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Ludwig von Mises:L'Action humaine - chapitre 29


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Chapitre XXIX — Restriction de production

Sixième partie — L'Économie de marché entravée

Chapitre XXIX — Restriction de production

1 / Nature de la restriction

Nous étudierons dans ce chapitre les mesures qui sont directement et primordialement adoptées pour détourner la production (au sens le plus large, c'est-à-dire y compris le commerce et le transport) des voies qu'elle prendrait dans une économie de marché non entravée. Toute immixtion autoritaire dans les affaires fait dévier, évidemment, la production des voies qu'elle aurait prises si seule la dirigeait la demande des consommateurs telle que la manifeste le marché. Le trait distinctif de l'immixtion restrictive dans la production est que ce n'est pas simplement un effet secondaire, inévitable et inintentionnel, mais précisément ce que l'autorité veut effectuer. Comme tout autre acte d'intervention, de telles mesures restrictives affectent aussi la consommation. Mais là encore, ce n'est pas le but primordial visé par l'autorité dans le cas des mesures restrictives étudiées dans le présent chapitre. Le gouvernement a pour intention de s'immiscer dans la production. Que la mesure prise influe aussi sur la consommation, c'est de son point de vue ou bien tout à fait contraire à ses intentions, ou bien une conséquence fâcheuse dont il s'accommode, parce qu'elle est inévitable et ne constitue qu'un inconvénient mineur en comparaison de la situation qui résulterait d'une non-intervention.

Restriction de production signifie que le gouvernement interdit, ou rend plus difficiles ou plus coûteux la production, le transport ou la commercialisation d'articles déterminés, ou encore l'application de certains modes de fabrication, de transport ou de commercialisation. Le pouvoir élimine ainsi certains des moyens disponibles pour satisfaire des besoins. L'effet de cette intervention est d'empêcher des gens d'utiliser leurs connaissances et aptitudes, leur travail et leurs moyens matériels de production, de la façon qui leur aurait procuré le plus fort revenu et la plus complète satisfaction de leurs besoins. De telles interventions rendent les gens plus pauvres et moins satisfaits. Tel est le nœud véritable de la question. Toutes les subtilités et tout le temps perdu à couper les cheveux en quatre ne peuvent empêcher que soit certaine cette thèse fondamentale. Sur un marché sans entrave, prévaut une tendance irrésistible à employer chacun des facteurs de production de manière à satisfaire le mieux possible les besoins les plus urgents des consommateurs. Si le gouvernement s'interpose dans ce processus, il ne peut qu'amoindrir la satisfaction, jamais l'augmenter.

Que cette thèse soit correcte, cela a été prouvé d'une façon excellente et irréfutable en ce qui concerne l'espèce historiquement la plus importante d'intervention gouvernementale dans la production, à savoir les obstacles au commerce international. En ce domaine, l'enseignement des économistes classiques, et spécialement celui de Ricardo, est définitivement prouvé et ne laisse rien à résoudre du problème. Tout ce qu'une protection douanière peut réaliser, c'est de détourner la production des endroits où le résultat par unité d'apport est le plus élevé vers des endroits où il est moins élevé. La production n'est pas accrue, elle est amoindrie.

Les gens discourent sur de prétendus encouragements fournis à la production par le gouvernement. Mais celui-ci n'a d'autre possibilité d'encourager une branche de production que d'en décourager d'autres. Il soustrait des facteurs de production aux branches où le marché sans entraves les aurait employés, et les dirige vers d'autres branches. Peu importe quelle sorte de procédure administrative le pouvoir emploie pour obtenir ce résultat. II peut subventionner ouvertement, ou déguiser la subvention en édictant des droits de douane qui retomberont sur les habitants. Le seul fait qui compte est que les gens sont contraints de renoncer à certaines satisfactions qu'ils apprécient mieux, et ne reçoivent que des satisfactions qu'ils apprécient moins. A la base du raisonnement interventionniste, il y a toujours l'idée que le gouvernement ou l'État est une entité extérieure et supérieure au processus social de production, qu'il possède quelque chose de plus que ce qu'il prélève sur ses sujets, et qu'il peut dépenser ce quelque chose mythique à des fins déterminées. C'est la légende de saint Nicolas, érigée par Lord Keynes à la dignité d'une doctrine économique, et adoptée avec enthousiasme par tous ceux qui espèrent un avantage personnel des dépenses gouvernementales. En regard de ces illusions populaires, il faut insister sur ce truisme : qu'un gouvernement ne peut dépenser ou investir que ce qu'il a soustrait aux citoyens ; et que ce supplément de dépense et d'investissement diminue la dépense et l'investissement des citoyens dans toute la mesure de son propre montant.

Tandis que le pouvoir n'a pas la possibilité de rendre les gens plus prospères en intervenant dans les affaires, il a assurément celle de les rendre moins satisfaits en restreignant la production.

