La fin de l'Ancien Régime est on ne peut plus d'actualité. C'est l'impasse d'une économie étouffée sous le poids des réglementations et des corporations, sans parler de la complexité de la fiscalité. C'est une époque marquée par l'impossible remise en question des privilèges et des avantages acquis, par l'impasse de l'endettement public et par l'usure des mécanismes politiques. C'est une période charnière caractérisée enfin par l'hésitation de la classe politique devant les réformes.
Alain Madelin
" Il existe sûrement, Messieurs les économistes, des cycles économiques ; existe-t-il des cycles des idées ? Ceci mériterait d'être regardé, tant il est vrai qu'en France ceux-ci mélangent les idées de libéralisme et les idées de dirigisme, avec, semble-t-il, un plus grand penchant pour les idées dirigistes. Ce penchant fait le charme des Français, une sorte d'exception française que l'on qualifie parfois d'ailleurs de culturelle, et, à contempler l'histoire, on observerait de façon linéaire sans doute une montée de l'étatisme, dans les faits, et sans doute aussi dans les esprits. Mais, à regarder de plus prés, j'ai le sentiment que nous avons eu dans l'histoire une sorte de " libéralisme à explosion ". Je m'explique : plutôt que de prendre le couple libéralisme-dirigisme, peut-être faudrait-il prendre le couple période d'ouverture et période de fermeture : des périodes d'ouverture des idées, de l'économie et de la société, suivies par des périodes de fermeture. Tant il est vrai que ceux qui ont des places ont tendance à les garder, pour eux et pour leurs descendants ; tant il est vrai aussi que les systèmes politiques ont tendance à fonctionner comme des distributeurs d'avantages, de protections, qui progressivement ossifient la société française. D'où après des périodes trop longues de fermeture, à nouveau un besoin d'ouverture, dont il semble qu'en France on ne sache pas très bien le gérer par des réformes tranquilles, d'où l'expression de libéralisme à explosion.
Ce soir, le terme retenu est celui de la fin de l'Ancien Régime. Ayant pour ma part, à quelques reprises au cours de ces dernières semaines esquissé une comparaison entre la fin de l'Ancien Régime et la période actuelle, vous permettrez, à l'historien amateur que je suis, quelques brèves réflexions introductives.
ll y aurait beaucoup de points de comparaison, je vais vous en livrer cinq.
Le premier bien sûr, c'est que la fin de l'Ancien Régime, marque la fin d'une économie étouffée, sous la poids du règlement des manufactures, et sous le poids des corporations, et de tous les obstacles à la liberté du travail. Une des revendications que l'on retrouve d'ailleurs dans beaucoup de cahiers des Etats Généraux, c'est " Laissez nous travailler, et particulièrement nous, les petits, qui n'avons que notre force de travail ".. Obstacle à la liberté du travail, obstacle à la liberté d'entreprendre : les 1500 textes réglementant les manufactures qui ont été accumulés en un siècle avant la Révolution Française, sont sans doute peu de choses par rapport aux 8000 lois, 400 000 règlements et décrets et 20 000 réglementations européennes qui sont applicables à ce jour sur le territoire français ; nul n'est censé ignorer la loi, comme chacun sait.
Face à Colbert qui demandait ce qu'on pouvait faire, pour favoriser la création de richesses dans ce pays, le marchand François Legendre s'est exclamé : " Laissez-nous faire ", formule dont on dit qu'elle est l'ancêtre du fameux " laissez faire, laissez passer " des physiocrates. Oui, la fin de l'Ancien Régime, c'est l'impasse d'une économie étouffée sous le poids des réglementations, sous le poids des corporations, sans parler de la complexité de la fiscalité, complexité à laquelle notre époque n'a sans doute rien à redire.
Le deuxième point de comparaison, c'est, bien sûr, l'impossible remise en cause des privilèges et des avantages acquis ; la veille de la Révolution, c'est quelque chose comme 20 % de croissance démographique en 3/4 de siècle, une poussée de la société pour avoir des places, et la société, au lieu d'ouvrir des places, quelle que soit la bonne volonté royale de vendre les offices les plus compliqués qui soient, ne peut offrir de places à tout le monde. La réaction sociale, au lieu d'ouvrir des places, consiste à se refermer, à refermer l'accès des hautes fonctions de l'armée aux quatre quartiers de noblesse, la réaction du Comte de Ségur, etc., etc., Il y a donc, me semble-t-il, une comparaison aujourd'hui entre ce que j'ai appelé la lutte des places de 1994 et les blocages de l'ascension sociale à la veille de la Révolution.
Le troisième point de comparaison, c'est bien sûr l'impasse financière, la crise de société n'est au fond que la conséquence de la crise financière non réglée. Pour la première fois en temps de paix, à la veille de la Révolution, l'Etat emprunte pour rembourser ses dettes. Donc crise financière grave d'un Etat qui vit au dessus de ses moyens.
