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::« J'affirme, en pesant toutes mes paroles, qu'à mon avis la société par actions est la plus grande découverte des temps modernes, à en juger d'après ses effets sociaux, moraux, ainsi que par les conséquences politiques que nous saurons en tirer une fois que nous l'aurons comprise et saurons nous en servir. La vapeur et l'électricité elle-mêmes sont moins importantes que la société anonyme. Sans elle, elles se trouveraient réduites à une relative impuissance. »<ref>''Why should we change our form of gouvernment ?'', p. 82</ref>
::« J'affirme, en pesant toutes mes paroles, qu'à mon avis la société par actions est la plus grande découverte des temps modernes, à en juger d'après ses effets sociaux, moraux, ainsi que par les conséquences politiques que nous saurons en tirer une fois que nous l'aurons comprise et saurons nous en servir. La vapeur et l'électricité elle-mêmes sont moins importantes que la société anonyme. Sans elle, elles se trouveraient réduites à une relative impuissance. »<ref>''Why should we change our form of gouvernment ?'', p. 82</ref>


Ce n'est nullement exagéré. Sans les privilèges et les garanties offertes par le mode d'organisation et de propriété qu'est la société anonyme, le système industriel tel que nous le connaissons ne pourrait pas exister et n'aurait jamais pu se développer.
Ce n'est nullement exagéré. Sans les privilèges et les garanties offertes par le mode d'organisation et de propriété qu'est la société anonyme, le système industriel tel que nous le connaissons ne pourrait pas exister et n'aurait jamais pu se développer. Cette vérité est si essentielle que nous ferions bien de suivre la suggestion de MM. Berle et Means, et ne plus parler du « régime capitaliste », mais du « régime des sociétés anonymes »<ref>''The Modern Corporation and Private Property''</ref>.


== Notes et références ==  
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Version du 23 juin 2008 à 05:22

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Walter Lippmann:La Cité libre - Chapitre 2 - les Dieux de la machine


Anonyme


Chapitre 2 - Les Dieux de la machine
Progrès technique et réaction politique
La Cité libre
The Good Society
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Auteur : Walter Lippmann
Genre
histoire, philosophie
Année de parution
1937
« Les doctrines auxquelles on veut que les hommes souscrivent sont partout hostiles à celles au nom desquelles les hommes ont lutté pour conquérir la liberté. Les réformes sont partout aux prises avec la tradition libérale. On demande aux hommes de choisir entre la sécurité et la liberté. On leur dit que pour améliorer leur sort il leur faut renoncer à leurs droits, que pour échapper à la misère, ils doivent entrer en prison, que pour régulariser leur travail il faut les enrégimenter, que pour avoir plus d'égalité, il faut qu'ils aient moins de liberté, que pour réaliser la solidarité nationale il est nécessaire d'opprimer les oppositions, que pour exalter la dignité humaine il faut que l'homme s'aplatisse devant les tyrans, que pour recueillir les fruits de la science, il faut supprimer la liberté des recherches, que pour faire triompher la vérité, il faut en empêcher l'examen. »
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Il y avait une fois un homme qui prétendait que la terre est plate parce qu'il l'avait vue plate partout où il était allé. De même chaque génération est disposée à considérer que ses hypothèses essentielles se passent de toute démonstration, même lorsqu'elles ont en fait été adoptées sans jugement. Cette disposition est en général renforcée par quelque large interprétation de l'expérience historique fournie par les érudits de l'époque. On en trouve un exemple classique dans la doctrine de la monarchie de droit divin. En affirmant que le roi règne par la grâce de Dieu, on soustrait à la discussion la prétention du roi au pouvoir absolu, c'est-à-dire qu'on en fait un axiome. Ceux qui voudraient mettre le pouvoir royal en question, sont ainsi réduits au silence, car ils n'osent pas mettre en question le Dieu par la grâce duquel le roi règne.

