole, exposant leur projet ; et celle-ci semble tellement absurde que les critiques économistes non intéressés dans l'affaire ne se donnent même pas la peine de la relever. Mais les intéressés recommencent à faire exposer le projet, car si le Gouvernement l'acceptait, leurs affaires prendraient un tel essor qu'ils n'hésitent pas, en vue de sa réussite, à enrôler au service de leur cause des économistes distingués et des « experts en relations publiques ». L'argumentation des uns et des autres revient si souvent aux oreilles du public, elles s'accompagne d'un tel luxe de diagrammes, statistiques, courbes et figures variées, genre portions de gâteau, que l'on a tôt fait de s'y laisser prendre. Et quand enfin les critiques désintéressés finissent par comprendre que le danger de voir adopter un tel projet est imminent, il est généralement trop tard. Ils n'ont plus le temps, en quelques semaines, de s'assimiler la question aussi bien que l'ont pu faire les cerveaux engagés depuis des années pour l'étudier ; on les accuse alors d'être mal renseignés, et ils font figure d'hommes qui ont la prétention de vouloir mettre en doute des vérités évidentes.

Cet aperçu général suffit pour servir d'introduction à l'histoire de la parité des prix agricoles.

J'ai oublié à quel moment il en fut question pour la première fois dans un texte de loi, mais avec l'avènement du New Deal en 1933, c'était devenu un principe définitivement accepté et qui se transforma en une loi, et au fur et à mesure des années, lorsque ses conséquences absurdes se faisaient pourtant déjà sentir, celles-ci furent également incorporées dans la loi.

Les arguments présentés en faveur de la parité des prix agricoles se résument à peu près ainsi. L'agriculture est une industrie de base, la plus importante de toutes. Il faut la protéger à tout prix. De plus, la prospérité de toute la nation dépend de la prospérité du fermier. S'il n'a pas le pouvoir d'achat nécessaire pour se procurer des produits industriels, l'industrie périclite. Telle fut la cause de la dépression de 1929 ou du moins de notre incapacité de nous en remettre, car les prix agricoles sont alors tombés très bas tandis que les prix industriels ne subissaient qu'une dépréciation peu sensible. Il en résulta que le fermier ne put se procurer aucun produit industriel, les travailleurs des villes furent réduits au chômage et ne purent plus acheter de produits agricoles, et la dépression s'étendit en cercles vicieux sans cesse plus larges. A cette situation il n'était, assurait-on, qu'un remède, un seul, et il était bien simple : Ramener le prix des produits agricoles « au pair » avec le prix des produits dont le fermier a besoin. Cette parité d'ailleurs avait existé de 1909 à 1914, à l'époque où la condition du fermier était prospère. Il fallait donc rétablir cette parité et la maintenir indéfiniment.

Ce serait trop long et trop éloigné de notre véritable sujet, que d'examiner toutes les absurdités contenues dans ce raisonnement apparemment plausible. Il n'y a aucune raison valable pour que le rapport entre prix agricoles et prix industriels, qui a existé à une certaine date ou pendant une certaine période, soit considéré comme « sacro-saint » ou même comme étant nécessairement plus « normal » que les rapports existant pendant aucune autre période. Même si ce rapport était normal à ce moment là, quelle raison a-t-on de supposer que ce même rapport devrait être constaté une génération plus tard, en dépit des changements considérables qui se seront produits dans l'intervalle dans les conditions de la production et de la demande ?

Ce ne fut pas par hasard que la période entre 1909 et 1914 fut choisie pour servir de base à l'établissement de la « parité ». Comparativement aux autres prix alors en vigueur, ce fut, dans toute l'histoire des États-Unis, l'une des plus favorables à l'agriculture.

Si le plan avait eu quelque logique ou même quelque sincérité, on l'eût appliqué à toute notre économie. Si le rapport entre les prix agricoles et les prix industriels, tel qu'il exista entre août 1909 et juillet 1914, méritait d'être conservé indéfiniment, pourquoi ne pas conserver indéfiniment aussi le rapport des prix existant à ce moment là entre toutes les marchandises offertes sur le marché. Une automobile Chevrolet de tourisme à 6 cylindres coûtait, en 1912, 2 150 dollars ; un cabriolet Chevrolet beaucoup plus perfectionné coûtait en 1942, 907 dollars ; si on avait « rajusté » le prix sur la base établie pour la « parité » des prix agricoles, il eût coûté, toujours en 1942, 3 270 dollars. Une livre d'aluminium coûtait, de 1909 à 1913 inclus, 22 cents 1/2 ; au début de 1946, son prix était passé à 14 cents, mais avec la « parité », il eût coûté, à cette date, 41 cents.

