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| « Si quelqu'un est en Jésus-Christ, il est devenu une nouvelle créature; ce qui était | | « Si quelqu'un est en Jésus-Christ, il est devenu une nouvelle créature; ce qui était |
| devenu vieux est passé, voyez, tout est devenu nouveau 1. » | | devenu vieux est passé, voyez, tout est devenu nouveau <ref>1 IIe épître aux Corinthiens, v, 17.</ref> |
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| Nous avons dit plus haut que « pour les Anciens le monde était une vérité ; nous | | Nous avons dit plus haut que « pour les Anciens le monde était une vérité ; nous |
| pouvons dire maintenant : Pour les Modernes, l'Esprit était une « vérité », mais à | | pouvons dire maintenant : Pour les Modernes, l'Esprit était une « vérité », mais à |
| condition d'ajouter, comme précédemment, « une vérité derrière la fausseté de laquelle | | condition d'ajouter, comme précédemment, « une vérité derrière la fausseté de laquelle |
| ils cherchèrent et finalement parvinrent à pénétrer ». | | ils cherchèrent et finalement parvinrent à pénétrer ». |
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| Le Christianisme suit la route qu'avait prise l'Antiquité; courbée durant tout le | | Le Christianisme suit la route qu'avait prise l'Antiquité; courbée durant tout le |
| Moyen Âge sous la discipline de dogmes chrétiens, l'intelligence se fait sophiste pendant | | Moyen Âge sous la discipline de dogmes chrétiens, l'intelligence se fait sophiste pendant |
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| Rome; mais quel mal y a-t-il à ce que l'esprit se divertisse, pourvu que le coeur reste | | Rome; mais quel mal y a-t-il à ce que l'esprit se divertisse, pourvu que le coeur reste |
| chrétien? | | chrétien? |
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| Longtemps avant la Réforme, on était si bien accoutumé aux subtiles controverses | | Longtemps avant la Réforme, on était si bien accoutumé aux subtiles controverses |
| que le Pape, et presque tous avec lui, ne crurent d'abord assister, lorsque Luther entra | | que le Pape, et presque tous avec lui, ne crurent d'abord assister, lorsque Luther entra |
| en scène, qu'à « une simple querelle de moines ». | | en scène, qu'à « une simple querelle de moines ». |
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| L'humanisme répond à la sophistique : c'est au temps des Sophistes que la vie | | L'humanisme répond à la sophistique : c'est au temps des Sophistes que la vie |
| grecque atteignit son plein épanouissement (siècle de Périclès); de même l'époque de | | grecque atteignit son plein épanouissement (siècle de Périclès); de même l'époque de |
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| un apogée dans l'histoire de la civilisation (découverte de l'imprimerie, du Nouveau | | un apogée dans l'histoire de la civilisation (découverte de l'imprimerie, du Nouveau |
| Monde, etc.). | | Monde, etc.). |
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| Le coeur était, à ce moment, bien éloigné encore de toute velléité de se débarrasser | | Le coeur était, à ce moment, bien éloigné encore de toute velléité de se débarrasser |
| de son contenu chrétien. Mais la Réforme prit enfin, comme l'avait fait Socrate, le | | de son contenu chrétien. Mais la Réforme prit enfin, comme l'avait fait Socrate, le |
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| cordialité vide, l'amour tout général de l'Homme, de l'Humanité, le sentiment de la | | cordialité vide, l'amour tout général de l'Homme, de l'Humanité, le sentiment de la |
| liberté, la « Conscience ». | | liberté, la « Conscience ». |
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| Le Christianisme atteint ainsi le terme de son évolution, parce qu'il s'est dénudé, | | Le Christianisme atteint ainsi le terme de son évolution, parce qu'il s'est dénudé, |
| atrophié et vidé. Le coeur n'a plus rien en lui qui ne le révolte, à moins de surprise ou | | atrophié et vidé. Le coeur n'a plus rien en lui qui ne le révolte, à moins de surprise ou |
| d'inconscience. Il soumet à une critique mortelle tout ce qui prétend l'émouvoir ; il n'a | | d'inconscience. Il soumet à une critique mortelle tout ce qui prétend l'émouvoir ; il n'a |
| ni ménagements ni pitié. Il n'est capable ni d'amitié ni d'amour. Et que pourrait-il | | ni ménagements ni pitié. Il n'est capable ni d'amitié ni d'amour. Et que pourrait-il |
| 1 IIe épître aux Corinthiens, v, 17.