2 / Le coût de la restriction

Le fait que restreindre la production implique invariablement une diminution de la satisfaction des citoyens pris individuellement ne veut pas dire qu'une telle restriction doive être nécessairement considérée comme un dommage. Un gouvernement ne recourt pas sans motif à des mesures restrictives. Il cherche à atteindre certains objectifs et considère la restriction comme un moyen approprié à la réalisation de son plan. L'appréciation des politiques restrictives dépend par conséquent de la réponse à deux questions : le moyen choisi par le gouvernement est-il propre à atteindre le but poursuivi ? La réalisation de cet objectif est-elle une compensation à la privation supportée par les citoyens ? En soulevant ces deux questions, nous envisageons la restriction de la même façon que l'impôt. Payer une contribution entame aussi directement la satisfaction du contribuable. Mais c'est le prix qu'il paie pour les services que le gouvernement rend à la société et à chacun de ses membres. Dans la mesure où le gouvernement s'acquitte de ses fonctions envers la société, et où les impôts n'excèdent pas le montant requis pour le bon fonctionnement de l'appareil gouvernemental, ce sont des coûts nécessaires et qui se remboursent eux-mêmes.

L'adaptation de ce mode de raisonnement vis-à-vis des mesures restrictives est particulièrement satisfaisante dans tous les cas où la restriction est utilisée comme un moyen de remplacer l'impôt. Le gros de la dépense pour la défense nationale est assumé par le Trésor sur le revenu public. Mais en certaines occasions l'on choisit un autre procédé. Il arrive parfois que la capacité d'un pays à répondre en temps utile à une agression armée dépende de l'existence de certaines branches d'industrie qu'un marché sans entraves ne créerait pas. Ces industries doivent être subventionnées, et les subventions accordées doivent être comptées comme d'autres dépenses d'armement. Leur caractère ne change pas si le gouvernement accorde indirectement ces subventions par l'instauration d'un droit de douane sur l'importation des produits concernés. La différence est simplement que les consommateurs supportent alors directement le coût correspondant, tandis que dans le cas d'une subvention de l'État ils couvrent la dépense indirectement en payant des impôts plus élevés.

En édictant des mesures restrictives les gouvernements et parlements ont bien rarement eu conscience des conséquences de leur immixtion dans la vie économique. Ainsi, ils ont sereinement supposé que les droits de douane étaient capables d'élever le niveau de vie du pays, et ils ont obstinément refusé d'admettre l'exactitude des enseignements de l'économie quant aux effets du protectionnisme. La condamnation portée par les économistes contre le protectionnisme est irréfutable, et dénuée de tout parti pris politique. Car les économistes ne disent pas que la protection douanière soit mauvaise de n'importe quel point de vue a priori. Ils montrent que la protection douanière ne peut pas atteindre les buts qu'en général visent les gouvernements qui y recourent. Ils ne mettent pas en question le but ultime de l'action gouvernementale, ils rejettent seulement le moyen choisi parce qu'il n'est pas susceptible de produire l'effet recherché.

Particulièrement populaires, parmi toutes les mesures restrictives, sont celles que l'on appelle favorables à la main-d'œuvre. Ici encore, les gouvernements et le public ont bien mal jugé ce que seraient les résultats. L'on croit qu'en limitant les heures de travail et en interdisant le travail des enfants, ce sont uniquement les employeurs qui en font les frais, et que pour les salariés c'est une « conquête sociale ». En réalité, leur avantage consiste seulement en ce que de telles lois diminuent l'offre de travail et ainsi relèvent la productivité marginale du travail par rapport à la productivité marginale du capital. Mais la diminution de la quantité offerte de travail a aussi pour conséquence une diminution du volume total des biens produits, et donc de la consommation moyenne par tête. Le gâteau à partager diminue ; mais la portion de ce gâteau plus petit qui est attribuée aux salariés est proportionnellement plus forte que ce qu'ils recevaient du grand gâteau ; symétriquement, la portion des capitalistes diminue 1. Selon les circonstances particulières de chaque cas, le salaire réel des diverses catégories de salariés pourra être, tantôt amélioré, tantôt diminué.

La façon habituelle dont on a apprécié la législation du travail se fondait sur une erreur : l'on pensait que les taux de salaires n'ont pas de lien de causalité avec l'apport de valeur que le travail du salarié ajoute aux matériaux. Le taux des salaires, d'après la « loi d'airain », serait déterminé par le minimum de moyens de subsistance indispensable à l'ouvrier ; ils ne peuvent jamais dépasser le niveau de subsistance. La différence entre la valeur produite par l'ouvrier et le salaire qu'on lui verse échoit à l'employeur qui l'exploite. Si cette marge se trouve amputée par la limitation des heures de travail, le salarié est soulagé d'une partie de sa peine et de son effort, son salaire reste le même et l'employeur est privé d'unc partie de son injuste bénéfice. La restriction apportée au volume total de la production n'ampute que le revenu des exploiteurs bourgeois.

Il a déjà été montré que le rôle joué par la législation ouvrière dans l'évolution du capitalisme occidental a été, jusqu'à une époque récente, bien moindre que ne donne à penser la véhémence avec laquelle la discussion de ce problème a été conduite. La législation du travail, pour la majeure partie, a simplement fourni la reconnaissance légale aux changements de situation déjà réalisés par l'évolution rapide de la vie économique 2. Mais dans les pays qui ont tardé à adopter le mode de production capitaliste, et qui sont à la traîne au point de vue des méthodes de transformation et de fabrication, le problème de la législation du travail est très grave. Trompés par les fumeuses doctrines de l'interventionnisme, les politiciens de ces pays s'imaginent pouvoir améliorer le sort des multitudes misérables, en copiant la législation du travail des pays capitalistes les plus avancés. Ils envisagent les problèmes posés comme s'ils devaient être traités simplement du point de vue de ce qu'on appelle par erreur « l'angle humain » ; et ainsi, ils passent sans le voir à côté du problème réel.