J'entends bien qu'on s'écrie que ce sont là comparaisons absurdes parce que chacun sait que non seulement l'automobile d'aujourd'hui est incomparablement supérieure en tous points à la voiture de 1912, mais chacun sait aussi que son prix de revient actuel n'est qu'une fraction du coût de production ancien, et qu'il en va de même pour l'aluminium. Tout cela est vrai. Mais pourquoi personne ne parle-t-il de l'étonnant accroissement du rendement à l'hectare en agriculture ? Dans les cinq années qui s'écoulèrent entre 1939 et 1943, les États-Unis produisaient une moyenne de 260 livres de coton à l'arpent, contre une production moyenne de 188 livres pour la période de 5 ans correspondant aux années 1909 à 1913.

[Il serait à la fois difficile et discutable d'essayer de mettre à jour ces deux comparaisons particulières en prenant en compte non seulement la forte inflation (les prix à la consommation ayant plus que triplé) entre 1946 et 1978, mais aussi les différences qualitatives des automobiles de ces deux dates. Toutefois, cette difficulté ne fait que souligner le caractère impraticable de la proposition.

Après avoir fait, dans l'édition de 1946, la comparaison citée plus haut, j'indiquais que le même type d'accroissement de la productivité avait également en partie conduit à la baisse des prix des produits agricoles. « Dans les cinq années de 1955 à 1959, une moyenne de 428 livres de coton était cultivée aux États-Unis par arpent (1 arpent = 1 acre =1 demi-hectare environ), à comparer avec la moyenne de 260 livres des cinq années entre 1939 et 1943 et de la moyenne de seulement 188 livres pour la période de « base » des cinq années entre 1909 et 1913 ». Lorsqu'on met à jour ces comparaisons, elles montrent que l'accroissement de la productivité agricole a continué, bien qu'à un rythme plus lent. Dans les cinq années entre 1968 et 1972, on cultivait une moyenne de 467 livres de coton par arpent. De même, dans les cinq années entre 1968 et 1972, on obtenait une moyenne de 84 boisseaux de maïs par acre, contre une moyenne de seulement 26,1 boisseaux de 1935 à 1939, et une moyenne de 31,3 boisseaux de blé par acre, contre une moyenne de seulement 13,2 lors de la période précédente. (Édition de 1979, traduit par Hervé de Quengo)]

Les prix de revient des denrées agricoles subirent aussi une diminution appréciable du fait d'un meilleur emploi des engrais chimiques, d'une meilleure sélection des semences et d'une plus grande mécanisation grâce à l'emploi du tracteur automobile, de la machine à égrener le maïs, et de la machine à cueillir le coton ; « dans certaines grandes fermes complètement mécanisées et gérées selon les méthodes du travail en série, la main-d'œuvre nécessaire pour produire autant qu'il y a quelques années se trouve réduite d'un tiers ou d'un cinquième » (New York Times, 2 janvier 1946 [Bien entendu, les plans de restriction ont eux-mêmes aidé à améliorer le rendement agricole par unité de surface cultivée — premièrement parce que les surfaces que les fermiers cessèrent de cultiver étaient naturellement les moins productives ; et, deuxièmement, parce que les prix élevés soutenus rendaient rentable une augmentation de la dose de fertilisants par hectare. Ainsi, le plan gouvernemental de restriction avait un effet contraire à celui recherché. (traduit par Hervé de Quengo)]). Et pourtant aucun apôtre de la « parité » ne mentionne ces faits.

Ce refus d'étendre le principe de la « parité » à toute l'économie du pays n'est pas la seule preuve que ce plan ne s'inspire pas de l'intérêt général mais n'est qu'un moyen mis au service d'intérêts privés. Il en existe une autre preuve dans le fait que lorsque les prix agricoles dépassent naturellement le prix « paritaire », ou lorsque la tactique gouvernementale les y porte, il ne se trouve personne parmi le « groupe paysan » du Congrès, pour exiger que ces prix soient ramenés à la parité, ou pour qu'ils soient grevés d'une pénalité compensatrice. Le système de la parité est à sens unique, telle est la règle.

