Différences entre les versions de « Walter Lippmann:La Cité libre - Chapitre 9 - la grande révolution et la montée de la "grande association" »

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Pendant plus de mille ans après la décomposition de la grande association du monde romain, les peuples occidentaux ont vécu en petites collectivités relativement fermées. C'est à ce genre d'existence que nos habitudes traditionnelles et nos idées préconçues, que nos coutumes et nos institutions ont été adaptées. Notre intelligence a été adaptée à un genre de vie organisé sur une petite échelle, et immuable au cours d'une génération donnée. Mais la révolution industrielle a institué un genre de vie organisé sur une très grande échelle, dans lequel les hommes et les communautés ont perdu leur autonomie et dépendent étroitement les uns des autres, dans lequel les changements ne sont plus assez graduels pour être imperceptibles, un genre de vie hautement dynamique par rapport à la durée même d'une existence humaine. Jamais la plus grande partie de l'humanité ne s'est vu imposer si brusquement une transformation plus profonde des habitudes, des idées et des valeurs.
Pendant plus de mille ans après la décomposition de la grande association du monde romain, les peuples occidentaux ont vécu en petites collectivités relativement fermées. C'est à ce genre d'existence que nos habitudes traditionnelles et nos idées préconçues, que nos coutumes et nos institutions ont été adaptées. Notre intelligence a été adaptée à un genre de vie organisé sur une petite échelle, et immuable au cours d'une génération donnée. Mais la révolution industrielle a institué un genre de vie organisé sur une très grande échelle, dans lequel les hommes et les communautés ont perdu leur autonomie et dépendent étroitement les uns des autres, dans lequel les changements ne sont plus assez graduels pour être imperceptibles, un genre de vie hautement dynamique par rapport à la durée même d'une existence humaine. Jamais la plus grande partie de l'humanité ne s'est vu imposer si brusquement une transformation plus profonde des habitudes, des idées et des valeurs.
Depuis le début de cette révolution, toute la vie, depuis la diplomatie des grandes puissances jusqu'aux questions les plus intimes et les subtiles de religion, de goût et de rapports humains, a été profondément affectée par cette transformation. Il n'existe plus aujourd'hui aucun gouvernement séculier qui ressemble, si ce n'est par la forme extérieure, aux gouvernements d'avant la révolution. La plupart des gouvernements qui existaient au XVIIIe siècle  ont été renversés. Quelques-uns ont été pacifiquement reconstruits ; mais tous ont été profondément modifiés. L'Etat, la loi, la propriété, la famille, l'Eglise, la conscience humaine, la notion du juste et de l'injuste, de la position sociale, de l'espoir, du besoin, tout cela a changé. Cette révolution des bases de l'existence humaine a exigé une formidable réadaptation de l'humanité à un milieu matériel et social plein de surprises et de nouveautés.
La réadaptation est naturellement plus lente que les transformations révolutionnaires. C'est pourquoi il y a toujours eu à cette époque ce que les sociologues appellent un « retard culturel ». C'est-à-dire que les hommes ont abordé les questions actuelles avec des idées et des habitudes adaptées à une situation qui n'existe plus. Tout comme les voyageurs placés sur la plate-forme arrière d'un trait, ils n'ont vu que le paysage déjà dépassé. Des millions d'hommes ont dû se réadapter non seulement à un nouveau genre de vie, mais encore à une vie dans laquelle la situation la plus nouvelle est bientôt transformée en une situation plus nouvelle encore. Cela n'a pas été facile, et le sentiment de confusion spirituelle, de déception et d'insécurité dont est pénétrée toute la culture moderne est le fidèle reflet des misères et des difficultés de cette réadaptation.


== Notes et références ==  
== Notes et références ==  
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