C'est effectivement un fait affligeant qu'en Asie des millions de petits enfants sans défense sont dans le dénuement et meurent de faim ; que les salaires sont extrêmement bas comparés à ceux courants en Amérique et en Europe occidentale ; que les heures de travail sont longues et que les conditions sanitaires des lieux de travail sont déplorables. Mais il n'y a pas d'autres moyens d'éliminer ces maux que de travailler, de produire et d'épargner davantage, et ainsi d'accumuler plus de capital. Cela est indispensable à toute amélioration durable. Les mesures préconisées par les gens qui se disent eux-mêmes philanthropes et humanitaires seraient sans effets. Et non seulement elles échoueraient à améliorer la situation, mais elles la rendraient encore pire de beaucoup. Si les parents sont trop pauvres pour nourrir leurs enfants, interdire le travail des enfants serait condamner ces enfants à mourir de faim. Si la productivité marginale du travail est si basse que le travailleur ne puisse gagner en dix heures que des salaires inférieurs à la moyenne des salaires américains, l'on ne procure aucun avantage au travailleur en édictant la journée de huit heures.

Le problème à élucider n'est pas celui de la désirabilité d'améliorer le niveau de vie matériel des salariés. Les apologistes de ce qu'on appelle à tort « lois de protection de la main-d'œuvre » brouillent intentionnellement la question en répétant sans arrêt que davantage de loisir, des salaires réels plus élevés, et affranchir les femmes et enfants de la nécessité de chercher à s'employer rendraient plus heureuses les familles de travailleurs. Ils recourent à des contre-vérités et à des calomnies mesquines, en traitant d'esclavagistes et d'ennemis du peuple ceux qui s'opposent à de telles lois en tant que nuisibles aux intérêts vitaux des travailleurs. Le désaccord ne porte pas sur les objectifs à atteindre ; il concerne seulement les moyens à appliquer pour y parvenir. La question n'est pas de savoir s'il est ou non souhaitable d'améliorer le bien-être du grand nombre. Elle est exclusivement de savoir si oui ou non les prescriptions gouvernementales décrétant un raccourcissement du temps de travail et l'interdiction d'employer des femmes et des enfants sont de bons moyens de relever le niveau de vie des salariés. C'est là un problème purement catallactique à résoudre par la science économique. Les discours émouvants ne sont pas là à leur place. Ils déguisent mal le fait que ces apologistes pénétrés de leur haute moralité sont incapables d'opposer des objections valables au raisonnement sérieusement fondé des économistes.

Le fait est que le niveau de vie moyen de l'ouvrier américain est incomparablement plus satisfaisant que celui de l'ouvrier moyen hindou, qu'aux États-Unis la durée du travail est plus courte et que les enfants vont à l'école et non à l'atelier ; ce n'est pas là une réussite du gouvernement ni des lois du pays. C'est le résultat du fait que le capital investi par tête de salarié est beaucoup plus élevé qu'en Inde et que par suite la productivité marginale du travail est beaucoup plus haute. La « politique sociale » n'en a aucunement le mérite ; c'est le résultat de la méthode adoptée à l'époque du « laissez faire », méthode qui s'abstenait de fausser l'évolution du capitalisme. C'est ce laissez faire que l'Asie doit adopter si l'on y souhaite améliorer le sort des populations.

La pauvreté de l'Asie et d'autres pays en retard est due aux mêmes causes qui rendirent la situation non satisfaisante dans la phase initiale du capitalisme en Occident. Pendant que la population s'accroissait rapidement, les mesures politiques restrictionnistes freinaient l'adaptation des méthodes de production aux besoins d'un nombre grandissant de bouches à nourrir. Ce fut l'impérissable mérite des économistes du laissez faire — que les manuels en usage dans nos universités vilipendent comme des pessimistes et des apologistes de l'injuste avidité des exploiteurs bourgeois — que d'avoir préparé la voie à la liberté économique qui a élevé le niveau de vie moyen à des hauteurs sans précédent.

La science économique n'est pas dogmatique, comme le prétendent les avocats de l'omnipotence gouvernementale et de la dictature totalitaire, qui s'attribuent à eux-mêmes un brevet de « non-conformistes ». La science économique n'approuve ni ne désapprouve les mesures gouvernementales de restriction ; elle considère seulement de son devoir d'élucider les conséquences de telles mesures. Le choix des politiques à suivre incombe au peuple. Mais dans leur choix, les citoyens ne doivent pas méconnaître les enseignements de l'économie s'ils veulent parvenir effectivement aux objectifs qu'ils souhaitent.

Il y a assurément des cas où les gens peuvent considérer que certaines mesures restrictives sont justifiées. Les règlements concernant la prévention des incendies sont restrictifs et augmentent le coût de production. Mais la renonciation au montant de production qu'ils entraînent est le prix qu'il faut payer pour éviter de plus grands dommages. La décision relative à chaque mesure restrictive doit être prise sur la base d'une évaluation très soigneuse des coûts qu'elle entraînera et des avantages qu'elle procurera. Nul homme raisonnable ne peut mettre en doute que ce soit légitime.

