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Henry Hazlitt:L'Économie politique en une leçon - Introduction


Anonyme
Charles Rist


Préface à l'édition française, par Charles Rist

Ce livre est l'analyse des illusions économiques aujourd'hui si influentes qu'elles sont presque devenues une nouvelle orthodoxie. Si elles n'y ont point entièrement réussi, c'est à cause de leurs contradictions internes qui ont pour effet de diviser ceux qui en acceptaient les prémisses en une centaine d'écoles différentes ; dans les questions qui touchent à la vie pratique, il est impossible de se tromper tout le temps.

Mais la différence entre l'une ou l'autre de ces écoles nouvelles est tout simplement que la première s'aperçoit un peu plus tôt que la seconde des conclusions absurdes ou leur faux point de départ les a conduites ; à ce stade final de leur raisonnement, elles se trouvent alors en contradiction avec elles-mêmes, soit qu'elles répugnent à renoncer à leurs principes erronés, soit qu'elles en tirent des conclusions moins troublantes ou moins étranges que ne l'exigerait la simple logique.

Pourtant, à l'heure actuelle, il n'est pas un gouvernement de quelque importances dont la politique économique ne soit influencée — si ce n'est même entièrement déterminée — par l'une quelconque de ces idées fausses. Le chemin le plus court et le plus sûr pour comprendre sainement les problèmes économiques est peut-être de procéder à une analyse de ces erreurs, et surtout à l'analyse de celle qui est à la racine de toutes les autres. Tel est le but de cet ouvrage et le sens de son titre aussi ambitieux que combatif.

Ce livre sera donc avant tout un exposé. Il ne se fait gloire d'aucune originalité pour aucune des idées essentielles qu'il développe. Son effort est plutôt de démontrer que beaucoup des thèses qui paraissent brillantes et neuves, ou en avance sur leur temps, sont en réalité de vieilles banalités, habillées au goût du jour, ce qui confirme une fois de plus la vérité de cet antique proverbe : « Ceux qui sont ignorants du passé se condamnent par là même à le réinventer. »

On peut qualifier cet essai, l'avouerai-je sans rougir, de classique, ou de vieux jeu, ou encore d'orthodoxe, du moins est-ce ainsi que le baptiseront ceux dont on analyse ici les sophismes, et sans nul doute essaieront-ils de l'étouffer. Mais l'étudiant qui recherche la vérité ne se laissera pas impressionner par de tels qualificatifs s'il n'a pas l'obsession de découvrir à tout prix un équivalent de la bombe atomique en économie politique. Son esprit, évidemment, sera ouvert aux idées neuves comme aux plus anciennes, mais il ne lui déplaira certainement pas de pouvoir renoncer à l'effort harassant ou charlatanesque de vouloir trouver, coûte que coûte, du neuf ou de l'original. Comme l'a remarqué Morris R. Cohen « ceux qui prennent l'habitude de rejeter les thèses des penseurs qui les ont précédés ne peuvent espérer voir leurs disciples attacher quelque valeur à leurs propres travaux [1] »;.

Et c'est parce que ce livre est surtout un travail d'exposition que, très librement et sans le souligner, sauf par de rares notes en bas de page ou par quelques citations, je me suis permis de puiser aux idées des autres. Il ne peut en être autrement lorsqu'on parcourt un domaine que tant de penseurs, et non des moindres, ont exploré avant soi. Mais ma dette envers au moins trois d'entre eux est si nette que je ne puis me permettre de la passer sous silence. La plus importante concerne le plan d'exposition de ce travail dans lequel s'insère tout mon développement. Je l'ai emprunté à l'essai de Bastiat intitulé Ce qu'on voit et ce qu'on ne voit pas, qui date déjà de près d'un siècle. On peut dire que mon livre en est la présentation moderne et qu'il est le développement et la généralisation d'une vérité déjà en puissance dans l'ouvrage de Bastiat. En second lieu, je dois beaucoup à Ph. Wicksteed, surtout en ce qui concerne les chapitres consacrés ici au salaire, et celui de la synthèse finale, qui s'inspirent beaucoup de son livre le Bon sens en Économie Politique. Enfin, c'est à Ludwig Von Mises que j'ai fait mon troisième emprunt. Sans parler de ce que ce traité élémentaire doit en vérité à tous ses écrits dans leur ensemble, c'est à son exposé du processus de l'inflation monétaire que je dois le plus.

