Différences entre les versions de « Questions économiques à l’ordre du jour - Sixième partie : Étalon d'or et étalon d'argent »

De Librairal
Aller à la navigation Aller à la recherche
 
(Aucune différence)

Version actuelle datée du 21 février 2008 à 20:53

Cinquième partie << Gustave de Molinari  —  Questions économiques à l’ordre du jour >> Septième partie


Questions économiques à l’ordre du jour - Sixième partie : Étalon d'or et étalon d'argent


Anonyme


Sixième partie : Étalon d'or et étalon d'argent

Un étalon est une mesure dont la qualité essentielle est la stabilité. Cette stabilité indispensable on l'a obtenue pour les étalons de grandeur, de volume et de poids, mais on n'a pas réussi à l'obtenir pour la valeur. Le problème de la fixité de la mesure de la valeur a été considéré à bon droit comme la quadrature du cercle de l'économie politique. La valeur de l'or et de l'argent, que l'on a pris, tour à tour, pour étalon monétaire, est sujette à varier comme celle de toute autre marchandise et ses variations causent dans les échanges des perturbations analogues à celles que causerait l'instabilité du mètre, s'il venait à s'allonger ou à se raccourcir. Quand on fait un contrat ou un marché à terme, on est aussi intéressé à la fixité de la valeur de la monnaie que l'on s'engage à fournir ou que l'on doit recevoir qu'on peut l'être à celle de la grandeur ou du poids des étalons qui servent à mesurer la quantité de la marchandise. Malheureusement, le poids d'argent ou d'or employé comme étalon monétaire étant sujet à augmenter ou à diminuer de valeur, cette augmentation ou cette diminution de valeur se traduit par une perte pour l'un des échangistes, par un gain pour l'autre, et rend par là même l'échange aléatoire. Et ceci d'autant plus que l'instabilité de la valeur est plus grande. Lorsque deux nations possèdent des étalons différents et que l'un des métaux dont ces étalons sont faits vient à se déprécier, leurs relations commerciales et financières subissent des perturbations qui se manifestent aussitôt par les écarts du change. Telle est la situation que l'énorme dépréciation du métal blanc a faite au commerce des pays à étalon d'or avec le Mexique et les contrées de l'Extrême-Orient qui ont conservé l'étalon d'argent. En vue de chercher un remède à cette situation et de rétablir la stabilité du change, les gouvernements du Mexique et de la Chine ont adressé au gouvernement des Etats-Unis des mémorandums que le Bulletin de Statistique du ministère des Finances a publiés. Ce remède, ils croient pouvoir le trouver dans l'accord des puissances pour établir « une relation stable » entre les monnaies d'or et d'argent, sans toutefois qu'il leur soit nécessaire d'abandonner leur propre étalon.

Avons-nous besoin de dire qu'il serait impossible de mettre un terme aux fluctuations du change sans placer les pays à étalon d'argent sous le régime de l'étalon d'or ? Car l'instabilité du change provient des variations de la valeur des deux métaux et ces variations n'ont entre elles aucun rapport. De même que le fer, le cuivre, le plomb, le zinc, l'or et l'argent haussent ou baissent indépendamment l'un de l'autre, et c'est poursuivre une pure chimère que de prétendre établir entre eux un rapport fixe. Cependant cette entreprise chimérique a été tentée, et elle s'est poursuivie en France pendant trois quarts de siècle. Il n'est pas inutile d'en rappeler les résultats dans un moment où la baisse extraordinaire de l'argent a rendu opportun un nouvel examen de la question monétaire.


I.

C'est une erreur de croire que les auteurs de la loi du 17 germinal an XI qui a institué, après l'orgie ruineuse du papier-monnaie, le nouveau régime monétaire de la France, aient voulu fonder ce régime sur le double étalon. Leur intention formelle était d'attribuer à l'argent seul, la qualité d'étalon. L'unité monétaire qu'ils établissaient était un poids d'argent de 5 grammes à 9/10e de fin, dénommé franc, et, dans leur pensée, cette unité conforme au système décimal devait subsister à perpétuité comme les étalons de grandeur, de volume et de poids empruntés à ce système. A la vérité, l'instrument monétaire, le medium circulans, ne pouvait se composer d'un seul métal, la nature des choses s'y opposait. On ne pouvait fabriquer en argent les coupures appropriées aux petits échanges non plus qu'aux grands. Celles de 1 et de 5 centimes n'ayant que le centième et le vingtième du poids du franc eussent été trop menues pour être maniables ; celles de 20, de 40 et de 100 francs eussent été trop grosses et trop lourdes. On était obligé, en conséquence, de recourir au cuivre ou au bronze pour les unes, à l'or pour les autres. Seulement, il était indispensable d'ajuster la valeur de ces monnaies auxiliaires à celle du métal étalon. On résolut ce problème, pour les petites coupures, en réservant au gouvernement le monopole de l'émission de la monnaie de cuivre, en lui conférant par là même le pouvoir d'en limiter la quantité et d'en élever ainsi la valeur au-dessus de celle du métal dont elle était faite. Et comme il aurait pu être tenté d'abuser de ce monopole, en raison du bénéfice qu'il pouvait tirer de la fabrication de cette sorte d'assignats métalliques, on en limita un peu plus tard le débouché en fixant au-dessous de 5 francs la somme pour laquelle les particuliers seraient obligés de les accepter 1.

Pour les grosses coupures de 20 francs et de 40 francs que réclamait le public consommateur de monnaie et pour lesquelles il fallait employer l'or, on s'imagina qu'il suffirait de la toute puissance de la loi, comme il avait suffi auparavant, croyaiton, de la volonté du prince, pour établir et faire subsister un rapport fixe et invariable entre la valeur de l'argent et celle de l'or.

Au moment où la loi de l'an XI fut mise en discussion, ce rapport était d'environ 1 à 151/2 ; un kilogramme d'or équivalait à 151/2 kilogrammes d'argent. On fabriqua donc des pièces de 20 francs et de 40 francs avec un poids d'or équivalant à 15 fois ½ 1e poids qu'elles auraient eu si on les avait fabriquées avec de l'argent.

