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Ludwig von Mises:Le Socialisme - chapitre 15
Le Socialisme
Étude économique et sociologique


Anonyme


Section III — Les diverses conceptions de l’idéal socialiste et les conceptions pseudo-socialistes
Chapitre premier — Les diverses conceptions de l'idéal socialiste

Deuxième partie : l'économie de la communauté socialiste

Section III — Les diverses conceptions de l’idéal socialiste et les conceptions pseudo-socialistes

Chapitre premier — Les diverses conceptions de l'idéal socialiste

1. La nature du socialisme

La nature du socialisme se résume en ceci : tous les moyens de production sont à la disposition exclusive de la communauté organisée. Le socialisme n'est que cela et rien d'autre. Toutes les autres définitions sont fausses. On peut penser que la réalisation du socialisme n'est possible que dans des conditions politiques et morales bien précises. Mais cela n'autorise pas à qualifier de socialisme une forme précise de socialisme et à refuser ce nom à toutes les autres réalisations possibles de l'idéal socialiste. Le socialisme marxiste s'est donné beaucoup de mal pour vanter son idéal socialiste particulier comme étant le seul socialisme véritable et pour prétendre que tous les autres idéaux socialistes et tous les moyens employés par d'autres que lui pour réaliser le socialisme n'avaient rien à voir avec le véritable socialisme. Du point de vue politique ce comportement de la social-démocratie était fort adroit. Si elle avait dû reconnaître que sur certains points son idéal se rencontrait avec l'idéal d'autres partis politiques, cela aurait rendu sa propagande plus difficile. La social-démocratie n'aurait jamais pu grouper autour de son drapeau des millions d'Allemands mécontents si elle avait dû avouer publiquement que ses aspirations ne différaient pas essentiellement du but que les classes dirigeantes de l'État prussien cherchaient à atteindre. Si avant le mois d'octobre 1917, on demandait à un marxiste en quoi son socialisme différait du socialisme d'autres tendances et en particulier du socialisme des puissances conservatrices, il répondait que dans le socialisme marxiste la démocratie et le socialisme s'étaient indissolublement réunis. Le socialisme marxiste était, de plus, a-étatique, attendu qu'il faisait disparaître l'État. Nous avons déjà montré ce qu'il faut penser de ces arguments. Du reste, depuis la victoire bolchévique, ils ont disparu de la collection des slogans marxistes. Tout au moins les idées que les marxistes se font aujourd'hui de la démocratie et de l'a-étatisme sont-elles tout autres que celles qui prévalaient auparavant.

L'on pouvait aussi obtenir des marxistes la réponse suivante à ces questions : leur socialisme était révolutionnaire, en opposition avec le socialisme réactionnaire ou conservateur des autres. Cette réponse sert plutôt à expliquer la différence entre le social-démocratie marxiste et les autres tendances socialistes. Pour le marxiste, Révolution ne signifie pas simplement le changement violent d'un état de choses existant, mais au sens du chiliasme marxiste, une action qui rapproche l'humanité de la perfection de sa destinée [1]. La révolution sociale de demain, que le socialisme doit réaliser, sera le dernier acte qui procurera à l'humanité un éternel bonheur. Les révolutionnaires sont ceux-là que l'histoire a élus pour être les instruments qui réaliseront son plan. L'esprit révolutionnaire est l'esprit sacré qui est descendu sur eux et les rend capables d'accomplir toutes ces grandes choses. C'est dans ce sens que le socialiste marxiste aperçoit, comme la qualité la plus haute de son parti, d'être un parti révolutionnaire. C'est dans ce sens qu'il considère tous les autres partis comme une masse homogène réactionnaire, parce que ces partis s'opposent à sa conception d'un éternel bonheur.

Que tout cela n'ait rien à voir avec les concepts sociologiques de la communauté socialiste, est évident. Qu'un groupement de personnes s'arroge, en vertu d'une prédestination particulière, le monopole de nous apporter le salut, est certainement digne de remarque. Mais si ces personnes ne connaissent pas d'autre chemin menant au salut, que celui que suivent beaucoup d'autres hommes, il ne suffit pas de mettre en avant une particulière prédestination pour créer une opposition foncière entre le but qu'elles se proposent et celui où tendent les autres hommes.

2. Le socialisme d'État

Pour comprendre le socialisme étatique, il ne suffit pas d'expliquer cette expression étymologiquement. L'histoire de ce mot montre simplement que le socialisme étatique était un socialisme qu'avaient adopté les hommes au pouvoir en Prusse et dans d'autres États allemands. Comme ces hommes s'identifiaient avec l'État, avec la forme de leur État et avec la conception de l'État en général, il était assez indiqué d'appeler leur socialisme : socialisme étatique. Cet usage linguistique s'acclimate d'autant plus facilement que le marxisme avait obscurci la notion d'État avec sa doctrine de l'État caractérisé par la division en classes et condamné ) la disparition progressive.

Le socialisme marxiste avait grand intérêt à distinguer l'étatisation de la socialisation des moyens de production. Les slogans de la social-démocratie ne seraient jamais devenus populaires, s'ils avaient indiqué, comme but suprême de l'effort socialiste, l'étatisation des moyens de production. Car l'État, qu'avaient sous les yeux les peuples où le marxisme s'était le plus répandu n'était pas précisément fait pour qu'on pût attendre grand'chose de son intervention en matière économique. Les disciples du marxisme en Allemagne, en Autriche et en Russie vivaient sur le pied de guerre avec les hommes au pouvoir en qui, à leurs yeux, s'incarnait l'État. L'occasion du reste ne leur manquait pas de faire la critique des résultats de l'étatisation et de la municipalisation. Même avec le meilleure bonne volonté on ne pouvait pas ignorer les graves défauts de l'administration étatique et municipale. Il était vraiment impossible de s'enthousiasmer pour un programme qui avait pour but l'étatisation. Un parti d'opposition devait avant tout combattre l'odieux État autoritaire. C'était le seul moyen d'attirer à soi les mécontents. C'est aussi à des fins d'agitation politique que la doctrine marxiste de la disparition de l'État doit sa naissance. Les libéraux avaient demandé la limitation des pouvoirs de l'État et la remise du gouvernement aux représentants du peuple. Ils avaient demandé l'État libre. Marx et Engels, voulant renchérir, et sans y réfléchir prirent à leur compte la doctrine anarchiste de la suppression de tout pouvoir étatique, sans se soucier de savoir si la socialisation ne commandait pas, non point la suppression, mais au contraire le renforcement incessant de l'État.

La doctrine de l'État qui meurt est, dans le socialisme, aussi peu défendable et aussi stupide qu'une autre idée, très voisine de cette doctrine, à savoir la différence scolastique entre étatisation et socialisation. Les marxistes se rendent très bien compte de la faiblesse de leur argumentation. Aussi en général, se gardent-ils d'insister sur ce point. Ils se contentent de parler toujours de socialisation des moyens de production, sans définir exactement ce concept, de sorte que la socialisation semble être une tout autre chose que l'étatisation dont tout le monde a une idée. Lorsqu'ils ne peuvent éviter ce sujet pénible, ils doivent reconnaître que l'étatisation d'entreprises est "le premier pas vers la prise de possession par la société même de toutes les forces productives" [2], ou bien "le point de départ naturel de l'évolution qui mène à l'association communiste." [3] Finalement Engels se refuse à admettre que toute étatisation soit "ipso facto socialiste." Avant tout il ne voudrait pas qu'on qualifiât de socialistes les étatisations faites pour satisfaire aux besoins financiers de l'État et qui n'ont pour but que "de procurer à l'État une source de revenus indépendante des décisions du parlement". Pourtant traduits en langage marxiste, des actes d'étatisation accomplis pour de pareils motifs signifieraient que, pour une part de la production, la prise de possession du bénéfice par des capitalistes serait supprimée. Il n'en va pas autrement avec les étatisation faites par politique pure ou par politique militaire, qu'Engels qualifie également de non socialistes. Pour lui le critère des étatisations socialistes est le suivant : lorsque les moyens de production et de trafic étatisés "sont développés au point de déborder vraiment le cadre des sociétés par actions, de sorte que l'étatisation est devenue, du point de vue économique, inévitable." Cette nécessité, pense-t-il, apparaît d'abord "dans de grandes institutions de trafic : poste, télégraphe, chemin de fer." [4] Or justement les plus grandes lignes de chemin de fer du monde, celles des États-Unis, et les plus importantes lignes télégraphiques, les câbles sous-marins, ne sont pas étatisés ; par contre, de petites lignes insignifiantes, dans des pays étatistes, ont été nationalisées depuis longtemps. Mais qu'est-ce qui a provoqué l'étatisation de la poste ? Des motifs purement politique. Qu'est-ce qui a provoqué l'étatisation des chemins de fer ? Des raisons militaires. Peut-on prétendre que ces étatisations étaient, "du point de vue économique, inévitables" ? Du reste, qu'est-ce que cela veut dire : "du point de vue économique inévitables" ?