Le quatrième point de comparaison c'est l'usure des mécanismes politiques, et j'ai particulièrement découvert cela au travers du livre de Hilton Root I, La construction de l'Etat moderne en Europe, qui essaie d'appliquer l'analyse du marché politique contemporaine à la France et l'Angleterre à la veille de la Révolution. Le processus de pressions est très bien décrit dans ce livre ; celui-ci permet notamment aux artisans, aux marchands locaux, d'obtenir des monopoles, des rentes de situation, dont l'Etat tire par ailleurs profit, soit en les taxant, soit en empruntant auprès de ces corporations, en quelque sorte cautions solidaires des emprunts que fait l'Etat. Or, il me semble qu'en cette fin de siècle, la démocratie française, et plus généralement d'ailleurs les démocraties, sont quelque peu dans la même impasse ; elles ont fonctionné trop longtemps comme des machines à distribuer des faveurs, soit aux groupes les plus influents dans les couloirs du pouvoir, soit aux groupes les plus menaçants pour l'ordre public, à tel point que même lorsque l'Etat n'a plus rien à distribuer, on a tellement pris l'habitude de secouer l'Etat pour obtenir quelque chose qu'on secoue d'autant plus fort, et que la pression monte d'autant plus qu'il y a d'autant moins à distribuer. Il y a un parallèle à faire, bien sûr, entre cette forme de distribution par les mécanismes de pouvoir, de privilèges et de rentes de situation, et une mécanique qui se grippe faute d'avoir encore des rentes et des privilèges à distribuer.
Le dernier point de comparaison, c'est l'hésitation politique devant les réformes. L'échec de Turgot - on peut discuter des méthodes de Turgot et de la réforme de 1776 qui ne durèrent au fond que deux mois -, et puis le grand débat qui s'empara de la classe politique de l'époque, et des intendants de commerce, ancêtres de nos inspecteurs des finances, qui hésitèrent, et dirent " Faut-il aller vers un régime de liberté, que nous proposaient Turgot et les physiocrates, ou faut-il revenir au régime de Colbert ", pour finalement choisir la plus mauvaise des solutions, c'est à dire le système intermédiaire. On peut dire que les élites de l'époque savaient ce qu'il fallait faire, mais qu'il y avait une certaine forme d'impuissance politique. Mais l'histoire, dans un certain nombre de désordres que l'on aurait peut-être pu éviter et personne n'a à refaire l'histoire, l'histoire fit sans doute ce qu'elle devait faire : ce fut la naissance des libertés économiques, et je fais ici allusion à ce deuxième livre, qui est La naissance des libertés économiques (qui a été publié par l'institut d'Histoire Industrielle, que d'ailleurs j'avais fondé lorsque j'étais ministre de l'Industrie ), et qui a fait un ouvrage tout à fait remarquable. Il montre comment le décret d'Allarde et la loi Le Chapellier peuvent être considérés comme les actes fondateurs du capitalisme économique en France et que c'est sur cette libération de l'économie que l'on a vécu longtemps à crédit, mais ceci c'est sans doute quelque chose qu'on étudiera dans d'autres colloques.
Professeur Jean Meyer
L'idée autour de laquelle va tourner ce trop court exposé est précisément ce que j'appellerai les valses hésitations du pouvoir face aux réalités économiques ou encore les valses hésitations des pouvoirs économiques face au pouvoir politique au courant du XVIlème et du XVIllème.
Tombons tout de suite dans le vif du sujet. Je voudrais vous lire un texte parfaitement inconnu, dont je ne vous donne pas la date encore, ni l'auteur, parce que c'est tout de même une petite surprise :
" S'il, (le Roi), s'il n'est pas persuadé que la plus grande richesse d'un prince est d'avoir des sujets riches, et si pour les rendre tels il n'emploie pas toute son industrie, [au sens du XVIIème siècle du terme], et s'il ne fait pas tous ses efforts pour faire fleurir le commerce, lequel ne peut se faire sans une grande protection contre toutes sortes de vexations d'impôts, et des entreprises des personnes puissantes qui ne voient pas que les autres passent leur volonté, s'il ne permet pas à tout le monde de s'en mêler à sa fantaisie sans être contraint de suivre celle des autres. Grande protection, entière liberté et peu d'impôts sont les trois grands secrets d'attirer et de maintenir le commerce dans un Royaume ".