Pendant une quinzaine d'années on put croire que la loi avait la vertu que le législateur de l'an XI lui avait attribuée : monnaie d'argent et monnaie d'or circulèrent de compagnie, chacune servant à effectuer l'espèce d'échange à laquelle elle était le mieux appropriée. Mais à partir de 1820, la situation changea. Sous l'influence des révolutions de l'Amérique espagnole, la production de l'or subit une diminution sensible, et comme il arrive pour toutes les marchandises, cette diminution de la production eut pour effet de susciter la hausse du précieux métal. Au lieu de valoir seulement 15 kilogrammes ½ d'argent, un kilogramme d'or en valut bientôt jusqu'à 16. Avec la différence, soit 500 grammes d'argent, on pouvait monnayer 20 pièces de 5 francs et réaliser ainsi un bénéfice de 100 francs, moins les frais de monnayage, lesquels n'étaient que de 1 fr.50 par kilo. Il y avait donc profit à fondre et à exporter la monnaie d'or pour acheter de l'argent et le monnayer. La monnaie d'or ne tarda pas à disparaître de la circulation. Lorsqu'on voulait en obtenir, il fallait payer une prime, laquelle oscillait de 7 à 12 francs par mille, et s'éleva même à 70 francs en 1848. Mais on ne consentait naturellement à payer cette prime que dans les rares circonstances où l'on avait un besoin particulier de monnaie d'or. La monnaie d'argent devint alors et demeura pendant trente ans, avec le billon de cuivre pour les petits échanges et les billets de banque pour les grands, l'unique véhicule de la circulation. Or, les billets de banque étaient encore peu répandus.

En 1820, la circulation des billets de la Banque de France atteignait, au maximum, 171961000 francs, et elle n'était encore que de 311 millions en 1846. C'était l'époque où les garçons de recettes opéraient les recouvrements avec des sacoches.

On se rendra compte de l'imperfection de ce régime si l'on songe que chaque espèce de monnaie, cuivre, bronze ou nickel, argent, or et billets de banque, répond à une catégorie particulière d'échanges. En Angleterre, par exemple, où le régime monétaire est mieux que partout ailleurs adapté aux besoins de la consommation, M. Stanley Jevons estimait, en 1868, que la circulation employait 80 millions sterling de monnaie d'or, 14 millions de monnaie d'argent, et 1 million de billon de bronze, auxquels s'ajoutaient les billets de banque. Cette proportion diffère naturellement d'un pays à un autre. Dans un pays riche tel que l'Angleterre, la proportion de la monnaie d'or et des billets de banque est considérable, elle est faible, au contraire, dans un pays pauvre. Mais s'il arrive, comme en France, de 1820 à 1850, que le public consommateur de monnaie soit réduit à employer l'argent dans les échanges pour lesquels l'or répondrait infiniment mieux à ses convenances, il peut se plaindre à bon droit de l'imperfection du système monétaire.


II.

Cependant cet inconvénient était léger en comparaison du dommage qu'allait lui causer la substitution imprévue et soudaine de l'étalon d'or à l'étalon d'argent, sous l'influence de la découverte des mines d'une richesse extraordinaire de la Californie et de l'Australie. Tandis que la production annuelle de l'or n'était en moyenne, de 1801 à 1810, que de 17778 kil., d'une valeur de 61200000 francs, et était même tombée, de 1811 à 1820, à 11445 kil., d'une valeur de 39400000 francs, pour se relever seulement à 54759 kil., et 186800000 francs en 1841-1850, elle bondit, de 1851 à 1855, à 199388 kil., et 686700000 francs, et de 1855 à 1860 à 201750 kil., et 694900000 francs. Cet accroissement extraordinaire de la production eut un effet foudroyant sur la valeur du métal, partant de la monnaie qui en était faite. Non seulement la prime sur l'or disparut en France, mais le rapport entre la valeur des deux métaux tomba audessous de 1 à 15 ½, 1 kilogramme d'or ne valût plus qu'environ 15,20 kilogrammes d'argent. A partir de 1850 et 1851, il devint donc avantageux de fondre et d'exporter la monnaie d'argent comme il l'avait été de fondre et d'exporter la monnaie d'or après 1820. L'argent fut sur le point de disparaître entièrement de la circulation. On fut même obligé d'abaisser de 900 millièmes à 835 le titre de la monnaie divisionnaire, car les pièces de 2 francs, de 1 franc, jusqu'à la modeste somme de 50 centimes, menaçaient de suivre, dans leur exode, les pièces de 5 francs. D'après M. Blaise des Vosges, l’argent avait fini par ne plus figurer que pour 2,28% dans la circulation, et une Enquête sur la question monétaire nous apprend que la province ne se résignait qu'avec répugnance à accepter la monnaie d'or. « Pendant quelque temps, lisons-nous dans un mémoire de la Chambre de commerce de Tours (reproduit par M. Arnauné dans le nouveau Dictionnaire de l'Economie politique), l'or auquel on n'était pas habitué fut considéré comme suspect, et nous affirmons que bien des gens et non des moins instruits préféraient un sac de 1000 francs en argent à un rouleau de 1000 francs en or. »

Cette révolution monétaire excitait les appréhensions les plus vives car on ne pouvait savoir où s'arrêterait la dépréciation de l'or. Ne pourrait-il pas se déprécier jusqu'à ne plus valoir, comme dans l'antiquité, que 10 fois l'argent ? La dépréciation récente de l'argent ne nous a-t-elle pas prouvé qu'une chute plus profonde encore n'avait rien d'invraisemblable ? Et dans ce cas, l'avilissement de l'étalon monétaire n'aurait-il pas les effets désastreux d'une surémission de papier-monnaie ? Sous l'empire de cette préoccupation, nous proposâmes de sauvegarder l'étalon d'argent par la limitation de la frappe de la monnaie d'or [1]. Mais cet expédient qui devait être adopté vingt-deux ans plus tard pour sauvegarder l'étalon d'or, menacé à son tour par la baisse de l'argent, fut combattu par Michel Chevalier [2] et n'eut pas la chance d'être mis en pratique. Heureusement, la dépréciation de l'or s'arrêta d'elle-même, mais non sans avoir causé une perturbation sensible, et déterminé, en dépit de la loi de germinal an XI, la substitution de l'étalon d'or à l'étalon d'argent. Pour combler le vide que le départ des pièces de 5 francs laissait dans la circulation, on fit frapper d'abord des pièces d'or de 10 francs, ensuite des pièces de 5 francs, celles-ci fort incommodes et qu'il fallut retirer plus tard. Mais, chose plus grave et qui aurait causé une horreur profonde aux fanatiques de la décimalité s'ils avaient compris quelque chose à la question, il fallut renoncer à l'étalon décimal du franc de 5 grammes d'argent à 9/10 de fin et subir, à sa place, l'intrusion d'un franc d'or d'une fraction de 0 gr. 32222, soit d'un vingtième de la pièce de 20 francs laquelle pesait 6 gr. 444. Celui-ci, hélas ! aussi peu décimal que possible, est demeuré en fait, depuis 1876, après un retour offensif mais infructueux de son rival, l'étalon unique mais nous ne disons pas définitif, de la France.