Kautsky se contente aussi de combattre l'opinion "que toute étatisation d'une fonction économique ou d'une entreprise économique soit un pas en avant vers l'association socialiste et que celle-ci puisse sortir d'une étatisation générale de l'ensemble des entreprises économiques, sans qu'on ait besoin de rien changer à la structure de l'État." [5] Mais personne n'a jamais voulu contester que la structure de l'État subirait une profonde transformation, si par l'étatisation de l'ensemble des entreprises économiques l'État se transformait en une communauté socialiste. Kautsky se contente d'ajouter que "tant que les classes possédantes seront aussi les classes dominantes" l'on ne pourra parvenir à une étatisation complète. Celle-ci ne pourra être réalisée que "lorsque les classes ouvrières seront devenues les classes dominantes de l'État." Il est réservé aux prolétaires, lorsqu'ils auront conquis la puissance politique, "de transformer l'État en une grande association économique qui pourra, pour l'essentiel, se suffire entièrement à elle-même". [6] Kautsky se garde de répondre à la question capitale : Est-ce qu'une étatisation complète réalisée par une autre parti que le parti socialiste provoquerait la fondation du socialisme ? Sans doute il y a une différence foncière très importante entre l'étatisation et la municipalisation de certaines entreprises, au milieu d'une société par ailleurs attachée à la propriété privée des moyens de production, et la réalisation intégrale du socialisme, qui ne tolère aucune propriété privée des moyens de production à côté de la propriété de la communauté. Tant que quelques entreprises seulement sont exploitées par l'État, des barèmes de prix pour les moyens de production sont encore fixés par le marché. Ainsi est donnée aux entreprises étatiques elles aussi la possibilité de compter. Voudront-elles ou pourront-elles prendre les résultats du calcul comme directives de leur gestion, cela est une autre question. Cependant le fait seul que, en une certaine mesure, le succès d'une entreprise puisse être évalué en chiffres, fournit à la direction commerciale de ces entreprises publiques un point d'appui qui fait forcément défaut à la direction d'une communauté purement socialiste. La manière dont une entreprise étatique est dirigée, peut être qualifiée, avec raison, de mauvaise gestion, mais au moins c'est une gestion. Dans une communauté socialiste, il ne peut y avoir, comme nous l'avons déjà vu, de véritable gestion économique [7].

L'étatisation de tous les moyens de production de l'économie nationale amène cependant avec elle le socialisme intégral. L'étatisation de quelques-uns des moyens de production est un acheminement vers la socialisation complète. Qu'on s'en tienne là ou qu'on aille plus loin ne change rien au caractère de ces premières étatisations. Si l'on veut faire passer toutes les entreprises dans la propriété de la société organisée, on ne pourra procéder autrement qu'en étatisant chacune de ces entreprises, ou bien l'une après l'autre, ou bien toutes à la fois.

L'imprécision que le marxisme avait répandue sur le concept : étatisation, s'est fait sentir très vivement en Allemagne et en Autriche, en novembre 1918 après la conquête du pouvoir par les social-démocrates. Du jour au lendemain, un slogan, qu'on n'entendait guère auparavant, devint populaire : socialisation. C'était sans doute une sorte de périphrase destinée à remplacer le mot allemand : étatisation, par un mot étranger qui faisait plus d'effet. Que le socialisme ne fût rien de plus que l'étatisation ou la municipalisation était une idée qui ne pouvait venir à presque personne. Celui qui avait le malheur de l'exprimer était considéré comme un homme qui n'entendait rien à rien, attendu qu'entre l'étatisation et la socialisation il y avait une différence énorme. Après la conquête du pouvoir par le parti social-démocrate des commissions de socialisation furent instituées. Elles avaient pour mission de trouver pour la socialisation des modalités, qui, au moins extérieurement, la distinguassent des étatisations et des municipalisations.

Le premier compte rendu de la commission sur la socialisation des mines de charbon écarte l'idée de réaliser cette socialisation par l'étatisation des mines à charbon, en montrant les défauts inhérents à la gestion nationale des mines. Mais le compte rendu est muet sur la question de savoir en quoi la socialisation diffère de l'étatisation. Le compte rendu reconnaît "que l'étatisation isolée des mines, alors que l'économie capitaliste subsiste encore dans d'autres branches de l'économie, ne saurait être considérée comme une socialisation, mais simplement comme le remplacement d'un patron par un autre." Mais une socialisation isolée, telle que ce compte rendu l'a en vue et la propose, étant donné les mêmes circonstances, eût-elle pu avoir une autre signification ? [8] C'est là une question qui reste sans réponse. On aurait compris que la commission indiquât, que pour provoquer les effets bienfaisants de la société socialiste, il ne suffisait pas d'étatiser quelques branches de la production, mais qu'il fallait que l'État prît d'un coup en main toutes les entreprises, comme le firent les bolchevics en Russie et en Hongrie, et comme les spartakistes voulaient le tenter en Allemagne. La commission ne l'a pas fait. Au contraire, elle a élaboré des plans de socialisation qui prévoient l'étatisation isolée de quelques branches de la production, d'abord des mines de charbon et du commerce des produits fournis par le charbon. La commission évite d'employer le mot : étatisation, mais cela ne change rien au fond de la question. Ce n'est qu'une subtilité juridique si, d'après les propositions de la commission, ce n'est pas l'État allemand qui doit devenir propriétaires des mines allemandes socialisées, mais une "Association allemande des charbons."

Lorsque le compte rendu de la majorité de la commission expose que cette propriété est "conçue seulement dans un sens formel et juridique", mais qu'il est défendu à cette association des charbons "d'occuper la place matérielle du propriétaire privé et que par là lui est enlevée la possibilité d'exploiter les ouvriers et les consommateurs" la commission ne fait qu'emprunter les slogans les plus vides au langage de la rue. Du reste le compte rendu n'est qu'un ramassis de toutes les erreurs populaires touchant le système économique capitaliste. Le seul sur lequel, d'après les propositions de la majorité de la commission, la gestion socialisée des charbons se différencierait des autres entreprises publiques, serait la composition de la direction supérieure. A la tête des mines de charbon il ne doit pas y avoir un fonctionnaire unique, mais un conseil recruté d'une manière particulière. La montagne accouche d'une souris !

Ce n'est pas un signe caractéristique du socialisme d'État que ce soit sur l'État que porte toute l'organisation de l'économie, car in ne peut se représenter autrement le socialisme. Si nous boulons reconnaître son véritable caractère, il ne faut pas nous cramponner au nom lui-même. Cela ne nous avancerait pas plus que celui qui, voulant saisir le concept : métaphysique, croirait le trouver dans le sens littéral des parties formant ce mot composé. Ce qu'il faut, c'est nous demander quelles idées recouvrait le mot pour les partisans de la tendance socialiste étatiste, qu'on appelle habituellement : étatistes radicaux.