Pour justifier le retour au principe d'autorité en politique, on croit devoir affirmer que la nouvelle technique, celle de la machine, a besoin du contrôle d'un État omnipotent. Il y a un grand nombre de versions de cette idée fondamentale. Certains disent que seule l'autorité gouvernementale peut protéger les hommes contre la tyrannie de la machine ; d'autres que seul le gouvernement peut transformer en réalités les promesses bienfaisantes du machinisme. Mais tous sont d'accord pour dire que les progrès récents de la technique entraînent une nécessité profonde qui oblige l'humanité à exalter l'autorité des gouvernants et à intensifier leur intervention dans la vie quotidienne. L'État moderne exerce son pouvoir souverain par la grâce des dieux de la machine.

« A mesure que l'industrie se mécanise », dit M. Lewis Mumford, « il faut que l'autorité politique exerce une pression plus forte qu'il n'était nécessaire auparavant »[1]. C'est en partant de cette thèse que les dirigeants intellectuels du monde moderne en sont venus à croire que la conception libérale de l'Etat appartient, comme l'a dit un jour le président Roosevelt, « à l'époque des fiacres »[2].

Et pourtant cette thèse, que notre génération considère comme évidente, contient un paradoxe étonnant. M. Mumford, suivant un schéma imaginé par le professeur Patrick Geddes, déclare qu'en « considérant les mille dernières années, on peut diviser l'évolution du machinisme et de la civilisation industrielle en trois phases successives qui chevauchent l'une sur l'autre et s'interpénètrent : la phase éo-technique (basée sur l'eau et le bois), la phase paléo-technique (basée sur le charbon et le fer), la phase néo-technique (basée sur l'électricité et les alliages) »[3]. Cette division est commode et instructive. Mais ce qui nous intéresse surtout c'est ce que M. Mumford en déduit : à savoir que dans la phase néo-technique, celle que nous traversons actuellement, l'Etat doit réglementer la production et la consommation, qu'il doit, au moins dans le domaine de ce qu'il appelle les « besoins fondamentaux » de l'alimentation, du vêtement et du logement, et dans celui des « luxes nécessaires »[4], imposer une « production rationnée », une « consommation communisée », et le « travail obligatoire »[5]. N'est-il pas vraiment extraordinaire que dans la dernière phase de la technique du machinisme, on nous dise qu'il faut revenir à la technique politique, c'est-à-dire aux lois somptuaires et au travail forcé qui caractérisaient les premiers temps du machinisme ? Je sais bien que M. Mumford espère et croit que le pouvoir souverain tout-puissant se montrera, de nos jours, aussi avisé que l'ont été les physiciens et les chimistes qui ont inventé les alliages et maîtrisé l'électricité. Mais il n'en reste pas moins vrai que, selon lui, les bienfaits promis par la science moderne ne peuvent être réalisés qu'au moyen de la technique politique des âges pré-scientifiques. Car tout l'appareil d'une économie administrée par la politique, taxation des prix et des salaires, lois somptuaires, travail forcé, consommation « communisée », production dirigée, sans parler de l'opinion censurée et contrôlée dans les États totalitaires, tout cela n'est qu'un retour à la technique politique qu'il avait fallu rejeter pour permettre à la révolution industrielle de s'accomplir. Il n'est par conséquent pas du tout évident que l'humanité soit obligée d'adopter de nouveau cette technique politique pour permettre la réalisation des promesses de la révolution industrielle[6].

La règlementation de l'industrie par l'État n'a en effet jamais été plus minutieuse que dans le siècle qui a précédé les grandes innovations techniques. Que l'on songe à ce que cette règlementation représentait. Que l'on considère, par exemple, le fameux système de règlements par lequel Colbert s'était efforcé de codifier et de généraliser la loi industrielle[7]. Les règlements de la seule industrie textile forment quatre volumes in-quarto de 2 200 pages et trois volumes supplémentaires. Les règlements sur la fabrication des lainages en Bourgogne et dans quatre régions avoisinantes, stipulent que les tissus de Dijon et Selongey doivent être peignés sur une largeur d'une aune et trois-quart, que la trame doit comprendre quarante-quatre fois trente-deux fils, lisières comprises, et qu'à son arrivée à la foulerie, le drap doit avoir exactement une aune de large. Mais à Semur et en quatre autres endroits, la trame doit avoir treize cent soixante-seize fils, et mille deux cent seize à Châtillon. On avait oublié la ville de Langogne jusqu'en 1718, date à laquelle parut une ordonnance déclarant que Sa Majesté venait d'apprendre qu'aucun règlement ne spécifiait le nombre de fils dont ses draps devaient être composés, et que cette question devait absolument être réglée.