Ceci est le texte d'une maxime du Duc de Montausier, époux de la fameuse Julie d'Angennes de l'Hôtel de Rambouillet, éducateur principal, gouverneur de Monseigneur, le propre fils de Louis XIV, et le texte date probablement des années 1669-1670. Vous avouerez qu'enseigner la liberté au fils du Roi - je rappelle que le Duc de Montausier est un intime de Louis XIV, le précepteur à proprement parler n'étant autre que Bossuet, nous change un petit peu de certaines habitudes d'interprétations du pouvoir royal. (En 3/4 d'heures, je pourrai vous passer une série de textes de ce genre là ). Il existe à l'intérieur du pouvoir politique français de la monarchie dite d'Ancien Régime, (un terme très mauvais, mais enfin tant pis), tout un courant, parfois souterrain, parfois un peu plus visible, mais qui enfin émerge à la fin du XVIIIème siècle sans réussir à s'imposer, pour lequel la liberté du commerce est pratiquement un dogme auquel on se réfère constamment. C'est ici que réside l'intérêt de cette conférence de ce soir, parce que cela ne répond pas tout à fait aux visions classiques qui sont celles des doctrines politiques. Ceci étant dit, ce texte mériterait une exégèse, parce qu’il contient des éléments parfaitement contradictoires, dont, au fond, l'idéologie politique ou les idéologies politiques de l'époque de Louis XIV et du XVIIIème siècle, ne rendent pas compte. D'un côté on proclame la liberté entière du commerce et la nécessaire diminution des impôts, mais de l'autre, ce libéralisme avant la lettre ne peut s'imposer et doit être favorisé par des mesures qui sont des mesures de monopole. Et c'est là, me semble-t-il, l'une des contradictions fondamentales et l'une des raisons, parmi beaucoup d'autres, de l'échec de cette difficile naissance du libéralisme, de ce mouvement de valse, de ce va et vient perpétuel entre le protectionnisme et d'autre part l'ouverture à l'extérieur. Vous retrouverez d'ailleurs pratiquement les mêmes phénomènes dans le monde commercial dont je parlerai tout à l'heure.
Ce que j’entreprends 'ce soir, comme d'ailleurs tous mes successeurs, relève â la fois je dirai presque de la provocation, du paradoxe, et également d'une quasi impossibilité. Paradoxe parce que je dois parler d'une chose qui n'a pas encore de nom. Le mot libéralisme est apparu dans des conditions difficiles qui avaient d'ailleurs déjà intrigué Littré ; Littré ( qui savait tout, et il faut toujours finalement s'y référer ), en écrivant son article " Libéral - Libéralisme " dans le sens qui est celui de la politique et de l'économie au XVIIIème siècle, hésitait entre différentes versions il citait en particulier La vieille fille de Balzac, qui est de 1837, dans la description du " héros " Dubousquier, qui avait " fait le sacrifice de ses opinions libérales, mot qui venait d'être créé par l'Empereur Alexandre et qui procédait, je crois, de Mme de Staël par Benjamin Constant ". Naissance compliquée, dont mon successeur parlera beaucoup plus pertinemment que moi. C'est trop tardif ; la date littéraire la plus précoce, c'est celle de Chateaubriand, Le génie du Christianisme, 1802, le chapitre de comparaison entre Bossuet, Pascal et les auteurs et philosophes du XVIIIème siècle, il dit " Si le siècle de Louis XIV a conçu toutes les idées libérales, ( et je souligne libérales ), pourquoi donc n'en a-t-il pas fait le même usage que nous ? ", ce qui est, finalement, le fond du problème.
Mme de Staël est sans doute pour beaucoup dans la naissance de ce mot, elle l'emploie pour la première fois en 1807 dans un livre qui est le manifeste féministe par excellence, Corinne : " Les Florentins, qui ont possédé la liberté ou des princes d'un caractère libéral…", mais là l'usage du mot est encore ambigu, à cheval à la fois sur la définition traditionnelle, " sont éclairés et doux ", et le sens nouveau. En fait, il faut bien distinguer le domaine littéraire, qui est très souvent un simple haut parleur, et d'autre part le phénomène politique, qui, ici, est privilégié. Prenez donc le Manifeste de Bonaparte du 15 Brumaire, et vous verrez qu'il contient le mot " les idées libérales ", le " libéralisme ", etc. Ce qui ne fait que reprendre une tendance de la fin du Directoire, où en effet le mot libéral prend un sens à la fois politique et économique.
On pourrait longuement développer tout cela, venons en au fait : que puis-je vous offrir ce soir ? Vous refaire l'histoire des idées, point n'est besoin ; je pense que les livres de poche, les grands traités abondent en ce domaine ; ils sont souvent très récents, ils sont excellents pour résumer le passage du mercantilisme à la physiocratie, la physiocratie avec ses orthodoxes comme Dupont de Nemours, face aux hétérodoxes, qui sont déjà des semi-libéraux, comme par exemple notre cher Turgot, qui est en réalité un dissident de la secte ( car il faut bien se rendre compte que la physiocratie est une secte, avec tout ce que cela comporte de vénération du maître, j'allais dire gourou, qui était le propre médecin de Louis XIV, sur lequel il y aurait beaucoup à dire car c'est un curieux bonhomme ) Et le passage aux idées libérales qui finissent par l'emporter un petit peu timidement pour aboutir au traité de libre-échange de 1786 entre la France et l'Angleterre.
Je voudrais tracer un jour la chronologie parallèle de l'idéologie, des idéologies qui se succèdent, et de la réalité du pouvoir, de l'action du pouvoir, ce qui me semble plus original.
