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Ludwig von Mises:Le Socialisme - chapitre 32
Le Socialisme
Étude économique et sociologique


Anonyme


Quatrième partie : le socialisme comme exigence morale
Chapitre VI — La morale capitaliste

Quatrième partie : le socialisme comme exigence morale

Chapitre VI — La morale capitaliste

1. La morale capitaliste et l'impossibilité de réaliser le socialisme

Les partisans du socialisme moral ne cessent d'affirmer que le socialisme exige comme condition préalable la purification morale des hommes. Tant qu'on ne sera pas parvenu à élever le niveau moral des hommes, il sera impossible de transposer l'organisation socialiste de la société du royaume des idées dans le domaine de la réalité. Les difficultés que rencontre la réalisation du socialisme doivent être cherchées principalement dans l'imperfection morale des hommes ; certains écrivains doutent qu'on puisse jamais surmonter cet obstacle ; d'autres se bornent à dire que le socialisme est irréalisable dans le présent ou dans un avenir prochain.

Nous avons montré les raisons qui rendent irréalisable la direction socialiste de l'économie. Si le socialisme est impossible ce n'est pas à cause du bas niveau de la moralité humaine, mais c'est parce que l'esprit humain n'est pas capable de résoudre les problèmes que l'organisation socialiste de la société pose à la raison. Le socialisme est irréalisable pour des raisons qui ne sont pas d'ordre moral mais d'ordre intellectuel. Il ne peut y avoir de société socialiste, parce qu'une telle société serait incapable de tenir ses comptes. Même des anges, s'ils n'étaient doués que de l'humaine raison, ne pourraient pas former une communauté socialiste.

Si la communauté socialiste pouvait tenir une comptabilité de son économie, sa réalisation serait possible sans qu'il soit pour cela nécessaire de modifier la moralité des hommes. Dans une société socialiste d'autres règles morales devraient être en vigueur que dans une société fondée sur la propriété privée des moyens de production. ; les sacrifices provisoires que la société devrait exiger de l'individu ne seraient pas les mêmes que dans la société capitaliste. Mais s'il était possible à l'intérieur de la société socialiste d'exercer un contrôle comptable sur l'activité économique, il ne serait pas plus difficile alors d'obtenir le respect des règles de morale socialiste qu'il ne l'est d'imposer celui des règles de la morale capitaliste. Si une société socialiste était capable de calculer le rendement de chacun de ses membres, elle pourrait par cela même calculer la part qui revient à chacun dans la productivité sociale et le rémunérer en fonction du concours qu'il apporte à la production. Une telle société socialiste n'aurait pas à craindre que ses membres ne mettent pas à son service toutes leurs forces avec un zèle entier parce qu'il n'existerait pas de stimulant pour leur faire surmonter la peine que comporte le travail. C'est parce que cette condition préalable fait défaut que le socialisme a été nécessairement conduit à construire pour les besoins de son utopie des hommes pour qui le travail ne soit pas une fatigue et une peine mais un plaisir et une fête. L'impossibilité de tenir une comptabilité en régime socialiste contraint les utopistes socialistes à poser aux hommes des exigences qui sont en contradiction flagrante avec la nature. L'imperfection de l'homme à laquelle se heurte le socialisme n'est pas, comme on le prétend, d'origine morale. Quand on y regarde de plus près, on découvre qu'elle est en réalité d'ordre intellectuel.

2. Les prétendues faiblesse de la morale capitaliste

Agir raisonnablement, c'est sacrifier l'accessoire à l'essentiel. On consent des sacrifices momentanés en renonçant à un moindre bien pour obtenir un bien plus important. On renonce aux plaisirs de la boisson pour éviter les effets physiologiques de l'alcool. On accepte la peine inhérente au travail pour ne pas mourir de faim.

Nous appelons action morale l'acceptation de ces sacrifices provisoires consentis dans l'intérêt de la coopération sociale qui constitue le moyen essentiel de satisfaire les besoins humains et de rendre par là même l'existence humaine possible. Toute morale est une morale sociale. (Qu'on puisse considérer comme morale une cation rationnelle, n'ayant en vue que l'intérêt personnel, et parler de morale individuelle et de devoirs envers soi-même, c'est là un fait qu'on ne saurait contester ; cette façon de s'exprimer fait peut-être ressortir davantage encore l'identité fondamentale de l'hygiène individuelle et da la morale sociale.) Agir moralement, c'est sacrifier l'accessoire à l'essentiel dans l'intérêt de la vie sociale.

L'erreur fondamentale de nombreux systèmes de morale non utilitaristes réside dans la méconnaissance de la nature du sacrifice provisoire exigé par la morale. Ne distinguant pas le but du sacrifice et de la renonciation, ils aboutissent à la conclusion absurde que le sacrifice et la renonciation ont en soi une valeur morale. Ils élèvent au rang de valeurs morales absolues l'abnégation, le sacrifice de soi-même, la charité et la pitié. La souffrance inhérente au sacrifice leur apparaît en tant que telle comme un élément moral. Il n'y a plus qu'un pas à franchir pour affirmer que toute action qui entraîne une souffrance pour son auteur est morale.

C'est cette confusion d'idées qui explique qu'on en soit venu à considérer comme morales des opinions ou des actions indifférentes ou même nuisibles au point de vue social. Pour ce faire, il fallait bien naturellement reprendre d'une façon détournée les idées utilitaristes. Quand, pour éviter de louer la pitié du médecin qui hésite à pratiquer une intervention qui sauverait la vie du malade pour lui en épargner la souffrance, on distingue entre la vraie et la fausse pitié, on introduit à nouveau l'idée de fin que l'on croyait écartée. Quand on fait l'éloge de l'action désintéressée, on n'écarte pas pour autant l'idée que le bien-être humain constitue une fin. On crée ainsi un utilitarisme négatif : est moral non pas l'acte utile à son auteur, mais l'acte utile aux autres. On construit un idéal moral qui ne saurait trouver place dans le monde où nous vivons. C'est pourquoi le moraliste, après avoir condamné la société fondée sur l'égoïsme, entreprend de construire une nouvelle société dans laquelle les hommes seront tels que son idéal l'exige. Il commence par méconnaître le monde et ses lois ; puis il veut construire un monde conforme à ses théories erronées et c'est là ce qu'il appelle établir un idéal moral.

L'homme n'est tout de même pas mauvais parce qu'il recherche le plaisir et évite la douleur, en un mot parce qu'il veut vivre. L'abnégation, le renoncement, le sacrifice de soi-même n'ont pas de valeur en soi. Condamner la morale qu'exige la vie en commun dans la société capitaliste et vouloir la remplacer par les règles morales qui, — du moins on le croit —, seraient celles de la société socialiste, c'est se livrer à un exercice purement arbitraire.