3 / La restriction comme privilège

Toute modification des données du marché affecte de diverses manières les divers individus et groupes d'individus. Pour certains, c'est une aubaine, pour d'autres un coup dur. Au bout d'un certain temps seulement, lorsque la production s'est adaptée à l'intrusion des données nouvelles, la perturbation épuise ses effets. C'est ainsi qu'une mesure restrictive, tout en produisant un désavantage pour la grande majorité des gens, peut temporairement en avantager quelques-uns. Pour ceux à qui la mesure est favorable, elle équivaut à l'acquisition d'un privilège. Ceux-là réclament de telles mesures afin d'être privilégiés.

Ici de nouveau, l'exemple le plus frappant est celui du protectionnisme douanier. L'imposition d'un droit à l'importation d'une marchandise retombe sur ses consommateurs. Mais pour les producteurs du pays, c'est une aubaine. De leur point de vue, la promulgation de nouveaux droits et l'augmentation de ceux déjà existants sont une chose excellente.

Cela vaut tout autant en ce qui concerne nombre d'autres mesures restrictives. Si le gouvernement met des entraves — soit par des restrictions directes, soit par une discrimination fiscale — aux grandes entreprises et sociétés, la position concurrentielle des petites entreprises est renforcée. S'il gêne le fonctionnement des magasins à grande surface et des chaînes commerciales, les boutiquiers et détaillants se réjouissent.

Il est important de comprendre que ce que les bénéficiaires de ces mesures considèrent comme un avantage pour eux-mêmes ne dure que pendant un temps limité. A la longue, le privilège accordé à une catégorie de producteurs perd son pouvoir de créer des gains spécifiques. La branche qui a été privilégiée attire des nouveaux venus, et leur concurrence tend à éliminer les gains spécifiques procurés par le privilège. C'est pourquoi les enfants choyés de la loi ne cessent de réclamer de nouveaux avantages : les privilèges anciens perdent leur pouvoir, il en faut d'autres encore.

Par ailleurs, le retrait des mesures restrictives, auxquelles la structure de la production s'est plus ou moins vite adaptée, signifie une nouvelle perturbation dans les données du marché, favorise les intérêts à court terme de quelques-uns et lèse ceux de quelques autres. Illustrons ce point par l'exemple d'un article du tarif douanier. Disons qu'en 1920 la Ruritanie a fixé un droit pour l'importation du cuir. Cela a été une aubaine pour les entreprises qui à ce moment-là se trouvaient actives dans l'industrie de la tannerie. Mais par la suite, cette branche s'est accrue de nouveaux producteurs, les bénéfices initiaux de situation se sont affaissés dans les années ultérieures. Ce qui reste est simplement le fait qu'une certaine partie de la production mondiale de cuir s'est déplacée, délaissant des sites où le rendement par unité d'apport est plus élevé, et s'installant en Ruritanie où la production exige un coût supérieur. Les habitants de Ruritanie paient le cuir plus cher que s'il n'y avait pas de droit à l'importation. Comme il y a maintenant en Ruritanie, engagés dans l'industrie du cuir, plus de capital et de travail qu'il n'y en aurait eu en régime de liberté pour le commerce du cuir, certaines autres industries du pays se sont amoindries ou ont été empêchées de croître. Il y a moins de cuir importé de l'extérieur, et une moindre quantité de produits ruritaniens est exportée pour couvrir les importations de cuir. C'est le volume du commerce extérieur de la Ruritanie qui est amoindri. Pas une âme dans le monde ne tire un avantage du maintien du tarif de 1920. Au contraire, tout le monde est lésé par la baisse du volume total de ce que produit l'effort industriel du genre humain. Si la politique adoptée par la Ruritanie en ce qui concerne le cuir devait être adoptée par tous les pays et pour tous les produits de façon rigide et au point d'abolir complètement les échanges internationaux et de rendre chaque nation parfaitement autarcique, chacune devrait renoncer totalement aux avantages que lui procure la division internationale du travail.

Il est clair que l'abrogation du tarif ruritanien concernant le cuir doit, à long terme, être avantageux pour tout le monde, Ruritaniens ou étrangers. Toutefois, dans l'immédiat, cela léserait les intérêts des capitalistes qui ont investi dans les tanneries ruritaniennes. Il en va de même des intérêts à court terme des travailleurs ruritaniens spécialisés dans le travail du cuir. Une partie d'entre eux aurait, soit à s'expatrier, soit à changer de métier. Ces capitalistes et ces salariés combattent avec passion toute tentative pour abaisser le tarif ou l'abolir.

Cela montre clairement pourquoi il est politiquement extrêmement malaisé d'abroger les mesures restrictives une fois que la structure des affaires s'est adaptée à leur existence. Bien que les effets en soient pernicieux pour tout le monde, leur disparition est dans l'immédiat désavantageuse pour des groupes spéciaux. Ces groupes dont l'intérêt est lié au maintien des mesures restrictives sont évidemment des minorités. En Ruritanie, seule une fraction de la population, occupée dans les tanneries, peut souffrir de l'abolition du droit sur le cuir. L'immense majorité sont des acheteurs de cuir et d'objets en cuir qui trouveraient avantage à une baisse de leur prix. Hors des frontières de Ruritanie, les seules gens qui seraient lésés sont ceux qui travaillent dans des industries qui devraient se restreindre parce que celle du cuir s'étendrait.