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| Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 35
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| aimer chez les hommes? Tous sont des « égoïstes », nul n'est vraiment l'Homme, le | | aimer chez les hommes? Tous sont des « égoïstes », nul n'est vraiment l'Homme, le |
| pur esprit; le Chrétien n'aime que l'esprit, mais où est-il le pur esprit? | | pur esprit; le Chrétien n'aime que l'esprit, mais où est-il le pur esprit? |
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| Aimer l'homme corporel, en chair et en os, ne serait plus un amour « spirituel », | | Aimer l'homme corporel, en chair et en os, ne serait plus un amour « spirituel », |
| ce serait une trahison envers l'amour « pur », « l'intérêt théorique ». Ne confondez | | ce serait une trahison envers l'amour « pur », « l'intérêt théorique ». Ne confondez |
| pas, en effet, avec l'amour pur cette cordialité qui serre amicalement la main à chacun | | pas, en effet, avec l'amour pur cette cordialité qui serre amicalement la main à chacun; il en est précisément le contraire, il ne se livre en toute sincérité à personne, il n'est qu'une sympathie toute théorique, un intérêt qui s'attache à l'homme en tant |
| ; il en est précisément le contraire, il ne se livre en toute sincérité à personne, il | |
| n'est qu'une sympathie toute théorique, un intérêt qui s'attache à l'homme en tant | |
| qu'homme et non en tant que personne. La personne repousse cet amour, parce qu'elle | | qu'homme et non en tant que personne. La personne repousse cet amour, parce qu'elle |
| est égoïste, qu'elle n'est pas l'Homme, l'idée à laquelle seule peut s'attacher l'intérêt | | est égoïste, qu'elle n'est pas l'Homme, l'idée à laquelle seule peut s'attacher l'intérêt |
| théorique. | | théorique. |
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| Les hommes comme vous et moi ne fournissent à l'amour pur, à la pure théorie, | | Les hommes comme vous et moi ne fournissent à l'amour pur, à la pure théorie, |
| qu'un sujet de critique, de raillerie et de radical mépris; ils ne sont pour lui, comme | | qu'un sujet de critique, de raillerie et de radical mépris; ils ne sont pour lui, comme |
| pour les prêtres fanatiques, que de l' « ordure » et pis encore. | | pour les prêtres fanatiques, que de l' « ordure » et pis encore. |
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| Arrivés à ce premier sommet de l'amour désintéressé, nous devons nous apercevoir | | Arrivés à ce premier sommet de l'amour désintéressé, nous devons nous apercevoir |
| que cet Esprit auquel s'adresse l'amour exclusif du Chrétien n'est rien — ou est | | que cet Esprit auquel s'adresse l'amour exclusif du Chrétien n'est rien — ou est |
| un leurre. | | un leurre. |
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| Ce qui, dans ce résumé, pourrait encore paraître obscur et n'être pas compris | | Ce qui, dans ce résumé, pourrait encore paraître obscur et n'être pas compris |
| s'éclaircira, nous l'espérons, par la suite. Acceptons l'héritage que nous ont légué les | | s'éclaircira, nous l'espérons, par la suite. Acceptons l'héritage que nous ont légué les |
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| est aussi au-dessus d'elles, il est délivré de leurs liens et plane, affranchi, | | est aussi au-dessus d'elles, il est délivré de leurs liens et plane, affranchi, |
| librement dans l'au-delà. Ainsi parle la « liberté spirituelle ». | | librement dans l'au-delà. Ainsi parle la « liberté spirituelle ». |
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| Pour l'esprit que de longs efforts ont dégagé et affranchi du monde; il ne reste | | Pour l'esprit que de longs efforts ont dégagé et affranchi du monde; il ne reste |
| plus, le monde et la matière déchus, que l'Esprit et le spirituel. | | plus, le monde et la matière déchus, que l'Esprit et le spirituel. |
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| Toutefois, en devenant essentiellement différent et indépendant du monde, l'esprit | | Toutefois, en devenant essentiellement différent et indépendant du monde, l'esprit |
| n'a fait que s'en éloigner, sans pouvoir en réalité l'anéantir ; aussi ce monde lui | | n'a fait que s'en éloigner, sans pouvoir en réalité l'anéantir ; aussi ce monde lui |
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| le monde, de le « racheter »; de là, les plans de rédemption, les projets d'amélioration | | le monde, de le « racheter »; de là, les plans de rédemption, les projets d'amélioration |
| du monde qu'il bâtit comme un jeune homme. | | du monde qu'il bâtit comme un jeune homme. |
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| Les Anciens, nous l'avons vu, étaient esclaves du naturel, du terrestre ; ils s'inclinaient | | Les Anciens, nous l'avons vu, étaient esclaves du naturel, du terrestre ; ils s'inclinaient |