Le socialisme étatiste diffère en deux points des autres systèmes socialistes. Il est en opposition avec beaucoup d'autres tendances socialistes qui envisagent une répartition aussi égale que possible du revenu de la société socialiste entre chacun de ses membres. Le socialisme étatique, lui, est pour une répartition proportionnée au mérite de chaque individu. Inutile de remarquer que cette estimation de la dignité est tout à fait subjective et n'est pas la suite d'un examen désintéressé des rapports entre les hommes. L'étatisme a des conceptions très arrêtées sur l'estimation morale des différentes couches de la société. Il est rempli d'estime pour la royauté, la noblesse, les grands propriétaires terriens, le clergé, le militarisme professionnel, en particulier le corps d'officiers, et les fonctionnaires. Sous certaines conditions, il accorde aussi aux savants et aux artistes une situation privilégiée. Il n'attribue qu'une place modeste aux paysans et aux petits industriels. Les simples artisans sont encore plus mal placés. Mais les moins bien traités de tous sont les éléments peu sûrs qui ne sont contents ni du rôle, ni du revenu qui doivent leur revenir d'après le plan établi et qui cherchent à améliorer leur situation matérielle. L'étatiste classe dans son esprit à différents échelons tous les membres de son État futur. Le plus noble doit jouir d'une plus grande influence et recevoir plus d'honneurs et de revenus que le moins noble. Qu'est-ce qui est noble, qu'est ce qui n'est pas noble ? A la tradition de décider. Le plus grand reproche que l'étatisme adresse à la société capitaliste, c'est de ne pas répartir les revenus selon ses estimations à lui. Il lui paraît intolérable qu'un marchand de lait ou un fabricant de boutons de culottes puisse jouir d'un plus gros revenu que le descendant d'une vieille famille de l'aristocratie, ou qu'un conseiller intime ou un sous-lieutenant. C'est surtout pour remédier à de pareilles anomalies qu'il lui semble nécessaire de remplacer la société capitaliste par l'étatiste.

Désireux de maintenir l'échelle des rangs sociaux traditionnelle et l'estimation morale des différentes couches de la société, l'étatisme ne songe pas à bouleverser de fond en comble l'ordre juridique devenu historique en transformant expressément la propriété privée en propriété d'État. Seules doivent être étatisées les grandes entreprises, étant bien entendu qu'il y aura des exceptions pour les grandes exploitations agricoles, en particulier pour les grandes propriétés héréditaires. Dans l'agriculture, dans la moyenne et petite industrie la propriété doit être maintenue, du moins pour la forme. Malgré certaines restrictions les professions libérales doivent jouir d'une certaine latitude. Mais toutes les entreprises doivent, au fond, devenir des exploitations de l'État. L'agriculteur conservera les honneurs et le nom de propriétaire. Mais il lui sera défendu "de ne penser égoïstement qu'au gain mercantile." Il a le devoir "d'aller au-devant du but poursuivi par l'État." Car dans l'idée des étatistes l'agriculture est une fonction publique. "L'agriculteur est un fonctionnaire de l'État. Il doit cultiver soit de sa propre initiative, soit d'après les prescriptions de l'État, ce qui est nécessaire au pays. S'il retire de son exploitation ses intérêts et un traitement suffisant, il atout ce qu'il est en droit de demander." [9] Pour le commerçant et l'artisan il ne doit pas en être autrement. Pour le chef d'entreprise indépendant, qui dispose librement des moyens de production il n'y a dans le socialisme étatique pas plus de place que dans une autre forme de socialisme. Les prix sont réglés par l'autorité, qui décide de l'objet, de la manière et de la quantité de la production. Il n'y a plus place pour la spéculation au gan excessif. Les autorités veillent à ce que chaque citoyen retire un profit convenable, c'est-à-dire qui lui permette de vivre conformément à son rang. Le bénéfice exagéré, l'impôt se chargera de le supprimer.

On ne doit pas transférer immédiatement les petites exploitations dans la propriété de l'État, et cela est même impossible. Le propriétaire de l'exploitation en restera en principe le propriétaire, mais il sera subordonné à un contrôle étatique décidant de tout ce qui est essentiel. C'est la seule manière dont la socialisation puisse être exécutée, même d'après l'opinion des écrivains marxistes. Kautsky est d'avis que "aucun socialiste sérieux n'a jamais demandé que les paysans soient expropriés ou que leurs biens soient confisqués." [10] Kautsky ne veut pas non plus exproprier formellement la petite industrie [11]. Le paysan et l'artisan doivent être incorporés dans le mécanisme de la communauté socialiste en tant que leur production et la mise en valeur de leurs produits seront soumises aux ordres de la direction économique ; ils conserveront, tout au moins de nom, la propriété. La suppression du marché libre les transforme de propriétaires et chefs d'entreprise travaillant à leur compte, en fonctionnaires de la communauté socialiste, qui ne se distinguent que par la forme de leur rémunération des autres camarades de la communauté [12]. On ne peut donc voir une particularité du plan social étatique dans le fait que des restes de la propriété privée des moyens de production subsistent ainsi de nom. Seule l'ampleur avec laquelle sera réalisée cette ordonnance des conditions de production sociales constitue une particularité caractéristique. Nous avons déjà mentionné que l'étatisme, d'une manière générale, a l'intention de laisser à la grande propriété terrienne — à l'exception peut-être des latifundia — le caractère de propriété privée, avec les restrictions indiquées. Ce qui est plus important, c'est que l'étatisme part de cette conception que la majeure partie de la population se cantonnera dans les exploitations de l'agriculture et de la petite industrie, et que le nombre de ceux, employés dans de grandes entreprises, qui entreront au service immédiat de l'État sera relativement peu élevé. Contrairement aux marxistes orthodoxes dans le genre de Kautsky l'étatisme est d'avis que la petite exploitation rurale n'est pas inférieure en productivité à la grande exploitation, et il croit qu'il s'ouvre encore un grand champ d'activité à la petite industrie à côté de la grande industrie. C'est là la seconde particularité qui différencie le socialisme étatiste de toutes les autres formes du socialisme, et surtout de la social-démocratie.

Il est inutile de considérer plus longtemps l'image que le socialisme étatiste se fait de la forme d'État idéale. Su de vastes étendues de l'Europe il est, depuis des années, l'idéal auquel aspirent en secret des millions et des millions d'hommes. Il est connu de tous, quoiqu'on ne l'ait jamais clairement défini. C'est le socialisme du paisible et loyal fonctionnaire, du propriétaire de domaine foncier, du paysan, du petit industriel et de nombreux ouvriers et employés. C'est le socialisme des professeurs, le fameux socialisme de la chaire universitaire ; c'est le socialisme des artistes, des poètes et des écrivains à une époque, il est vrai, qui présente tous les caractères d'une décadence de l'art. C'est le socialisme auquel les églises de toute confession prêtent leur appui. C'est le socialisme du césarisme et de l'impérialisme ; c'est l'idéal de la royauté sociale. Il est le but lointain que visait la politique de la plupart des États européens, et au premier rang les États allemands. C'est l'idéal social de l'époque qui a préparé la guerre mondiale et qui s'est écroulée avec elle.

Un socialisme qui gradue d'après la dignité de l'individu la part des dividendes sociaux qui lui sera attribuée, n'est imaginable que sous la forme du socialisme étatiste. La hiérarchie sociale qu'il veut mettre à la base de la répartition est la seul qui soit relativement populaire, en ce sens qu'elle ne soulèverait pas d'opposition trop violente. Moins encore que beaucoup d'autres classements qu'on pourrait envisager, elle ne résisterait à une critique rationnelle, mais sa valeur est consacrée par les années. En cherchant à conserver pour l'éternité la hiérarchie sociale, en cherchant à empêcher tout changement dans la hiérarchie sociale, le socialisme étatiste justifie l'appellation de socialisme conservateur qu'on lui attribue parfois [13].