La dernière objection soulevée par les adversaires du libre-échange se présente comme suit : c'est entendu, seuls les Ruritaniens engagés dans le tannage du cuir sont immédiatement intéressés au maintien du droit d'importation sur le cuir. Mais tout Ruritanien appartient à l'une des nombreuses branches de la production. Si chaque produit domestique est protégé par le tarif douanier, le passage au libre-échange heurte les intérêts de chaque industrie, et par là les intérêts de tous les groupes spécialisés de capitalistes et de travailleurs, dont la somme est la nation entière. Il s'ensuit qu'abroger le tarif douanier serait dans l'immédiat nuisible à tous les citoyens. Et ce qui compte, c'est précisément le court terme.

Ce raisonnement comporte une triple erreur. D'abord, il n'est pas vrai que toutes les branches d'industrie seraient lésées par le passage au libre-échange. Au contraire. Celles des branches où le coût comparatif de production est le plus bas verront leur activité se développer dans la liberté des échanges. Leurs intérêts à court terme seraient favorisés par l'abolition du tarif. Les droits portant sur les produits qu'elles-mêmes fabriquent ne leur sont d'aucun avantage puisqu'elles sont en mesure non seulement de survivre, mais de se développer en régime de libre-échange. Quant aux droits portant sur des articles dont le coût comparatif de production est plus élevé en Ruritanie qu'à l'étranger, ces droits sont nuisibles en attirant vers ces branches des capitaux et de la main-d'œuvre qui auraient fertilisé les industries à meilleur coût comparatif.

Secondement, le principe du court terme est entièrement fallacieux. Dans le court terme, tout changement dans les données du marché nuit à ceux qui ne l'ont pas prévu en temps utile. Un avocat du principe du court terme, qui serait logique avec lui-même, devrait réclamer une parfaite rigidité et permanence de toutes les données, et s'opposer à tout changement, y compris tout progrès thérapeutique ou technologique 3. Si en agissant les gens devaient toujours préférer éviter un inconvénient prochain dans le temps, à un autre inconvénient plus éloigné, ils retomberaient au niveau de l'animalité. Il est de l'essence même de l'agir humain, en tant que distinct du comportement animal, de renoncer temporairement de façon volontaire à une satisfaction prochaine afin de s'assurer quelque satisfaction plus grande mais plus éloignée dans le temps 4.

Finalement, si le problème de l'abolition du tarif ruritanien dans son entier vient en discussion, il ne faut pas oublier que les intérêts immédiats des tanneurs ne sont lésés que par l'abolition d'un seul article du tarif, tandis qu'ils ont avantage à l'abolition des autres articles protégeant les produits ruritaniens à coût comparatif élevé. Il est vrai que les taux de salaires des travailleurs de la tannerie baisseront pendant quelque temps, en comparaison des autres branches ; et qu'un laps de temps sera nécessaire pour que s'établissent durablement les niveaux respectifs des salaires dans les diverses branches. Mais dans le même temps où leur salaire baissera momentanément, ces travailleurs constateront une baisse de prix dans beaucoup d'articles qu'ils achètent d'habitude. Et cette amélioration tendancielle de leur situation n'est pas un phénomène propre à une période de transition. C'est la pleine réalisation des bienfaits durables de la liberté des échanges qui, en déplaçant chaque branche de production vers la situation géographique où le coût comparatif est le plus bas, accroît la productivité du travail et le volume total des biens produits. Telle est l'aubaine durable qu'à long terme la liberté des échanges confère à chaque membre de la société de marché.

L'opposition à l'abolition du droit protecteur serait raisonnable du point de vue personnel de ceux qui travaillent dans l'industrie du cuir, si le droit sur le cuir était l'article unique du tarif. Alors on pourrait expliquer leur attitude par l'attachement à un statut avantagé, à la façon d'une caste qui serait temporairement lésée par l'abrogation d'un privilège, bien que ce privilège ne confère à ses membres aucun bénéfice réel. Mais dans une telle hypothèse, la résistance des tanneurs serait sans issue. La majorité de la nation l'emporterait sur eux. Ce qui renforce les rangs des protectionnistes est le fait que le droit sur le cuir n'est pas une exception, que beaucoup de branches de production sont dans une position similaire et combattent l'abolition des tarifs protecteurs qui couvrent leur propre branche. Ce n'est pourtant pas, à l'évidence, une alliance fondée sur les intérêts spéciaux de chaque groupe. Si tout le monde dans sa branche est protégé comme les autres branches, tout le monde perd comme consommateur autant qu'il gagne comme producteur ; mais de plus, tout le monde est lésé par la baisse générale de la productivité du travail qu'entraîne une distribution géographique des activités contraire au choix rationnel de leur implantation. Inversement, l'abrogation de tous les postes des tarifs protecteurs profiterait à tout le monde dans le long terme ; alors que le dommage immédiat causé par l'abolition de certains postes aux intérêts spéciaux des groupes correspondants, est même dans le court terme compensé, au moins en partie, par l'effet de l'abolition du tarif sur le prix des produits que leurs membres achètent et consomment.