Comment fonctionne le pouvoir de l'Ancien Régime ? On voit le Roi, on voit les ministres, mais on ne voit jamais ce qu'il y a derrière. Les études récentes, en particulier allemandes, et anglaises, auxquelles je me suis joint, font apparaître un phénomène extrêmement curieux, à savoir que, pratiquement, le nombre des décideurs est très restreint (cela on le savait ), mais est à peu prés en nombre égal en Prusse, en Angleterre et en France. Et comment cela fonctionne-t-il ? C'est essentiellement grâce aux correspondances des premiers commis que je pense pouvoir tracer une première ébauche de la prise de décision à la fin du règne de Louis XIV pour l'opposer ensuite aux prises de décisions commerciales. Cette prise de décision est le fait d'un nombre très restreint de gens ; une minorité de gens, mais une minorité influente, prend les 9110emes des décisions. Vous connaissez les habitudes administratives françaises d'Ancien Régime, qui d'ailleurs étaient remarquable à cet égard, peut-être à cet égard seulement, d'efficacité. La page est divisée en deux : les propositions des bureaux, c'est à dire des premiers commis à droite, et les annotations marginales à gauche, soit de la plume du ministre, du secrétaire d'État ou du Chancelier, soit du Roi en personne, avec une correspondance souvent très directe du roi avec les premiers commis, court-circuitant les ministres.
Nous avons donc une prise de décision complexe, comment fonctionne-t-elle en matière commerciale ? File a été mise au point par Colbert et par son entourage, et fonctionne de la manière suivante : pratiquement aucune décision concernant le commerce et l'industrie, au sens actuel du terme, n'est prise sans une enquête. Les grandes enquêtes de l'Ancien Régime surabondent, et je dois dire qu'au niveau historique, nous autres historiens nous les avons trop peu exploitées. On forme un projet ; le premier commis l'envoie à tous les intendants, qui les envoie en règle générale à ce que nous appelons son chef de cabinet, qui les répercute aux instances intéressées, c'est à dire aux gens de commerce ou aux grands négociants. Ceux-ci annotent les textes, disent leurs refus, disent leurs propositions, et tout cela remonte la filière. C'est donc une prise de position lente, compliquée, qui se retrouve dans à peu près tous les domaines. C'est là un des aspects les plus ignorés d'un régime qui fonctionnait beaucoup plus démocratiquement qu'on ne le suppose, en particulier avec le conseil du commerce, dont un historien américain récent pouvait dire que c'était somme doute le régime le plus démocratique de l'Europe d'Ancien Régime, l'Angleterre étant bien entendue exceptée. Ce qui fait que les réticences, les volte-face du pouvoir en matière de décision politique sont très souvent le reflet ( et parfois mot à mot ), des hésitations du commerce lui-même. Il faut donc mettre en parallèle les variations du pouvoir politique, avec les variations de l'opinion négociante, puisque c'est elle, qui, en fin de compte, l'emporte.
Les variations de l'opinion commerçante, si nous partons d'une période de crise militaire, de la guerre de Trente Ans, dans les années 1640, on peut en gros distinguer deux groupes de négociants les négociants portuaires ( en tête les Nantais, beaucoup moins les Bordelais, qui sont en retrait ) demandent une mesure de protectionnisme à outrance face aux Hollandais. Et le grand rapport adressé au Conseil Royal en 1640 par les Nantais contient quelques descriptions à vrai dire assez croquignolettes de l'affaire. En face, il y a le lobby des marchands merciers de Paris, qui sont des puissances, et des grands négociants lyonnais, qui sont en partie d'origine italienne, et d'autre part des grands négociants de la région de Troyes et un peu moins de la région de Reims. Ce qui nous donne un autre paradoxe : le mercantilisme colbertien est issu d'un milieu qui est à l'exacte opposé des opinions de Colbert ; entre parenthèses, Colbert a fait son éducation pratique chez un notaire, qui est un parent de Chapelain, et d'autre part chez un des grands financiers de l'époque de Richelieu. Colbert a arbitré la situation pour aboutir finalement à un mercantilisme dont je me demande si c'est un vrai mercantilisme. En tous cas, j'ai toujours eu l'impression que Colbert (qui n'était pas très intelligent, et très peu porté vers les choses abstraites, disons le brutalement ) avait plaqué ce qu'il avait compris des théories mercantilistes sur des mesures toutes opportunistes. En particulier les idées concernant les corporations sont purement et simplement des édits bursaux, destinés à faire rentrer le plus d'argent possible dans les caisses de l'Etat et qui, finalement contredisent les principes mêmes de la politique colbertienne. Or, cette situation va évoluer et aboutir à des crises de conscience et des prises de position totalement contradictoires avec ce que je viens de vous décrire : le milieu négociant atlantique va de plus en plus évoluer vers précisément l'ouverture vers l'extérieur.