A dater du moment où le rapport entre la valeur de l'argent et celle de l'or est tombé au dessous de 1 à 15 ½ l'étalon institué par la loi de germinal an XI avait donc subi une dépréciation égale au montant de la baisse de l'or. C'était peu de chose. Que l'énorme augmentation de la production de ce métal ne l'ait fait baisser que dans la faible proportion de 15,50 à 15,21 en 1859, c'est-à-dire huit ans avant que l'argent ait commencé à baisser à son tour, cela a été généralement mis au compte de la substitution, dans la plupart des pays civilisés, de l'étalon d'or à l'étalon d'argent. Mais cette substitution volontaire en Allemagne, involontaire en France, a exercé certainement une influence bien moindre que celle qu'on s'est plu à lui attribuer. Ainsi que nous l'avons remarqué plus haut, les monnaies d'or et d'argent, comme le billon de cuivre ou de bronze au-dessous, et le billet de banque au-dessus, ont un débouché dont l'ampleur est déterminée par la dimension des échanges qu'elles servent à effectuer et ce débouché n'est point affecté par le changement de l'étalon, sauf, comme en France, lorsque l'imperfection du système monétaire provoque l'élimination d'un métal pour étendre le débouché d'un autre. Les causes réelles qui ont arrêté la dépréciation de l'or, malgré l'augmentation extraordinaire de la production, c'est, en premier lieu, le développement rapide de l'industrie et de la richesse, déterminant celui de la catégorie d'échanges, pour laquelle l'or est le véhicule qui répond le mieux aux convenances du public, et, d'une autre part, l'augmentation de la consommation industrielle de ce métal ; en second lieu, c'est la pression que les gouvernements ont exercée sur les banques nationales pour les obliger à augmenter leurs encaisses transformées en trésors de guerre. Sans doute, les billets de banque doivent être la représentation de valeurs existantes mais il n'est nullement nécessaire que ces valeurs soient, en totalité, immédiatement réalisables. Car l'expérience atteste que même dans les crises les plus violentes les demandes de remboursement des billets n'atteignent pas le tiers du montant de l'encaisse. En dépassant cette proportion, les banques enchérissent aux dépens du public, consommateur de monnaie, l'emploi d'un véhicule, devenu de plus en plus nécessaire, de la circulation.

Mais l'accroissement de la production de l'argent, non moins soudain et rapide que l'avait été celui de la production de l’or, allait causer bientôt une nouvelle perturbation monétaire.


III.

Ce fut seulement à partir de 1871 que l'influence de l'accroissement de la production de l'argent commença à se faire sentir. Quelques années auparavant, le 23 décembre 1865, la convention monétaire dite de l'Union latine avait été conclue entre la France, la Belgique, la Suisse et l'ItalIe. La faculté d'accession a cette convention étant accordée à toutes les nations qui avaient adopté ou adopteraient le régime monétaire de l'Union, savoir l'étalon de 5 grammes d'argent à 9/10 de fin et le rapport de 1 à 15 ½ entre les monnaies d'or et d'argent, la Grèce s'y adjoignit le 25 septembre 1868. Cette union qui faisait disparaître les inconvénients et les dommages de la diversité des monnaies entre les pays associés constituait un progrès manifeste, et ses avantages étaient tels, au point de vue de l'intérêt général des consommateurs de monnaie, que ses promoteurs, comme ceux du libre-échange en Angleterre, avaient pu concevoir l'espérance qu'elle ne tarderait pas à s'étendre à l'ensemble des nations civilisées. Mais cette espérance devait être déçue : les barrières monétaires aussi bien que les barrières douanières ont continué de subsister, et la même conception étroite et haineuse de l'intérêt national qui a pris le nom de nationalisme n'a pas cessé d'agir pour renforcer les unes et les autres. Ce n'est qu'à grand’peine que l'Union latine a pu résister jusqu'aujourd'hui aux attaques du nationalisme monétaire.

A la vérité, des fautes graves ont été commises dans l'application de cette convention et donné prise aux critiques de ses adversaires. La première a été d'y comprendre deux pays infestés de papier-monnaie, l'Italie et la Grèce. La dépréciation de cette fausse monnaie n'a pas manqué de faire exporter la bonne dans les pays où elle pouvait circuler sans perte. La circulation de la France, de la Belgique et de la Suisse a été encombrée de monnaies émigrées de l'Italie et de la Grèce, et cet afflux surabondant a été congestionner l'encaisse d'argent de la Banque de France. Le mal a été encore aggravé lorsque 1’augmentatIon de la production de l'argent eut commencé à en provoquer la baisse. Il devint alors avantageux d'exporter ou de fondre la monnaie d'or pour la remplacer par de la monnaie d'argent comme il l'avait été vingt ans auparavant d'exporter la monnaie d'argent pour la remplacer par la monnaie d'or. La circulation monétaire de l'Union latine se trouva ainsi menacée d'une dépréciation analogue à celle qu'avait causée la baisse de l'or après la découverte des mines de la Californie et de l'Australie. On comprit un peu tard la nécessité de parer à ce danger, et on se borna d'abord à y pourvoir par des demi-mesures. Au mois de septembre 1873, on limita les quantités de pièces de 5 francs en argent que l'administration des monnaies devait frapper par jour et on prolongea l'échéance des bons de monnaie. Mais cet expédient, qui avait pour objet de décourager la spéculation, n'eut d'autre effet que de la rendre p\us active et d'augmenter le péril. Conscient de la gravité de ce péril, M. Léon Say, alors ministre des Finances, prit l'initiative de le conjurer, en recourant, pour sauvegarder la circulation de l'or, au système que nous avions proposé en 1854 pour préserver celle de l'argent. Une loi du 5 août 1876 autorisa le gouvernement à limiter ou à suspendre par décret la fabrication des pièces de 5 francs en argent pour le compte des particuliers, et une convention du 5 novembre 1878 étendit cette mesure aux autres nations de l'Union latine. Mais, en attendant, la spéculation avait pu se donner carrière, et, en Belgique notamment, elle imprima une activité fébrile au monnayage de l'argent [1]. La circulation de la France, de la Belgique et, de la Suisse, dans laquelle s'était déjà déversée la monnaie métallique, chassée de l'Italie et de la Grèce par le papier-monnaie, se trouva ainsi affligée d'une surabondance d'argent, qui l'aurait dépréciée en dépit de la suspension de la frappe, si l'excédent n'était pas allé s'enfouir dans les caves de la Banque.

