Différences entre les versions de « Jean-Baptiste Say:Traité d'économie politique - Livre I - Chapitre X »

De Librairal
Aller à la navigation Aller à la recherche
m (ortho)
(Aucune différence)

Version du 1 mars 2008 à 17:41


Jean-Baptiste Say:Traité d'économie politique - Livre I - Chapitre X


Anonyme


Livre Premier
Chapitre X - Quelles transformations subissent les capitaux dans le cours de la production.


Nous avons vu de quoi se composent les capitaux productifs d'une nation, et quels sont leurs usages.

Il fallait le dire alors pour embrasser l'ensemble des moyens de production. Nous allons observer maintenant ce qui leur arrive dans le cours de la production, comment ils se conservent et comment ils s'accroissent.

Pour ne point fatiguer l'esprit du lecteur par des abstractions, je commencerai par des exemples, et je les choisirai dans les faits les plus communs. Les principes généraux en sortiront ensuite d'eux-mêmes, et le lecteur sentira la possibilité de les appliquer à tous les autres cas sur lesquels il voudra porter un jugement sain.

Lorsqu'un cultivateur fait lui-même valoir ses terres, outre la valeur de sa terre, il doit posséder un capital, c'est-à-dire une valeur quelconque composée en premier lieu des défrichements et constructions, qu'on peut, si l'on veut, considérer comme faisant partie de la valeur du fonds, mais qui sont cependant des produits de l'industrie humaine et un accroissement de la valeur du fonds. Cette portion du capital s'use peu ; quelques réparations faites à mesure suffisent pour lui conserver son entière valeur. Si ce cultivateur trouve chaque année, sur les produits de l'année, de quoi subvenir à ces réparations, cette portion du capital se trouve par là perpétuellement maintenue.

Une seconde partie du capital de ce même cultivateur se compose d'outils aratoires, d'ustensiles, de bestiaux qui s'usent plus rapidement, mais qui s'entretiennent et au besoin se renouvellent de même aux dépens des produits annuels de l'entreprise, et conservent ainsi leur valeur entière.

Enfin, il faut des provisions de plusieurs espèces, des semences, des denrées, des fourrages pour l'entretien des hommes et des animaux, de l'argent pour le salaire des manouvriers, etc. Remarquez que cette portion du capital se dénature tout-à-fait dans le cours d'une année, et même plusieurs fois par an. L'argent, les grains, les provisions de tous genres se dissipent en totalité ; mais il le faut, et nulle partie du capital n'est perdue, si le cultivateur, indépendamment des profits qui paient le service productif du terrain (ou le fermage), le service productif du capital lui-même (ou l'intérêt), et le service productif de l'industrie qui les a mis en jeu, est parvenu, au moyen de ses produits de l'année, à rétablir ses approvisionnements en argent, en grains, en bestiaux, fût-ce même en fumier, jusqu'à former une valeur égale à celle avec laquelle il a commencé l'année d'auparavant.

On voit que, bien que presque toutes les parties du capital aient reçu des atteintes, et que quelques-unes aient même été anéanties tout-à-fait, le capital a néanmoins été conservé ; car un capital ne consiste pas en telle ou telle matière, mais en une valeur qui n'est pas altérée toutes les fois qu'elle reparaît en d'autres matières d'une égale valeur.

On conçoit même aisément, si cette terre a été assez vaste et son exploitation conduite avec assez d'ordre, d'économie et d'intelligence, que les profits du cultivateur, après que son capital a été rétabli dans son entière valeur, et que toutes ses dépenses et celles de sa famille ont été payées, lui aient fourni un excédant à mettre de côté. Les conséquences qui résulteront de l'emploi de cet excédant sont fort importantes, et feront la matière du chapitre suivant. Il suffit, quant à présent, de bien concevoir que la valeur du capital, quoique consommée, n'est point détruite, parce qu'elle a été consommée de manière à se reproduire, et qu'une entreprise peut se perpétuer et donner tous les ans de nouveaux produits avec le même capital, quoiqu'il soit consommé sans cesse.

Après avoir suivi les transformations que subit un capital dans l'industrie agricole, on suivra sans peine les transformations qu'il subit dans les manufactures et le commerce.

Dans les manufactures, il y a, comme dans l'agriculture, des portions du capital qui durent plusieurs années, comme les bâtiments des usines, les machines et certains outils, tandis que d'autres portions changent totalement de forme ; c'est ainsi que les huiles, la soude, que consomment les savonniers, cessent d'être de l'huile, de la soude, pour devenir du savon. C'est ainsi que les drogues pour la teinture cessent d'être de l'indigo, du bois d'Inde, du rocou, et font partie des étoffes qu'elles colorent. Les salaires et l'entretien des ouvriers sont dans le même cas.