Quand je procède à l'analyse des idées fausses, j'estime qu'il est moins utile de citer des noms que de leur faire crédit, car, pour ce faire, il eût fallu rendre justice à chaque auteur critiqué en faisant de lui des citations exactes, en tenant compte de l'accent avec lequel il précise ou souligne tel ou tel point, en notant les atténuations qu'il apporte à sa thèse ou la justification de ses propres hésitations, contradictions et ainsi de suite. C'est pourquoi j'espère que personne ne sera trop déçu par l'absence en ces pages de noms tels que ceux de Karl Marx, Thornstein Veblen, Major Douglas, Lord Keynes, le professeur Alvin Hansen et autres. L'objet de ce livre en effet n'est pas d'exposer les raisonnements erronés propres à certains auteurs, mais ceux que l'on commet dans le public en matière d'économie politique en ce qu'ils ont de plus fréquent, de plus répandu et de plus grave. Les sophismes d'ailleurs, lorsqu'ils atteignent la couche populaire de l'opinion deviennent en quelque sorte anonymes. Les raisonnements subtils ou obscurs qu'on pourrait retrouver chez les auteurs responsables de leur propagation sont en quelque manière résorbés, car une doctrine se simplifie à l'usage. Le raisonnement fallacieux qui a pu être masqué par les mailles de l'atténuation, des ambiguïtés ou des équations mathématiques apparaît alors très clairement.

J'espère donc qu'on ne me fera pas le grief d'être injuste sous prétexte que la forme sous laquelle j'aurai présenté une doctrine en vogue n'est pas tout à fait celle que Lord Keynes ou tout autre auteur lui a donnée. Ce sont les doctrines auxquelles croient les groupes politiques et celles sur quoi se fonde l'action du Gouvernement qui nous intéressent ici, et non pas leurs origines et leurs développements historiques.

Enfin je veux espérer qu'on me pardonnera de ne faire que de rares appels aux statistiques dans le cours de ce livre. Si j'avais voulu les utiliser pour essayer de renforcer ma thèse en ce qui concerne par exemple les effets des droits de douane, la fixation des prix, l'inflation et le contrôle économique sur les matières premières telles que le charbon, le caoutchouc, le coton, ce livre aurait pris des dimensions beaucoup plus grandes que celles que je m'étais fixées. Au surplus, en tant que journaliste, je suis particulièrement averti de l'intérêt éphémère des statistiques et je sais comment elles sont rapidement dépassées par les événements. Nous conseillons donc à ceux qu'intéressent les problèmes spécifiquement économiques de lire les discussions d'ordre pratique faites au jour le jour de la documentation statistique ; ils verront qu'il n'est pas difficile d'interpréter celle-ci correctement à la lumière des principes de base qu'ils auront appris.

Je me suis efforcé d'écrire ce livre d'une manière aussi simple et aussi dégagée de toute technique qu'il se peut, sans nuire à l'exactitude, de façon qu'il soit lisible même pour un lecteur dépourvu de toute culture économique.

Tandis que je composais, trois de ses chapitres ont paru en articles séparés, aussi ai-je le désir de remercier le New York Times, The American Scholar et The New Leader de m'avoir autorisé à les reproduire ici. Je remercie le Professeur Von Mises d'avoir bien voulu lire le manuscrit et m'aider de ses suggestions. Mais il va de soi que je suis seul responsable des idées exprimées tout au long de ces pages.

Notes

  1. Morris R. Cohen, Reason and Nature, 1931, p. X.
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