Différences entre les versions de « Herbert Spencer:Post-scriptum »

De Librairal
Aller à la navigation Aller à la recherche
(Page créée avec « {{Navigateur|CHAPITRE IV - La grande superstition politique|Herbert Spencer  —  [[Herbert Spencer... »)
(Aucune différence)

Version du 14 septembre 2010 à 15:37

CHAPITRE IV - La grande superstition politique << Herbert Spencer  —  L'individu contre l'État >>


Herbert Spencer:Post-scriptum


Anonyme


Post-scriptum
L'individu contre l'État
Individu contre Etat L50.jpg
Auteur : Herbert Spencer
Genre
Philosophie
Année de parution
1906
Interwiki
Logo-catallaxia.png Catallaxia
Medium Amazon New Logo.jpg Amazon
Index des livres
A • B • C • D • E • F • G • H • I • 

J • K • L • M • N • O • P •  Q • R • S • T • U • V • W • X • Y • Z

Ai-je l'espoir que cette doctrine rencontrera beaucoup de faveur ? Je voudrais répondre oui ; mais malheureusement différentes raisons m'obligent à conclure que çà et là seulement quelque citoyen isolé pourra modifier son credo politique. De ces raisons l'une engendre toutes les autres.

Cette raison essentielle est que la restriction du pouvoir gouvernemental dans les limites assignées convient seulement au type industriel de la société ; et que, totalement incompatible avec le type militaire de la société, elle l'est partiellement avec ce type semi-militaire, semi-industriel qui caractérise aujourd'hui les nations avancées. A chaque phase de l'évolution sociale doit exister une harmonie complète entre les pratiques et les croyances, j'entends les croyances réelles et non les croyances nominales. La vie ne peut suivre son cours que par l'accord des pensées et des actes. Ou bien la conduite, nécessitée par les circonstances, doit modifier les croyances de façon qu'il y ait conformité entre elles, ou bien la transformation des croyances doit finalement transformer la conduite.

Partant, si la préservation de la vie sociale, sous tel ensemble de conditions, nécessite une extrême subordination à un chef et une entière confiance en lui, la doctrine s'établira que la subordination et la confiance sont utiles, même obligatoires. Inversement, si, dans d'autres conditions, une grande soumission des citoyens au gouvernement n'est plus nécessaire à la préservation de la vie nationale ; si, au contraire, la vie nationale gagne en intensité et en qualité à mesure que les citoyens gagnent une plus grande liberté d'action, il s'opère dans leur doctrine politique, une modification graduelle qui a pour résultat d'amoindrir leur foi dans l'action gouvernementale, d'accroître leur penchant à mettre en question l'autorité gouvernementale et de les pousser à résister dans des cas plus nombreux au pouvoir gouvernemental : cette modification amenant finalement l'établissement de la doctrine de la limitation.

Ainsi l'on ne peut espérer que l'opinion gouvernementale puisse être, à cette heure, considérablement modifiée. Mais examinons la question de plus près.

Évidemment le succès d'une armée dépend beaucoup de la confiance des soldats dans leur général ; s'ils ne croient pas à son habileté, cela suffit presque pour les paralyser dans la bataille, tandis qu'une confiance absolue en lui leur fera remplir leur tâche respective avec courage et énergie. Si, comme cela arrive dans une société qui s'est normalement développée d'après le type militaire, celui qui gouverne pendant la paix et celui qui commande à la guerre sont un seul et même homme, cette confiance en sa supériorité sur le champ de bataille engendrera celle en sa supériorité comme homme d'État ; et la société, identique avec l'armée dans une très grande mesure, accepte volontiers ses décrets comme législateur. Même quand le chef civil, cessant d'être le chef militaire, exerce son généralat par un représentant, la foi traditionnelle s'attache encore à lui.

De même pour l'empressement à obéir. Toutes choses égales d'ailleurs, une armée de soldats indisciplinés est inférieure à une armée de soldats disciplinés. Ceux dont l'obéissance au chef est prompte et absolue ont évidemment plus de chances de succès dans la bataille que ceux qui ne tiennent pas compte des ordres qui leur sont donnés. Et ce qui est vrai de l'armée l'est aussi de la société dans son ensemble : nécessairement le succès dans la guerre dépend beaucoup de la soumission à la volonté du gouvernant qui lève des hommes, fournit de l'argent, quand il en faut, et règle tout selon les besoins du moment.