Les conséquences de ces fautes Ont pesé sur : l'Union latine et donné beau jeu au nationalisme monétaire. Cependant le mal n'était point sans remède ; il s'est atténué sensiblement depuis que l'Italie a fait rentrer sa monnaie métallique en se débarrassant du papier-monnaie. De 1248 millions en 1892 l'encaisse argent de la Banque de France, représentant l’excédent de la somme nécessaire à la circulation, est descendue à 1100 millions dix ans plus tard, et on peut prévoir que le développement normal des échanges continuera à la faire descendre. Pour la ramener au chiffre antérieur à la baisse de l'argent, soit de 4 à 500 millions, il suffirait de démonétiser la pièce de 10 francs qui n'existait pas avant 1850, et à laquelle on a eu recours à cette époque pour combler, avec l'auxiliaire de la pièce de 5 francs, le vide creusé par l'émigration de l'argent. Quoique moins incommode que la pièce de 5 francs à laquelle le public n'avait pu s'accoutumer, elle n'est point indispensable, et son élimination ne causerait aucune gène. D'après l'estimation de M. de Foville, elle figure actuellement dans la circulation pour une somme de 600 millions [2]. Sa démonétisation ferait donc disparaître le surcroît d'argent qui a grossi l'encaisse de la Banque, et ramènerait notre régime monétaire à son état normal. Car l'argent a sa place nécessaire dans la circulation. S'il faut ajouter foi aux renseignements recueillis dans l'enquête de 1885, il y figurerait dans La proportion de 26,45% contre 73,56 d'or, soit pour plus d'un quart sans compter l'encaisse de la Banque, et on ne voit pas comment il serait possible de s'en passer dans les petits et moyens échanges. Nous hésitons, en effet, à croire que les ennemis de l'Union latine pousseraient le nationalisme jusqu'à vouloir remplacer les pièces de 5,2 , 1 franc et 50 centimes par des chiffons de papier-monnaie.


IV.

Les perturbations causées dans la circulation par l'instabilité de l'étalon monétaire, en y creusant un vide tantôt par l'émigration de l'or, tantôt par celle de l'argent, appelaient un remède. Ce remède, un homme d'infiniment d'imagination et d'esprit, M. Henri Cernuschi, crut l'avoir trouvé dans une association des grandes puissances commerciales qui aurait assuré à la fois la stabilité de l'étalon et l'approvisionnement régulier de la monnaie en maintenant entre les deux métaux le rapport légal de 1 à 15 ½, et en constituant ainsi un étalon bimétallique. Ce serait, nous disait un jour Cernuschi, en nous exposant son système avec sa verve originale, la résurrection du vieil électrum, - l'or blanc d'Hérodote, que monnayaient les rois de Lydie et les villes grecques de l'Asie Mineure. Mais il y avait cette différence entre l'électrum lydien ou grec et l'électrum bimétallique, que celui-là était solidement constitué par l'alliage, la fusion matérielle de l'or et de l'argent, tandis que celui-ci l'aurait été seulement par la volonté des puissances associées.

Or cette volonté exprimée par une loi internationale aurait-elle eu la vertu d'établir, à perpétuité, le même rapport de valeur entre deux métaux dont .la production et la consommation subissent des variations différentes ? L'expérience n'aurait certainement pas tardé à faire justice de l'électrum de Cernuschi, si elle avait été tentée, mais elle ne le fut point. Malgré l'ardeur de propagande qui animait les bimétallistes et les grosses influences dont ils disposaient, ils ne réussirent point à déterminer les gouvernements à prendre la responsabilité de cette coûteuse et scabreuse expérience. Et nous avons assisté, à la suite d'un pari engagé entre M. Yves Guyot et M. Edmond Théry, à l'enterrement joyeux du bimétallisme. Cependant la croyance à la toute-puissance de la loi pour fixer la valeur de la monnaie, croyance sur laquelle se fondait cette utopie monétaire, n'a pas cessé de subsister chez les disciples de son ingénieux inventeur. Témoin ce passage du discours de M. Edmond Théry en réponse à M. Yves Guyot :

« Ce n'est pas, dites-vous, la valeur inscrite 'sur la pièce de monnaie (c'est-à-dire la loi du prince) qui fait la valeur du lingot ; c'est la valeur du lingot (c'est-à-dire la loi du fait) qui fixe la valeur de la monnaie. » Eh ! bien, votre définition est incomplète, car elle oublie d'indiquer d’où le lingot tire sa propre valeur ! De l'offre et de la demande, répondrez-vous : sans doute, pour une partie, mais en serrant la question de plus près, il me sera facile de vous démontrer que ce qui assure surtout la valeur du lingot d'or, c'est encore la loi du prince qui donne à l'or le privilège de s'introduire dans la circulation publique, à cours forcé, et à des conditions légalement déterminées par la frappe libre et illimitée. »