Dans les années 1690, Descazeaux-Du Hallay, grand négociant nantais, dans son très remarquable mémoire au Conseil du Commerce de 1702, dit très clairement pourquoi. La raison est très simple : nos négociants, ont, par la guerre de course, pendant la Ligue d'Augsbourg, et surtout grâce aux énormes bénéfices réalisés dans le commerce des mers du Sud aux temps de la Guerre de Succession d'Espagne, mesuré l'exacte importance de l'économie mondiale. C'est à peu près en ces termes que s'exprime Descazeaux Du Hallay, qui est un basque. Le capital basque, tant espagnol que français, a joué un certain rôle dans le développement commercial nantais et bordelais. Par conséquent nous avons à partir des années 1690 la formation d'une première grande strate de négociants d'envergure internationale dans lequel l'étranger représente à peu près 10 % des négociants, et à peu près 15 % du capital ; ce sont essentiellement des Irlandais, des Anglais jacobites, ou des Allemands du Nord, en particulier des villes hanséates. Ce qui nous explique que les Huguenots vont se réfugier très souvent dans les villes hanséates où certains banquiers hambourgeois sont encore des descendants des ces huguenots. En face de ce groupe, le pouvoir ne sait pas trop quoi faire, puisque cette opposition est devenue une opposition libérale-commerciale, qui a tendance à se répercuter sur le plan politique, dans une critique de plus en plus virulente du pouvoir du gouvernement de la monarchie absolue, et l'on voit Boisguillebert et Vauban annoncer le libéralisme économique. Donc vous voyez, renversement des fronts ; c'est le pouvoir qui désormais se rigidifie, alors que le commerce, lui, se développe.
Intervient un troisième élément au début du XVIIIeme siècle, dont on peut souligner la puissance, ce sont les grands planteurs des Antilles. Ils ont fort mauvaise réputation, à cause de l'esclavage, et il n'est nullement dans mes intentions de défendre ici l'esclavage, bien entendu. Je tiens seulement à souligner que ce milieu de grands planteurs, très lié à la cour, est composé souvent de gens très évolués politiquement, souhaitant l'indépendance, la semi-indépendance ou l'autonomie des colonies, et pratiquant une ouverture massive vers la Hollande, et l'Angleterre, contraire à toute la théorie de l'exclusivisme sur lequel repose aussi bien le commerce colonial anglais que le commerce colonial français. Ce qui m'amène à dire que l'exutoire pratique qui a permis la machine de ne pas sauter ( ceci est une hypothèse ), c'est l'intensité, l'énormité de la contrebande ; contrebande aux colonies, contrebande entre la France et l'Angleterre, contrebande terrestre, qui est tout simplement le moyen de tourner les réglementations. C'est le même phénomène que les effets de la grande gabelle sur les bandes de Mandrins, etc., etc.. Tout cela suscite évidemment le mouvement politique, et le mouvement de réflexion politico-économique, et c'est ainsi qu'apparaissent finalement à partir des années 1740, les idées qui vont aboutir à un code de doctrines relativement anti-mercantilistes, anti-commercial, qui aboutit avec Quesnay à la mise en place de la physiocratie. Ceci constitue une première étape relative de libération de souhait, de libération efficace avec Silhouette, qui est le premier contrôleur général (1759) à avoir supprimé tes corvées, le premier à avoir pensé à supprimer les corporations, et évidemment, le mouvement lié à Turgot.
Mais, pour bien comprendre le phénomène - au fond nous sommes là pour tenter de comprendre les phénomènes, - les idées étant supposées évidemment au point de départ connues, c'est que nous assistons à une autre évolution tout à fait parallèle et d'une énorme influence. Mettez vous à la place d'un Louis XIII ou d'un Richelieu, (Richelieu qui d'ailleurs sur ce domaine avait des idées fort originales) quelles étaient les conséquences prévisibles des mesures politiques ou des mesures économiques, faute de statistique, faute de connaissances pratiques, voire géographiques. Rappelez-vous que c'est en 1676 que la nouvelle carte de France fondée par les Cassini permet d'établir la superficie exacte du Royaume en le diminuant d'1/3 de ce que l'on pensait être, la population française n'était pas connue. Cela veut dire que ces politiques économiques, ces penseurs, étaient obligés de penser dans le vague, dans le brouillard. Un brouillard dont tous les états européens tentent de sortir et je serai tenté de dire que la France est ici un peu victime de sa superficie et de son énormité relative. Un ordre donné à Versailles et transmis à Marseille met trois semaines pour y parvenir, et trois semaines évidemment pour un accusé de réception. Je passe sur les possibilités, il ne faut pas oublier que la France de l'époque a ses marges, finalement plus loin que ne l'était en 1939 le Sénégal et Djibouti vis-à-vis du pouvoir central. Or il se produit un très grand mouvement qui se traduit par ce que les Anglais ont appelé les mathématiques politiques (King, Petty, Davenant), mais qui se traduit également par le très grand mouvement caméraliste allemand. Le caméralisme allemand est singulièrement sous-estimé par les historiens français et il constitue, par l'accumulation des ouvrages d'érudition universitaire de la fin du XVIIème et surtout du XVIIIème, une mine de connaissances économiques à peu près inépuisable. En d'autres termes il se produit quelque chose de semblable à. l'une des multiples redécouvertes de l'Antiquité du XVIème, c'est la découverte des possibilités réelles des Etats, Dans ces conditions, il ne pouvait pas être question de mettre au point une théorie économique avant que ces données soient relativement fiables ; vous avez là dessus un admirable article de l'un de nos collègues allemands qui enseigne maintenant aux Etats Unis, Monsieur Kossleck, sur la prévisibilité de la politique de Frédéric II le Grand, qui me paraît être l'une des méthodes de réflexion possible. Au milieu du XVIIIème siècle, la maîtrise d'un Etat moyen comme la France (au XVIIIème siècle on disait la France est un Etat " raisonnable ", alors qu'au XVIIème siècle on disait la France est un pays de possibilité illimitée, voir à cet égard au XVIème siècle les deux mémoires de Machiavel sur la France, qui nage dans le délire le plus absolu dès qu'il s'agit de chiffres). Disons qu'on arrive à maîtriser, on arrive à avoir une idée de la balance du commerce pratiquement à partir de 1715. Dès lors on dispose d'instruments qui valent ce qu'ils valent, mais comme ils sont restés les mêmes, les variations n'en sont pas moins discernables en gros.