Comment Sa Majesté pouvait-elle savoir le nombre de fils qu'il fallait prescrire à Dijon, à Semur ou à Langogne ? Naturellement en le demandant aux fabricants établis. Ses règlements étaient donc essentiellement un procédé permettant de protéger les intérêts de ces derniers contre la concurrence de novateurs trop audacieux. Toute règlementation par l'autorité doit nécessairement employer de telles méthodes, car aucun roi ni aucun bureau ne peut espérer inventer une technique de la production autre que la technique existante. Le gouvernement peut par hasard avoir une excellente idée, mais, normalement il est inévitable qu'il mette le poids de son autorité au service de la routine des intérêts établis. Ce que Colbert faisait sous Louis XIV était exactement la même chose que ce que le général Johnson[8] et M. Wallace ont fait sous le président Roosevelt. Colbert avait réglementé l'industrie et l'agriculture en soutenant et en subventionnant les producteurs établis, et il ne faisait pas les choses à moitié. Les fabricants de Saint-Maixent « durent faire des démarches pendant quatre ans, de 1730 à 1734, avant d'être autorités à utiliser des fils de trame noirs »[9]. Ils ne reçurent jamais la permission d'utiliser des fils noirs pour la chaîne.

Le système ne fonctionnait naturellement pas très bien. Plus on violait les règlements, plus on en multipliait le nombre. Les procès étaient interminables, la contrebande et la production clandestine universelles. Le gouvernement devait chaque jour manifester sa volonté de faire appliquer les règlements qu'il avait édictés. Il se montrait particulièrement énergique dans la question des calicots imprimés ; car l'industrie textile française était arriérée, et les fabricants exigeaient d'être protégés. Le gouvernement faisait de son mieux. D'après Heckscher, « les mesures économiques prises à cet égard coûtèrent la vie à près de seize mille personnes, qui périrent sur l'échafaud ou dans des émeutes. Ce total ne comprend pas le nombre inconnu mais certainement beaucoup plus élevé, de ceux qui furent envoyés aux galères ou punis de quelque autre manière. Un jour, à Valence, soixante-dix-sept personnes furent condamnées à être pendues, cinquante-huit à la roue, six cent trente et une aux galères. Une seule fut acquittée. Personne ne fut gracié. Mais ces mesures énergiques ne suffirent pas à atteindre le but recherché. Les calicots imprimés se répandirent de plus en plus dans toutes les classes de la population, en France comme ailleurs »[10].

La règlementation de l'économie par le gouvernement n'est pas une invention moderne. Elle a été pratiquée par les Pharaons pendant la phase éo-technique décrite par M. Mumford. Elle a été couramment appliquée sous Dioclétien, sous les empereurs de Byzance, sous Louis XIV, sous les Habsbourg et les Romanoff. Loin d'être une innovation résultant de ce que M. George Soule appelle « la croissance de la civilisation technique », elle a de toute l'antiquité été mise en pratique par les gouvernements d'une civilisation pré-technique. La politique de l'Ancien Régime n'était pas autre chose.