2

Sans nous embarrasser davantage de ces considérations, revenons-en à l'erreur centrale qui fait l'objet de notre étude, à savoir cet argument que si le fermier tire de plus grands bénéfices de ses produits, il peut acheter plus de denrées industrielles et faire ainsi prospérer l'industrie et conduire au plein emploi. Bien entendu cet argument ne se soucie pas de savoir si oui ou non, le fermier reçoit, pour ses produits, exactement les prétendus prix « paritaires ».

Et pourtant tout dépend de la façon dont ces prix plus élevés sont obtenus ; s'ils résultent d'un accroissement de la prospérité générale, d'un accroissement de la production industrielle et de l'accroissement du pouvoir d'achat des ouvriers des villes (mais qui ne résulte pas de l'inflation), alors, et alors seulement, ces hauts prix agricoles sont l'indice d'un accroissement réel de prospérité, non seulement pour les fermiers mais pour l'ensemble de la nation. Mais ce que nous discutons ici, c'est l'accroissement des bénéfices agricoles résultant d'une intervention gouvernementale. Celle-ci peut prendre différentes formes. L'accroissement des prix agricoles peut être l'effet d'un simple décret — c'est la méthode la moins efficace. Elle peut résulter du fait que le Gouvernement se montre prêt à acheter au prix « paritaire » toutes les denrées agricoles qu'on lui offre. Elle peut résulter de prêts consentis aux fermiers par le Gouvernement pour leur permettre de ne pas jeter leurs produits sur le marché tant que les prix « paritaires », ou des prix supérieurs à la parité, ne seront pas atteints. Elle peut s'obtenir en obligeant les fermiers à « limiter » leurs récoltes. En fait, cet accroissement artificiel des bénéfices agricoles s'obtient généralement par une combinaison de ces diverses méthodes. Nous nous contenterons de supposer pour l'instant que, quel qu'ait été le procédé employé, cet accroissement est devenu un fait. Qu'en résulte-t-il ? Les fermiers reçoivent une plus grande rémunération pour leurs récoltes. Leur « pouvoir d'achat » s'accroît d'autant. Ils sont, pour l'instant, plus à l'aise et ils achètent plus de produits industriels. C'est là tout ce qu'aperçoivent ceux qui ne regardent que les conséquences immédiates des mesures économiques, et ne voient que les groupes sociaux qu'elles concernent directement.

Mais il est une autre conséquence, et non moins inévitable. Supposons que le blé qui, sans cela, se vendrait un dollar le boisseau soit amené par cette tactique à valoir un dollar et demi. Le fermier reçoit un demi-dollar de plus par boisseau. Mais grâce précisément à ce nouvel état de choses, l'ouvrier des villes, lui, va payer sous forme d'une augmentation du prix du pain, ce dollar et demi par boisseau de blé. Et la même chose se répète pour tous les autres produits agricoles. Si le fermier a un demi-dollar de pouvoir d'achat supplémentaire pour se procurer des produits industriels, l'ouvrier des villes a précisément la même somme en moins pour acheter ces mêmes produits. Comme bénéfice net, l'ensemble de l'économie n'y a rien gagné. Elle perd dans les villes exactement ce qu'elle gagne dans les campagnes.

Ce système entraîne, naturellement, certains changements dans la répartition des ventes de produits industriels. Les marchands de machines agricoles et les maisons de vente au catalogue par colis postaux font de meilleures affaires, mais le grand magasin dans les villes voit ses ventes diminuer.

Les choses cependant ne s'arrêtent pas là. Cette politique se solde, non par un gain net, mais par une perte sèche. Elle ne comporte pas seulement un transfert de pouvoir d'achat du consommateur des villes ou du contribuable en général, ou des deux, au fermier. Elle implique en même temps une diminution arbitraire de la production des denrées agricoles, afin de faire monter les prix. Cela revient à une diminution de la richesse publique, car il en résulte finalement qu'il y a moins de produits alimentaires à consommer. La façon dont s'obtient cette destruction de la richesse publique dépend de la méthode spécifique employée pour faire monter les prix. Elle peut signifier une destruction systématique des denrées produites — comme lorsque le Brésil brûle son café. Elle peut signifier une réduction obligatoire des surfaces ensemencées, comme dans le cas du Plan A.A.A. (Agricultural Administration Acreage) américain. Nous examinerons les effets de quelques-unes de ces méthodes lorsque nous en viendrons à une discussion générale du contrôle des prix par le Gouvernement.