| devant l'ordre naturel des choses, mais en se demandant sans cesse s'il n'existait | | devant l'ordre naturel des choses, mais en se demandant sans cesse s'il n'existait |
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| à des tentatives de révolte toujours renouvelées, de leur dernier soupir naquit le Dieu, | | à des tentatives de révolte toujours renouvelées, de leur dernier soupir naquit le Dieu, |
| le « vainqueur du monde ». | | le « vainqueur du monde ». |
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| Toute l'activité de leur pensée avait été dirigée vers la connaissance du monde, | | Toute l'activité de leur pensée avait été dirigée vers la connaissance du monde, |
| elle n'avait été qu'un long effort pour le pénétrer et le dépasser. Quel but s'est donné la | | elle n'avait été qu'un long effort pour le pénétrer et le dépasser. Quel but s'est donné la |
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| mais derrière le dieu que ces derniers leur léguaient, derrière le dieu « qui est esprit », | | mais derrière le dieu que ces derniers leur léguaient, derrière le dieu « qui est esprit », |
| derrière tout ce qui tient à l'esprit, derrière le spirituel. | | derrière tout ce qui tient à l'esprit, derrière le spirituel. |
| Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 36
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| L'activité de l'esprit qui explore « les profondeurs mêmes de la divinité » aboutit à | | L'activité de l'esprit qui explore « les profondeurs mêmes de la divinité » aboutit à |
| la Théologie. | | la Théologie. |
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| Si les Anciens n'ont produit qu'une Cosmologie, les Modernes n'ont jamais | | Si les Anciens n'ont produit qu'une Cosmologie, les Modernes n'ont jamais |
| dépassé et ne dépassent pas la Théologie. | | dépassé et ne dépassent pas la Théologie. |
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| Nous verrons par la suite que les plus récentes révoltes contre Dieu ne sont ellesmêmes | | Nous verrons par la suite que les plus récentes révoltes contre Dieu ne sont ellesmêmes |
| que les dernières convulsions de cette « théologie », ce sont des insurrections | | que les dernières convulsions de cette « théologie », ce sont des insurrections |
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| | == Notes et références == |
| | <references /> <!-- aide : http://fr.wikipedia.org/wiki/Aide:Notes et références --> |
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Max Stirner: B. Les modernes
L’Unique et sa propriété
Anonyme
B. Les modernes
« Si quelqu'un est en Jésus-Christ, il est devenu une nouvelle créature; ce qui était
devenu vieux est passé, voyez, tout est devenu nouveau [1]
Nous avons dit plus haut que « pour les Anciens le monde était une vérité ; nous
pouvons dire maintenant : Pour les Modernes, l'Esprit était une « vérité », mais à
condition d'ajouter, comme précédemment, « une vérité derrière la fausseté de laquelle
ils cherchèrent et finalement parvinrent à pénétrer ».
Le Christianisme suit la route qu'avait prise l'Antiquité; courbée durant tout le
Moyen Âge sous la discipline de dogmes chrétiens, l'intelligence se fait sophiste pendant
le siècle qui précède la Réforme et joue un jeu hérétique avec tous les fondements
de la foi. Cela se produit surtout en Italie, et particulièrement à la cour de
Rome; mais quel mal y a-t-il à ce que l'esprit se divertisse, pourvu que le coeur reste
chrétien?
Longtemps avant la Réforme, on était si bien accoutumé aux subtiles controverses
que le Pape, et presque tous avec lui, ne crurent d'abord assister, lorsque Luther entra
en scène, qu'à « une simple querelle de moines ».
L'humanisme répond à la sophistique : c'est au temps des Sophistes que la vie
grecque atteignit son plein épanouissement (siècle de Périclès); de même l'époque de
l'humanisme, que l'on pourrait peut-être appeler aussi l'époque du machiavélisme, fut
un apogée dans l'histoire de la civilisation (découverte de l'imprimerie, du Nouveau
Monde, etc.).
Le coeur était, à ce moment, bien éloigné encore de toute velléité de se débarrasser
de son contenu chrétien. Mais la Réforme prit enfin, comme l'avait fait Socrate, le
coeur au sérieux, et les coeurs à dater de ce jour ont, à vue d'oeil, cessé d'être chrétiens.
Du moment qu'on commençait avec Luther à remettre le coeur en question, ce premier
pas dans la voie de la Réforme devait aboutir à ce que lui aussi s'allégeât du fardeau
écrasant des sentiments chrétiens. De jour en jour moins chrétien, le coeur perdit ce
qui l'avait rempli et occupé jusque-là, si bien qu'il ne lui resta plus enfin qu'une
cordialité vide, l'amour tout général de l'Homme, de l'Humanité, le sentiment de la
liberté, la « Conscience ».
