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Ludwig von Mises:Le Socialisme - chapitre 14
Le Socialisme
Étude économique et sociologique


Anonyme


Section II — La communauté socialiste et les échanges extérieurs
Chapitre III — La politique commerciale étrangère des communautés socialistes

Deuxième partie : l'économie de la communauté socialiste

Section II — La communauté socialiste et les échanges extérieurs

Chapitre III — La politique commerciale étrangère des communautés socialistes

1. Autarcie et Socialisme

Pour une communauté socialiste, qui n'embrasse pas toute l'humanité, il n'y aurait aucune raison de s'isoler de tous les pays étrangers et de vivre sur ses propres ressources. Il peut être désagréable aux chefs d'un tel État qu'avec les produits étrangers des idées étrangères passent la frontière. Ils peuvent craindre pour la durée du système socialiste que les camarades aient la possibilité de faire des comparaisons entre leur situation et celle des étrangers n'appartenant pas à des communautés socialistes. Mais ce sont là des considérations politiques. Elles n'ont plus de raison d'être, si les États étrangers sont aussi organisés selon une base socialiste. Du reste un homme d'État persuadé de l'excellence du socialisme devrait attendre d'un contact avec les ressortissants d'États non socialistes une conversion de ces étrangers au socialisme. Il ne devrait pas redouter que ces étrangers ébranlent la conviction socialiste de ses compatriotes.

La fermeture des frontières empêchant l'importation des marchandises étrangères il en résulterait de grands désavantages pour l'approvisionnement des camarades socialistes : c'est ce que nous montre la théorie du libre-échange. Capital et travail devant être employés dans les conditions de production relativement moins favorables, leur rendement serait moindre. Pour illustrer ce fait prenons un exemple voyant. Une Allemagne socialiste pourrait à grand renfort de capital et de travail cultiver du café dans des serres. Mais il serait beaucoup plus avantageux, au lieu de cultiver du café dans le pays avec de si grands frais, de le faire venir du Brésil et d'exporter en revanche des produits que la situation de l'Allemagne lui permet de fournir dans des conditions plus favorables que le café [1].

2. Le commerce extérieur en régime socialiste

Ainsi sont données les directives que la politique commerciale d'une communauté socialiste devrait suivre. Si elle veut procéder d'une manière purement économique elle ne devra pas chercher à atteindre autre chose que ce qui se produirait avec une liberté de commerce complète par le libre jeu des forces économiques. La communauté socialiste bornera sa production aux biens pour lesquels le pays présente des conditions de production relativement plus favorables qu'à l'étranger. Elle ne développera chacune de ces productions que dans la mesure relative où ces conditions sont supérieures à celles de l'étranger. Quant aux autres marchandises elle se les procurera par voie d'échange avec les autres pays.

Pour la question de principe peu importe si ce commerce avec l'étranger se fait ou non avec un moyen d'échange universellement employé, avec de l'argent. De même que l'économie intérieure de la communauté socialiste, les relations commerciales avec l'étranger, qui n'en diffèrent en rien, ne pourront pas être organisées d'une manière rationnelle s'il n'existe pas de calcul en argent et d'évaluation des prix en argent pour les moyens de production. Là-dessus rien à ajouter à ce qui a été dit. Cependant nous voulons nous représenter une communauté socialiste au milieu d'un monde non socialiste. Une communauté de ce genre pourrait compter et évaluer en argent comme une compagnie de chemin de fer de l'État, ou un service municipal des eaux, comme il en existe dans les sociétés reposant par ailleurs sur la propriété privée des moyens de production.

3. Le placement des capitaux à l'étranger

Il n'est indifférent pour personne de savoir comment vont les affaires du voisin. La productivité du travail est accrue par la division du travail ; aussi est-il dans l'intérêt de chacun que cette division du travail soit aussi pleinement réalisée que les circonstances le permettent. Il est dommageable pour moi qu'il y ait encore des gens attachés à l'autarcie de leur économie domestique. S'ils participaient au commerce général, la division du travail pourrait être assurée d'une plus ample manière. Si les moyens de production se trouvent entre les mains de chefs d'entreprise peu doués, le tort causé atteint aussi tout le monde. Dans la société capitaliste cet intérêt, c'est-à-dire l'intérêt de tous et de la collectivité est servi efficacement par l'ambition qui anime chaque chef d'entreprise. D'un côté le chef d'entreprise cherche toujours de nouveaux débouchés ; avec ses marchandises meilleures et meilleur marché il refoule les produits plus chers et moins bons des producteurs travaillant moins rationnellement que lui. D'autre part il cherche toujours des sources plus abondantes et meilleur marché où se procurer les matières premières et procure ainsi à la production des conditions plus favorables. C'est là le fond véritable de la tendance expansionniste du capitalisme, tendance que le néo-marxisme méconnaît lorsqu'il l'appelle d'un mot alambiqué : "l'effort de mise en valeur du capitalisme", et lorsque, à notre grand étonnement, il cherche à se servir de cette formule pour expliquer l'impérialisme moderne.

