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Benoît Malbranque:Introduction à la méthodologie économique - Science et recommandations


Anonyme


Chapitre 6 : Science et recommandations

Ainsi que les chapitres précédents l’ont montré, les manuels contemporains d’économie sont remplis d’éléments qui, pour des raisons diverses, paraissent bien ne pas y avoir leur place. Ce dernier chapitre n’apportera pas de conclusion différente, mais permettra d’étendre cette observation à un nouveau domaine.

Quelle que soit la démarche que l’on décide d’adopter pour l’étude des faits économiques, il convient de fixer clairement la limite que notre raisonnement ne doit pas nous pousser à franchir. Il est tout à fait légitime pour un économiste de s’interroger sur le phénomène de la valeur, sur la formation des prix et sur leur évolution en relation avec d’autres facteurs, ou sur les revenus que telles ou telles catégories de personnes tirent de leur travail ou de l’emploi de leurs capitaux ; mais il est inutile et profondément nuisible que ces recherches se poursuivent sur le terrain de l’éthique ou de l’appréciation morale, i.e. que l’économiste se demande si tel prix est « juste », si tel niveau de salaire est « juste », ou si telle rémunération du capital est « juste ». C’est ce que rappellera bien Ballve : « S’il y a bien quelque chose qui, au-dessus de tout, n’a rien à voir avec la science économique, c’est la question de la « distribution équitable » des richesses, ou ce que nous appelons aujourd’hui, dans une phrase aussi séduisante que vide de sens, la « justice sociale ». La justice et la conduite des affaires économiques sont des questions entièrement distinctes. Elles ne sont ni liées ni opposées, elles sont simplement différentes l’une de l’autre. » [1]

Cela étant dit, il faut tout de même considérer de manière approfondie la question des conclusions pratiques que l’économiste peut tirer de ses analyses. Après tout, personne ne prendrait la peine d’analyser l’économie si nous étions incapables d’en faire découler des recommandations pratiques. La question, considérée de ce point de vue, devient celle-ci : la démarche de l’économiste consiste-t-elle (ou doit-elle consister) à participer à l’amélioration de la connaissance pure que nous avons des phénomènes économiques, ou doit-elle se poursuivre dans l’évaluation des différentes organisations ou systèmes économiques auquel le monde a donné naissance ? En somme : dans quelle mesure la description scientifique de l’économie peut-elle s’accompagner de recommandations pratiques ? C’est à cette interrogation que nous tacherons de répondre ici.

Les différents économistes ayant traité de la méthodologie économique ont toujours insisté de manière particulièrement forte sur la distinction à opérer entre l’étude de ce qui est et les propositions quant à ce qui devrait être. Les méthodologistes « classiques » furent les premiers à véritablement adresser ce problème d’un point de vue méthodologique. Leur réponse fut de distinguer deux corps de recherche en économie, d’un côté l’économie pure et positive, et de l’autre l’ « art » normatif de l’économie.

Nassau Senior en parlait déjà, et dans des termes très clairs. Ainsi qu’il l’écrivait dans l’une de ses œuvres, « le rôle de l’Economie Politique n’est ni de recommander ni de dissuader, mais de poser les principes généraux. » [2] Bien entendu, cela signifiait rejeter toute les questions éthiques comme étant extérieures à cette science. Des moralistes et des philosophes pouvaient bien s’indigner que des intellectuels s’intéressent à des sujets aussi « matérialistes » et « bas » que la richesse et les relations commerciales, mais tel était, tel devait être le sujet de la science économique. « En tant qu’économiste, clarifiera Senior, ce n’est pas le Bonheur mais la richesse que j’étudie ; et je n’ai pas seulement le droit, mais l’obligation d’omettre toutes les considérations qui n’ont pas d’influence sur la richesse. » [3]

Cette typologie, inspirée de Senior, fut approfondie par ses successeurs, et notamment par Mill, pour qui « la science est une collection de vérités ; l’art, un ensemble de règles. […] Par conséquent, si l’Economie Politique doit être une science, elle ne peut être une collection de règles pratiques ; pour autant, à moins de n’être qu’une science inutile, des règles pratiques doivent pouvoir être fondées sur elle. » [4] Chez Cairnes, la distinction entre économie positive et économie normative était plus tranchée, signe de son « extrémisme » ou de son « dogmatisme » dont ont parlé certains commentateurs. A une époque où l’économie ricardienne était vilipendée partout en Europe pour son soutien inconditionnel au libre-échange, il insista sur le fait que sa science n’a pas pour objet de défendre tel ou tel système particulier. Ainsi qu’il l’expliquera clairement dans son ouvrage sur la méthodologie économique, « l’économie politique ne signifie pas plus le laissez-faire que le communisme, pas plus la liberté contractuelle que le gouvernement paternaliste. Elle se tient en dehors de tous les systèmes particuliers et, au-delà, reste absolument neutre face à chacun d’eux. » [5]