Toutefois, nous pouvons déjà indiquer que lorsque le fermier réduit sa production de blé pour obtenir un prix « paritaire », il obtient évidemment une somme plus élevée pour chaque boisseau de blé vendu, mais il vend moins de boisseaux. Il en résulte que ses revenus ne s'accroissent pas en proportion des prix. Il arrive même que certains partisans de la parité des prix s'arment de ce fait pour réclamer, en faveur du fermier, « la parité des revenus ». Mais celle-ci ne peut exister que si on lui verse des subventions aux dépens de l'ensemble des contribuables. En d'autres termes, on propose d'aider les fermiers, et de réduire encore davantage le pouvoir d'achat des ouvriers des villes et des autres groupes de consommateurs.

3

Avant d'abandonner la question de la « parité », il nous reste un dernier argument à examiner — un argument mis en avant par quelques-uns des partisans les plus habiles du système.

« Évidemment, concèdent-ils volontiers, les arguments économiques en faveur de la parité des prix ne tiennent pas. Ces prix paritaires constituent un privilège, c'est une taxe de plus imposée au consommateur. Mais, par ailleurs, les tarifs douaniers n'en constituent-ils pas une pour le fermier ? N'a-t-il pas à payer les produits industriels plus cher à cause de ces tarifs ? Il ne servirait à rien de mettre un droit de douane supplémentaire sur l'entrée des produits agricoles étrangers, puisque l'Amérique a, ici, un surplus net d'exportation. Le système de la parité des prix agricoles est pour le fermier l'équivalent de ce tarif protecteur — c'est la seule manière de rétablir l'équilibre. »

Les fermiers qui réclamèrent la parité avaient une raison légitime de se plaindre. Les tarifs douaniers leurs étaient plus préjudiciables encore qu'ils ne pensaient. En réduisant l'importation de produits industriels, ils réduisaient du même coup l'exportation des produits agricoles américains, car ces tarifs mettaient les pays étrangers dans l'impossibilité de se procurer les dollars nécessaires pour acheter les produits de notre agriculture. D'autre part, cela provoquait, par représailles, l'établissement à l'étranger d'un nouveau barrage de tarifs protecteurs. Quoi qu'il en soit, l'argument que nous venons d'exposer ne soutient pas l'examen. Il est erroné même dans l'énoncé des faits qu'il implique. Il n'existe pas de tarif « général » applicable à tous les produits « industriels » ou à tous les produits qui ne sont pas spécifiquement agricoles. Il y a des douzaines d'industries internes ou d'industries d'exportation que ne protège aucun tarif douanier. Si l'ouvrier des villes doit payer ses pardessus et ses couvertures un prix plus élevé du fait de l'existence d'un tarif douanier protecteur, reçoit-il vraiment une « compensation » si on l'oblige à payer également plus cher ses aliments et ses cotonnades ? N'est-ce pas plutôt qu'on le vole deux fois ?

Supposons qu'on égalise toutes choses une bonne fois, en accordant une « protection » égale à tout le monde. Mais c'est à la fois insoluble et impossible. Mais même à supposer que le problème puisse être techniquement résolu — on accordera un tarif protecteur à A, industriel dont les produits sont concurrencés par l'étranger, une subvention à B, industriel qui exporte ses produits — il serait impossible de protéger ou de subventionner tout le monde « équitablement » ou également. Il faudrait donner à tout le monde le même pourcentage (dirons-nous le même nombre de dollars ?) et nul ne serait jamais sûr de ne pas subventionner deux fois le même groupe ou de n'oublier personne.

Mais encore, supposons résolu ce problème fantastique. Quel en serait l'intérêt ? Qui peut trouver son bénéfice lorsque tout le monde subventionne également tout le monde ? Où est le profit, lorsque tout le monde perd en accroissement d'impôts précisément ce que les subventions ou les tarifs protecteurs lui font gagner ? Nous n'aurions fait qu'imposer la création d'une armée de bureaucrates inutiles, tous perdus pour la production, mais indispensables pour assurer l'application de ce beau programme.

D'autre part, nous pourrions résoudre le problème tout simplement en supprimant à la fois la parité des prix et les tarifs douaniers protecteurs. Ces systèmes n'égalisent rien ; ils signifient simplement que le fermier X et l'industriel Y encaissent l'un et l'autre un profit aux dépens du contribuable, que tout le monde oublie.

C'est ainsi qu'une fois de plus les bénéfices supposés d'une nouvelle mesure d'intervention économique s'envolent en fumée dès qu'on s'efforce d'en analyser, non plus les effets immédiats pour tel ou tel groupe, mais les résultats à longue échéance pour l'ensemble du pays.


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