Différences entre les versions de « Jean-Baptiste Say:Traité d'économie politique - Livre II - Chapitre II »

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Jean-Baptiste Say:Traité d'économie politique - Livre II - Chapitre II


Anonyme


Livre Second
Chapitre II - Des variations relatives et des variations réelles dans les prix.


Les variations relatives dans la valeur des produits, sont les variations qu'ils éprouvent l'un relativement à l'autre. Leurs variations réelles sont celles que subissent les frais que coûte leur production. Les variations relatives influent considérablement sur les richesses des particuliers ; elles ne changent rien à la richesse nationale. Si la même qualité de drap, qui se vendait 40 francs l'aune, ne se vend plus que 30 francs, la richesse de tous les possesseurs de cette espèce de drap est diminuée de 10 francs pour chacune des aunes qu'ils ont à vendre ; mais en même temps la richesse des consommateurs de ce même drap est augmentée de 10 F pour chacune des aunes qu'ils ont à acheter.

Il n'en est pas de même quand c'est le prix originel d'un produit qui vient à baisser. Si les frais de production nécessaires pour produire une aune de drap et qui s'élevaient à 40 francs, ne s'élèvent plus qu'à 30 F ; si, par exemple, cette aune qui exigeait 20 journées de travail à 40 sous, au moyen de quelques procédés plus expéditifs se trouve n'en exiger plus que 15, le producteur voit sa richesse augmentée de 10 francs pour chaque aune qu'il vend, et personne n'en est plus pauvre ; car s'il achète cinq journées de travail de moins, il laisse à l'ouvrier la disposition de son temps ; l'ouvrier vend son travail à un autre producteur, au lieu de le vendre au premier. Quand la concurrence des producteurs oblige celui-ci à baisser son prix au niveau des frais de production, ce sont alors les consommateurs du produit qui font leur profit de cette baisse ; ils gagnent 10 francs pour chacune des aunes de drap qu'ils doivent acheter ; cette somme peut être appliquée par eux à la satisfaction de quelque autre besoin, et il n'en résulte aucune perte pour personne.

Cette variation de prix est absolue ; elle n'entraîne pas un renchérissement équivalent dans l'objet avec lequel l'échange est consommé ; on peut la concevoir, et elle a lieu véritablement, sans que ni les services productifs, ni les produits dont on les achète, ni les produits dont on achète le produit qui a varié, aient eux-mêmes changé de prix.

Que si l'on demandait où se puise cette augmentation de jouissances et de richesses qui ne coûte rien à personne, je répondrais que c'est une conquête faite par l'intelligence de l'homme sur les facultés productrices et gratuites de la nature. Tantôt c'est l'emploi d'une force qu'on laissait se perdre sans fruit, comme dans les moulins à eau, à vent, dans les machines à vapeur ; tantôt c'est un emploi mieux entendu des forces dont nous disposions déjà, comme dans les cas où une meilleure mécanique nous permet de tirer un plus grand parti des hommes et des animaux.

Un négociant qui, avec le même capital, trouve le moyen de multiplier ses affaires, ressemble à l'ingénieur qui simplifie une machine, ou la rend plus productive.

La découverte d'une mine, d'un animal, d'une plante qui nous fournissent une utilité nouvelle, ou bien remplacent avec avantage des productions plus chères ou moins parfaites, sont des conquêtes du même genre ; on a perfectionné les moyens de produire, on a obtenu sans plus de frais des produits supérieurs, et par conséquent une plus grande dose d'utilité, lorsqu'on a remplacé la teinture du pastel par l'indigo, le miel par le sucre, la pourpre par la cochenille.

Dans tous ces perfectionnements et dans tous ceux que l'avenir suggérera, il est à remarquer que les moyens dont l'homme dispose pour produire, devenant réellement plus puissants, la chose produite augmente toujours en quantité, à mesure qu'elle diminue en valeur. On verra tout à l'heure les conséquences qui dérivent de cette circonstance.

La baisse réelle peut être générale, et affecter tous les produits à la fois, comme elle peut être partielle, et n'affecter que certaines choses seulement. C'est ce que je tâcherai de faire comprendre par des exemples.

Je supposerai que, dans le temps qu'on était obligé de faire des bas à l'aiguille, une paire de bas de fil, d'une qualité donnée, revenait au prix que nous désignons maintenant par six francs la paire. Ce serait pour nous la preuve que les revenus fonciers de la terre où le lin était recueilli, les profits de l'industrie et des capitaux de ceux qui le cultivaient, les profits de ceux qui le préparaient et le filaient, les profits enfin de la personne qui tricotait les bas, s'élevaient en somme totale à six francs pour chaque paire de bas.

