Différences entre les versions de « Jean-Baptiste Say:Traité d'économie politique - Livre I - Chapitre XVI »

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Version du 1 mars 2008 à 17:54


Jean-Baptiste Say:Traité d'économie politique - Livre I - Chapitre XVI


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Livre Premier
Chapitre XV - Quels avantages résultent de l'activité de circulation de l'argent et des marchandises.


On entend souvent vanter les avantages d'une active circulation, c'est-à-dire de ventes rapides et multipliées. Il s'agit de les apprécier à leur juste valeur.

Les valeurs employées dans le cours de la production ne peuvent se réaliser en argent, et servir à une production nouvelle, que lorsqu'elles sont parvenues à l'état de produit complet, et vendues au consommateur. Plus tôt un produit est terminé et vendu, plus tôt aussi cette portion de capital peut être appliquée à un nouvel usage productif. Ce capital, occupé moins longtemps, coûte moins d'intérêts, il y a économie sur les frais de production ; dès lors il est avantageux que les transactions qui ont lieu dans le cours de la production, se fassent activement.

Suivons, dans l'exemple d'une pièce de toile peinte, les effets de cette activité de circulation.

Un négociant fait un envoi de marchandises d'Europe au Brésil et en fait venir des cotons. Il lui convient que ses agents en Amérique fassent promptement ses ventes, ses achats et ses expéditions. Son coton arrivé, il doit désirer de le vendre promptement à un négociant français, afin de rentrer plus tôt dans ses avances, et de pouvoir recommencer une opération nouvelle et également lucrative. Et si le négociant français ne garde pas longtemps dans son magasin ce même coton ; s'il le vend promptement au fileur ; si le fileur, après l'avoir réduit en fil, le vend promptement au tisseur ; si celui-ci vend promptement sa toile à l'indienneur ; si ce dernier la vend sans beaucoup de retard au marchand détailleur, et le détailleur au consommateur, cette circulation active aura occupé moins longtemps la portion de capital employée par ces différents producteurs ; il y aura eu moins d'intérêts perdus, par conséquent moins de frais, et le capital, plus promptement rendu à de nouvelles fonctions, aura pu concourir à quelque nouveau produit.

Toutes ces différentes ventes, tous ces achats, et bien d'autres que je supprime pour abréger, ont été nécessaires pour que le coton du Brésil fût porté en robes de toile peinte ; ce sont autant de façons productives données à ce produit ; et plus ces façons auront été rapides, plus cette production se sera faite avec avantage ; mais si, dans une même ville, on achetait et vendait plusieurs fois, une année durant, la même marchandise, sans lui donner une nouvelle façon, cette circulation serait funeste au lieu d'être avantageuse, et augmenterait les frais au lieu de les épargner. On ne peut acheter et revendre sans y employer un capital ; et l'on ne peut employer un capital sans qu'il en coûte un intérêt, indépendamment du déchet que peut subir la marchandise.

C'est ainsi que l'agiotage sur les marchandises cause nécessairement une perte, soit à l'agioteur, si l'agiotage ne fait pas renchérir la denrée, soit au consommateur, s'il la fait renchérir

La circulation est aussi active qu'elle peut l'être utilement, quand une marchandise, du moment qu'elle est en état de subir une nouvelle façon, passe aux mains d'un nouvel agent de production, et que, du moment qu'elle a subi toutes ses façons, elle passe aux mains de celui qui doit la consommer. Toute agitation, tout mouvement qui ne marche pas vers ce but, loin d'être un accroissement d'activité dans la circulation, est un retard dans la marche du produit, un obstacle à la circulation, une circonstance à éviter.

Quant à la rapidité qu'une industrie plus parfaite peut introduire dans la confection des produits, c'est une augmentation de rapidité, non dans la circulation, mais dans les opérations productives.

L'avantage qui en résulte est, au reste, du même genre : c'est un emploi moins prolongé des capitaux.

Je n'ai fait nulle différence entre la circulation des marchandises et celle de la monnaie, parce qu'en effet il n'y en a aucune. Quand une somme d'argent séjourne dans les coffres d'un négociant, c'est une portion de son capital qui reste oisive, de même que la portion de son capital qui est dans son magasin sous la forme de marchandises en état d'être vendues.

Le meilleur des encouragements pour la circulation utile, est le désir que chacun a, surtout les producteurs, de ne perdre que le moins possible l'intérêt des fonds engagés dans l'exercice de leur industrie. La circulation est pénible là où une industrie imparfaite ne sait créer que des produits de peu d'usage ou trop chers, là où des impôts lourds et nombreux renchérissent les produits et obligent la plupart des consommateurs à s'en passer. Elle se ralentit bien plutôt par les contrariétés qu'elle éprouve, que par le défaut d'encouragement qu'elle reçoit. Ce sont les guerres, les embargos, les droits pénibles à acquitter, le danger ou la difficulté des communications qui l'entravent. Elle est lente encore dans les moments de crainte et d'incertitude, quand l'ordre public est menacé, et que toute espèce d'entreprise est hasardeuse. Elle est lente quand on se croit exposé aux contributions arbitraires, et que chacun s'efforce de cacher ses facultés. Elle est lente dans un temps d'agiotage, où les variations subites occasionnées par le jeu sur les marchandises, font espérer à quelques personnes un bénéfice fondé sur une simple variation dans les prix ; alors la marchandise attend à l'affût d'une hausse, l'argent à l'affût d'une baisse : des deux parts ; capitaux oisifs, inutiles à la production.

À de telles époques, il n'existe guère de circulation que celle des produits qui risqueraient de se détériorer dans l'attente, comme les fruits, les légumes, les grains, et tout ce qui se gâte à être gardé. On aime mieux alors passer par-dessus les inconvénients attachés à la vente, que risquer de perdre une portion considérable, et quelquefois la totalité des denrées qu'on possède. Et quand c'est la monnaie qui se détériore, on cherche à l'échanger, à s'en défaire par toutes sortes de moyens. C'est en partie ce motif qui fut cause de la prodigieuse circulation qui eut lieu pendant que le discrédit des assignats allait en croissant.

Tout le monde était ingénieux à trouver un emploi pour un papier-monnaie dont la valeur s'évaporait d'heure en heure : on ne le recevait que pour le placer ; il semblait qu'il brûlât quiconque le touchait. Dans ce temps-là des personnes qui n'avaient jamais fait le commerce, s'en mêlèrent ; on fonda des manufactures, on bâtit, on répara des maisons, on meubla ses appartements ; on n'avait regret à aucune dépense, même pour ses plaisirs, jusqu'à ce qu'enfin on eut achevé de consommer, ou de placer, ou de perdre tout ce qu'on avait de valeurs sous forme d'assignats.