L'ancienne politique coloniale des puissances européennes était entièrement mercantile, militariste et impérialiste. Après que le libéralisme l'eut emporté sur le mercantilisme, le caractère de la politique coloniale changea complètement. Parmi les anciennes puissances coloniales, quelques-unes — Espagne, Portugal et France — avaient perdu la majeure partie de leurs possessions. L'Angleterre, qui était devenue la première puissance coloniale, se mit en devoir d'administrer ses possessions conformément aux doctrines du libre-échange. Lorsque les libre-échangistes anglais parlaient de la mission qu'avait l'Angleterre de faire entrer au sein de la civilisation les peuples arriérés, ce n'était pas un vain mot. L'Angleterre a prouvé qu'elle avait conçu sa position dans les Indes, dans les colonies de la couronne et dans les protectorats comme un mandat de la civilisation européenne. Ce n'est pas hypocrisie de la part du libéralisme anglais que de déclarer que la domination de l'Angleterre aux colonies a été aussi utile pour ceux qu'elle avait soumis et pour les autres peuples du monde que pour l'Angleterre elle-même. Le fait seul qu'aux Indes l'Angleterre ait maintenu le libre-échange, montre qu'elle a considéré la politique coloniale d'un tout autre point de vue que les États qui dans la dernière moitié du XIXe siècle ont fait leur entrée ou leur rentrée dans la politique coloniale : France, Allemagne, États-Unis, Japon, Belgique et Italie. Les guerres entreprises par l'Angleterre à l'époque du libéralisme pour étendre son domaine colonial et pour ouvrir au commerce étranger des territoires qui lui étaient jusque-là fermés, ces guerres ont jeté les fondements de l'économie mondiale. Pour comprendre leur importance, on n'a qu'à se représenter les conséquences d'une Chine et d'Indes dont l'arrière-pays resterait en dehors du trafic mondial. Chaque Chinois, chaque Hindou, mais aussi chaque Européen et chaque Américain seraient beaucoup moins bien pourvus en marchandises nécessaires. Si aujourd'hui l'Angleterre perdait les Indes et que ce pays, riche en trésors naturels, tombât dans l'anarchie, et livrât au marché mondial moins de marchandises que jusqu'ici, ou pas du tout, cela serait une catastrophe économique de la première importance.

Le libéralisme veut ouvrir au commerce toutes ses portes. Il n'est pas du tout dans ses intentions de forcer quelqu'un à acheter ou à vendre. Ce qu'il veut, c'est supprimer les gouvernements qui par des interdictions commerciales et par d'autres restrictions apportées aux échanges commerciaux cherchent à priver leurs sujets des avantages que procure la participation au commerce mondial, et qui par là nuisent à l'approvisionnement de tous les hommes. La politique libérale n'a rien de commun avec l'impérialisme qui veut conquérir des territoires pour les isoler du commerce mondial.

Les communautés socialistes ne pourront pas agir autrement que les politiques libéraux ; elles ne pourront pas tolérer que des territoires, envers lesquels la nature s'est montrée prodigue de richesses, soient exclus du trafic, et que des peuples entiers soient empêchés de prendre part à l'échange des biens. Mais cela créera pour le socialisme un problème qu'il ne peut résoudre, parce que seule la société capitaliste peut le faire : le problème de la propriété des moyens de production étrangers.

Dans le monde capitaliste, tel que les libre-échangistes désireraient qu'il fût, les frontières des États sont sans importance. Les flots du commerce passent par-dessus sans que rien les arrête ; elles n'entravent pas l'acheminement des moyens de production immobiliers vers le meilleur chef d'entreprise et elles ne gênent pas non plus l'établissement des moyens de production mobiliers aux endroits qui offrent les conditions de production les plus favorables. La propriété des moyens de production est indépendante de la nationalité. Il y a des placements de capitaux qui sont faits à l'étranger.

Avec le socialisme il en va autrement. Une communauté socialiste ne peut pas posséder en propre des moyens de production qui se trouvent en dehors des frontières de l'État. Elle ne peut non plus faire de placements de capitaux à l'étranger pour en obtenir le plus haut rendement possible. Une Europe socialiste, par exemple, assisterait impuissante au fait suivant : Les Indes socialistes exploitant mal les richesses de leur sol, de sorte que sur le marché des échanges mondiaux elles pourraient fournir moins de biens que si elles étaient soumises à une économie plus rationnelle. Les Européens devraient faire en Europe de nouveaux placements de capitaux moins favorables, tandis qu'aux Indes des conditions de production plus favorables ne pourraient être exploitées à fond, faute de capitaux. Une juxtaposition de communautés socialistes indépendantes, qui ne seraient reliées entre elles que par des échanges de biens, s'avérerait insensée. Il en naîtrait des situations qui, en dehors d'autres considérations, suffiraient à abaisser considérablement la productivité.

Ces difficultés seront insurmontables, tant qu'on laissera subsister l'une à côté de l'autre des communautés socialistes indépendantes. Pour les surmonter, il faudrait que les communautés socialistes isolées fussent réunies en une communauté unique embrassant le monde entier.

Note

[1] Il est superflu de discuter les plans d'autarcie, lancés bruyamment par les innocents gens de lettres du "Tat". (Cf. Fried, Das Ende des Kapitalismus, Iéna, 1931). L'autarcie rabaisserait beaucoup plus les conditions de vie du peuple allemand que ne l'eût fait la charge des répartitions même centuplée.