Cela aurait pu constituer une manière fort étrange de considérer le travail de l’économiste, si Cairnes n’avait pas poursuivi en écrivant que « cela ne signifie pas que la connaissance qu’elle fournit ne puisse pas être employée pour en recommander un et discréditer les autres. Cela est inévitable, et ce n’est que l’utilisation juste et légitime de la connaissance économique. Mais cela étant, la science est neutre vis-à-vis des systèmes sociaux. Elle ne prononce aucun jugement sur la valeur ou le caractère désirable des fins que ces systèmes ont en vue. Elle nous dit quels effets ils produiront quant à telle ou telle classe de phénomènes, et contribue ainsi à nous fournir des données permettant la formation d’une opinion saine à leur égard. Mais sa fonction s’arrête là. » [6] C’était la position également adoptée par Senior, Mill, et les autres. [7]

Même dans l’histoire de la pensée économique, cette séparation fut également classique. On ne peut pas dire que tous ceux qui s’appelaient économistes à cette époque-là prirent le soin de séparer économie pure et jugements éthiques, mais cette dichotomie était dans l’air. Au début du XIXe siècle, il était en effet assez rare qu’un économiste écrive un livre traitant distinctement d’un de ces deux aspects. Pour autant, leur juxtaposition se faisait parfois avec intelligence. En témoigne Robert Torrens, économiste anglais auteur d’un Essay on the Production of Wealth (1821), un traité d’économie pure vidé de jugement moral ou de considération pratique. Comme il était intéressant de considérer les modalités d’application de ces théories aux faits économiques réels de l’Angleterre de l’époque, le colonel Torrens ajouta à son ouvrage « une appendice dans laquelle les principes de l’économie politique sont appliqués aux circonstances actuelles de ce pays ». [8] Suivant le conseil des méthodologistes, les deux problématiques étaient clairement et nettement séparées.

Si nous avançons à travers le dix-neuvième siècle, nous retrouvons l’application croissante de cette distinction dans les œuvres des économistes. Au milieu du siècle, il n’était pas surprenant pour un économiste de dire que « l'étude de la richesse considérée en elle-même et pour elle-même est le seul objet qui constitue la véritable science. » [9]

Cette distinction ne fut pas remise en cause par les défenseurs du positivisme et de l’introduction des mathématiques en économie, loin s’en faut. Trop intéressés à la promotion d’une science pure à l’image de la chimie, ils étaient trop heureux de poursuivre un argumentaire qui servait si bien leur cause. Léon Walras insista par exemple sur l’aspect scientifique de l’économie en parlant d’une « économie politique pure », qu’il opposait à « l’économie politique appliquée ». [10] Selon ses propres mots, son « système de théorie économique pure » représentait une « exposition du mécanisme de libre concurrence d’un point de vue purement objectif. » [11] Il affirmait analyser la concurrence comme certains analysent les réactions du sodium ou le mouvement des planètes — d’où l’emploi de moyens communs. Pour lui, l’analyse de la libre concurrence n’était en aucun cas motivée par un désir de la défendre. « Mon modèle ne conclut rien en faveur ou contre ce régime, et je pense qu’il est nécessaire de détacher complètement la théorie des considérations éthiques. » [12]

Pour Walras, non seulement ce n’était pas pertinent de mélanger les deux, mais surtout, l’étude de l’économie pure était un but suffisamment noble pour constituer un sujet à part entière. L’économie « pure » n’avait pas besoin de produire des recommandations pratiques ; sa justification était dans sa capacité à comprendre et à théoriser. « Il n’y a que les gens stupides qui ont besoin de résultats pour comprendre la signification de la science pure. Tout scientifique digne de ce nom a vu la beauté du système de Newton avant de se demander s’il pourrait aider les navires sur la mer. » [13]

Au tournant du siècle, cette position si difficile à tenir étant données les passions idéologiques qui animent naturellement les économistes, reçut l’aval d’une autorité aussi respectée que Max Weber, quand celui-ci défendit ce qu’il appela la Wertfreiheit, c’est-à-dire la possibilité d’une théorie libérée de tout jugement de valeur. Le camp du dualisme entre économie positive et économie normative venait de recevoir l’arsenal qui lui permettrait de remporter aisément le combat.