Ainsi les hommes le mieux doués survivant aux combats, le type militaire de la société a pour caractéristique une foi profonde dans le pouvoir gouvernemental jointe à l'attachement au souverain qui fait qu'on lui obéit en quelque matière que ce soit. Il s'établira donc, parmi les théoriciens politiques d'une société militaire, une doctrine qui donne une formule aux idées et aux sentiments nécessaires, en qui affirme en même temps que le législateur, s'il n'est pas de nature divine, est du moins inspiré par Dieu et que l'obéissance absolue envers lui est ordonnée par Dieu lui-même.

Un changement dans les idées et les sentiments qui deviennent ainsi caractéristiques du type militaire d'organisation ne peut arriver que là où les circonstances favorisent le développement du type industriel d'organisation. Basée sur la coopération volontaire au lieu de la coopération forcée, la vie industrielle, telle que nous la connaissons à présent, habitue les hommes à agir avec indépendance, les amène à faire respecter leurs propres droits pendant qu'ils respectent les droits d'autrui, fortifie en eux la conscience des droits personnels, et les porte à résister aux excès du contrôle gouvernemental. Mais comme les circonstances qui rendent la guerre moins fréquente ne naissent que lentement, et comme les modifications de tempérament causées par la transition d'une vie essentiellement militaire à une vie principalement industrielle ne peuvent par suite s'opérer qu'insensiblement, il arrive que les idées et les sentiments anciens ne font place à d'autres que petit à petit. Et il y a plusieurs raisons pour lesquelles la transition est et doit être graduelle. En voici quelques-unes :

Chez l'homme primitif et chez l'homme peu civilisé n'existe pas encore le caractère requis pour une large coopération volontaire. Des efforts volontairement unis à ceux d'autres personnes en vue d'un avantage commun impliquent, si l'entreprise est vaste, une persévérance que ni l'un ni l'autre ne possèdent. De plus, là où les résultats à obtenir sont éloignés et peu connus, comme le sont beaucoup de ceux en vue desquels on s'associe aujourd'hui, il faut une force d'imagination qui fait entièrement défaut aux intelligences des hommes non civilisés. D'autre part, les grandes associations privées formées en vue de la production en grand, de vastes entreprises et d'autres buts, exigent une subordination hiérarchique chez les travailleurs associés, semblable à celle produite par la vie militaire. En d'autres termes, on n'arrive au type industriel développé, tel que nous le connaissons maintenant, qu'en passant par le type militaire ; lequel, par la discipline, engendre à la longue la persistance dans les efforts, la bonne volonté d'agir sous une direction (non plus imposée, mais acceptée par contrat) et l'habitude de s'organiser pour atteindre de grands résultats.

Conséquemment, pendant de longues périodes de l'évolution sociale, il faut, pour administrer toutes les affaires, à l'exception des plus simples, un pouvoir gouvernemental fort et étendu, jouissant de la confiance générale et partout obéi : d'où le fait que, comme le montrent les souvenirs des premières civilisations et aussi l'Orient actuel, les grandes entreprises ne peuvent être exécutées que par l'action de l'État, d'où encore le fait que la coopération volontaire ne peut remplacer que petit à petit la coopération forcée, et produire à juste titre une diminution corrélative de la foi dans la capacité et dans l'autorité du gouvernement.

Cependant cette. foi se maintient surtout par la nécessité de conserver l'aptitude à la guerre. Il faut que le gouvernement puisse, à l'aide de cette confiance et de cette subordination universelle, disposer à son gré de toutes les forces de la société suivant les besoins de l'attaque et de la défense : d'où résultera une théorie politique qui justifie la foi et l'obéissance. Tant que leurs sentiments et leurs idées sont de nature à mettre constamment la paix en danger, les hommes sont obligés d'avoir assez de confiance dans l'autorité du gouvernement pour lui donner le pouvoir de contrainte que nécessitent les entreprises guerrières, et cette confiance dans son autorité lui donne inévitablement et du même coup un pouvoir de contrainte sur eux pour d'autres entreprises.

Ainsi, comme nous l'avons dit en commençant, la raison fondamentale pour ne pas compter sur des adhésions nombreuses à la doctrine que nous avons exposée est que présentement nous n'avons rejeté qu'en partie le régime militaire et nous n'avons adopté qu'en partie le régime industriel, auquel cette doctrine s'applique en réalité.