Il y a une très bonne raison pour que la règlementation de l'industrie par l'autorité soit appropriée à une économie primitive, et nullement appropriée à une économie sujette à des transformations techniques incessantes et fondamentales. La direction d'une économie par l'autorité supérieure doit, de par sa nature même, présenter un caractère de généralité. Ce n'est qu'occasionnellement que l'on peut modifier les prescriptions et les interdictions. Cette méthode de direction convient par conséquent à une routine bien établie qui n'a besoin d'être modifiée qu'à de très longs intervalles. Mais, dans la révolution industrielle, où l'on invente sans cesse, les transformations techniques sont continuelles. Les meilleures machines d'hier seront démodées demain. L'autorité ne peut réglementer aussi vite que les inventeurs inventent. Si elle fonde ses décrets sur les procédés d'hier, elle doit supprimer ceux de demain, sous peine de contribuer au désordre. L'introduction de méthodes nouvelles ne peut être organisée et dirigée par la contrainte. Car personne ne peut savoir ce qu'il faut décréter avant qu'on ait fait l'essai des méthodes nouvelles. Les hommes l'ont appris au XVIIIe siècle. Ils se sont rendu compte qu'ils devaient, ou bien interdire les inventions nouvelles, comme l'a fait la monarchie française en présence du problème des calicots imprimés, ou bien renoncer à faire règlementer la production par des fonctionnaires. Ce n'est donc pas par hasard qu'un dirigisme gouvernemental minutieux a toujours caractérisé les économies relativement peu progressistes. Car on ne fait d'inventions nouvelles qu'en essayant toute sorte de procédés nouveaux pour en vérifier le fonctionnement. L'expérience ne s'arrête naturellement pas à la porte du laboratoire. Elle va plus loin. On installe une ou deux machines nouvelles dans une usine, ou bien on construit une petite usine d'expériences qui tien à la fois du laboratoire et de l'entreprise industrielle. On va encore plus loin. Pour que le nouveau système fonctionne, il faut en essayer à plusieurs reprises l'application à toute une industrie, non seulement au point de vue technique, mais encore à tous les autres points de vue : immobilisations, salaire et qualification de la main-d'œuvre, aptitude des dirigeants, etc. C'est pourquoi les lois de règlementation, par nature statiques et inertes, ne sont pas techniquement appropriées au caractère hautement dynamique de la révolution industrielle.

Les machines et la concentration industrielle

Ceux qui prétendent que les progrès de la technique industrielle rendent nécessaire un accroissement de l'autorité politique ont probablement été induits en erreur par certains phénomènes de l'industrialisme moderne. Ils constatent par exemple que dans certaines branches, un petit nombre de grandes entreprises, voire une seule, contrôlent toute l'industrie, fixent les prix et les salaires. Ils supposent alors que cette concentration de puissance industrielle est le résultat de la production par la machine, que cette production ne saurait se régler elle-même dans un marché soumis à la concurrence, et qu'il faut par conséquent qu'elle soit réglementée par un gouvernement très fort.

Ce raisonnement pèche par sa base. La concentration du contrôle ne vient pas de la mécanisation de l'industrie. Elle vient de l'État. C'est l'État qui, il y a cent ans environ, a commencé à accorder à quiconque lui payait une légère redevance un privilège jusqu'alors très rare et très exceptionnel : celui de constituer des sociétés dans lesquelles les responsabilités sont limitées aux apports et dont les titres sont transmissibles à perpétuité par voie de succession. Voici ce que M. Nicholas Butler pense de cette révolution juridique capitale :

« J'affirme, en pesant toutes mes paroles, qu'à mon avis la société par actions est la plus grande découverte des temps modernes, à en juger d'après ses effets sociaux, moraux, ainsi que par les conséquences politiques que nous saurons en tirer une fois que nous l'aurons comprise et saurons nous en servir. La vapeur et l'électricité elle-mêmes sont moins importantes que la société anonyme. Sans elle, elles se trouveraient réduites à une relative impuissance. »[11]

Ce n'est nullement exagéré. Sans les privilèges et les garanties offertes par le mode d'organisation et de propriété qu'est la société anonyme, le système industriel tel que nous le connaissons ne pourrait pas exister et n'aurait jamais pu se développer. Cette vérité est si essentielle que nous ferions bien de suivre la suggestion de MM. Berle et Means, et ne plus parler du « régime capitaliste », mais du « régime des sociétés anonymes »[12].

Notes et références

  1. Technics and Civilisation, p. 420
  2. Déclaration à la presse, 31 mai 1935.
  3. Op. cit., p. 109.
  4. Ibid, p. 395
  5. Ibid, p. 405
  6. La technique politique de la révolution industrielle fait l'objet du Livre III.
  7. Les exemples qui suivent sont tirés de l'ouvrage de Eli F. Heckscher, Mercantilism, vol. I, pp. 157 sqq.
  8. Voir l'ABC de la NRA publié par Brookings Institution.
  9. Heckscher, op. cit., p. 120
  10. Ibid, p. 173
  11. Why should we change our form of gouvernment ?, p. 82
  12. The Modern Corporation and Private Property
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