Le Christianisme atteint ainsi le terme de son évolution, parce qu'il s'est dénudé,
atrophié et vidé. Le coeur n'a plus rien en lui qui ne le révolte, à moins de surprise ou
d'inconscience. Il soumet à une critique mortelle tout ce qui prétend l'émouvoir ; il n'a
ni ménagements ni pitié. Il n'est capable ni d'amitié ni d'amour. Et que pourrait-il
aimer chez les hommes? Tous sont des « égoïstes », nul n'est vraiment l'Homme, le
pur esprit; le Chrétien n'aime que l'esprit, mais où est-il le pur esprit?
Aimer l'homme corporel, en chair et en os, ne serait plus un amour « spirituel »,
ce serait une trahison envers l'amour « pur », « l'intérêt théorique ». Ne confondez
pas, en effet, avec l'amour pur cette cordialité qui serre amicalement la main à chacun; il en est précisément le contraire, il ne se livre en toute sincérité à personne, il n'est qu'une sympathie toute théorique, un intérêt qui s'attache à l'homme en tant
qu'homme et non en tant que personne. La personne repousse cet amour, parce qu'elle
est égoïste, qu'elle n'est pas l'Homme, l'idée à laquelle seule peut s'attacher l'intérêt
théorique.
Les hommes comme vous et moi ne fournissent à l'amour pur, à la pure théorie,
qu'un sujet de critique, de raillerie et de radical mépris; ils ne sont pour lui, comme
pour les prêtres fanatiques, que de l' « ordure » et pis encore.
Arrivés à ce premier sommet de l'amour désintéressé, nous devons nous apercevoir
que cet Esprit auquel s'adresse l'amour exclusif du Chrétien n'est rien — ou est
un leurre.
Ce qui, dans ce résumé, pourrait encore paraître obscur et n'être pas compris
s'éclaircira, nous l'espérons, par la suite. Acceptons l'héritage que nous ont légué les
Anciens, et tâchons, ouvriers laborieux, d'en tirer — tout ce qu'on en peut tirer. La
terre gît méprisée à nos pieds, loin en dessous de nous et de notre ciel ; ses bras puissants
ne nous étreignent plus, nous avons oublié son souffle enivrant; si séduisante
qu'elle soit, elle ne peut égarer que nos sens ; notre esprit, et nous ne sommes en vérité
rien qu'esprit, elle ne saurait le tromper. Une fois parvenu derrière les choses, l'Esprit
est aussi au-dessus d'elles, il est délivré de leurs liens et plane, affranchi,
librement dans l'au-delà. Ainsi parle la « liberté spirituelle ».
Pour l'esprit que de longs efforts ont dégagé et affranchi du monde; il ne reste
plus, le monde et la matière déchus, que l'Esprit et le spirituel.
Toutefois, en devenant essentiellement différent et indépendant du monde, l'esprit
n'a fait que s'en éloigner, sans pouvoir en réalité l'anéantir ; aussi ce monde lui
oppose-t-il, du fond du discrédit où il est tombé, des obstacles sans cesse renaissants,
et l'Esprit est-il condamné à traîner perpétuellement le mélancolique désir de spiritualiser
le monde, de le « racheter »; de là, les plans de rédemption, les projets d'amélioration
du monde qu'il bâtit comme un jeune homme.
Les Anciens, nous l'avons vu, étaient esclaves du naturel, du terrestre ; ils s'inclinaient
devant l'ordre naturel des choses, mais en se demandant sans cesse s'il n'existait
pas de moyen d’esquiver cette servitude; lorsqu'ils se furent mortellement fatigués
à des tentatives de révolte toujours renouvelées, de leur dernier soupir naquit le Dieu,
le « vainqueur du monde ».
Toute l'activité de leur pensée avait été dirigée vers la connaissance du monde,
elle n'avait été qu'un long effort pour le pénétrer et le dépasser. Quel but s'est donné la
pensée pendant les siècles qui suivirent ? Derrière quoi les Modernes ont-ils tenté de
pénétrer? Derrière le monde ? Non, car cette tâche, les Anciens l'avaient accomplie ;
mais derrière le dieu que ces derniers leur léguaient, derrière le dieu « qui est esprit »,
derrière tout ce qui tient à l'esprit, derrière le spirituel.
L'activité de l'esprit qui explore « les profondeurs mêmes de la divinité » aboutit à
la Théologie.
Si les Anciens n'ont produit qu'une Cosmologie, les Modernes n'ont jamais
dépassé et ne dépassent pas la Théologie.
Nous verrons par la suite que les plus récentes révoltes contre Dieu ne sont ellesmêmes
que les dernières convulsions de cette « théologie », ce sont des insurrections
théologiques.
Notes et références
- ↑ 1 IIe épître aux Corinthiens, v, 17.