Est-il bien nécessaire de dire que c'est tout simplement le débouché que l'or aussi bien que l'argent trouvent à la fois dans la circulation monétaire et dans la consommation industrielle qui leur donne leur valeur ? Ce n'est pas « la volonté du prince » qui crée le débouché monétaire, c'est le besoin d'un instrument intermédiaire des échanges. La monnaie pourvoit à ce besoin et elle y pourvoyait avant que le « prince » ne se fût emparé de l'industrie du monnayage, dans l'intérêt prétendu du public, en réalité dans l'intérêt de sa fiscalité 1. Elle tire sa valeur, toute sa valeur, de la demande qui en est faite, et il n'est au pouvoir du prince ni d'y rien ajouter, ni d'en rien retrancher, aussi longtemps que le public demeure libre de transformer les lingots en monnaie et la monnaie en lingots. Toutefois, il en est autrement lorsque le prince s'empare du monopole de la fabrication de la monnaie comme il s'est emparé en France du monopole de la fourniture du tabac et des allumettes. Alors, il peut bien, comme tout autre monopoleur, limiter à son gré, l'offre de sa marchandise, en élever le prix au-dessus du taux de la concurrence, et en abaisser la qualité, fournir au public de la monnaie diminuée de poids et de titre, à un cours supérieur au prix du métal, comme il lui fournit à un prix exorbitant de mauvais cigares et des allumettes incombustibles. Mais c'est encore à la condition d'avoir à son service une armée de douaniers et de gabelous chargés de défendre son monopole contre la concurrence et de sanctionner ses défenses par des pénalités formidables. Tel était le système monétaire en vigueur sous l'ancien régime. Serait-ce réaliser un progrès que de revenir à ce système cher à Philippe le Bel et aux autres princes faux-monnayeurs ?


V.

Après avoir oscillé de 60 à 61 pence l'once jusqu'en 1872, l'argent a subi, à partir de cette époque, une baisse qui l'a fait descendre à 21 pence pour remonter ensuite au cours actuel de 27 à 28, en abaissant ainsi, en trente ans, sa valeur à peu près dans la même proportion que l'accroissement de la quantité d'argent existant sur le marché du monde [1].

Une mesure protectionniste prise par le congrès des Etats-Unis, sous la pression des intérêts électoraux, a contribué à accélérer la baisse. En 1878, le Congrès a décidé, par le Bland act, l'achat mensuel de 2 millions d'onces d'argent, et cet achat, porté à 4 millions ½ d'onces en 1891, par le Sherman act, a coûté en dix-huit mois, au Trésor américain, la forte somme de 459946701 dollars, environ 2400 millions de francs. Comme toutes les mesures protectionnistes, celle-ci, en encourageant l'accroissement de la production de l'argent, a fini par précipiter la baisse qu'elle avait pour objet d'arrêter. De 54 13/16 pence en 1878 l'argent tombait à 39 13/16 en 1892. En présence de l'inefficacité manifeste de ce coûteux remède, le Congrès y a renoncé et laissé la baisse suivre son cours.

Cette chute de plus en plus profonde exerçait naturellement une influence perturbatrice et désastreuse sur le change des pays qui avaient conservé l'étalon d'argent dans leurs relations commerciales et financières avec les pays à étalon d'or. Telle était la situation respective de l'Inde et de l'Angleterre. Le gouvernement anglais comprenant, déjà un peu tard, en 1893, lorsque l'once d'argent était tombée à 35 5/8 pence, la nécessité d'arrêter la dépréciation de la roupie et d'en stabiliser le cours, employa, pour y parvenir, le procédé auquel Léon Say avait eu recours en 1876 pour empêcher la dégradation de notre circulation monétaire. Il enleva aux particuliers le droit de frapper la monnaie d'argent pour réserver ce droit au gouvernement, et il fixa la valeur de la roupie à 1 shilling 4 pence en plaçant, par conséquent, en fait, l'Inde sous le régime de l'étalon d'or. Ce procédé a eu toute l'efficacité désirable : la roupie a cessé de baisser, comme elle le faisait jusqu'alors, dans la mesure de la baisse du métal. Le change de l'Inde avec la métropole et les autres pays à étalon d'or est devenu stable, ou du moins il n'a plus subi d'autres fluctuations que celles du change de la métropole elle-même.

Mais il en a été autrement pour le change des pays à étalon d'argent, le Mexique, la Chine, l'IndoChine, le Siam, les établissements anglais des Détroits, et nos lecteurs ont pu se faire une idée des dommages que cause cette instabilité du change en consultant le compte-rendu des séances que la Société d'économie politique a consacrées (en janvier et février 1903) à la question monétaire. On a vu que les gouvernements du Mexique et de la Chine se sont adressés au gouvernement des Etats-Unis pour l'inviter à chercher, de concert avec les autres nations, un moyen d'y porter remède. Le président, M. Roosevelt, a déféré à cette invitation et le Congrès a voté un bill mettant à sa disposition une somme de 100000 dollars pour subvenir aux frais d'une conférence internationale, chargée de résoudre ce problème monétaire. Quelle que soit la confiance que nous inspirent les conférences en général, nous doutons que celle-ci réponde à l'attente de M. Roosevelt et, s'il faut exprimer toute notre opinion, nous ne croyons pas qu'il y ait lieu de rien changer à l'état actuel des choses [2].

Cela ne veut pas dire que l'Angleterre ait eu tort de s'inspirer de l'exemple de Léon Say en réservant au gouvernement de l'Inde la frappe de la monnaie d'argent, et en établissant, par ce procédé, un rapport fixe entre la valeur de la roupie et celle de la livre sterling. Mais la situation n'est plus la même aujourd'hui. L'exploitation des mines les moins riches ayant cessé d'être profitable, on a pu constater depuis 1895 un ralentissement dans l'accroissement de la production. D'où l'on peut conclure que l'argent, ayant accompli son évolution vers la baisse, conservera désormais une valeur, sinon entièrement stable, du moins sujette seulement à de faibles variations.