On invente le métier à bas : dès lors je suppose qu'on obtient pour six francs deux paires de bas au lieu d'une. Comme la concurrence fait baisser le prix courant au niveau des frais de production, ce prix est une indication que les frais causés par l'emploi du fonds, des capitaux et de l'industrie nécessaires pour faire deux paires de bas, ne sont encore que de six francs. Avec les mêmes moyens de production, on a donc obtenu deux choses au lieu d'une.

Et ce qui démontre que cette baisse est réelle, c'est que tout homme, quelle que soit sa profession, peut acheter une paire de bas en donnant moitié moins de ses services productifs. En effet, un capitaliste qui avait un capital placé à cinq pour cent, était obligé, lorsqu'il voulait acheter une paire de bas, de donner le revenu annuel de 120 francs : il n'est plus obligé de donner que le revenu de 60 francs. Un commerçant à qui le sucre revenait à deux francs la livre, était obligé d'en vendre trois livres pour acheter une paire de bas : il n'est plus obligé d'en vendre qu'une livre et demie ; il n'a par conséquent fait le sacrifice que de la moitié des moyens de production qu'il consacrait auparavant à l'achat d'une paire de bas.

Jusqu'à présent c'est le seul produit qui, dans notre hypothèse, a baissé. Faisons une supposition pareille pour le sucre. On perfectionne les relations commerciales, et une livre de sucre ne coûte plus qu'un franc au lieu de deux. Je dis que tous les acheteurs de sucre, en y comprenant même le fabricant de bas, dont les produits ont baissé aussi, ne seront plus obligés de consacrer à l'achat d'une livre de sucre, que la moitié des services productifs par le moyen desquels ils achetaient le sucre auparavant.

Il est aisé de s'en convaincre. Lorsque le sucre était à deux francs la livre et les bas à six francs, le fabriquant de bas était obligé de vendre une paire de bas pour acheter trois livres de sucre ; et comme les frais de production de cette paire de bas avaient une valeur de six francs, il achetait donc en réalité trois livres de sucre au prix de six francs de services productifs, tout comme le négociant achetait une paire de bas au prix de trois livres de sucre, c'est-à-dire de six francs de services productifs également. Mais quand l'une et l'autre denrée ont baissé de moitié, il n'a plus fallu qu'une paire, c'est-à-dire une dépense en frais de production égale à trois francs, pour acheter trois livres de sucre, et il n'a plus fallu que trois livres de sucre, c'est-à-dire, des frais de production égaux à trois francs, pour acheter une paire de bas.

Or, si deux produits que nous avons mis en opposition, et que nous avons fait acheter l'un par l'autre, ont pu baisser tous les deux à la fois, n'est-on pas autorisé à conclure que cette baisse est réelle, qu'elle n'est point relative au prix réciproque des choses, que les choses peuvent toutes baisser à la fois, les unes plus, les autres moins, et que ce que l'on paie de moins dans ce cas, ne coûte rien à personne ?

Voilà pourquoi dans les temps modernes, quoique les salaires, comparés à la valeur du blé, soient à peu près les mêmes, les classes pauvres du peuple sont néanmoins pourvues de bien des utilités dont elles ne jouissaient pas il y a quatre ou cinq cents ans, comme de plusieurs parties de leur vêtement et de leur ameublement, qui ont réellement baissé de prix ; c'est aussi pourquoi elles sont moins bien pourvues de certaines autres choses qui ont subi une hausse réelle, comme de viande de boucherie et de gibier.

Une économie dans les frais de production indique toujours qu'il y a moins de services productifs employés pour donner le même produit ; ce qui équivaut à plus de produit pour les mêmes services productifs.

Il en résulte toujours une augmentation de quantité dans la chose produite. Il semblerait que cette augmentation de quantité pouvant n'être pas suivie d'une augmentation de besoin de la part des consommateurs, il pourrait en résulter un avilissement du produit qui en ferait tomber le prix courant au-dessous des frais de production, tout amoindris qu'ils pourraient être.

Crainte chimérique ! La moindre baisse d'un produit étend tellement la classe de ses consommateurs, que toujours, à ma connaissance, la demande a surpassé ce que les mêmes fonds productifs, même perfectionnés, pouvaient produire ; et qu'il a toujours fallu, à la suite des perfectionnements qui ont accru la puissance des services productifs, en consacrer de nouveaux à la confection des produits qui avaient baissé de prix.