Bien des gens considèrent la protection douanière comme un privilège accordé aux salariés du pays, qui leur procurerait toute leur vie durant un niveau de vie supérieur à celui dont ils jouiraient en régime de libreéchange. Cet argument est mis en avant non seulement aux États-Unis, mais dans tout pays dans le monde où le salaire réel moyen est plus élevé que dans quelque autre pays.

Or, il est exact que s'il y avait parfaite mobilité du capital et de la main-d'œuvre, il s'instaurerait dans le monde entier une tendance à l'égalisation du prix payé pour le travail de même nature et qualité 5. Toutefois, même s'il y avait libre-échange pour les produits, cette tendance n'existe pas dans notre monde hérissé de barrières aux migrations et d'institutions empêchant l'investissement de capitaux étrangers. La productivité marginale du travail est plus élevée aux États-Unis qu'en Inde parce que le capital investi par tête de population active est plus grand, et parce que les travailleurs indiens sont empêchés d'entrer en Amérique et d'y faire concurrence sur le marché du travail. Il est inutile, en examinant l'explication de cette différence, de rechercher si les ressources naturelles sont ou non plus abondantes en Amérique qu'en Inde, et si le travailleur indien est ou non, racialement, inférieur au travailleur américain. Quoi qu'il en puisse être, le fait précis des entraves institutionnelles à la mobilité du capital et du travail suffit à rendre compte de l'absence de tendance à l'égalisation. Comme l'abrogation du tarif douanier américain n'affecterait pas ces entraves, l'abrogation du tarif ne pourrait avoir de conséquence défavorable sur le niveau de vie du salarié américain.

Au contraire. Etant donné l'état des choses, où la mobilité du capital et de la main-d'œuvre est entravée, le passage au libre-échange des produits doit nécessairement améliorer le niveau de vie américain. Celles d'entre les industries américaines où les coûts comparatifs sont plus élevés (où la productivité américaine est plus basse) dépériraient, et celles où le coût est inférieur (où la productivité est supérieure) se développeraient.

En libre-échange, les horlogeries suisses augmenteraient leurs ventes sur le marché américain, et les ventes de leurs concurrents américains s'amenuiseraient. Mais ce n'est qu'un aspect des conséquences du libreéchange. Vendant et produisant davantage, les Suisses gagneraient et achèteraient davantage. Peu importe qu'eux-mêmes, dans cette situation, achètent davantage de produits des autres industries américaines, ou qu'ils augmentent leurs achats à l'intérieur ou dans d'autres pays, par exemple en France. Quoi qu'il arrive, l'équivalent du surplus de dollars qu'ils gagneraient doit finalement parvenir aux États-Unis et augmenter les ventes de certaines industries américaines. Si les Suisses ne veulent pas céder pour rien leurs produits, en faire un cadeau sans contrepartie, ils doivent dépenser les dollars reçus en achetant quelque chose. L'opinion contraire, très répandue, est due à l'idée illusoire que l'Amérique pourrait augmenter ses achats de produits importés en réduisant le total des encaisses liquides des citoyens. C'est la célèbre illusion selon laquelle les gens achètent sans se soucier de leur encaisse liquide, comme si l'existence même d'encaisses liquides résultait de ce qu'il y a un reste inutilisé, faute de quelque chose à acheter en plus. Nous avons déjà montré comment cette doctrine mercantiliste est entièrement fausse 6.

Ce que la protection douanière a pour conséquence dans le domaine des taux de salaires et du niveau de vie des salariés est quelque chose de tout différent.

En un monde où il y a liberté des échanges quant aux marchandises, alors que les mouvements de main-d'œuvre et les investissements étrangers sont entravés, il se produit une tendance à l'établissement d'une relation déterminée entre les salaires payés, dans les divers pays, pour la même nature et la même qualité de travail. Il ne peut pas y avoir tendance à l'égalisation des taux de salaires. Mais le prix final à payer pour le travail dans divers pays se présente dans une certaine relation numérique. Ce prix final est caractérisé par le fait que tous ceux qui cherchent à gagner des salaires trouvent un emploi, et tous ceux qui cherchent à engager des travailleurs sont en mesure d'embaucher autant de personnes qu'ils en ont besoin. Il y a « plein emploi ».

Supposons qu'il n'y ait que deux pays en tout — la Ruritanie et la Lapoutanie. En Ruritanie, le taux final de salaires est le double de ce qu'il est en Lapoutanie. Maintenant, le gouvernement ruritanien instaure l'une de ces mesures que l'on dit à tort favorables à la main-d'œuvre. Elle fait porter aux employeurs une charge dont le poids est proportionnel à l'effectif des travailleurs employés. Par exemple, elle réduit les heures de travail sans permettre une diminution correspondante des salaires hebdomadaires. Le résultat est une baisse de la quantité des biens produits et une hausse du prix unitaire de chaque marchandise. Le salarié dispose de plus de loisir, mais son niveau de vie est amputé. Que pourrait-il résulter d'autre d'une diminution générale du volume des biens disponibles ?