Plus que tout autre forme de socialisme, ce socialisme d'État croit qu'il est possible que la vie économique s'immobilise sans plus progresser. Ses partisans jugent superflu ou même nuisible toute innovation économique. Les moyens que les étatistes comptent employer pour arriver à leurs fins, correspondent à ces conceptions. Dans le socialisme marxiste nous trouvons l'idéal social d'hommes qui attendent tout d'un bouleversement brutal de ce qui existe, et de révolutions sanglantes, tandis que le socialisme d'État est l'idéal de ceux qui pour remédier à tous les maux appellent la police à leur secours. Le marxisme est fondé sur le jugement infaillible des prolétaires animés de l'esprit révolutionnaire, l'étatisme sur l'infaillibilité des autorités traditionnelles. Socialisme et étatisme se rencontrent au moins sur ce point qu'ils admettent tous deux un absolutisme politique excluant toute possibilité d'erreur.

En opposition avec le socialisme d'État le socialisme communal ne représente pas une forme particulière de l'idéal de la société socialiste. La municipalisation d'entreprises n'est pas conçue comme un principe général, d'après lequel on puisse réaliser une nouvelle structure de la vie économique. Elle ne doit s'étendre qu'à des entreprises dont les débouchés sont restreints et locaux. Dans le socialisme d'État réalisé dans toute sa rigueur les exploitations communales, subordonnées à la direction générale de l'économie, n'ont pas pour se développer plus de latitude que les entreprises agricoles et industrielles qui sont encore, de nom, propriétés privées.

3. Le socialisme militariste

Le socialisme militariste est le socialisme d'un État où toutes les institutions tendent à la préparation de la guerre. C'est un socialisme d'État en ce sens que la dignité, qui décide de la valeur sociale et de la portion du revenu qui revient à chaque citoyen, est estimée exclusivement, ou principalement, d'après le rang qu'occupe l'individu dans l'armée. Plus le rang militaire est élevé, et plus sont élevées aussi l'estimation sociale et la part des dividendes sociaux.

L'État militaire, État de gens de guerre, où tout est subordonné à un seul but : la conduite de la guerre, ne saurait admettre la propriété privée des moyens de production. L'organisation qui rend l'État toujours prêt à entrer en guerre à chaque instant est irréalisable si la vie de chacun, à côté de cet idéal militaire, est encore attirée vers d'autres buts. Toutes les castes guerrières qui ont attribué comme moyens d'existence à leurs membres des revenus seigneuriaux ou fonciers, des exploitations rurales indépendantes, ou des entreprises industrielles travaillant avec des serfs, toutes ces castes ont, au cours des ans, dépouillé leur caractère guerrier. Le seigneur se consacra entièrement à son activité économique. Il s'intéressa à d'autres choses qu'à guerroyer et à récolter des honneurs militaires. Dans le monde entier la féodalité a provoqué la démilitarisation des guerriers. Les descendants des chevaliers sont devenus des gentilshommes campagnards. Le propriétaire s'intéresse à l'économie et se désintéresse de la guerre. C'est seulement en écartant la propriété privée que l'on conservera à l'État son caractère militaire. Seul le guerrier, qui en dehors de la guerre ne connaît pas d'autre champ d'action que la préparation de la guerre, est toujours prêt à la guerre. Avec des hommes qui pensent avant tout à leur exploitation agricole, on peut faire des guerres défensives, mais non une guerre de conquêtes prolongée.

Un État militaire est un État de brigands. Il vit surtout de butin et de tributs. A côté de ces ressources le produit de l'activité économique individuelle ne joue qu'un rôle de second plan ; souvent même ce genre d'activité fait complètement défaut. Il est évident que le butin et les tributs venant de l'étranger ne peuvent revenir directement aux individus, mais au fisc qui ne saurait les répartir que d'après le rang militaire de chacun. L'armée qui seule assure la continuité de cette source de revenus ne pourrait concevoir une autre répartition. Il est donc tout indiqué d'appliquer les mêmes règles pour la répartition du revenu provenant de la production intérieure du pays aux tributs et redevances effectués par les sujets. C'est ainsi que l'on peut expliquer le "communisme" des pirates grecs de Lipara et de tous les autres États de pirates [14]. C'est un "communisme de brigands et de guerriers" [15] produit par la mentalité militaire appliquée à toutes les relations sociales. César nous rapporte au sujet des Souabes qu'il appelle la "gens longe bellicosissima Germanorum omnium" que chaque année ils envoient des troupes au delà de la frontière pour en rapporter du butin. Ceux qui restent au pays vaquent aux travaux agricoles dont le produit est destiné aussi à ceux qui sont partis en campagne. L'année suivante, les deux groupes échangent leurs fonctions. Il n'y a point de champs appartenant en propriété personnelle aux individus [16]. Chacun participe aux bénéfices de l'activité guerrière et agricole, qui est exercée au compte et aux risques de tous ; c'est ainsi seulement qu'il est possible à l'État guerrier de faire de chaque citoyen un guerrier et de chaque guerrier un citoyen. Si cet État laissait les uns être toujours guerriers, les autres citoyens toujours agriculteurs sur leur propriété propre, des conflits ne manqueraient point de se produire bientôt entre les deux castes. Alors, ou bien les guerriers subjugueraient les citoyens, et dans ce cas pourraient-ils entreprendre leurs razzias, en laissant derrière eux au pays une masse populaire opprimée ? Ou bien les citoyens l'emporteraient ; les guerriers seraient rabaissés au rang de mercenaires, auxquels on interdirait les razzias, car ils constituent un danger permanent, et l'on craindrait qu'ils n'acquissent trop de richesse et d'orgueil. Dans les deux cas l'État serait forcé de dépouiller son caractère purement militaire. C'est pour cela que : affaiblissement des institutions communistes signifie : affaiblissement du caractère guerrier de l'État. Le type de société guerrière se transforme lentement en type industriel [17].

Pendant la guerre mondiale on a pu observer nettement les forces qui poussent un État guerrier vers le socialisme. Plus la guerre se prolongeait, plus elle transformait en grands camps de guerre les États de l'Europe et plus inadmissible apparaissait le contraste entre le soldat, supportant toutes les peines et les dangers du combat et l'homme, qui, resté à la maison, tirait profit des conjectures de la guerre. C'étaient des sorts vraiment trop inégaux. Si avec une guerre encore plus longue ces différences avaient été maintenues, les États auraient été infailliblement déchirés en deux camps, et les armes des armées se seraient finalement tournées contre leur propre pays. Le socialisme des armées du service militaire obligatoire demande comme complément dans le pays le socialisme du service du travail obligatoire.

S'ils veulent conserver leur caractère guerrier, les États guerriers ne peuvent avoir qu'une organisation communiste. Et cela ne les fortifie pas pour le combat. Le communisme est pour eux un mal qu'ils sont forcés d'accepter avec le reste du système. C'est le communisme qui les affaiblit et cause finalement leur perte. En Allemagne on a, dès les premières années de la guerre, commencé à marcher dans la voie du socialisme, parce que l'esprit militariste-étatiste, qui a conduit la politique des États européens à la guerre, poussait au socialisme d'État. Vers la fin de la guerre on a activé toujours plus énergiquement la socialisation, parce que, pour les raisons que nous venons d'indiquer, il fallait assimiler le régime de l'intérieur à celui du front. Cependant le socialisme guerrier, au lieu de rendre la situation de l'État allemand plus facile, n'a fait que la rendre plus difficile. Il n'a pas accru mais entravé la production. Il n'a pas amélioré mais empiré le ravitaillement de l'armée [18]. Ne parlons pas du fait que l'esprit étatiste est responsable si dans les formidables secousses du temps de guerre et de la révolution qui a suivi, aucune forte individualité n'est sortie des rangs du peuple allemand.