C'est le phénomène que nous a déjà présenté l'invention de l'imprimerie. Depuis qu'on a trouvé cette manière expéditive de multiplier les copies d'un même écrit, chaque copie coûte vingt fois moins qu'une copie manuscrite ne coûtait. Il suffirait, pour que la valeur de la demande s'élevât à la même somme, que le nombre de livres fût seulement vingtuple de ce qu'il était. Je croirais être fort en deçà de la vérité en disant qu'il a centuplé.

De sorte que là où il y avait un volume valant 60 francs, valeur d'aujourd'hui, il y en a cent qui, étant vingt fois moins chers, valent néanmoins 300 francs. La baisse des prix, qui procure un enrichissement réel, n'occasionne donc pas une diminution, même nominale, des richesses.

Par la raison contraire, un renchérissement réel, provenant toujours d'une moins grande quantité de choses produites au moyen des mêmes frais de production (outre qu'il rend les objets de consommation plus chers par rapport aux revenus des consommateurs, et par conséquent les consommateurs plus pauvres), ne compense point par l'augmentation de prix des choses produites, la diminution de leur quantité.

Je suppose qu'à la suite d'une épizootie ou d'un mauvais régime vétérinaire, une race de bestiaux, les brebis, par exemple, deviennent de plus en plus rares ; leur prix haussera, mais non pas en proportion de la réduction de leur nombre : car à mesure qu'elles renchériront, la demande de cette denrée diminuera.

S'il venait à y avoir cinq fois moins de brebis qu'il n'y en a actuellement, on pourrait bien ne les payer que le double plus cher : or, là où il y a actuellement cinq brebis produites qui peuvent valoir ensemble 100 francs à 20 francs pièce, il n'y en aurait plus qu'une qui vaudrait 40 francs. La diminution des richesses consistant en brebis, malgré l'augmentation du prix, serait dans ce cas diminuée dans la proportion de 100 à 40, c'est-à-dire de plus de moitié, malgré le renchérissement.

Je vais plus loin, et je dis que la baisse réelle des prix, même en supposant qu'elle n'entraîne aucune augmentation dans les quantités produites et consommées, est un accroissement de richesses pour le pays, et que cette augmentation peut être évaluée en valeur échangeable, en argent si l'on veut. Prenons le même exemple. Après que des causes quelconques ont maintenu le prix des brebis à 40 francs, supposons qu'on introduit des races plus fécondes, ou bien qu'on les soigne plus habilement, ou bien qu'on les nourrisse à moins de frais, et que, leur valeur diminuant, on puisse acquérir chaque brebis au prix de 20 francs sans que la consommation s'en augmente (quelque invraisemblable que soit cette dernière supposition) ; qu'en résulte-t-il ? Là où l'on vendait cent brebis pour 4000 francs, on en vendra, sans perte, le même nombre pour 2000 francs. Ne voyez-vous pas que les consommateurs (c'est-à-dire la nation) dépensant 2000 francs de moins pour cette consommation, auront 2000 francs à consacrer à une autre ? Or, qu'est-ce que d'avoir plus d'argent à dépenser, sinon d'être plus riche ?

Et si l'on était porté à croire qu'une baisse réelle, c'est-à-dire des services productifs moins chers, diminuent les avantages des producteurs précisément autant qu'ils augmentent ceux des acheteurs, on serait dans l'erreur. La baisse réelle des choses produites tourne au profit des consommateurs, et n'altère point les revenus des producteurs. Le fabriquant de bas, qui fournit deux paires au lieu d'une pour six francs, a autant de profit sur cette somme qu'il en aurait eu si c'eût été le prix d'une seule paire. Le propriétaire foncier reçoit le même fermage lorsqu'un meilleur assolement multiplie les produits de sa terre et en fait baisser le prix. Et lorsque, sans augmenter les fatigues d'un manouvrier, je trouve le moyen de doubler la quantité d'ouvrage qu'il exécute, le manouvrier gagne toujours la même journée, quoique le produit devienne moins cher.

Nous trouvons là-dedans l'explication et la preuve d'une vérité qu'on ne sentait que bien confusément, et qui même était contestée par plusieurs sectes et par un grand nombre d'écrivains : c'est qu'un pays est^d'autant plus riche et mieux pourvu, que le prix des denrées y baisse davantage.