Pourrait-on affirmer qu'il en sera de même de l'or ? Dans ces dernières années, l'accroissement de la production du métal jaune n'a pas été moins rapide que celle du métal blanc. Ralentie pendant quelque temps par la guerre du Transvaal, elle a déjà repris son essor. De 1895 à 1900 elle s'était augmentée de près de 2 millions de kilogrammes. En admettant même que de nouvelles découvertes ne lui fassent pas dépasser ce chiffre, la quantité d'or existant dans le monde aura doublé avant trente ans [3]. Est-il probable que son débouché monétaire s'accroisse dans la même proportion ? Comme nous l'avons remarqué, ce débouché est limité, d'un côté par l'argent pour les petits échanges, de l'autre par le papier pour les grands. Si la multiplication des échanges qui appartiennent à son domaine contribue à l'étendre, d'autres progrès que signalait dernièrement M. Neymarck agissent pour le restreindre 2. Il est donc fort possible que l'or accomplisse, à une époque peut-être prochaine, une évolution analogue à celle qui a abaissé de plus de moitié la valeur de l'argent. Et cette dépréciation de l'étalon du plus grand nombre des peuples civilisés aurait les mêmes effets qu'un déluge universel de papier-monnaie. A moins de recourir à un troisième étalon [4], il faudrait alors revenir à l'étalon d'argent pour éviter les conséquences désastreuses de ce rétrécissement de la mesure de la valeur. Ce serait la revanche du métal blanc sur le métal jaune.

En matière de monnaie comme en toute autre, il est, sans doute, prudent de s'abstenir de prophétiser, et, en tout cas, la science économique ne peut être rendue responsable des prophéties des économistes. Nous ne garantissons pas les nôtres, mais nous garantirions encore moins la stabilité de l'étalon d'or.


Notes

I. [1] Le décret du 18 août 1810 retire le cours légal aux monnaies de cuivre et porte qu'elles ne pourraient être employées dans les paiements, si ce n'est de gré à gré, que pour l'appoint de la pièce de 5 francs. Les monnaies de bronze, frappées en exécution de la loi du 6 mai 1882, sont, aux termes de l'art. 6 de cette loi, soumis à la même disposition. (Arnauné. Dictionnaire de l'Economie politique, art. Monnaie.)

II. [1] Journal des Economistes du 15 mai 1854. De ta dépréciation de l'or.

II. [2] M. G. de Molinari a recommandé un mécanisme monétaire destiné à maintenir en France la double circulation de l'argent et de l'or, tout en reconnaissant à l'argent seul la qualité d'étalon, pour assurer à l'or, dans toute la latitude possible, la qualité d'auxiliaire que la loi de l'an XI a attribuée à ce métal et pour empêcher en même temps qu'il y ait chance de la lui voir outrepasser. M. de Molinari voudrait qu'il y eût des pièces d'or ne contenant qu'une quantité de métal sensiblement inférieure à celle qui correspond à la valeur de l'or par rapport à l'argent. Ce serait, suivant lui, billonner l'or, tout comme, en Angleterre, on billonne l'argent. Dans ce système, le gouvernement français se réserverait seul le droit d'émettre ne la monnaie d'or, comme le gouvernement anglais se réserve seul le droit d'émettre de la monnaie d'argent, et comme la circulation de la France commence à être saturée d'or, il faudrait aussi qu'il en arrêtât, provisoirement du moins, la fabrication. En outre, pour donner aux détenteurs de la monnaie d'or une garantie contre l'excès des émissions, pour assurer en quelque sorte la valeur de cette monnaie auxiliaire, fabriquée avec un métal aujourd'hui sujet à dépréciation, il faudrait que la monnaie auxiliaire d'or fût toujours remboursable en argent comme les billets de banque. Ces conditions remplies, la valeur de la monnaie d'or deviendrait aussi stable que celle de la monnaie d'argent sur laquelle elle se trouverait fixée, et comme l'or est d’un usage plus commode que l'argent, dans la plupart des transactions on s'en servirait de préférence. L'or actuellement dans la circulation n'en serait donc point retiré pour être échangé contre de l'argent, pas plus que ne le sont les billets de banque, et le régime monétaire de la France unirait la sécurité du système hollandais ou belge qui repose sur l'argent, à la commodité du système anglais, qui repose sur l'or. (Les objections que M. Michel Chevalier opposait à ce système portaient : 1° sur le danger de la contrefaçon ; 2° sur les frais résultant de la nécessité de conserver dans les caisses publiques un capital en argent pour garantir la circulation de l’or). Michel Chevalier. De la baisse probable de l'or, sect. VII, chap. V. D'un procédé recommandé pour maintenir la circulation parallèle de l'argent et de l'or.

III. [1] Sur un total de 560342747 francs de monnaie d'argent frappée en Belgique de 1832 à 1901, la frappe de 1872 à 1876 a été de !59633925 francs, soit de près d'un tiers. La frappe de la seule année 1873 s'est élevée à 111704795 francs.

III. [2] Jusqu'en 1850, il n'avait été frappé que des pièces de 20 francs et de 40 francs. En 1850, on commença à frapper des pièces de 1O francs, en 1854, des pièces de 5 francs, en 1855, des pièces de 100 francs et de 50 francs. Il a été frappé en totalité de 1803 à 1901 : En pièces de 100 francs pour 63701300 francs. - 50 - 46903450 - - 40 - 203432360 - - 20 - 804060700 - - 10 - 1081322070 - - 5 - 233448130 - Total. 9670401010 francs. La frappe des pièces de 40 francs a cessé en 1839, et celle des pièces de 5 francs en 1869. Celles-ci ont été ensuite retirées de la circulation. Rapport de l'Administration des monnaies et médailles pour1902. Annexe IX, p. 52.

IV. [1] Voir Babelon. Les origines de la monnaie.

V. [1] La production de l'argent a été de : 1493 à 1850 : 149826150 kilogrammes. 1851 à 1875 : 31003825 - 1876 à 1880 : 10979213 - 1881 à 1885 : 13307285 - 1886 à 1890 : 16937362 - 1891 à 1895 : 24468560 - 1896 à 1900 : 26072293 - 1901 : 5500000 ? - Total : 272855604 Rapport de l'administration des monnaies au ministre des Finances, 1902. Annexe LVI, p. 286-289.