Le dernier élément c'est la désacralisation de la politique. N'oubliez pas que la politique est considérée comme un secret, et que les Français ne pouvaient pas connaître l'état des finances de la France, avant le grand ouvrage de Necker, qui est d'une fausseté parfaite, mais qui est la première grande révélation et qui de ce fait, bat tous les records de tirage de l'Ancien Régime (plus de 100 000 exemplaires). A titre de comparaison, une édition moyenne compte entre 1000 et 1500 exemplaires ; il est vrai qu'en Allemagne le saut a été fait avec Luther dès la fin du XVIème siècle. C'est dans ce contexte là que je voudrais vous placer pour apprécier les idées politiques, les idées économiques, la difficile montée, la difficile naissance du libéralisme. Qu'il fallait libéraliser le commerce, pratiquement tout le monde, au XVIIème, moins au XVIIIème, en était d'accord ; car nous assistons effectivement, à la fin du XVIIIème siècle, à une renaissance assez paradoxale du colbertisme principalement dans les bureaux du secrétariat d'État à la marine (et, au fond, si nous connaissons Colbert, c'est à cette école mercantiliste, néo-mercantiliste, que nous le devons ), D'ailleurs, là encore il faudrait peut-être nuancer un certain nombre de choses : après tout Colbert a écrit un certain nombre de mémoires qu'il serait bon de relire. Quel est son but ? Lorsqu'il parle des manufactures d'État, de quoi est-il question ? Et bien voilà une phrase colbertienne assez typique : " Une entreprise qui est soutenue par l'Etat, si elle ne fait pas de bénéfices au bout de cinq ans, doit être abandonnée ".
Voilà qui cadre assez mal, et je me demande si on l'appliquait de nos jours ce qu'il arriverait. Colbert ne l'a appliquée qu'en petite partie et ceci pour une raison très simple : le but colbertien est de faire de la force militaire française la force la plus importante d'Europe, et par conséquent on doit créer une industrie de guerre, des arsenaux, terrestres et maritimes, de manière à assurer une indépendance totale vis à vis de l'étranger.
Rappelez-vous qu'en 1661 pratiquement la France importait la quasi totalité de son armement léger et lourd ; en 1690, pratiquement tous les besoins sont couverts et peut-être la grande réussite de Colbert et de ses successeurs, c'est à dire son fils et de Pontchartrain, le dénigré de Saint-Simon, est précisément la mise en place de cette industrie lourde qui représente une fraction plus que marginale certes, mais une fraction de l'économie française traditionnelle. D'ailleurs, là aussi je voudrais un petit peu combattre les idées reçues : savez-vous que de 1660 à 1670, l'industrie textile, le taux de croissance de l'industrie de la laine est de l'ordre de 0,5 % par an et à partir de 1670 de 1 % par an : pour une économie préindustrielle, ce n'est pas négligeable.
L'Ancien Régime, je dirais la monarchie (qui n'est pas absolue du tout puisque le mot absolue désigne en réalité une idéologie très précise, le Roi étant Roi dans son royaume, et n'a pas le sens que nous lui donnons de nos jours, la monarchie d'avant 1789 connaît encore très mal les réalités économiques ; elle essaie de les comprendre mais il faut d'abord se faire obéir et se faire obéir est très difficile. " Nous avons les meilleures lois du monde, mais nous ne les appliquons pas " Saint-Simon). En face, les nécessités du commerce, l'ouverture sur le monde atlantique se fait de plus en plus grande, et le monde des négociants est, lui, international ; doublement international, par son origine, mais surtout étranger par la constitution des ses sociétés. Les sociétés maritimes sont en grande partie des sociétés internationales familiales entre, en particulier l'Irlande, la France, l'Espagne et finalement, les Antilles. Que disent ces négociants ? Je voudrai terminer par deux citations. La première, face aux pays nouvellement entrés dans le circuit économique, un négociant nantais envoie à la royauté, au secrétariat d'Etat à la Marine, un long mémoire sur les dangers de la concurrence de l'Inde : " Aux Indes, dans le Bengale, pratiquement un ouvrier travaille pour un bol de riz et une tasse d'eau par jour ; nous n'arriverons jamais à forcer les ouvriers à se contenter de pareil régime. Par conséquent il n'y a qu'une solution, de faire le travail par les machines ". En 1792 on constate que " l'emploi des machines substituées aux hommes " permet à l'Angleterre " de l'emporter sur les marchés de l'Europe sur les autres pays.