Mais je suppose qu'on insiste, et que, pour mettre à l'épreuve la justesse du principe, on pousse la supposition à l'extrême : si d'économies en économies, dira-t-on, les frais de production se réduisaient à rien, il est clair qu'il n'y aurait plus ni rente pour les terres, ni intérêts pour les capitaux, ni profits pour l'industrie : dès-lors plus de revenus pour les producteurs. Dans cette supposition, je dis qu'il n'y aurait plus même de producteurs. Nous serions, relativement à tous les objets de nos besoins, comme nous sommes relativement à l'air, à l'eau, que nous consommons sans que personne soit obligé de les produire, et sans que nous soyons obligés de les acheter. Tout le monde est assez riche pour payer ce que coûte l'air ; tout le monde serait assez riche pour payer ce que coûteraient tous les produits imaginables : ce serait le comble de la richesse. Il n'y aurait plus d'économie politique ; on n'aurait plus besoin d'apprendre par quels moyens se forment les richesses : on les aurait toutes formées.

Quoiqu'il n'y ait pas de produits dont le prix soit tombé à rien et ne vaille pas plus que l'eau commune, il y en a néanmoins dont le prix a éprouvé des baisses prodigieuses, comme le combustible aux lieux où l'on a découvert des houillères ; et toute baisse analogue est sur le chemin de l'état d'abondance complète dont je viens de parler.

Si diverses choses ont baissé diversement, les unes plus, les autres moins, il est évident qu'elles ont dû varier dans leurs valeurs réciproques. Celle qui a baissé, comme les bas, a changé de valeur relativement à celle qui n'a pas baissé, comme la viande ; et celles qui ont baissé autant l'une que l'autre, comme les bas et le sucre dans notre supposition, quoiqu'elles aient changé de valeur réelle, n'ont pas changé de valeur relative.

Telle est la différence qu'il y a entre les variations réelles et les variations relatives. Les premières sont celles où la valeur des choses change avec les frais de leur production ; les secondes sont celles où la valeur des choses change par rapport à la valeur des autres marchandises.

Les baisses réelles sont favorables aux acheteurs sans être défavorables aux vendeurs, et les hausses réelles produisent un effet opposé ; mais dans les variations relatives, ce que le vendeur gagne est perdu par l'acheteur, et réciproquement. Un marchand qui a dans ses magasins cent milliers de laines à un franc la livre, possède cent mille francs : si, par l'effet d'un besoin extraordinaire, les laines montent à deux francs la livre, cette portion de sa fortune doublera ; mais toutes les marchandises appelées à s'échanger contre de la laine perdront autant de leur valeur relative que la laine en a gagné. En effet, celui qui a besoin de cent livres de laine, et qui aurait pu les obtenir en vendant quatre setiers de froment, pour cent francs, sera désormais obligé d'en vendre huit. Il perdra les cent francs que gagnera le marchand de laine ; la nation n'en sera ni plus pauvre ni plus riche.

Lorsque de telles ventes ont lieu d'une nation à une autre, la nation vendeuse de la marchandise qui a haussé, gagne le montant de l'augmentation, et la nation qui achète perd précisément autant. Il n'existe pas, en vertu d'une telle hausse, plus de richesses dans le monde ; car il faudrait pour cela qu'il y eût eu quelque nouvelle utilité produite à laquelle on eût mis un prix. Dès-lors il faut bien que l'un perde ce que l'autre gagne ; c'est aussi ce qui arrive dans toute espèce d'agiotage fondé sur les variations des valeurs entre elles.

Un jour viendra probablement où les états européens, plus éclairés sur leurs vrais intérêts, renonceront à toutes leurs colonies sujettes, et jetteront des colonies indépendantes dans les contrées équinoxiales les plus voisines de l'Europe, comme en Afrique.

Les vastes cultures qui s'y feront des denrées que nous appelons coloniales, les procureront à l'Europe avec une abondance extrême, et probablement à des prix très modiques. Les négociants qui auront des approvisionnements faits aux prix anciens perdront sur leurs marchandises ; mais tout ce qu'ils perdront sera gagné par les consommateurs, qui jouiront pendant un temps de ces produits à un prix inférieur aux frais qu'ils auront occasionnés ; peu à peu les négociants remplaceront des marchandises chèrement produites, par des marchandises pareilles provenant d'une production mieux entendue ; et les consommateurs jouiront alors d'une douceur de prix et d'une multiplication de jouissances qui ne coûtera plus rien à personne : car les marchandises reviendront moins cher aux négociants, qui les vendront à plus bas prix ; il en résultera au contraire un grand développement d'industrie, et de nouvelles voies ouvertes à la fortune.