Cet événement concerne la situation intérieure ruritanienne. Il se produirait même en l'absence de tout commerce avec l'extérieur. Le fait que la Ruritanie n'est pas autarcique, mais qu'elle achète et vend à la Lapoutanie, n'en change pas les caractères essentiels. Mais il affecte la Lapoutanie. Comme les Ruritaniens produisent et consomment moins, ils achèteront moins aux Lapoutaniens. Il n'y aura pas en Lapoutanie une baisse globale de la production. Mais certaines industries qui produisaient pour exporter en Ruritanie vont devoir désormais se tourner vers le marché lapoutanien. La Lapoutanie verra baisser son commerce extérieur ; bon gré mal gré, elle va devenir plus autarcique. C'est là une bénédiction, aux yeux des protectionnistes. En réalité, cela signifie une détérioration du niveau de vie ; des productions plus coûteuses en remplaceront de moins coûteuses. Ce dont la Lapoutanie fait l'expérience est la même chose qui arriverait aux résidents d'un pays autarcique si quelque cas de force majeure venait à amputer la productivité de l'une de ses industries. Dans toute la mesure où existe une division du travail, tout le monde subit les conséquences d'une baisse d'apport au marché du fait de certains.

Toutefois, ces conséquences finales inexorables sur le plan international de la nouvelle loi ouvrière en Ruritanie n'affectent pas les diverses branches de l'industrie lapoutanienne de même manière. Une série d'étapes doit se produire dans l'une et l'autre nation jusqu'à ce qu'une adaptation complète de la production soit réalisée par rapport aux nouvelles données. Ces effets à court terme diffèrent des effets à long terme. Ils sont plus spectaculaires à court terme qu'à long terme. Alors que presque personne ne saurait omettre de remarquer les effets à court terme, seuls les économistes sont en mesure de voir ceux à long terme. Pendant qu'il est assez facile de cacher au public les effets à long terme, il faut faire quelque chose à l'égard des effets à court terme aisément discernables, sans quoi l'enthousiasme en faveur de la prétendue loi favorable aux ouvriers disparaîtra.

Le premier effet à court terme se manifeste par l'affaiblissement de la capacité concurrentielle de certaines branches de production ruritaniennes, par rapport à celles de Lapoutanie. Etant donné que les prix montent en Ruritanie, il devient possible à certains Lapoutaniens de développer leurs ventes en Ruritanie. C'est seulement un effet momentané ; au bout du compte, les ventes totales de toutes les industries lapoutaniennes en Ruritanie auront baissé. Il est possible qu'en dépit de cette baisse globale des exportations lapoutaniennes, certaines des industries de Lapoutanie voient leurs ventes augmenter de façon durable (cela dépendra de la nouvelle configuration des coûts comparatifs). Mais il n'y a pas de corrélation nécessaire entre ces effets à long et à court terme. Les adaptations graduelles, pendant la période de transition, engendrent des changements kaléidoscopiques des diverses situations, et ces situations momentanées peuvent différer totalement de la configuration finale. Cependant, l'attention d'un public à courte vue est complètement accaparée par ces effets immédiats. L'on entend les hommes d'affaires défavorisés se plaindre que la nouvelle législation ruritanienne fournisse aux Lapoutaniens la possibilité de pratiquer des baisses de prix à la fois en Ruritanie et en Lapoutanie. L'on voit certains entrepreneurs ruritaniens obligés de réduire leur production et de licencier des salariés. Et l'on commence à soupçonner que quelque chose cloche dans le raisonnement des soi-disant « nonconformistes dévoués aux travailleurs ».

Mais le tableau est différent s'il y a en Ruritanie un tarif douanier assez élevé pour empêcher les Lapoutaniens d'étendre, même momentanément, leurs ventes sur le marché ruritanien. Dans ce cas, les effets précoces les plus spectaculaires de la nouvelle mesure sont masqués de telle sorte que le public n'en prend pas conscience. Les effets à longue échéance, bien entendu, ne peuvent être évités. Mais ils se produisent par une autre séquence d'effets précoces, moins choquante parce que moins visible. La propagande vantant les « conquêtes sociales » assurées par le raccourcissement du temps de travail ne se trouve pas réfutée par l'apparition immédiate d'effets que tout le monde — et surtout les chômeurs — considère comme indésirables.

La principale fonction des tarifs douaniers et autres systèmes protectionnistes d'aujourd'hui est de déguiser les effets réels des politiques interventionnistes décidées en vue des relever le niveau de vie du grand nombre. Le nationalisme économique est le complément nécessaire de ces politiques populaires qui prétendent améliorer la situation matérielle des salariés, alors qu'en fait elles la dégradent 7.

4 / De la restriction en tant que système économique

Ainsi qu'on l'a montré, il y a des cas où une mesure restrictive est capable d'atteindre le but en vue duquel on l'applique. Si ceux qui recourent à cette mesure pensent que la réalisation de cet objectif est plus importante que les inconvénients qu'entraîne la restriction — c'est-à-dire la diminution de quantité des biens matériels disponibles pour être consommés — alors le recours à la restriction est justifié du point de vue de leurs jugements de valeur. Ils acceptent des coûts et payent un prix en vue d'obtenir quelque chose qu'ils évaluent plus haut que ce qu'il leur faut dépenser, ou à quoi il leur faut renoncer. Personne, et notamment le théoricien, n'est en mesure de discuter avec eux de la justesse de leurs jugements de valeur.