La faible productivité de l'économie communiste tourne au désavantage de l'État guerrier communiste, lorsqu'un conflit se produit avec des peuples riches, donc mieux armés et mieux nourris, chez qui existe la propriété privée. Le socialisme paralyse inévitablement l'initiative de l'individu, de sorte qu'à l'heure décisive du combat, les chefs manquent pour indiquer la route qui mène à la victoire, et les sous-chefs capables d'exécuter les directives des chefs. Le grand empire communiste-militaire des Incas a été détruit sans peine par une poignée d'Espagnols [19].

Si l'ennemi que l'État guerrier doit combattre réside à l'intérieur du pays lui-même, on peut alors dire qu'il s'agit d'un communisme de conquérants. Max Weber, en pensant à l'association pour les repas des Syssities, appelle "communisme de mess" les organisations sociales des Doriens à Sparte [20]. Quand la caste des seigneurs, au lieu d'appliquer des mesures communistes, attribue à quelques membres, comme bien particulier, les domaines fonciers, y compris leurs habitants, elle finit, au bout d'un temps bref ou long, à se fondre, du point de vue ethnique dans la population assujettie. Elle se transforme en noblesse foncière, qui finalement appelle les assujettis au métier des armes. Ainsi l'État perd son caractère d'État guerrier. C'est l'évolution qui se produisit dans les royaumes des Lombards, des Wisigoths et des Francs et partout où les Normands avaient pénétré en conquérants.

4. Le socialisme d'Église

La forme d'État théocratique demande ou l'économie familiale autarcique ou l'organisation socialiste de l'économie. Elle est inconciliable avec une vie économique qui laisse à l'individu toute latitude pour déployer ses forces. La simplicité de la foi et le rationalisme économique ne peuvent pas vivre côte à côte. On ne peut se figurer des prêtres commandant à des chefs d'entreprise.

Le socialisme ecclésiastique, tel qu'il a pris pied dans ces dernières dizaines d'années parmi de nombreux fidèles de toutes les confessions chrétiennes, n'est qu'une variété du socialisme d'État. Le socialisme d'État et le socialisme ecclésiastique sont tellement liés ensemble qu'il est difficile de tracer entre eux une ligne de démarcation et de dire de tels ou tels politiques sociaux à laquelle des deux nuances ils appartiennent. Plus encore que l'étatisme le socialisme chrétien est dominé par l'idée que l'économie nationale demeurerait immuable si la chasse au profit et l'égoïsme des hommes qui ne cherchent à satisfaire que leurs intérêts matériels ne venaient toujours en troubler le cours paisible. L'utilité d'une amélioration progressive des moyens de production, tout au moins dans une certaine mesure, n'est pas contestée. Mais la faute est de ne pas reconnaître que ce sont précisément ces innovations qui rendent impossible l'immobilité de l'économie d'un pays. Le socialisme ecclésiastique qui a reconnu ce fait préfère à tout changement nouveau l'immobilité sur les positions déjà acquises. Les seules occupations qu'il peut admettre sont l'agriculture, le métier d'artisan, et à la rigueur, l'épicerie. Le commerce et la spéculation sont considérés comme superflus et condamnables du point de vue moral. Les fabriques et la grande industrie sont des inventions nuisibles de "l'esprit juif." L'on n'y produit que des marchandises de mauvaise qualité que les grands magasins et autres monstres du commerce moderne imposent aux acheteurs trompés. Le devoir du législateur serait de faire disparaître ces excès de l'esprit mercantile et de rendre à l'artisanat dans la production la place d'où il n'a été chassé que par les machinations des grands capitalistes. Quant aux grandes entreprises de transport et de communication, qu'on ne peut songer à supprimer, il n'y aurait qu'à les étatiser.

L'idéal social du socialisme chrétien, tel qu'il ressort de toutes les démonstrations de ses représentants, est un idéal "stationnaire." Aussi dans l'image que se font ces gens de l'économie nationale il manque les chefs d'entreprises, il n'y a pas de spéculation ni de gain "exagéré." Les prix et les salaires, demandés et accordés, sont "justes." Chacun est content de son sort parce que le mécontentement serait considéré comme une révolte contre les lois divines et humaines. Quant à ceux qui sont incapables de gagner leur vie, les oeuvres de bienfaisance chrétiennes prendront soin d'eux. Cet idéal avait été, à ce qu'on prétend, réalisé au moyen-âge. Seule l'incroyance a pu chasser les hommes de ce paradis terrestre. Si l'on veut le retrouver, il faut d'abord reprendre le chemin de l'église. La vulgarisation de la science et le libéralisme sont les fauteurs de tout le mal qui infeste aujourd'hui le monde.

En général les champions de la réforme sociale chrétienne ne tiennent pas le moins du monde pour socialiste l'idéal social du socialisme chrétien. Ce en quoi ils s'illusionnent. Leur socialisme paraît être conservateur parce qu'il veut, en ce qui touche la propriété, maintenir l'ordre établi, ou plutôt il semble être réactionnaire parce qu'il veut d'abord rétablir et maintenir une conception de la propriété, qui, paraît-il aurait existé quelque part autrefois. Il est exact aussi qu'il s'oppose énergiquement à tous les plans des autres socialismes tendant à supprimer radicalement la propriété privée, et que contrairement à ces partis politiques il prétend avoir pour objectif, non le socialisme, mais la réforme sociale. Cependant le conservatisme ne peut être autrement réalisé que par le socialisme. Dans un pays où la propriété privée des moyens de production existe vraiment, et non pas seulement pour la forme, le revenu ne peut pas être partagé selon des règles précises, historiques ou autres. Là où existe la propriété privée les prix du marché peuvent seuls décider de la quotité du revenu. Dans la mesure où cette constatation se fait jour les réformistes qui s'appuient sur l'Église sont poussés pas à pas vers le socialisme, qui pour eux ne peut être que le socialisme d'État. Ils sont forcés de se rendre à l'évidence : s'en tenir complètement et immuablement à la tradition historique, comme l'exige leur idéal, est une chose impossible. Ils reconnaissent qu'on ne peut songer à maintenir des prix et des salaires fixes sans une autorité toute-puissante qui empêche de dépasser ces prix par des ordres donnés sous menace de châtiments. Mais ils doivent aussi comprendre que les salaires et les prix ne peuvent pas être fixés arbitrairement d'après les idées de celui qui prétend améliorer le monde, alors qu'en s'écartant des prix du marché, on détruit l'équilibre de la vie économique. Ainsi ils sont forcés peu à peu d'exiger d'abord des taxations des prix et ensuite une direction autoritaire de la production et la répartition. C'est le même chemin que celui qu'a suivi l'étatisme pratique. Finalement on a affaire dans les deux cas à la réalisation rigoureuse d'un socialisme, qui ne laisse subsister que de nom la propriété privée, mais qui en réalité fait passer aux mains de l'État tout pouvoir de disposer des moyens de production.

Une partie seulement des socialistes chrétiens s'est ralliée ouvertement à ce programme social. Les autres ont eu peur de parler franchement. Ils ont évité anxieusement de tirer les dernières conséquences de leurs prémisses. Ils prétendent ne vouloir combattre que les abus et les excès de l'ordre social capitaliste. Ils disent et redisent qu'ils ne veulent pas supprimer la propriété privée et ils ne cessent d'affirmer qu'ils sont opposés au socialisme marxiste. Mais — et cela est assez caractéristique — cette opposition se manifeste pour eux avant tout dans des différences d'opinions sur la voie qui doit mener à l'état social le meilleur. Ils ne sont pas révolutionnaires et leur espoir c'est qu'on reconnaîtra de plus en plus la nécessité des réformes. Mais ils ont beau répéter qu'ils ne veulent pas toucher à la propriété privée, ce qu'ils veulent en conserver n'est plus une propriété privée que de nom. Quand la direction de la production sera passée à l'État, le propriétaire de moyens de production ne sera plus qu'un fonctionnaire, un employé de la direction économique.

