Il y avait une fois un homme qui prétendait que la terre est plate parce qu'il l'avait vue plate partout où il était allé. De même chaque génération est disposée à considérer que ses hypothèses essentielles se passent de toute démonstration, même lorsqu'elles ont en fait été adoptées sans jugement. Cette disposition est en général renforcée par quelque large interprétation de l'expérience historique fournie par les érudits de l'époque. On en trouve un exemple classique dans la doctrine de la monarchie de droit divin. En affirmant que le roi règne par la grâce de Dieu, on soustrait à la discussion la prétention du roi au pouvoir absolu, c'est-à-dire qu'on en fait un axiome. Ceux qui voudraient mettre le pouvoir royal en question, sont ainsi réduits au silence, car ils n'osent pas mettre en question le Dieu par la grâce duquel le roi règne.
Pour justifier le retour au principe d'autorité en politique, on croit devoir affirmer que la nouvelle technique, celle de la machine, a besoin du contrôle d'un État omnipotent. Il y a un grand nombre de versions de cette idée fondamentale. Certains disent que seule l'autorité gouvernementale peut protéger les hommes contre la tyrannie de la machine ; d'autres que seul le gouvernement peut transformer en réalités les promesses bienfaisantes du machinisme. Mais tous sont d'accord pour dire que les progrès récents de la technique entraînent une nécessité profonde qui oblige l'humanité à exalter l'autorité des gouvernants et à intensifier leur intervention dans la vie quotidienne. L'État moderne exerce son pouvoir souverain par la grâce des dieux de la machine.
« A mesure que l'industrie se mécanise », dit M. Lewis Mumford, « il faut que l'autorité politique exerce une pression plus forte qu'il n'était nécessaire auparavant »[1]. C'est en partant de cette thèse que les dirigeants intellectuels du monde moderne en sont venus à croire que la conception libérale de l'Etat appartient, comme l'a dit un jour le président Roosevelt, « à l'époque des fiacres »[2].