Insistons bien sur le fait que cette séparation n’était pas un avis négatif porté sur les visées pratiques en tant que telles. Comme le remarquera plus tard Keynes, la recherche économique n’est pas une fin en soi, mais existe pour être appliquée à la réalité économique, i.e. pour permettre à des recommandations d’être émises. La seule question à considérer, rappelle-t-il, concerne l’étanchéité entre les deux catégories : si oui ou non la recherche des principes économiques doit être menée indépendamment et en premier lieu. Et Keynes de répondre que oui. « Notre travail sera fait plus satisfaisant, nos conclusions tant théoriques que pratiques seront plus dignes de confiance, si nous nous contentons de faire une chose à la fois. Tenter de fusionner les recherches sur ce qui est et sur ce qui doit être a toutes les chances de nous empêcher d’apporter des réponses claires et objectives tant à l’une qu’à l’autre série de questions. » [14] Ainsi, bien que la distinction soit moins marquée chez Keynes que chez les autres, la théorie économique doit rester positive, pure, et explicative. La mise en application et l’émission de recommandations doivent l’en être détachées.

L’économiste suédois Knut Wicksell proposa une typologie un peu plus fine, composée de trois niveaux. Il y avait 1- l’économie théorique pure et générale ; 2- l’économie appliquée à la situation économique concrète ; et 3- l’économie « sociale » faite de jugements éthiques sur la meilleure organisation sociale. [15]

Chez certains récents méthodologistes, cette distinction est fondamentale et son non respect est la cause des plus grands travers de la science économique. Ainsi expliquent-ils consciencieusement, à l’image de Murray Rothbard, que la science économique au sens strict du terme doit être entièrement débarrassée des jugements moraux ou éthiques qui ne peuvent qu’entraver son développement ou bloquer sa production. Pour Rothbard, cela doit être un engagement radical : ainsi qu’il l’écrit, « même les développements les plus banals de jugements éthiques sont complètement illégitimes. » [16]

Aussi évidente qu’elle puisse paraître aujourd’hui, et aussi vive qu’ait pu être sa défense par les méthodologistes « classiques », cette distinction ne fut pas toujours aussi universellement défendue.

Même chez les économistes Classiques, elle était parfois mal précisée. Par exemple, lorsqu’ils définissaient la science de l’économie politique comme étant relative aux questions de production, de distribution et de consommation des richesses, ils ne semblaient pas comprendre en quoi ce découpage fictif pouvait les emmener en dehors de la sphère de leur science. Trompeuse, cette séparation ne mène nulle part. Elle pousse à rassembler des jugements positifs (production, consommation) et des jugements normatifs (distribution).

Que l’étude de la « distribution des richesses » relève de l’économie normative est bien prouvé par les travaux de ceux qui se sont consacrés uniquement à cette question. Citons par exemple An Inquiry into The Principles of the Distribution of Wealth most conductive to Human Hapiness, par W. Thompson, un socialiste ricardien, précurseur de Marx. Son premier chapitre annonçait bien la couleur : « Investigations sur les principes naturels, les règles ou lois, sur lesquels la juste distribution des richesses doit [ought] être fondée » On y apprenait que la richesse devrait [should] être distribuée selon le principe d’égalité et qu’il faudrait instaurer la coopération mutuelle et le partage des richesses. [17]

A l’occasion de la Methodenstreit, ce vaste débat méthodologique que nous avons largement commenté dans un précédent chapitre, cette séparation fut âprement remise en cause. Dans leur rejet de l’idéologie libérale « anglaise », les économistes allemands de l’époque s’opposèrent aux écrits des économistes anglais en supposant que la première allait avec les seconds comme la sève va avec les arbres : ils imaginèrent que cette idéologie était leur produit naturel. Leur opposition au libre-échange prit donc des aspects qui poussèrent ces économistes à manquer fatalement leur cible. Leur insuccès à démontrer la fausseté de la théorie de l’avantage comparatif développée par Ricardo, Torrens, et Mill, les força, entre autres causes, à refuser la validité de toute loi économique et à s’en remettre à des « lois historiques » et à des « étapes historiques du développement économique », ainsi que nous l’avons vu.