On voit, sans plus y insister, quelles relations étroites relient ce socialisme ecclésiastique du temps présent à l'idéal économique de la scolastique. Tous deux ont un point de départ commun, la revendication de la "justice" des salaires et des prix, c'est-à-dire établis d'après une répartition des revenus fixée par une tradition historique. Mais cette revendication est irréalisable, si on laisse subsister une économie nationale reposant sur la propriété privée des moyens de production et c'est cette constatation qui pousse le socialisme chrétien moderne vers le socialisme. S'il veut arriver à ses fins — quand bien même il maintiendrait l'apparence de la propriété privée — il lui faut recommander un certain nombre de mesures qui n'aboutissent à rien moins qu'à la socialisation complète de la société.

Il faudrait encore montrer que ce socialisme chrétien d'aujourd'hui n'a rien à voir avec le soi-disant communisme — dont on a tant parlé — du christianisme originel. L'idée socialiste dans l'Église est une chose nouvelle. Là-dessus il ne faut pas se faire d'illusion sous prétexte que dans son évolution la plus récente, la théorie sociale de l'Église a admis, comme principe, le bon droit de la propriété privée des moyens de production [21], alors que les anciennes doctrines de l'Église, eu égard aux défenses des évangiles réprouvant toute activité économique, avaient peur de trouver un accommodement sans restriction avec le seul nom de propriété privée. Mais cette reconnaissance du bon droit de la propriété privée signifie simplement que l'Église condamne les aspirations de la social-démocratie tendant au bouleversement violent de l'état de choses actuel. En réalité ce que l'Église souhaite, c'est un socialisme d'État d'une nuance particulière.

Les conditions de la production socialiste sont par essence indépendantes de la forme concrète dans laquelle on cherche à les réaliser. Tout effort socialiste, de quelque manière qu'il soit tenté, est voué à l'échec, en raison de l'impossibilité qu'il y a à mettre debout une économie purement socialiste. C'est cela, et non l'insuffisance du caractère moral des hommes, qui doit provoquer la ruine du socialisme. Il faut reconnaître que l'Église est particulièrement apte à développer les qualités morales qui sont demandées aux camarades de la communauté socialiste. L'esprit qui devrait régner dans une communauté socialiste s'apparente le mieux à l'esprit d'une communauté chrétienne. En tout cas pour obvier aux difficultés qui s'opposent à l'établissement d'un ordre social socialiste, il faudrait changer la nature humaine ou les lois de la nature qui nous entoure. Mais cette transformation la foi elle-même ne saurait l'accomplir.

5. L'Économie planifiée

L'économie planifiée est une nuance récente du socialisme d'État. Tout essai pour réaliser les plans socialistes se heurte très rapidement à des difficultés insurmontables. On l'a vu pour le socialisme d'État prussien. L'insuccès de l'étatisation sautait aux yeux de tous. La situation dans les exploitations d'économie étatisées n'était pas faite pour encourager de nouveaux essais de régie étatiste et communale. On en fit porter la responsabilité au corps des fonctionnaires. On avait commis une faute, disait-on, en éliminant les techniciens. Il fallait absolument mettre les forces des chefs d'entreprise au service du socialisme. C'est de cette idée qu'est née tout d'abord l'organisation des entreprises d'économie mixte. Au lieu d'une étatisation ou d'une municipalisation complète on voit apparaître une entreprise privée avec participation de l'État ou de la commune. Ainsi l'on donne d'une part satisfaction à ceux qui trouvent injuste que l'État et la commune ne participent pas aux bénéfices des entreprises qui se trouvent sur les territoires soumis à leur autorité. Sans doute on obtiendrait par l'impôt une participation plus efficace, sans que les finances publiques courussent le risque d'une perte toujours possible. D'un autre côté, avec ce système on croit mettre au service de l'exploitation commune toutes les forces des entreprises particulières. C'est une erreur grossière. Car dès l'instant que les représentants de l'administration publique participent à la direction, toutes les contraintes qui paralysent la force de décision d'employés publics se font sentir. Les exploitations d'économie mixte permettent au moins pour la forme de ne pas appliquer aux employés et aux ouvriers les règlements valables pour les fonctionnaires, et d'atténuer un peu l'effet nuisible produit par l'esprit fonctionnaire sur la rentabilité des entreprises. L'exploitation économique mixte a mieux fait ses preuves que l'exploitation en régie pure. Pour la possibilité de réalisation du socialisme cela n'a pas plus d'importance que les résultats heureux obtenus parfois par telle ou telle exploitation publique. Qu'avec des circonstances favorables il soit possible de diriger presque rationnellement une exploitation étatisée au milieu d'un ordre économique reposant sur la propriété privée des moyens de production, ne prouve rien quant à la possibilité d'une socialisation complète de l'économie nationale.

Pendant la guerre mondiale on a tenté, en Allemagne et en Autriche un essai de socialisme de guerre en laissant aux chefs d'entreprises la direction des exploitations étatisées. La hâte avec laquelle, au milieu des circonstances les plus difficiles de la guerre, on procéda à des mesures de socialisation, et le fait qu'avant de se lancer dans cette voie on ne s'était pas clairement rendu compte ni de la portée de cette nouvelle politique ni de la limite jusqu'où on pouvait aller ne permettaient pas qu'on opérât autrement. On confia la direction des différentes branches de la production à des associations obligatoires des chefs d'entreprises, placées sous le contrôle du gouvernement. Fixation des prix d'un côté, lourdes impositions des gains d'un autre côté, tout cela était fait pour rabaisser les chefs d'entreprises au rôle d'employés participant aux bénéfices [22]. Ce système a donné de très mauvais résultats. Pourtant, à moins d'abandonner tout essai de socialisation, on était bien forcé de s'y tenir, faute de mieux. Le mémoire du 7 mai 1919 du ministère de l'Économie du Reich allemand, rédigé par Wissel et Moellendorff, dit très nettement que pour un gouvernement socialiste il n'y a pas autre chose à faire que de s'en tenir à ce que pendant les hostilités on a appelé socialisme de guerre. On lit dans ce mémoire : "Un gouvernement socialiste ne peut pas assister avec indifférence à l'empoisonnement de l'esprit public, que, par des préjugés intéressés, on excite contre une économie dirigée. Le gouvernement socialiste peut améliorer l'économie dirigée, donner une vie nouvelle au vieux bureaucratisme. Il peut, sous la forme d'une administration autonome, faire porter la responsabilité sur le peuple lui-même chargé de l'exploitation, mais le gouvernement doit se proclamer partisan résolu de l'économie dirigée, c'est-à-dire partisan de deux idées très impopulaires : obligation morale et contrainte." [23]

Cette économie dirigée est l'esquisse d'une communauté socialiste qui cherche à résoudre d'une certaine manière l'insoluble problème de la responsabilité des organes dirigeants de la société. Non seulement l'idée sur laquelle repose cette tentative de solution est fausse. La solution elle-même n'est qu'une pseudo-solution. Que ceux qui ont trouvé et prôné ce projet ne s'en soient pas aperçus, caractérise bien l'état d'esprit des fonctionnaires. L'administration autonome qui doit être accordée aux différentes régions et aux différentes branches de production, n'a d'intérêt que pour les choses de second ordre. Ce qui l'emporte de beaucoup dans l'économie d'un pays c'est l'équilibre entre les différentes régions et les différentes branches de la production. Or cet équilibre ne peut obtenu que par des mesures générales et homogènes. Sinon, tout ce plan n'a plus rien que de syndicaliste. Et en effet Wissel et Moellendorff prévoient aussi un conseil de l'économie de l'empire, qui a comme attribution "la direction supérieure de l'économie allemande en coopération avec les organes compétents suprêmes du Reich." [24] Ainsi toutes ces propositions n'aboutissent qu'à faire partager par une seconde instance la responsabilité des mesures prises pour la direction de l'économie par les ministères.