La seule façon correcte de considérer les mesures restreignant la production est d'y voir des sacrifices consentis pour atteindre certains objectifs. Ce sont des quasi-dépenses publiques et de la quasi-consommation. Elles constituent une façon d'employer des choses qui auraient pu être produites et consommées d'une certaine manière, en vue d'atteindre certaines autres fins. Ces choses-là sont empêchées de venir à l'existence ; mais les auteurs de ces mesures estiment précisément que cette quasi-consommation est préférable à l'accroissement du volume des biens disponibles qu'aurait entraîné la mise à l'écart de la mesure restrictionniste.

A l'égard de certaines mesures restrictives ce point de vue est universellement admis. Si un gouvernement décrète qu'une étendue de territoire doit être maintenue en son état comme parc national, et soustraite à toute autre utilisation, personne ne qualifiera cette mesure d'autre chose que d'une dépense publique. Le gouvernement prive les citoyens de l'accroissement de productions diverses possibles sur ce territoire, afin de leur fournir d'autres satisfactions.

Il s'ensuit que la restriction de production ne peut jamais jouer qu'un rôle de complément subalterne du système de production. L'on ne peut édifier un système d'activité économique qui ne se composerait que de mesures restrictives. Aucun ensemble de telles mesures ne peut être agencé en un système économique intégré. Elles ne peuvent former un système de production. Elles relèvent de la sphère de la consommation, non de celle de la production.

En examinant les problèmes de l'interventionnisme, nous cherchons à voir ce que valent les affirmations des partisans de l'intervention gouvernementale dans l'activité économique, lorsqu'ils prétendent que leur système présente une alternative aux autres systèmes économiques. L'on ne peut raisonnablement soutenir cela à l'égard des mesures restreignant la production. Le mieux qu'elles puissent faire est de réaliser effectivement une réduction de la production et de la satisfaction. Les richesses sont produites moyennant l'apport d'un certain volume de facteurs de production. Si l'on ampute ce volume, l'on n'accroît pas mais l'on diminue au contraire celui des biens produits. Même en supposant que les fins visées par une réduction forcée des heures de travail puissent être atteintes par un tel acte d'autorité, ce ne serait pas une mesure de production. C'est invariablement un moyen d'amputer la production globale.

Le capitalisme est un système de production en société. Le socialisme, à ce que disent les socialistes, est aussi un système de production en société. Mais en ce qui concerne les mesures restreignant la production, même les interventionnistes ne peuvent élever une telle prétention. Ils peuvent seulement dire que dans le système capitaliste il y a trop de production et qu'ils veulent empêcher la production de cet excédent afin de poursuivre d'autres fins. Ils doivent eux-mêmes reconnaître qu'il y a des bornes à l'imposition de restrictions.

La science économique n'affirme pas que la restriction est un mauvais système de production. Elle affirme que ce n'est en rien un système de production, mais plutôt un système de quasi-consommation. La plupart des objectifs que se proposent les interventionnistes ne peuvent être atteints par ce moyen. Mais même là où les mesures restrictives sont propres à atteindre les fins recherchées, elles restent simplement restrictives 8.

La large popularité dont jouit de nos jours le restrictionnisme est due au fait que les gens n'en discernent pas les conséquences. Quand le public considère la question d'un raccourcissement du temps de travail par voie gouvernementale, il ne se rend pas compte du fait que le total de la production baissera forcément, et qu'il est fort probable que le niveau de vie des salariés a toutes chances de baisser aussi. C'est un dogme des « non-conformistes » actuels, qu'une telle mesure « en faveur » des ouvriers est pour ces derniers un gain social, dont le coût retombera entièrement sur les employeurs. Quiconque conteste ce dogme est vilipendé, traité de cynique défenseur des prétentions iniques d'exploiteurs sans entrailles, et traqué sans pitié. L'on donne à croire qu'il veut réduire les salariés à la misère et aux longues heures de travail des premiers temps de l'industrialisation moderne.

En regard de ces diffamations, il est important de souligner encore que ce qui produit la richesse et le bien-être, c'est la production et non pas la restriction. Que dans les pays capitalistes le salarié moyen consomme plus de biens et peut se payer davantage de loisirs que ses ancêtres ; et que s'il peut fournir aux besoins de sa femme et de ses enfants sans avoir besoin de les envoyer travailler, tout cela n'est pas conquêtes du gouvernement et des syndicats. C'est le fruit du fait que les entreprises en quête de profit ont accumulé et investi plus de capital et ainsi accru la productivité marginale du travail.

Notes

1 Les profits et pertes d'entreprise ne sont pas affectés par la législation du travail parce qu'ils dépendent entièrement de l'ajustement plus ou moins réussi de la production aux changements intervenus sur le marché. A l'égard de ces changements, la législation du travail compte seulement en tant que facteur les provoquant.

2 Voir ci-dessus, pp. 644 à 648.

3 Ce genre de logique a été manifesté par certains philosophes nazis. Voir Sombart, A New Social Philosophy, pp. 242 à 245.

4 Voir ci-dessus, pp. 503 à 514.

5 Pour une analyse détaillée, voir ci-dessus, p. 659.

6 Voir ci-dessus pp. 471, à 475.

7 Voir également ce qu'il a été dit sur le rôle des cartels, pp. 384 à 388.

8 En ce qui concerne les objections soulevées contre cette thèse du point de vue de l'effet Ricardo, voir ci-dessous, pp. 812 à 815.