V. [2] Après de longues hésitations, le Congrès Mexicain a fini par adopter le projet de loi suivant, ayant pour objet de stabiliser la circulation monétaire : 1° Reconnaissance d'une valeur de 50% en or, à la piastre actuelle, qui sera maintenue en cours ; 2° Interdiction de la frappe à la monnaie pour le compte de particuliers ; 3° Interdiction de la réimportation des piastres mexicaines ; 4° Réduction des taxes qui frappent l'industrie minière ; 5° Etablissement de maisons officielles de commission pour la vente de l'argent (métal) ; 6° Modification de la loi concernant les banques ; 7° Création d'une commission chargée de régler le cours du change. En interdisant la frappe libre de l'argent et en la suspendant lui-même, remarquions-nous à ce propos, (Journal. des Economistes du 15 décembre 1904), le gouvernement mexicain imite l'exemple de l'Union latine et il met fin ainsi aux perturbations causées par les fluctuations du rapport entre la valeur de l'or et celle de l'argent. Sa circulation rattachée désormais à celle de la généralité des autres pays suivra, les destinées de l'étalon d'or. Ce qui ne veut pas dire qu'elle sera assurée d'une stabilité permanente, car l'accroissement continu et progressif de la production de ce métal pourrait bien, à une époque plus ou moins prochaine, en faire baisser la valeur, comme a baissé celle de l'argent. Et qui sait si l'on ne proposera pas alors de revenir à l'étalon d'argent, àcause de sa stabilité supérieure ?

V. [3] La production de l'or a été : De 1493 à 1850 de 4752070 kilogrammes. De 1851 à 1875 de 4775625 - De 1876 à 1901 de 6014892 - Total de 1493 à 1901 de 15541963 kilogrammes Rapport de l'administration des monnaies au ministre des finances, 1902. Annexe LVI, p. 286-289. Il se produit, depuis dix ans, une énorme quantité d'or dans le monde ; après avoir faibli à 494 millions de francs en 1883, chiffre le plus bas de la seconde moitié du XIXe siècle, la production annuelle de l'or, qui d'était encore que de 616 millions en 1890, s'est élevée depuis par des bonds rapides ; elle a passé à 939 millions en 1894 ; puis elle a franchi le chiffre de 1 milliard en 1896, atteignant cette année-là 1033 millions de francs. Depuis ce moment l'essor de la production ne s'est ralenti qu'à la suite de la guerre de l'Afrique du Sud ; elle a dépassé 1200 millions en 1897 ; elle a approché de 1500 millions en 1898, de 1,600 millions en 1899, elle a faibli à 1320 millions environ en 1900, a remonté à 1370 millions en chiffres ronds en 1901, puis dans les deux années qui suivent elle est de 1600 millions à 1650 millions, paraissant en route vers le chiffre de 2 milliards. Atteindra-t-elle cette dernière somme, s'y maintiendra-t-elle ? On discute à ce sujet. En tous cas, de 1891 à 1903 inclusivement, la production de l'or dans le monde parait avoir étéd'environ 15 milliards et demi. Paul Leroy-Beaulieu. Economiste français du 1er octobre 1904.