Dans le commerce, la presque totalité des capitaux subit, et souvent plusieurs fois par année, des transformations complètes. Un négociant, avec des espèces, achète des étoffes et des bijoux : première transformation. Il les envoie à Buenos-Ayres, où on les vend : seconde transformation. Il donne ordre d'en employer le montant en peaux d'animaux : troisième transformation. Cette marchandise, arrivée au lieu de sa destination, est vendue à son tour ; la valeur en est remise en effets de commerce sur Paris ; et ces valeurs, changées en espèces, reproduisent le capital, et probablement avec bénéfice, sous sa première forme, celle d'une monnaie française.

On voit que les choses faisant office de capital sont innombrables ; si, dans un moment donné, on voulait connaître de quoi se compose le capital d'une nation, on trouverait qu'il consiste en une multitude d'objets, de denrées, de matières dont il serait absolument impossible d'assigner avec quelque exactitude la valeur totale, et dont quelques-unes même sont à plusieurs milliers de lieues de ses frontières. On voit en même temps que les denrées les plus fugitives et les plus viles sont non-seulement une partie, mais une partie souvent indispensable de ce capital ; que, quoique perpétuellement consommées et détruites, elles ne supposent point que le capital lui-même soit consommé et détruit, pourvu que sa valeur soit conservée ; et que, par conséquent, l'introduction, l'importation qui peut avoir lieu de ces denrées viles et fugitives, peut avoir le même avantage que l'introduction des marchandises plus durables et plus précieuses, comme l'or et l'argent ; qu'elles en ont vraisemblablement davantage du moment qu'on les préfère ; que les producteurs sont les seuls juges compétents de la transformation, de l'extraction, de l'introduction de ces diverses denrées et matières, et que toute autorité qui intervient là-dedans, tout système qui veut influer sur la production, ne peut qu'y être nuisible.

Il y a des entreprises où le capital est entièrement rétabli, et recommence de nouveaux produits plusieurs fois par année. Dans les manufactures où trois mois suffisent pour confectionner et vendre un produit complet, le même capital peut remplir le même office quatre fois par an. Le profit qu'il rapporte est ordinairement proportionné au temps qu'il est occupé. On comprend qu'un capital qui rentre au bout de trois mois ne rapporte pas un profit aussi grand que celui qui n'est rétabli qu'au bout d'une année ; si cela était, le profit serait quadruple dans l'année, et attirerait dans cet emploi une masse de capitaux dont la concurrence ferait baisser les profits.

Par la raison du contraire, les produits qui exigent plus d'une année de confection, comme les cuirs, doivent, indépendamment du rétablissement de la valeur capitale, rendre les profits de plus d'une année ; autrement, qui voudrait s'en occuper ?

Dans le commerce que l'Europe fait avec l'Inde et la Chine, le capital est occupé pendant deux ou trois années avant de se remontrer. Et, dans le commerce, dans les manufactures, comme dans l'entreprise agricole que nous avons prise pour exemple, il n'est point nécessaire qu'un capital soit réalisé et transformé en numéraire, pour reparaître dans son intégrité ; la plupart des négociants et des manufacturiers réalisent en espèces la totalité de leur capital, tout au plus au moment où ils quittent les affaires ; et ils n'en savent pas moins chaque fois qu'ils veulent le savoir, au moyen d'un inventaire de toutes les valeurs qu'ils possèdent, si leur capital est diminué ou s'il est augmenté.

La valeur capitale employée à une production, n'est jamais qu'une avance destinée à payer des services productifs, et que rembourse la valeur du produit qui en résulte.

Un mineur tire du minerai du sein de la terre ; un fondeur le lui paie. Voilà sa production terminée et soldée par une avance prise sur le capital du fondeur.

Celui-ci fond le minerai, l'affine, et en fait de l'acier qu'un coutelier lui achète. Le prix de cet acier rembourse au fondeur l'avance qu'il avait faite en achetant la matière, de même que l'avance des frais de la nouvelle façon qu'il y a ajoutée.

A son tour le coutelier fabrique des rasoirs avec cet acier, et le prix qu'il en tire lui rembourse ses avances et lui paie la nouvelle valeur qu'il a ajoutée au produit.

On voit que la valeur des rasoirs a suffi pour rembourser tous les capitaux employés à leur production, et payer cette production elle-même ; ou plutôt les avances ont payé les services productifs, et le prix du produit a remboursé les avances. C'est comme si la valeur entière du produit, sa valeur brute, avait directement payé les frais de sa production. C'est même ainsi que le fait s'exprime ordinairement ; mais il était bon d'observer après quelles cascades arrive ce résultat.