La deuxième citation date du 26 septembre 1716 : " Les négociants n'étant chargés que de leurs affaires particulières, ne sont point obligés de se régler sur l'intérêt général ; tous les sujets du Roy doivent attendre uniquement de l'attention et de la sagesse du Conseil les moyens qui peuvent opérer leur soulagement ".
Florin Aftalion
" Je ne vais pas essayer de faire de démonstration sur la fin de l'Ancien Régime, je vais simplement reprendre un peu le propos et l'idée de Monsieur le Ministre en essayant de tenter quelques comparaisons entre la fin de l'Ancien Régime, juste avant la Révolution, et la situation actuelle. Je ferai donc du pointillisme, plus que de grandes fresques. J'évoquerai sept points dont certains ont déjà été traités, j'essaierai surtout de reprendre les autres qui l'ont été moins, et souligner et préciser quelques analogies ; vous en tirerez les conclusions.
Le premier point dont je voudrais parler concerne la fiscalité. On a beaucoup dit, beaucoup parlé, Monsieur Meyer est un spécialiste de la question, je n'aurai pas l'impertinence d'en discuter longtemps, mais je voudrais juste préciser un point : à côté de l'aspect " poids de la fiscalité " qui a été beaucoup traité, il semble qu'il y en a un autre qui l'a été beaucoup moins, c'est l'aspect de la nature antiéconomique des impôts de l'Ancien Régime. J'ai relevé, mais je suis sûr que les historiens pourraient multiplier par un facteur très important les trouvailles de ce genre, des citations de cahiers de doléances qui précisaient à quel point la taille personnelle était un impôt antiéconomique. Puisqu'elle était prélevée d'après les signes extérieurs de richesse, comme on dirait aujourd'hui, pour ne pas être taxé, il fallait avoir l'air pauvre, et pour avoir l'air pauvre, on finissait par l'être vraiment, et comme en particulier, l'un des signes de richesse était constitué par les animaux de trait, et bien les agriculteurs ne pouvaient pas, même s'ils en avaient les moyens, ou ne se donnaient pas la permission d'avoir autant d'animaux de trait que l'exploitation économique rationnelle l'aurait voulu. Cet aspect est assez important et mérite d'être souligné, et mérite également d'être souligné dans la France d'aujourd'hui. Je vais ici donner un tout petit exemple, dont aujourd'hui on ne parle pas assez non plus, d'impôts antiéconomiques. Ce sont les droits de mutation ; ils représentent pour des logements anciens plus de 10 % de la valeur marchande d'un bien. En période d'inflation galopante cela peut être rapidement rattrapé par les plus-values dues à l'érosion monétaire ; quand vous achetez un logement, en période de stabilité des prix, cela veut dire que vous êtes pénalisé au départ déjà par plus de 10 % d'impôt. Pour que votre investissement devienne rentable, il faut que vous le „. gardiez très très très longtemps, pour que ces 10 % soient étalés sur suffisamment d'années. Alors cet impôt est très antiéconomique pareequ'il empêche évidemment la mobilité du parc immobilier, et par là freine la mobilité du travail, donc les répercussions sont nombreuses. Bien entendu, il empêche également que chaque individu trouve le logement qui lui convienne, ce qui est un facteur de crise, parce que les gens qui occupent un logement trop grand ont du mal ou ne trouvent pas rentable de le revendre pour s'acheter un logement plus petit, et il est, à cause de cet impôt, plus avantageux de rester dans les lieux. Cc n'est qu'un exemple, là aussi, je vous laisse chercher et trouver facilement beaucoup d'autres impôts antiéconomiques dans la période contemporaine ; il en existe aujourd'hui comme il en existait dans la période pré-révolutionnaire.
Un deuxième point qui a été souvent souligné concerne la dette de l'Etat, son ampleur, sa croissance et tous les problèmes qu'elle posait. Il y a heureusement encore une différence entre ce qui se passait avant la Révolution et maintenant à l'époque l'Etat avait perdu la confiance des créditeurs, aujourd'hui, heureusement ce n'est pas encore le cas. Espérons que cela n'arrivera pas.