Mais leur opposition passait à coté de son objectif. L’école anglaise d’économie, pour autant qu’un tel regroupement ait eu un jour une existence véritable, n’avait pas pour fonction la défense du libéralisme et ses théories n’étaient pas des instruments taillés dans ce but. La théorie de Ricardo ne dit pas qu’il est souhaitable qu’une nation introduise le libre-échange absolu, ni que le protectionnisme est nécessairement un mal. En tant qu’observateur et analyste de l’économie, Ricardo n’était pas intéressé par les questions extra-économiques et son analyse ne dépasse pas le cadre de l’économie. S’il démontre bien que le libre-échange accroit la quantité de biens disponibles et que le protectionnisme n’est pas un moyen pour atteindre cette fin, il ne dit rien des autres fins qui pourraient vouloir être atteintes par un gouvernement, et ne se demande pas si le protectionnisme pourrait permettre de les atteindre. La mainmise sur la production de denrées d’une nécessité critique peut bien être un objectif souhaitable et le protectionnisme être un moyen pour l’atteindre, mais l’économiste n’a pas à se prononcer sur la désirabilité de cette mainmise et cette question sort du cadre de sa discipline.

Lorsque l’économiste étudie des politiques économiques, il n’a pas à se prononcer sur les intentions morales de celles-ci. Il n’est pas de son ressort de philosopher quant au fait de savoir si telle mesure économique ou telle organisation de la société répond davantage aux canons de la justice que telle autre mesure ou que telle autre organisation. Il n’est pas question de critiquer l’économiste qui voudrait étudier la philosophie ou la morale, ni celui qui avouerait avoir des vues très claires sur ces questions. Mais le travail d’économiste ne consiste pas à émettre des jugements de cette nature.

La position de l’économiste est assurément fort peu confortable. Pour tout défenseur du socialisme ou du communisme, la critique économique est insupportable. Il est difficile de comprendre qu’une réfutation théorique n’implique pas de jugement moral. Il est certain que les économistes qui prennent la peine de réfuter le socialisme en partagent rarement l’idéal. Ce n’est pourtant pas une raison de considérer que les deux soient liées, ni qu’ils doivent l’être.

Non seulement l’économiste peut et doit considérer les mesures économiques hors de tout jugement moral, mais c’est bien ainsi que procède le scientifique. Ainsi que le commentera Ludwig von Mises de manière très claire, « les politiques économiques ont pour objet de parvenir à des fins précises. En les étudiant l'économie ne remet pas en cause la valeur associée à ces fins par l'acteur. Elle se contente de faire porter ses recherches sur deux points : Premièrement, savoir si les politiques en question sont ou ne sont pas adaptées à la réalisation des fins que veulent atteindre ceux qui les recommandent et les appliquent. Deuxièmement, savoir si ces politiques ne produisent pas peut-être des effets qui, du point de vue de ceux qui les recommandent et les appliquent, sont indésirables. » [18]

Pour autant, le lien entre économie pure et pratique politique est inévitable. Il est inutile de s’attendre à ce que les hommes politiques produisent leur propre science et qu’ils s’abstiennent de solliciter les économistes professionnels. Les hommes politiques auront toujours besoin d’économistes. Comme le disait déjà Wicksteed, « les réformateurs sociaux ne seront jamais des économistes, et ils travailleront toujours avec la théorie économique de quelqu’un d’autre. » [19] L’un des problèmes est que les économistes ne font pas que répondre à la demande des hommes politiques. Ils viennent aussi les solliciter et les guider, pour tenter d’influencer les mesures dans un sens qu’ils considèrent être le plus souhaitable. Nous ne pouvons pas dire qu’ils aient entièrement tort, mais au moins doivent-ils veiller à ce que cette activité n’ait pas d’influence sur leur production théorique.

Ce conseil sur la séparation entre morale et science économique ne signifie pas que l’économiste ait raison de négliger l’étude de l’aspect moral ni d’avoir un ferme avis sur les questions qui s’y rapportent. Dire que l’économiste doit négliger toute idée philosophique en étudiant l’économie n’implique donc en aucun cas le rejet de la philosophie en tant que substance utile.

Il est d’ailleurs assez inutile de prouver que les économistes peuvent s’enrichir grandement par l’étude de la philosophie ou par la prise en compte des idées philosophiques, tant sont nombreux les noms de ceux qui le firent avec génie. La pensée économique naquit à l’époque de la Grèce antique, et non seulement elle fut le fruit de philosophes, mais elle était également considérée comme une branche de la philosophie morale. Jusqu’à une époque plus récente, elle fut améliorée par des penseurs aussi ouverts sur la philosophie que Saint Thomas d’Aquin et William Petty.

