Différences entre les versions de « Jean-Baptiste Say:Traité d'économie politique - Livre I - Chapitre XXII »

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Version du 28 février 2008 à 22:07


Jean-Baptiste Say:Traité d'économie politique - Livre I - Chapitre XXII


Anonyme


Livre Premier
Chapitre XXII - De la matière dont les monnaies sont faites.


Si, comme on l'a vu, l'usage des monnaies se borne à servir d'intermédiaire dans l'échange de la marchandise qu'on veut vendre contre la marchandise qu'on veut acheter, le choix de la matière des monnaies importe peu. Cette marchandise n'est point un objet de consommation. On ne la recherche pas pour s'en servir comme d'un aliment, d'un meuble, ou d'un abri ; on la recherche pour la revendre pour ainsi dire, pour la redonner en échange d'un objet utile, de même qu'on l'a reçue en échange d'un objet utile. Et comme on la redonne sans altération sensible, comme il suffit qu'une autre personne consente à la recevoir sur le même pied qu'on l'a soi-même reçue, elle pourrait être indifféremment d'or, d'argent, de cuir ou de papier, et remplir également bien son office.

Cependant il est des matières plus propres que d'autres aux fonctions de la monnaie. Toute substance qui ne réunit pas les qualités qu'on y désire est d'un usage incommode ; on ne peut dès lors espérer que cet usage s'étende bien loin et dure bien longtemps.

Homère dit que l'armure de Diomède avait coûté neuf bœufs. Si un guerrier avait voulu acheter une armure qui n'eût valu que la moitié de celle-là, comment aurait-il fait pour payer quatre bœufs et demi. Il faut donc que la marchandise servant de monnaie, puisse, sans altération, se proportionner aux divers produits qu'on peut vouloir acquérir en échange, et se diviser en assez petites fractions pour que la valeur qu'on donne puisse s'égaliser parfaitement avec la valeur de ce qu'on achète.

En Abyssinie, le sel, dit-on, sert de monnaie. Si le même usage existait en France, il faudrait, en allant au marché, porter avec soi une montagne de sel pour payer ses provisions. Il faut donc que la marchandise servant de monnaie ne soit pas tellement commune, qu'on ne puisse l'échanger qu'en transportant des masses énormes de cette marchandise.

On dit qu'à Terre-Neuve on se sert de morues sèches en guise de monnaie, et Smith parle d'un village d'Écosse où l'on emploie pour cet usage des clous. Outre beaucoup d'inconvénients auxquels ces matières sont sujettes, on peut en augmenter rapidement la masse presqu'à volonté, ce qui amènerait en peu de temps une grande variation dans leur valeur. Or, on n'est pas disposé à recevoir couramment une marchandise qui peut, d'un moment à l'autre, perdre la moitié ou les trois quarts de son prix ; il faut que la marchandise servant de monnaie soit d'une extraction assez difficile pour que ceux qui la reçoivent ne craignent pas de la voir s'avilir en très peu de temps.

Aux Maldives, et dans quelques parties de l'Inde et de l'Afrique, on se sert pour monnaie d'un coquillage nommé cauri, qui n'a aucune valeur intrinsèque, si ce n'est chez quelques peuplades, qui l'emploient en guise d'ornement. Cette monnaie ne pourrait suffire à des nations qui trafiqueraient avec une grande partie du globe ; elles trouveraient trop incommode une marchandise-monnaie qui, hors des limites d'un certain territoire, n'aurait plus de cours. On est d'autant plus disposé à recevoir une marchandise par échange, qu'il y a plus de lieux où cette même marchandise est admise à son tour de la même façon.

On ne doit donc pas être surpris que presque toutes les nations commerçantes du monde aient fixé leur choix sur les métaux pour leur servir de monnaie ; et il suffit que les plus industrieuses, les plus commerçantes d'entre elles l'aient fait, pour qu'il ait convenu aux autres de le faire.

Aux époques où les métaux maintenant les plus communs étaient rares, on se contentait de ceux-là.

La monnaie des Lacédémoniens était de fer ; celle des premiers Romains était de cuivre. À mesure qu'on a tiré de la terre une plus grande quantité de fer ou de cuivre, ces monnaies ont eu les inconvénients attachés aux produits de trop peu de valeur, et depuis longtemps les métaux précieux, c'est-à-dire l'or et l'argent, sont la monnaie la plus généralement adoptée.

Ils sont singulièrement propres à cet usage : ils se divisent en autant de petites portions qu'il est besoin, et se réunissent de nouveau sans perdre sensiblement de leur poids ni de leur valeur. On peut par conséquent proportionner leur quantité à la valeur de la chose qu'on achète.

En second lieu, les métaux précieux sont d'une qualité uniforme par toute la terre. Un gramme d'or pur, qu'il sorte des mines d'Amérique ou d'Europe, ou bien des rivières d'Afrique, est exactement pareil à un autre gramme d'or pur. Le temps, l'air, l'humidité, n'altèrent point cette qualité, et le poids de chaque partie de métal est par conséquent une mesure exacte de sa quantité et de sa valeur comparée à toute autre partie ; deux grammes d'or ont une valeur justement double d'un gramme du même métal.

La dureté de l'or et de l'argent, surtout au moyen des alliages qu'ils admettent, les fait résister à un frottement assez considérable ; ce qui les rend propres à une circulation rapide, quoique, sous ce rapport, ils soient inférieurs à plusieurs pierres précieuses.

Ils ne sont ni assez rares, ni par conséquent assez chers, pour que la quantité d'or ou d'argent équivalente à la plupart des marchandises, échappe aux sens par sa petitesse ; et ils ne sont pas encore assez communs pour qu'il faille en transporter une immense quantité, pour transporter une grosse valeur. Ces avantages réunis sont tels que les hommes qui ont des marchandises à vendre, reçoivent volontiers en échange des métaux précieux, persuadés qu'ils seront ensuite reçus préférablement à toute autre valeur, en échange des marchandises qu'ils auront à acheter.

Cette préférence est fortement augmentée par l'empreinte dont la plupart des gouvernements revêtent les pièces pour en faciliter la circulation, empreinte qui donne au vendeur une certaine sécurité relativement au poids et au degré de pureté des morceaux de métal. S'il fallait les peser, des difficultés sans nombre naîtraient à l'occasion de la maladresse des gens et de l'imperfection de leurs instruments. Ce serait peu. L'or et l'argent subissent, par leur mélange avec d'autres métaux, une altération qui n'est pas reconnaissable à la seule inspection.

Il faut, pour s'en assurer, leur faire subir une opération chimique délicate et compliquée. L'art du monnayeur qui réduit les métaux à un titre connu, et qui les divise par pièces dont le poids est connu également, ajoute donc une qualité nouvelle à celles qui rendent les métaux précieux éminemment propres à servir de monnaie ; ce sont ces qualités qui les font rechercher pour cet usage, et non, ainsi qu'on l'a déjà remarqué, l'autorité des lois et du gouvernement.

Toutefois ces qualités seraient insuffisantes pour assurer la circulation des monnaies, si elles ne recelaient pas en elles mêmes une valeur qui leur fût propre, une valeur que chacun de ceux qui les reçoivent supposât devoir se soutenir au moins jusqu'au moment où il doit s'en servir pour un achat. L'origine de cette valeur et les causes qui la font varier, donnent lieu à des considérations assez importantes pour en faire le sujet d'un autre chapitre.