La principale différence entre le socialisme d'État de la Prusse des Hohenzollern et le socialisme de l'économie dirigée est la suivante. Dans l'un ce sont le parti des hobereaux et la bureaucratie qui avaient la prééminence dans la direction des affaires et dans la répartition des revenus, fonctions réservées dans l'autre à ceux qui étaient jusqu'ici les chefs d'entreprise. Et cela est une innovation due à la transformation de la situation politique après la débâcle subie par les princes, la noblesse, la bureaucratie et les corps des officiers. Pour les problèmes du socialisme, c'est du reste sans importance.

Dans ces dernières années on a inventé un nouveau mot pour désigner ce qu'on entend d'ordinaire par économie dirigée, à savoir le mot : capitalisme d'État. On verra apparaître encore beaucoup de propositions pour sauver le socialisme. Nous apprendrons beaucoup de mots nouveaux désignant une vieille chose. Mais ce ne sont pas les noms qui importent, c'est le fond. Or tous ces projets ne peuvent rien changer au fond du socialisme.

6. Le Socialisme des Guildes

Dans les années qui suivirent la grande guerre le socialisme corporatif passait en Angleterre et sur le continent pour une panacée. Aujourd'hui il est oublié depuis longtemps. Cependant dans une étude des différents essais socialistes on ne saurait le passer sous silence, ne serait-ce que pour la raison qu'il représente la seule contribution aux plans socialistes modernes qui ait été fournie par les Anglo-Saxons qui, en matière économique, marchent à la tête des nations.

Ce socialisme corporatif est lui aussi un essai pour résoudre l'insoluble problème de la direction socialiste de l'économie. Le peuple anglais, habitué à la longue souveraineté des idées libérales, a été préservé de la valeur exagérée qu'on accordait, surtout dans l'Allemagne moderne, à l'État. Le peuple anglais n'avait donc pas besoin que l'insuccès des tentatives du socialisme d'État lui ouvrît les yeux. Le socialisme en Angleterre n'a jamais cru que l'État fût capable de diriger pour le mieux tout ce qui intéresse les hommes. Alors qu'avant 1914 les autres Européens entrevoyaient à peine le problème, les Anglais en avaient depuis longtemps saisi toute l'importance.

Dans le socialisme corporatif trois éléments différents doivent être distingués. Le socialisme corporatif veut d'abord motiver la nécessité de remplacer le système capitaliste par le socialiste. Théorie éclectique dont nous ne nous occuperons pas. En second lieu il indique la voie qui doit mener au socialisme. Ceci est important, car cette voie menant au socialisme pourrait fort bien aboutir au syndicalisme. Et enfin il esquisse le programme d'une organisation future socialiste de la société. C'est de ce dernier point que nous devons nous occuper.

Le but du socialisme corporatif est la socialisation des moyens de production. Nous sommes donc en droit de l'appeler socialisme. Ce qui le caractérise c'est l'organisation particulière qu'il entend donner à l'organisation administrative du futur État socialiste. La production doit être dirigée par les ouvriers des différentes branches de la production. Ils nomment les chefs d'équipe, les contremaîtres et les autres dirigeants de l'entreprise. Ils règlent directement ou indirectement les conditions du travail et fixent à la production sa voie et son but [25]. En face des corporations, organisations de ceux qui travaillent dans les différentes branches de l'industrie, il y a l'État, qui représente l'organisation des consommateurs et a le droit de lever des impôts sur les corporations et par là de contrôler leur politique des prix et des salaires [26]

Le socialisme corporatif s'illusionne fort s'il croit que de cette manière il serait possible de créer un ordre socialiste de la société, qui respecterait la liberté individuelle et éviterait tous les maux causés par ce socialisme centralisé que les Anglais qualifient de "Prussian ideas" [27] et qu'ils détestent. Dans le socialisme corporatif tout le poids de la direction de la production retombe aussi sur l'État. C'est lui seul qui assigne son but à la production et indique les voies pour y parvenir. Par les mesures de sa politique fiscale il décide directement ou indirectement des conditions du travail. Il déplace les capitaux et les ouvriers en les faisant passer d'une industrie à une autre. Il cherche des compromis et aplanit les difficultés entre les diverses corporations et entre les producteurs et les consommateurs. Ces tâchent qui échoient à l'État sont la seule chose qui importe, elles constituent l'essence même de la direction économique [28]. La seul tâche laissée aux corporations, et à l'intérieur des corporations aux associations locales ainsi qu'aux exploitations particulières, c'est d'exécuter les travaux dont l'État les a chargées. Tout le système est une transposition de la constitution politique de l'État anglais dans le domaine de la production des biens ; il se modèle sur les rapports entre l'administration locale et l'administration de l'État. Du reste ce socialisme tient expressément à être considéré comme un fédéralisme économique. Cependant avec la constitution politique d'un État libéral il n'est pas difficile d'accorder une certaine indépendance aux différentes administrations locales. L'intégration nécessaire des parties dans le tout est assurée suffisamment par la contrainte où se trouve, pour régler ses affaires, toute administration locale de s'en tenir aux lois de l'État. Pour la production il n'en est pas de même. La société ne peut pas laisser le soin à ceux qui exercent leur activité dans les différentes branches de la production de décider eux-mêmes la quantité et le genre de travail qu'ils ont à exécuter, ni la dépense en moyens de production matériels qu'ils entendent faire [29]. Quand les ouvriers d'une corporation travaillent avec peu de zèle, ou que par leur travail ils gaspillent les moyens de production, ce n'est pas un fait qui intéresse seulement les ouvriers, mais la société tout entière. C'est pourquoi l'État qui dirige la production ne peut absolument pas se désintéresser de ce qui se passe à l'intérieur des corporations. S'il lui demeure interdit d'exercer directement son contrôle en nommant les contremaîtres et les directeurs de travaux, il doit cependant s'efforcer, avec les moyens qu'il a en main (droit d'imposition, influence exercée sur la répartition des biens de jouissance), de réduire l'autonomie administrative des corporations et de n'en laisser subsister qu'une vaine apparence. L'ouvrier déteste surtout les supérieurs, qu'il rencontre tous les jours et à toute heure et qui doivent diriger et surveiller son travail. Des réformateurs sociaux, influencés par l'état d'esprit des ouvriers, croient qu'on pourrait remplacer ces supérieurs par des hommes de confiance choisis librement par les ouvriers. Cette idée est un peu moins absurde que celle des anarchistes qui se figurent que sans contrainte tout individu serait prêt à observer les règles indispensables à la vie sociale, mais elle ne vaut pas beaucoup mieux. La production sociale est un tout homogène, où chaque partie doit occuper exactement la place que sa fonction lui assigne dans la l'ensemble de la production. On ne peut pas laisser les parties choisir à leur guise la façon dont elles s'adapteront à l'activité générale. Si le chef librement choisi ne montre pas dans son activité de surveillance le même zèle et la même ténacité qu'un chef non élu par les ouvriers, la productivité du travail baissera.

On voit donc que le socialisme corporatif ne résout aucune des difficultés qui s'opposent à l'établissement d'un ordre socialiste de la société. Il rend le socialisme plus acceptable pour les esprits anglais, en remplaçant le mot d'étatisation, qui leur est antipathique, par le slogan : "Self-Government in Industry." Au fond ce socialisme corporatif ,'apporte rien de nouveau. Il propose la même chose que les socialistes continentaux : faire diriger la production par des comités composés de représentants des ouvriers et employés d'une part, des consommateurs, d'autre part. Nous avons déjà dit qu'ainsi on n'avançait point d'un pas vers la solution des problèmes du socialisme.