Un troisième point que je voudrai discuter rapidement, qui a été abondamment évoqué, c'est celui de la liberté économique. La liberté économique, ou le manque de liberté économique, ne se manifestait pas seulement à travers les corporations mais également en ce qui concerne la liberté du commerce des blés. La liberté du commerce des blés est certainement un des facteurs importants de la crise économique qui a frappé à la veille de la Révolution, avec les conséquences que je rappellerai dans quelques minutes. Or cette liberté, ou plutôt ce manque de liberté du commerce des blés était connu des contemporains qui se plaignaient, et pourtant, malgré les tentatives qui ont été faites, le problème n'a jamais pu être résolu avant la Révolution. Je vous rappelle quelques points à ce sujet, par exemple les grands problèmes qu'il y avait à stocker les grains car on considérait que les grains devaient être vendus immédiatement. Stocker des grains pour pouvoir les revendre avant la récolte suivante, c'est à dire à la fin du printemps, au début de l'été, constituait un crime aux yeux des contemporains ; et pourtant c'était la seule manière de résoudre les crises. Mais il y avait à cette époque, et je suis étonné de voir à quel point, une myopie économique qui faisait qu'on ne regardait que les effets immédiats des réglementations. Les réglementations qui interdisaient ou qui empêchaient ou qui rendaient difficile le stockage des grains avaient certainement un effet immédiat qui apparaissait désirable, puisqu'immédiatement après la récolte il multipliait les quantités sur le marché. Mais en revanche il diminuait les quantités au moment où la demande était la plus pressante, et où la famine menaçait, c'est à dire au moment de la soudure, avant les prochaines récoltes. Et je suis frappé aussi de constater que ces phénomènes étaient compris à l'époque, ce n'était donc pas par ignorance, mais pour satisfaire l'opinion publique qu'on prenait ces mesures, alors que il y avait des esprits suffisamment éclairés pour en comprendre correctement la portée. Dans le livre qui a été cité tout à l'heure, " L'économie de la Révolution Française ", je mentionne le texte d'un agronome anglais qui se promenait à l'époque en France et qui, ayant parfaitement compris la nature absolument antiéconomique des législations du commerce des blés, avait écrit des pages à la gloire de la spéculation qui seraient dignes d'un Friedmann aujourd'hui.
Une autre conséquence de ces réglementations du commerce des blés concerne les émeutes frumentaires. En France se sont produits un grand nombre d'épisodes d'émeutes qui ressemblent beaucoup à des émeutes plus récentes au cours desquelles le peuple se sert lui-même lorsqu'il estime en avoir besoin. En particulier il convient de mentionner la guerre des farines, un évènement majeur au cours duquel des péniches transportant du blé étaient pillées. Souvent, vers la fin du siècle, le pouvoir finissait par céder et accédait aux désirs des émeutiers, en particulier en accordant la taxation des blés. Et cela aussi peut rappeler les événements plus récents au cours desquels le gouvernement a reculé devant la rue.
Un autre point que je voudrais souligner, c'est la crise économique qui a frappé la France dans les années pré-révolutionnaires. Cette crise a certainement des causes multiples et diverses difficiles à analyser. Mais si l'on regarde les conditions dans lesquelles s'est déclenchée la Révolution, on ne peut pas ignorer l'importance de cette crise économique et en particulier l'importance de tous les (on dirait aujourd'hui chômeurs ) indigents qu'elle mettait sur le pavé des villes. Ces déracinés des campagnes, ces indigents des villes constituaient une troupe prête à la révolte. Il faut savoir qu'à l'époque révolutionnaire à Paris, qui comptait environ 600 000 habitants, il y avait 100 000 indigents, c'est à dire 100 000 personnes complètement déracinées et prêtes à devenir la troupe de toute révolution. Aujourd'hui aussi il y a un parallèle à faire, parce que ces troupes existent, non plus au centre des villes mais dans les banlieues, et elles sont prêtes, comme on le voit trop souvent, à tous les actes de violence, même gratuits.
Enfin, le septième point que je dois rappeler, peut-être au moyen d'une citation (celle que vous nous avez lue tout à l'heure, Monsieur Meyer, concerne le rôle des fonctionnaires) de Tocqueville et elle souligne la morgue et la suffisance de ces fonctionnaires de l'Ancien Régime. Si vous voyez un parallèle avec ce qui existe aujourd'hui, ce sera sûrement une pure coïncidence. " Ce qui caractérise déjà l'administration en France, c'est la haine violente que lui inspire tous ceux, nobles ou bourgeois, qui viennent s'occuper des affaires publiques en dehors d'elle (de l'Administration) ; le moindre corps indépendant qui semble vouloir se former sans son concours lui fait peur. La plus petite association libre, quel qu'en soit l'objet l'importune. Elle ne laisse subsister que celles qu'elle a laissé se composer arbitrairement, et qu'elle préside. Les grandes compagnies industrielles elles-mêmes lui agréent peu. En un mot, elle n'entend point que les citoyens s'ingèrent d'une manière quelconque dans l'examen de leurs propres affaires et préfère la stérilité à la concurrence ".