V. [4] Quel sort l'avenir réserve-t-il au métal argent et au métal or ? L'argent est-il appelé à diminuer toujours de valeur, tandis que l'or, malgré la production de 30 à 32 milliards, que fait prévoir dans une récente conférence M. Raphaël-Georges Lévy,dans le siècle qui s'ouvre, haussera-t-il quand même et toujours ? L'orateur se gardera bien de faire une prédiction quelconque, car personne ne peut avec exactitude se prononcer en présence du rôle de plus en plus important que prennent, dans les transactions et les échanges, ces instruments de crédit puissants qui s'appellent les chèques, les virements, les compensations dans les banques, les valeurs mobilières. Totalisez, dit-il, tout l'or et tout l'argent qui ont été extraits des entrailles de la terre, depuis que le monde est monde, et comparez ce total à cette masse de papier qui s'appelle titres de rentes, actions et obligations ? D'après le rapport de M. Neymarck à l'Institut international de statistique, il existe 340 milliards de valeurs appartenant en propre aux nationaux des divers pays européens : 20 milliards à la Grande-Bretagne ; 90 milliards à la France ; 45 milliards à l'Allemagne ; 25 milliards à la Russie ; 20 milliards à I'Autriche-Hongrie ; 10 milliards à l'Italie, etc., On peut donc affirmer qu'au fur et à mesure que la circulation fiduciaire s'est accrue, que l'usage des chèques et des virements s'est plus répandu, on s'est servi et on se servira de moins en moins de la monnaie d'or et d'argent. Ces instruments de crédit suppléent dans de telles proportions à la monnaie que l'on peut dire que s'ils n’existaient pas, les transactions tomberaient presque à néant et seraient irréalisables, En consultant les rapports de la Banque de France, année par année, on peut constater que, depuis trente ans, rien qu'à la Banque de France, la proportion des payements en espèces a baissé de : 4, 71% à 2%, tandis que la proportion des payements, par virements s'est élevée de 55,61% à 78%. Pendant l'année !902 il y a eu 120 milliards de virements à la Banque de France ; plus de 200 milliards compensés par la Chambre de compensation de Paris, 600 à 700 milliards compensés par le Clearing house anglais. A côté de ces centaines de milliards échangés et compensés en France et dans le monde, sans le secours d’one monnaie quelconque, or ou argent, on voit combien il faut être prudent quand il s’agit d’adopter tel ou tel système monétaire et fiduciaire et de lui donner force de loi. (Alfred Neymarck. Le Rentier.) V. [5] Dans notre cours d'économie politique nous avons montré la nécessité, - laquelle deviendra de plus en plus pressante, - de pourvoir à l'instabilité des deux étalons monétaires actuellement existants, et nous avons donné une idée de ce que pourrait être un étalon sinon entièrement stable, du moins sujet seulement à des variations presque infinitésimales. Le problème à résoudre, disions-nous, consiste à régler les émissions monétaires de telle manière que l’offre et la demande de la monnaie se mettent toujours en équilibre au niveau de la valeur actuelle du franc. Cela étant, n'existe-t-il point une boussole d'après laquelle les banques de circulation peuvent se guider pour régler leurs émissions de manière à maintenir intacte la valeur du franc ; nous voulons parler de l'ensemble des prix des choses qui s'échangent contre la monnaie ? Si les prix de ces choses, produits, services, obligations, viennent à baisser ou à hausser en même temps et dans la même proportion, ne fut-ce que d’une quantité infinitésimale, qu'en faudra-t-il conclure ? Indubitablement que ce ne sont point les valeurs de cette multitude de choses diverses qui ont diminué ou augmenté, en même temps et dans la même proportion, chose impossible, mais que c'est la valeur de la monnaie contre laquelle ces choses s'échangent qui est en voie de hausse ou de baisse ; qu'il est en conséquence nécessaire, dans le premier cas, d'en augmenter, dans le second cas, d'en diminuer l'émission. Cette règle adoptée, l'étalon monétaire ne réside plus dans la valeur toujours plus ou moins flottante d'un ou de deux produits, tels que l'or et l'argent, ou dans celle d'une monnaie dont les émissions dépendent du gouvernement, qui en a le monopole ; il est fondé sur la valeur de l'ensemble des choses échangeables et il ne comporte plus que des variations infinitésimales. Si maintenant on se reporte à ce que nous avons dit des anciennes monnaies de banque, on aura de fortes raisons de croire qu'elles étaient étalonnées de cette façon. D'après le témoignage unanime des écrivains du temps, les banques de dépôt se servaient d'un étalon monétaire purementidéal, consistant ordinairement dans la valeur de quelque ancienne monnaie, qui avait disparu de la circulation. Cet étalon se maintenait, selon toute apparence, en se mesurant incessamment surl'ensemble des choses qui s'échangeaient contre la monnaie de banque. De là une fixité telle que l'on s'accordait généralement à regarder la monnaie de banque comme un étalon invariable*. Une monnaie de papier inconversible, étalonnée sur la valeur de l'ensemble des produits, services, capitaux, qui s'échangent contre la monnaie, ne serait donc autre chose que l'ancienne monnaie de banque, rendue circulable. Il y a apparence même que ce système d'étalonnage, inauguré par les banques de dépôt, aurait depuis longtemps pris la place des systèmes métalliques, si, d'une part, ceux-ci n'avaient point été imposés par voie réglementaire, et si, d'autre part, le papier-monnaie, émis par des gouvernements aux abois, n'avait jeté un complet discrédit sur les monnaies dont l'étalonnage dépendait uniquement de la quantité des émissions. L’étalon de banque étant trouvé, ou, pour mieux dire, retrouvé, il resterait à savoir si des banques de circulation libres proportionneraient toujours l’offre de leur monnaie de papier inconversible à la demande qui en serait faite, au niveau de la valeur de l’étalon, si elles n’auraient point une tendance soit à exagérer leur offre, soit à la restreindre, de manière à faire baisser ou hausser incessamment la valeur de l’étalon, en provoquant ainsi le retour des maux qui ont, de tout temps, accompagné le régime du papier-monnaie. Nous connaissons assez le jeu de la loi des quantités et des prix sous un régime de libre concurrence, pour savoir que des banques de circulation libres seraient, au contraire, irrésistiblement conduites à régler leurs émissions de manière à produire le meilleur étalonnage possible. Supposons, en effet, qu'elles resserrent leurs émissions, en vue de faire hausser le prix de leur monnaie. Qu’arrivera-t-il ? C’est qu'elles réaliseront aussitôt des profits supérieurs à ceux des autres branches de la production, que les capitaux seront attirés dans l'industrie des banques de circulation, et, par conséquent, que la production, parlant l'offre de la monnaie de papier inconversible, s'augmenteront jusqu'à ce que le niveau soit rétabli. Supposons, au contraire, que les banques émettent de la monnaie avec excès, qu'arrivera-t-il encore ? C'est que cette monnaie trop offerte s'échangera à un taux insuffisant pour couvrir ses frais de production, et que les capitaux se retireront des banques jusqu'à ce que le niveau soit de nouveau rétabli. Or, comme il suffit d'un très faible déficit ou d'un très faible excédent pour amener une hausse ou une baisse comparativement plus forte dans une valeur investie sous une forme quelconque, jamais la quantité de monnaie émise ne pourrait sensiblement dépasser la quantité nécessaire aux besoins de la circulation, ni sensiblement demeurer en dessous. L'avenir appartient certainement à ce système de circulation de papier, à étalon composé, autant supérieur peut-être à celui de la circulation à étalon simple, sous le double rapport du bon marché et de la sécurité, que la locomotion à vapeur peut l'être aux anciens modes de transport. Il s'imposera donc tôt ou tard, et d'autant plus vite que les étalons de métal deviendront moins stables, et, par conséquent, moins propres à servir de base à la circulation, dans un temps où la multiplication énorme des opérations à terme rend la stabilité de l'étalon plus que jamais nécessaire. Cours d'économie politique, t. II, dixième leçon. Les intermédiaires du crédit.

Un florin banco, dit Jacques Steuart, a une valeur plus déterminée que ne l'a une livre pesant d'or ou d'argent fin ; c'est une unité de mesure dont l'invention est due aux connaissances raffinées du commerce. Cette monnaie de banque est aussi invariable et aussi ferme qu'un rocher au milieu des flots. Cet étalon idéal sert à régler le prix de tout, et peu de personnes peuvent dire exactement sur quoi il se fonde. Il n'y a pas jusqu'à la valeur intrinsèque des métaux précieux qui ne varie à l'égard de cette mesure commune. Une livre pesant d'or ou d'argent, un millier de guinées, d'écus, de piastres ou de ducats valent tantôt plus, tantôt moins, relativement à cet étalon invariable, selon que la proportion de valeur varie entre les métaux dont ils sont composés. Quelque changement que les espèces monnayées subissent dans leur poids, leur finesse ou leur dénomination, rien n'est capable d'affecter i la monnaie de banque. Ces espèces courantes sont considérées par la banque comme tout autre objet d'échange. Telle est donc la monnaie de banque d'Amsterdam. Elle peut toujours être représentée à quelque temps que ce soit avec la plus grande exactitude par une certaine portion déterminée d'or ou d'argent ; mais elle peut être aussi peu liée à cette valeur pendant l'espace de vingt-quatre heures qu'à celle d’une tonne de harengs. Jacques Steuart. Recherche des principes de l'économie politique, liv. III, chap. II.

Cinquième partie << Gustave de Molinari  —  Questions économiques à l’ordre du jour >> Septième partie