Du reste le socialisme corporatif devait une bonne part de sa popularité à l'élément syndicaliste que beaucoup de ses partisans croyaient y trouver. Le socialisme corporatif, tel que ses écrivains le conçoivent, n'est certes pas syndicaliste. Mais il est vrai que la voie qu'il suit pour arriver à ses buts mène d'abord au syndicalisme. Si, en attendant, des corporations nationales étaient instituées dans quelques branches importantes de la production, au milieu d'un système économique encore capitaliste, cela équivaudrait à une syndicalisation de quelques branches de l'industrie. Comme partout, l'on voit qu'ici aussi le chemin des socialistes peut facilement dévier sur la voie syndicale.

Notes

[1] Sur les autres sens du mot : Révolution dans les théories marxistes, voir plus haut, p. 91.

[2] Cf. Engels, Herrn Dührings Umwältzung der Wissenschaft, p. 299.

[3] Cf. Kautsky, Das Erfurter Programm, 12e éd., Stuttgart, 1914, p. 129.

[4] Cf. Engels, Herrn Dührings Umwältzung der Wissenschaft, p. 298.

[5] Cf. Kautsky, Das Erfurter Programm, p. 129.

[6] Ibid., p. 130.

[7] Voir plus haut, p. 137.

[8] Cf. Bericht der Sozialisierungskommission über die Frage der Sozialisierung des Kohlenbergbaues vom 31. Juli 1920, mit Anhang : Vorläufiger Bericht vom 15.II.1919, 2e éd., Berlin, 1920, pp. 32...

[9] Ibid., p. 2 (cité par Waltz, p. 21). — Cf Lenz, Agrarlehre und Agrarpolitik der deutschen Romantik, Berlin, p. 84. — Cf. des réflexions analogues du prince Aloyse Liechtenstein, l'un des chefs des socialistes chrétiens autrichiens, cité par Nitti, Le socialisme catholique, Paris, 1894, pp. 370.

[10] Cf. Kautsky, Die soziale Revolution, II, p. 33.

[11] Ibid., II, p. 35.

[12] Cf. Bourguin, pp. 62...

[13] Dans Les Origines du Sociélisme d'État en Allemagne, 2e éd., Paris, 1911, p. 2, Andler insiste sur ce caractère du socialisme étatiste.

[14] Sur Lipara, cf. Poehlmann, t. I, pp. 44...

[15] Cf. Max Weber, Der Streit um den Charakter der allgermanischen Sozialverfassung in der deutschen Literatur des letzen Jahrzehnts ("Jahrbücher für Nationalökonomie und Statistik", t. XXVIII, 1904, p. 445).

[16] Cf. Caesar, De bello Gallico, IV, 1.

[17] Cf. Herbert Spencer, Die Prinzipie der Soziologie, trad. Vettr, t. III, Stuttgart, 1899, pp. 710...

[18] Cf. mon exposé dans Nation, Staat und Wirtschaft, pp. 115..., 143...

[19] Wiener (Essai sur les institutions politiques, religieuses, économiques et sociales de l'Empire des Incas, Paris, 1874, p. 64, pp. 90...) explique la facilité, avec laquelle Pizzaro a conquis le Pérou par le fait que le communisme avait enlevé au peuple toute énergie.

[20] Cf. Max Weber, p. 445.

[21] Dans les pages précédentes nous avons toujours parlé de l'Église en général sans nous arrêter aux différentes confessions. C'est parfaitement légitime. L'évolution vers le socialisme est commune à toutes les confessions. En 1891 dans l'encyclique Rerum novarum, Léon XIII a reconnu que la propriété privée découlait du droit naturel. En même temps l'Église a posé un certain nombre de principe moraux pour la répartition des revenus, qui ne peuvent être mis en pratique que dans le socialisme d'État. L'encyclique de Pie XI, Quadragesimo anno, de 1931, repose sur le même fondement. Dans le protestantisme allemand l'idée du socialisme chrétien est si intimement liée au socialisme d'État, qu'il est presque impossible de les différencier l'un de l'autre.

[22] Sur le caractère du socialisme de guerre et ses effets, cf. mon exposé dans Nation, Staat und Wirtschaft, pp. 140.

[23] Cf. Denkschrift des Reichswirtschaftsministeriums, reproduit par Wissel, p. 106.

[24] Cf. ibid., p. 116.

[25] "Les partisans des corporations condamnent la propriété industrielle privée et se montrent favorables à la propriété publique. Bien entendu, cela ne signifie pas qu'ils désirent voir l'industrie administrée bureaucratiquement par des organismes d'État. Ils tendent à établir le contrôle de l'industrie par des Corporations nationales comprenant tout le personnel de l'industrie. Mais ils ne souhaitent pas que la propriété d'une industrie quelconque passe aux ouvriers qui y travaillent. Leur but est d'établir la démocratie industrielle en remettant l'administration entre les mains des ouvriers, mais en même temps, à éliminer le profit en plaçant la propriété entre les mains du public. Ainsi, les ouvriers, dans une corporation, ne travailleront pas pour un profit : les prix des produits et, indirectement du moins, le niveau des salaires seront assujettis au contrôle public dans une industrielle entre ouvriers et public ; en conséquence, il est nettement séparé des propositions vulgairement décrites comme "syndicalistes"... La conception essentielle du corporatisme national réside dans la notion d'un auto-gouvernement industriel et de démocratie. Ses partisans estiment que les principes démocratiques sont intégralement applicables aussi bien dans le domaine de l'industrie que dans celui de la politique." (Cf. Cole, Chaos and order in Industry, Londres, 1920, pp. 58).

[26] Cf. Cole, Self-Government in Industry, 5e éd., Londres, 1920, pp. 235... ; Schuster, Zum englischen Gildensozialismus (Jahrbücher für Nationalökonomie und Statistik, t. CXV, pp. 487...).

[27] Cf. Cole, Self-Government, p. 255.

[28] "Il n'y a pas besoin de réfléchir longuement pour se rendre compte de la différence qu'il y a entre creuser des fossés et décider où ces fossés doivent être creusés, entre cuire du pain et décider combien de pain doit être cuit, entre bâtir des maisons et décider où elles doivent être bâties. On pourrait allonger la liste. L'intensité du zèle démocratique n'arrivera pas à faire disparaître ces différences. le socialisme corporatif, placé en face de ces faits, dit qu'il doit y avoir des organisations centrales et locales chargées de contrôler aussi cette partie importante de la vie sociale, qui est en dehors du domaine de la production. Un architecte, même s'il ne désirait que construire des maisons, vit tout de même, comme citoyen, dans un autre milieu et sait les limites de son horizon technique. C'est qu'il n'est pas seulement producteur. Il est aussi citoyen." Cole et Mellor, Gildensozialismus (trad. allemande de The Meaning of Industrial Freedom), Cologne, 1921, pp. 36...

[29] Tawney (The Acquisitive Society, Londres, 1921, p. 122), trouve qu'un avantage du système corporatif pour l'ouvrier est de mettre fin à "the odious and degrading system under which he is thrown aside, like unused material, whenever his services do not happen to be required." C'est pourtant là que se montre le défaut essentiel du système recommandé. Si l'on a besoin de peu de travaux de construction, parce qu'il y a assez de constructions, et qu'on doive quand même bâtir pour occuper les ouvriers du bâtiment, qui ne veulent point passer dans d'autres branches de la production où l'on a besoin d'ouvriers, c'est là de l'économie peu ménagère et dépensière. Le système capitaliste, dans ce cas, contraint à changer de métier. Du point de vue de l'intérêt général, c'est précisément un de ses mérites, quoiqu'il en puisse résulter quelque désavantage pour les intérêts particuliers de quelques petits groupements.