Aussi longtemps que la religion de la haine prévaudra sur la religion de l'amour, la superstition politique, généralement répandue, se maintiendra forcément. Tant que, par toute l'Europe, l'éducation des classes dirigeantes consistera à faire admirer aux jeunes gens pendant six jours de la semaine ceux qui jadis accomplirent les plus grands exploits dans les batailles et à leur rappeler, le dimanche seulement, le commandement de déposer l'épée, tant que ces classes dirigeantes seront soumises à une discipline morale dans laquelle les exemples tirés du paganisme entrent pour six septièmes et les préceptes du christianisme pour un septième, il n'y a pas d'apparence que les relations internationales puissent être de nature à rendre possible une diminution du pouvoir gouvernemental et à faire accepter une modification correspondante de la théorie politique. Tant que, parmi nous, l'administration des affaires coloniales reste telle que les tribus indigènes, pour avoir usé de représailles contre les Anglais qui ont violé leurs droits, sont punis, non pas d'après leur propre principe sauvage de vie pour vie, mais d'après notre principe perfectionné du massacre en masse en retour d'un simple meurtre, il y a peu de chances pour qu'une doctrine politique, fondée uniquement sur le respect des droits d'autrui, soit généralement adoptée. Tant que la croyance qu'on professe est interprétée de telle sorte qu'un homme, qui en Angleterre fait des discours dans les réunions de missionnaires, cherche, une fois à l'étranger, à fomenter des querelles avec un peuple voisin qu'il désire assujettir, et reçoive pour cela des honneurs publics après sa mort, vraisemblablement les rapports de notre société avec les autres sociétés ne deviendront pas tels que la doctrine des fonctions gouvernementales limitées, impliquant cette diminution de l'autorité gouvernementale qui convient à un état pacifique, prenne quelque extension. Une nation qui, occupée de disputes ecclésiastiques touchant les cérémonies de son culte, se soucie tellement peu de l'essence de ce culte que les flibustiers, dans ses colonies, sont plutôt approuvés que blâmés et ne sont pas dénoncés même par les prêtres de sa religion d'amour, est une nation qui doit continuer à souffrir d'attaques à l'intérieur, tant des individus les uns contre les autres que de l'Etat contre le droit des individus. Il est impossible d'obtenir les bienfaits de la justice dans son pays quand on pratique l'injustice à l'étranger.

Naturellement on me posera cette question : Pourquoi donc énoncer et soutenir une théorie différente de la théorie adaptée à notre état présent ?

Outre la réponse générale, que c'est le devoir de quiconque regarde une doctrine comme vraie et importante de faire ce qu'il peut pour la propager, sans s'inquiéter du résultat possible, on peut recourir à plusieurs réponses particulières, dont chacune à elle seule suffit.

En premier lieu, un idéal, si loin qu'il soit de pouvoir être réalisé pour le moment, est toujours nécessaire pour se .bien guider. Si, parmi tous ces compromis que les circonstances des temps rendent ou font considérer comme nécessaires, il n'existe pas de conception du mieux et du pire dans l'organisation sociale, si l'on ne voit rien au delà des exigences du moment et qu'on prenne l'habitude d'identifier le mieux prochain avec le mieux définitif, il ne peut y avoir de véritable progrès. Quelque éloigné que soit le but, si nombreux que soient les obstacles interposés qui peuvent nous faire dévier du chemin qui y conduit, il est évidemment indispensable de savoir où il est placé.

De plus, tant que le degré actuel de sujétion des individus vis-à-vis de l'État, ainsi que la théorie politique correspondante peuvent rester nécessaires en présence des relations internationales existantes, il n'est nullement nécessaire d'accroître cette sujétion et de fortifier la théorie qu'on y adapte. A notre époque de philanthropie active, une foule de gens, impatients d'améliorer le sort de leurs semblables moins fortunés par les méthodes le plus rapides, travaillent de toutes leurs forces à développer les arrangements administratifs qui sont le propre d'un type inférieur de société, - ils marchent à reculons alors qu'ils se proposent d'avancer. Les difficultés normales sur le chemin du progrès sont déjà suffisamment grandes, et il est lamentable qu'on les rende encore plus grandes . Donc c'est faire œuvre utile de montrer aux philanthropes que, dans bien des cas, ils préparent sûrement le malheur futur de l'humanité en poursuivant avec ardeur son bien-être actuel.

Le principal, pourtant, est d'inculquer à tout le monde la grande vérité, peu reconnue encore, que la politique intérieure et la politique extérieure d'une Société sont liées l'une à l'autre, qu'il ne peut y avoir amélioration essentielle de l'une sans amélioration essentielle de l'autre. Si nous voulons que notre organisation intérieure soit conforme à des principes de justice plus élevés, il faut que, dans nos relations extérieures, nous nous conformions habituellement à des principes de justice plus élevés. La conviction qu'il existe une dépendance de cette espèce, si elle pouvait se répandre parmi les peuples civilisés, réprimerait grandement leur conduite agressive vis-à-vis les uns des autres, et, par là, diminuerait la part de la contrainte dans leurs systèmes de gouvernement et amènerait des changements correspondants dans les théories politiques.

FIN


CHAPITRE IV - La grande superstition politique << Herbert Spencer  —  L'individu contre l'État >>