Avant le dix-neuvième siècle, il n’est aucun exemple de penseur qui fut uniquement un économiste. Adam Smith en est sans doute le meilleur exemple, lui qui enseigna la philosophie morale, publia une Théorie des Sentiments Moraux dans la lignée des philosophes écossais des Lumières, et écrivit même un brillant ouvrage sur le développement de l’astronomie. William Petty, Condillac, Destutt de Tracy, John Stuart Mill, Karl Marx : tels sont d’autres économistes chez qui la réflexion philosophique était profonde.

Chacun d’eux publia des œuvres philosophiques dans lesquelles les considérations éthiques étaient placées au premier plan. Et pourtant, même Karl Marx fut l’auteur d’ouvrages d’économie pure entièrement dénués de tout appareil éthique. Si l’intention était bien sûr faite de ces considérations morales, l’analyse n’était pas conduite à partir d’elles ni même à côté d’elles.

De la même façon, des exposés d’ « économie pratique » peuvent bien être conduits sans égard pour les considérations éthiques des questions traitées. Au XIXe siècle nous trouvons de tels exemples dans les brillants Traité théorique et pratique d’économie politique de Courcelles-Seneuil (1838), et de Leroy-Beaulieu (1896). Plus récemment, Thomas Sowell a fait paraître un brillant ouvrage intitulé Applied Economics, qui a l’avantage de ne pas trop sombrer dans le normatif et se contente d’appliquer, comme son titre l’indique, l’économie pure à quelques questions contemporaines. [20] De tels exemples prouvent que non seulement il est souhaitable de retirer le manteau d’éthique qu’on a trop longtemps laissé sur les épaules de la science économique, mais qu’il est, dans les faits, possible de le faire.

NOTES

  1. Faustino Ballvé, Essentials of Economics. A brief Survey of Principles and Policies, D. Van Nostrand 1963, P.98
  2. William Nassau Senior, An Outline of the Science of Political Economy (1836), A. M. Kelley, 1965, p.3
  3. Nassau Senior, cité dans W. Thompson, An Inquiry into The Principles of the Distribution of Wealth most conductive to Human Hapiness, T.R. Edmonds, 1824, p. VII
  4. John Stuart Mill, cité dans P. Deane, The Evolution of Economic Ideas, Cambridge University Press, 1978, p.88
  5. John E. Cairnes, The Character and Logical Method of Political Economy, Batoche Books, 2001, p.19
  6. Ibid.
  7. Voir notamment John Stuart Mill, « On the definition of Political Economy and on the Method of Investigation Proper to It », in Essays on some unsettled questions of Political Economy (1844)
  8. Robert Torrens, Essay on the Production of Wealth, with an appendix in which the Principles of Political Economy are applied to the actual circumstances of this country, Longman, 1821
  9. Auguste Walras, De la nature de la richesse et de l’origine de la valeur, (1831), Librairie Félix Alcan, 1938, p.20
  10. Léon Walras, Théorie mathématique de la richesse sociale, Otto Zeller, 1883, p.7
  11. Léon Walras, Correspondence of Leon Walras and Related Papers, North-Holland Publishing Company, 1965. Vol. II, p.624
  12. Ibid., p.542
  13. Ibid., p.573
  14. John Neville Keynes, Scope and Method of Political Economy (1891), Batoche Books, 1999, pp.26-27
  15. Knut Wicksell, Lectures on Political Economy (1934), A.M. Kelley, 1977, p.5
  16. Murray Rothbard, The Logic of Action I: Method, Money, and the Austrian School, Edward Elgar, 1997, p.22
  17. W. Thompson, An Inquiry into The Principles of the Distribution of Wealth most conductive to Human Hapiness, T.R. Edmonds, 1824
  18. Ludwig von Mises, Théorie et histoire, Institut Coppet, 2011, p.25
  19. Philip Henry Wicksteed, « The Scope and Method of Political Economy », in Common sense of political economy, Volume 2, 1910, pp. 795-796
  20. Thomas Sowell, Applied Economics. Thinking Beyond Stage One, Basic Books, 2009
Chapitre 5 : Statistiques et histoire économique << Benoît Malbranque  —  Introduction à la méthodologie économique >> Conclusion